
Par contre si tu as l'entretien posté 2 messages plus haut par Quierrot en version intégrale, ça m'intéresse, tu t'es peut être planté de lien, non ?
Une magnifique série de photos (commentaires en anglais)
2008 Greek riots - TheBig Picture - Boston.com
http://www.boston.com/bigpicture/2008/1 ... riots.html
Nico37 a écrit:Euh c'est Kuhin qui a posté le message et il n'y a pas de sources
?
jean a écrit:2008 Greek riots - TheBig Picture - Boston.com
http://www.boston.com/bigpicture/2008/1 ... riots.html
Grèce: nouvelles manifestations, le gouvernement accusé d'incurie
il y a 46 min
De nouveaux rassemblements de jeunes et de militants syndicalistes se sont déroulés vendredi à Athènes, au 14e jour de la mobilisation contre une bavure policière meurtrière, tandis que les critiques montaient contre la gestion des troubles par le gouvernement conservateur.
Ces rassemblements se sont déroulés dans le calme, alors que jeudi soir les échauffourées avaient repris dans les rues d'Athènes.
Le seul incident de la journée a été l'irruption en fin matinée d'une vingtaine de jeunes cagoulés dans la cour de l'Institut Français d'Athènes, où ils ont brisé des vitres et lancé un cocktail molotov, provoquant des dégâts matériels.
"Il s'agit visiblement d'une attaque organisée", a commenté sur les lieux l'ambassadeur de France en Grèce, Christophe Farnaud, soulignant que les institutions culturelles françaises resteraient fermées temporairement par précaution.
Accusée par les médias de s'être une fois de plus laissée déborder la veille lors de heurts avec des jeunes manifestants, la police restait mobilisée, alors qu'un concert organisé par les coordinations de lycéens et d'étudiants devant le siège de l'Université d'Athènes a réuni dans le calme des centaines de jeunes vendredi dans la soirée.
En même temps, des centaines de militants syndicalistes se sont également massés devant le Parlement à l'appel des deux principales centrales syndicales, la GSEE pour le secteur privé, l'ADEDY pour la fonction publique, pour protester contre la politique "d'austérité" du gouvernement de droite, avant le vote dimanche du budget de l'Etat pour 2009.
Le siège de la GSEE est occupé depuis mercredi par un groupe affirmant être formé de "travailleurs révoltés".
Les occupations se poursuivaient par ailleurs dans plusieurs universités de grandes villes et dans 700 établissements scolaires, selon la coordination lycéenne, un chiffre ramené à une centaine par le ministère de l'Education.
Un millier de lycéens et militants communistes ont manifesté dans la matinée à Péristeri, banlieue ouest d'Athènes, où un lycéen, fils d'un syndicaliste connu, avait été légèrement blessé par balle mercredi soir par une personne non identifiée, alors qu'il se trouvait dans la rue avec des amis.
La police a exclu être à l'origine du tir, alors que le mouvement de contestation a été déclenché par la mort le 6 décembre à Athènes d'Alexis Grigoropoulos, 15 ans, tué par un policier.
Principale cible de la colère des jeunes, les forces de l'ordre avaient mis plusieurs heures jeudi pour venir à bout de quelques dizaines de fauteurs de troubles dans les rues d'Athènes, à l'issue d'une manifestation de gauche ayant rassemblé dans le calme 5.000 personnes.
Huit jeunes, dont deux mineurs, avaient été arrêtés lors de ces échauffourées. Trois voitures, un drapeau grec, des chaises et tables de cafés avaient été incendiés, tandis que les riverains suffoquaient dans un épais nuage de gaz lacrymogène.
L'opposition socialiste a saisi l'occasion pour accuser le gouvernement d'avoir perdu le contrôle de la situation et réitéré son appel à des élections anticipées.
Une centaine de personnalités, universitaires, magistrats et économistes, ont de leur côté lancé une pétition appelant le gouvernement à "agir immédiatement pour rétablir la confiance" et la cohésion sociale.
"Des actes", titrait aussi en une vendredi le quotidien socialiste To Vima, tandis que le libéral Kathimérini s'interrogeait sur l'apparent immobilisme gouvernemental face à une violence devenue "une routine tragique".
Mike Davis - Sur la révolte en Grèce
L’auteur du « Stade Dubaï du capitalisme » et de « City of Quartz » a répondu aux questions d’un journal grec sur les événements qui secouent le pays. Contretemps vous propose la traduction de cette interview: un itinéraire politique, de Los Angeles à Athènes en passant par Seattle.
1.
Je pense que nos sociétés sont sursaturées de colère, une colère non-reconnue qui peut d’un seul coup se cristalliser autour d’un incident de bavure policière ou de répression étatique. Alors même qu’elle a abondamment semé les germes de la révolte, la société bourgeoise y reconnaît rarement ses propres fruits.
En 1992 à Los Angeles, tous les jeunes dans la rue (mais aussi tous les flics sur le terrain), savaient que l’apocalypse se préparait. Les lignes de faille grandissantes qui se creusaient entre la jeunesse urbaine et la municipalité auraient du sauter aux yeux de n’importe quel observateur, même le plus naïf : des arrestations de masse chaque semaine, un nombre effarant de gamins sans armes abattus par la police, la stigmatisation indifférenciée de la jeunesse de couleur comme un ramassis de « gangsters », une justice apparaissant de façon de plus en plus éhontée comme un système à double vitesse... Et pourtant, lorsque l’éruption se produisit suite au verdict qui exonérait la police d’avoir presque battu à mort Rodney King, les élites politiques et médiatiques réagirent comme si je ne sais quelle obscure force imprévisible avait surgi des entrailles de la terre. Les médias (depuis le point de vue surplombant de leurs hélicoptères) s’efforcèrent alors de modeler la perception que le monde aurait de l’émeute à grand renfort de simplifications réductrices et de stéréotypes convenus : c’étaient des « gangs noirs » qui incendiaient et pillaient dans les rues de la ville. En réalité, le verdict du procès Rodney King était devenu un noyau autour duquel une série de récriminations très diverses avaient fait coalescence. Parmi les milliers de personnes arrêtées, il s’avéra que très peu étaient membres d’un gang, et que même un tiers seulement d’entre-elles étaient afro-américaines. La majorité était des immigrants pauvres ou leurs enfants, arrêtés pour avoir dévalisé des commerces de proximité pour y prendre des paquets de couches, des chaussures, ou des postes de télévision. L’économie de Los Angeles connaissait à l’époque (et aujourd’hui encore) une crise très profonde et les quartiers latino pauvres de l’ouest et du sud Downtown étaient durement touchés. Mais la presse ne s’était jamais fait l’écho de la misère de leurs existences et la dimension « émeute de la faim » de l’insurrection fut par conséquent très largement ignorée.
De façon similaire en Grèce aujourd’hui, une atrocité policière « normale » finit par déclencher une éruption que l’on cherche à décrire de façon stéréotypée comme une colère inexplicable et à mettre sur le dos de ténébreux anarchistes. En fait, depuis longtemps, c’est bien une « guerre civile de faible intensité » qui semble avoir caractérisé les relations entre la police et les diverses strates de la jeunesse.
2.
Je n’ai aucune compétence particulière pour commenter la spécificité de la situation grecque, mais j’ai l’impression qu’elle présente d’importants contrastes avec les événements de 2005 en France. Si la ségrégation spatiale de la jeunesse pauvre et immigrée semble moins extrême qu’en région parisienne, les perspectives d’emploi pour les enfants de la petite bourgeoisie sont bien pires : le croisement de ces deux facteurs met dans les rues d’Athènes une coalition plus diverse d’étudiants et de jeunes adultes sans emploi. Par ailleurs, ils héritent d’une tradition continue de protestation et d’une culture de résistance unique en Europe.
3.
Que veut la jeunesse grecque ? Il est sûr qu’elle perçoit avec une clarté très crue la façon dont la récession mondiale se surimpose aux traditionnelles réformes du système éducatif et du marché de l’emploi. Pourquoi, dans un tel contexte, placeraient-ils la moindre foi en un énième retour du PASOK et de son cortège de promesses non-tenues ?
Ce à quoi l’on assiste est une espèce originale de révolte, préfigurée par les émeutes de Los Angeles, Londres et Paris, mais qui se déploie à partir d’une compréhension plus profonde du fait que l’avenir a été de toute façon pillé d’avance. Et en effet, on peut se le demander : quelle génération dans l’histoire moderne (mis à part les fils de l’Europe de 1914) a-t-elle été à ce point entièrement trahie par ses patriarches ?
Cette question me tourmente parce que j’ai quatre enfants et que même le plus jeune d’entre eux comprend que leur avenir sera radicalement différent de mon passé. Ma génération, celle du « baby-boom » lègue à ses enfants une économie mondiale en ruines, des inégalités sociales extrêmes, qui atteignent des niveaux stupéfiants, des guerres brutales sur les marges impériales et un climat planétaire devenu incontrôlable.
4.
Athènes est largement vue comme la réponse à la question : « Y-a-t-il une vie après Seattle ? »
Souvenez-vous des manifestations contre l’OMC et de la « bataille de Seattle » en 1999 qui ouvrirent une nouvelle ère de protestation non-violente et d’activisme local. La popularité des forums sociaux mondiaux, les millions de manifestants contre l’invasion de l’Irak par Bush et le large soutien aux accords de Kyoto – tout cela véhiculait l’immense espoir qu’un « alter-monde » soit déjà en train de naître. Dans le même temps, la guerre n’a pas pris fin, les émissions de gaz à effet de serre ont monté en flèche et le mouvement des forums sociaux a dépéri. C’est tout un cycle de protestations qui est arrivé à son terme le jour où la chaudière du capitalisme mondialisé a explosé à Wall Street, laissant dans son sillage à la fois des problèmes plus radicaux et de nouvelles opportunités pour la radicalité.
La révolte d’Athènes répond à une soif de colère : elle met fin à la récente sécheresse en la matière. Il est vrai que ceux qui l’animent semblent n’avoir qu’une faible tolérance pour les slogans d’espoir et les solutions optimistes. Ils se distinguent ainsi des revendications utopiques de 1968 ou de l’esprit rêveur et volontaire de 1999. C'est bien-sûr cette absence de demande de réformes (et ainsi l’absence de toute prise permettant la gestion de la protestation) qui est l'élément le plus scandaleux - et pas les cocktails Molotov ou les vitrines brisées. Cela rappelle moins les mouvements étudiants des années 1960 que les révoltes intransigeantes de l’anarchisme des bas-fonds dans le Montmartre des années 1890 ou du « Barrio Chino » à Barcelone au début des années 1930.
Certains activistes américains y voient un simple renouvellement du style de protestation hérité de Seattle, qu’il faudrait dorénavant et provisoirement agrémenter d’une pincée de passion toute méditerranéenne. Cela rentre bien dans leur paradigme du «changement - Obama » qui consiste à comprendre le présent comme un remake des mouvements de réforme politique des années 1930 et 1960.
Mais d’autres jeunes gens que je connais rejettent complètement cette interprétation. Ils se pensent eux-mêmes (à l’instar des anarchistes « fin de siècle ») comme étant une « génération perdue » et voient dans les rues d’Athènes un bon système de mesure pour leur propre rage.
Il y a bien sûr le danger d’exagérer l’importance d’une éruption qui se déroule dans un contexte national donné, spécifique, mais le monde est devenu inflammable et Athènes est la première étincelle.
Nico37 a écrit:jean a écrit:2008 Greek riots - TheBig Picture - Boston.com
http://www.boston.com/bigpicture/2008/1 ... riots.html
Je l'ai posté juste au dessus, ça t'arrive de lire les messages des autres
(fr) Interview de quelques anarchistes grecs
Date Fri, 19 Dec 2008 22:55:04 +0100 (CET)
Réponses de quelques camarades anarchistes grecs à des questions de
http://www.informa-azione.info sur certains aspects du soulèvement de ces derniers jours
et sur le contexte social, politique et urbain qui les anime.
[S. et P. se trouvent en Grèce, O. à Londres]
Traduit de l'italien par Ed. T'Okup' (Lausanne)
(La partie sur l'occupation de l'ambassade grecque à Londres n'a pas été traduite)
I-A : Quelques mots sur la brutalité de la police en Grèce
O. : Contrairement à la plupart des états occidentaux, la tactique de la police
grecque ne consiste pas à arrêter les personnes, à leurs infliger une amende etc,
mais principalement à les intimider et à « les punir » physiquement. La répression
policière est ainsi exercée au quotidien, par exemple au prétexte de contrôler
l'identité dans la rue, surtout à l'encontre des jeunes au look « alternatif », des
pauvres et des migrants. Il existe diverses divisions de police, la plus connue est
celle des « gardes spéciales », des idiots armés et complètement décérébrés ;
formée il y a 3-4 ans, elle s'est déjà rendue responsable d'un nombre non
négligeable de meurtres (comme Iraklis Maragkakis, un jeune chauffeur crétois mort
d'un projectile dans la tête pour ne pas s'être arrêté lors d'un contrôle). Il y a
les « groupes d'arrestations », qui effectuent des arrestations en recourant aux
arts martiaux durant les manifestations violentes (à Athènes uniquement), et de
nombreux groupes de police militaire (comme l'EKAM, souvent envoyé en Crête,
lorsque le business local, comme la culture du cannabis, interfère avec les plans
du gouvernement), et les « gardes-frontières » responsables de la mort de centaines
de migrants qui cherchent à passer la frontière. En ce qui concerne les milieux
politiques, il y a la « sûreté d'État » qui identifie, importune et fiche les
activistes, tout en s'occupant aussi des arrestations pendant les manifestations.
Il y a la « sûreté de l'ordre constitutionnel », un peu au-dessus des déments
précédemment cités, qui tient dans sa ligne de mire les milieux anarchistes et plus
généralement de l'action directe, mais aussi le crime organisée et le trafic de
drogue. Enfin, il y a l'unité anti-terroriste qui fait plus ou moins les mêmes
choses, mais se trouve au sommet de cette hiérarchie.
Les commissariats sont communément perçus comme des lieux de torture : il n'est pas
rare de voir apparaître, également sur youtube, des vidéos de flics montrant les
souffrances de leurs victimes. Pendant les manifs ou les actions contre la police,
ils ne cherchent pas trop à arrêter. Ils préfèrent charger quelques personnes de
nombreux et lourds délits ou de les tabasser pour de bon. Enfin, il y a une longue
liste d'individus tués par la police pour raisons politiques (anarchistes,
manifestants). Les agents restant généralement impunis, on en est venu à créer une
mentalité, une attitude de « Rambo ». Ainsi, lors des heurts de ces derniers jours,
les policiers antiémeute pointaient leur index contre les gamins en disant « où est
votre petit Alexis, pédés? Nous tuerons chacun d'entre vous, enculés ».
I-A : Quelques mots sur Exarchia
O. : Exarchia est une zone dans le centre d'Athènes où furent fondées les premières
universités, et qui donc attire beaucoup d'étudiants, d'intellectuels, d'artistes,
etc. La plupart des résidents (étudiants grecs, immigrés, gérants de petits
magasins et de petits bars) ont un bas revenu. Autour se trouvent des aires comme
Kolonaki - où il y a quelques lieux fréquentés par les riches - et on maintient une
sorte de solidarité de voisinage, initiatives de nettoyage des rues, assemblées
ouvertes, une sorte d'auto-organisation. La présence des étudiants a permis
l'ouverture de beaucoup de librairies, de centres et de squats anarchistes et de
gauche. Entre autres choses, cet esprit de liberté a offert un refuge aux toxicos
qui viennent se détruire sur la place d'Exarchia ; une habitude qui par le passé a
causé des heurts entre anarchistes et dealers, et qui a également provoqué des
heurts avec les toxicos. La rumeur veut que la police fait la chasse aux toxicos
dans les autres zones pour les pousser vers Exarchia, afin de convaincre les
habitants à demander une surveillance accrue. C'est un lieu dans lequel les heurts
avec la police sont à l'ordre du jour, grâce aussi à la protection du voisinage et
aux campus universitaires qui offrent asile. L'urbanisme joue aussi son rôle, avec
ses ruelles, ses pavés, la colline boisée voisine de Strefis. Tout cela fait que la
police porte une attention particulière à cette zone : patrouilles quotidiennes,
antiémeutes placés autour d'Exarchia (définie par les habitants comme les Romains
et le village d'Astérix), arrestations incessantes et tensions entre gens du lieu
et police. Les efforts des flics pour dominer le territoire ont mené à la mort
d'Alexis et de semblables épisodes. Le policier assassin est décrit (ndt par les
médias) comme un flic furieux, qui se querelle avec ses supérieurs parce qu'ils ne
le laissent pas « montrer à ces petits connards d'anarchistes de quoi il est fait
».
I-A : Les révoltés, constituent-ils un groupe politiquement hétérogène ?
P. et S. : Au début, sont descendus dans la rue les anarchistes avec leurs «
alliances politiques » (ultras du football, quelques migrants, quelques jeunes «
alternatifs »). Parmi la gauche: le parti communiste a condamné les violences, mais
maintenu une attitude diplomatique en déplorant la mort du garçon, le SYN/Syriza
par contre, a offert refuge aux révoltés à condition que d'abord ils montrent leur
visage. Positions typiques de ces deux principaux courants de la gauche grecque. Le
parti communiste cherche toujours à saboter les luttes qu'il ne réussit pas à
contrôler, mais tente d'en tirer profit lors des élections ; le SYN cherche à
récupérer chaque mouvement en le mutilant de ses composantes radicales. Durant les
premières 24 heures, les anarchistes ont organisé des manifestations agressives et
des attaques partout où ils étaient présents, disons dans une trentaine de
localités en Grèce. Plusieurs composantes de la gauche ont participé soit aux
manifestations soit aux heurts. Cela ne s'était jamais vu auparavant. Le jour
suivant, étudiants universitaires et écoliers se sont unis. Beaucoup
d'ultras/hooligans des équipes de football. De nombreux migrants et fils de
migrants. À ce moment a éclaté le chaos. Des gens de tous âges, de 12 à 70 ans, ont
pris part à la révolte. Des gens que tu n'aurais jamais imaginé trouver là au
milieu: « jeunes à la mode », « respectables pères de famille », « femmes âgées »,
toutes des personnes habituellement étiquetées comme « gens normaux » & bien
au-delà de la minorité anarchiste. Des personnes qui ne savaient certes pas gérer
la situation, certaines ne la comprenant même pas. Beaucoup d'entre elles
critiquaient le saccage comme étant une pratique qui « présente les anarchistes
sous un mauvais jour » & Ils regardent trop de télévision.
I-A : Il semble que la réponse à la brutalité policière ait engendré quelque chose
de beaucoup plus étendu. Un point de vue anarchiste sur les nouveaux « contenus »
de la révolte en cours ?
S. : Je pense qu'on se trouve face à un vrai soulèvement social. Il est assez
semblable à celui qui s'est produit en France (ndt banlieues), mais selon moi, il
se développe mieux, parce que les pauvres ne brûlent pas seulement leurs propres
quartiers, mais atteignent le centre urbain et s'attaquent à tout ce qui représente
l'oppression sous toutes ses formes, pas seulement la police et les banques. À
Thessalonique, ils ont attaqué une église, à Athènes l'arbre de noël du syndic, le
ministère de l'éducation, le parlement, dans la petite île d'Ithaki, ils ont brûlé
une école. C'est la réponse à une vie volée, peut-être pas aussi subitement et
horriblement que celle d'Alexis, mais lentement, chaque jour, honteusement.
Ce que j'essaie de faire, c'est soutenir physiquement les révoltes, partager toutes
connaissances inhérentes aux affrontements de rue accumulées jusqu'à aujourd'hui,
empêcher toute force de gauche de réprimer et calomnier le soulèvement (tel que le
parti communiste) ou de l'instrumentaliser à des fins parlementaires (les
sociaux-démocrates) et amener un esprit d'auto- organisation de nos forces, créer
nos assemblées, nos moyens d'informations, nos équipes d'attaque et de manière
générale se libérer du monde capitaliste, se libérer de notre besoin du
capitalisme. Le saccage a représenté un bon point de départ, maintenant nous devons
le généraliser.
I-A : La Gauche grecque, comme entend-elle exploiter et mettre fin à la révolte ?
P. : Je me référerai exclusivement au KKE (parti communiste) et au SYN
(social-démocrate qui a intégré presque tous les petits groupuscules) ; parce que
ce qui est à la gauche de l'« extrême-gauche » est pour la première fois actif dans
les affrontements de rue (après la guerre civile, la culture grecque de la gauche
est basée sur la victimisation) avec un esprit anti-ND (Nouvelle Démocratie, parti
au gouvernement).
Le KKE voit les récentes révoltes comme une expression de la rancune populaire
causée par le chômage et les carences des services publics, qui est mise sous un
mauvais jour par des « anarchistes encapuchonnés », évidemment organisés a) par le
gouvernement b) par l'opposition (PASOK, un parti en déconfiture) c) les Etats-Unis
d) les extra-terrestres. Mais qu'importe, ce qu'il faut retenir est que tout ce qui
est hors du Parti représente le mal. Il demande à la population de manifester
pacifiquement et de façon organisée dans le tronçon du KKE et de se préparer pour
la bataille électorale !
À Corfu, 15 jeunes du KKE se sont barricadés dans l'université pour éviter que les
révoltés, pris en chasse par les flics, n'entrent dans l'université ; ils en sont
même arrivés à leur lancer des bouteilles pour les provoquer ! Ils sont habitués à
faire ce genre de choses. Par le passé, ils avaient frappé quelques anarchistes
pour avoir recouvert leurs affiches. Sur ce, 40 anarchistes se sont rassemblés et
se sont attaqués à 70 communistes réunis dans l'université. Après quoi, tous les
représentants de parti pleurnichèrent dans les media en dénonçant le règne de la
terreur anarchiste, l'absence de police, etc.
Le SYN a un rôle plus actif dans la rue. Beaucoup de ses jeunes électeurs sont
probablement parmi les révoltés, tout au moins parmi ceux qui lancent des pierres
et affrontent les lignes de police. Leur président a dit aux encapuchonnés que
s'ils enlevaient leur cagoule, le SYN les défendrait face à la justice. Cela
exprime la tactique du parti : saboter ceux qui agissent individuellement pour des
raisons qui leur sont propres et les amener au parti pour mener des batailles au
parlement, à la télévision ou dans les tribunaux. Je ne veux pas déformer ou
minimiser la rage causée par l'assassinat d'un gamin par la police chez nombre de
ses électeurs, mais je crois que le SYN compte beaucoup sur ce qui est en train de
se passer pour augmenter sa légitimité politique, peut-être même dans le cadre
d'une alliance gouvernementale.
Lors des premières manifestations, on avait la sensation générale d'être tous
ensemble dans cette affaire, vu que chaque courant politique se remettait encore
des heurts entre étudiants et police de l'an passé, lorsque après divers mauvais
coups, les forces de l'ordre avaient repris le contrôle de la rue et que s'en était
suivit un an de fréquentes violences policières et de tortures dans les
commissariats. Au fur et à mesure que les jours passèrent, les choses se firent
plus claires.
Ah, il y a aussi les syndicats : principalement liés au PASOK, au SYN, peut-être
quelques-uns même à Nouvelle Démocratie et le KKE qui a son propre front syndical.
Ils se sont vendus en annulant la grève générale programmée de longue date, à la
demande du premier ministre afin d'éviter des désordres. Personne ne semble s'y
intéresser, mais la mentalité des syndicats est un foutage de gueule, une insulte à
la majeure partie de la population grecque.
I-A : Nous avons suivi la dernière lutte des prisonniers. Savez-vous quelque chose
de leurs réactions aux actuelles révoltes et aux actions de sabotage en solidarité
avec leurs mobilisations ?
O. : Aujourd'hui, le jour de l'enterrement d'Alexis, les prisonniers ont refusé
leur repas dans toutes les 22 prisons de Grèce. Des milliers (nous ne sommes pas en
mesure de dire exactement combien) ont donc exprimé de cette façon leur respect
pour un jeune en lutte, et leur solidarité pour toutes les personnes arrêtées lors
des affrontements, plus de 200, pour saccage de magasins. Pour ce que j'en sais,
la plupart des prisonniers soutiennent pleinement les actions solidaires de
sabotage hors des prisons. Il ressort des discussions avec les gens dedans, les
camarades Polikarpos et Vaggelis, des quelques publications anarchistes avec des
contributions de prisonniers et des communiqués parus durant la récente lutte,
qu'ils étaient décidément émus lorsque ils parlaient des actions à l'extérieur.
I-A : Les révoltes ont parfois des parcours sinueux, certaines s'éteignent
(banlieues français), certaines sont récupérées, d'autres se mordent la queue.
Objectifs personnels et collectifs ?
S. : Premièrement, défendre nos vies, défendre la mémoire de nos camarades,
défendre notre existence dans les rues et notre pouvoir dans la rue. La lutte de
classe ne se termine pas lorsque nous quittons notre place de travail, dans la rue
ou dans un bar alternatif ou à la mode où nous continuons à être des marchandises,
nos vies sont de pures marchandises. La police déprécie nos vies et arrive à les
détruire, nous devons donc tout de suite prendre les choses en mains, et l'unique
manière d'y parvenir est de se libérer de ce qui nous transforme en marchandise et
de sa police. Si tout cela ne tourne pas en révolution, je pense que nous devrions
au moins nous amuser le plus possible dans ce processus d'humanisation. Ah, et nous
libérer d'un humanisme bon à rien.
(...)
[ expediteur/expeditrice <espaceautogere(a)squat.net> ]
L'article ne le dit pas, mais ça a été dit sur France Info : ces jeunes
ont déclaré que c'était en soutien aux emprisonnés de Tarnac.
Des jeunes attaquent l'Institut Français d'Athènes
NOUVELOBS.COM | 19.12.2008 | 14:44
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualit ... tor=RSS-17
Un groupe d'une vingtaine de jeunes a fait irruption dans la cour de
l'établissement, où ils ont brisé des vitres et lancé un cocktail
molotov, provoquant un début d'incendie
<http://tempsreel.nouvelobs.com/file/614262.jpg>.
L'Institut français à Athènes attaqué par des étudiants (Idé)
Un groupe d'une vingtaine de jeunes a fait irruption vendredi 19
décembre aux alentours de midi dans la cour de l'Institut Français
d'Athènes, où ils ont brisé des vitres et lancé un cocktail molotov,
provoquant un début d'incendie, ont indiqué des sources policière et
diplomatique.
Aucune personne n'a été blessée durant l'attaque, qui a duré environ
cinq minutes, selon une source diplomatique française. Les jeunes,
cagoulés, ont ceinturé le gardien, sans le malmener, et brisé les vitres
de sa guérite à l'entrée, ainsi que du café et du hall de l'institut, a
précisé la même source.
Demande de sécurité renforcée
L'Institut français d'Athènes, chargé notamment de l'action culturelle
et où sont dispensés des cours de français, dépend de l'ambassade
française en Grèce.
Compte tenu des violences urbaines à Athènes depuis la mort le 6
décembre dernier d'un adolescent tué par un policier, l'ambassade avait
demandé un renforcement de la sécurité des établissements français, mais
vendredi, aucune garde policière ne protégeait l'institut, selon la
source diplomatique.
Les autorités françaises vont réitérer leur demande de sécurité
renforcée avec insistance, a ajouté cette source.
L'institut français est situé non loin de la faculté de droit d'Athènes,
l'un des centres actuels de la contestation de la jeunesse grecque.
Concert à haut risque
De nouveaux rassemblements sont prévus à Athènes ce vendredi, après 14
jours d'une mobilisation déclenchée par une bavure policière meurtrière.
Les forces de l'ordre sont mobilisées en vue d'un concert, organisé par
les coordinations étudiante et lycéenne, prévu vendredi après-midi
devant le siège de l'Université d'Athènes.
Les deux principales centrales syndicales, la GSEE pour le secteur
privé, l'ADEDY pour la fonction publique, devaient au même moment
défiler devant le parlement pour protester contre le budget qu'ils
jugent "anti-travailleur". Son vote est prévu dimanche.
Le siège de la GSEE est occupé depuis mercredi par un groupe affirmant
être formé de "travailleurs révoltés". Les occupations se poursuivaient
dans plusieurs universités de grandes villes et 700 établissements
scolaires, selon la coordination lycéenne, un chiffre ramené à une
centaine par le ministère de l'Education.
Les forces de l'ordre à l'index
Des lycéens doivent par ailleurs se rassembler à la mi-journée à
Péristéri, une banlieue ouest d'Athènes, où l'un des leurs, fils d'un
syndicaliste enshttp://tempsreel.nouvelobs.com/file/ ... jpgeignant
connu, a été légèrement blessé mercredi soir par une balle tirée par une
personne non identifiée. L'incident a été dénoncé par tous les syndicats
d'enseignants. La police a exclu qu'un de ses membres ait été à
l'origine du tir alors que l'agitation actuelle a débuté après la mort
le 6 décembre à Athènes d'Alexis Grigoropoulos, 15 ans, tué par un policier.
Les critiques grandissent contre la gestion des troubles par le
gouvernement conservateur. La police en en effet accusée par les médias
de s'être une fois de plus laissée déborder lors d'une reprise des
échauffourées, jeudi.
Principale cible depuis de la colère des jeunes, les forces de l'ordre
ont mis jeudi plusieurs heures à venir à bout de quelques dizaines de
fauteurs de troubles qui ont déclenché une bataille de rue à Athènes à
l'issue d'une manifestation de gauche ayant rassemblé dans le calme plus
de 5.000 personnes.
La police a annoncé avoir arrêté huit jeunes, dont deux mineurs et
"aucun étudiant ni lycéen" pour ces violences, au cours desquelles trois
voitures, un drapeau grec et des chaises et tables de cafés ont été
incendiés, tandis que les riverains suffoquaient dans un épais nuage de
gaz lacrymognènes.
Appel à des élections anticipées
L'opposition socialiste a saisi l'occasion pour accuser le gouvernement
d'avoir perdu le contrôle de la situation et pour réitérer son appel à
des élections anticipées. Une centaine de personnalités, universitaires,
magistrats et économistes, ont de leur côté lancé une pétition appelant
le gouvernement et l'ensemble du monde politique à "agir immédiatement
pour rétablir la confiance" et la cohésion sociale.
"Des actes", titrait aussi en une vendredi le quotidien socialiste To
Vima, tandis que le libéral Kathimérini s'interrogeait sur l'apparent
immobilisme gouvernemental face à une violence devenue "une routine
tragique". "La majorité des députés conservateurs demandent des
changements immédiats, l'heure du remaniement a sonné", écrivait pour sa
part le journal de droite Eléftheros Typos.
Eh, oui, les jeunes grecs sont solidaires de fransçais.
> Savez-vous qu'hier soir, à Athènes, un autre lycéen grec, fils de
> syndicaliste et délégué de sa classe, très actif dans le mouvement actuel,
> a reçu -à la main- une balle d'une arme à feu tirée sur lui depuis une
> soixantaine de mètres, à 23h du soir, à la sortie du cours de soutien où
> il discutait avec une dizaine de ses camarades ? L'auteur de l'agression
> n'a pas été identifié...S'il s'agit d'une tentative d'assassinat -ou d'un
> "avertissement"- et non pas d'un acte d'un malade mental, il serait
> affreux de constater à quel point les choses deviennent dangereuses. Cela
> nous rappelle des vieux souvenirs de dictature militaire ....
>
> bonne soirée
>
> Anastassia Politi
> metteur en scène
> Compagnie Erinna
RASSEMBLEMENT SOLIDARITE GRECE SAMEDI 20 a 13H - PARIS
BORDEAUX :
Rendez vous à 18h place St-Michel
TOULOUSE
à 14h devant le métro Jean Jaurès à Toulouse
MONTAUBAN
à 14h devant la préfecture !
STRASBOURG
devant la délégation grecque du parlement européen (et non pas
l'ambassade…mea culpa) place broglie à coté du "christkindelmarik" à 18h.
BREST
Rassemblement de soutien au peuple grec en lutte. Place de la liberté 15
heures.
PARIS
à 13h00 à la Fontaine des Innocents (Les Halles)
LYON
à 14h30 place de la comédie (devant l'opéra - hotel de ville)
> Rassemblement samedi 20 décembre 2008 13H00 à la Fontaine des Innocents (Les
> Halles), organisé par les Etudiants et les Travailleurs Grecs à Paris.
> Il est temps que cette ville se réveile !!!
>
> La CNT-FAI appelle a un rassemblement à la Fontaine Saint-Michel
> (http://cnt-ait.info/) samedi 20 décembre à 13H : ce n'est pas grave, la
> Fontaine Saint-Michel et la Fontaine des Innocent sont distantes de 10 mn à
> pied et elles entourent l'ile de la Cité (avec son palais de justice et son
> siège de la police parisienne…). Je propose d'arriver plus tôt (midi ?) et
> de faire des allers et retours entre les 2 fontaines pour "prendre la
> température"…
>
> source :
>
> http://emeutes.wordpress.com/2008/12/19 ... -camarade/
>
c'est quand même dans ce genre de situation que de la mesure , du calme et de la rigueur dans la nalyse sont le plus interressant.
enfin faudrait juste éviter de s'enflammer même si évidemment ya de quoi.
"Le spectre de la liberté vient toujours le couteau entre les dents"
Tirer dans la chair est le point culminant de l'oppression sociale
Toutes les pierres arrachées des trottoirs et jetées sur les boucliers des flics ou sur les vitrines des temples de la marchandise ; toutes les
bouteilles enflammées gravitant sous le firmament ; toutes les barricades érigées dans les avenues, séparant nos espaces des leurs ; tous les containers plein des déchets d'une société consumériste que les flammes de l'émeute transforment, d'un rien en un quelque chose ; tous les poings dressés à la lune ; ce sont les armes qui donnent un corps et un vrai pouvoir, non seulement à la résistance, mais aussi à la liberté. C'est ce sentiment de liberté qui, seul, mérite qu'on parie sur de tels moments : le sentiment des matins oubliés de notre enfance, lorsque tout peut arriver, parce que c'est nous, comme être humains créatifs, qui nous sommes réveillés, et non les futures machines-hommes productives du subordonné, du stagiaire, du travailleur aliéné, du propriétaire privé, du père de famille. C'est le sentiment de se confronter aux ennemis de la liberté - de ne plus les craindre.
Ainsi, celui qui veut continuer à penser à ses propres affaires, comme si rien ne se passait, comme si rien ne s'était jamais passé, a de sérieuses raisons de s'inquiéter. Le spectre de la liberté vient toujours le couteau entre les dents, avec l'envie violente de rompre toutes les chaînes qui réduisent sa vie à une misérable répétition, permettant aux rapports sociaux dominants de se reproduire. Depuis samedi 6 décembre, aucune ville dans ce pays ne fonctionne normalement : pas de thérapie par l'achat, pas de routes dégagées pour rejoindre nos lieux de travail, pas de nouvelles des prochaines initiatives du gouvernement pour le rétablissement, pas de va-et-vient insouciant entre des émissions de télé sur la façon de vivre, pas de conduites nocturnes autour de Syntagma, et ainsi de suite. Ces nuits et ces jours n'appartiennent pas aux boutiquiers, aux commentateurs télé, aux ministres et aux flics. Ces nuits et ces jours appartiennent à Alexis !
En tant que surréalistes, nous sommes sortis dans les rues dès le premier moment, ensemble, avec des milliers de rebelles et d'autres gens exprimant leur solidarité, parce que le surréalisme est né du souffle de la rue et n'a pas l'intention de le lâcher. Après cette résistance massive aux assassins d'État, le souffle de la rue est encore plus chaud, encore plus accueillant et encore plus créatif. Proposer une direction à ce mouvement ne nous correspond pas. Toutefois, nous assumons toute la responsabilité de la lutte commune, parce que c'est une lutte pour la liberté. Sans être obligés d'approuver chaque expression d'un mouvement aussi massif, sans être partisans de la colère aveugle ou de la violence pour elle-même, nous considérons que l'existence de ce phénomène est juste.
Ne laissons pas ce souffle flamboyant de poésie s'éteindre ou mourir !
Convertissons le en une certaine utopie : la transformation du monde et de la vie !
Pas de paix avec les flics et leurs patrons !
Tout le monde dans la rue !
Qui ne peut comprendre la rage se taise !
Groupe surréaliste d'Athènes, décembre 2008
Stathis Kouvélakis - La Grèce en révolte
Au départ, l’affaire était entendue : scènes d’émeutes, casseurs cagoulés, « guérilla urbaine » opposant jeunes et forces de police suite à une bavure policière. Non cela ne se passait pas dans une « banlieue » française ou un quartier britannique déshérité. Ni la victime, ni les émeutiers ne semblent appartenir à une « minorité ethnique » (ou religieuse) ou à une population d’origine étrangère. Cela se passe en Europe, mais dans les marges méridionales et orientales du continent, dans ces « Balkans » inquiétants, ravagés par leurs démons ancestraux.
« Bon pour l’Orient… » ?
L’explication est toute trouvée : les émeutes qui se sont déclenchées à Athènes et dans les villes de Grèce après le meurtre d’Alexis Grigoropoulos par un policier, le 6 décembre dernier, renvoient fondamentalement à un archaïsme. Celui d’une société, et de son État, qui, à peine sortis de leur arriération balkanique, peinent à faire face aux défis de la « modernité » et de la « mondialisation ».
Exagérations que tout cela ? Regardez plutôt cet éditorial[1] du « quotidien français de référence », selon l’expression consacrée : « les émeutes qui ravagent depuis trois jours les grandes villes grecques… témoignent des déséquilibres d’une société passée en quelques années des Balkans à l’Europe ». D’où il ressort, d’entrée de jeu, que les Balkans ne font pas partie de l’Europe, qu’ils sont, ou demeurent, l’« autre » contre lequel se construit, et se conçoit elle-même, cette « Europe » là. Mais revenons aux émeutes grecques. Au premier banc des accusés, l’État, un État « déliquescent, miné depuis longtemps par le clientélisme, la corruption, le favoritisme ». La Grèce n’a jamais atteint le stade de l’« État de droit moderne », lit-on un peu plus loin, car les « grandes familles… qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies » profitent du système et l’utilisent pour « arroser…une large partie de la population ». Ainsi, la responsabilité de l’actuel gouvernement ne renvoie pas tant à sa politique, mais plutôt à sa « faiblesse », qui découle de sa continuité d’avec le système prémoderne qui s’est maintenu tout au long les alternances au sommet de l’État.
On voit se profiler ici le stéréotype orientaliste de base : la Grèce comme une sorte de satrapie déclinante, rongée par les fléaux typiques de l’arriération pré-moderne. On admet, certes, que ces « rapports archaïques » (le mot est enfin lâché !) sont « ébranlés » par l’entrée dans l’« Europe ». Mais ils persistent, et le pays ne parvient pas à « échapper à ces mauvaises habitudes ». Frappé par une « crise économique » et une « crise sociale », dont les symptômes, furtivement évoqués n’évoquent pourtant que des choses bien familières aux lecteurs du Monde, la Grèce souffre de son inadaptation à la modernité. En témoignent ces convulsions violentes et exotiques, qui confirment son appartenance à cette altérité, cet espace situé au-delà de l’Occident européen, dont la modernité et la civilisation ne peuvent que prémunir de telles rechutes dans l’état de nature – l’éditorial s’intitule du reste La Grèce sans État.
Las, il n’aura pas fallu plus de trois jours, pour que, dans les colonnes du même quotidien « de référence », le ton change du tout au tout. La « une » de l’édition du 13 décembre annonce en effet : « Social, jeunesse, banlieues : la France gagnée par l’inquiétude. La droite comme la gauche scrutent attentivement les événements de Grèce ». La suite de l’article en rajoute : « la révolte des jeunes en Grèce peut-elle s’exporter en France ? Oui, répondent en cœur Laurent Fabius et Julien Dray ». Les porte-parole du Modem et de l’UMP ne semblent pas dire autre chose, tandis que, dans des propos tout à fait remarquables, qui nous sont rapportés entre guillemets, Nicolas Sarkozy n’hésite pas à faire référence à la Révolution française, plus exactement au régicide, pour terminer par cette phrase : « Au nom d’une mesure symbolique, ils [les Français] peuvent renverser le pays, regardez ce qui se passe en Grèce ». Et l’éditorial du même jour de conclure : « la France n’est pas la Grèce. Mais ».
Un élève modèle du néolibéralisme européen
Que s’est-il donc passé, pour qu’en moins d’une moitié de semaine, l’image de l’altérité archaïque et orientalisante soit devenue un miroir dans lequel les porte-voix des groupes dirigeants de la société française se regardent et, à leur grande inquiétude, se reconnaissent ? Sans doute le fait que, même vus à travers les filtres et biais habituels, les éléments qui composent la toile de fond de ces événements, et que les correspondants et envoyés spéciaux de ces quotidiens n’ont pu que faire parvenir à leur rédaction et à leur lectorat, évoquent irrésistiblement la proximité fondamentale des situations, la ressemblance, si ce n’est l’identité, plus que l’exotique altérité : chômage de masse, atteignant des niveaux explosifs dans la jeunesse et tout particulièrement la jeunesse diplômée, bas salaires et protection sociale rognée, pensions menacées, services publics désorganisés et privatisés, climat autoritaire et répressif. Si spécificité de la Grèce il y a, c’est en effet que l’État grec y est plus « faible » qu’ailleurs en Europe (mais sans doute moins qu’en Italie) dans le sens bien particulier où l’État social y est plus limité et plus récent. Plus vulnérable donc à la contre-réforme libérale, dont les effets jouent à plein précisément là où ils rencontrent le moins d’obstacles institutionnels.
En réalité, plus que d’un « archaïsme » ou d’un « retard », c’est plutôt d’une avance de la Grèce (et d’autres pays de la périphérie européenne ou du Sud) dans la mise en œuvre du néolibéralisme qu’il faudrait parler. Rappelons donc que la Grèce, dont l’espérance de vie ou les taux de diplômés sont au-dessus de la moyenne de l’Union Européenne, dont les capitalistes de l’industrie ou de la banque rayonnent dans toute l’aire balkanique et vers laquelle affluent tous les ans des centaines de milliers de travailleurs immigrés venus de l’Est ou du Sud, est aussi l’une des sociétés les plus inégalitaires d’Europe. Ce ne sont pas simplement les salaires (et les retraites) les plus bas d’Europe occidentale (avec le Portugal), c’est aussi la répartition des richesses la plus polarisée : la part des salaires dans le produit national est en deçà de 55% (près de dix points de moins qu’en France), et elle est chute (comme en France et dans la quasi-totalité des pays occidentaux) depuis les années 1980 (60% en 1984, 70,3% en France en 1980). Le taux de travailleurs en dessous du seuil de pauvreté est le plus élevé de l’Union Européenne (14%). Au même moment, la dérégulation financière, les privatisations et la politique de taux intérêts élevés, pratiquée avec un zèle admirable par les gouvernements du socialiste « modernisateur » (véritable chouchou des médias et des élites européennes) Costas Simitis (1996-2004), opérait une redistribution sans précédent en faveur des spéculateurs de la bourse, détenteurs d’actions et de bons du Trésor.
La Grèce occupait ainsi, en 1997, le troisième rang parmi les pays de l’OCDE pour les inégalités, dépassée uniquement par le Mexique et la Nouvelle Zélande. Le revenu des 20% les plus riches de la population est supérieur de plus de six fois à celui des 20% les plus pauvres (contre un à trois au Danemark par exemple). Et encore, ces inégalités « primaires » sont aggravées par les inégalités « secondaires » dues à la faiblesse de l’État social, tout particulièrement dans deux domaines clés, la santé et l’éducation, gangrénés de façon chronique par la logique du profit. Pour en rester à celui de l’éducation, avec moins de 3,5% de son budget national, la Grèce se situe traditionnellement en queue de peloton européen. Elle se hisse toutefois au premier rang pour les dépenses des ménages allouées à l’éducation, égales en volume à celle de l’État. Un invraisemblable univers fait d’entreprises spécialisées dans le soutien scolaire, de cours privés et d’établissements privés censés fournir des formations professionnelles, voire même des formations à prétention « universitaire » (en grande part assurées par les antennes locales d’établissements universitaires du monde anglophone, ou, en réalité, simplement agréés par ceux-ci) se substitue très largement à une éducation publique défaillante. La réforme des universités lancée par l’actuel gouvernement en 2006 s’est attaquée à l’un des derniers éléments de service public qui subsistent. Il n’est guère surprenant qu’elle se soit heurtée à la mobilisation massive de la jeunesse, qui, avec des hauts et des bas, marque de façon continue la situation sociale des deux dernières années.
Crise politique et mobilisation populaire
Si l’acuité de la crise sociale forme l’arrière-plan indispensable à la compréhension de la révolte grecque, et de son impact international, elle ne saurait en elle-même suffire à en rendre compte. Deux facteurs doivent ici être pris en compte, que nous ne pouvons évoquer que de façon succincte : la crise politique, qui est à la fois une crise du système bipartite grec et une crise de l’État, et la capacité d’intervention directe de certains secteurs populaires.
Du point de vue politique, le système d’alternance des deux grands partis (Nouvelle Démocratie, droite, et PASOK, socialistes), totalisant habituellement, depuis les années 1980, autour de 85% des suffrages, présente des signes d’essoufflement à partir des élections de 2004. Jusqu’à la crise récente, on peut dire que c’est surtout le PASOK qui en a souffert, incapable de se différencier désormais d’un gouvernement de droite relativement « mesuré » et doté d’un premier ministre plutôt populaire. Le point culminant de cette crise d’identité du PASOK a été atteint au moment du mouvement contre la réforme des universités, lorsque la direction du parti fut contrainte de changer son attitude au Parlement, et de refuser de soutenir la modification proposée par la droite de l’article 16 de la constitution, qui accorde à l’État le monopole des missions de l’enseignement supérieur.
Cette crise du bipartisme a laissé un espace disponible à la « gauche de la gauche », que celle-ci, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres pays a su occuper. Profondément divisée dans ses deux composantes principales, le Parti Communiste Grec (KKE) et la Coalition de la Gauche Radicale (SYRIZA), auxquelles il convient d’ajouter une extrême-gauche fragmentée et électoralement marginale mais forte en termes militants (et bien implantée dans les universités), la gauche grecque présente la particularité de s’écarter de la tendance dominante en Europe, qui a vu les forces communistes, ou issues de cette matrice, se subordonner progressivement à la social-démocratie (elle-même gagnée au néolibéralisme) à et la logique des alliances de « centre-gauche ». Le KKE est sans doute le parti le plus ouvertement néostalinien d’Europe, d’un sectarisme et d’un dogmatisme jamais pris en défaut, mais il garde une forte combativité, une capacité d’organisation de masse (y compris dans la jeunesse) et une assise dans les classes populaires. La Coalition SYRIZA regroupe le parti Synaspismos (Coalition de gauche, issue de deux scissions du PC, en 1968 et en 1990) et diverses organisations d’extrême-gauche (qui vont du maoïsme et du trotskisme au socialistes de gauche). Implantée essentiellement dans les couches éduquées, bénéficiant d’un fort vote jeune, elle a vu son audience s’élargir à partir de 2005, lorsque, après une longue lutte interne, la gauche de Synaspismos a réussi à prendre le contrôle du parti et à imposer une ligne de refus des alliances de « centre-gauche » et des velléités de participation à des gouvernements dirigés par le PASOK.
Les élections de l’automne 2007 ont ainsi témoigné d’une sensible poussée à gauche (le KKE passant de 6% à plus de 8% et SYRIZA de 3,3 à 5,5%), surtout dans les grands centres urbains et la jeunesse, avec un recul concomitant de l’emprise du bipartisme. Les sondages montrent que cette tendance s’est depuis amplifiée, essentiellement au profit de SYRIZA, qui semble recueillir un niveau d’intention de vote supérieur à 10%. Grâce notamment à la popularité de son jeune dirigeant, Alexis Tsipras (34 ans), souvent surnommé le « Besancenot grec », SYRIZA apparaît en effet en mesure d’exprimer politiquement, de façon partielle mais néanmoins significative, le climat nouveau instauré par les mobilisations étudiantes et la colère sociale, avant tout celle des jeunes diplômés condamnés aux petits boulots, à la précarité et à la dépendance permanente vis-à-vis de leur famille.
Pays aux fortes traditions de luttes sociales et d’insurrections, la Grèce a vu se multiplier ces dernières années les conflits durs, dont la réforme des universités et celle du système de retraite ont constitué les points de focalisation. Leur bilan est mitigé : le mouvement syndical (très bureaucratisé mais regroupé dans une confédération unique, qui garde un ancrage important) a jusqu’à présent échoué à obtenir des concessions significatives. Ses directions ont pour l’essentiel avalisé les mesures néolibérales. Le mouvement étudiant, a pu par contre obtenir un repli partiel du gouvernement sur la question de la réforme constitutionnelle concernant les universités privées, même si la restructuration entrepreneuriale de l’enseignement supérieur est en cours et que la législation européenne oblige désormais les gouvernements de reconnaître la validité des diplômes accordés par tout type d’établissement « universitaire », public ou privé.
Les mobilisations répétées de la jeunesse se sont heurtées à un autoritarisme grandissant, et à une répression accrue, qui ont joué un rôle décisif dans le climat policier qui a abouti aux événements de décembre dernier. Elles ont toutefois joué un rôle décisif dans la déstabilisation du consentement aux politiques gouvernementales, et précipité le discrédit des solutions néolibérales, partagées par les deux principaux partis. L’incurie manifeste de l’appareil d’État lors des incendies qui ont ravagé le Péloponnèse l’été 2007 a intensifié la crise politique, en lui ajoutant une forte dimension de crise de l’autorité de l’État, incapable d’assurer les conditions élémentaires de la vie sociale (la sécurité des biens, du patrimoine national et des personnes). Cette crise de légitimité du noyau même de l’action étatique a atteint un niveau paroxystique avec le meurtre de sang froid du jeune Alexis par un policier. Cette fois, c’est le monopole de la violence légitime par l’État qui fut mis en cause, et de façon large, comme l’atteste l’étendue et le caractère des émeutes, qui furent le fait non pas de petits groupes de « casseurs » mais, surtout, de fractions significatives de la jeunesse scolarisée, y compris celle issue des classes moyennes. Précisons également, que les rues des villes grecques non pas été simplement le théâtre d’émeutes mais également celui d’importantes manifestations de lycéens, d’étudiants et de travailleurs, certaines spontanées, d’autre à l’appel des partis de la gauche radicale et des syndicats, notamment lors de la grève générale (prévue depuis longtemps, mais maintenue) du 10 décembre. Les bâtiments publics, avant tout les postes de police, ont été encerclés, parfois même attaqués, de façon entièrement spontanée des dizaines de fois dans l’ensemble de pays. Des petites bourgades ou îles ont vu se dérouler des manifestations (en général lycéennes) pour la première fois de leur histoire, signe infaillible de l’ancrage profond de la révolte.
C’est ce rapport de force d’ensemble, très différent, par exemple, de celui de l’automne 2005 en France, qui explique l’attitude défensive, voire apeurée, du gouvernement face au déferlement de la colère populaire la semaine qui a suivi la mort du jeune lycéen, ainsi que son isolement politique. Les appels à la démission de la gauche radicale étaient, certes, attendus, malgré une attitude pour le moins ambiguë du KKE, qui paraît davantage préoccupé à polémiquer avec SYRIZA (accusé d’encourager les « casseurs »…) et à maintenir ses militants à distance des manifestations de masse, qu’à s’opposer au gouvernement. Il n’en reste pas moins que le PASOK, entièrement absent des mobilisations, a refusé son soutien au gouvernement et réclamé in fine lui aussi des élections anticipées. Il espère profiter de l’avantage que lui accordent les derniers sondages et faire jouer un réflexe de « vote utile », permettant de contenir la poussée de la gauche radicale et communiste.
Au moment où ces lignes sont écrites, la tournure que prendront les événements est entièrement ouverte. Une chose paraît cependant assurée : aux antipodes de l’archaïsme oriental dont on a voulu initialement l’affubler, la révolte grecque agit comme un révélateur puissant des tendances qui travaillent actuellement le monde capitaliste. Au croisement, d’un côté des dégâts cumulés des politiques néolibérales, et de leurs conséquences désintégratrices sur le système représentatif, mais aussi, de l’autre, de la mise en mouvement prolongée de secteurs sociaux et d’un « déverrouillage » partiel du jeu politique, elle indique les possibilités d’irruption directe des forces populaires sur le devant dans la scène.
Une histoire à la fois ancienne et nouvelle se joue devant nos yeux. Ce nouveau départ de l’insurrection est aussi le nôtre.
Paris, le 14 décembre 2008
Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 1 invité