Six mois de mairies FN : Hayange, premier volet de notre enquête (1/3) Olivier Bergé 09/10Six mois après l’élection de onze maires Front national, nous sommes allés voir comment ces communes vivent la nouvelle ère municipale. Premier reportage de cette enquête en trois volets, à Hayange en Moselle, avant le Var et Béziers vendredi et pour finir, Hénin-Beaumont dans notre édition de samedi.
« Marine ne nous impose absolument rien. » Fabien Engelmann a beau être un débutant de 35 ans de la gestion municipale, le maire Front national d’Hayange cherche d’abord à rassurer.
Tout juste concède-t-il des coups de fil pour « un renseignement technique ou juridique », à l’économiste héninois Jean-Richard Sulzer, à l’expérimenté perpignanais et numéro 2 du parti,Louis Aliot, ou au vice-président chargé des élections (et des contentieux), Jean-François Jalkh.
Personne n’est sous tutelle, nous dit-on au FN. Il a donc fallu apprendre vite. Parfois dans la difficulté. Remobiliser des services municipaux, plus que partagés sur la nouvelle tendance du pouvoir (un ancien de la CGT élu à Hayange)…
Sans surprise, une mairie FN s’appuie sur des fondamentaux : audit financier, baisse des impôts (quand c’est possible), économies budgétaires, réduction de l’endettement, embauches à la police municipale, soin apporté à la propreté de la ville. C’est en quelque sorte un tronc commun.
Il faut également noter une légère tendance à la revanche sur des associations marquées politiquement (la Ligue des droits de l’homme n’a plus de local gratuit à Hénin et Fréjus) ou chéries par le pouvoir précédent (assos sociales et sportives à Fréjus, un club de foot à Hayange).
Toutefois, on lui sait gré d’avoir évité jusqu’ici les dérapages anticonstitutionnels ou xénophobes des années 90 (Marignane, Toulon, Orange, Vitrolles).
On ne peut comparer le travail programmatique fouillé, la vision de l’investissement et le niveau de l’équipe à Hénin-Beaumont ou Fréjus avec les secousses désordonnées d’Hayange (deux directrices générales des services, trois retraits de délégations d’adjoints, un recours à la commission des comptes de campagne, des plaintes) ou les budgets timides à Cogolin ou au Luc dans le Var.
Sous sa casquette de secrétaire général, Steeve Briois ne s’en cache pas. Le FN a besoin de former des cadres à l’exercice du pouvoir pour progresser, s’installer.
On demande rarement sur trois pages et autant de jours le bilan après six petits mois de maires PS ou UMP. Le Front, ici municipal, se sait sous observation. Restera-t-il un cas à part ?
Programme, promesses : premier bilanBaisse des indemnités des élus de 20 %. Fait. Sauf pour le maire maintenu à 2 471 € brut.
Audit financier. Pour fin octobre. La dette est de 16,7 millions d’euros, environ 1 000 € par habitant, sous la moyenne des villes de 10 000 à 19 999 habitants selon l’INSEE : 1 238,7 € (en 2010). « La ville vit au-dessus de ses moyens », affirme pourtant le maire.
Baisse des impôts. Objectif d’une baisse de 5 % de la taxe d’habitation en 2015.
Maintien des subventions. Variable. Le FCH, le club de foot favori de l’ancienne municipalité, de l’arbitre et ex-adjoint aux sports FN, Patrice Hainy, a perdu l’essentiel de ses subventions et de ses licenciés : 10 700 € contre 30 000 €, plus 20 000 € exceptionnels. Un nouveau comité espère ramener le maire à de meilleurs sentiments (17 500 € de dettes). « Sinon, à Noël, il n’y aura plus de club », craint le président Loïc François.
Arrêt du projet d’extension d’une salle de sport (3 M€). Fait.
Référendum. En attente pour septembre 2015. Trois projets seront mis au vote : refaire la salle de spectacle Molitor à l’abandon ; refaire le centre-ville ; baisser les impôts.
Divers, en cours. Baisse du budget communication et réceptions ; distribution au CCAS « au cas par cas et avec discernement » ; une embauche à la police municipale (huit au total), achat de tonfas, de bombes lacrymogènes ; propreté ; réfection de routes et trottoirs (plus d’1,5 M€) ; fleurissement ; peinture (en photo, le fameux œuf en granit repeint en bleu sans l’accord de l’artiste et qu’on a tenté de nettoyer sans succès). OL. B.
Le maire et le militant
L’ancien ouvrier territorial CGT à Nilvange, le fan de Brigitte Bardot et de la condition animale, le militant de Lutte ouvrière – « j’ai voté Arlette Laguiller puis Ségolène Royal en 2007 » – et du NPA, plonge vers le FN en 2010. Chemin classique et renversant.
Surtout après la lecture de son bouquin Du Gauchisme au Patriotisme, publié en avril aux éditions Riposte laïque. On y lit une obsession pour « l’offensive islamique », une religion qu’il s’ingénie à nommer « idéologie ». Comme il nous dit sans ciller « boucherie-charcuterie traditionnelle », opposée à « boucherie islamique ».
Ses amis de Riposte laïque le soutiennent (le leader Pierre Cassen, condamné en première instance et en appel, est en cassation pour provocation à la haine envers les musulmans). Ils se montrent lors de la fameuse Fête du cochon, pas les leaders nationaux du FN. Fabien Engelmann, 35 ans, est pourtant membre du bureau politique et conseiller au dialogue social de Marine Le Pen.
Pour l’opposant d’Hayange plus belle ma ville, Marc Olénine, « il y a deux Engelmann, le maire qui applique le programme FN et un autre qui écrit ce livre avec Riposte laïque, son logiciel politique ».
Hayange, son passé glorieux, sa peinture bleueVu du haut, de la statue de la Vierge et des collines, Hayange semble écrasé par le glorieux passé de la vallée de la Fensch. Entre les hauts-fourneaux sous cocon du Patural et ce sidérant pont autoroutier qui survole le centre.
En un clin d’œil – cinq ans –, le FN et Fabien Engelmann y ont fait leur lit, au Konacker, à Marspich et Saint-Nicolas-en-Forêt comme dans le centre : victoire en quadrangulaire (34,7 %) pour éjecter le maire PS, Philippe David, incapable comme tant d’autres d’affronter l’autocritique (27,2 %, 28,3 % pour la droite).
« On n’est pas fou : quand on est une ville Front national, on est observé à la loupe. » Entouré de sa nouvelle directrice générale des services (la précédente est partie avant la fin de sa période d’essai pour « incompatibilités d’humeur ») et de son responsable de la communication, Fabien Engelmann sort son programme de mars et assure : « En six mois, on en a fait beaucoup plus que la précédente majorité socialo-communiste pendant six ans. » Soit.
Plus belle la villeOn décortique : « Un programme réaliste, sans fausses promesses. Les gens attendent ça : sécurité, propreté et payer moins d’impôts. Rien de plus. Les gauchos nous emmerdent avec leurs projets inutiles à 20 ou 30 millions d’euros. »
« Des mesures gadgets et visuelles, la peinture bleue (pas marine), des pots de fleurs, des mendiants évincés, des bouchers halal intimidés », conteste Gilles Wobédo, de l’association Hayange plus belle ma ville. « Je ne suis pas certain que cette caricature de politique lui porte préjudice. D’où notre choix de retravailler le collectif », juge Marc Olénine, son compère.
On a beau revenir à la charge sur l’investissement, la politique économique, le chômage (13 %), on est frappé par l’absence de vision, d’ambition du maire pour sa ville de 16 000 habitants : « On espère l’arrivée d’un cordonnier, d’un boucher traditionnel (comprenez, pas halal) et d’habitants si possible imposables. » Point.
Au-delà des réformes cosmétiques vite mises en place, ça tangue pour le maire. Sa première adjointe, Marie Da Silva, l’accuse de n’avoir pas inscrit ses dons de plusieurs milliers d’euros dans les comptes de campagne. La commission idoine pourrait bientôt rendre inéligible le maire de 35 ans. Deux autres adjoints ont aussi perdu leur délégation pour l’avoir accusé de manipuler le vote contre Mme Da Silva. « Ils ont voulu profiter de leur position », rétorque le Premier magistrat. Plainte pour abus de confiance d’un côté, diffamation de l’autre, les conseils municipaux sont sous pression.
Comme les services de la ville, affirme Hugues Miller, délégué syndical CGT. « Je suis un ancien de la CGT, ils me détestent. Ce sont avant tout des militants politiques », griffe Fabien Engelmann. Celui-ci a fait signer une note rappelant le devoir de réserve au personnel du Centre communal d’action sociale (CCAS). « Le climat n’est pas serein », estime le syndicaliste qui évoque l’entretien préalable d’un ouvrier (abandon de poste pour une broutille), le départ d’une agente pour avoir défendu sur Facebook une amie après une altercation avec Engelmann.
Mais au marché du jeudi matin comme au foot, on se moque de l’étiquette FN et des tensions. « Tout ce que je vois, c’est que la ville est plus propre, plus belle », note une maman au bord du terrain synthétique du stade Guy-de-Wendel. « Y’avait de drôles de gars à la fête du cochon », grimace une autre pour évoquer les extrémistes en goguette à Hayange le 14 septembre. Une troisième tranche le débat : « Remarquez, il y a bien la fête du mouton à Marspich. »