Trop tôt pour faire un vrai bilan.
Je n’ai pas le temps de développer maintenant mais en deux mots, je voudrais faire partager ce point de vue partiel et provisoire.
1. Je pense que ce mouvement a failli sur son objectif. C’était en grande partie prévisible, mais une bonne surprise peut toujours arriver. Celle-ci n’a pas eu lieu. Cet échec peut s’expliquer par plein de raisons à commencer par le fait que cela n’a jamais été un mouvement de protestation à la hauteur de l’enjeu qu’il s’était fixé. Du monde dans les manifs (mais certainement jamais 3,5 millions de personnes !), des sondages parait-il favorables à ces protestations, mais pas un vrai mouvement social, très peu de monde dans de vrais rapports de force conduisant au blocage de l’économie. On en est resté à un mouvement d’opinion. En 1995, il y avait moins de manifestants dans les rues mais il y eut un vrai début de paralysation du pays. Pas en 2010 malgré les pénuries (partielles) de carburants dans les stations services.
2. Les mobilisations locales sous forme de blocages des dépôts et autres cibles économiques, n’ont ramené que des minorités étroites, un milieu militant élargi à une petite frange mobilisée et décidée à devenir des « militants de la lutte » : en moyenne de 200 à 400 personnes dans des métropoles régionales qui rassemblaient 60 000 ou 80 000 manifestants : on mesure là le gouffre entre les deux formes de manifestation, active et passive. Et tout cela additionné ne fait pas un mouvement (là où l’effet de masse doit jouer ou pas) suffisant pour mettre en difficulté le gouvernement et les entreprises, pour mettre l’Etat sur la défensive, pour rendre la situation quasiment ingouvernable et à partir de là “obliger” le gouvernement à revoir sa copie ou à la retirer.
3. Ces manifestations de rue à répétition ont accrédité l’idée que c’était déjà là une victoire : la plupart des syndicalistes étaient « heureux » du résultat, ils ne cessaient de se féliciter de voir tant de monde mobilisé derrière eux, répétant en boucle que le mouvement est populaire (sondages) et que donc tout allait bien, il fallait « simplement » que le gouvernement se débouche les oreilles et entende l’opinion. Entre naïveté, auto-intoxication, méthode Coué et réalisme, les syndicats savaient pertinemment où ils allaient : ne rien obtenir sur l’essentiel (parce que le gouvernement est « sourd » parait-il) mais exister cependant, plus et mieux, en terme de popularité, de notoriété, car ils sont engagés dans une bataille d’opinion, les uns vis-à-vis des autres, pour les futures élections syndicales de 2013 au terme desquelles ils seront reconnus ou non comme représentatifs, auront les budgets de fonctionnement proportionnels aux voix obtenues et le pouvoir symbolique correspondant.
4. Localement, les mobilisations sous forme de blocages et autres actions qui ont débordé le cadre établi des manifs plan-plan et saute-mouton ont sans doute modifié les rapports entres les différents milieux, syndicaux, politiques, etc. à l’échelle d’une ville. Cela va peut-être laisser des traces et faire bouger des lignes…Peut-être qu’à partir de là, va-t-il émerger des propositions visant à reconfigurer les modes et les espaces de la conflictualité sociale. Peut-être vont naître de nouvelles formes, organisations ou hypothèses politiques. Plus sur le « terrain », moins dans l’ « opinion », plus dans l’opposition au capitalisme, à l’Etat, que dans le recherche d’une représentativité et d’une connivence avec les règles du jeu social. De toute évidence, cela va laisser des traces quant à la perception, la compréhension, de la capacité de ce qui reste du « mouvement ouvrier » à être encore en mesure de s’opposer d’une quelconque manière aux reculs sociaux imposés par le capital pour (entre autre) réduire encore et toujours les coûts du travail et restaurer ses taux de profits.
5. Une fois de plus, c’est la CFDT qui semble mener le jeu, l’axe autour duquel va se définir la fin du conflit par l’ouverture de négociations avec le gouvernement et le patronat (sur l’emploi des jeunes et des seniors). Au-delà des protestations contre la position de la CFDT, qui aujourd’hui peut peser suffisamment pour proposer un autre scénario, d’autant que ces deux thèmes ont été les principaux arguments avancés par les opposants à la réforme des retraites ? A jouer avec des arguments consensuels (l’emploi), on en reçoit des contrecoups sous forme de boomerang : « parlons-en » a dit en substance la chef du patronat Parisot offrant la porte de sortie attendue.
6. Le mouvement n’est pas complètement terminé et donc il continue, mais au delà de cette lapalissade, il est clairement sur le déclin. Ce qui va se passer à partir de maintenant (derniers blocages, derniers sites en grève, manifs et actions diverses…) aura plutôt une importance pour le futur immédiat que sur cette bataille de retraites qui apparaît aujourd’hui – sauf ultime, divine et improbable surprise – comme une défaite sociale de plus. Les manières dont les différents syndicats vont aborder cette fin de conflit sont relativement secondaires. Dans la forme, il y aura quelques différences, les uns (comme la CFDT mais pas seulement) actant la fin de la lutte et l’ouverture de négociations sur les sujets déjà abordés, les autres par des attitudes et des déclarations, dont la CGT est coutumière, vont enterrer le mouvement en annonçant bien sûr que la lutte se poursuivra mais selon d’autres modalités. On sait à quoi s’en tenir, avec baroud d’honneur en deux temps (jeudi 28 et samedi 6 novembre) et campagne d’adhésion.
7. L’histoire, la vie et les luttes continuent.
Franck
le 26 octobre
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