Kzimir a écrit:Juste une question parce que je comprends vraiment pas les tenants et les aboutissants du débat, mais visiblement ça a l'air super important : ça change quoi que les forces productives aient cessées de croître ou pas ?
Oulà, ta "juste une question" est le concentré de 60 ans de polémique hargneuse entre les différentes chapelles du trotskisme.
ça doit correspondre en papier à l'équivalent d'un quart de la forêt amazonienne
je ne vais donc pas de donner une réponse tranchée mais essayer malgré tout d'expliquer le plus clairement ce que j'ai compris de tout ça.
D'abord
"les forces productives de l'humanité ont cessé de croître" c'est le postulat depuis lequel Trotsky part dans son
"programme de transition" document fondateur de sa IVème internationale qui voulait en 1938 reconstruire le "parti mondial de la révolution." ( qui avait échoué selon lui sous la direction de Staline )
Ensuite il faut peut-être revenir vite fait au schéma marxiste :
1) l'histoire de l'humanité est une science, donc il est possible d'en prévoir le déroulement Selon Marx, les sociétés humaines évoluent selon un principe relativement simple : tant qu'elles parviennent à satisfaire la coexistence des forces sociales en présence et dans une phase ascendente ( d'un point de vue relatif ) , elle peuvent perdurer.
Tout cela est dynamique : c'est à dire qu'il faut que bilan global soit positivement pour que ce soit viable. ( en gros que tout le monde arrive à y trouver toujours un petit peu plus son compte quelle que soit sa place dans la société )
Si cet équilibre est rompu alors l' organisation sociale doit forcément changer notamment par une révolution.
C'est avec cette hypothèse que Marx explique le passage des premières sociétés tribales , dites de "communisme primitif", vers les systèmes féodaux puis de ces derniers vers l'organisation capitaliste avec comme transitions des guerres ou des révolutions.
Tous ces passages sont donc dépendants de conditions dites "objectives".
Ensuite intervient le facteur "subjectif" .
Le facteur subjectif est grosso-modo la prise de conscience qui se cristalise par exemple dans une avant-garde "révolutionnaire" qui va mener le changement.
2) Concernant le système capitalisme lui-même Marx parle dans son analyse de l'économie capitaliste de "valeur d'usage" et de "valeur d'échange".
La
valeur d'usage c'est ce qui est produit et peut servir utilement à tout le monde : la nourriture, les vêtements,les moyens de transport, les habitations (...)
la
valeur d'échange permet de réaliser les transactions financières nécessaires pour que le système capitaliste puisse fonctionner à savoir
partir d'un capital A pour arriver à un capital A' supérieur à A .( c'est à dire faire un bénéfice financier ). Les produits utiles ( positivement ) ne sont pas uniquement concernés dans cette valeur.
Toute la polémique vient alors du fait que les trotskistes orthodoxes dont le fer de lance a été le lambertisme ( mais le courant dont est issu Lutte Ouvrière défend aussi plus mollement cette position ) disent que comme la valeur d'usage du capitalisme depuis quasiment le debut du 20ème siècle est submergée par la valeur d'échange qui n'est plus basée sur la création de produits à d'usage "positif" mais essentiellement destructifs ( armes, produits toxiques, économie de guerre...) alors l'équilibre dont il est question plus haut est rompu : nous sommes donc objectivement dans une phase révolutionnaire.
Dans cette façon de voir, les forces humaines ( les hommes eux-mêmes) sont incluent dans les forces productives (moteur d'un système social ) et, si on fait le calcul de ses pertes notamment par les guerres nécessaires au capitalisme pour se purger, le bilan
objectif est d'autant plus négatif.
Les conditions objectives sont donc, pour eux et en accord avec Trotsky, mures pour passer à une autre organisation sociale ( pour le marxisme : la dernière possible pour l'humanité : la société sans classes mais, précisé par Lénine, avec la transition de
l' Etat ouvrier instrument de la
dictature du prolétariat )
Trotsky ajoute enfin à ce sujet et toujours dans son "programme de transition :
"la crise de l'humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire" Ce qui veut dire pour lui qu'il manque juste le facteur subjectif ( c'est à dire une avant-garde révolutionnaire ) pour que la révolution ( prolétarienne) se passe et, c'est ce qu'il propose de reconstruire.
D'un autre coté , l'autre courant majeur du trotskisme dont la LCR puis le NPA est aujourd'hui l' héritier, ne sont pas d'accord avec cette vision jugée catastrophiste de la situation et, suit ce qu'un de leur penseur économiste "Ernest Mandel" analysait de son point de vue.
Mandel explique en gros que le capitalisme est pour le moment tpoujours capable de rebondir en s'expurgeant régulièrement, de se ressourcer et de réussir globalement ainsi à créer toujours et globalement des richesses suffisamment positives et utiles pour que le faire perdurer.
Son bilan sociétal reste donc positif.
Les conditions objectives ne seraient donc pas encore réunies et le système à encore des ressources.
Il faut faire encore avec .
Ceci pourrait d'ailleurs expliquer l'évolution clairement réformiste du NPA .
Mais LO ne l'est pas moins et le POI (lambertistes) n'en parlons même pas ...
Voilà en gros et vite fait cette histoire de " les forces productives ont cessé de croire" (ou pas) telle que j'ai cru la comprendre.