Chroniques et présentations livres

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 14 Jan 2016, 18:12

« Coopératives contre capitalisme »

Anatomie d’un projet par Benoît Borrits

Image

Le titre « Coopératives contre capitalisme » indique de la part de l’auteur l’intention de ne rester ni aux mouvements coopératifs comme solutions ponctuelles et locales, répondant la plupart du temps au défaut de capitalistes, ni à la seule addition de ces mouvements comme solution globale. Le titre annonce le prisme par lequel Benoît Borrits analyse minutieusement ce qui est déjà à l’œuvre dans la société.

Si l’auteur fait la démonstration du caractère actuel de la nécessité de s’engager vers une appropriation collective des grands moyens de production, à l’aide d’exemples positifs, je retiendrai personnellement, un exemple qui en illustre tant d’autres, où au contraire, la question a fait défaut. J’ai en mémoire les deux types de réactions quand Mittal a décidé de larguer les amarres d’Arcelor: celle des salariés, précisant que Mittal n’avait jamais mis le nez dans le concret de la production d’acier – qu’ils s’étaient débrouillés tout seuls (cela c’est moi qui l’ajoute), et ils en tiraient la conclusion …qu’il fallait un repreneur et n’envisageaient pas de s’y substituer collectivement. Dans la même période, Montebourg, alors ministre, répondait à un journaliste, « qu’en matière de nationalisation, l’Etat n’était pas un bon gestionnaire »… « Mais qui parle d’Etat ? » aurait rétorqué Benoît Borrits. Et d’aborder la différence entre nationalisation, version étatique, telle que le XXème siècle nous l’a légué, forme soviétique ou française, et appropriation sociale.

Il montre la différence de logique entre une entreprise pilotée par la logique des actionnaires ou par celle pilotée par ceux qui ne sont alors plus tout à fait des salariés. Mais est-ce que l’addition des entreprises mises en coopérative suffit à faire de l’appropriation sociale ? C’est dit-il le « verre de vin à moitié plein ». Comment empêcher que chacune d’elle ne se fasse récupérer par des logiques qui lui sont contraires et comment peuvent-elles « coopérer entre elles au point de régler la production selon un plan commun ? » «La meilleure réponse est la généralisation des reprises d’entreprises en coopérative de travail».

L’analyse de conditions de production montre que le compromis de classes qui avait longtemps prévalu, est devenu impossible. Cela souligne la nécessité d’orienter les luttes vers autre chose et conduit l’auteur vers la recherche de « transition ». Le point névralgique en est le concept de cotisation. La nécessité réside dans le fait qu’il existe des services et des politiques publiques qui ont besoin d’être financés. La possibilité réside dans une mutualisation des plus-values, qui permet cohérence et péréquation. C’est partiellement déjà le cas : sur quelle valeur ajoutée marchande finance-t-on l’Education nationale ? Pour électrifier les campagnes et les zones de montagnes, EDF a fourni du travail à perte, au sens marchand du terme (ces exemples sont de moi). Evidemment, pour une telle politique et une augmentation des salaires, il ne faut pas compter sur l’abnégation des actionnaires et mieux vaut se fier aux salariés (et aux usagers ajoute le dernier chapitre) ce qui suppose droits et pouvoir sur l’entreprise. Ce principe de la cotisation ne se limite pas aux salaires et au « social » mais participe aux investissements. On en trouve déjà des ébauches dans des projets syndicaux ou d’associations, précise l’auteur. Un tel fonds, en dépassant l’horizon de la revendication salariale « préfigure une appropriation collective des moyens de production ». Vient alors une étude précise des rapports entre salaires, garanties sociales, cotisations à partir des profits des entreprises et de la péréquation rendue possible.

Le travail de Benoit Borrits ne se situe pas dans l’abstrait : à partir des expériences dont il prône la généralisation, il interroge directement les impasses actuelles de « la gauche de gauche » et du syndicalisme. Il met sur le métier des questions qui pourraient faire sauter des verrous de la situation actuelle, pourvu que l’on s’y affronte.

Le livre se termine sur un appel à une suite : la coopérative ne peut se suffire à elle-même et il s’agit de produire du commun. Quid alors d’un dépassement de la dissociation travail/activités dites hors travail, de l’émancipation et autoproduction de pouvoir et du dépassement progressif de l’Etat ? Dans un second tome ?

http://www.autogestion.asso.fr/?p=5689
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 18 Jan 2016, 17:18

Lire : « Lutter au Sahara : du colonialisme vers l’indépendance »

Il y a plus de quarante ans, la monarchie marocaine lançait la Marche verte pour annexer le Sahara Occidental, malgré la résistance des indépendantistes sahraouis. Quinze auteurs se sont associés pour faire connaître au monde la lutte du dernier pays colonisé en Afrique.

Lutter au Sahara. Du colonialisme vers l’indépendance au Sahara Occidental est un livre qui dérange. Quinze auteurs portent un regard sur un territoire colonisé par le Maroc avec l’assentiment de l’État français.

« Il est grand temps pour la communauté internationale d’agir pour mettre un terme à l’occupation marocaine criminelle du Sahara Occidental, écrit Noam Chomsky dans la préface, afin que les Sahraouis puissent jouir des droits à l’autodétermination et à la liberté pour lesquels ils ont courageusement lutté durant de nombreuses années, au sein de terribles conflits. »

... http://www.alternativelibertaire.org/?L ... -Sahara-du
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 22 Jan 2016, 13:21

Pirates de la liberté

Histoire détonante d’un détournement de paquebot et de la lutte armée contre Franco et Salazar (1960-1964)

Image

Le 21 janvier 1961, des révolutionnaires espagnols et portugais exilés en Amérique latine détournent en haute mer un navire transatlantique portugais, le Santa Maria, avec un millier de passagers à bord. S’ensuivent douze jours de poursuites et de négociations diplomatiques intenses qui font la une des médias et tiennent le monde entier en haleine. Ces hommes du Directoire révolutionnaire ibérique de libération (DRIL) agissent pour relancer la lutte armée contre Franco et Salazar, rappeler l’existence des deux dernières dictatures d’Europe et accoster dans leurs colonies africaines afin d’y créer un foyer de guérilla pour l’indépendance. Ce récit captivant rend hommage à ces militants et révèle une part méconnue de l’histoire des luttes contre les fascismes ibériques, tout en les replaçant dans le contexte politique international de l’époque (révolution cubaine, indépendances africaines, intégration de l’Espagne au bloc occidental...). A partir de cette prise d’otages spectaculaire, ce livre nous plonge dans l’Espagne franquiste des années 1960, explore ses mécanismes de répression et de propagande, son évolution interne, son alliance avec la dictature de Salazar ou encore la collaboration des démocraties occidentales. Enfin, il décrit avec minutie la réactivation des résistances anarchistes et de l’action directe contre le régime de Franco autour de ce coup d’éclat du DRIL.

Auteur : Xavier Montanya
Éditeur : L’échappée
Sélection du mois : janvier 2016
Thèmes : mouvements révolutionnaires (XXe siècle)
2016 | 288 p. | 20.00

http://www.librairie-quilombo.org/Pirates-de-la-liberte
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 23 Jan 2016, 04:20

Démocratiser les relations éducatives

Frédéric Jésu et Jean Le Gal,
Démocratiser les relations éducatives. La participation des enfants et des parents aux décisions familiales et collectives,
Chronique sociale, novembre 2015.
À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).

Démocratiser les relations éducatives

Instituteur en classe Freinet pendant une trentaine d’année, puis formateur à l’IUFM de Nantes, Jean Le Gal milite pour les droits de l’enfant et pour une éducation à la citoyenneté par la participation active et responsable des élèves. Il a publié notamment Les droits de l’enfant à l’école, aux éditions De Boeck et Belin, en 2002, et Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, aux Éditions Libertaires et ICEM pédagogie Freinet, en 2007. Avec Frédéric Jésu, médecin psychiatre exerçant en service public, il propose dans ce dernier livre une réflexion élargie bien au delà de l’école, englobant la famille et l’ensemble des institutions où se prennent des décisions concernant les enfants.

Dès le début du XXe siècle, des éducateurs de l’École nouvelle et de l’École socialiste ont créé des communautés dans lesquelles les enfants pouvaient exercer des droits et des libertés, donner leur avis sur l’organisation de la vie sociale, sur les activités et sur les apprentissages et participer aux décisions avec les adultes.

L’appel “Aux éducateurs d’avant-garde”

Pour Freinet et le Mouvement International de l’École Moderne, l’école, la famille et le milieu social doivent permettre aux enfants d’acquérir les savoirs qui les rendront plus libres, plus autonomes, plus conscients des luttes à mener pour changer la société et promouvoir les valeurs de paix, de solidarité, de coopération, de respect des personnes et de leurs droits.

C’est pourquoi, au moment du Front populaire, en France, Freinet a lancé un appel “Aux éducateurs d’avant-garde” (L’Éducateur prolétarien, 10 mai 1935)

“Mettez… vos actes de tous les jours en harmonie avec vos idées : apprenez à vos enfants dans votre famille, à vos élèves en classe, à se gouverner eux-mêmes, à prendre des responsabilités et à s’émanciper ; entraînez-les à s’exprimer totalement, à parler et à écrire, à critiquer et à voir juste ; donnez-leur la joie du travail désiré et voulu.”

Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par les Nations Unies le 20 novembre 1989, lui reconnaît les droits de libertés d’expression et de participation démocratique, cet appel reste, hélas, d’actualité.

Pour le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, il faudrait à l’école, “assurer la participation régulière des enfants aux processus de décision au moyen, notamment, des conseils de classe, des conseils d’élèves et de la présence de représentants des élèves dans les conseils et comités scolaires, où ils peuvent exprimer librement leurs vues sur l’élaboration et la mise en œuvre des politiques scolaires et des codes de conduite. Ce droit devrait être inscrit dans la législation et son application ne devrait pas dépendre du bon vouloir des autorités, des écoles et des directeurs”.

Une autre approche de la parentalité

Une famille “où les enfants peuvent librement exprimer leurs opinions et être pris au sérieux dès le plus jeune âge constitue un modèle important, et prépare l’enfant à exercer le droit d’être entendu dans la société au sens large. Une telle approche de la parentalité favorise l’épanouissement personnel, renforce les relations familiales, facilite la socialisation des enfants et joue un rôle préventif contre toutes les formes de violence à la maison et dans la famille”.

Frédéric Jésu et Jean Le Gal, engagés dans la promotion des droits de l’enfant par leurs recherches et leurs actions, ont bien la conviction que la participation des enfants à la vie familiale et sociale, est essentielle pour les préparer à être les acteurs engagés et responsables d’une société libre.

Ils nous proposent un ouvrage centré sur la démocratisation des relations éducatives au sein des familles (parents et enfants), dans les institutions à vocation éducative mais aussi dans les différentes circonstances où se discutent et se prennent des décisions publiques qui concernent l’éducation, familiale et extrafamiliale, des enfants

Jean Le Gal

http://www.emancipation.fr/spip.php?article1252
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Pïérô » 29 Jan 2016, 10:56

"Féministes
du monde arabe.
Enquête sur une génération
qui change le monde"
par Charlotte Bienaimé

Image

Présentation de l'éditeur : « Ce livre porte la voix de jeunes femmes du monde arabe. Prenant la parole de Tunisie, du Maroc, d’Algérie et d’Égypte, des villes et des campagnes, elles confient leurs luttes pour le droit à la liberté sexuelle, à l’indépendance, au respect, à l’égalité juridique, économique et sociale. Étudiantes, ouvrières, architectes, journalistes, poétesses, agricultrices, etc., elles confient leurs révolutions intimes, sans tabous, avec une énergie époustouflante. Résistantes au quotidien plutôt que leaders de grands mouvements, elles s’engagent, parfois seules, via les réseaux sociaux et les blogs. Facebook et Twitter sont leurs alliés, outils incontrôlables par le patriarcat. Toutes prônent le droit à de nouveaux féminismes, dont certains varient des codes occidentaux. Toutes se battent pour l’égalité des sexes, indispensable à l’instauration de réelles démocraties. Un livre plein d’espoir, d’énergie, et qui nous concerne tous. »
Editions Les Arènes, 304 pages, 18 euros.

> La page Facebook du livre : https://fr-fr.facebook.com/pages/Nasawi ... 1606832055
> Réécouter les reportages de France Culture à l'origine du livre : http://www.franceculture.fr/emissions/nasawiyat-ete-14

http://utoplib.blogspot.fr/2016/01/vien ... re_96.html
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22439
Enregistré le: 12 Juil 2008, 22:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 11 Fév 2016, 18:52

Notre-Dame-des-Landes, la fabrication d'un mensonge d'état - Françoise Verchère

Image

A paraître le 16 février, le livre de Françoise Verchère sur Notre-Dames-des-Landes :

" Toutes les procédures du débat public ont été respectées. La démocratie a parlé. Les opposants doivent l’admettre car nous sommes dans un État de droit".

D’un projet de LGV au transfert d’un aéroport, de Sivens à Roybon, cette phrase, à quelques variantes près, est répétée à l’envi de l’échelon local au plus haut niveau de l’État. Et l’opinion publique pourrait être tentée d’y croire. Pourtant, la réalité est bien différente : l’analyse fine des procédures et des pratiques montre au contraire que la parole donnée au public est de pure forme et qu’au fond le pouvoir ne se partage pas. Lorsque des citoyens réfléchissent, s’interrogent, analysent un dossier et proposent des alternatives, la machine bien huilée et politiquement correcte de la démocratie participative se grippe. Le mensonge et les petits arrangements deviennent alors nécessaires puisqu’il ne saurait être question pour les décideurs de renoncer…Au travers du cas emblématique de Notre-Dame-des-Landes, Françoise Verchère interroge la question fondamentale des modalités de la décision publique ; et pose la question de la responsabilité des élus et de la place des citoyens dans une démocratie qui se prétend moderne.

Françoise Verchère a été maire de Bouguenais, la commune d’implantation de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique pendant 14 ans, et conseillère générale de Loire-Atlantique jusqu’en avril 2015. Elle copréside le CéDpa, collectif d’élu-e-s opposés au projet de Notre-Dame-des Landes. Elle a longtemps enseigné les Lettres Classiques du collège à la classe préparatoire. Elle est l’auteur d’un abécédaire sur la vie quotidienne d’un maire publié en 2008 ("Dictio-maire, petit traité à l’usage des citoyens curieux"). Elle est au centre du film documentaire de Luc Decaster "Etat d’élue" (2010).

Bientôt disponible dans notre boutique en ligne et sur commande en librairie.


http://timbuctueditions.fr/index.php?po ... ch%C3%A8re
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Amérindiens, des pré-anarchistes?

Messagede Exil_Social » 15 Fév 2016, 19:58

Je viens de lire un article sur les communautés autochtones, je savais pas trop ou le mettre alors je le mets ici, sur ce, bonne lecture ;)

http://m.huffpost.com/qc/entry/9178144
"Hé cerveau, est ce que Maintenant s'arrête?
-Heu... Je cherche attends... Je... Non je sais pas...
-Si Maintenant ne s'arrête pas, quand commence le Futur?
-Je ne sais pas.
-Alors Carpe Diem!"
Exil_Social
 
Messages: 11
Enregistré le: 31 Jan 2016, 16:50

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 25 Fév 2016, 16:09

Lire : Abondance contre autosuffisance

Abondance contre autosuffisance

Dans Les Illusions renouvelables, José Ardillo analyse l’utilisation de l’énergie par le capitalisme pour imposer sa domination. Avec d’abondantes sources bibliographiques et un style sans concession, il invite à réfléchir sur les questions d’abondance matérielle, de technologie, de changement climatique, de réappropriation des moyens de production.

L’abondance énergétique est à la fois un but et une condition de la domination capitaliste. C’est un but de sa domination impérialiste, comme le rappelle l’analyse fouillée d’Ardillo sur « l’ère du pétrole », avec ses guerres, coups d’état, accords commerciaux et corruption pour assurer l’approvisionnement de l’Occident en or noir. Et c’est une condition de sa domination sociale et économique, pour faire tourner l’industrie, l’agriculture intensive, la technologie et les services qui écrasent les peuples et la planète sur fond d’idéologie progressiste et de culture matérielle.

Maintenir cette abondance énergétique est donc un souci constant pour les classes dominantes, au risque de voir s’effondrer tout qui assure leur pouvoir. Ce qui les encourage à imaginer des solutions délirantes, comme le nucléaire et son vieux rêve d’énergie illimitée, et à s’approprier les revendications écologistes, notamment sur les énergies renouvelables, pour les servir à leur sauce industrielle et renforcer ainsi l’ordre établi. Pour Ardillo, l’énergie est donc centrale dans les questions d’économie, de politique et d’émancipation, ce qui l’amène aussi à interroger les positions des mouvements révolutionnaires et écologistes.

Quelle énergie pour la révolution ?

Pour l’auteur, l’analyse de nombreux romans, essais théoriques, propositions politiques montre que la grande majorité des révolutionnaires (marxistes, soviétiques, anarchistes) sont restés, et restent encore, prisonniers de l’idéologie progressiste du capitalisme et de ce rêve d’abondance matérielle. La technologie et l’industrie sont généralement considérées comme des facteurs d’émancipation, une fois leur propriété socialisée.

La production matérielle permettrait d’assurer l’égalité et la liberté des individus. Mais pour Ardillo, la réflexion menée sur l’énergie nécessaire pour alimenter la société « idéale » a été insuffisante. L’électricité paraissait pouvoir résoudre tous nos problèmes, mais les questions liées à sa production, distribution, stockage, etc., sont restées en dehors des débats, laissant les projets de société assez boiteux. Et de plus en plus, nous voyons que l’abondance est incompatible avec le respect des équilibres écologiques. D’où la question qui devrait aujourd’hui être la base de nos préoccupations :

« Comment ne plus faire dépendre la liberté collective de facteurs matériels ? ».

De l’autre côté, Ardillo regrette que l’écologie « politique » ait été remplacée par l’environnementalisme, qui se concentre sur la gestion des nuisances et pollutions, sans réfléchir aux enjeux de pouvoir et domination, et alimente au final le capitalisme. Par exemple sur le changement climatique, les appels pour l’action des gouvernements de la part des grosses associations et ONG servent de prétexte au capitalisme vert pour déployer les énergies renouvelables dans une logique industrielle et financière, tout en maintenant son système de domination en place.

Ardillo condamne donc la naïveté de certains écologistes, qui ont cru ou croient encore, que le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables entraînerait forcément une décentralisation et redistribution du pouvoir, vues les caractéristiques des renouvelables (plus locales, moins de transformation nécessaire, plus petite échelle, etc.). Comme si le capitalisme accepterait de disparaître juste parce que les conditions évoluent.

Pour l’auteur, il est donc urgent de s’attaquer à la question énergétique dans sa globalité économique, politique, écologique. Et de remettre en cause cette culture d’abondance dans laquelle nous sommes enfermés, et qui génère forcément une concentration du pouvoir. Car pour produire et distribuer toute cette énergie dont nous avons besoin, on ne peut se passer d’un ensemble de scientifiques, d’« experts », de bureaucrates, de militaires qui assurent le bon fonctionnement d’un système si complexe.

Croire que nous pourrions conserver le confort occidental de la société de services, tout en supprimant l’appareil de gestion et de domination qui la fait tenir, est illusoire.

On regrette à la lecture du livre l’accent mis sur la critique, qui laisse de côté de nombreuses idées intéressantes et donne au livre une certaine lourdeur pessimiste. Une touche d’optimisme aurait pu être apportée en relevant par exemple les apports de libertaires comme Kropotkine ou Bookchin aux idées écologistes, et non pas seulement les limites de leurs réflexions sur l’énergie. Mais, globalement, Les Illusions renouvelables offrent des analyses indispensables pour comprendre comment les enjeux énergétiques façonnent notre monde et devraient être mieux pris en compte dans nos idéaux révolutionnaires.

Jocelyn (AL Gard)

José Ardillo, Les Illusions renouvelables – Énergie et pouvoir : une histoire, L’Échappée, 2015, 304 pages, 16 euros http://www.lechappee.org/les-illusions-renouvelables.

http://www.alternativelibertaire.org/?L ... nce-contre


Rencontre avec José Ardillo « Il faut recréer les conditions de l’autonomie »

Écrivain libertaire espagnol résidant actuellement dans les Cévennes, José Ardillo a publié plusieurs romans et essais, et de nombreux articles. Après la lecture des Illusions renouvelables, d’approche plutôt critique, nous avons eu envie de le rencontrer pour ouvrir un peu plus le débat

... http://www.alternativelibertaire.org/?R ... Ardillo-Il
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 27 Fév 2016, 12:43

Lire : Né sous les coups

Image

Né sous les coups

Banlieue de Newcastle, au nord-est de l’Angleterre, en 1984. Sur une terre – leur terre – où s’érigent monstres d’acier, cheminées industrielles crachotantes et entassements moroses de pavillons ouvriers, les mineurs en grève s’organisent, se préparent, s’encouragent.

Galvanisés, ils attendent avec fébrilité l’affrontement avec les forces de l’ordre qui protègent les cars de « jaunes » venus à la rescousse des profits du patronat.

Margaret Thatcher, à la tête du gouvernement depuis cinq ans, a décidé de passer à la vitesse supérieure dans son offensive conservatrice et libérale contre les travailleurs. Et quel meilleur symbole que de s’attaquer au fleuron de la classe ouvrière, à son bastion le plus combatif ?

Ainsi le National Coal Board vient de décider la fermeture de plusieurs mines pourtant rentables. Malgré leur mobilisation et le formidable et émouvant élan de solidarité autour des mineurs, que restitue avec brio l’auteur, le gouvernement ne cède pas. Le mouvement faiblit, est cassé sous les coups d’une brutale répression policière, épaulée par la complaisance des médias qui accablent les grévistes. Les portes des mines ferment définitivement, laissant au fond du trou des milliers de travailleurs et leurs familles.

C’est sur cette rupture, sur cette séquence historique que Martin Waytes fonde son roman, aussi noir, âpre et rugueux qu’un morceau de charbon brut. Par un mouvement de balancier narratif entre cette période tristement fondatrice et le début des années 2000, l’auteur nous donne à voir les conséquences sociales, humaines, et même urbaines, qu’ont entraînées l’ouragan libéral thatchérien et les trahisons électorales successives.

Relégation et dégradation de quartiers entiers, explosion des problèmes sanitaires et sociaux, chômage, alcoolisme, toxicomanie, terreau propice au développement du trafic de drogue et des violences. Et dans ce sombre glissement, cette douloureuse chute sans possibilité de prise, chacun fantasme sa propre responsabilité, prend sa part de misère et cherche une échappatoire. Mais la voie est sans issue, la rédemption impossible.

Dans un style percutant et vif, sans fioritures, Né sous les coups dresse de manière saisissante le visage de toute une ville, de toute une classe en perdition, scarifiée par les ravages du capitalisme. Personne n’en sort indemne. Pas même le lecteur. Mais plus motivé que jamais à s’opposer à un système mortifère.

Julien (AL Strasbourg)

Martyn Waites, Né sous les coups, Rivages, 2015, 477 pages, 22 euros.

http://www.alternativelibertaire.org/?L ... -les-coups
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 05 Mar 2016, 14:50

Les origines de l’humanité

Deux livres, réédités aux éditions Flammarion en 2009, nous éclairent scientifiquement sur l’évolution de la vie et celle de l’homme, et ne laissent pas une chance à Dieu.


Les athées ont toujours beaucoup de mal à défendre leurs convictions quand il s’agit de l’évolution de la vie ou de l’homme. Car les religieux et les agnostiques placent pour les uns la main d’un dieu, pour les autres au minimum le doute dans les zones d’ombre que la science s’attache pourtant à expliquer.

Une théorie scientifique encore méconnue

L’auteur des deux livres, Josef Reichholf nous délivre des théories de l’évolution qui éclairent toutes ces zones d’ombre.

Chercheur, et méconnu des grands médias, il nous démontre pas et à pas et minutieusement, que tout est explicable dans ces deux évolutions l’une vers la vie, l’autre vers l’hominisation. Josef Reichholf a édité les deux livres dont il est question pour la première fois dans les années 1990. On peut d’ailleurs se demander très légitimement, vu l’importance de la chose, pourquoi ces théories sont méconnues de la sorte. Développées dans les deux livres, L’émancipation de la vie et L’émergence de l’homme (édition Champs sciences), elles s’appuient sur toutes les connaissances scientifiques d’aujourd’hui, jusqu’aux plus pointues (chimie, biologie, physique, géologie, anthropologie, astronomie,…), pour expliquer toutes les transitions complexes des évolutions dont il est question.

Faire reculer le poids des religions

Dans le contexte d’exacerbation religieuse, éclairer ces zones d’ombre est indispensable pour contrer la peur et l’incompréhension si adroitement instrumentalisées par tous les pouvoirs d’avant et d’aujourd’hui. Remplir les vides d’explications avec une volonté divine, pour les religieux, ou une possible éventualité d’une volonté divine pour les agnostiques, alimente religions et mysticismes. Josef Reichholf a élaboré des hypothèses tout à fait plausibles et peut tout expliquer : le passage du stade minéral au stade vivant en tenant compte entre autres des caractéristiques, aujourd’hui reconstituées, de notre planète à tel moment d’une ère géologique, mais aussi de l’évolution de celle-ci, et surtout du temps incroyablement long qui permet de rendre plausibles des transformations planétaires totales seules à même d’expliquer l’évolution de choses aussi complexes que la vie et l’évolution des espèces. Non content de questionner et relativiser le darwinisme, il parvient à développer de façon magistrale ses hypothèses d’évolution basées sur la symbiose des microorganismes, qui seraient la base de la construction des êtres vivants les plus complexes jusqu’à l’homme.

S’adapter à la planète et non la détruire

Comprendre relativise la place de l’homme dans la nature, et permet de comprendre que la détruire c’est se détruire.

On apprend que le phénomène d’hominisation, bien que tout récent par rapport à l’âge de notre planète, a déjà été victime dans l’histoire de l’humanité, de sa propre interaction avec la nature. D’abord, Reichholf nous explique pourquoi l’homme vient d’Afrique, pourquoi il a migré. On découvre dans son livre qu’il y a eu plusieurs vagues de migrations de diverses espèces humaines. Et donc qu’il y a eu plusieurs espèces d’hommes dignes de ce nom. Et certaines ont été peut-être, la cause de leur propre extinction. Ce qui, entre parenthèse, ne peut que nous alerter sur une extinction actuelle possible de l’homme. Problématique donc on ne peut plus actuelle avec le réchauffement inéluctable de la planète. D’où un intérêt renouvelé pour le travail de Josef Reichholf.

Développer la connaissance

Enfin, présenter ces deux ouvrages de vulgarisation scientifique, me semble important aujourd’hui pour tous ceux et celles qui se battent pour défendre un enseignement public de qualité et exigeant pour tous et toutes. Notre environnement se complexifie, à mesure que l’homme s’émancipe des contraintes matérielles liées à la nature dans laquelle il vit. Et pour comprendre notre évolution et celle de la vie, construire cette émancipation, et surtout ne pas “suicider” l’espèce humaine que nous sommes, nous avons besoin de plus de sciences, de plus de connaissances. Celles-ci deviennent de plus en plus pointues et requièrent plus de recherche, plus de désintéressement, donc plus de chose publique donc plus d’État. Or l’évolution de l’enseignement public au travers des lois Peillon, Fioraso etc., qui poursuivent le but d’imposer l’acquisition des compétences réductrices, au lieu des connaissances, va à l’opposé de ce qu’il est indispensable de faire. Pour sauver l’homme, il faut comprendre qu’il est indispensable de sauver la nature. Et pour cela les générations à venir et leurs services publics d’enseignement ont pour tâche d’amener tous les élèves au plus loin de leurs capacités cognitives. Il est donc fondamental de développer le disciplinaire au lieu de le diminuer, comme cela se passe actuellement avec toutes les mesures de “moins de tout” de la loi de Refondation qui s’abat sur nos écoles et établissements d’aujourd’hui.

Marie Contaux

L’émancipation de la vie , Josef H. Reichholf, Flammarion, collection champs Sciences, réédition 2009, 322 p., 8,20 €e.

L’émergence de l’homme , H. Reichholf, Flammarion, collection champs Sciences, réédition 2009, 356 p., 8,20 €e.€

http://www.emancipation.fr/spip.php?article1267
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 15 Mar 2016, 12:45

Trop classe !, Enseigner dans le 9-3
Véronique Decker
Editions Libertalia, collection n’autre école, 2016, 128 pages, 10 euros

Trop classe ! est un superbe petit livre d’une instit puis directrice d’écoles Freinet en Seine-Saint-Denis. Un livre de souvenir d’une jeune retraitée qui nous narre ses trente années de carrière dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les "quartiers". Elle a pris son pied durant tout ce temps et nous rappelle que « le plaisir d’enseigner crée le plaisir d’apprendre » (p.50)... elle a tout fait pour cela.
Faire apprendre aux gosses de banlieue, les renois, les blancs, les beurs, les rroms et les autres. Leur "apprendre" dans la coopération et la solidarité pour qu’ils s’émancipent. Un livre fait de beaux portraits d’enfants, les faciles et les difficiles, les tendres et les durs à cuire. Tous avaient pour Véronique, le même intérêt, et elle fit tout pour qu’ils "s’enseignent" malgré les difficultés économiques, familiales, la violence quelquefois, malgré la misère, le bidonville… Elle fit tout pour qu’ils grandissent dans et par l’école, mais aussi en classe transplantée, pour qu’ils voient d’autres choses que le béton des cités. De beaux souvenirs de rentrées, même si elles ne furent pas toujours faciles dans ces banlieues déglinguées, une belle coopération en équipe Freinet qui refuse le pouvoir et la hiérarchie.

Bref, un petit livre plein d’oxygène pédagogique à respirer de toute urgence, et qui nous rappelle quelques règles essentielles comme « enseigner, ce n’est pas une succession de gestes techniques, c’est un acte politique fort, qui dit à chaque enfant qu’il a le droit d’accéder aux savoirs et à en tirer un pouvoir sur le monde » (p.50) ; ou encore « la pédagogie Freinet [ou libertaire] n’est pas une "méthode". Ce sont d’abord des principes, et ensuite des techniques pour mettre en œuvre ces principes » (p.115).

Quelques désillusions toutefois en fin de parcours : une banlieue laissée à l’abandon et stigmatisée par les politiques, des conditions de travail dégradées, un syndicalisme qui, après avoir été unitaire et puissant, est aujourd’hui défaillant. Mais en souvenir, malgré tout, de grandes joies et de grands moments de bonheur professionnel. Véronique nous donne là une belle leçon de vie au travail. Elle qui n’a jamais renoncé à partager le savoir nous engage, malgré les difficultés, à ne rien lâcher, car pour elle, éducation rime toujours avec émancipation.

Hugues Lenoir

http://monde-libertaire.fr/?article=Trop_classe_!
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 17 Mar 2016, 09:50

Autour de la Commune de Marseille (1870-1871)

Image

Autour de la Commune de Marseille (1870-1871)

L’ouvrage sur les “aspects du mouvement communaliste dans le Midi”, publié sous la direction de Gérard Leidet et Colette Drogoz aux éditions Syllepse et Promemo, est passionnant à plus d’un titre, d’abord parce qu’il souligne la dimension provinciale du mouvement, trop souvent occultée au profit des évènements parisiens ; il y est question des communes de Marseille et de Lyon, mais aussi de Narbonne ou de Toulouse.

Sont aussi évoquées les réactions d’autres villes, de Bordeaux à Aix-en-Provence et à Toulon. Il s’agit de “tirer de l’oubli ce moment fort de la République sociale”, souligne Gérard Leidet, d’en finir avec l’amnésie ou l’occultation de l’insurrection “en région”, comme on dirait aujourd’hui.

Un mouvement communaliste très varié

Ensuite, le nombre et la diversité des contributions donnent une idée de l’ampleur du mouvement ouvrier et de la complexité politique de cette période de l’histoire et de ses prolongements. Quinze auteure-s, historien-ne-s, journalistes, militant-e-s syndicalistes et écrivain-ne-s, dont Jean-Claude Izzo et Robert Mencherini, président de Promemo, ont participé à ce livre, où alternent description des faits, résultats d’enquêtes minutieuses dans les archives, réflexions et analyses, notamment sur les rapports entre la République et le mouvement ouvrier ; la lutte contre la monarchie ou le clergé, dénominateur commun entre radicaux, socialistes et anarchistes, ne saurait masquer les divergences profondes entre “modérés” et révolutionnaires, centralisation jacobine et fédéralisme des “villes libres”, république bourgeoise (et sanguinaire !) de Thiers et république communaliste portée par une base ouvrière largement évoquée ici. Roger Vignaud recense une grande diversité de métiers chez les communards, par exemple dans le domaine du bois : canniers, charpentiers, charretiers, doreurs, ébénistes, fabricants de chaises, marchands de meubles, menuisiers, tanneurs, marchands d’antiquité, scieurs de long, sculpteurs, tonneliers, tourneurs de chaises, vernisseurs. Jean-Louis Robert note la dimension internationale des “révolutionnaires migrants du XIXe siècle qui fabriquent du lien entre Paris et la province, entre la France et les États-Unis et qui dépassent les particularismes”. La presse régionale a été étudiée par Colette Drogoz, et les formes d’expression les plus variées n’ont pas été oubliées, à commencer par les récits, chansons et poèmes en langue occitane, “langue exclusive des ouvriers” à l’époque, rappelle Glaudi Barsotti. Rémy Nace, lui, ravive le souvenir de “La commune en chantant”, revisitée par Jean Ferrat ou Michel Legrand.

D’abondants témoignages

Enfin, la qualité et la quantité des documents reproduits, photos, dessins, affiches, et l’abondance des témoignages revivifient l’époque. Une première tentative d’instaurer la Commune a lieu à Marseille dès le 8 août 1870, puis, dans une “cité qui se distingue depuis un siècle par un ardent esprit de combat démocratique et socialiste, une commune avant la lettre fut proclamée dès le 1er novembre 1870”, note Maurice Dommanget, avant de relater la brève expérience communaliste marseillaise, du 23 mars au 4 avril 1871. Si la Commune s’installe et “triomphe sans une goutte de sang”, se félicite Gaston Crémieux, elle n’en sera pas moins écrasée dans le sang par les troupes du Général Espivent De La Villeboinest qui tirent depuis Notre-Dame-de-la-Garde, rebaptisée Notre-Dame de la Bombarde, et depuis le fort Saint-Nicolas sur la Préfecture ; or cette dernière n’a pas les moyens militaires pour riposter. Le Général “si couard devant le Prussien”, entra le lendemain dans la ville aux cris de “Vive Jésus ! Vive le Sacré-Cœur !”, parfaite alliance du sabre et du goupillon.

Une répression sanglante

Cent cinquante insurgés périrent, mais le Général fit aussi d’autres victimes civiles. Gaston Crémieux refusa de fuir, il fut arrêté, jugé, condamné à mort et fusillé dans les Jardins du Pharo, à Marseille, le 30 Novembre 1871. Un poignant témoignage de l’exécution en langue occitane est retranscrit avec sa traduction dans le livre. S’y ajoutent des documents beaucoup plus récents, ceux qui relatent la commémoration des 140 ans de la Commune : le procès de Crémieux, rejoué par de vrais magistrats au Palais de Justice de la cité phocéenne, conclut à l’acquittement du prévenu, réhabilitation tardive et symbolique de “l’avocat des pauvres”, du communard injustement exécuté, dont un nom de rue perpétue le souvenir à Marseille.

Les conditions de détention

Particulièrement émouvante, la chronique de la détention des communards à la maison centrale de Nîmes tenue par Alphonse Éberard, instituteur, est présentée par Raymond Huard. D’abord incarcérés au fort Saint-Nicolas puis au Château d’If, les prisonniers politiques sont ensuite assimilés aux détenus de droit commun. “Se déclarent-ils libres-penseurs ? Il leur fut répondu qu’on ne connaissait point cette religion”. Ils vont cependant revendiquer et reconquérir leurs droits, exprimer leur indépendance idéologique lors de la visite de l’évêque, avant de recouvrer la liberté.

Si les acteurs de la Commune sont essentiellement des hommes, un chapitre est cependant consacré à Louise Michel par Daniel Armogathe. Elle a séjourné à Marseille à six reprises, et a aimé une ville combative : “c’est la résistance historique de ses habitants aux divers oppresseurs qui l’enthousiasmait”. La célèbre communarde, qui fut déportée en Nouvelle-Calédonie, “ne sépare jamais la lutte des femmes de celle de tous les opprimés”. Elle est morte le 9 Janvier 1905 à Marseille. Contrairement à Crémieux ou à Clovis Hugues, poète condamné à trois mois de prison pour sa Lettre de Marianne aux Républicains, elle n’a pas de rue à son nom à Marseille, mais une plaque commémorative et un rond-point honorent toutefois sa mémoire.

Je laisserai à Rémy Nace le mot de la fin :

“La Commune pour moi c’était…

Un rêve devenu réalité pendant quelques jours

une grande douleur

une espérance pour toujours…”

Marie-Noëlle Hopital

1870 1871 autour de la Commune de Marseille , sous la direction de Gérard Leidet et Colette Drogoz, postface de Jacques Rougerie, Éditions Syllepse et Promemo Provence, Mémoire et Monde Ouvrier, 2013.

À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).


http://www.emancipation.fr/spip.php?article1296
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 27 Mar 2016, 16:59

Gracchus Babeuf pour le bonheur commun

Histoire

Historien et militant, Jean-Marc Schiappa s’est intéressé particulièrement à la période de la Révolution française. Son dernier ouvrage vient de paraître aux éditions Spartacus, dont nous publions ci-dessous la présentation.


Partant de la situation de la Picardie, où François Noël Babeuf naît en 1760, et notamment de son agriculture, jusqu’à l’influence que Babeuf, et sa doctrine telle que rapportée fidèlement par Philippe Buonarotti, purent avoir sur les révolutionnaires du XIXe siècle, Jean-Marc Schiappa retrace les étapes de son parcours et de la formation de son projet politique.

Un prénom original

Dans un format somme toute ramassé, il donne largement la place à l’expression de Babeuf lui-même, dont le style reste remarquablement plaisant. Ainsi, Babeuf explique pourquoi, au moment de la Révolution, il adopta le prénom de Gracchus : “Je justifierai aussi mon prénom. J’ai eu pour but moral, en prenant pour patrons les plus honnêtes gens à mon avis de la république romaine, puisque c’est eux qui voulurent le plus fortement le bonheur commun ; j’ai eu pour but, dis-je, de faire pressentir que je voudrais aussi fortement qu’eux ce bonheur, quoiqu’avec des moyens différents... On sait que ceux qui se sont montrés sur notre théâtre avec des noms des grands hommes, n’ont pas été heureux : nous avons envoyé à l’échafaud nos Camille, nos Anaxagoras, nos Anacharsis [allusion respectivement à Desmoulins, Chaumette et Cloots] ; mais tout cela ne m’intimide pas”.

S’étant heurté à la notabilité picarde et faisant l’objet de poursuites judiciaires, Babeuf gagne Paris au printemps de 1793, il s’y retrouve dans de grandes difficultés matérielles, comme d’ailleurs le peuple de Paris, confronté à l’extrême cherté des produits de première nécessité.

À la Commune de Paris

Babeuf va y trouver à s’employer à l’administration des Subsistances de la Commune ; il se retrouve en première ligne dans la lutte contre la spéculation sur les approvisionnements : “Au 4 mai dernier, l’affreuse disette, résultant de l’excessive cherté qui était elle-même le fruit des manœuvres cupides de ceux qui toujours spéculent sur les malheurs publics, allait étendre ses ravages sur la surface totale de la République. Une loi répressive d’un abus aussi calamiteux est rendue aux acclamations générales du peuple. La secte des accapareurs s’en indigne ; elle jure de s’en venger. Bientôt, elle parvient à mettre dans son parti presque toutes les administrations départementales. Celles-ci interprètent, commentent la loi en tous sens, elles parviennent par des arrêtés à la dénaturer”.

Cette action va le faire connaître du peuple de Paris et des révolutionnaires “démocrates” attachés aux intérêts de celui-ci. Emprisonné, il est libéré après le 9 thermidor (27 juillet 1794) et, après une période de flottement, constatant que “les journées des 9 et 10 thermidor, loin d’avoir produit une révolution, n’ont servi qu’à mieux faire river les chaînes du peuple“, il reprend le combat en publiant un journal auquel il donnera le nom de Tribun du peuple. Bientôt, il y donne son analyse de la situation politique : “je distingue [dans la Convention] deux partis diamétralement opposés [...] Je crois assez que tous deux veulent la République ; mais chacun la veut à sa manière. L’un la désire bourgeoise et aristocratique ; l’autre entend l’avoir faite et qu’elle demeure toute populaire et démocratique”.

Face à la république bourgeoise

En 1795, il est emprisonné pendant de longs mois, pendant lesquels il noue des liens avec d’autres opposants au Directoire également emprisonnés et affine ses propositions. Libéré en octobre, il va bientôt être contraint à la clandestinité : viennent le temps de la préparation de la Conjuration et de la propagande, qui prend de nombreuses formes, dont celle de chansons :

“Mourant de faim, mourant de froid,

Peuple dépouillé de tout droit,

Tout bas tu te désoles...

Gorgés d’or, des hommes nouveaux

Sans peine, ni soin, ni travaux

S’emparent de la ruche

Le directoire exécutif,

En vertu du droit plumitif

Nous interdit d’écrire :

N’écrivons pas ; mais que chacun,

Tout bas, pour le bonheur commun

En bon frère conspire."

Viendront l’arrestation en mai 1796, le procès, accompagné de loin par l’agitation contre le Directoire, aussi bien populaire que royaliste, et l’exécution. Babeuf mort, Philippe Buonarotti voudra en dire la force et la grandeur et faire survivre son projet.

Les éditions Spartacus

Gracchus Babeuf pour le bonheur commun , Jean-Marc Schiappa, édition Spartacus, 178 pages, 13 e.

À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12e, 01 44 68 04 18, didier.mainchin@gmail.com).

http://www.emancipation.fr/spip.php?article1264
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Pïérô » 02 Avr 2016, 11:38

Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice

Image

Le Porho Gaëtan, Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice (l’investissement pédagogique de la Fédération unitaire de l’enseignement 1922-1935) , Paris, Émancipation, Noir et Rouge, EDMP, 2016, 398 p., 20 euros.

Quelle énorme différence entre le syndicalisme d’alors et celui d’aujourd’hui !
Les enseignants syndicalistes révolutionnaires et leur syndicat envisageaient leur profession dans tous ces aspects (dans les établissements scolaires et en-dehors) comme une phase essentielle de la formation de citoyens capables de formuler des critiques de la société.

L’auteur nous donne de multiples propositions pratiques.
J’ai choisi l’histoire, en tant que discipline scolaire, parce quelle est une partie du moule imposé à la formation de la jeunesse dans toute société.
Les enseignants de la FUE (Fédération unitaire de l’enseignement) membre du S.N. (Syndicat national des instituteurs), sont allés jusqu’à participer à la création d’une Internationale des travailleurs de l’enseignement, dont le Ier congrès se tint à Paris en août 1922 avec des statuts qui visaient à aider les enseignants « à dégager de l’incohérence des procédés de l’école de classe actuelle, une méthode rationnelle et humaine d’éducation. » Et le congrès proposait d’étudier « trois questions : la situation des maîtres, l’éducation rationnelle et humaine et l’enseignement de histoire [page 122 et suivantes]. » Cette initiative mérite une étude à part, et l’important est le questionnement des bases de l’enseignement sur le plan international et, donc, national.

Parmi les instituteurs de la FUE, certains posent le problème de l’enseignement en soi de cette matière : « Boissel souhaitent purement et simplement supprimer l’enseignement de l’histoire en tant que tel car il ne peut se départir de l’évènementiel et du dogmatisme qu’il contient et ne s’accorde pas avec l’esprit de l’enfant qui a besoin de fantastique et pas de temporel (qui implique des liens qu’il lui est difficile voire impossible à faire). Ils étaient en accord avec les conclusions du rapport de Clémendot au Congrès de Lyon du SN en 1924 et avec les paroles de Freinet au Congrès de la FUE des 5, 6 et 7 août 1924 à Paris qui le rejettent à l’école primaire. »

Toutefois, ce même congrès adopte à la majorité (moins une voix, donc sûrement celle de Freinet) une motion contraire :
« […] Estimant d’autre part, qu’il est dès aujourd’hui possible de trouver dans la science historique assez de faits certains pour garder un enseignement de l’histoire distinct des autres matières scolaires, et profitable à condition d’être rénové.
Se rallie à la conception d’un véritable enseignement de l’histoire de la civilisation étudiant avant tout le travail, la vie et la pensée de l’homme dont les faits politiques et militaires ne sont que l’un des aspects. Rend hommage au travail considérable effectué au sein du syndicalisme universitaire depuis environ quinze ans par des camarades de la Fédération, Pense que ces travaux doivent être poursuivis et mis au point sous la forme de manuels rédigés et édités par la Fédération pour les élèves (à commencer par le C.M., l’Internationale de l’Enseignement préparant d’autre part un manuel d’histoire supra-nationale à l’usage des maîtres) [p. 215]. »
Un manuel fut, effectivement, rédigé et publié par la FUE « inspiré par un certain marxisme. Ce sont les modes de production (infrastructures) qui déterminent en dernière instance, les idées, les évènements historiques et les institutions (superstructures). C’est le travail qui est la base de la vie. […] La vie du peuple (ses vêtements, habitations, inventions, plaisirs) intéresse plus les enfants que la litanie chronologique de noms des rois, d’évènements. […]. Le texte est volontairement de ton politiquement « modéré » pour pouvoir être inscrit sur les listes départementales des manuels officiels. »

Des aspects sont jugés quelque peu rétrogrades par les communistes. Il est en effet parlé des aspects positifs de la colonisation. La FUE était, notamment dans le cadre de la CGT-U, inscrite dans un combat anticolonial. Les personnels dits indigènes étaient syndicalement particulièrement et spécifiquement défendus. […] »
Gaëtan La Porho note que ce livre « était utilisé comme manuel en classe de manière somme toute assez classique. Les leçons sont suivies de résumés à apprendre et de questions de compréhension. Mais il pouvait aussi être employé dans le contexte d’une pédagogie plus alternative [pp. 221-222]. »
Cependant Gaëtan souligne que la « Morale » et sont enseignement a « le plus fait noircir de pages les militants de la FUE. C’est elle qui prend le plus de place dans la rubrique « Vie pédagogique » de L’École Émancipée. […] En gros et pour résumer, les partisans de la morale rationnelle et humaine considèrent que les moyens déterminent la fin et que la forme de l’éducation en détermine le contenu. Il faut faire appliquer une éducation coopérative pour donner ainsi une chance à une économie coopérative de voir le jour. Il ne faut pas inculquer quelques dogmes que ce soit, ni communiste, ni syndicaliste ou autre pour bâtir une société libre mais faire en sorte que les élèves pensent par eux-mêmes. La forme et les moyens sont très importants et déterminent la suite. Il ne faut pas mentir ou trahir pour obtenir une humanité honnête. Par contre, pour les tenants de la morale de classe, il est moral de trahir, voler si cela permet aux intérêts de la classe des exploités d’être satisfaits. »

J’apprécie cette dernière phrase qui est une simple constatation, pour moi, et certainement pour les léninistes décomplexés.
Sur ce plan, il serait intéressant de comprendre ce qui signifiait « vraiment prolétarienne » chez certains enseignants pour la pédagogie (Revue L’Émancipation, n° 272, 08.02.1929, p. 109) ou pour des brochures pour les jeunes (Lettre, 30.12.1931, p. 193).

Cependant, cette opposition totale - sur ce plan - entre libertaires et marxistes léninistes ne me semble pas avoir entraîne de scissions ou de chasse aux sorcières (du moins pendant la période étudiée par l’auteur)

C’est peut-être à cause du grand nombre de propositions et de tâches en cours. Pour les langues, par exemple, le breton était proposé comme enseignement et l’espéranto, fortement encouragé.

Une place importante est donnée à Célestin Freinet. C’est au sein de la FUE qu’il a créé et affiné sa pédagogie. « Freinet était militant syndicaliste avant d’être militant politique au Parti Communiste (p. 326) ». Et Gaëtan montre que c’est surtout la pratique pédagogique et non pas idéologique qui a amené une cassure progressive. C’est ce qui ressort du débat (pp. 336-350) dans lequel les egos ont eu aussi une place déterminante.

Les apports de ce livre sont multiples et j’en prends une parcelle dans la conclusion de Gaëtan La Porho :
« La conception syndicaliste révolutionnaire implique que les travailleurs s’organisent de manière autonome et pérenne. L’éducation est primordiale dans ce cadre pour que les opprimés soient capables de s’autogérer. L’émancipation sociale a comme condition la possibilité d’une pédagogie de la liberté.
Le mouvement syndical s’est aujourd’hui institutionnalisé et a eu tendance à laisser au politique les réflexions sur les finalités sociales de l’engagement. Ses liens avec la pédagogie se sont distendus, même s’ils se renouent parfois par quelques groupes et individus. »

Un livre miroir du passé qui devrait servir au présent !

Frank Mintz

http://www.questionsdeclasses.org/?Synd ... ncipatrice
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22439
Enregistré le: 12 Juil 2008, 22:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 10 Avr 2016, 12:34

À propos de L’École des réac-publicains

Image

De droite comme de gauche, résolument réactionnaire : "l’école réac-publicaine"

Billet publié sur le site Mediapart - Histoire, école et Cie

« Quand, au milieu des années 1980, sur les ruines des idéaux émancipateurs, émerge un pôle « national-républicain » appelant à la « restauration » des valeurs de la République, l’incontournable « crise de l’école » est devenue l’otage d’une offensive intellectuelle et médiatique visant à faire voler en éclats le clivage gauche/droite à travers le procès de la modernité, de la démocratisation scolaire et de la « pensée 68 ». »

Une école sélective, au service d’un ordre politique et social

Dans son dernier livre (1), au point de rencontre de l’histoire, de la sociologie et de la pédagogie, Grégory Chambat revisite la question scolaire telle qu’elle est posée depuis le 19e siècle jusqu’à nos jours, à travers les brutales polémiques, les violentes attaques dont l’école fait l’objet, pratiquement dans des termes inchangés d’une génération à l’autre. Polémiques et attaques, qui, de façon très symptomatique, trouvent à s’exprimer par l’intermédiaire d’une nébuleuse hétéroclite, rassemblée autour du concept – abusif – de république et de la nostalgie d’un prétendu âge d’or scolaire. C’est cette mouvance, se réclamant selon les cas de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite, que l’auteur, lui-même enseignant, qualifie de « réac-publicaine ». Ces dernières années, elle est plus bruyante que jamais.

Un regard sur l’histoire du système éducatif offre l’avantage de montrer à quel point l’école, hier comme aujourd’hui, est d’abord « un champ de bataille idéologique et sociale ». Loin de la vision idyllique souvent attachée à l’œuvre de la Troisième République dans ce domaine, il faut rappeler que ce régime, loin de vouloir transformer l’école, est bien davantage soucieux de la contrôler, de la surveiller. Encore terrorisés par le souvenir de la Commune de Paris (1871), les dirigeants républicains vont s’employer, en différenciant soigneusement un enseignement primaire pour les enfants des milieux modestes et secondaire, payant, réservé aux enfants de la bourgeoisie, à bâtir un dispositif structurellement inégalitaire, de classe. Jules Ferry, l’icône républicaine, ne disait pas autre chose en affirmant : « (…) il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes (…) inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 28 mai 1871 » (1879). Parce qu’ils font le choix d’une école centrée sur l’apprentissage de l’obéissance à un ordre social et politique, sur la séparation des sexes, héritage de la « pédagogie noire », les responsables républicains ne sont guère disposés à accepter des initiatives comme celles de Paul Robin qui cherche à mettre en œuvre, dans son orphelinat de Cempuis, une pédagogie réellement alternative. Après une violente campagne menée par l’extrême-droite, Paul Robin sera finalement révoqué (1894) par sa hiérarchie pour « propagande internationaliste ». Déjà, dès cette époque, la république n’a pas à forcer sa nature pour reprendre à son compte les représentations les plus brutalement inégalitaires.

Ces crispations autour de l’école, les rapprochements idéologiques entre droite et gauche, entre extrême-droite et extrême-gauche, se retrouvent aujourd’hui dans des termes très voisins autour de la question du collège, qui cristallise les passions et autorise les fantasmes les plus extravagants. La charnière entre un enseignement secondaire réservé à un petit nombre, payant jusqu’en 1932 ( Grégory Chambat rappelle que dans les années 1930, « les enfants d’ouvriers représentent 2,7 % des effectifs en sixième et ceux des cultivateurs 1,7 % ») et sa généralisation à tous se situe immédiatement après la Seconde guerre mondiale, avec le plan Langevin-Wallon dont l’idée directrice consiste à « offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès de la culture, (…) démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation » (Henri Wallon, 1946). Or, en dépit de la création des collèges d’enseignement secondaire (CES) en 1963, complétés par la loi Haby (1975), « ce plan – écrit Grégory Chambat – dont l’ambition démocratique et pédagogique ne fut jamais véritablement concrétisée dans les faits, est considéré par la réaction comme la matrice originelle de soixante-dix ans de réformes « décadentes » et reste la cible privilégiée des attaques de l’extrême-droite et de la nébuleuse réac-publicaine. »

Chevènement et ses héritiers

Une nébuleuse qui, à partir des années 1980 et avec l’arrivée de Chevènement au ministère de l’EN s’élargit à une large partie de la gauche convertie à la nostalgie d’un ordre scolaire et social ancien. Et l’auteur ne manque pas de noter l’importance du « chevènementisme » dans l’éclosion d’ « une génération pour laquelle l’école est le poste avancé de la reconquête nationale-républicaine ». Bête noire de cette mouvance sans doute moins hétéroclite qu’il n’y paraît, la pédagogie et les pédagogues font l’objet d’une détestation effrénée et jamais démentie : le lecteur pourra s’amuser à retrouver chez les censeurs et éditocrates bien connus d’aujourd’hui les mêmes poncifs, les mêmes excès langagiers, les mêmes descriptions apocalyptiques qu’il y a un siècle. Et bien sûr, en arrière-plan, les mêmes représentations mentales et d’une certaine façon, le même choix de société. Pour Grégory Chambat, la dénonciation de la pédagogie n’est pas neutre : « c’est moins le « déclin » des capacités à écrire, calculer ou compter qui inquiète que la perte de ces « saines » valeurs – « la discipline » et « l’effort » - que le système était parvenu à ériger en rempart des privilèges puisqu’elles avaient l’inestimable mérite de garantir la perpétuation et la légitimation des hiérarchies sociales. La nostalgie pour l’école d’antan va toujours de pair avec une étrange « amnésie » quant au modèle de ségrégation sociale de l’école de Jules Ferry. »

De la défaite de 1940 aux attentats de 2015, c’est toujours la faute à l’école

On ne peut malheureusement nier que l’année 2015 et la croisade identitaire/sécuritaire menée par le gouvernement aient dangereusement chargé la barque de l’école, accusée de tous les maux de la société. Après tout, lorsque Valls, au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo s’autorise à affirmer qu’ « à l’école, on a laissé passer trop de choses », il ne fait guère que retrouver les accents de Pétain, en juillet 1940 : « la France a perdu la guerre parce que les officiers de réserve ont eu des maîtres socialistes », lamentation préludant à une sévère reprise en main de l’école et de la société par le régime de Vichy. Et lorsqu’en 2016, un ancien président de la république qui aspire à le redevenir, expose, dans une indifférence quasi générale, un projet « éducatif » qui prévoit pas moins que l’instauration d’un service militaire obligatoire pour les élèves décrocheurs, c’est bien le signe d’une singulière dérive, autant à gauche qu’à droite, qui se refuse à prendre en considération le contexte social qui génère l’échec scolaire : à l’école comme dans la société, l’échec ne peut résulter que d’une faute personnelle. De fait, ces derniers mois, « la politique scolaire socialiste s’apparente de plus en plus à une débandade, où les principes d’émancipation ou d’égalité sont mollement avancés quand ils ne sont pas bradés au nom d’un discours autoritaire calqué sur celui des déclinistes. En s’inspirant de plus en plus ouvertement du discours réac-publicain, elle participe à la restauration des valeurs traditionnelles ».

Dans un contexte qui n’incite guère à l’optimisme, où l’on pressent que l’école va se retrouver une nouvelle fois la cible de toutes les surenchères populistes, Grégory Chambat – lui-même enseignant - en appelle à une « pédagogie sociale qu’il faut remettre à l’ordre du jour (…) une pédagogie engagée aux côtés des dominés, où l’élève n’est plus le spectateur consommateur de savoirs mais bien l’auteur de ses apprentissages. Il ne s’éduque pas lui-même mais s’éduque avec les autres et avec le monde pour participer à sa transformation. » Avant de conclure : « La démocratie de demain se prépare dans l’école d’aujourd’hui. Notre tâche d’éducateur et de pédagogue n’est pas de « pacifier » mais bien d’émanciper en enrayant cette machine qui tente de fabriquer de l’obéissance et de l’impuissance. C’est là notre état d’urgence. »

Ce livre, réelle bonne surprise éditoriale du moment, se prolonge par de substantielles notices biographiques, fort bien venues, consacrées aux maîtres à penser de la sphère réac-publicaine : de Barrès à Finkielkraut, de Paul Guth à Brighelli, en passant par Chevènement, Polony et beaucoup d’autres, du Club de l’Horloge à Espérance banlieues, ils sont tous là, ou presque, rassemblés par leurs convictions communes. Une galerie de portraits qui n’a rien d’un rapprochement arbitraire.

(1) Grégory CHAMBAT, L’école des réac-publicains, La pédagogie noire du FN et des néoconservateurs, Libertalia, 2016, 260 pages, 10 euros.

http://www.questionsdeclasses.org/?A-pr ... publicains
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 10:05

PrécédenteSuivante

Retourner vers Editions, livres et textes, salons/fêtes du livre

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 1 invité