Mémoire. Les balles du 14 juillet 1953
Le souvenir de cette journée sanglante, où sept militants algériens et français furent abattus par la police en plein Paris, refait surface depuis peu.
«Paris n’oubliera jamais la manifestation du 14 juillet 1953. » Ce 15 juillet de la même année, l’Humanité consacre sa une au véritable crime d’État qui s’est déroulé la veille, place de la Nation, où six indépendantistes algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et un communiste et syndicaliste de la CGT ont été froidement abattus par la police française.
Mais Paris a oublié. Même les consciences militantes, pourtant plus vigilantes, ont effacé de leur mémoire ces balles du 14 juillet. Ce fut le cas dans nos propres colonnes, qui ont ignoré depuis plus de soixante ans cet épisode sanglant, qui coûta la vie à Abdelkader Draris, Mouhoub Illoul, Maurice Lurot, Amar Tadjadit, Larbi Daoui, Tahar Madgène et Abdallah Bacha. Leurs noms sont enfin sortis de l’oubli le 6 juillet dernier, grâce à l’initiative des élus communistes parisiens. Soixante-quatre ans plus tard, une plaque a finalement été inaugurée place de la Nation par Catherine Vieu-Charrier, adjointe à la maire de Paris, chargée de la mémoire. Présent au premier rang de cette commémoration : Guy Lurot, qui a découvert la veille en lisant l’Humanité Dimanche cet hommage tardif à son père et aux six autres victimes.
« Les escaliers du métro étaient ensanglantés »
Ce 14 juillet 1953, Guy a 17 ans. Il est apprenti imprimeur. À l’aube, avant d’enfourcher son vélo pour passer un jour férié au bord de la Marne, il jette un coup d’œil à son père, qui somnole encore. « Cette dernière image de lui, souriant en dormant, me revient chaque 14 juillet. Car le lendemain, quand je l’ai revu, il dormait pour toujours, mais il ne souriait plus », nous raconte celui qui a aujourd’hui 80 ans. Ce jour-là, il aurait pu être aux côtés de son père, « qui ne manquait pas une occasion de l’emmener en manif ». Car ça aussi, beaucoup l’ont oublié, mais, avant de devenir l’apanage des défilés militaires, l’anniversaire de la prise de la Bastille fut longtemps un rendez-vous incontournable du mouvement ouvrier, l’occasion d’un défilé populaire et combatif.
Cette année-là, des milliers de militants algériens se joignent au cortège du PCF et de la CGT avec des mots d’ordre anticolonialistes. Un immense portrait d’Ahmed Mesli, dit Messali Hadj, père du nationalisme algérien alors emprisonné, ouvre le défilé du MTLD. De trop rares historiens (1) ont planché sur le déroulement précis de cette journée sanglante, avant que le cinéaste Daniel Kupferstein ne réalise un documentaire minutieux, puis un ouvrage paru en juin (2), riche en témoignages. Ces derniers ne laissent pas de place au doute : en fin de journée, alors que les derniers manifestants s’ébranlent place de la Nation, à proximité de la tribune officielle qui vient d’accueillir l’abbé Pierre et Marcel Cachin, la police provoque les manifestants algériens pacifistes en s’attaquant au portrait de Messali Hadj. « Ils ont tiré à balles réelles ! » s’écrient des militants. « Les escaliers du métro étaient ensanglantés », raconte un témoin. Cinquante manifestants sont blessés par balles. Sept resteront à terre. « Mon père a été tué à bout touchant, sa veste portrait des brûlures autour de l’impact », explique Guy Lurot, qui se remémore cette marche funèbre de milliers de militants communistes qui accompagna son père jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, tout à côté du mur des Fédérés, après que les corps des sept victimes eurent été exposés à la Maison des Métallos pour un dernier hommage. « Les années qui suivirent ont été très difficiles. Heureusement que le Parti et le Secours populaire ont aidé ma mère, veuve avec trois enfants. Le plus dur, c’est qu’il n’y a jamais eu de procès. Les assassins n’ont jamais été inquiétés et nous n’avons pas pu faire notre deuil. »
...
http://www.humanite.fr/memoire-les-ball ... 953-638776