No comment. Pas un mot. Pas de confirmation. Bouche cousue.
Ni l’armée, ni le gouvernement israélien ne souhaitent commenter les informations d’hier sur un probable raid aérien mené plus tôt à l’aube par les F15 et les F16 de l’état hébreu en territoire syrien.
La presse israélienne, soumise à la censure militaire, se voit contrainte de citer des journaux étrangers pour évoquer ce ou ces raid(s). Il(s) aurai(en)t visé, selon le régime de Damas, un centre de préparation militaire situé en banlieue de la capitale syrienne. D’autres sources évoquent la destruction d’un convoi d’armement (sans doute des missiles SA-17) qui s’apprêtait à franchir la frontière libanaise, et qui aurait pu terminer aux mains du Hezbollah.
Il faudra des mois, peut-être des années pour savoir précisément ce qui s’est passé hier matin et de quelle manière l’aviation israélienne a pénétré en territoire syrien, et avec quels objectifs. Ainsi, les autorités israéliennes n’ont encore jamais commenté le bombardement en 2007 de l’installation nucléaire d’al-Kibar dans le nord de la Syrie. Or, il y a quelques mois, le magazine américaine New Yorker, publiait une enquête formidable sur le déroulé de cette opération de 2007. A la relecture de cet article de David Makovsky, on imagine mieux comment la décision d’envoyer des avions au-dessus de la Syrie a été prise il y a un peu plus de 48 heures par le gouvernement et l’état major israélien. Cet article avait été évoqué et résumé sur ce blog. Papier publié le 11 septembre 2011 :
…/… le magazine américain New Yorker raconte comment l’état hébreu a décidé il y a cinq ans, en 2007, de bombarder une mystérieuse installation nucléaire située dans le nord-ouest de la Syrie. L’opération a jusqu’ici été tenue secrète et jamais commenté par des officiels israéliens, même si tout le monde s’accorde sur le fait que ce sont bien des F16 israéliens qui ont détruit le site d’al-Kibar. Dans ses mémoires, le président Bush avait même évoqué cette opération. En Israël en revanche, elle est toujours soumise à la censure militaire.
Ce qui est nouveau et absolument passionnant dans cet article de David Makovsky (ancien correspondant politique du Haaretz et du Jerusalem Post, aujourd’hui membre du Washington Institute for Near East Policy), c’est que l’auteur raconte comment les israéliens ont découvert l’existence de ce site d’al-Kibar, comment cette attaque a été décidée, par qui, et pour quelles raisons. Il reconstitue enfin avec brio le déroulement de l’opération militaire. Ce long papier se lit comme un roman d’espionnage. En voici un rapide résumé.
Selon le New Yorker, l’état hébreu suspecte dès la fin de l’année 2006 le régime syrien de s’être lancé dans la fabrication d’un programme nucléaire. A l’époque, les services de renseignement font état d’un mystérieux bâtiment en construction dan la région de Deir-Al-Zour. Le 7 mars 2007, à Vienne en Autriche, des agents du Mossad parviennent à pénétrer à l’intérieur de l’appartement d’Ibrahim Othman, qui n’est autre que le patron de l’agence atomique syrienne. Othman est à Vienne pour prendre part à une réunion de l’AIEA. Les agents israéliens s’introduisent chez lui, sans aucune trace d’effraction, copient le disque dur de son ordinateur, et y trouvent une douzaine de photos en couleur du site suspect. Selon Makovsky, on voit clairement sur ces images des ouvriers nord-coréens, ce qui confirmerait que Pyongyang est en train d’aider Damas à construire un réacteur nucléaire. Les agents du Mossad en tirent la conclusion que la seule raison d’être de cette installation, située près des frontières turques et irakiennes, est de fabriquer une bombe atomique.
Dès le lendemain, le patron du Mossad Meir Dagan vient rendre compte au premier ministre de l’époque Ehud Olmert. Et il insiste : « il faut agir vite, plus nous attendons, plus nous prenons le risque en cas d’attaque de contaminer le fleuve Euphrate tout proche, avec des substances radioactives ». Le chef du gouvernement israélien lance alors toute une série de consultations. Chez lui, à sa résidence, plutôt que dans son bureau de premier ministre, pour ne pas attirer l’attention. Il prend aussi l’avis de ses prédécesseurs : Peres, Netanyahu, et Barak. Les chefs des différents services de renseignement sont aussi consultés. Une réunion a lieu chaque vendredi, dans le plus grand secret.
Le 18 avril 2007, selon le New Yorker, Israël décide d’informer la Maison Blanche. Rapidement, les experts américains semblent persuadés que les documents et photos présentés par le Mossad sont authentiques. Et c’est le message qu’ils font passer au président des Etats-Unis Georges W. Bush.
Dans les semaines qui suivent, Olmert tente à plusieurs reprises de convaincre Bush et son vice-président Cheney, de mener l’opération militaire contre le site syrien. « Sinon, menace-t-il, Israël devra y aller seul ».
Le 13 juillet, Bush téléphone à Olmert et lui fait savoir que si son administration décide d’aller bombarder la Syrie, elle devra d’abord en informer le congrès US et expliquer qu’elle se fonde, pour prendre cette décision, sur des informations émanant des services de renseignements israéliens. L’état hébreu tient-il vraiment à ce que tout ceci soit rendu public ?
Pendant ce temps là, à Tel-Aviv, l’état-major commence à échafauder des plans pour une éventuelle attaque. Les israéliens misent sur le fait que si l’opération militaire est rapide et discrète, Bachar Al Assad ne répondra pas militairement, car il ne voudra pas reconnaître qu’il était en train de développer un programme nucléaire.
Au même moment, des forces spéciales israéliennes sont déjà entrées clandestinement dans le nord de la Syrie, effectuent des prélèvements du sol à proximité du site, et photographient les installations à moins de 1500 mètres.
Dans le courant de l’été, Ehud Barak remplace Amir Peretz au poste de ministre de la Défense. Dans les semaines qui suivent, pas moins de six réunions du cabinet israélien sont consacrées à ce sujet.
Le 1er septembre 2007, l’aide de camp d’Ehud Olmert informe la Maison Blanche que l’aviation israélienne est prête pour une attaque.
Le 5 septembre, dernière délibération du cabinet de sécurité. A un ministre près, le cabinet vote pour une opération militaire.
Aux alentours de minuit, quatre avions F16 et quatre avions F15 décollent de la base militaire de Ramat David dans le nord d’Israël. Les appareils survolent les cotés méditerranéennes, puis longent la frontière turco-syrienne. Olmert, Barak et Tzipi Livni suivent toute l’opération depuis le quartier général de l’armée à Tel-Aviv. Peu avant une heure du matin, les pilotes déclenchent l’opération qui porte le nom de code « Arizona ». 17 tonnes de bombes sont larguées sur le site d’al-Kibar. On estime que 10 à 35 ouvriers sont tués dans l’explosion.
Quelques minutes plus tard, Olmert appelle Bush : « juste pour vous dire que quelque chose qui existait n’existe plus ».