Liquidation de Virgin Mégastore : 6 mois de lutte pour arracher un peu de dignité.
Juin 2013 : les 26 magasins sont fermés, l’entreprise est liquidée et près de 1.000 salarié-es ont été licenciés dans les jours qui suivent. Résumée comme cela, la résistance acharnée du personnel de Virgin Mégastore, depuis décembre 2012, ressemble à un échec mais pourtant...
Le contexte :
Comment en est-on arrivé là ? Les commentateurs ont pointé du doigt les transformations de nos marchés et l’absence d’adaptation nécessaire, la flambée des loyers mais aussi la mauvaise gestion de nos dirigeants et actionnaires successifs alors que, dès 2009, les magasins de Londres et de New York fermaient eux leurs portes.
A SUD, nous ne sommes malheureusement pas surpris de ce triste dénouement. Ainsi, en 2010, nous écrivions, à l’occasion de la fermeture du magasin de Mérignac : « Pour nous, il est clair que ce nouveau plan social a valeur de test : test de la crédibilité de notre CE à défendre le personnel, test de la volonté des syndicats de l’enseigne à vouloir en découdre, test de la combativité du personnel face à la menace de licenciement. ». Et, en avril 2012, lors de l’audience en annulation du plan « social » de Metz/Toulouse et après la fuite relative au projet de fermeture du magasin des Champs Elysées, nous déclarions : « Face au chantage de la mise en liquidation de l’enseigne émanant de notre actionnaire et à l’annonce de fermetures imminentes, nous appelons les collègues de Metz et de Toulouse à monter ce jour à Paris, en sollicitant l’aide du CE et des municipalités concernées pour ce faire : c’est de votre avenir qu’il s’agit ! Nous appelons également ceux des Champs, toujours menacé de fermeture, ainsi que les autres magasins franciliens à y participer : le sort réservé aux milliers de travailleurs du SERNAM, lâchés par Butler, nous n’en voulons pas ! » Un appel à notre initiative, suivi de la venue des seuls délégué-es au tribunal qui a cependant repoussé les fermetures en question.
La ligne des syndicats majoritaires n’est pas exempt de responsabilité dans cette situation : la CGT, qui pèse plus de 30 % des voix, et dirige le Comité d’Entreprise, donne, sans succès, des leçons de « bonne gestion » aux différents dirigeants, conjointement avec FO, représentatif de l’encadrement intermédiaire ; la CFTC elle est cantonnée au magasin de Marseille et la CGC, première organisation chez les cadres, a une représentation restreinte. Il aura fallu attendre 2012 pour que le CE use pleinement de ses prérogatives dont celle d’ester en justice et ce sous notre impulsion.
Enfin, la dernière mobilisation notable du personnel remonte à 2008 à l’occasion de la négociation salariale et de nombreux magasins en régions étaient dépourvus non seulement d’implantation syndicale mais y compris de délégué-es du personnel, conséquence d’une ambiance le plus souvent paternaliste.
Le déroulement de la lutte :
Le redressement judiciaire :
Le 19 décembre 2012, la direction annonce au CE vouloir céder le bail du magasin emblématique des Champs Elysées, ouvert en 1988, qui compte 184 salarié-es et pèse environ 20 % du chiffre d’affaires de l’enseigne, sans aucune considération sur les conséquences sociales d’un tel projet. Non seulement le CE le rejette catégoriquement mais, dès le 29 décembre, un premier débrayage rassemble 80 % de l’effectif, rejoint par des délégué-es d’autres établissements franciliens.
Le 4 janvier 2013, l’annonce de la cessation de paiement de Virgin se répand comme une trainée de poudre en interne et dans les médias.
Le 9 janvier, c’est près de 400 virginiens d’Ile-de-France, rejoints par des militant-es syndicaux et politiques, qui envahissent le magasin des Champs soit la plus grosse mobilisation de salarié-es du commerce depuis une dizaine d’années. En Province, quasiment tous les sites sont touchés par des débrayages qui suscitent aussi l’intérêt de la presse locale.
Le 29 janvier, c’est près de 600 salarié-es de toute la France qui défilent des Champs, où la jonction s’opère avec d’autres entreprises en lutte comme PSA, jusqu’au siège de Butler, l’actionnaire principal de Virgin. Ce dernier est obligé de recevoir en personne une délégation face à l’hallali médiatique suscitée par le risque de disparition d’une enseigne qui demeure populaire et la force de la mobilisation.
Le 30 avril, c’est encore 200 personnes qui défilent des Champs au siège de Lagardère, l’actionnaire historique (une délégation est également reçue).
À la recherche d’un repreneur : Le 5 avril sont déposés auprès du tribunal de commerce les premières offres de reprise : aucun projet global n’émerge excepté celui porté par Rougier & Plé, enseigne spécialisée dans les loisirs créatifs, qui sauvegarde au mieux un tiers des magasins et des emplois. Las, Rougier jette l’éponge le 17 mai faute d’accord de plusieurs bailleurs des établissements concernés.
Cette déconvenue, ajoutée aux soldes décidés par l’administrateur judiciaire, ont pour seul vertu de remobiliser tous ceux qui pensaient Virgin sauvé : à partir du 13 mai, les magasins sont rapidement pillés, en particulier le numérique, en quelques jours par des hordes de clients au comportement le plus souvent infâme, rappelant que, pour nos patrons affairer à leur avenir (cf. révélations de Médiapart en juin 2013), il s’agit d’utiliser au mieux notre force de travail jusqu’au bout.
A noter également l’engagement de Madame Filipetti, Ministre de la Culture, qui déclarait, en janvier 2013 : « Le gouvernement sera entièrement mobilisé pour aider à retrouver un éventuel repreneur et pour suivre au cas par cas la situation de chaque magasin et de chaque salarié. » On connait la suite... Le soutien, plus ou moins appuyé, d’une dizaine de Maires des villes concernées vient contrebalancer cette absence de volonté politique de sauver l’entreprise mais il est clair que nous ne pouvons alors plus compter que sur nous-même.
Pour un PSE digne :
La lutte se radicalise d’abord avec l’envahissement du siège de Butler le 23 mai, contraint de mettre la main au portefeuille pour réparer les pots cassés, puis de Lagardère le 10 juin qui ne concédera lui rien de plus que quelques dizaines d’offres de reclassement au sein de son Groupe, se réfugiant derrière son statut d’actionnaire minoritaire.
Lentement mais sûrement, le financement de l’inévitable PSE se construit, passant de 1,5 millions d’euros budgété en janvier à 8 millions début juin et quelques semaines de sursis sont gagnées auprès du tribunal de commerce le temps, pour ce dernier, d’examiner les nouvelles offres de reprise émanant de Cultura, enseigne concurrente, pour seulement deux magasins (Avignon et Marseille) et de Vivarte, spécialisé dans l’habillement, offres finalement retoquées.
C’est l’occupation de 8 magasins (Avignon, Barbès, Champs, Dunkerque, Grands Boulevards, Plan de Campagne, Rouen et Strasbourg), à partir du 11 juin, qui constitue le tournant de la lutte, faisant oublier la liquidation prononcée sans surprise le 17 juin 2013. Dès le 20 juin, un accord de fin de conflit satisfaisant intégralement aux revendications de l’intersyndicale est signé avec la liquidatrice, désormais seule maître à bord, et Butler qui contribue finalement à hauteur de 2,5 millions d’euros au PSE ; Les collègues évacuent eux le lendemain les magasins occupés sous les bravos.
Le PSE pèse 15 millions d’euros et contient les mesures notables suivantes : - suivi par un cabinet reclassement pendant un an,
- portabilité totale de la mutuelle sur 9 mois,
- budget formation mutualisé avec au minimum 4.000 € par personne,
- doublement de l’indemnité conventionnelle de licenciement qui ne peut être inférieure à 2.000 €, un montant majoré de 3.000 €.
La lutte a indiscutablement payé (les salarié-es du PSE de 2012, qui avaient obtenu des mesures analogues à une date où Virgin était encore in bonis, se sont vu eux bloqués leur indemnisation complémentaire par l’administrateur) mais la situation reste fragile : selon le cabinet Syndex, 58 % des employé-es risquent de se retrouver sous le seuil de pauvreté d’ici un an à l’issue du CSP.
Notre action :
En pointant les premiers la nécessité de « nationaliser » la lutte et en préparant activement manifestations et actions, nous avons indiscutablement contribué à son succès en dépit de notre petit nombre de militant-es.
Nous avons encouragé l’auto-organisation du personnel dès le début du mouvement mais il aura fallu attendre l’occupation pour que celle-ci s’impose (organisation de manifestations locales, mise en place de caisses de grève etc.) car jusque-là se tenait sur Paris, chaque jeudi ou presque, une assemblée générale dont la participation s’est vite limitée à l’intersyndicale et aux représentants de leur Fédérations ; les salarié-es étant eux tenus régulièrement informé par tract et une page Facebook créée pour l’occasion.
Lors de l’occupation elle-même, nous avons pris soin des corps (prêt de duvets par le DAL) et des esprits (spectacles de la Compagnie Jolie Môme puis d’Audrey Vernon et venue de personnalités politiques et syndicales aux Champs).
Enfin, plusieurs Solidaires locaux concernés, à commencer par Paris, ont aidé sur le plan logistique, le Secrétariat National a contribué lui au rayonnement de la lutte et SUD Commerce a, entre autre, géré les transports en régions : qu’il en soit tous remercié ! La CGT s’est elle appuyée sur son réseau d’unions locales.
Les perspectives :
- GMS : plus de 150 employé-es de cette société sous-traitante de Virgin Mobile ont perdu leur emploi par la même occasion, se faisant duper par leur direction et leurs représentant-es. Nous avons mis en avant ces oublié-es du PSE en organisant une action à leurs côtés, le 4 juillet dernier, avec la participation de la CGT Virgin et de non-syndiqué-es ; plusieurs actions prud’homales sont également prévues.
- Le comité de suivi du PSE : nous avons 4 représentants dans cette instance, dont le représentant des salariés, chargé de suivre les différents reclassements et formations.
- L’association : le 12 septembre se tiendra l’assemblée constitutive des Gilets Rouges. L’association a pour objet d’entretenir les liens forgés entre les ex-salarié-es du Groupe Virgin, à l’exception de ses dirigeant-es, tant pendant ses 25 ans d’activité que lors de la lutte contre la liquidation de l’enseigne, de développer un réseau de retour à l’emploi et d’avoir un rôle d’accompagnement social envers ses membres. A ce sujet, nous déplorons que le CE ait préféré, après une décision tronquée, offrir de nouveau des chèques cadeaux plutôt que de contribuer, comme la loi le lui permet, au lancement d’une telle association.
- Notre branche d’activité : le 17 septembre est prévue une rencontre avec les autres syndicats Solidaires concernés (Fnac, Amazon etc.) pour réfléchir à quoi faire pour éviter que notre funeste expérience ne se reproduise.
- Les magasins : un projet de reprise en SCOP du magasin de Marseille est à l’étude et la municipalité, propriétaire du bail, espère ressusciter celui de Barbés après les municipales. Il faut aussi surveiller ce qu’il advient des autres magasins pour y susciter des embauches d’ex-virginiens.
- Notre syndicat : crée en 2006 pour renouveler l’offre syndicale chez Virgin, nous avons, à travers nos combat contre les licenciements dont ceux des Grands Boulevards et contre les ouvertures à rallonge, susciter souvent l’incompréhension, voir l’hostilité d’une partie du personnel et des autres syndicats. Nous attendons confiant le jugement du TGI, saisi par nos soins, sur notre convention interne, en particulier sur la question des heures complémentaires qui pourrait déboucher sur la requalification de temps partiel à temps plein de nombreux contrat s de travail, ouvrant ainsi la voie au recalcul des indemnités de départ... Pour caractériser ces derniers mois, qui furent à la fois terribles et passionnants, nous retiendrons la citation de Mark Twain, reprise par nos collègues d’Avignon et le cri de ralliement de ceux de Rouen : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » et « Banzai ! ».
Sud Commerce