Tribune : pour en finir avec l’écologie libérale
Sans remettre en cause l’hégémonie du modèle capitaliste, la lutte contre le réchauffement climatique n’est rien d’autre qu’une diversion.
À moins de n’avoir consciemment décidé d’ignorer toute l’actualité environnementale de ces dernières semaines, vous avez probablement entendu parler du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), paru le 7 octobre et relayé par l’ensemble de la presse française et internationale. Nouvelle mise à jour de l’horloge de l’apocalypse climatique : quand bien même les Accords de Paris (COP21) sont respectés et que la hausse globale de la température d’ici 2100 se limite à 2 °C, nous ferions bien de nous préparer à une sacrée augmentation des catastrophes naturelles entre 2030 et 2052.
Problème : à peine rendu public, cet n-ième rapport du GIEC est déjà à peu près obsolète puisque le consensus scientifique, au vu des efforts fournis par les États, prévoit une hausse minimale de 2 °C pour la fin du siècle. En août dernier, une autre étude nous prévenait qu’une fois cette limite franchie, le réchauffement climatique entrerait dans une sorte de pilotage automatique qui rendrait futile toute tentative de régulation par l’Homme. En d’autres termes, nous avons déjà franchi le seuil de la catastrophe – et à cette vitesse, nous serons bientôt tranquillement dans son salon.
Alors, puisque le grand public est légitimement en droit de paniquer, la presse internationale et une partie des influenceurs de ce monde ont sorti à peu près simultanément, chacun à sa sauce, leur joker. Des appels à l’action citoyenne, d’abord, dans tous les sens : 700 scientifiques réunis sur la une de Libération début septembre pour exhorter, alerter, supplier ceux qui décident pour nous de faire enfin quelque chose de concret ; 200 "personnalités" médiatiques dans les pages du Monde, la semaine précédente, pour froncer les sourcils et nous expliquer qu'"il est temps d’être sérieux" – comme si le paternalisme d’Alain Delon et consorts avait le pouvoir de réveiller l’Humanité de cinquante ans de somnambulisme.
Autre option – plus proactive, celle-ci : ressortir les petits manuels du bon citoyen écolo, la conscience chauffée à blanc par les appels des célébrités. Celui qui, en faisant pipi dans la douche le matin, en mangeant exclusivement des plantes et en lisant attentivement l’étiquette chez le boucher, se coucherait satisfait, se sachant à son échelle contributeur actif d’un monde meilleur.
"Que diront ces mêmes influenceurs dans cinq, dix, quinze ans, quand rien n’aura bougé d’un iota ? Les rapports du GIEC ne servent plus à rien. Les appels sont muets. On continue, pourtant, à appeler"
Et puis, pendant qu’on en était à s’étriper sur Facebook, grâce à l’AFP, pour savoir ce qui polluait le plus entre 7 vols transatlantiques en charter et la naissance d’un enfant, l’oligarchie blanche du YouTube francophone a décidé de s’y mettre aussi. Bingo : sur Facebook, la vidéo "Il est encore temps" chiffre 9 millions de vues, le site lancé conjointement cartonne et le 13 octobre, près de 80 cortèges défilaient en Europe pour sauver la planète.
Il faut voir, sincèrement, cet aréopage de youtubeurs nous expliquer, tout sourires, que le monde n’est pas (encore) perdu et qu’en s’y mettant, à nous tous, on pourra inverser le cours de la catastrophe. Il faut les écouter nous dire que des pétitions en ligne, des marches citoyennes et un bon coup de pression sur la classe politique suffiront, à condition de s’y atteler sérieusement. Il faut se frotter les yeux pour y croire. Et se demander quel degré d’inconscience ou quelle quantité de psychotropes il faut posséder pour y croire réellement, après quarante ans d’action citoyenne aux résultats (quasi) nuls et d’accord internationaux piétinés les uns après les autres.
Il suffit d’entendre Pablo Servigne, seul au milieu des youtubeurs, avouer que "c’est déjà catastrophique, mais il n’est pas trop tard pour éviter que ce soit encore pire", pour être envahi d’un sentiment de vide profond. Que diront ces mêmes influenceurs dans cinq, dix, quinze ans, quand rien n’aura bougé d’un iota ? Les rapports du GIEC ne servent plus à rien. Les appels sont muets. On continue, pourtant, à appeler. À quoi, au fait ? Au calme, surtout. À la "prise de conscience", d’accord. À l’action, certes, mais pas n’importe laquelle. Démocratique, hein. Non-violente, toujours. Diligente. Bien élevée. Individuelle. Atomisée, puisqu’il ne reste plus rien de l’esprit des luttes collectives du siècle dernier.
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http://www.konbini.com/fr/tendances-2/e ... ppel-giec/