çà m'interesserait de connaître des avis là dessus, même celui de luco qui pose des questions en semblant avoir quelques réponses mais en semblant tourner autour du pot.
Désolé si je donne l'impression de tourner autour du pot
volontairement. Car ce n'est pas le cas.
Je l'ai écrit dans d'autres fils sur ce forum, il y a déjà quelques temps de ça, mais je suis dans la mouvance libertaire/EG depuis assez longtemps.
Et j'ai commencé à lire le ML, Réflexes, Lutter, Agora, Courant Alternatif... (et le canard de LO
!) au lycée. Et plus tard Quilombo, No Pasaran, etc. Et j'ai toujours ressenti un grand manque de clarté stratégique, un manque d'unité (mais ça c'est moins grave), et même surtout une absence de discussion approfondie sur ces questions :
c'est quand et comment qu'on va où ? (sauf le projet UTCL/AL auquel qui m'a toujours paru assez clair. une tentative en tous cas de synthétiser des expériences passées et de formaliser une stratégie).
L'activisme, la lutte, la critique des autres courants (réformistes et "autoritaires"), les résistances,
bien que toutes nécessaires, servant souvent à
masquer l'absence de projet propre, de propositions constructives alternatives.
Par comparaison, la question de la nécessité de la révolution et de la stratégie pour y parvenir est au cœur du militantisme et de la formation des militants marxistes révolutionnaires.
Devant ce vide relatif, on finit par se demander
s'il y a une réelle volonté d'aller vers une rupture révolutionnaire de la part des libertaires (alors même que l'imaginaire anarchiste/libertaire, de la part de ses partisans, détracteurs ou spectateurs est associé à l'idée de révolution, de changement radical...). Et est-ce que certains libertaires ou courants contemporains n’ont pas en fait
« changé de projet » (voire abandonner), mais sans le dire vraiment, sans le théoriser etc…?Et peu à peu, au hasard des lectures, biographiques, historiques, militantes... je suis tombé sur ces "indices" qui montraient que certains penseurs libertaires, et pas des moindres, avaient évolué, plus ou moins publiquement, souvent tardivement vers des positions qui semblent assez réformistes, en tous cas qui remettaient en cause l'idée d'une rupture brutale, et qui aussi avaient reconnu les apports positifs de la démocratie bourgeoise (comparée au danger mortel des totalitarismes des "socialisme réel").
Et comme Piéro, ça m’a d’abord fait dressé les cheveux sur la tête. Mais comme ces réflexions faisaient aussi écho à des doutes personnels et à des évènements et théorisations récentes (principalement l’expérience Zapatiste, les idées d’Holloway…), je les ai réexaminées.
J’essaie donc juste de creuser ces pistes.
A partir de bases très simples :
-
le capitalisme, le monde de la marchandise, de la compétition, et donc du productivisme (sous-produit nécessaire du processus d’accumulation du capital)
demeure plus que jamais un système mortifère, une violence anti-sociale, inégalitaire, et une impasse écologique, qui nécessite pour se perpétuer la multiplication des politiques sécuritaires et de contrôle individuel et collectif.
-
les expériences des « socialismes réels », quels que soient leurs points de départ (révolution, guerilla, lutte de libération nationale…) ont échoué. La planification de la production (même démocratique) nécessite un certain degré de centralisation et de spécialisation qui aboutit aussi à la centralisation politique (voir les travaux de Socialisme ou Barbarie, ou de Gorz sur ces questions).
Elle ne favorise pas plus la liberté individuelle et collective que le capitalisme privé (et encore moins l'égalité)- L
’irruption directe des travailleurs, des habitants, dans la gestion de leur vie quotidienne et économique
est nécessaire, irremplaçable comme outils de lutte, de démocratisation, de contrôle et de nouvelles institutions démocratiques. Mais les expériences de démocratie directe, de conseils, n’ont jamais été pérennes dans le temps.
- L’idée que les gens puissent passer leur temps à autogérer directement et en permanence tous les aspects de leur quotidien, dans des sociétés aussi complexes et interdépendantes au niveau mondial que les nôtre me paraît une illusion, même en imaginant un degrés important de décentralisation.
Ce que j’en tire comme intuitions (ça ne va pas bien loin et ça tourne toujours autour du pot) :
Au niveau économique :
- il ne me paraît ni possible, ni souhaitable de planifier totalement l’économie et donc il faut que des espaces d’échanges marchands et de propriété privée soient maintenus. Ce qui plaide à mon avis pour
un socialisme de bricolage empirique qui toujours soumet les formes économiques aux fins qui sont les nôtres : égalité & liberté, non domination, solidarité.
- Donc un
système d’économie mixte(entreprises ou branches socialisées à l’échelon territorial pertinent, services publics, coopératives, tiers secteurs, privé…) mais au service de l’intérêt du plus grand nombre (ce qui est l’inverse de l’économie mixte de la sociale démocratie qui est essentiellement au service du status quo social au profit des intérêts privés).
Au niveau politique :
- certains aspects de la démocratie bourgeoise sont à conserver : pluralisme, séparation des pouvoirs, droits individuels fondamentaux mais aussi un certain degré de délégation de pouvoir et l’utilisation de la représentation par le suffrage universel pour un certain nombre de questions, de domaines…
- Donc
un système démocratique mixte qui élargit le champ de la démocratie directe et de l’autogestion tout en conservant une part de délégation. Comment se prononcer face aux grands défis comme l’écologie et le changement climatique par exemple ? Je ne vois pas comment la solution pourrait sortir d’un empilement de conseils d’usines ou de quartier. Il y a des questions auxquelles chacun doit pouvoir répondre en son nom propre, trancher de grandes orientations.
Au niveau stratégique (pour en revenir au titre du fil) :
- D’abord je partage plutôt ce qu’a dit Piéro plus haut en réponse à P’tit Mat, c’est à dire la nécessité de l’existence plurielle d’orgas, de syndicats, d’assos de lutte, d’ag… pour élargir au maximum les processus démocratiques.
Le syndicat unique, comme le parti unique me semble
une réponse totalement inadaptée et lourde de dangers futurs.
Au point où nous en sommes :
-
La prise de pouvoir (type léniniste) même à la faveur d’un grand mouvement social, dans les conditions actuelles, serait
rapidement une impasse. Les peuples pourraient très bien être suffisamment en colère face à la situation actuelle pour aller à l’affrontement révolutionnaire, mais cela ne signifierait absolument pas qu’ils adhèrent au projet d’un système socialiste planifié et autogéré et encore moins qu’ils seraient préparés à prendre en main cette nouvelle organisation sociale.
- Donc l’hypothèse de
la construction patiente de contre-modèles partiels, économiques et politiques, libérés au maximum des échanges marchands et des rapports de domination, spécialisation… doit être explorée de manière sérieuse
et plus systématique (c’est à dire théorisée, synthétisée, orientée, organisée à partir d’un projet de société égalitaire et libertaire…). Par les syndicats libertaires, les assos de lutte, les collectifs, les orags spécifiques…
Ce processus provisoire qui peut-être considéré comme réformiste radical, serait en l’état plus
une radicalisation de la démocratie, un approfondissement/élargissement de celle-ci, dans ses entrailles mêmes, plutôt qu’une rupture radicale.
Une accumulation de force, conflictuelle, qui interagirait de manière conflictuelle et parfois violente, avec la démocratie bourgeoise en pesant sur ses contradictions internes, sur l’écart entre ses promesses et sa réalité. Construire un autre rapport de force en faveur du plus grand nombre pour imposer la défense et l’extension des services publics existant, socialiser sans attendre le grand soir insurrectionnel ou électoral certains secteurs stratégiques pour le développement social (local, régional, national, continental,…), obtenir une législation favorable aux coopératives, des programmes scolaires ou de formation professionnelle promouvant la coopération, l’autogestion etc.
En espérant qu’un jour
ces changements quantitatifs (ces embryons de socialisme libertaire) en notre faveur puissent permettre
un saut qualitatif, une rupture plus générale d’avec le système capitaliste marchand.
Et donc, explorer plus systématiquement
la partie constructive du projet libertaire, mais toujours avec les mêmes outils de lutte qui sont ceux de
l’action directe des opprimés eux-mêmes.
Je vous l’avais dit, c’est un peu long, mais ça reste pauvre. Et c’est involontaire.
Je reviendrai ailleurs sur ce que je comprends de l'expérience zapatiste.