Dieudonné : occupons-nous de nos libertés, pas de celle des fascistesDepuis plusieurs semaines, l’affaire Dieudonné fait grand bruit. Dans sa prétention à lutter contre le racisme, sous l’impulsion d’un Manuel Valls prompt à faire oublier ses propos contre les Roms, le gouvernement a décidé de passer à la sanction. L’article de Sujette Sensible, qui suit, remet quelques pendules à l’heure, précisant que la lutte contre le racisme, la xénophobie, l’antisémitisme, etc., n’est pas l’apanage de l’État républicain et de sa justice. Ni Patrie Ni Frontières.
Depuis des années, je regarde les meetings et les vidéos de Dieudonné et Soral. Horrifiée, en colère, humiliée aussi. Bien que la nostalgie n’ait aucune utilité politique, et bien que souvent on reconstruise le passé, même récent, je ne peux m’empêcher de penser aux réactions de colère qu’auraient déclenchées UNE seule de ces vidéos, « autrefois ». Autrefois, c’est à dire le temps où le néo-nazisme n’avait pas encore pris tout cet espace politique , partout en Europe. Autrefois, quand il n’y avait ni Aube Dorée, ni Breivik, ni Beppe Grillo, ni Dieudonné. Autrefois, quand on n’était pas obligés de voir des croix gammées dans la presse, au moins une fois par semaine sur une mosquée , sur une synagogue, sur un local de gauche. « Autrefois », il n’y a même pas dix ans.
Et puis, oh surprise, un jour, tout le monde parle de ça. Et plein de gens que tu ne savais pas si passionnés par la politique, s’indignent et s’émeuvent... qu’un néo-nazi se soit vu couper le sifflet quelques soirées.
Depuis hier soir, la République est en danger, le monde libre tremble, c’est 1984 qui frappe un peu en retard aux portes de nos maisons tranquilles.
Un néo-nazi n’a pas pu chanter contre les victimes de la Shoah. C’est grave. Ah bon ?
D’aucuns viennent doctement t’informer que c’est ta propre liberté d’expression qui est menacée, que toi non plus , « désormais » tu ne pourras plus manifester et t’exprimer comme tu le souhaites. Non, sérieux ?
L’année dernière, un collectif de sans-papiers avait décidé, chaque semaine, de manifester place de la Bastille. Manuel Valls dont le domicile se trouvait non loin, avait décidé que non. Aussi bien, pendant des semaines, les sans-papiers furent « encagés », comme on dit élégamment en argot policier, pendant des heures, chaque semaine. Souvent également, ils furent frappés, insultés, embarqués. Dans l’indifférence générale. Il est vrai que n’étant pas néo-nazis, ils n’étaient pas médiatiques. Il est vrai aussi qu’un certain conformisme dans l’expression politique prévaut souvent dans les mouvements de sans-papiers, qui ont rarement le sens de l’humour provocateur et décalé des néo-nazis modernes. Après tout, eussent-ils improvisé une version tektonik de « Maréchal nous voilà », en costume de la division Charlemagne, qu’on en eût parlé, et qu’il se serait sans doute alors trouvé de nobles voix pour protéger leur liberté d’expression.
Entendons-nous bien : personne n’est obligé de se mobiliser pour la liberté d’expression des sans-papiers, ni même de s’en inquiéter vaguement à l’apéro. Nous sommes en démocratie, chacun a le droit de considérer, de facto, que d’aucuns sont moins égaux que d’autres, qu’il faut s’y résigner, car on ne change pas le monde, ou y accorder quelques minutes d’attention émue, puis d’oublier
Mais quand une fièvre subite saisit tout ce petit monde, parce qu’un néo-nazi n’a pas eu le droit de chanter, quand c’est là que le grand mot de Liberté est invoqué, on est en droit de se demander qui est le plus hypocrite. Un Ministre de l’Intérieur , qui certes n’est pas dépourvu d’arrières pensées ambitieuses , et dont la posture antiraciste contraste effectivement avec ses pratiques habituelles, ou toute cette foule de belles âmes qui demain, laisseront les libertés bafouées , parce que c’est ainsi que le monde va ? Les deux sans doute.
Certes, comme beaucoup, j’aurais préféré que des milliers de personnes soient hier , dès le matin, devant le Zénith de Nantes pour en interdire l’accès aux néo-nazis. Certes, comme beaucoup, je ne crois pas que la petite claque donnée hier à un fasciste, va endiguer le flot du néo-fascisme, et encore moins faire de ce gouvernement, un organe de combat contre le racisme en général.
Mais enfin, il faudra m’expliquer quel malheur il y a eu hier soir pour la liberté, quand de pathétiques petits bruns sont rentrés chez eux, leur ananas défraîchi sous le bras, déconfits de n’avoir pu l’agiter en dansant gaiement sur la mémoire d’un génocide.
D’autant qu’on peut se rassurer, dès ce matin, sans doute, leur chef pondra une nouvelle vidéo, et quand bien même, l’inspiration un peu coupée par le trou creusé sur son compte en banque, il garderait le silence 24 heures, ils pourront se consoler, au choix, avec celles de Le Pen, de Zemmour ou de Soral, avec Fdesouche ou avec Egalité et Réconciliation.
On respire, on se calme, le fascisme est toujours là, la démocratie est sauvée.