Jean-Luc Mélenchon : attention fragile ! Philippe Bilger - Blogueur associéJean-Luc Mélenchon cherche à faire oublier « sa fragilité, ces choses du coeur, ces chocs de l'existence, ces exils intimes qui façonnent bien plus que les idées et les extrémismes », remarque notre blogueur associé Philippe Bilger, qui a entrepris de sonder la personnalité du candidat du Front de gauche, tribun du Front des humiliés, écorché vif et revanchard.
On ne gratte jamais assez l'écorce, on ne va jamais assez profond ! L'analyse psychologique est trop oubliée quand on s'attache aux destinées politiques ou aux destinées tout court. On n'en abusera jamais. Je préfère tenter de venir sonder le coeur et les reins plutôt que de m'arrêter à la surface.
Jean-Luc Mélenchon, derrière sa grosse voix, cache un « petit chose », pas seulement à cause d'une enfance et d'une jeunesse heureuses mais modestes mais en raison de sa place sur l'échiquier politique. Il a une parole drue, riche, intense, puissante, s'inscrivant avec force et densité dans l'espace, erratique pour beaucoup, démagogique et destructrice si on écoute ses adversaires, mais, pour moi, ce qui domine dans son discours, derrière l'idéologie des barricades et de la révolution, sous la nostalgie du bouleversement et de la table rase tient à une âme blessée, à un esprit qui ne se remet pas d'avoir été sous-estimé, à une sensibilité à vif qui cherche d'autant plus à se faire oublier aujourd'hui qu'elle a été offensée hier.
Il tonitrue mais écoutons bien ce qu'il cache ! La gauche socialiste versera des larmes de sang et d'échec pour n'avoir pas su comprendre qui aurait mérité de demeurer en son sein, bien mieux, à sa tête ! Chez Jean-Luc Mélenchon, non seulement le héros humilié et revanchard d'Anouilh n'est pas loin du tribun mais ils font corps, ils font couple.
FAIRE « PAYER » AU PS SON PARCOURS ET SON DÉPART
Ceux qui espéraient un leader du Front de gauche conscient de ses devoirs et empressé à soutenir la gauche dans son ensemble, ceux qui attendaient une fulgurance dans la lumière qui s'attacherait à une solidarité naturelle contre la droite naturellement l'ennemie se sont trompés, s'égarent.
Il m'était apparu d'emblée que Jen-Luc Mélenchon, en dépit de ses justifications et explications guère convaincantes parce que déconnectées du fond de son être, ferait « payer » inlassablement au PS le parcours et le départ que ce dernier lui a imposés.
Cette indépendance qu'il a affirmée avoir conquise avec son nouveau parti, elle a été moins une chance, une opportunité de bruit, de fureur et d'autonomie que la conséquence triste d'un manque de reconnaissance qui l'a affecté dans ses tréfonds bien plus que tel ou tel dissentiment idéologique même imprégné d'un jusqu'au boutisme économique, financier et subversif.
J'ai toujours éprouvé l'impression que Jean-Luc Mélenchon a habillé ses états d'âme plus qu'il ne les a dissimulés. L'enfant chassé, pas assez aimé est si présent derrière le tumulte diffusé avec ostentation par la personnalité publique que mon regard est empli d'une forme de tendresse solidaire alors qu'elle cherche pourtant désespérément à faire oublier sa fragilité, ces choses du coeur, ces chocs de l'existence, ces exils intimes qui façonnent bien plus que les idées et les extrémismes.
Comment ne pas être, sur ce plan, frappé par la complicité profonde qui, une fois la table politique débarrassée, l'a uni à Eva Joly comme à Marine Le Pen ? J'y vois la traduction d'un lien fort : le Front des humiliés bien plus évidemment qu'une connivence politique avec l'une et une curiosité intellectuelle pour l'autre.
Jean-Luc Mélenchon - c'était à parier - est venu au secours d'Eva Joly à la suite de l'article de Patrick Besson faisant parler cette dernière avec l'accent allemand et dans un épouvantable français. Pourtant, une telle infirmité du langage, pour une candidate à l'élection présidentielle qui prétend avoir des ambitions, n'est pas neutre : c'est une grave infériorité. On a le droit de la dénoncer.
Patrick Besson a sans doute été indélicat, vulgaire mais dans son outrance et sa dérision, son talent a visé juste, il a mis en lumière ce qui sous le manteau se murmure, ce qui est crié par ceux qui n'ont jamais succombé au charme d'Eva Joly : elle n'est pas une bonne candidate d'abord parce qu'elle parle mal !
Jean-Luc Mélenchon se moque comme d'une guigne de ce handicap qui sur le registre partisan le réjouit plutôt mais accourt pour donner sa tête, son bras, sa pitié, son indignation à une femme qui lui ressemble comme une soeur sur le plan des traverses intimes, des aléas existentiels. Le chevalier blanc qui lui-même a été blessé n'a pas hésité une seconde à faire preuve de cette fraternité instinctive.
CONTRE LE MÉPRIS ET LA CONDESCENDANCE
Enfin, alors que tout semble opposer Mélechon et Marine Le Pen - derrière l'apparence, Mélenchon est autant que Montebourg, peut-être, un FN de gauche si on élargit l'affirmation de Cohn- Bendit -, beaucoup ont remarqué l'étrange antagonisme presque fraternel, d'une vigueur presque courtoise, qui a mis aux prises, lors d'un débat, le Front national et le Front de gauche, l'homme rude, convaincu et la femme volubile, batailleuse, ces deux personnalités qui se sont reconnues et qui grâce à leurs similitudes viscérales, ancrées, à leur fierté de se battre contre le mépris et la condescendance de la classe politique officielle, n'ont pas été loin de parler la même langue.
Il y a des chagrins, des regrets, des révoltes, des haines qui réunissent plus sûrement que les clans, les chapelles et les calculs. Jean-Luc Mélenchon, à l'évidence, dialoguant avec Marine Le Pen, a occupé avec volupté une place en face d'elle parce que les professionnels de la politique n'en voulaient pas ou avaient peur de s'y trouver. Il est venu combattre une humiliée parce qu'il l'a été et que le souvenir lui en reste.
Jean-Luc Mélenchon est un tribun à traiter avec délicatesse parce qu'il est fragile.