Un article dans Monde Nouveau de Marianne Enckell (co-fondatrice du Centre international de recherches anarchistes – CIRA
http://www.cira.ch) Pas nouveau mais qui illustre le sujet.
"Fédéralisme et autonomie chez les anarchistes"
En préambule : A Krizmir et Sebiseb, particulièrement, qui n’ont pas compris (ce que je comprends), parce que le sujet est complexe, comme l’est la prétention de vouloir changer le monde autrement que par des slogans. Si cela était facile, ça se saurait.
La question centrale pour moi est celle-ci : le monde est constitué de quelques milliards d’êtres humains qui ne veulent pas tous la même chose, qui ne pensent pas tous de la même façon, etc...
La pensée libertaire, que la plupart ici partage, part du respect de l’être humain.
Comment dès lors initier une transformation radicale de la société, partant d’en bas, de masse, en tenant compte de cette diversité ?
Nous excluons l’avant garde éclairée qui ferait le bonheur de touTEs malgré eux.
Mais nous pensons qu’il existe un lien commun entre tous ces être humains : la condition d’exploités et un moyen : la lutte des classes, avec comme objectif commun, une société égalitaire, sans classe donc et antiautoritaire.
Voilà l’énoncé du problème dans ses grandes lignes.
Il y a eu, au cours de l’histoire du mouvement libertaire mille réflexions, idées, outils mis en place. Aucun n’a fonctionné de façon durable, pour diverses raisons.
L’approche proposée est d’analyser ce qui n’a pas fonctionné (ou d’en regrouper les analyses) et d’avancer une/des propositions d’organisation différente, respectant les principes de fédéralisme et d’autonomie, et dépassant les seules organisations affinitaires. (sans les exclure ou les discréditer)
Quelques extraits : Le texte complet est à lire
http://monde-nouveau.net/spip.php?article46"Fédéralisme et autonomie sont des valeurs fondamentales du mouvement anarchiste et des pratiques constantes, par souci de cohérence entre les fins et les moyens. La grande invention des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires a été en effet d’appliquer ces principes aux organisations mêmes du prolétariat, contre toute structure centraliste ou étatique. Indissociable des valeurs - l’entraide, le refus de la domination, la liberté - le fédéralisme caractérise le projet social, territorial et économique de l’anarchisme. [….]
la solidarité n’a rien de spécifique au mouvement anarchiste, [pas plus que] le fédéralisme et l’abolition du pouvoir. C’est l’interaction des trois notions qui fait [sa] spécificité
La grande invention des anarchistes et des syndicalistes révolutionnaires a été d’adopter ce principe d’organisation sociale dans les organisations mêmes du prolétariat. La première CGT française, la FORA argentine, la CNT espagnole se sont fondées sur cette même articulation entre fédéralisme et autonomie : si l’un des termes disparaît, l’autre est vidé de son sens. [...]
À principes constants, l’histoire du mouvement anarchiste et syndicaliste révolutionnaire reste traversée par des débats, des tensions, des affrontements, des expériences heureuses ou malheureuses. Mais elle connaît des périodes d’affirmation, où la propagande par l’écrit se fait aussi radicale que l’action directe.
C’est le fédéralisme – entendu comme « union, alliance libre ; il ne peut s’admettre dans le sens de subordination des individus et des groupes » – qui est l’antonyme de la centralisation, et non pas la décentralisation.
L’expérience que mettent en avant ces syndicalistes s’inspire sans doute des Bourses du travail françaises, ces « institutions de combat et d’attente dont Pelloutier ambitionnait de faire à la fois le levier de la transformation sociale et la maquette de l’économie future », selon l’heureuse expression de Bernard Voyenne. [12] Avec leurs offices de placement et de statistique du travail, leurs allocations de chômage et leurs secours de route, leurs débats et leurs conférences, elles ont été un modèle de fédéralisme concret, tant dans leur esprit que dans leur pratique quotidienne : un modèle « à la fois local et professionnel, où mineurs, employés de bureaux, typographes, sociétés de musique, groupes divers (espérantistes, antimilitaristes, végétariens, etc.) ont pu confronter et reconnaître leurs différences pour faire naître un projet commun extrêmement riche, enraciné dans de très vastes secteurs de la population ouvrière ». [1] Dans le système du salariat et de l’État, les Bourses du travail sont parvenues à conserver pour un temps leur autonomie et leur gestion basée sur la mutualité, jusqu’à ce que l’institutionnalisation du syndicalisme ne prenne le dessus et ne vide de leur sens les noms des confédérations ouvrières.
Au fur et à mesure que se multipliaient les organisations et les sigles, on a aussi entendu nombre de propositions et tentatives d’unification, de cohésion, de regroupement des libertaires, que cela soit lors des grands rendez-vous dans les villes où se réunissent les maîtres autoproclamés du monde ou de rencontres plus modestes entre des personnes et des groupes dans des auberges de campagne, ou encore dans les innombrables réseaux de groupes dits affinitaires. [...]
Quelle est cette unité fédérée à laquelle tendent enfin nombre d’anarchistes ? Selon Claude Parisse [1], elle « consiste très exactement à reconnaître et à faire vivre la diversité et l’autonomie des formes de lutte, des regroupements ou des actions individuelles, bref la diversité de la vie réelle opposée à l’unification factice des partis, des États, des églises, des sectes ou du spectacle mis en scène par les mass média ». Lorsque le mouvement anarchiste français s’est marginalisé après la Deuxième Guerre mondiale, « loin de toute insertion sociale[…], “l’affinité” est devenue purement idéologique et le “fédéralisme”, de vaste processus social qu’il était dans le syndicalisme et la pensée initiale du mouvement libertaire, s’est transformé en notion organisationnelle, magique et obscure, objet d’interminables discussions, chargée de régler – fédéralisme du pauvre – les seules relations des quelques dizaines de groupes anarchistes que comptait alors le pays »."
[1] Claude Parisse, les Anarchistes et l’Organisation, Lyon, ACL, 1989