La vérité aura mis près de dix-huit ans à surgir, mais elle a une très grande portée historique et diplomatique. Car cette fois, elle n'est pas d'ordre politique mais scientifique : l'expertise menée à Kigali par le juge français Marc Trévidic établit que les tirs qui, le 6 avril 1994, ont abattu le Falcon 50 du président rwandais Juvénal Habyarimana sont partis du camp militaire de Kanombé, tenu par l'armée officielle, censée protéger le chef de l'Etat.
L'enquête établit donc que ce sont les extrémistes hutu qui ont assassiné le président Habyarimana parce qu'il venait d'accepter un partage du pouvoir avec les Tutsi. Et non par des combattants tutsi proches de l'actuel président Paul Kagamé, en guerre contre le régime Habyarimana, comme le juge Jean-Louis Bruguière, prédécesseur de M. Trévidic, l'avait affirmé en 2006 sans jamais avoir enquêté sur le terrain. A l'époque, ses conclusions avaient conduit le Rwanda à rompre ses relations diplomatiques avec la France.
Or cette vérité n'est pas seulement balistique : elle révèle une réalité historique qui établit le mécanisme terrible qui, cent jours durant, a conduit à la mort 800 000 Rwandais, essentiellement tutsi, mais aussi hutu modérés.
(...)
Marie-Claire publie le reportage "Aimer l'enfant du viol", le travail du photographe israélien, Jonathan Torgovnik, qui a remporté le prix découverte 2012 des Rencontres d'Arles pour son travail sur les enfants nés des viols lors du génocide rwandais, qu'il a intitulé "Conséquences inattendues".
Au Rwanda, en cent jours d'avril à juin 1994, plus de 800.000 Tutsis et de Hutus modérés ont été assassinés par les Interahamwe, les tristement célèbres milices hutu.
Le viol comme arme de guerre
Tout le monde ou presque a entendu parler de ce massacre, mais ce que l'on sait moins c'est que durant ce génocide et les temps troublés qui suivirent, le viol fut utilisé comme arme de guerre. Ces femmes ont préféré se murer dans le silence, parce qu'elles avaient honte, parce que ce qu'elles ont vécu dépassait l'innommable.
En 2006, Jonathan Torgovnik part au Rwanda pour le magazine Newsweek faire un reportage sur le Sida, et rencontre Margareth, séropositive et enceinte suite aux viols pendant le génocide.
C'est ainsi qu'il apprit qu'elles étaient nombreuses à avoir vécu le même enfer. Ce témoignage le hante et il retourne au Rwanda où il met deux ans et demi pour arriver à rencontrer 50 de ces femmes et recueillir leur terrible témoignage.
500.000 femmes violées
Une étude de Human Rigths Watch publiée en 2000 avance même le chiffre effarant de 500.000 femmes violées. Faute de pouvoir avorter, les survivantes ont dû porter l'enfant de leur bourreau. Ils seraient 20.000 ceux que l'on appelle les "enfants mauvais souvenirs". Leurs mères les élèvent, seules, parfois envers et contre toute leur communauté.
Les chefs des milices ont délibérément choisi des hommes infectés pour qu'ils violent et contaminent des femmes dont la famille a été massacrée. Aujourd'hui, on estime que 65% des survivantes vivent avec le virus du Sida. Certaines de ses mères forcées avouent qu'elles n'ont jamais aimé leur enfant, d'autres ont fini par l'aimer et d'autres l'ont aimé tout de suite, dès la naissance.
Jonathan Torgovnik a créé une Fondation pour venir en aide à ces mères et à leurs enfants. Avec moins de 300 euros, il est possible de scolariser un enfant, de le soigner et d'apporter un soutien psychologique aux mères.
http://survie.org/billets-d-afrique/201 ... nda-a-4922Génocide des Tutsi du Rwanda : à quand la vérité ?
Vingt-et-un ans après le génocide de 1994 qui a coûté la vie à un million de Rwandais tutsi, et s’est accompagné du massacre de milliers de Hutu opposés à ce crime, la question des responsabilités de l’Etat français se pose plus que jamais au vu des nouveaux éléments à charge apportés depuis douze mois.
En avril 2014, au moment de la vingtième commémoration, l’ancien ministre des affaires étrangères Bernard Kouchner a ainsi confirmé que « le gouvernement génocidaire a été formé dans l’enceinte de l’ambassade de France en avril 1994 », et que « Paris lui a livré des armes jusqu’en août 1994 ». Des livraisons d’armes implicitement reconnues par Hubert Védrine, Secrétaire général de l’Elysée en 1994, devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale.
Interrogé le 16 avril 2014 par le député Joaquim Pueyo, qui lui demande : « Est-ce que la France a livré des munitions aux forces armées après le début du génocide ? À quelle date ? », Hubert Védrine répond qu’à partir de 1990, la France a armé les Forces armées rwandaises (FAR) pour résister aux attaques du Front Patriotique Rwandais (FPR) et permettre la négociation d’un compromis politique. Il ajoute : « Donc, il est resté des relations d’armement et c’est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies : c’est la suite de l’engagement d’avant, la France considérant que pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l’offensive militaire » [1].
« [L]a poursuite des livraisons d’armes aux Forces armées rwandaises jusqu’en juillet 1994 » est également mentionnée dans une note du 24 février 1995 de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, rendue publique le 22 avril 2014 par Patrick de Saint-Exupéry.
Pour sa part, l’ex-capitaine Guillaume Ancel, qui a participé à l’opération Turquoise, a raconté comment il avait été chargé de détourner l’attention des journalistes, dans la deuxième quinzaine de juillet 1994, alors qu’un convoi d’armes destinées aux FAR était acheminé vers le Zaïre.
Le témoignage précieux de Guillaume Ancel éclaire aussi les objectifs réels de l’opération « humanitaire » Turquoise. L’ex-officier affirme en effet avoir reçu deux ordres de combattre le FPR. Le premier, transmis le 22 juin 1994, était de réaliser un raid sur Kigali, lors duquel le rôle d’Ancel était d’aller près du front pour désigner aux avions leurs cibles. Le second, le 30 juin, était d’aller stopper par la force le FPR à l’est de la forêt de Nyungwe. Une opération annulée in extremis, le 1er juillet vers 5 h 30 du matin : « Mon hélico a déjà décollé quand un officier de l’état-major du COS vient nous faire atterrir en urgence et annule toute l’opération. Cela veut dire qu’il y a eu un ordre politique, de très haut niveau, qui a dû être donné au dernier moment (vers 5 h du matin à Paris, puisque l’heure française est la même que l’heure rwandaise). Il a donc dû résulter d’un long débat nocturne, suscité par une des (rares) personnes qui à Paris sont informées de cette opération ».
Briser la chape de plomb
De ces discussions au plus haut niveau de l’Etat, nous savons encore trop peu. Le travail de Jean-François Dupaquier (Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda, Karthala, 2014 http://survie.org/billets-d-afrique/201 ... es-et-4706) a certes permis de documenter la désinformation menée par les services rwandais à destination des autorités françaises dans le but de faire passer, avec l’aide de certains officiers français, la guerre contre le FPR pour une agression extérieure commise avec l’aide d’une puissance anglophone, l’Ouganda. Une présentation taillée sur mesure pour cadrer avec l’obsession des responsables français pour la « stabilité » des alliés africains et réactiver le « syndrome de Fachoda », la vieille rivalité d’influence avec les « Anglo-Saxons ».
Cette désinformation dont ils ont été la cible n’explique pas pour autant pourquoi les dirigeants français, par ailleurs correctement renseignés par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ont maintenu envers et contre tout leur alliance avec les génocidaires. Selon la note de la DAS citée par Patrick de Saint-Exupéry, la DGSE avait même proposé le 4 mai 1994 « une condamnation publique, sans appel, des agissements de la garde présidentielle rwandaise et du colonel Bagosora ». Ce dernier est considéré comme l’architecte du génocide, dont la garde présidentielle était l’un des principaux fers de lance. Le 18 mai 1994, devant l’Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé parle de « génocide » et déclare que « les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à l’élimination systématique de la population tutsi ».
Dès lors, pourquoi, deux mois plus tard, évacuer le gouvernement intérimaire rwandais vers le Zaïre ? Pourquoi faire de la force Turquoise un bouclier protecteur pour les FAR, derrière lequel elles pourront se réfugier avant de fuir le Rwanda pour se reconstituer au Zaïre, avec l’aide française ? A ces questions, comme à tant d’autres, les citoyens français n’ont reçu, pour toute réponse, qu’un récit falsifié de la politique menée au Rwanda par un petit cercle de dirigeants politiques et militaires, un récit qui reçoit visiblement l’aval des plus hautes autorités de la République.
[1] Voir l’enregistrement vidéo en ligne http://www.dailymotion.com/video/x1oype ... 14_%20news. La question de M. Puyeo se trouve à 39’ 40’’. La réponse de M. Védrine se trouve à 1h 00’ 38’’. Le compte rendu n°44 des auditions de la commission de la défense nationale et des forces armées, session 20132014, ne reprend pas les formules : « donc il est resté des relations d’armement », « il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies » et « c’est la suite de l’engagement d’avant ».
http://survie.org/genocide/article/une- ... mpe-l-4934L’association Survie, qui milite en faveur de la vérité et de la justice sur la complicité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi au Rwanda, avait fait campagne en 2014 pour la déclassification des archives : elle avait écrit au ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ainsi qu’à tous les parlementaires, avant de remettre en juillet au ministère de la Défense une pétition en ce sens signée par plus de 7000 personnes [1]. Elle accueille donc cette nouvelle avec satisfaction.
Cependant, il est vraisemblable que les documents mentionnés sont déjà connus. Il s’agit apparemment d’une sélection opérée à l’époque par Françoise Carle, collaboratrice de François Mitterrand. Il n’y a donc pour le moment aucune certitude que l’ensemble des archives de l’Elysée concernant la politique menée au Rwanda, si tant est que toutes aient été conservées, soit rendu public. Le fonds Carle, connu depuis une dizaine d’années, a d’ailleurs été pour l’essentiel publié aux éditions Aviso en 2012, sous le titre Rwanda. Les archives secrètes de Mitterrand. Si, comme cela semble être le cas, la déclassification dont il est question porte sur ce dossier, elle permettra de l’authentifier officiellement, mais n’apportera pas d’informations nouvelles.
Il est donc à craindre que les questions à nouveau soulevées en 2014, lors de la vingtième commémoration, restent sans réponses. Parmi elles : la formation du gouvernement génocidaire dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali ; les livraisons d’armes pendant toute la durée du génocide, y compris pendant l’opération Turquoise ; les objectifs réels de cette opération présentée comme « humanitaire ». [2]
Le premier pas vers la transparence que constitue cette déclassification doit s’accompagner d’autres pas bien plus décisifs pour montrer la volonté réelle du chef de l’Etat de contribuer à faire la lumière sur les responsabilités françaises dans le génocide des Tutsi. En effet, dans les dossiers instruits par le pôle « crimes contre l’humanité et génocides » du tribunal de Paris mettant potentiellement en cause des militaires et des responsables français, des demandes de déclassification de documents essentiels n’ont pas abouti. Le président de la République doit publiquement s’engager à ce que les magistrats n’essuient désormais aucun refus.
Il en va de même dans l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994, où le juge Marc Trévidic a repris avec sérieux et impartialité, mais sans qu’on lui accorde les mêmes moyens, le dossier hérité de son prédécesseur Jean-Louis Bruguière. Après avoir pris acte en 2012 que les tirs qui ont abattu l’avion du président Habyarimana sont partis du camp militaire de Kanombe, le magistrat a récemment demandé la déclassification de documents militaires français. Là encore, le président de la République doit s’engager à ce que ces documents soient communiqués au juge Trévidic et à son successeur.
Pour poursuivre le travail de vérité sur l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi, l’association Survie demande :
• la reconnaissance officielle, par les plus hautes autorités de l’Etat, du génocide des Tutsi au Rwanda et des soutiens diplomatiques, militaires et économiques apportés au régime rwandais avant et pendant le génocide par les autorités civiles et militaires françaises ;
• l’arrêt de la falsification de l’Histoire dans des discours officiels, en particulier en justifiant la politique française par le caractère humanitaire de l’opération Turquoise, alors que cette intervention a surtout permis la protection et l’évacuation des responsables et exécutants du génocide ;
• la communication aux magistrats du pôle anti-terroriste et du pôle « crimes contre l’humanité et génocides » de l’ensemble des documents, dans l’intégralité de leur texte original, ainsi que des pièces à conviction concernant les dossiers qu’ils instruisent (attentat du 6 avril 1994, plaintes contre des militaires de l’opération Turquoise, rôle de Paul Barril pendant le génocide) ;
• la communication et l’ouverture totale aux chercheurs et aux citoyens des archives des ministères des Affaires étrangères, de la Défense, de la Coopération (en particulier celles de la Mission militaire de Coopération) ;
• la communication et l’ouverture aux chercheurs et aux citoyens des archives personnelles des responsables politiques et militaires ayant eu à traiter du Rwanda de par leurs fonctions, en particulier : celles des conseillers du président François Mitterrand, celles du Premier ministre Edouard Balladur, du ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, du ministre de la Défense François Léotard, du ministre de la Coopération Michel Roussin, et de leurs conseillers ;
• l’augmentation des moyens du pôle judiciaire « crimes contre l’humanité et génocides » afin d’accélérer les instructions et la tenue des procès, en particulier pour les plaintes concernant l’implication française.
• la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur les livraisons d’armes aux Forces Armées Rwandaises dans lesquelles notre pays est impliqué, avant, pendant et après le génocide, et la tenue de toutes ses auditions publiquement ;
CONTACT 01 44 61 03 25 / 06 52 21 15 61 http://www.survie.org
Notes
1. A l’issue de la campagne menée en 2014 à l’occasion des 20 ans du génocide, l’association Survie avait été reçue au ministère de la Défense pour remettre une pétition signée par plus de 7000 personnes demandant la déclassification des archives concernant la politique menée au Rwanda : http://survie.org/activites/campagnes-e ... on-au-4743
2. « A quand la vérité ? », article de Raphael Doridant, Billets d’Afrique (avril 2015) http://survie.org/billets-d-afrique/201 ... nda-a-4922
3. « 20 documents pour comprendre le génocide des Tutsi au Rwanda »
http://survie.org/genocide/genocide-et- ... rendre-le/
Autres actions menées par Survie en 2014 autour de la responsabilité de l’Etat français dans le génocide des Tutsi au Rwanda (hors demande de déclassification et actions judiciaires) : Sollicitation des parlementaires lors de l’audition d’Hubert Védrine http://survie.org/genocide/implications ... e-aux-4738 Sollicitation du bureau de l’Assemblée nationale suite à l’audition d’Hubert Védrine
Dans les médias : Tribune de Fabrice Tarrit, Président de Survie, The Huffington Post (7 avril 2014) http://www.huffingtonpost.fr/fabrice-ta ... reloaded=1 Tribune de Raphaël Doridant et Charlotte Lacoste, Le Monde (8 avril 2014) http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html
Rappel des revendications de l’association Survie concernant la politique menée au Rwanda : http://survie.org/genocide/genocide-et- ... tions-4646
Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 7 invités