L'écho de la fabrique & la presse ouvrière lyonnaise 1831-35
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La revue « Kommunist » et les Communistes de gauche - Moscou 1918
Présentation du projet d’édition et table des matières
Souscription 15€ par chèque à l’ordre de SMOLNY. Voir coordonnées complètes en bas de cet article.
Présentation :
Les tous premiers mois qui suivent la Révolution d’Octobre 1917 sont traversés de débats, souvent au sein même du parti bolchevik, d’une importance considérable. Les communistes qui viennent de former un gouvernement de coalition avec les Socialistes-Révolutionnaires de Gauche se trouvent face à des choix décisifs, pour l’avenir de la révolution en Russie, et dans une large mesure pour son extension internationale. Aucun n’est plus crucial que celui concernant les conditions d’une paix séparée avec l’Allemagne, telles qu’elles ressortent du traité de Brest-Litovsk.
Le parti bolchevik lui-même est près de se déchirer : la Fraction des communistes de gauche (Boukharine, Ossinski, Smirnov, Radek... et bien d’autres !) qui s’oppose à la signature du traité est un court moment majoritaire au sein du parti. Mais à la différence des Socialistes-Révolutionnaires de Gauche qui s’engagent alors dans une opposition irréductible, les communistes de Gauche prennent acte de la situation créée par le traité et étendent la controverse aux mesures économiques et politiques préconisées par Lénine et la droite du Parti en vue de faire vivre le pouvoir des conseils, l’économie russe et la population dans l’attente du développement de la révolution internationale.
Sous couvert d’instaurer plus rapidement le socialisme et de consolider le « bastion » prolétarien, Lénine souhaite imposer une forte productivité du travail aux masses ouvrières et une direction personnelle dans les entreprises, l’industrie, l’armée et les services en faisant appel à des « spécialistes » qui ne peuvent être que les anciens maîtres de l’État tsariste, les anciens patrons ou les nouveaux parvenus. Prenant exemple sur l’organisation de la production en Allemagne, il vante les mérites du capitalisme d’État qu’il qualifie d’« antichambre du socialisme », inspiré également des capacités du « système Taylor » fondé sur le travail aux pièces et la compétitivité au sein du prolétariat.
Fidèles aux idéaux de la Révolution mondiale et de l’instauration du socialisme par les travailleurs eux-mêmes, les communistes de gauche mènent un combat théorique novateur et d’une extraordinaire qualité en vue de l’instauration d’une société en transition vers le socialisme, qui ferait confiance à la créativité de la classe ouvrière. Ils publient, en tant que Fraction, quatre numéros de la revue « Kommounist » d’avril à mai 1918. Ils argumentent et polémiquent publiquement avec Lénine puis la majorité du Parti Bolchevik (dont Trotski). Cet extraordinaire et riche débat prit malheureusement fin avec le début de la guerre civile en juillet 1918.
Or, si l’opposition des Communistes de Gauche est parfois mentionnée dans les divers ouvrages traitant des débuts de la révolution russe, c’est souvent au travers des critiques de ses adversaires, et au premier chef de Lénine. La parole leur est aujourd’hui rendue, avec ces quatre numéros de la revue « Kommunist » qui sont ici intégralement traduits pour la première fois du russe au français. Cette confrontation sur les mesures transitoires vers le socialisme, menée au feu de l’action, est d’une portée incalculable quant aux leçons à tirer pour le camp révolutionnaire. Elle peut nous aider à approfondir les critiques de la révolution russe, les raisons de ses échecs, la compréhension du « mensonge déconcertant » du « socialisme réel ». « Tout le pouvoir aux conseils ouvriers ! » - tel fut un des grands mots d’ordre de l’année 1917. Qu’en a-t-il été au lendemain de la révolution ? Quel regard critique portaient ces premiers oppositionnels sur leur propre action, sur les perspectives d’extension et d’approfondissement de la révolution ?
Le lecteur pourra enfin juger sur pièces. Le dossier qui accompagne ces textes, inédits pour la plupart, redonne quelques éléments de la polémique du débat sur la paix pour mieux situer les conditions de parution de la revue (deux articles de Lénine et un de Boukharine, extrait inédit lui aussi du premier numéro du journal quotidien « Kommunist » publié à Pétrograd le 5 mars 1918). Les contributions de Michel Roger et Guy Sabatier développent la discussion sur ces débats méconnus de la Russie soviétique. Une chronologie et des notices biographiques de tous les membres du comité éditorial de la revue complètent l’appareil critique.
Table des matières :
Avant-propos de l’éditeur
Remerciements
Préface : Lire « Kommunist » ? - Michel Roger
Kommunist n°1 - 20 avril 1918
Cinq mois après
Thèses sur la situation actuelle (1918)
La situation internationale
La construction du socialisme
Revue politique - Les héros de la trahison sociale
Notes économiques
Bibliographie
Kommunist n°2 - Avril 1918
Le 1er Mai
La politique extérieure de la République Soviétique
La construction du socialisme ( seconde partie )
L’anarchisme et le communisme scientifique
L’armée rouge
Réponses claires
À l’étranger : à propos de la monarchie bicéphale
Ce que j’ai vu
Le programme des réformes financières du commissaire du peuple Goukovski
Compte rendu : « L’économie mondiale et le capitalisme » de N. Boukharine
Kommunist n°3 - Mai 1918
À la veille
Un noble vieillard
La contre-révolution russe déguisée à l’ukrainienne
Certaines notions essentielles de l’économie moderne
Sur le chemin de l’organisation pour la construction socialiste de la vie économique
La famine prochaine
La réunion des communistes ukrainiens
Résolution sur la situation présente
La vie du parti
Melenki (gouvernement de Vladimir)
Le quartier de Gorodskoï (Moscou)
Le quartier de Basmannyï (Moscou)
La conférence des communistes en région
Le comité du PCR de la région de l’Oural (Iekaterinbourg)
Le quartier de Basmannyï (Moscou)
Bibliographie : « Les problèmes du socialisme », A. Bogdanov
Les revues hebdomadaires « Plamya » (La Flamme) n°1 et « Gryadouchtcheyé » (L’Avenir) n°2
Kommunist n°4 - Juin 1918
La lutte contre la contre-révolution
Le programme financier et le « capitalisme d’État »
À propos du pouvoir soviétique
Crise de la monarchie Austro-hongroise
Le clergé et la contre-révolution
Un congrès est nécessaire
Bilan de la conférence du parti de la Région industrielle centrale
Notes d’affaires
Chronique des évènements
L’assemblée du PCR de la ville d’Ivanovo-Voznessensk
L’assemblée du PCR de la région d’Ivanovo-Voznessensk
L’assemblée du PCR de la ville de Iaroslavl
L’assemblée de la région de Iaroslavl des 26-28 mai
L’assemblée des groupes lettons du parti de la région d’Oufa le 18 mai
L’assemblée du parti de la ville de Perm les 12-13 mai
Le quartier Basmanny (Moscou)
Le Comité Exécutif des Conseils de la région de l’Oural
Bibliographie
Nécrologie
Dossier
La fraction de gauche du parti bolchevik - Michel Roger
Débats méconnus dans la Russie soviétique - Guy Sabatier
Sur la phrase révolutionnaire - Lénine (Pravda, 21 février 1918)
Sur la phrase opportuniste - Boukharine (Kommunist de Pétrograd, 5 mars 1918)
Sur l’infantilisme « de gauche » - Lénine (Pravda, 9, 10 et 11 mai 1918)
Appendices
Principaux communistes de gauche en 1918
Signataires de la déclaration du 15 mars 1918
Repères biographiques
Organismes et institutions
Repères chronologiques
Références bibliographiques
Bibliographie complémentaire en langue russe
Index des noms et journaux cités
Ouverture de la souscription : 21 février 2011, clôture : 30 mars 2011
Date de parution prévue : 18 avril 2011
ISBN : 978-2-9528276-2-1
Format : 14 x 21 cm / 464 pages
Prix de vente en librairie : 20 €
Prix de la souscription : 15 €
Règlement par chèque à l’ordre de « SMOLNY » à poster à l’adresse suivante :
Collectif SMOLNY Bât. La Pastourelle / 47, route d’Espagne / 31100 TOULOUSE / FRANCE
http://www.emancipation.fr/spip.php?article1333Le mouvement ouvrier provençal à l’épreuve de la Grande Guerre
La guerre de 14-18 donne lieu à de nombreuses publications, expositions, commémorations, mais le mouvement ouvrier n’a certes pas été l’aspect le plus étudié ; l’ouvrage collectif coordonné par Gérard Leidet, édité par Syllepse et Promémo, approche l’histoire sous l’angle particulier de l’Union sacrée, du pacifisme et des luttes sociales.
Le CIRA, Centre International de Recherches sur l’Anarchisme, y a largement collaboré. Parmi les auteur-e-s, on peut citer Thierry Bertrand, Guillaume Davranche, Charles Jacquier, Françoise Morel-Fontanelli, Bernard Regaudiat et Jean-Louis Robert.
Le ralliement à l’Union sacrée
La première partie concerne l’ensemble du pays, la seconde et la troisième sont axées sur la Provence. Émaillé de notices biographiques sur les principales figures du mouvement ouvrier, abondamment illustré (dessins de presse, reproductions d’articles, affiches, couvertures de revue, graphiques, photos de monuments aux morts… ) le livre est une mine d’informations sur la période et une source de réflexions sur une période tragique et tumultueuse de l’histoire de France. Il éclaire les enjeux de l’époque, entre syndicalisme réformiste et révolutionnaire, entre repli nationaliste, patriotisme exacerbé et pacifisme internationaliste, militantisme qui promeut une lutte des classes sans frontières. Guillaume Davranche analyse le retournement de la situation, des déclarations et manifestations pacifistes, politiques et syndicales d’avant-guerre, à l’union sacrée prônée par la majorité socialiste et les leaders de la CGT, notamment Léon Jouhaux, applaudi par l’écrivain Maurice Barrès, député d’extrême-droite, après son discours sur la tombe de Jean Jaurès ! Frédéric Grossetti qui présente les militants socialistes marseillais, cite la rhétorique à l’œuvre : “Il est heureux de crier bien fort qu’après avoir fait l’impossible pour sauvegarder la paix en présence de l’agression brutale de l’impérialisme allemand, le devoir de tous les socialistes est de défendre la République française qui porte dans ses flancs la république sociale, contre l’odieux kaiser prussien. Vive la République universelle ! À bas l’Empire allemand”.
Les femmes dans les luttes sociales
Le bellicisme se fissurera cependant durant la guerre, mais restera majoritaire. Durant cette période, les ouvriers (français, étrangers, coloniaux ou prisonniers) et les ouvrières (25 ?% de femmes) vont être confronté-e-s à des baisses considérables de salaires et à des conditions de travail très pénibles pour participer à “l’effort de guerre”. Or, souligne Stéphane Sirot, ces années “ne sont pas un temps d’atonie des luttes sociales”, loin s’en faut. Après une relative accalmie, les grèves vont reprendre de plus belle en 1916 et 1917, et les femmes y tiennent un rôle très important. Les mouvements sont courts, souvent victorieux, et l’agitation sociale, très forte à Paris, gagne la province dans son ensemble et touche de nombreuses branches de l’industrie, malgré les risques très élevés de répression, de licenciement notamment, et pour les hommes français détachés à l’arrière, de retour au front. Les causes des mouvements sont diverses, salaires, horaires, solidarité… Un des mérites de l’ouvrage est l’accent mis sur les femmes dans le mouvement ouvrier ; si elles sont souvent frappées d’invisibilité, elles s’avèrent très présentes dans le livre, à commencer par la photo de couverture. Colette Drogoz leur consacre un chapitre intitulé “aperçus du mouvement ouvrier féminin des Bouches-du-Rhône pendant la Grande Guerre”, et la chronologie recense de nombreuses grèves où les femmes sont à l’œuvre, dès 1915, en Provence : allumettières de Marseille, ouvrières de la manufacture de tabacs, de la sècherie de morue à Port-de-Bouc ou du lavoir à laine de la cité phocéenne. Puis en 1916, suivent des grèves dans une usine de munitions, une cartonnerie, un commerce de grains, en 1917 chez les chapelières et les ouvrières à domicile. À noter toutefois que les femmes, notamment les “munitionnettes” seront renvoyées sans ménagement à leurs foyers après la guerre, tandis qu’émerge la “figure dominante du métallo […] l’industrie métallurgique devenant quantitativement la plus puissante” note Stéphane Sirot.
L’engagement pacifiste des instituteurs et institutrices
Deux chapitres, particulièrement intéressants pour notre histoire syndicale, traitent du combat contre la guerre des instituteurs et institutrices syndicalistes. L’un, signé par Loïc Le Bars, fait le point sur le plan national, l’autre, de Gérard Leidet, se consacre à la lutte pacifiste chez les Marseillais-e-s. À noter que si les femmes, malgré leurs luttes, n’occupent pas de fonctions dirigeantes dans l’ensemble du mouvement ouvrier, si elles ne prennent guère la parole dans les assemblées ou n’écrivent pas d’articles, elles sont au contraire bien visibles dans le milieu syndical enseignant ; plusieurs d’entre elles ont des responsabilités et tiennent une place éminente dansl’histoire de cette période, notamment Marie Guillot, Marie Mayoux et Hélène Brion. Je citerai d’emblée l’introduction de Loïc Le Bars : “Pierre Monatte a pu écrire de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs et d’institutrices (FNSI) qu’elle avait été, au sein de la CGT, la seule fédération « restée fidèle durant la guerre à l’internationalisme ouvrier”. L’École Émancipée , sa revue créée en 1910 à l’initiative d’Ismaël-François Audoye, fut vite censurée. Le 3 Octobre 1914, Marie Guillot écrivait : “Pourquoi nous égorger mutuellement, Français, Allemands, Russes, Autrichiens, masse de gens qui demandent seulement la paix et du travail […] La guerre n’est que la manifestation la plus formidable, la plus facile à constater aussi, de la barbarie moderne”. L’École Émancipée interdite, la corporation enseignante continua à résister en faisant paraître L’École , puis L’École de la Fédération , malgré les “ciseaux d’Anastasie”. Les censeurs trouvèrent toujours à redire, un mot en allemand ou un poème de Victor Hugo suffisant parfois à déclencher leurs foudres. Un des aspects les plus significatifs de l’engagement de ces éducateurs et éducatrices est exprimé dans ces quelques lignes de Marie et François Mayoux : “ce que nous n’avons jamais accepté, ce que nous n’accepterons jamais, ce que nous repoussons du pied avec répugnance méprisante, c’est cette prétention du gouvernement de la République à nous transformer en agents politiques de la plus basse espèce, en propagandistes « anti-boches » qu’on voudrait nous voir jouer, en missionnaires de la haine la plus aveugle, enfin – honte et infamie – en bourreurs de crânes à l’usage de nos propres élèves.” Le couple Mayoux assuma toujours une position qui lui valut non seulement la révocation, mais aussi la prison. Bien d’autres militantes et militants subirent perquisitions, arrestations, procès, détention, et perdirent leur poste, notamment Julia Bertrand, Hélène Brionet Lucie Colliard. L’École Émancipée , fut et demeura durant le conflit, un « lieu de ralliement de l’opposition ouvrière à la guerre.” En conclusion, Gérard Leidet cite Pierre Monatte : “votre École (la revue) est, si je ne me trompe, le seul organe syndicaliste-révolutionnaire qui ait su à la fois rester fidèle à son passé et paraître régulièrement durant ces mauvais jours”.
De nombreuses approches complémentaires
Il est impossible de rendre compte des multiples facettes d’un ouvrage qui évoque aussi la culture pendant la guerre (théâtre populaire, chansons…) et des domaines moins directement liés au mouvement ouvrier ; l’image d’un départ “la fleur au fusil” dans l’allégresse générale est mise en pièces, tout comme “la légende noire” des provençaux, injustement calomniés, qui auraient été responsables des premières défaites. Joffre et le gouvernement avaient ainsi cherché à masquer leurs erreurs et leur impréparation face à la supériorité allemande. L’affaire du 15e Corps a été traitée ailleurs, mais le témoignage d’Yves Humann et l’analyse de Jacquier sont remarquables ; Colette Drogoz est allée en quête des rares monuments pacifistes de la région provençale, ceux qui tranchent avec la gloriole patriotique, dénoncent la guerre, ses horreurs et honorent ses victimes. Ils sont photographiés et commentés.
Enfin, des notes de lectures et des repères bibliographiques complètent le livre. Charles Jacquier mentionne Les sentiers de la gloire d’Humphrey Cobb et le célèbre film de Stanley Kubrick (1957), qui dut attendre 1975 pour être exploité en France. Dans la bibliographie, sont présentés Chansons contre la guerre : des lendemains qui saignent(1914-1918 ) de Dominique Grange, Taedi, Vernay, ainsi que Maudite soit la guerre , de Didier Daeninckx et PEF, à l’usage des jeunes générations.
Cette histoire pourrait paraître lointaine, mais la lecture d’un tel ouvrage ne pourra pas manquer de susciter des parallèles avec notre début de siècle où les nationalismes se réveillent, où les murs se dressent à nouveau à l’intérieur même des frontières de l’Europe, où le Parlement français, presque unanime, s’empresse de voter l’état d’urgence après les attentats sur le sol parisien, Front de Gauche inclus.
Marie-Noëlle Hopital
Le mouvement ouvrier provençal à l’épreuve de la Grande Guerre entre Union sacrée, pacifisme et luttes sociales (1909-1919 ), coordination Gérard Leidet, éditions Syllepse, Paris, et Promemo, Aix-en-Provence, octobre 2015, 342 p., 20 €.
À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).
http://www.alternativelibertaire.org/?L ... russes-les« Tout le pouvoir aux soviets ! » Ce cri de ralliement, opportunément confisqué et galvaudé par les bolcheviks à partir de 1917, Alexandre Skirda nous démontre avec brio qu’il est inscrit au cœur des habitudes du peuple russe, trop souvent présenté comme servile et résigné.
Dans un ouvrage richement documenté et récemment réédité par les indispensables éditions Spartacus, l’auteur aussi érudit que discret des Anarchistes russes, les soviets et la révolution russe de 1917 retrace avec soin les racines des coutumes libertaires historiquement présentes chez les populations slaves. Que ce soit à travers les mirs ou les vetchés (sortes de communes et de regroupements agricoles), celles-ci sont les héritières d’une longue tradition d’organisation collective et démocratique.
Ce n’est donc pas un hasard si la Révolution russe de 1917 a démarré sous les meilleurs auspices avec la constitution de centaines et de milliers de comités d’usine, de soldats et de paysans, prenant en main l’organisation de la vie économique et sociale. Et ce n’est qu’au prix d’un terrible coup de force que les militants bolcheviks reprirent à leur compte la grande révolution soviétique et la pervertirent par la centralisation étatique et la folie autoritaire.
Bien avant Kronstadt, dès le printemps 1918, les anarchistes seront les premières victimes de la répression du nouveau pouvoir. Emprisonnés, déportés, éliminés, ils payeront chèrement leur combat pour l’autonomie des soviets et leur opposition à la dictature du « prolétariat » ou plutôt de ses pseudo-représentants.
À travers un remarquable travail d’historien, compilant sources inédites et traductions, le russisant Alexandre Skirda démontre irréfutablement l’affiliation directe entre léninisme et stalinisme.
Les crimes du second n’ayant été rendus possibles que par l’acharnement du premier à étouffer les instincts de liberté du peuple russe par la mise en place d’un appareil d’État impitoyable. Les gènes de la dégénérescence totalitaire étaient inscrits au plus profond de la conception autoritaire du pouvoir bolchevique.
Dans une seconde partie plus convenue, l’historien regroupe une série de quatorze textes datant de 1918 à 1927 dans lesquels ils donnent la parole à des libertaires ayant vécu de près ou de loin la Révolution russe. On y retrouve évidemment Alexandre Berkman, Emma Goldmann et Piotr Archinov, mais aussi des personnages moins connus tels que Anatole Gorélik ou Valesky. Mention spéciale pour les analyses de Rudolf Rocker et Efim Yartchouk sur les origines du système des soviets et leur rôle dans la révolution russe.
Alexandre Skirda clôt ce livre savant par une savoureuse lecture de l’anarchisme dans l’historiographie soviétique. On ne manquera pas de sourire – ou de bondir – devant les anathèmes, contre-vérités et qualificatifs dispensés par la propagande bolchevique.
Cet ouvrage, brillant quoique parfois un peu indigeste, a le grand mérite de nous rappeler les mérites des anarchistes pendant la révolution de 1917, mais aussi et surtout les raisons de leur échec. C’est à la lumière de cette expérience historique unique que les militants communistes libertaires d’aujourd’hui doivent forger leurs pratiques et leur capacité d’organisation afin d’ouvrir à nouveau l’horizon radieux de la révolution sociale.
Julien (AL Montpellier)
• Alexandre Skirda, Les Anarchistes russes, les Soviets et la Révolution de 1917, Spartacus, 2016, 348 pages, 19 euros.
L'auteur de ce Journal, sans doute « le seul à avoir été tenu en Russie durant ces années mémorables (1920-1922) », n'est ni un réactionnaire, ni un conservateur, ni un libéral, mais un révolutionnaire communiste anarchiste, un enthousiaste de la Révolution. Comme il l’écrit, Octobre 1917 a été pour lui le plus grand événement de sa vie, le moment inouï où toutes ses aspirations à l’émancipation humaine étaient soudain susceptibles de s’accomplir, d’être enfin satisfaites. D’où la question : comment, par quelles voies un enthousiaste de la révolution de 1917 a-t-il pu écrire un livre qui a pour titre : Le Mythe bolchevik, et pour visée une démystification informée et impitoyable de cet événement qui a constitué jusqu’en 1989 un des piliers de notre monde, de notre horizon historique ? C’est qu’en dépit de son enthousiasme pour Octobre, Alexandre Berkman n’accepta pas davantage une soumission sans réserve au bolchevisme. Il choisit le rôle de collaborateur et d’observateur critique qui, au fil des mois et des événements, se transforma peu à peu en une position plus en retrait, celle d’un guetteur averti, inquiet, soucieux de percevoir le ou les moments où l’événement révolutionnaire s’exposait à basculer soudain en son contraire, quand une forme d’opposition à la révolution naît de l’intérieur de la Révolution (Karl Korsch).
Historiquement, la particularité du bolchevisme est d’être contemporain de la forme institutionnelle inédite qui le nie, à savoir les Soviets contre l’État qui prétend à tort s’identifier à la Révolution. Le journal de Berkman fait apparaître le sans-précédent du bolchevisme : comment la contrerévolution s’exerce contre une inventivité révolutionnaire nouvelle, les conseils d’ouvriers et de paysans, et à Cronstadt, en 1921, le Comité révolutionnaire de marins et de soldats, écrasé au moment même où l’on célébrait l’anniversaire de la Commune de Paris.
Voilà pourquoi le livre que vous tenez entre les mains est exceptionnel. Il porte, au-delà d’Octobre, une autre vision de l’histoire du vingtième siècle et, du même coup, une autre appréhension du présent.
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