Congrès international antiautoritaire de St Imier et suite

Congrès international antiautoritaire de St Imier et suite

Messagede Pïérô » 18 Juil 2012, 00:04

Une page d'Histoire avant de remettre le couvert en rencontre internationale de l'anarchisme, à St-Imier du 8 au 12 aout 2012 :
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L’AIT anti-autoritaire et la rupture avec le bakouninisme

En guise d’introduction

En août 2012 aura lieu une rencontre internationale à Saint-Imier, en Suisse, pour célébrer le 140e anniversaire du congrès de Saint-Imier qui a scellé la rupture avec une Association internationale des travailleurs que Marx, Engels et leurs amis avaient vidée de leur substance, et la naissance de l’Internationale dite « auti-autoritaire ». Le texte qui suit est le début d’un ouvrage que René Berthier a écrit pour la circonstance, et qui est destiné à rendre compte de cette partie de l’histoire du mouvement ouvrier international qui a trop longtemps été passée sous silence.
Nous ne pouvons encore affirmer que l’ensemble du document passera sous forme de « feuilleton » dans Le Monde libertaire : nous n’en livrons ici que le début. Mais les lecteurs du journal peuvent tenter leur chance en allant sur le site de l’organisation de la rencontre : le « feuilleton » a des chances de s’y trouver prochainement.
On verra ainsi que l’Internationale « anti-autoritaire » n’est pas une nouvelle internationale : le congrès de Saint-Imier ne fait que reprendre la suite de la numération des congrès précédents. C’est donc la même organisation. Ce ne sont pas les « anti-autoritaires » qui ont scissionné : c’est la bureaucratie dirigeante de l’AIT qui s’est auto-dissoute suite à la dénonciation unanime de toutes les fédérations de l’Internationale des décisions du congrès de La Haye tenu en septembre 1872.
On apprendra que la tentative faite par les scissionnistes Marx et Engels de récupérer la direction de l’Internationale échoua de manière si magistrale qu’ils n’en publièrent même pas le compte rendu.
On apprendra que malgré la propagande marxiste, il n’y eut jamais de fédération allemande de l’AIT, et que de l’aveu même du journal social-démocrate allemand, aucune cotisation ne fut famais versée.
On apprendra que malgré les manœuvres bureaucratiques des dirigeants socialistes allemands contre Bakounine, James Guillaume et les anti-autoritaires, ces derniers tentèrent à plusieurs reprises d’opérer des rapprochements avec les socialistes allemands – tentatives que les dirigeants allemands traitèrent par le mépris.
C’est donc à une « anti-histoire » de l’AIT que nous aurons affaire, une histoire qui va à contre-courant de tout ce qui a pu circuler jusqu’à présent, et que malheureusement les libertaires eux-mêmes ont parfois « avalée ».
Mais on verra aussi que le travail de René Berthier est, également, dénué de complaisance envers le mouvement libertaire lui-même… En montrant, par exemple, que l’AIT anti-autoritaire ayant rompu avec les principes du bakouninisme, elle a peut-être précipté sa perte.
La question de l’organisation du mouvement ouvrier s’est cristallisée dans ce qu’on a appelé le « débat » Marx-Bakounine, qui n’a jamais été un débat, en tout cas pas au sens où deux adversaires exposent loyalement leurs positions de manière contradictoire. Le « débat » Bakounine-Marx s’est soldé ainsi : Bakounine, James Guillaume, la Fédération jurassienne puis la presque totalité du mouvement ouvrier organisé de l’époque ont été exclus de l’Association internationale des travailleurs par Marx, Engels et leurs amis à la suite de manœuvres bureaucratiques qui sont un modèle du genre.
Selon Georges Haupt, le refus de Marx d’engager le débat doctrinal avec Bakounine « est avant tout d’ordre tactique. Tout l’effort de Marx tend en effet à minimiser Bakounine, à dénier toute consistance théorique à son rival. Il refuse de reconnaître le système de pensée de Bakounine, non parce qu’il dénie sa consistance, comme il l’affirme péremptoirement, mais parce que Marx cherche ainsi à le discréditer et à le réduire aux dimensions de chef de secte et de conspirateur de type ancien 1 ».
Les discours hagiographiques et dogmatiques des théoriciens marxistes et de ceux qui les répètent par cœur, sur les « glorieux dirigeants du prolétariat international », ont efficacement masqué la réalité. Une fois connue la réalité dans sa crudité, les théorisations qui en ont été faites apparaissent pour ce qu’elles sont : des impostures.
La confrontation entre bakouninistes et marxistes dans l’Internationale prit, on l’oublie parfois, un caractère « institutionnel » à travers des interprétations divergentes des statuts. Ceux-ci affirment que « l’émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ». Une telle rédaction convient tout à fait aux bakouniniens, mais pas à Marx, qui a pourtant rédigé le texte. Pendant les années qui vont suivre la création de l’Internationale, les bakouniniens vont s’accrocher à cette formulation, que Marx de son côté va tenter de modifier.
Certes, l’Adresse inaugurale, rédigée également par Marx, affirme que « la conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière » ; mais ce document n’a fait l’objet d’aucun vote. Pourtant, les marxistes vont considérer comme acquise la question de la conquête du pouvoir. L’Adresse inaugurale aura pour eux valeur statutaire alors même qu’elle n’est perçue par les militants de l’époque que l’expression du point de vue de son auteur.

Le comité de rédaction du Monde libertaire



La rupture Marx-Bakounine

Vers 1860 la nécessité de constituer une organisation ouvrière internationale devient évidente à de nombreux militants. L’initiative de créer cette organisation revient à deux groupes d’ouvriers impliqués dans les luttes dans leurs pays respectifs : un groupe de dirigeants syndicalistes anglais et un groupe de mutuellistes proudhoniens français.
Les Anglais. La classe ouvrière anglaise était puissamment organisée sur le plan syndical. En 1859, une grande grève des ouvriers du bâtiment de Londres avait confronté les dirigeants syndicaux à la nécessité pratique de la solidarité avec le mouvement ouvrier du continent pour empêcher l’embauche des briseurs de grève.
Les Français. Le mouvement ouvrier français avait subi une féroce répression après la révolution de 1848 et l’instauration du régime impérial de Napoléon III. En 1861 a lieu une retentissante grève des typographes parisiens. Une nouvelle génération de militants était apparue, influencée par les thèses proudhoniennes et préconisant l’association ouvrière, l’organisation de coopératives, le crédit mutuel 2.
En 1862, à l’occasion de l’exposition universelle de Londres, une délégation de 340 ouvriers français se rend dans la capitale britannique et noue des relations avec des syndicalistes anglais afin d’examiner les progrès économiques et techniques accomplis au cours des années écoulées. Les travailleurs anglais profitent de l’occasion pour proposer un rapprochement avec leurs camarades français. Des relations suivies s’établissent dès lors des deux côtés de la Manche. Les ouvriers français sont émerveillés par le niveau d’organisation de leurs camarades d’outre-Manche.
En 1863, les syndicalistes anglais invitent leurs camarades français à l’occasion d’une manifestation en faveur de l’indépendance de la Pologne. De grands meetings sont organisés. À la même époque, les travailleurs allemands s’organisent autour de Ferdinand Lassalle, un chef énergique. Les ouvriers italiens tentent de s’unir. En 1863, Garibaldi avait été reçu avec enthousiasme par les trade-unionistes britanniques. Il y avait donc alors une réelle effervescence en Europe.
Le 22 juillet 1864, un meeting réunit les principaux dirigeants syndicaux de Londres et six ouvriers français. Le lendemain, les Anglais accueillent les Français dans une réunion restreinte où sont jetées les bases d’une entente. L’Association internationale des travailleurs est définitivement constituée au cours d’un voyage que Tolain et Perrachon, accompagnés du Limousin Passementier, font à Londres en septembre 1864. Le 29 septembre 1864, lors d’une réunion à Saint Martin’s Hall, l’AIT est constituée officiellement. Le projet français de créer des sections en Europe reliées par un comité central, qu’on nommera Conseil général, est approuvé. Citant un des signataires du Manifeste des Soixante, James Guillaume écrit avec quelque raison que l’Internationale fut « un enfant né dans les ateliers de Paris et mis en nourrice à Londres 3 ». L’Anglais Odger est nommé président du Conseil général.
La nouvelle organisation, essentiellement franco-anglaise, intègre cependant des émigrés polonais, allemands, italiens. Un comité provisoire, auquel se joint Marx, Jung, Eccarius, est chargé de rédiger les statuts de l’organisation. Contrairement au discours hagiographique des historiens officiels du marxisme, l’Internationale ne fut en rien une création de Marx, qui resta totalement étranger aux travaux préparatoires qui eurent lieu entre 1862 et 1864. « Il s’est joint à l’Internationale au moment où l’initiative des ouvriers anglais et français venait de la créer. Comme le coucou, il est venu pondre son œuf dans un nid qui n’était pas le sien. Son dessein a été, dès le premier jour, de faire de la grande organisation ouvrière l’instrument de ses vues personnelles 4. » L’ouvrage dans lequel J. Guillaume émet cette opinion a été publié longtemps après la mort de Marx, et sans doute la rancœur consécutive à l’exclusion de l’auteur à la suite des manœuvres bureaucratiques de Marx ne contribue-t-elle pas à atténuer l’expression de sa pensée. Il reste que l’image du coucou n’est pas fausse.
La structure mise en place dans l’Internationale est celle d’une association ouvrière de type syndical. Un Conseil général établit « des relations entre les différentes associations ouvrières de telle sorte que les ouvriers de chaque pays soient constamment au courant des mouvements de leur classe dans les autres pays ». Cette phrase est importante car c’est autour d’elle que vont se cristalliser rapidement les divergences entre partisans de Marx et partisans de Bakounine sur la fonction du Conseil général. On retrouvera alors l’opposition entre centralisation et fédéralisme.
à côté du Conseil général doivent se constituer des sections ouvrières locales et des fédérations nationales. L’AIT tiendra des congrès annuels souverains. Le mouvement des Trade Unions refuse d’adhérer. Très vite apparaîtront sur le continent des sections en France, en Belgique, en Suisse, en Espagne, en Italie, en Hollande.
L’Internationale avait des statuts provisoires qui devaient être ratifiés par son premier congrès, qui devait se tenir en 1865 en Belgique. Ce congrès ne se tint pas et fut remplacé par une conférence qui rassembla Varlin, de Paepe, Jung, Eccarius, Dupleix, Becker, Odger, Marx et quelques autres.
Le premier congrès de l’Internationale eut lieu du 3 au 8 septembre 1866, à Genève. Marx est absent 5, Bakounine n’est pas encore membre. Soixante délégués représentant des sections d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de Suisse assistent à ce congrès, présidé par un Hermann Jung, un horloger de Saint-Imier vivant à Londres. Pierre Coullery – un « humanitaire néo-chrétien » selon L. Lorwin 6, était l’un des secrétaires du congrès. Coullery et Jules Vuilleumier représentaient la section de La Chaux-de-Fonds, James Guillaume celle du Locle et Adhémar Schwitzguébel celle de Sonvillier.
Ce premier congrès fut assez confus, mais il adopta notamment la résolution en faveur de la journée de huit heures, une résolution pour des lois internationales protégeant les femmes et les enfants et pour l’abolition du travail de nuit pour les femmes. Le congrès se prononça pour la suppression du salariat. Il adopta les statuts rédigés par Marx, assez vagues pour permettre à tout travailleur d’adhérer. Ne figure pas l’article que Marx fera ajouter en 1872 sur la conquête du pouvoir politique.
Plus tard, Bakounine se référera en ces termes au congrès de Genève : « L’association internationale des travailleurs a une loi fondamentale à laquelle chaque section et chaque membre doivent se soumettre, sous peine d’exclusion. Cette loi est exposée dans les statuts généraux, proposés en 1866 par le conseil général de l’association au congrès de Genève, discutés et unanimement acclamés par ce congrès, enfin définitivement sanctionnés par l’acceptation unanime des sections de tous les pays. C’est donc la loi fondamentale de notre grande association.
Les considérants qui se trouvent à la tête des statuts généraux définissent clairement le principe et le but de l’association internationale. Ils établissent avant tout : que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que les efforts des travailleurs doivent tendre à constituer pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs – c’est-à-dire l’égalité politique, économique et sociale ; que l’assujettissement des travailleurs au capital est la source de toute servitude politique, morale et matérielle ; que par cette raison l’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique ; que l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national… mais international 7. »
En réalité, il s’agit simplement des statuts de l’Internationale rédigés en 1864 par… Marx lui-même, entérinés par le congrès de Genève. Proudhon était mort l’année précédente et ce fut incontestablement sa doctrine qui prédomina à ce congrès et au suivant, à Lausanne (2-8 septembre 1867).
Que ce soit au congrès de Genève ou à celui de Lausanne, les positions du Conseil général, c’est-à-dire de Marx, ne soulevèrent pas l’enthousiasme. En ces premières années, des idées extrêmement variées coexistaient et se confrontaient dans une atmosphère plutôt cordiale. Le programme de ce deuxième congrès était chargé : on recommanda la création de banques accordant des crédits gratuits aux travailleurs ; on préconisa la création de sociétés d’assurance mutuelle ; les sociétés de métiers furent invitées à créer, avec leurs fonds, des sociétés coopératives de production. La perspective de ce congrès fut la mise en œuvre de mesures concrètes et immédiates visant à émanciper la classe ouvrière. On vota des résolutions au sujet de l’enseignement gratuit, de l’impôt, de l’abolition des monopoles d’état, de l’établissement des libertés politiques et des écoles-ateliers.
La discussion sur la propriété privée opposa Pierre Coullery, partisan de la propriété individuelle, au Belge César de Paepe favorable à la propriété collective, à laquelle allaient se rallier plus tard les internationalistes. Ce problème figurera à l’ordre du jour du troisième congrès de l’Internationale.
C’est encore Proudhon qui domine à ce congrès, ce qui fait enrager Marx, qui écrit à Engels le 11 septembre 1867 : « Au prochain congrès de Bruxelles, je tordrai moi-même le cou à ces ânes de proudhoniens. J’ai préparé toute l’affaire de manière diplomatique et je n’ai pas voulu paraître personnellement avant que mon livre (le Capital) ne fût publié et que notre Internationale n’eût pris racine. Dans le rapport officiel du Conseil général (où, malgré tous leurs efforts, les bavards parisiens n’ont pu empêcher notre réélection), je ne manquerai pas de les fustiger comme il faut. »
À plusieurs reprises dans cette lettre, Marx parle de « notre Internationale ». Le coucou commence à vouloir s’approprier le nid.
C’est au congrès de Bruxelles, en 1868, que les choses commencent à changer. La question de l’instruction obligatoire et gratuite est posée, ainsi que celle de l’égalité des droits de la femme. Les mutualistes sont mis en minorité : ils s’opposaient à l’examen des problèmes politiques. Pour des hommes comme Varlin et César de Paepe, on ne peut écarter l’examen des problèmes politiques, mais ces problèmes doivent être abordés au sein de l’Internationale.
D’importantes questions sociales figuraient à l’ordre du jour du congrès de Bruxelles. La grève fut considérée comme l’arme principale des ouvriers. Plusieurs participants préconisèrent l’établissement de cahiers du travail qui rappelaient les cahiers de doléances de 1789. Les délégués se déclarèrent en général partisans du régime de la propriété collective pour les biens immobiliers.
C’est au congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) que s’opère un véritable tournant. Bakounine est maintenant adhérent. Les proudhoniens de droite sont définitivement battus à la suite d’une alliance entre bakouniniens, blanquistes et marxistes. Ce quatrième congrès de l’Internationale prit position sur le régime de la propriété. Le Congrès de Bruxelles avait certes déjà traité de cette question, mais les partisans de la propriété privée, qui avaient été mis alors en minorité à Bruxelles, relancèrent le débat, affirmant que ce problème était complexe et qu’il n’avait pas été réglé. Après une discussion animée, le Congrès se déclara clairement collectiviste.
La question de l’héritage était la seconde question à l’ordre du jour, sur laquelle eut lieu un affrontement. Cette question ne présentait sur le fond aucun intérêt, mais elle servit aux marxistes de prétexte pour compter les voix. Ceux-ci présentèrent un amendement à la résolution votée, qui est repoussé. On peut ainsi déterminer le poids respectif des différents courants à partir des voix qui se sont portées sur les amendements ou sur les motions :
63 % des délégués de l’AIT se regroupent sur des textes collectivistes « bakouniniens ».
31 % se regroupent sur des textes « marxistes ».
6 % maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).
Le problème des caisses de résistance est, sans contredit, le plus important traité à Bâle. Chaque section fut invitée à en créer. On conseilla aux responsables de ces caisses de les fédérer en organisations régionales, nationales, internationales. En leur permettant de soutenir des grèves prolongées, ces caisses devaient permettre aux travailleurs de lutter contre la bourgeoisie.
Des résolutions administratives furent votées à Bâle dont les délégués fédéralistes n’avaient pas évalué la portée, et qu’ils regrettèrent par la suite. Ces résolutions attribuaient au Conseil général le droit de refuser l’admission de nouvelles sociétés ou de les suspendre des sections – décisions qui devaient être soumises au congrès suivant il est vrai. James Guillaume écrit à ce sujet en 1872 : « Nous étions tous animés de la plus complète bienveillance à l’égard des hommes de Londres. Et notre confiance fut si aveugle que nous contribuâmes plus que personne à faire voter ces fameuses résolutions administratives qui allaient donner au Conseil général une autorité dont il a fait un si fâcheux usage. Leçon profitable, et qui nous a ouvert les yeux sur les vrais principes de l’organisation fédérative 8. »
C’est au congrès de Bâle – Bakounine vient d’adhérer à l’Internationale – qu’apparaissent ouvertement les deux courants qui vont s’affronter. Ces courants existaient déjà à Bruxelles, mais ils sont maintenant clairement délimités. D’un côté il y a les Belges, la plupart des Français, les Espagnols et les Jurassiens qui se révèlent fédéralistes et révolutionnaires ; de l’autre il y a le Conseil général, les Allemands, une partie des Suisses qui sont centralistes et sociaux-démocrates.
« Depuis le congrès de Bâle (septembre 1869), la coexistence dans l’Internationale de différentes conceptions, telles que celles des socialistes étatistes, collectivistes, anti-autoritaires et proudhoniens, et de tactiques diverses (action politique, abstentionnisme, syndicalisme, coopération, etc.), fut remplacée par des agressions des partis autoritaires et étatistes, dont les principaux centres étaient la Fabrique de Genève, le Parti socialiste allemand et le Conseil général de Londres 9. »
La situation créée au congrès de Bâle est évidemment inacceptable pour Marx. C’est après ce congrès que commenceront les attaques systématiques et les plus violentes contre le révolutionnaire russe. « Ce russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du mouvement ouvrier européen. Qu’il prenne garde à lui, sinon il sera excommunié », prophétise Marx dans une lettre à Engels datée du 27 juillet 1869. À quoi Engels répond le 30 juillet : « Le gros Bakounine est derrière tout cela, c’est évident. Si ce maudit Russe pense réellement se placer, par ses intrigues, à la tête du mouvement ouvrier, il est grand temps de le mettre hors d’état de nuire. » Après avoir voulu tordre le cou aux « ânes de proudhoniens », il faut maintenant excommunier Bakounine…
Il est vrai que Marx et Engels avaient de quoi se méfier. Précédemment à son adhésion à l’Association internationale des travailleurs, Bakounine avait créé une organisation nommée Alliance internationale de la démocratie sociale, qui avait demandé son adhésion à l’Association internationale des travailleurs. L’adhésion avait été refusée par le Conseil général pour des raisons parfaitement légitimes, puisqu’elle se concevait elle-même à l’orgine comme une organisation internationale. Pour être en conformité avec les statuts de l’Internationale, l’Alliance se transforma en simple section de l’AIT. Sous cette condition, l’adhésion fut acceptée. Son rôle en tant que section de l’Internationale ne fut pas négligeable puisque c’est à son instigation que fut créée la fédération espagnole.
Marx et Engels développeront, à propos de l’« Alliance » bakouninienne, une véritable obsession paranoïaque, lui attribuant les pires méfaits et la voyant derrière toutes les initiatives qui n’allaient pas dans le sens de leurs propres vues. Le fantôme de l’Alliance et de Bakounine se dressant derrière elle va littéralement hanter Marx et Engels. Franz Mehring, un historien et militant marxiste parfaitement orthodoxe, écrira dans sa biographie de Marx qu’il n’y avait rien qui puisse prouver les accusations de Marx et d’Engels contre Bakounine – ils n’auront pas entièrement tort, d’ailleurs.


1. Georges Haupt, Bakounine, combats et débats, Institut d’études slaves, 1979.
2. On attribue à Proudhon l’idée selon laquelle il était opposé aux grèves. Il dit simplement que les grèves ne peuvent résoudre sur le fond la question sociale.
3. James Guillaume : Karl Marx pangermaniste, p. 5. (Reprint from the collection of the University of Michigan Library.)
4. Ibid.
5. Marx n’assistera à aucun congrès de l’Internationale, sauf celui de La Haye constitué de délégués soigneusement sélectionnés par lui.
6. Lewis L. Lorwin, L’Internationalisme et la classe ouvrière (Labor and Internationalism), 2e édition, Gallimard, 1933.
7. « Le jugement de M. Coullery » juillet 1869, L’Égalité, 31 juillet 1869.
8. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 82. Cf. James Guillaume, L’Internationale documents et souvenirs, vol. I, p. 207.
9. M. Nettlau, « Les Origines de l’Internationale anti-autoritaire », article du Réveil du 16 septembre 1922.


René Berthier
http://www.monde-libertaire.fr/autogest ... kouninisme


Hôtel central de Saint Imier (désaffecté en 2007) lieu historique du Congrès

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La fin de l’AIT et la rupture avec le bakouninisme
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. La fin de l'AIT Chap.1 : http://www.anarchisme2012.ch/images/sto ... chap_1.pdf
. La fin de l'AIT Chap.2 : http://www.anarchisme2012.ch/images/sto ... chap_2.pdf
. La fin de l'AIT Chap.3 : http://www.anarchisme2012.ch/images/sto ... chap_3.pdf
. La fin de l'AIT Chap.4 : http://www.anarchisme2012.ch/images/sto ... chap_4.pdf
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Rencontre internationale de l'anarchisme-St-Imier 8 au 12/08

Messagede René » 29 Aoû 2012, 15:43

Pour info, un extrait.
Texte entier sur http://monde-nouveau.net/spip.php?article416

Intervention aux
Rencontres internationales
sur l’anarchisme,
Saint-Imier
8-12 août 2012


René Berthier


(...)

Saint-Imier fut-il une « scission » ?
Le congrès de Saint-Imier est souvent désigné comme une scission. Par exemple, si on cherche « Association internationale des travailleurs » sur Google, on peut lire à propos de l’AIT « anti-autoritaire » : « La constitution de cette nouvelle internationale a lieu à Saint-Imier le 15 septembre 1872 » et on y apprend que « L'Internationale “officielle” dénonce cette scission ». Cette vision est malheureusement parfois entérinée par les anarchistes eux-mêmes.
Le congrès international de Saint-Imier ne fut pas une scission, et l’AIT dite « anti-autoritaire » ne fut pas une « nouvelle » organisation ! Ce fut tout simplement un congrès extraordinaire de l’AIT qui décida que l’AIT de 1864 continuait, et qui décida des nouvelles conditions dans lesquelles l’Internationale continuait. C’est tellement vrai que la numération des congrès, à partir du congrès ordinaire suivant, tenu à Genève en 1873, reprend naturellement la suite des congrès précédents !
Ce sont au contraire les « marxistes » ou qualifiés de tels qui scissionnèrent, en prenant à La Haye des décisions anti-statutaires qui furent récusées par les autres fédérations de l’Internationale.
La scission opérée par les marxistes fut entérinée par le congrès qu’ils convoquèrent en septembre 1873 à Genève, peu après le VIe congrès de l’Internationale « canal historique », si je puis dire. Ce fut un congrès fantôme convoqué par un Conseil général devenu lui aussi fantôme. Personne ou presque ne participa à ce congrès scissionniste. Tous ceux sur lesquels Marx comptait se désistèrent poliment. Le congrès « marxiste », si on peut l’appeler ainsi, fut marqué par les mêmes falsifications que lors de la conférence de Londres en 1871 et le congrès de La Haye en 1872.
Ainsi, Becker, l’exécuteur des basses œuvres de Marx, se vanta d’avoir réussi à faire « surgir de terre, en quelque sorte, treize délégués d’un seul coup ». A ce congrès furent distribués – encore une fois – des mandats truqués. Je ne me souviens plus qui inventa pour l’occasion le mot “delegiertenmacherei” – fabrication de délégués.
Becker se vanta également d’avoir manipulé la composition de la commission de vérification des mandats, où il réussit à faire passer douze délégués de sa fabrication.
Ce congrès fut un tel fiasco, de l’aveu même de Marx, que le compte rendu n’en fut même pas publié. L’isolement de Marx et d’Engels est alors presque total.
Il faut donc le proclamer : le congrès international de Saint-Imier fut un succès politique éclatant des fédéralistes de l’Internationale contre les bureaucrates centralistes, un succès que les autres fédérations entérinèrent en se ralliant à l’idée que chacune avait le droit de décider de son propre sort sans se voir contrainte d’adopter un programme uniforme.
Mais il faut dire cependant que ce succès fut de courte durée, puisque l’expérience prit fin six ans plus tard. La Fédération jurassienne décida à son congrès des 3-5 août 1878, tenu à Fribourg, de ne plus convoquer de congrès international.
Au-delà du plaisir de la célébration du congrès de 1872, il me paraît nécessaire de poser une question sur laquelle nous devrions sérieusement nous pencher : quelles causes conduisirent à la régression du mouvement ouvrier « anti-autoritaire ». Et surtout : quelles furent les causes internes au mouvement qui conduisirent à cette situation.


L’AIT « anti-autoritaire » fut-elle anarchiste ?
Le congrès de Saint-Imier ne fut pas, selon moi, le lieu de naissance de l’anarchisme et les résolutions du congrès ne sont pas l’acte de naissance de l’anarchisme.
J’insiste sur le fait que toutes les fédérations de l’AIT n’étaient pas « bakouniniennes », et le désaveu des pratiques de Marx et de ses amis par la plupart d’entre elles ne constituait en aucun cas un acte de ralliement au point de vue « anarchiste ». Ce désaveu exprime cependant de façon claire que l’unité internationale du mouvement ouvrier n’était possible que sur la base de la solidarité concrète, comme le proposait Bakounine, qui ajoutait que la « puissante centralisation de tous les pouvoirs dans les mains du Conseil général » aboutissait à la dissolution de fait de l’AIT 7.
Je pense donc que désigner l’AIT anti-autoritaire comme « anarchiste » est un contresens. L’AIT anti-autoritaire est un courant fédéraliste et collectiviste. Une étude attentive de l’usage du mot « anarchie » et de ses dérivés dans les textes de Bakounine montre qu’il était très réticent à l’utiliser. Bakounine lui-même se définissait comme « socialiste révolutionnaire » ou « collectiviste ».
Les résolutions de Saint-Imier, qu’on qualifie souvent de proclamation anarchiste, tiennent un discours qui reste strictement dans les limites d’une organisation de classe, c’est-à-dire une organisation regroupant les travailleurs dans une structure de type syndical, fondée sur leur rôle dans le processus de production – ce qui n’est absolument pas l’objectif d’une organisation spécifiquement anarchiste ou, pour parler « moderne », d’une organisation spécifique.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas dans l’AIT de militants se définissant comme « anarchistes », ni de militants préconisant une forme spécifique d’organisation. Mais l'AIT dite « anti-autoritaire » issue du congrès de Saint-Imier n'était pas absolument pas « anarchiste ».
Il me semble précisément que notre mouvement n’a pas réellement examiné ni étudié – sauf ignorance de ma part bien sûr, que je suis prêt à reconnaître – les tensions qui sont apparues après le VIe congrès de l’Internationale, c’est-à-dire après 1873, au sein de l’Internationale anti-autoritaire, entre un courant qu’on pourrait qualifier de « proto-syndicaliste révolutionnaire », avec James Guillaume et Bakounine, et un autre qui commence à se désigner explicitement comme anarchiste, avec des hommes comme Pierre Brousse, Andrea Costa et d’autres.

(...)

Relation entre organisation de masse et
organisation politique

Les débats qui eurent lieu dans l’Internationale, avant et après Saint-Imier, posèrent de nombreuses questions, mais en particulier une qui reste très actuelle dans le mouvement libertaire, celle de la relation entre organisation de masse et organisation politique. Bakounine a le mérite d’avoir posé le problème de l’organisation des révolutionnaires et de ses rapports avec les masses. Il l’a posé en opposition à la stratégie politique de Marx, électoraliste et parlementaire.
Doit-on rappeler que lorsque Bakounine disait que « le temps des grands discours théoriques, imprimés ou parlés, est passé », que « le temps n’est plus aux idées, il est aux faits et aux actes », il ne pensait pas, comme ont pu le comprendre de manière catastrophique certains anarchistes, à des actes de terreur destinés à réveiller les masses prétendûment endormies : « Ce qui importe avant tout aujourd’hui, disait-il en 1873, c’est l’organisation des forces du prolétariat. Mais cette organisation doit être l’œuvre du prolétariat lui-même. »

« Organisez toujours davantage la solidarité internationale, pratique, militante, des travailleurs de tous les métiers et de tous les pays, et rappelez-vous qu’infiniment faibles comme individus, comme localités ou comme pays isolés, vous trouverez une force immense, irrésistible, dans cette universelle collectivité. »


Il me semble que la rencontre internationale de 2012 devrait être un lieu où ce débat puisse s’exprimer et s’élargir. Elle devrait en particulier réaffirmer ce constat, que le mouvement libertaire ne fut puissant que lorsque existait une organisation de masse et qu’il nous incombe aujourd’hui de récupérer le terrain perdu à la suite des aléas de l’histoire… et de nos propres erreurs.
En effet, je pense qu’il ne faut pas se contenter de célébrer la victoire éphémère que fut le congrès de Saint-Imier pour le mouvement ouvrier international. Il me paraît nécessaire de tenter comprendre pourquoi cette victoire se transforma six ans plus tard en déroute. Car l’Internationale dite « anti-autoritaire » ne s’acheva même pas sur un congrès prononçant sa propre fin, ce qui aurait été une manière de finir avec les honneurs : on décida simplement de ne pas convoquer d’autres congrès. Il ne me semble pas que le contexte et les raisons de cette dissolution dans les airs d’une Internationale qui apparaissait fort vigoureuse à Saint-Imier en 1872 aient été examinés de manière convaincante.
Notre rencontre, à l’occasion de laquelle se tient d’ailleurs un congrès, celui de l’Internationale des fédérations anarchistes, n’aurait pas de sens si elle se limitait à être une célébration.

Nous devons à nos anciens au moins deux choses :

• Comprendre pourquoi le mouvement libertaire après Saint-Imier a régressé dans certains pays et pas dans d’autres, et en particulier définir les causes internes de cette régression ;
• Engager un processus, dont je me doute qu’il prendra du temps, permettant d’unifier le mouvement libertaire à l’échelle internationale dans la lutte contre le capitalisme et l’Etat, pour l’émancipation des exploités et des opprimés.

Conclusion
En conclusion, je dirai que la célébration du congrès de Saint-Imier de septembre 1872, fondée sur l'idée que ce congrès fut un congrès « anarchiste » et qu'il fut le point de départ du mouvement « anarchiste » est une erreur. Ce congrès se fondait sur l'idée que pouvaient adhérer à l'AIT des fédérations ayant la liberté du choix de ce qu'ils estimaient être la voie de l'émancipation. C'est ainsi que John Hales, un dirigeant de la Fédération britannique, a déclaré soutenir la Fédération jurassienne, mais que sa fédération choisissait la voie de l'action politique – c'est-à-dire parlementaire. C'est cette liberté de choix qui fit que la totalité des sections de l'AIT ont dénoncé les décisions prises par les bureaucrates du Conseil Général à La Haye et ont soutenu la création à Saint-Imier d'une AIT « anti-autoritaire »,
Ce n'est que progressivement que le courant « anarchiste » de l'AIT anti-autoritaire a pris le dessus et qu'il a imposé à l'organisation un programme anarchiste, allant totalement à l'encontre de tout ce que Bakounine avait dit. Le vieux révolutionnaire avait prévenu qu'en établissant un programme unique dans l'Internationale, on introduisait la division et qu'on aboutirait à créer « autant d'Internationales qu'il y a de programmes ». En modifiant la nature de l'AIT, en la transformant d'organisation de classe qu'elle était en groupe d'affinité, les anarchistes ont provoqué le départ de toutes les fédérations qui ne se reconnaissaient pas dans le programme anarchiste.
Il est certain que les causes de la dissolution de l'AIT anti-autoritaire sont multiples, mais il ne fait pas de doute que ce sont les anarchistes qui sont les principaux responsables de sa disparition.
Mes conclusions disqualifient-t-elles l’anarchisme pour autant, comme courant politique ? Bien sûr que non. La triste fin de l’AIT anti-autoritaire est largement due selon moi à une incompréhension des relations entre organisation politique (ou « spécifique ») et organisation de classe. Il n’est pas certain que problème ait été résolu encore aujourd’hui.
Je souhaite simplement montrer que si nous voulons survivre comme courant politique, il va falloir jeter un regard critique sur nous-mêmes, un regard sans complaisance. C’était, me semble-t-il, un peu l’objectif de ces Rencontres. Si nous voulons regagner le terrain que nous avons perdu dans le mouvement ouvrier, dans le mouvement syndical, dans le mouvement social d’une façon général, il va falloir commencer à se demander pourquoi nous l’avons perdu, sinon ça ne sert à rien. Il va falloir éviter de renvoyer la faute aux autres : le capitalisme, le marxisme, etc. Il va nous falloir découvrir ce qui, dans nos propres rangs, nous empêche d’avancer.
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Re: Rencontre internationale de l'anarchisme-St-Imier 8 au 1

Messagede digger » 29 Aoû 2012, 17:30

Je souhaite simplement montrer que si nous voulons survivre comme courant politique, il va falloir jeter un regard critique sur nous-mêmes, un regard sans complaisance....
Il va nous falloir découvrir ce qui, dans nos propres rangs, nous empêche d’avancer.

Et as-tu quelques pistes à proposer, René ?
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Re: Rencontre internationale de l'anarchisme-St-Imier 8 au 1

Messagede René » 29 Aoû 2012, 18:21

Si je soulève la question, c'est que j'ai sinon des réponses, du moins des hypothèses.
Mais vu que le sujet est délicat, il va falloir y aller prudemment.
J'ai encore besoin d'un peu de temps.

Je souhaite éviter chez les camarades: a) des réactions hystériques; b) des crises cardiaques.

Et il faudra peut-être définir:

1. Une méthode de travail
2. Un vocabulaire commun (c'est-à-dire sur lequel on est tous plus ou moins d'accord)

Et il faudra se débarrasser une fois pour toutes de cette attitude qui consiste à mettre sur le dos des autres la responsabilité de nos échecs.

Mais en attendant je ne suis peut-être pas le seul à avoir des idées.
Ça m'étonnerait que je sois le seul, d'ailleurs.

Il faut absolument que je finalise le dernier chapitre de mon bouquin "La rupture avec le bakouninisme et la fin de l'AIT anti-autoritaire". Les 4 premières parties sont sur le site des Rencontre internationales.

Amicalement
R.
Modifié en dernier par René le 10 Sep 2012, 17:56, modifié 1 fois.
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Re: Rencontre internationale de l'anarchisme-St-Imier 8 au 1

Messagede digger » 29 Aoû 2012, 18:59

Et bien bonne suite dans ton travail et à bientôt j'espère pour reparler de tout cela, ici ou ailleurs
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede Pïérô » 02 Sep 2012, 00:04

Intervention sur ce sujet de René sur Radio Libertaire en direct de Saint Imier, que je trouve très interessante. Et çà dure pas longtemps, c'est même pas soporiphique, c'est vivant et éclairant : http://archive.org/details/RencontresIn ... 012-140Ans


je suis intéressé par cette approche historique dans ce qu’elle est approche historique, et je pense qu’il est important de pouvoir avoir les données et éléments de l’Histoire non déformée, ou on va dire objective, et je pense que de ce côté ton travail d’investigation et de documentation est des plus utile. En tout cas çà participe de casser et reprendre une Histoire déformée par les tenants d’un marxisme dans sa filiation léniniste ou social-démocrate, comme d’un anarchisme replié sur lui même. Après je pense qu’il est difficile de partir de là pour voir dans une boule de cristal si cette internationale aurait survécut au delà d'un repli sur lui même de l’anarchisme. Du point de vue de son affirmation en tant que courant spécifique et qui peu à peu allait s’organiser politiquement, ce n’est pas une mauvaise chose je pense, en tant qu'anarchiste-communiste, dans un contexte à la fois de reflux et de repression du mouvement ouvrier et de construction politique qui allait justement amener un courant de l'anarchisme à porter aussi la construction politique de ce mouvement anarchiste révolutionnaire dans un contexte ou d'autres courants politiques s'affirmaient, et pas forcéments "marxistes" d'ailleurs et comme tu le soulignes. Et ce courant s'investissait aussi dans le développement de l'organisation ouvrière et syndicale. Et est-ce que cette internationale aurait pu survivre à la poussée du “pragmatiste” qui allait donner naissance à la social-démocratie qui s’est affirmée lors de la deuxième internationale, et s’est acharnée à en exclure les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes, et surtout à la troisième internationale et l’assujettissement à Moscou, et au Parti de “l’avant garde internationale” qui prétendait assujettir les syndicats à la direction du Parti ?

Je ne pense pas que l'on puisse aujourd'hui penser l'internationale en espace du "tout en un", mais en espaces différenciés et l'internationalisme en pluralités, et je pense que dès le début de l’internationale il y a eu un mélange des genres, car tout cela était en construction et en terrain d'aventures, et le champ syndical pour faire court, car si l'on peut parler d'organisation ouvrière ce champ était encore en friche et en construction à l'époque, comme le champ de l’organisation politique spécifique. Aujourd'hui, la construction se fait sur deux terrains spécifiques, au moins, car je pense bien que c’est ce mélange des genres qui a tué l’internationale au 19e siècle, et pas que la première de la première mais aussi celle dite "anti-autoritaire"' car il y avait là dedans encore des composantes qui allaient ensuite construire ce qui est de l'ordre de l'affirmation de la social-démocratie dans son sens large. Et évidemment on voit bien le boulot qu’il reste à faire, car je ne vois pas comment d’un côté intégrer "l'internationale" ou construction européenne syndicales réformistes, voire de collaboration de classes, d'un point de vue SUD/Solidaires ou CNT, ou intègrer la 4e internationale de l’autre côté d'un point de vue anarchiste spécifique et communiste libertaire. Comment ne pas parler de l'AIT actuelle aussi, et d’ailleurs s’il y en a qui plombent un peu de ce côté de la construction ce sont bien ceux de la CNT-AIT espagnole, et les FAI fantômes qui se succèdent aux congrès de l'IFA pour porter ce discour du "tout en un", mais avec le poids “historique”, et qui continuent à laisser penser qu’il y a le modèle clefs en mains qui réunirait les deux dimensions, en une, le syndicat et l'organisation politique en un seul espace dans chaque pays et une AIT fantoche, et en se masquant les yeux avec les mains et les pieds. Et on voit bien combien il va y avoir du travail sur ces deux terrains, car il s'agit bien d'un côté de renouer avec la construction d'une internationale anticapitaliste et de lutte des classes en terme d'organisation collective, et de type syndicale pour s'appuyer sur des structurations pérennes qui permettent d'organiser une grève générale par exemple, et une grève générale expropriatrice et révolutionnaire, mais d'une manière là aujourd'hui qui fait bien la différence dans un champ syndical vaste, sachant que le domaine du politique et du choix et du projet de société n'appartient pas évidemment qu'aux organisations politiques, et une internationale anarchiste révolutionnaire et communiste libertaire qui soit un peu plus existante que ce qu'on a toujours connu. Et en plus le terrain d'aventure(s), des mouvements sociaux et surtout de l'auto-organisation, et de la coordination, dépasse ce champ un peu trop binaire et réducteur entre espace syndical et espace politique spécifique, dans une réalité qu'il faudrait aussi prendre d'avantage en compte. Et je n'ai pas la recette là, d'autant qu'on y arrive pas à l'échelle hexagonale, et pourtant on essaie... Mais çà veut dire aussi que sur ce plan il faudrait construire à une échelle au moins européenne et à partir d'espace interpros englobants aussi les chomeurs-euses, des lycéen-es aux retraité-es, etc...Et de ce point de vue çà voudrait dire un troisième champ d'organisation collective, ou plutôt là de coordination collective, avec une articulation entre espaces d'auto-organisation et espace syndicaux...
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 22 Déc 2012, 09:12

Grande-Bretagne, Anarchist Federation, Organise ! n°79

L’héritage de Saint-Imier


L’article ci-dessous, écrit par Brian Morris, est le texte d’une intervention auprès du groupe de Londres de l’Anarchist Federation le 19 mai 2012

Dans la préface de mon livre sur Bakounine (1993), j’ai cité le poète Ghanéen Ayi Kwei Armah, qui écrivait « le présent est là où nous nous perdons si nous oublions notre passé et n’avons pas de vision de notre futur ». Cette phrase me vient à l’esprit alors que nous allons célébrer la fondation emblématique du mouvement anarchiste à Saint-Imier en Suisse, en septembre 2012.

Se référer au passé ne suppose pas une sorte de culte des ancêtres, pas plus qu’envisager un meilleur futur pour l’humanité ne nous impose de nous perdre dans des rêves utopiques. Les anarchistes ne devraient certainement avoir aucune gêne à célébrer les réalisations d’une génération précédente de socialistes libertaires, non pas comme des curiosités historiques mais en tant que source d’inspiration et d’idées. Je veux simplement proposer ici quelques réflexions sur le type d’anarchisme, ou de socialisme révolutionnaire, qui a émergé des luttes politiques entre membres de la Première Internationale dans les années 1870.

L’anarchisme, en tant que philosophie politique, a peut-être la pire presse possible. Il a été ignoré, déformé, ridiculisé, vilipendé, mal compris et mal interprété par des auteurs de tous les bords de la scène politique : marxistes, démocrates, conservateurs et libéraux. Théodore Roosevelt, président des Etats-Unis, a présenté l’anarchisme dans une formule célèbre comme un « crime contre l’intégralité de la race humaine » et, dans le langage courant, l’anarchie est invariablement liée au désordre, à la violence et au nihilisme. Un obstacle supplémentaire à une compréhension claire de l’anarchisme est le fait que le terme « anarchiste » a été appliqué à une grande variété de philosophies et d’individus. Ainsi Ghandi, Spencer, Tolstoï, Berdyaev, Stirner, Ayn Rand, Nietzsche, à côté de figures plus familières comme Proudhon, Bakounine et Goldman, ont tous été qualifiés d’anarchistes. Cela a conduit des critiques marxistes, comme John Molyneux, a discréditer l’ « anarchisme » comme une philosophie politique complètement incohérente tant dans sa théorie que dans sa stratégie de changement social.

Mais ce n’est pas le cas, car il faut reconnaître que l’anarchisme est fondamentalement un mouvement historique et une tradition politique qui ont émergé vers 1870, principalement parmi les membres de la classe ouvrière réunis dans l’Association Internationale des Travailleurs, plus connue sous le nom de Première Internationale. Cela a produit une scission, ou « grand schisme » (selon l’expression de James Toll) à l’intérieur de l’Association. On la décrit généralement comme si elle s’était concentrée autour d’une querelle personnelle entre Karl Marx et Michel Bakounine. Mais, ainsi que Cole et d’autres l’ont souligné, ce schisme n’était pas seulement un clash de personnalités. Il impliquait deux factions à l’intérieur du mouvement socialiste, et des conceptions très différentes du socialisme, des processus du changement révolutionnaire et des conditions de la libération humaine. La faction anarchiste ne s’est pas décrite au départ sous le terme « anarchistes », mais plutôt comme des « fédéralistes » ou des « socialistes anti-autoritaires », mais ils ont fini par adopter le label de leurs opposants marxistes et se sont définis comme « communistes anarchistes ». L’anarchisme a ainsi émergé en tant que mouvement politique parmi les travailleurs d’Espagne, de France, d’Italie et de Suisse dans la foulée de la Commune de Paris. Parmi ses promoteurs les plus connus, il y avait Elisée Reclus, Francois Dumertheray, James Guillaume, Errico Malatesta, Carlo Cafiero, Jean Grave et Pierre Kropotkine. (Louise Michel était aussi également associée au mouvement, mais elle avait été déportée en Nouvelle Calédonie après la défaite de la Commune de Paris, ainsi que des milliers de communards. Elle passa six années en exil). Entre 1870 et 1930, l’anarchisme, ou socialisme révolutionnaire/libertaire, se répandit à travers le monde et donc ne fut plus du tout restreint à l’Europe. Vers la fin du 19ème siècle, il y avait bien entendu d’autres branches de l’anarchisme, mais le communisme anarchiste était certainement la tendance dominante. Il est important de noter que l’anarchisme de lutte de classe ne fut pas la création d’intellectuels, mais a émergé du militantisme de la classe ouvrière, et a exprimé une révolte contre les conditions de travail et de vie imposées par le capitalisme industriel. Les premiers écrits de Kropotkine était intitulés « Paroles d’un rebelle » (1885), d’après le périodique anarchiste suisse « Le révolté ». Kropotkine, qui joignit la Section Générale de la Première Internationale en Février 1872, décrivait l’anarchisme comme une sorte de synthèse entre le libéralisme radical, avec son accent sur la liberté de l’individu, et le socialisme ou le communisme, qui impliquait la répudiation du capitalisme et un accent sur la vie communale et l’association volontaire. Cette synthèse est bien illustrée par le fameux adage de Bakounine : « que la liberté dans socialisme n’est que privilège et injustice, et que le socialisme sans liberté n’est qu’esclavage et brutalité ».

La tendance des philosophes universitaires marxistes et des individualistes (ou égoïstes) stirnériens à fabriquer une dichotomie radicale entre l’anarchisme et le socialisme est donc, d’un point de vue conceptuel aussi bien qu’historique, très trompeuse et corrompt notre compréhension du socialisme.

L’anarchisme, ou du moins le type d’anarchisme de lutte de classes promu par les partisans de la révolution sociale à l’intérieur de la Première Internationale, peut être défini à partir de quatre principes essentiels.

Premièrement, un rejet du pouvoir d’Etat et de toute forme de hiérarchie et d’oppression ; une critique de toutes les formes de pouvoir et d’autorité qui inhibent la liberté de l’individu considéré, bien entendu, comme un être social, pas comme un ego désincarné ou une espèce d’individu abstrait et inaliénable, encore moins comme une essence bienveillante fixée. Comme l’écrivait une résolution du Congrès de Saint-Imier, la première tâche du prolétariat est la « destruction de tout pouvoir politique ».

Deuxièmement, la répudiation totale de l’économie capitaliste de marché, ainsi que de son système de salariat, propriété privée, son éthique de compétition, et l’idéologie de l’individualisme forcené. En fait les premiers anarchistes de lutte de classe étaient de fervents anti-capitalistes, qui qualifiait le système salarial d’« esclavage salarial ».

Troisièmement, la vision d’une société basée uniquement sur l’entr’aide et la coopération volontaire, une forme d’organisation sociale qui fournirait l’expression la plus complète de la liberté humaine et toutes les formes de vie sociale indépendantes de l’état et du capitalisme. Les anarchistes de lutte des classes croyaient ainsi en l’organisation volontaire, pas au chaos, à l’éphémère ou au laisser-faire, et il considéraient les sociétés basées sur la tribu ou la famille, mais aussi la vie sociale quotidienne dans des sociétés plus complexes comme montrant certains des principes de l’anarchie. Elisée Reclus et Kropotkine se sont tous les deux intéressés à la vie sociale des peuples tribaux, ou « sociétés sans gouvernement ».

Quatrièmement, les premiers anarchistes, comme les marxistes, se sont appropriés les aspects radicaux des Lumières : insistance sur l’importance de la raison critique et de la science empirique : rejet de tous les dogmes basés sur la tradition, le mysticisme et la révélation divine ; et une affirmation de valeurs humaines universelles comme la liberté, l’égalité et la solidarité. L’anarchisme était ainsi une forme de socialisme éthique.

Au fur et à mesure du développement du socialisme révolutionnaire, ou anarchisme, dans les 20 années suivant la Commune de Paris de 1871, il tendit à critiquer, et à se définir en relation à trois autres formes de radicalisme politique. Ceux-ci sont toujours présents et on leurs thuriféraires contemporains. Il s’agit du mutualisme, de l’individualisme radical, et du marxisme.

Bien que Kropotkine et les anarchistes de lutte de classe aient toujours reconnu que Proudhon avait exprimé des sentiments libertaires, et avait été un pionnier et une source d’inspiration dans le développement de l’anarchisme, ils ont toujours été critiques de la tradition radicale qui devaient être connue sous le nom de Mutualisme. Adoptée par beaucoup d’anarchistes individualistes américains tels que Warren, Spooner et Tucker, cette tradition prônait l’économie de marché, la propriété privée et la production de marchandise à petite échelle, toutes notions rejetées par les communistes anarchistes.

Ils étaient tout aussi critiques de l’espèce d’individualisme radical (égoïsme) exprimée par Max Stirner, considérant qu’il s’agissait d’une doctrine métaphysique coupée des réalités sociales et à la frontière du nihilisme. Kropotkine faisait remarquer qu’il n’y avait aucun sens à mettre l’accent sur la suprématie de l’« unique » dans une situation d’oppression et d’exploitation économique, et avait le sentiment que l’égoïsme strident de Stirner allait à l’encontre des sentiments d’entraide et d’égalité reconnus par la plupart des gens.

Enfin, bien sûr, depuis leur naissance, les anarchistes ont été hautement critiques envers le système politique prôné par Marx et Engels,et qui devait par la suite être connu sous le nom de social-démocratie, ou plus simplement marxisme. Dans leur célèbre « Manifeste communiste » (1846), Marx et Engels insistaient sur le fait que le parti communiste devait organiser la classe ouvrière afin d’accomplir « la conquête du pouvoir politique ».

Cela entraînerait l’établissement d’un « État ouvrier » ou « la dictature du prolétariat », sous laquelle toutes les formes de production (y compris l’agriculture), ainsi que les transports, la communication et la finance, seraient « possédés » et administrés par l’État National. Cela impliquerait, comme l’écrivaient Marx et Engels, « la centralisation du pouvoir la plus décisive entre les mains de l’autorité de l’État ». Bakounine et les anarchistes communistes ont bien sûr toujours clamé que la route parlementaire vers le socialisme conduisait au réformisme, et que la « prise du pouvoir étatique » par le parti communiste au nom de la classe ouvrière conduisait à la tyrannie et au capitalisme d’État. Et l’histoire semble leur avoir donné raison sur ces deux points.

Par contraste avec l’« action politique » -engagement dans le pouvoir étatique, dont les anarchistes ont toujours senti qu’il était en relation symbiotique avec le capitalisme-, les premiers anarchistes ont prôné l’« action directe ». Elle pouvait s’exprimer via l’insurrectionnisme, l’anarcho-syndicalisme, ou la politique sur une base communautaire. Ces derniers temps, l’anarchisme de luttes de classes, tel qu’il était prôné et pratiqué par les générations précédentes d’anarchistes communistes, a été déclarée « obsolète », ou « démodée », ou dénoncée comme du « gauchisme » par des anarchistes contemporains, notamment ceux bien au chaud dans leur université. On nous dit qu’à la fin du 20ème siècle, un « nouvel » anarchisme a fait surface, un anarchisme « post-gauche ». Celui-ci semble consister en un pastiche assez ésotérique de plusieurs tendances politiques, à savoir : anarcho-primitivisme, l’anarcho-capitalisme de Rothbard et Ayn Rand, le « terrorisme poétique » issu de Nietzsche et de l’avant-garde, adopté avec ferveur par Hakim Bey, l’individualisme radical (égoïsme) des dévots contemporains de Max Stirner, et le soi-disant « post-anarchisme » issu des écrits de mandarins universitaires tels que Derrida, Lyotard, Foucault et Deleuze. Il n’y a rien de neuf ni d’original dans ces divers courants de pensée, et l’idée que les anarchistes du temps passé aient été en faveur de la modernité, ou du modernisme, est très perverse. En effet, les « anciens » anarchistes, les socialistes libertaires, ont complètement répudié trois composants essentiels de la prétendue « modernité » : l’Etat démocratique, l’économie capitaliste de marché, et l’individu « abstrait » de la philosophie bourgeoise.

C’est pourquoi nous devons continuer de nous réclamer de l’héritage du communisme anarchiste, tel qu’il fut formulé pour la première fois il y a longtemps au congrès de Saint-Imier, et rendre cet héritage en phase avec les luttes sociales et politiques contemporaines.

Traduction par Fédération Anarchiste
[SOURCE : http://www.afed.org.uk/org/org79.pdf]

http://www.federation-anarchiste.org/sp ... rticle1101
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 22 Sep 2016, 16:13

Congrès de l’Internationale Anti-autoritaire de Saint-Imier

Résolutions du Congrès de l’Internationale Anti-autoritaire de Saint-Imier

PREMIÈRE RÉSOLUTION

Attitude des Fédérations réunies en Congrès à Saint-Imier, en présence des résolutions du Congrès de la Haye et du Conseil général.


Considérant que l’autonomie et l’indépendance des fédérations et sections ouvrières sont la première condition de l’émancipation des travailleurs;

Que tout pouvoir législatif et réglementaire accordé aux Congrès serait une négation flagrante de cette autonomie et de cette liberté:

Le Congrès dénie en principe le droit législatif de tous les Congrès soit généraux ou régionaux, ne leur reconnaissant d’autre mission que celle de mettre en présence les aspirations, besoins et idées du prolétariat des différentes localités ou pays, afin que leur harmonisation et leur unification s’y opèrent autant que possible; mais dans aucun cas la majorité d’un Congrès quelconque ne pourra imposer ses résolutions à la minorité.

Considérant, d’autre part, que l’institution d’un Conseil général dans l’internationale est, par sa nature même et fatalement, poussée à devenir une violation permanente de cette liberté qui doit être la base fondamentale de notre grande Association;

Considérant que les actes du Conseil général de Londres qui vient d’être dissous, pendant ces trois dernières années, sont la preuve vivante du vice inhérent à cette institution;

Que, pour augmenter sa puissance d’abord très minime, il a eu recours aux intrigues, aux mensonges, aux calomnies les plus infâmes pour tenter de salir tous ceux qui ont osé le combattre;

Que, pour arriver à l’accomplissement final de ses vues, il a préparé de longue main le Congrès de la Haye, dont la majorité, artificiellement organisée, n’a évidemment eu d’autre but que de faire triompher dans l’Internationale la domination d’un parti autoritaire, et que, pour atteindre ce but, elle n’a pas craint de fouler aux pieds toute décence et toute justice;

Qu’un tel Congrès ne peut pas être l’expression du prolétariat des pays qui s’y sont fait représenter;

Le Congrès des délégués des Fédérations espagnole, italienne, jurassienne, américaine et française, réuni à Saint-Imier, déclare repousser absolument toutes les résolutions du Congrès de la Haye, ne reconnaissant en aucune façon les pouvoirs du nouveau Conseil général nommé par lui ; et, pour sauvegarder leurs Fédérations respectives contre les prétentions gouvernementales de ce Conseil général, aussi bien que pour sauver et fortifier davantage l’unité de l’Internationale, les délégués ont jetés les bases d’un projet de pacte de solidarité entre ces Fédérations.


DEUXIÈME RÉSOLUTION

Pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle entre les Fédérations libres.


Considérant que la grande unité de l’Internationale est fondée non sur l’organisation artificielle et toujours malfaisante d’un pouvoir centralisateur quelconque, mais sur l’identité réelle des intérêts et des aspirations du prolétariat de tous les pays, d’un côté, et de l’autre sur la fédération spontanée et absolument libre des fédérations et des sections libres de tous les pays;

Considérant qu’au sein de l’Internationale il y a une tendance, ouvertement manifestée au Congrès de la Haye par le parti autoritaire qui est celui du communisme allemand, à substituer sa domination et le pouvoir de ses chefs au libre développement et à cette organisation spontanée et libre du prolétariat;

Considérant que la majorité du Congrès de la Haye a cyniquement sacrifié, aux vues ambitieuses de ce parti et des ses chefs, tous les principes de l’Internationale, et que le nouveau Conseil général nommé par elle, et investi de pouvoirs encore plus grands que ceux qu’il avait voulu s’arroger au moyen de la Conférence de Londres, menace de détruire cette unité de l’Internationale par ses attentats contre sa liberté;

Les délégués des Fédérations et Sections espagnoles, italiennes, jurassiennes, françaises et américaines réunis à ce congrès ont conclu, au nom de ces Fédérations et Sections, et sauf leur acceptation et confirmation définitives, le pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle suivant:

1. Les Fédérations et Sections espagnoles, italiennes, françaises, jurassiennes, américaines, et toutes celles qui voudront adhérer à ce pacte, auront entre elles des communications et une correspondance régulière et directe tout à fait indépendantes d’un contrôle gouvernemental quelconque;

2. Lorsqu’une de ces Fédérations ou Sections se trouvera attaquée dans sa liberté, soit par la majorité d’un Congrès général, soit par le gouvernement ou Conseil général créé par cette majorité, toutes les autres Fédérations et Sections se proclameront absolument solidaires avec elle.

Ils proclament hautement que la conclusion de ce pacte a pour but principal le salut de cette grande unité de l’Internationale, que l’ambition du parti autoritaire a mise en danger.


TROISIÈME RÉSOLUTION

Nature de l’action politique du prolétariat.


Considérant:

Que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire ;

Que nul n’a le droit de priver les fédérations et sections autonomes du droit incontestable de déterminer elles-mêmes et suivre la ligne de conduite politique qu’elles croiront la meilleure, et que toute tentative semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme;

Que les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d’autre objet que l’établissement d’une organisation et d’une fédération économiques absolument libres, fondées sur le travail et l’égalité de tous et absolument indépendantes de tout gouvernement politique, et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l’action spontanée du prolétariat lui-même, des corps de métier et des communes autonomes;

Considérant que toute organisation politique ne peut rien être que l’organisation de la domination au profit d’une classe et au détriment des masses, et que le prolétariat s’il voulait s’emparer du pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante;

Le Congrès réuni à Saint-Imier déclare :

1. Que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat;

2. Que toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd’hui;

3. Que, repoussant tout compromis pour arriver à l’accomplissement de la Révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l’action révolutionnaire.


QUATRIÈME RÉSOLUTION

Organisation de la résistance du travail — Statistique.


La liberté et le travail sont la base de la morale, de la force, de la vie et de la richesse de l’avenir. Mais le travail, s’il n’est pas librement organisé, devient oppressif et improductif pour le travailleur ; et c’est pour cela que l’organisation du travail est la condition indispensable de la véritable et complète émancipation de l’ouvrier.

Cependant le travail ne peut s’exercer librement sans la possession des matières premières et de tout le capital social, et ne peut s’organiser si l’ouvrier, s’émancipant de la tyrannie politique et économique, ne conquiert le droit de se développer complètement dans toutes ses facultés. Tout Etat, c’est-à-dire tout gouvernement et toute administration des masses populaires, de haut en bas, étant nécessairement fondé sur la bureaucratie, sur les armées, sur l’espionnage, sur le clergé, ne pourra jamais établir la société organisée sur le travail et sur la justice, puisque par la nature même de son organisme il est poussé fatalement à opprimer celui-là et à nier celle-ci.

Suivant nous, l’ouvrier ne pourra jamais s’émanciper de l’oppression séculaire, si à ce corps absorbant et démoralisateur il ne substitue la libre fédération de tous les groupes producteurs fondée sur la solidarité et sur l’égalité.

En effet, en plusieurs endroits déjà on a tenté d’organiser le travail pour améliorer la condition du prolétariat, mais la moindre amélioration a bientôt été absorbée par la classe privilégiée qui tente continuellement, sans frein et sans limite, d’exploiter la classe ouvrière. Cependant l’avantage de cette organisation est tel que, même dans l’état actuel des choses on ne saurait y renoncer. Elle fait fraterniser toujours davantage le prolétariat dans la communauté des intérêts, elle l’exerce à la vie collective, elle le prépare pour la lutte suprême. Bien plus, l’organisation libre et spontanée du travail étant celle qui doit se substituer à l’organisme privilégié et autoritaire de l’Etat politique, sera, une fois établie, la garantie permanente du maintien de l’organisme économique contre l’organisme politique.

Par conséquent, laissant à la pratique de la Révolution sociale les détails de l’organisation positive, nous entendons organiser et solidariser la résistance sur une large échelle. La grève est pour nous un moyen précieux de lutte, mais nous ne nous faisons aucune illusion sur ses résultats économiques. Nous l’acceptons comme un produit de l’antagonisme entre le travail et le capital, ayant nécessairement pour conséquence de rendre les ouvriers de plus en plus conscients de l’abîme qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat, de fortifier l’organisation des travailleurs, et de préparer, par le fait des simples luttes économiques, le prolétariat à la grande lutte révolutionnaire et définitive qui, détruisant tout privilège et toute distinction de classe, donnera à l’ouvrier le droit de jouir du produit intégral de son travail, et par là les moyens de développer dans la collectivité toute sa force intellectuelle, matérielle et morale.

La Commission propose au Congrès de nommer une commission qui devra présenter au prochain Congrès un projet d’organisation universelle de la résistance, et des tableaux complets de la statistique du travail dans lesquels cette lutte puisera de la lumière. Elle recommande l’organisation espagnole comme la meilleure jusqu’à ce jour.


RÉSOLUTION FINALE

Le Congrès propose d’envoyer copie de toutes les résolutions du Congrès, et du Pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle, à toutes les fédérations ouvrières du monde, et de s’entendre avec elles sur les questions qui sont d’intérêt général pour toutes les fédérations libres.

Le Congrès invite toutes les fédérations qui ont conclu entre elles ce pacte d’amitié, de solidarité et de défense mutuelle, à se concerter immédiatement avec toutes les fédérations ou sections qui voudront accepter ce pacte, pour déterminer la nature et l’époque de leur Congrès international, en exprimant le désir qu’il ne se réunisse pas plus tard que dans six mois.


Les participants au Congrès de Saint-Imier (15 délégués) :

• 6 délégués des sections italiennes :
◦ Michail Bakunin
◦ Carlo Cafiero
◦ Andrea Costa
◦ Errico Malatesta
◦ Giuseppe Fanelli
◦ Ludovico Nabruzzi

• 4 délégués des sections espagnoles
◦ Carlos Alerini
◦ Rafael Farga-Pellicer
◦ Nicolas Alonso Marselau
◦ Tomàs Gonzáles Morago

• 2 délégués des sections françaises :
◦ Camille Camet
◦ Jean-Louis Pindy

• 2 délégués de la fédération jurassienne :
◦ James Guillaume
◦ Adhémar Schwitzguébel

• 1 délégué de deux sections américaines :
◦ Gustave Lefrançais

https://fr.theanarchistlibrary.org/libr ... -anti-auto
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 24 Juin 2017, 15:49

LA FÉDÉRATION JURASSIENNE

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Le congrès internationale de Saint-Imier signe un acte fondateur du mouvement anarchiste en proclamant que « toute organisation politique ne peut être que l’organisation de la domination au profit d’une classe et au détriment des masses et que le prolétariat, s’il voulait s’emparait du pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante ». Marianne Enckell, bibliothécaire bénévole au Centre international de recherches sur l’anarchisme de Lausanne, raconte comment des ouvriers horlogers d’une vallée suisse romande, influencés par Bakounine et des proscrits de la Commune de Paris, ont élaboré un syndicalisme socialiste antiautoritaire et antiparlementaire.

Fondée en 1864, à Londres, l’Association Internationale des Travailleurs (A.I.T.) est la première organisation qui affirme clairement que l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, répondant aux vœux de Marx vingt ans auparavant : « Prolétaires de tous le pays, unissez-vous ! » Quelque semaine plus tard, le Conseil général, son organe exécutif, est constitué et adopte l’Adresse inaugurale, les statuts et le règlement intérieur que Marx a rédigés.
L’A.I.T. n’a jamais atteint son grand but qui était l’unification du prolétariat organisé dans la lutte contre la capitalisme et la bourgeoisie. Il faudra l’expérience de l’organisation propre, des grèves et de leur soutien international, de la Commune de Paris où pour la première fois le peuple sut détenir le pouvoir, pour que la victoire du prolétariat ne paraisse plus irréalisable. Du jour où l’A.I.T est devenue communément la Première Internationale, la voie était ouverte pour une numérotation à l’infini.

Dans les montagnes Neuchâteleloises et le val de Saint-Imier, dans les années 1860-1880, toute la population travaille dans l’horlogerie. Les usines sont rares, presque tout le travail se fait à domicile. Chaque ouvrier est étroitement spécialisé. L’essor de l’horlogerie a entrainé un processus irréversible : une fois qu’une industrie s’implante dans une région, les travailleurs agricoles sont attirés par des salaires en espèce et des horaires réguliers ; il est très rare qu’ils retournent à la terre, même si le chômage s’installe. Ce mouvement de prolétarisation est général dans toute l’Europe du XIXe siècle, à des moments différents selon les pays. Pour les militants de l’A.I.T., les internationaux, il faut remplacer le patron, la propriété individuelle, par une propriété collective, une utilisation collective des outils et des ateliers, enfin une distribution coopérative permettant des rapports sociaux nouveaux et égalitaires ; mais seule une minorité d’ouvriers pensent ainsi.

Bakounine par ses conférences et ses articles a certainement influencé les sections jurassiennes de l’A.I.T. mais en jouant le rôle de révélateur. Il fait prendre conscience aux horlogers des Montagnes de leur propre histoire, de leur identité de classe et de l’existence de la bourgeoisie comme classe séparée.
En 1868, il fonde avec des amis de Genève et d’ailleurs l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, qui demande son adhésion à l’A.I.T. Celle-ci ne peut admettre en sein d’organisation internationale au programme concurrent. Elle va donc devenir une section genevoise et chercher à radicaliser les autres sections en diffusant ses idées et son programme athée, révolutionnaire et anti-étatiste.
En juin 1869, lors de grèves à Saint-Etienne et à la Ricamarie, la troupe tire sur les ouvriers et en tue quinze. En Angleterre aussi le gouvernement s’offre des massacres d’ouvriers.
Au congrès général de l’A.I.T. en septembre 1869, la division se dessine entre les communistes, partisans d’un État centralisé, et les collectivistes. Cette division se retrouve nettement lors du vote sur la question du droit d’héritage pour lequel Bakounine a proposé que l’on décide du principe de son abolition. L’unanimité se fait par contre sur la question des caisses de résistance.
Le congrès de La Haye en 1872 marquera la scission définitive entre « marxistes » et « anarchistes » comme on les appellera plus tard.

Entre les sections de Suisse romande de l’A.I.T. réunies en fédération au début de 1869, des oppositions se font jour, entre ceux qui veulent tout et tout de suite et ceux qui veulent composer avec la politique traditionnelle et leurs soi-disant alliés de la bourgeoisie.
Au second congrès de la Fédération romande, à La Chaux-de-Fonds, le 4 avril 1870, la scission est consommée entre les deux fractions. Bakounine avait prévenu : « Voulons-nous l’émancipation complète des travailleurs ou seulement l’amélioration de leur sort ? »
Le différent porte sur la coopération qui ne saurait suffire à l’émancipation des travailleurs. La coopération de production risque de faire des ouvriers de nouveaux bourgeois, faibles concurrents des grands patrons. Seule l’expropriation peut donner les instruments de travail à l’ensemble de la classe ouvrière. La coopération de consommation peut servir à soulager temporairement la misère, mais ne peut se généraliser sous peine de voir se réduire les salaires.
Mais c’est surtout la question du pouvoir qui sera au centre des débats : participer aux institutions bourgeoises de l’État pour conquérir le pouvoir ou s’abstenir. Pour les Jurassiens, la révolution sociale doit avoir lieu absolument en dehors des gouvernements politiques. Il rejettent le parlementarisme qui, selon eux, fait toujours le jeu de la bourgeoisie au pouvoir. La bourgeoisie n’a pas d’armes suffisantes contre les ouvriers organisés et solidaires, tandis qu’elle est toujours la plus forte au Parlement.

Le 12 juillet 1870, lorsqu’éclate la guerre entre la France et l’Allemagne, la Suisse mobilise. La bourgeoisie pense que cette diversion suffira à faire oublier la question sociale.
La tentative avortée de la Commune à Lyon, toute proche, puis à Marseille, Brest, Rouen, Le Creusot et enfin Paris en mars 1871, provoquera l’enthousiasme. La Commune est la négation de l’État, de l’exploitation du pouvoir des possédants. Après l’écrasement de la celle de Paris, une cinquantaine de proscrits sont accueillis à Genève. Leur témoignage et leur propagande écrite aura une grande influence.

Le congrès qui s’ouvre le 12 novembre 1871 à Sonvilier, verra se constituer la Fédération jurassienne, en rupture avec la Conseil général de l’A.I.T. Le principe d’autorité est incriminé : « Il est absolument impossible qu’un homme qui a pouvoir sur ses semblables demeure un homme moral. » La circulaire de Sonvilier, envoyée à toutes les fédérations de l’Internationale, propose d’éliminer l’autorité, les hiérarchies, dont ne peut naître que les inégalités.
La Fédération jurassienne aura un double caractère, d’organisation de classe ouvrière autour des fédérations de métiers et des caisses de résistance, et de noyau révolutionnaire avec ses sections de propagande, ses journaux et ses théoriciens.

En 1872, le congrès de l’A.I.T. sera organisé à La Haye, loin de la Suisse, pour tenter d’étouffer la fronde.

Le 15 septembre 1872, se réunit à Saint-Imier, le congrès anti-autoritaire. On ne peut résumer sa proclamation :
« Considérant :
Que vouloir imposer au prolétariat une ligne de conduite ou un programme politique uniforme, comme la voie unique qui puisse le conduire à son émancipation sociale, est une prétention aussi absurde que réactionnaire;
Que nul n’a le droit de priver les sections et fédérations autonomes du droit incontestable de déterminer elle-mêmes et de suivre la ligne politique qu’elle croiront la meilleure, et que toute tentative semblable nous conduirait fatalement au plus révoltant dogmatisme;
Que les aspirations du prolétariat ne peuvent avoir d’autre objet que l’établissement d’une organisation et d’une fédération économique absolument libres, fondées sur le travail et l’égalité de tous et absolument indépendantes de tout gouvernement politique, et que cette organisation et cette fédération ne peuvent être que le résultat de l’action spontanée du prolétariat lui-même, des corps de métier et des communes autonomes;
Considérant que toute organisation politique ne peut rien être que l’organisation de la domination au profit d’une classe et au détriment des masses, et que le prolétariat, s’il voulait s’emparer du pouvoir, deviendrait lui-même une classe dominante et exploitante;
La congrès réuni à Saint-Imier déclare :
1- Que la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat;
2- Que toute organisation d’un pouvoir politique soi-disant provisoire et révolutionnaire pour amener cette destruction ne peut être qu’une tromperie de plus et serait aussi dangereuse pour le prolétariat que tous les gouvernements existant aujourd’hui;
3- Que, repoussant tout compromis pour arriver à l’accomplissement de la révolution sociale, les prolétaires de tous les pays doivent établir, en dehors de toute politique bourgeoise, la solidarité de l’action révolutionnaire. »

Marianne Enckell raconte ensuite, avec toujours autant de précision mais sans jamais noyer son propos par une abondance de détails, l’organisation des sections par métiers et par localité, dans le Jura et aussi la réception de cette résolution dans les autres pays.
L’Internationale anti-autoritaire s’attache essentiellement au pacte de solidarité et aux relations autonomes entre les Fédérations qui la composent. Elle ne blâme pas ceux qui suivent une tactique différente, exigée par les conditions du milieu. Par exemple, les internationalistes anglais croient à l’utilité de l’action politique.
Le fédéralisme suisse n’est qu’une caricature, au service de l’État, du véritable fédéralisme basé sur les communes.
Les prolétaires d’Allemagne et d’Angleterre qui croient devoir lutter pour le suffrage universel et la représentation ouvrière dans les parlements, doivent en faire l’expérience pour s’apercevoir qu’ils ne servent à rien et qu’il faut se battre sur un autre terrain.

Débats et théories continuent mais pour les plus orthodoxes, tout programme est une atteinte au principe antiautoritaire, une dérive dogmatique qui empêcherait de voir évoluer des principes fondamentaux posés une fois pour toute.
Vers 1876, se dégage un nouveau concept : le communisme anarchiste que rejette le collectivisme (au producteur le fruit de son travail) pour une mise en commun du produit du travail autant que des instruments de production, « à chacun selon ses besoins ».

En 1875, l’armée tire sur les grévistes qui dénoncent les conditions de travail sur le chantier du tunnel du Gothard. Bilan : quatre morts et dix blessés. La lutte antimilitariste s’organise.
« Le temps n’est plus aux idées, il est aux faits et aux actes. » déclare Bakounine.

Cet épisode de l’histoire des mouvements révolutionnaires est la remise en cause, finalement précoce, de la phase transitoire de dictature du prolétariat préconisée par Marx au profit d’une destruction immédiate de l’État. Il préfigure tout l’enjeu des Révolutions russes et du drame de la Révolution espagnole, pays où ces idées se sont le plus répandues. Marianne Enckell nous donne les clefs historiques d’un débat qui n’a jamais cessé.


LA FÉDÉRATION JURASSIENNE
Marianne Enckell
140 pages – 10 euros.
Éditions Entremondes – Genève – mars 2011
http://entremonde.net/rupture
Première édition : Édition l’Âge d’homme – Lausanne – 1971

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede Pïérô » 25 Juin 2017, 11:24

Un trésor sans âge [1]

Nous relayons ci-dessous la traduction du texte « Un trésor sans âge » qui nous semble tenir bonne compagnie au contenu de notre ouvrage récent Les Chemins du communisme libertaire en Espagne 1868-1937 [2] où nous nous intéressons tout particulièrement à l’adoption par l’AIT antiautoritaire des principes communistes anarchistes en 1880, et à quelques-unes de ses conséquences en Espagne.

Les auteurs reviennent sur la personne de Carlo Cafiero et sur son texte Anarchia e Comunismo (1880), qu’ils l’envisagent « comme une contribution au présent, c’est-à-dire à la fois comme un « trésor perdu », et comme un « pressentiment du futur ».
Il y a là matière à un intéressant débat, même si nous ne passons pas toujours par les mêmes angles d’approche (nous y reviendrons).

Un trésor sans âge

« Si j’en réchappe, je sais que je devrai rompre avec l’arôme de ces années essentielles, rejeter (non refouler) silencieusement loin de moi mon trésor, me reconduire jusqu’au principe du comportement le plus indigent comme au temps où je me cherchais sans jamais accéder à la prouesse, dans une satisfaction nue, une connaissance à peine entrevue et une humilité questionneuse. » René Char, Feuillet d’Hypnos 195 (1946). Un trésor sans âge.

« […] l’État monte la garde devant le trésor qui nous a été volé, avec toutes ses autorités constituées et sa force armée, obstacles que nous devons abattre si nous voulons mettre la main sur notre bien ». Carlo Cafiero, La Rivoluzione (1880). [Traduit de l’italien par Haro]

« Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir ». Simone Weil, L’Enracinement (1949).

« Les hommes de la Résistance européenne n’étaient ni les premiers ni les derniers à perdre leur trésor. L’histoire des révolutions — de l’été 1776 à Philadelphie et de l’été 1789 à Paris à l’automne 1956 à Budapest —, ce qui signifie politiquement l’histoire la plus intime de l’âge moderne, pourrait être racontée sous la forme d’une parabole comme la légende d’un trésor sans âge qui, dans les circonstances les plus diverses, apparaît brusquement, à l’improviste, et disparaît de nouveau dans d’autres conditions mystérieuses, comme s’il était une fée Morgane. »
Hannah Arendt, La brèche entre le passé et le futur (1972).

***
De la Commune de Paris jusqu’à la Révolution russe, les seuls à se définir communistes furent les anarchistes. Les premiers à critiquer le collectivisme, et à soutenir l’implication réciproque entre anarchie et communisme, furent les membres de la fédération italienne de l’Internationale antiautoritaire, née à Saint-Imier (Suisse) en 1872. Bien que, dès 1876-77, les prises de position communistes étaient courantes de la part des anarchistes comme Malatesta, Costa ou Cafiero, le premier traitement approfondi de la question est Anarchia e Comunismo (1880) de Carlo Cafiero [I][ [3] . Les historiens, même ceux de notre bord, se bornent généralement à recontextualiser savamment ce texte. Nous proposons ici de l’envisager comme une contribution au présent, c’est-à-dire à la fois comme un « trésor perdu », et comme un « pressentiment du futur ».

1. Liberté & nécessité

S’il y a dans le raisonnement de Cafiero certains points que nous pouvons considérer comme immuables – la nature volontaire de la mise en commun des biens, l’insuffisance du critère de l’équité, la critique de l’alliance funeste entre mérite et hiérarchie – , d’autres points, en revanche, ont cessé depuis longtemps de faire partie de nos « trésors ».
En effet, la plupart des réflexions sur le communisme (y compris libertaire) se réfèrent aux schémas marxiens, et le texte de Cafiero n’en est pas exempt, puisqu’il développe l’idée que le communisme serait le dépassement du règne de la nécessité, et l’inauguration du règne de la liberté.

Cette idée remonte à Aristote : pour le philosophe grec la nécessité était le domaine des esclaves, qui dans le futur de l’humanité auraient pu être aussi des « esclaves mécaniques », et donc des machines. L’abolition de l’esclavage était déjà conçue comme dépendante d’un certain développement des forces productives, capable d’assurer le bien-être et le loisir [II] à tous. Il en va de même chez Marx, pour qui la production capitaliste est censée produire les conditions matérielles nécessaires au passage au communisme. Bien que la question de l’État - et plus généralement celle de l’autorité - sépare donc Cafiero et Marx. Bien que dans la pensée et dans la vie de Cafiero il n’y a pas de trace d’un quelconque fatalisme historique, parce qu’il n’existe pour lui aucun déterminisme à la solidarité, et que sans solidarité « consciente et voulue » il n’y a pas d’anarchie possible. Malgré ces points divergents, la manière de concevoir la fonction des machines - et donc celle de la science et de la technique - est tout à fait semblable à celle de Marx.

Il s’agit d’une conception qui plus tard, de l’Internationale situationniste aux expériences radicales des années 70, accompagna la réflexion révolutionnaire jusqu’à aujourd’hui. Quand Vaneigem présentait l’autogestion généralisée comme une société de seigneurs sans esclaves, ne sous-entendait-il pas que les esclaves auraient été les machines ? Il y a seulement quelques jours, pendant un cortège en réponse à la mort d’un ouvrier, nous sommes tombés sur l’inscription « assez du travail, il y a les machines » sur un générateur. Si les éloges de l’automation comme façon « communiste » de supprimer le travail salarié sont plutôt rares aujourd’hui, le schéma de pensée qui les sous-tend est encore bien présent. Il arrive d’ailleurs de trouver dans certaines publications de critique anti-industrielle l’affirmation selon laquelle de nos jours, les conditions matérielles seraient réunies pour une activité humaine libérée de l’oppression, mais sans préciser comment séparer les conditions matérielles de la machinerie industrielle qui les produit. Et même au sein du primitivisme anarchiste, le dualisme civilisation/liberté reprend, en le renversant, le dualisme aristotélicien et marxien de nécessité/liberté. Dans ce cas, ce n’est plus le développement du contrôle technique sur la nature qui est censé abolir l’esclavage, mais l’abolition de la civilisation - règne de la nécessité machinisée et sociale - qui est censée déterminer le saut dans la sauvagerie, elle-même règne de la liberté.

"Mais la liberté est un rapport constant avec la nécessité, pas son abolition."

Mais la liberté est un rapport constant avec la nécessité, pas son abolition. L’être humain ne sera jamais libre des nécessités naturelles et sociales. C’est un lieu commun que d’affirmer que l’abondance de biens matériels favorise l’entente et réduit les motifs de compétition, et donc de pouvoir ; mais l’aspect déterminant reste comment a été produite cette abondance matérielle. La liberté se joue dès ce moment-là, elle ne tombe pas du ciel après.

« La liberté ne se définit pas à partir du rapport entre les besoins et leur satisfaction, ni du rapport entre les désirs et leur réalisation. La liberté se définit dans le rapport entre pensée et action. »

La jeune Simone Weil, qui parvint à percer comme peu d’autres cette l’énigme que nous nommons « société », soutenait que la liberté ne se définit pas à partir du rapport entre les besoins et leur satisfaction, ni du rapport entre les désirs et leur réalisation. La liberté se définit dans le rapport entre pensée et action. Et elle ajoutait : « serait tout à fait libre l’homme dont toutes les actions procéderaient d’un jugement préalable concernant la fin qu’il se propose et l’enchaînement des moyens propres à amener cette fin. Peu importe que les actions en elles-mêmes soient aisées ou douloureuses, et peu importe même qu’elles soient couronnées de succès […]. Tout jugement porte sur une situation objective, et par suite sur un tissu de nécessités. » (Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934).

Or, en définissant le communisme à travers la formule classique « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », et en ajoutant que le communisme suppose donc la destruction de l’État et de tout organe autoritaire de mesure des possibilités et des besoins des individus, nous avons dit l’essentiel, mais pas tout. Il s’agit d’une condition nécessaire mais pas suffisante. Car la propriété juridique des moyens de production a cessé depuis longtemps - au moins depuis les années Trente - d’être la caractéristique essentielle de l’exploitation. La division fondamentale au sein de la grande usine, puis dans le monstrueux appareil techno-scientifique qui s’est développé à partir de la Seconde Guerre mondiale, est celle qui distingue d’un côté les dirigeants, et les exécuteurs de l’autre. Que les dirigeants soient formellement propriétaires des moyens de production est aujourd’hui tout à fait secondaire. Cela signifie qu’il n’y a plus - en admettant qu’il ait jamais existé - un « trésor », prêt à être conquis en abattant le gardien armé qui nous en sépare, à savoir l’État. Il faut admettre que l’oppression est inséparable de ce trésor, parce qu’elle est incorporée à la machinerie qui l’a produite. L’affirmation de Marx selon laquelle la base du capitalisme est « la dégradante division entre travail intellectuel et travail manuel » n’avait donc jamais été aussi vraie, à condition d’ajouter que les rapports sociaux, mais aussi les contextes, les machineries et les produits portent les signes de cette division.

« La propriété juridique des moyens de production a cessé depuis longtemps - au moins depuis les années Trente - d’être la caractéristique essentielle de l’exploitation. »

Si le mouvement luddite savait distinguer, au cours des assauts contre les premières fabriques, quelles machines détruire et lesquelles épargner - en fonction de précises coordonnées éthiques et sociales - aujourd’hui nous nous débattons entre une rhétorique apocalyptique d’une part, et la plus totale ignorance technique d’autre part. Il manque sans doute un « inventaire » des « trésors » à exproprier, et de ceux à jeter au feu. Mais il manque surtout un idéal de vie capable d’orienter cet inventaire. Des coordonnées éthiques et sociales.

Le mot « idéal » est tombé en désuétude, non sans raisons. Les utopies ont été bien trop souvent la modélisation de la société future, avec toute leur charge réactionnaire. Mais un idéal peut être quelque chose de différent, une orientation à l’intérieur de ce « tissu de nécessités » dont est faite la vie, « tissu de nécessités » que la révolution transforme radicalement, mais n’abolit pas. Le communisme anarchiste, pensé dans ce processus, ne serait alors pas un modèle, mais une orientation à partir du présent. […]

2. La tête & la main.

Pour Cafiero, le communisme anarchiste est la destruction de toute hiérarchie entre les êtres humains. L’anarchiste de Barletta écrit : « […] Il est impossible d’être anarchiste sans être communiste. La seule idée de la distribution des produits selon les mérites contient déjà en soi un germe d’autoritarisme. Elle ne pourra se manifester sans générer immédiatement la loi, le juge, le gendarme ». L’usage de moyens et richesses planifié par aucun organe central est avant tout un facteur de liberté. Il n’y a donc pas seulement la hiérarchie du politique, mais aussi et peut-être surtout celle de la fonction, qui fait de la coordination de l’activité associée une activité en soi.

"Du moment que la même machinerie peut produire des choses nécessaires et désastreuses, c’est précisément le rapport entre machines et liberté qui doit être bouleversé."

Le développement du capitalisme a dilaté démesurément les fonctions de coordinations, favorisant une idée des sciences et techniques qui retire toute faculté de compréhension et d’intelligence à ceux qui doivent exécuter sans penser. C’est de là directement que surgit l’oppression, transformant l’activité sociale en une énigme impénétrable pour l’individu - comme jadis les forces naturelles. Il n’est donc pas seulement nécessaire de supprimer les activités nocives, qui se sont petit à petit multipliées au cours des décennies, mais de penser aussi en profondeur comment sont produits les biens et services considérés comme utiles. Du moment que la même machinerie peut produire des choses nécessaires et désastreuses, c’est précisément le rapport entre machines et liberté qui doit être bouleversé. Les forces sociales sont toujours aveugles ; pour que la liberté ne soit pas une fiction creuse et ne se confonde pas avec le confort, le critère pour établir la nature d’une organisation sociale devrait être le rôle que jouent en elle la pensée et l’action des individus. À quel point ces derniers maîtrisent, donc, la construction, l’usage et la finalité des outils, en tant qu’instruments qui opèrent la médiation entre l’être humain et la nature.

Un début de réponse serait que « la société la moins mauvaise est celle où le commun des hommes se trouve le plus souvent dans l’obligation de penser en agissant, a les plus grandes possibilités de contrôle sur l’ensemble de la vie collective et possède le plus d’indépendance. » (S. Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934).

Mais à de rares exceptions, les machines produites par le capitalisme industriel, surtout avec l’introduction de l’informatique, obligent les individus à ne pas penser pendant qu’ils les font fonctionner. Non seulement à cause de l’extrême parcellisation des gestes et des tâches, mais aussi à cause de l’énorme ignorance technique sur laquelle elles se fondent et qu’elles reconduisent. C’est comme si, entre la technoscience qui les projette et les fabrique d’une part, et les individus qui les actionnent de l’autre, se trouvait une impénétrable opacité. Démanteler une telle opacité, qui fait des êtres humains les martyrs de leur propre histoire sociale, suppose une oeuvre quasi titanesque de destruction raisonnée. Écoutons encore la jeune Simone Weil :

« Le jour où il serait impossible de comprendre les notions scientifiques, même les plus abstraites, sans apercevoir clairement, du même coup, leur rapport avec des applications possibles, et également impossible d’appliquer même indirectement ces notions sans les connaître et les comprendre à fond, la science serait devenue concrète et le travail conscient ; et alors seulement l’une et l’autre auront leur pleine valeur. Jusque-là science et travail auront toujours quelque chose d’incomplet et d’inhumain. » (Op. cit.).

L’étude de la géométrie, l’usage d’un tour à bois et la mise en culture d’un champ ne devraient plus être séparés, afin que l’esprit de la liberté souffle sur toutes les activités des individus associés. Cela signifie, après des décennies d’abstractions objectivées et de facultés aliénées, un retour significatif à l’activité manuelle. Une activité sertie au milieu de coordonnées étiques et sociales, et en cela capable de saper les critères d’efficience et d’ergonomie, pour leur substituer le jugement autonome et la créativité individuelle. « Le génie du plus simple artisan l’emporte autant sur les matériaux qu’il exploite, que l’esprit d’un Newton sur les sphères inertes dont il calcule les distances, les masses et les révolutions. » (Proudhon). La liberté a besoin du fracas de la tempête, mais aussi de la patiente maîtrise du ciseleur.

Cafiero affirme à juste titre que la révolution sociale devrait avant tout modifier ce qui nous pousse à l’action. Croire que l’intérêt avare et immédiat détermine la vie commune humaine c’est ignorer le jeu complexe de reconnaissances réciproques qui fonde l’union entre les individus. Lorsque apparaissent de profondes et imprévue ruptures de l’ordre social, ce qui nous pousse à l’action change : l’élan généreux se substitue au calcul boutiquier, le sublime à l’utile, l’éthique du « maintenant ou jamais » à la logique du « petit à petit ». Même l’héroïsme a des composantes beaucoup plus impersonnelles que ce que comprend habituellement sa notion.

« l’État est la forme historique qui s’est substituée à la vie commune »

C’est pour cela que Cafiero associe le communisme anarchiste à une sorte de révolution permanente, capable de conserver les « trésors » que l’humanité conquiert dans la révolte, puis perd dans le retour à l’ordre. Vu que ces trésors ne se conservent ni par décret, ni par rhétorique, l’activité sociale doit maintenir au quotidien quelque chose de « grave, sublime et héroïque », de non planifié, non plombé par la pensée. Sans sombrer dans l’optimisme béat - dont Cafiero n’était d’ailleurs pas exempt - vis-à-vis de l’anarchie comme tendance spontanée et naturelle de l’évolution sociale, il s’agit de méditer profondément l’affirmation de Gustav Landauer selon laquelle « l’État est la forme historique qui s’est substituée à la vie commune ».

***
Il est temps d’abandonner les préjugés marxistes pour penser les « conditions matérielles d’existence ». La véritable source de la liberté n’est pas le développement des forces de production, mais bien l’autonomie. Et l’autonomie est avant tout une question de dimensions auxquelles rattacher les problèmes et leurs solutions. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si au cours de l’histoire, et même aujourd’hui dans certaines parties du monde, quand les insurgés empoignent leur vie, l’auto-organisation de la lutte et de la société finit par décomposer les agglomérations urbaines et productives en unités plus petites. La décentralisation des tâches, des fonctions et des ressources matérielles réactive le communalisme médiéval et les conseils de village, liés à une certaine tradition rurale. C’est ce qui est arrivé pendant la Commune de Paris en 1871, comme pendant l’insurrection d’Oaxaca en 2006. […] Le mode d’organisation d’un mouvement révolutionnaire détermine presque toujours le mode par lequel se reconstruit la vie commune et sociale. Non seulement une libre fédération de petites communautés autonomes, mais un démantèlement d’un monde-usine en faveur d’ateliers dotés de moyens pour être produits et gérés à l’échelle locale, de manière à ce que les différences individuelles enrichissent un contexte urbain et rural déjà socialement et géographiquement différencié. L’activité artisanale et productive rendrait ainsi encore plus varié ce que les plantes, les animaux, les plaines, les montagnes, les fleuves et l’architecture locale ont déjà rendu unique.

Dans les moments sombres de l’histoire, ce sont les traditions locales englouties qui ont alimenté la résistance et la révolte, et non la structure de l’usine. La libre fédération de petites communautés assure à la vie collective son caractère de tentative, où l’exemple - et non la coercition - peut rendre attirante la mise en commun des moyens et des capacités. Seule limite à l’activité isolée ou coopérative : ne pas exploiter le travail d’autrui. Limite non juridique, mais bien humaine : personne ne se laisserait exploiter en ayant la possibilité de faire par lui même, et de s’associer avec qui lui plaira. Bref, le problème du communisme anarchiste n’est pas technico-productif, mais bien éthique et social.

Quand des femmes et des hommes prennent les armes pour changer leurs propres vies, ils sont toujours plus défiants envers des solutions autoritaires et centralisatrices. C’est pour cela que le fédéralisme libertaire réapparaît alors « comme une fée Morgane » sur la boue de l’histoire. Étant donné que l’« avenir est le seul type de propriété que les maîtres concèdent de bon gré aux esclaves » (A. Camus), quand le conflit fait irruption dans l’histoire, c’est bien la question du présent qui est en jeu. Et c’est justement là, quand on cesse d’attendre, que pour défendre la liberté se déploient dans nos rangs, parmi nos armes, ces « trésors sans âge ». L’utopie du communisme anarchiste est un retour en avant.

Le Giorni e le notti, rivista anarchica, numéro 2, Octobre 2016 (Traduit de l’italien). rivistaigiornielenotti@autistici.org


[I] NDT : Cafiero est un anarchiste italien (1846-92), auteur du célèbre Abrégé du Capital de Marx (https://laretive.info/wp-content/upload ... du-Capital)

[II] NDT : loisir au sens antique de l’otium, oisiveté : temps libre dévolu à la pensée et aux arts


[1] Traduit de l’italien par les rédacteurs du site grenoblois « Haro » où ce texte a été publié le 25 février 2017 : https://haro-grenoble.info/spip.php?article178

[2] http://gimenologues.org/spip.php?article717

[3] Nous le plaçons à la suite de ce texte. Note des Giménologues]


http://gimenologues.org/spip.php?article728
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 30 Juil 2017, 16:07

La propagande par le fait et l'"anarchie subventionnée"

Une tactique qui sent la poudre dans les mains de quelques activistes et un journal publié au frais du capital persuadé de ses fondements. Une période de questionnement dans le mouvement anarchiste.

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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 30 Aoû 2017, 20:14

L'A.I.T fédéraliste: apogée et disparition

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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 14 Sep 2017, 18:43

Bulletin de la Fédération Jurassienne (1872-1878)

Publication de la Fédération jurassienne diffusée à près de 600 exemplaires entre 1872 et 1878.

Parmi les principaux contributeurs, on retrouve James Guillaume, P. Brousse, C. Cafiero, James Guillaume, B. Hubert, Pierre Kropotkine, G. Lefrançais, Benoit Malon, Paul Robin, A. Schwitzguébel, A. Spichiger.

à consulter en ligne, PDF : http://archivesautonomies.org/spip.php?article75
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 23 Sep 2017, 21:41

L’appartenance à l’A.I.T. devient un crime le 14 mars 1872. A Lyon, on tente de passer outre...

Les tentatives de reconstitutions de la première Internationale et les débuts du mouvement anarchiste à Lyon (1871-1881).

Synthèse du mémoire de maîtrise de Lionel Bébin, publiée dans les Mélanges d’Histoire Libertaire n°2.
Disponible au Centre de Documentation Libertaire de Lyon.

Après l’épisode sanglant de la Commune, le législateur français souhaite se prémunir contre toute organisation ouvrière. C’est ainsi qu’est votée le 14 mars 1872, sur proposition de Thiers, la loi Dufaure criminalisant l’appartenance à l’Association Internationale des Travailleurs, bien que celle-ci n’ait joué aucun rôle dans le déclenchement des incidents tout aussi bien dans d’autres villes qu’à Paris. Mais, comme le rappelle judicieusement Yves Lequin : « La tendance à voir l’Internationale à l’origine de toutes ou presque toutes les agitations ouvrières n’est pas nouvelle ».

De plus l’occupation du territoire français par les troupes de l’empereur Guillaume qui se prolonge jusqu’au 16 septembre 1873 et la circulation des voyageurs allemands alimentèrent le mythe du complot ourdi contre la France.

La conséquence fut que la loi Dufaure considéra l’A.I.T. comme un Etat distinct, dont les membres devaient dès lors choisir entre cet Etat sans territoire et leur Etat de résidence.

Le mouvement internationaliste lyonnais était néanmoins dans une situation difficile avant même que le législateur ne s’arme de cette nouvelle disposition. A l’échec des tentatives insurrectionnelles de la Commune de Lyon le 23 mars 1871 ainsi que celle de la Guillotière le 30 avril 1871 et au revirement politique de deux de ses principaux meneurs (Albert Richard et Gaspard Blanc) devenus partisans du socialisme impérial, viennent s’ajouter l’exil volontaire de nombreux militants en Suisse et pour certains ayant préféré rester à Lyon, le procès d’août 1871.

L’année 1872 marque néanmoins un renouveau. L’exposition universelle de Lyon s’ouvrant le 7 juillet 1872, les internationalistes pensaient que le prétexte serait bon pour se rencontrer et s’organiser à nouveau. Et de fait, des sections se sont reconstituées à Oullins, à la Croix-Rousse sous l’impulsion de Henri Boriasse, à la Guillotière grâce à Pierre Dubois, mais aussi à Saint Just, Saint Etienne, Tarare, Grenoble, Villefranche et Roanne. Ces efforts de reconstitution de l’Internationale ont rapidement amené la réaction des autorités. Deux grands procès collectifs ont démembré les sections réorganisées. Tout d’abord, en mars 1873, un premier procès marque la fin de l’activité de la section d’Oullins, et puis en avril 1874, c’est la grande et célèbre affaire du complot de Lyon qui paracheva la mise à mort du mouvement ouvrier internationaliste.

Avant de suivre les avatars de ce courant après ces deux procès, nous pouvons examiner plus profondément le fonctionnement et l’idéologie qui le faisait vivre.

Sous l’impulsion donnée par le stéphanois Pierre Gillet, un programme était adopté proposant la complète autonomie des groupes et la multiplicité de ceux-ci, chacun devant être constitué de cinq membres seulement. Chaque groupe nommait un délégué et la réunion de ces délégués formait un comité départemental chargé de la correspondance et totalement dénué d’autorité. Un système identique s’appliquait aux échelons régionaux. Mais ce projet devait s’avérer difficile à mettre en place, toutes les régions n’étant pas au même stade de reconstruction.

De plus cette marche en avant était régulièrement stoppée par les arrestations des principaux promoteurs de l’A.I.T.
Chaque affilié était en possession d’un livret où figurait ses nom, origine, naissance, profession et numéro d’adhérent. En échange d’une cotisation, il était délivré un timbre figurant sur le livret. Entre 1872 et 1874, cette cotisation est passée de 10 centimes par semaine à 25 centimes pour la même durée dans le groupe de la Croix-Rousse. Celles-ci étaient essentiellement destinées à l’achat de livres et de brochures, et au financement des voyages de propagande des militants.

Ce système présentait bien des inconvénients face à la surveillance policière. En conséquence, les cotisations ont cessé d’être répertoriées sur le livret puis ces mêmes livrets ont bientôt été supprimés.

Camille Camet, jeune tisseur croix-roussien, de retour à Lyon après la tenue du congrès de l’A.I.T. à Genève en septembre 1873, proposa un programme politique, lors de la tenue d’une réunion d’internationalistes le 18 octobre 1873. Ce programme comportait 6 articles contenant sa profession de foi :
- Lyon est déclarée commune libre et autonome
- La dissolution de la police est instituée, la surveillance est à la vigilance de chaque citoyen
- Les codes et la magistrature sont abolis et cette dernière remplacée par un tribunal populaire
- Les impôts indirects et directs sont abolis au profit d’une taxe sur la fortune et la propriété
- Les cultes sont abolis
- Également abolie, l’armée permanente.

De fait, des commissions étaient prévues pour assurer la sûreté générale ou les finances. Une commission de subsistance était créée pour apporter des secours aux indigents, et une autre instituait une milice de citoyen en remplacement de l’armée.

Mais ce programme, pour révolutionnaire qu’il soit, avait ses limites : ainsi, alors que la question du droit au travail est revendiquée, rien n’est dit sur la possibilité d’abolir le salariat. De même pour la collectivité de la propriété, écartée au profit de l’instauration d’une simple taxe sur la fortune et les biens. Camille Camet fut peu de temps après, arrêté et compris dans le procès d’avril 1874 dit du complot de Lyon.

Après les procès, les militants les plus avancés continuèrent individuellement et plus secrètement que jamais d’appartenir à l’A.I.T. Mais aucun groupe n’osa s’en revendiquer objectivement. Un congrès ouvrier, convoqué à Lyon pour le 28 janvier 1878, sous haute surveillance policière, fut l’occasion pour certains de sortir de la torpeur dans laquelle baignait le mouvement internationaliste. Quelques orateurs ouvriers s’éloignèrent parfois des notions à l’ordre du jour et des questions de corporations au profit de discours plus politique. L’amnistie des communards est même réclamée avec ferveur. Mais l’écho restait restreint. Le congrès pris fin le 10 février suivant non sans avoir demandé la tenue d’un autre congrès ouvrier, international celui là. Voulant éviter tout retour légal de l’A.I.T. sur le sol français, cette autorisation n’a pas été donnée.

Le 3ème congrès ouvrier eût lieu l’année suivante à Marseille. Parmi les résolutions, figure celle concernant un projet de formation d’une fédération des travailleurs socialistes. La France serait divisée en 6 régions soit en 6 fédérations régionales. Et l’été suivant, chaque région organisa un congrès pour constituer la fédération.

A Lyon, le 29 février 1880, au théâtre des Variétés, devant une assistance de 500 personnes, la fédération du parti ouvrier socialiste de la région de l’Est était créée. La doctrine de la nouvelle organisation se référait au collectivisme économique, mais était déchirée sur le plan politique entre les suffragistes et les abstentionnistes. Ces derniers ont alors fondé un groupe dit du Drapeau rouge en janvier 1881. Les tensions entre les deux camps allaient crescendo lorsque les abstentionnistes prirent l’initiative de dissoudre le parti ouvrier de la région de l’Est ; les suffragistes leur emboîtèrent le pas et les exclurent du parti. Dès lors, les abstentionnistes allaient marcher seul au combat sous le nom d’anarchistes.


https://rebellyon.info/L-appartenance-a-l-A-I-T-devient
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Re: Congrès international antiautoritaire de St Imier

Messagede bipbip » 20 Jan 2018, 13:24

Réunion anarchiste internationale de Genève (août 1882)

Réunion internationale de Genève (août 1882)

La réunion intime des anarchistes organisée par la Fédération Jurassienne, a eu lieu dimanche 13 et lundi 14, à Genève.

Le nombre des compagnons assistant a dépassé de beaucoup les espérances des organisateurs, et on peut affirmer que les sympathies qui s’y sont créées ne sont pas de courte durée et qu’elles contribueront à avancer l’œuvre à laquelle nous nous vouons tous : l’alliance internationale des travailleurs.

Dans leur dernière entrevue, les membres de la réunion ont rédigé le manifeste suivant qu’ils soumettent à l’étude dés révolutionnaires sincères.

Les anarchistes, réunis à Genève, se sont trouvés d’accord sur les principes suivants, et qu’ils croient de leur devoir d’exposer à leurs compagnons.

« Notre ennemi, c’est notre maître » anarchistes, c’est-à-dire « hommes sans chefs » nous combattons tous ceux qui se sont emparés d’un pouvoir quelconque ou veulent s’en emparer. Notre ennemi, c’est le propriétaire qui détient le sol et qui fait travailler le paysan à son profit ; notre ennemi, c’est le patron qui possède l’usine, et qui la remplit de serf du salariat; notre ennemi, c’est L’État monarchique, oligarchique, démocratique, ouvrier, avec ses fonctionnaires et ses états-majors d’officiers, de magistrats et de mouchards; notre ennemi, c’est tout abstraction de l’autorité, qu’on appelle diable ou bon Dieu, au nom de laquelle les prêtres ont si longtemps gouverné les bonnes Âmes; notre ennemi, c’est la loi toujours faite pour l’oppression du faible par le fort, et pour la justification et la consécration du crime.

Mais si le propriétaire, le patron, les chefs d’Etats, les prêtres et la loi sont nos ennemis, nous sommes aussi les leurs et nous nous redressons contre eux.

Nous voulons reconquérir le sol et l’usine sur le propriétaire et le patron, nous voulons abolir l’Etat, sous quelque nom qu’il se cache, reprendre notre liberté morale contre le prêtre et la loi. Dans la mesure de nos forces, nous travaillons à la destruction de toutes les institutions officielles et nous nous déclarons solidaires de tout homme, groupe ou société qui nie la loi par un acte révolutionnaire, nous écartons tous les moyens légaux parce qu’ils sont la négation même de notre droit, nous repoussons le suffrage dit universel, ne pouvant nous départir de notre souveraineté individuelle et nous rendre d’avance complice des crimes commis par de prétendus mandataires. Entre nous anarchistes et tout parti politique conservateur ou modéré, combattant toute liberté ou la concédant par doses, la scission est complète. Nous voulons rester nos propres maîtres, et celui d’autre nom qui viserait à devenir un chef ou traître à notre cause.

Toutefois, nous savons que la liberté individuelle ne peut exister sans association avec d’autres compagnons libres. Nous vivons les uns pour les autres ; c’est la vie sociale qui nous a fait, c’est le travail de tous qui donne à chacun le sentiment de son droit et la force pour le défendre.

Tout produit social est une œuvre collective à laquelle tous ont également droit. Nous sommes donc communistes, nous reconnaissons que sans la destruction des bornes patrimoniales, communales, provinciales, nationales, l’œuvre de la révolution est toujours à refaire. A nous de conquérir et de
défendre la propriété commune, quelle que soit notre langue et l’étiquette des gouvernements à renverser.

L’Étendard révolutionnaire : Organe anarchiste hebdomadaire 20 août 1882



... https://anarchiv.wordpress.com/2018/01/ ... aout-1882/
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