Travail

Re: le rapport au travail

Messagede Tuxanar » 20 Oct 2009, 20:33

Plus que le travail, c'est le salariat comme principal mode de production qu'il faut supprimer.

Le salariat, qu'est ce que c'est ?

D'un point de vue juridique, c'est d'abord et avant tout une obéissance forcée du travailleur à son patron, que ce soit une entreprise ou un petit patron. Cette obéissance découle de la domination économique du patron sur le salarié. N'ayant pas la maîtrise de son outil de production, le salarié ne peut pas être indépendant de son employeur.

Le salariat représente donc un mode d'organisation du travail autoritaire totalement incompatible avec un monde libertaire. En revanche, le travail ne peut être évacué du monde.

Le mode d'organisation devra être modifié par la révolution. Et pour ça, on devra faire d'autres distinctions que celles fondées sur la hiérarchie de l'entreprise. En fait, on pourra distinguer les activités productives, les activités de "service" et les activités intellectuelles.

Les activités productives (ce qui comprend les activités d'entretien des machines et des lieux) deviendrait obligatoire pour tous, ce qui provoquerait une forte diminution du temps de travail. D'où une aliénation minimale par ce travail ingrat.
Les activités de service serait tout ce qui touche aux services aux personnes : s'occuper des personnes âgées, de l'éducation, des malades, des handicapés ... Ces activités devraient également être obligatoire mais avec une spécialisation.
Les activités intellectuelles seraient ce qui touchent la recherche scientifique, les activités de mandat dans le cadre d'une organisation autogestionnaire. Ces dernières ne seraient pas obligatoires.
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Re: le rapport au travail

Messagede berneri » 22 Oct 2009, 13:04

voici un extrait d'un texte que j'avais produit il y a 2 ans pour debatre dans mon syndicat:


[...]
Le concret, le réel des situations de travail nous implique en tant que travailleurs physiquement et psychiquement que ce soit dans la production de services ou de biens.

Cela est particulièrement vrai à l'hôpital puisque l'objet de notre travail est la restauration de la santé d'autres personnes. C'est cet objectif qui pourvoit du sens à notre travail.

La nature des pratiques que nous appliquons à pour but d'agir favorablement à la réalisation de cet objectif que nous nos fixons en tant que professionnels et plus largement en tant qu'institution de soins au niveau de l'hôpital c'est-à-dire en tant qu’acteurs du service public hospitalier.

L'organisation, la structuration, les moyens techniques, humains et financiers devraient donc permettre à l'institution et aux professionnels de réaliser leur tâche.

Dans nos contextes de travail , c'est nous professionnels qui transcrivons dans le réel la fonction de l’hôpital, les soins par nos gestes, nos mots, par la mutualisation de nos efforts musculaires et cérébraux quel que soit notre statut au sein de l'institution.

Ce passage de ce qui est prescrit (restaurer la santé) au réel ne peut être décrit précisément par les textes légaux et administratifs, il demande à être incarné pour être réalisé.

Cela passe trop souvent inaperçu y compris même au sein de l'hôpital, savoir être, savoir faire, expériences, inventions du quotidien professionnel .... nous parvenons à faire notre travail au prix d'un engagement de notre personne et si nous nous tenions aux textes il y a fort à parier que rien ne fonctionnerait au niveau des services , au détriment des patients notamment. Bref à l’heure actuelle la qualité des soins est maintenue par l’investissement des soignants. C’est par un effort zélé du personnel que l’hôpital « tourne correctement » mais dans un contexte de restrictions budgétaires , de plan d’économie, de pénurie de personnel cela peut aboutir à de graves conséquences sur notre santé physique et mentale.


Ces efforts, cet engagement ont donc un impact direct sur l’usure professionnelle voire sur la santé.

Lorsque nous n'adhérons pas à ce qui est prescrit par les textes ou par les orientations de travail cela crée des tensions internes qui peuvent aller jusqu'à la souffrance au travail. Lorsque la façon de travailler qui nous est proposée ne répond pas dans le réel à nos valeurs éthiques et professionnelles cela crée de la souffrance au travail.

En outre, lorsque nous n’estimons pas pouvoir bien faire notre travail, que nous en constatons les conséquences, nous sommes dans la souffrance au travail …. Et l’encadrement et les directions d’en rajouter paradoxalement sur la culpabilisation des personnels, ici ou là on travaille mal, on n’est pas économe, on ne rempli pas ou pas correctement les nouvelles fiches, …

Le syndicalisme ne peut pas ignorer ce fait et c'est d'ailleurs ce à quoi nous nous attelons lors des défenses individuelles de salariés face à leur hiérarchie : remettre les événements dans leur contexte, mettre en évidence les contradictions, faire ressortir les conditions de travails, les paradoxes, ...

Nous devons même en débattre car le syndicat est aussi un lieu de libre expression des travailleurs sans pression hiérarchique… et malgré le temps qui manque pour faire tout ce qu’un syndicat s’impose à faire n’est-il pas aussi inévitable d’en trouver pour évoquer le vécu au travail et de tirer ensemble vers des réponses collectives plutôt que laisser chacun dans son coin ? Sinon où ?

Nous agissons déjà également quand les pratiques professionnelles sont en contradiction avec les objectifs de restauration de santé, l'éthique et les valeurs humanistes à l'hôpital.

Nous ne sommes pas les seuls syndicalistes à nous poser des questions : la question des pratiques pédagogiques reste centrale pour nos camarades de l'éducation, la question du flicage des chômeurs et des rmastes pour nos camarades des organismes sociaux, la question du flicage des jeunes et du contrôle de la population pour les éducateurs et autres même les syndicats policiers se préoccupent des pratiques professionnelles ... Les questions qui concerne le service public sont souvent défendues par les salariés ( Poste, EDF-GDF,...) … pour finir on discute même des pratiques syndicales dans les syndicats.

En plus de la nécessaire action de défense des statuts et des conditions matérielles de le syndicat est aussi le lieu pour parler de notre travail, pour en dire quelque chose sur sa finalité, son sens, d'ailleurs les pratiques professionnelles ont des implications matérielles sur les aménagement de locaux, les postes de travail,...

Et, même au delà, une séparation entre le travail et les conditions de travail semble une proposition tellement irréalisable que nous l'enfreignons tous les jours dans le cadres de notre activité syndicale quand nous évoquons les problèmes en pneumologie, en gérontologie, à la maternité , en psychiatrie….

De plus que cherchent en permanence nos employeurs : cantonner notre action syndicale à l’accompagnement de l’application des textes de lois, à une défense « raisonnable » des situations individuelles, des textes de lois... évidemment en gardant pour eux les vraies cartes en mains. Est ce à eux de définir le rôle des syndicats ?

[...]
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Travail

Messagede kuhing » 03 Nov 2010, 09:16

Un texte de Gabriel Grandjean à lire ou écouter ( 17mns) assez intéressant je crois, sur l'organisation et l'essence du travail ( 1955 )

Travail - Grandjean
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Travail et crise du conflit politique dans les sociétés occi

Messagede Nico37 » 16 Jan 2011, 18:33

Travail et crise du conflit politique dans les sociétés occidentales : Ne plus perdre sa vie à la gagner Article paru dans la revue "Noir & Rouge", n°28, 1993

Un dossier sur le travail, et un gros... Nous avions traité du syndicalisme (Noir & Rouge n°1) et tenté un bilan politique, économique et social des années 80 (Noir & Rouge n°24-25). Il sera ici question du travail sous l’angle historique et philosophique - pour voir comment une certaine sacralisation du travail a influé sur l’idéologie des révolutionnaires depuis plus d’un siècle. Puis du travail sous l’angle économique et social, avec une analyse du fordisme et de la société duale. Enfin, du travail sous l’angle politique, avec une réflexion sur la « classe ouvrière », la lutte des classes et le rapport au travail salarié - pour voir comment aller vers une « réduction du temps de travail sans diminution de salaire ». Donc pour à la fois inciter à rêver de nouveau et contribuer à rendre le rêve... réalité.

TRAVAIL ET CRISE DU CONFLIT POLITIQUE DANS LES SOCIETES OCCIDENTALES

« Le travail emporte tout le temps, et avec lui on n’a nul loisir pour la République et les amis. » (Xénophon, Economique)

Le travail tel que nous l’entendons aujourd’hui est une signification imaginaire récente dans l’histoire humaine : elle est le fruit de notre société et l’un des piliers de son fonctionnement. Le mouvement révolutionnaire traditionnel qui s’était créé et épanoui en opposition avec l’ensemble des significations de cette société s’est très vite incorporé au système dominant pour n’en être plus d’abord qu’une critique interne et pour, finalement, dans la seconde partie de ce siècle, disparaître. Ce mouvement sociopolitique s’est en effet peu à peu fondé, sous ses figures dominantes - essentiellement marxiste, mais aussi anarchiste (surtout anarcho-syndicaliste) - sur des valeurs ouvriéristes et économicistes. Son objectif essentiel était la libération humaine par le travail, l’économie, la technique, les forces productives - complément de justification idéologique par excellence de la bureaucrate qui prétendit en être l’avant-garde dirigeante.

Je voudrais montrer que la fin du mouvement ouvrier traditionnel est contemporaine d’une crise anthropologique de notre société, des « valeurs »-significations qui la portent. Les situationnistes avaient nommé notre société en crise « société du spectacle » : elle ne fait plus que se re-produire interminablement dans l’autocaricature ; il en est de même, essentiellement, pour ce qui reste du mouvement révolutionnaire au sens étroit (militant).

Le travail comme signification imaginaire de la société capitaliste

La « notion » de travail est inséparable de toute une constellation de significations imaginaires qui tisse notre manière d’exister et d’être au monde. Notre société se vit comme un système biologique autorégulé et auto-expansif fonctionnant par absorption d’énergie et d’information et « maîtrise rationnelle » de processus sociaux et naturels. Son utopie cauchemardesque naît de celte autodénégation de l’humanité sociale comme telle - création « culturelle » -, imaginaire et pas seulement espèce biologique. Elle est donc fondée sur une antinomie essentielle et inédite dans l’Histoire. Cette antinomie générale prend de multiples figures concrètes, nous l’envisageons ici dans le domaine du travail.

Le travail est vécu comme la forme essentielle de toute activité humaine. Au départ, il naît dans l’élément matriciel du capitalisme : l’entreprise industrielle, la production. Mais il est préparé et finalement matérialisé au cours d’une période historique de latence pratique et idéologique sur laquelle je ne peux m’étendre - naissance et développement de la bourgeoisie et de son imaginaire, incarnation « protestante » de la religion, révolution philosophique et scientifique, bureaucratie d’Etat. L’entreprise industrielle (« fabrique ») classique est le lieu où viennent s’incarner et converger l’esprit bourgeois et la révolution techno-scientifique : tel est le noeud qui rend effective l’expansion pour l’expansion qui fait le coeur de notre imaginaire.

Travailler : créer un type d’individu - le prolétaire - dont les représentations, les désirs, les affects ne soient plus que ceux naissant dans l’activité productive, des rythmes indépendants des machines et des normes bureaucratiques, dont le temps par conséquent est vidé de sa substance et déterminé extérieurement - tel est l’objectif de la société qui s’épanouit au XIXe siècle. Tâche antinomique par excellence : demander à des individus - venant essentiellement d’une civilisation agro-pastorale étrangère au travail - de trimer seize heures par jour en brisant les communautés d’activité, les solidarités « informelles » sans lesquelles pourtant le travail est impossible, irréalisable. Absurdité constitutive.

L’idée d’exploitation et le conflit politique dans la société capitaliste libérale classique

On remarque sans doute que j’insiste sur le côté domination plus que sur l’« exploitations - l’extorsion de plus-value, la marchandise, le salariat. En effet, pour moi, l’« exploitation » n’est qu’un moment de la domination. Ce que les marxistes, et l’essentiel du courant radical à leur suite, ont théorisé comme « exploitation » voilait l’essentiel du processus capitaliste et visait à légitimer comme bonne en soi l’expansion des forces productives. Contre cette conceptualisation idéologique, le mouvement ouvrier dans son effectivité - dans le travail concret et dans ses créations sociopolitiques révolutionnaires - a montré que l’exploitation ne peut être qu’une idée politique - présupposant l’idée d’une autre société possible : Autrement dit, le concept purement économique d’exploitation est une fallace. Dans l’acception marxienne dominante, l’exploitation - le dégagement d’un surplus par extorsion de plus-value au travail - exclut l’investissement productif comme intrinsèquement bon, « nécessaire » : il faut dire bien haut que l’expansion des forces productives est bien plutôt un choix social-politique. La « structure de l’investissement » devrait changer radicalement dans une période révolutionnaire - et cela relèverait de choix politiques réfléchissant sur et incarnant de nouvelles valeurs-significations.

Dans la théorie « révolutionnaire » dominante, le taux de surplus, donc d’exploitation des travailleurs, était principalement extérieur à ceux-ci (1) et à l’ensemble des « citoyens »-consommateurs. Un volume de temps de « travail socialement nécessaire » découlait nécessairement de la capacité productive globale du système. Ce fut l’apport principal de Socialisme ou barbarie de casser cette mystification - soeur jumelle de l’idéologie bourgeoise. En fait, le « taux d’exploitation » est le résultat d’un conflit qui prit une forme politique explicite dans la création révolutionnaire (conseils...) : à l’intérieur même de la production par la lutte entre producteurs et bourgeois contre le travail et les rythmes contraints, d’abord ; puis, très vite, entre producteurs et appareils bureaucratiques de domination économique et politique, dans l’usine et dans la société. L’utopie du Capital est d’éradiquer son antinomie principielle par automatisation intégrale et de la production, et de l’ensemble de la société (« consommation »). Cette utopie se matérialise dans une idéologie technocratique qui masque le caractère essentiellement bureaucratique de la domination contemporaine.

La crise de la société et du conflit politique

La détermination des techniques, de l’économie, de l’organisation du travail fut longtemps l’enjeu d’une lutte de classes explicite - la lutte ouvrière fut longtemps (un siècle) l’élément central et déterminant de la politique contemporaine. Aujourd’hui, elle ne l’est plus - et c’est principalement cela qui a engendré la « crise » que nous vivons : l’autonomisation délirante de la sphère techno-scientifique par contumace de la lutte politique de la population - celte crise est impensable dans le référentiel radical traditionnel, marxiste ou anarchiste. Un travail (!) exhaustif devrait envisager l’ensemble de la crise anthropologique présente (ce qui n’est fait par personne à ce jour) ; je me contente bien entendu de l’envisager ici sous l’angle du travail.

On a montré (2) que le capitalisme n’a pu fonctionner, pendant cent soixante-dix ans, que par la lutte de classes, implicite et explicite. C’est ici que se marque la différence essentielle du capitalisme bureaucratique libéral et de systèmes bureaucratiques totalitaires dits « socialistes » : la possibilité - par une dure conquête pour la classe ouvrière, grâce aux droits acquis, qui ne sont pas seulement « formels », par conséquent, de négocier explicitement le salaire et l’ensemble du « contrat de travail » (durée et conditions de travail, etc.) : c’est par cette lutte qu’elle a pu, longtemps, réduire la durée du travail, empêcher l’augmentation de l’exploitation, limiter le chômage, etc.

Il me faut ici tracer rapidement le schéma général de l’histoire et de la fin de la lutte des classes au sens fort du terme. La lutte ouvrière eut longtemps un double aspect : dans la production, par la coopération informelle contre les normes techniques et bureaucratiques qui déplace sans cesse la limite formelle entre dirigeants et exécutants ; les appareils de domination, pour maîtriser la production, doivent en riposte rendre le travail de plus en plus impersonnel, abstrait : ce qui débouche finalement sur les impasses du taylorisme que connurent les pays occidentaux dans les années 60. L’autre aspect de la lutte des classes était politique et visait explicitement une orientation alternative de la société - il culmina dans la formation d’une classe politique au sens propre qui créa ses organisations (syndicales et autres), un véritable internationalisme et l’embryon d’une autre institution imaginaire de la société (communes, conseils, fédéralisme, remise en cause de l’économie, etc.). Aujourd’hui, ce qu’il reste de la « classe ouvrière » n’est plus qu’un ensemble hétérogène de groupes d’intérêt qui, hors de la production, ne luttent plus que pour une meilleure place dans la société et le maintien de ses statuts. Mais, plus fondamentalement, qu’est-ce que la « classe ouvrière » - et qu’est-ce que le travail aujourd’hui ?

Dans les années 60 et 70, les luttes ouvrières « informelles » (ou pas) dans l’entreprise atteignirent des proportions telles (grèves sauvages, absentéisme, turn-over important, etc.) que l’OST (Organisation scientifique du travail, taylorisme) dut pour une part être remise en cause : les expériences bureaucratiques d’« enrichissement des tâches », d’« équipes autonomes », les projets de la sociologie et de la psycho-sociologie bourgeoises commencèrent à fleurir. Virtuellement, le problème global de l’autogestion collective était alors posé en riposte à cette orientation : sauf cas marginaux, aux retombées partielles et momentanées (Lip, Fiat, etc.), la riposte ouvrière n’eut pas lieu.

La bourgeoisie et ses appareils bureaucratiques rompirent alors toute mesure et « décidèrent » (?) d’une véritable révolution technico-organisationnelle (les « restructurations industrielles » n’en sont qu’un aspect). Il faut donc bien voir que l’autonomisation techno-scicnlifique mondiale qui prit une allure insensée dans les années 80 est due pour l’essentiel à la fin de la classe ouvrière comme classe socialement en lutte explicite contre le système et, plus profondément, à l’évanescence générale des conflits politiques et à l’accélération concomitante de la privatisation des individus. En fait, l’organisation bureaucratique du travail, née, comme nous l’avons dit, dans la production, est devenue au tournant du siècle la forme générale de toute activité - la société elle-même prit l’aspect d’une gigantesque entreprise bureaucratique multipyramidale : l’Etat contemporain. Dans ces conditions, ce n’est pas seulement le travail productif qui entra en crise, mais toute activité humaine comme telle - le processus de socialisation et de mise en sens du monde. L’autonomisation de tous les secteurs et de toutes les organisations nécessita alors une intensification des médiations de tous genres (argent, médias, publicité, « services », « public relations », syndicats intégrés, etc.)

Dans un tel contexte, la classe ouvrière traditionnelle devient peu à peu marginale : dans la production automatisée, elle n’est plus qu’à la périphérie, ou bien carrément exclue des processus (« chômage »). Les ouvriers professionnels qui avaient longtemps été à l’avant-garde de la lutte ouvrière depuis Proudhon disparaissent peu à peu pour laisser place à des ouvriers qualifiés, à de nouveaux techniciens et à la fabrication et gestion assistées par ordinateur. La solidarité et les relations informelles d’atelier n’en sont rendues que plus difficiles, le travail fait de savoir-faire et de contact direct avec la matière est souvent remplacé par un travail de plus en plus abstrait, mais souvent tout aussi fatigant nerveusement.

D’autre part est peu à peu formée une nouvelle catégorie de travailleurs - sorte d’« aristocratie », « jeune et dynamique » - qui dispose de plus en plus de responsabilités et dont le travail est plus attrayant, enrichissant et complexe. Pour le reste, l’activité est de plus en plus impersonnelle et absurde.

L’âge du travail programmé

Face à cette nouvelle impasse, les bureaucraties ad hoc pratiquent de plus en plus le « management participatif » sous toutes ses formes (en France depuis les lois Auroux, les dérisoires « groupes d’expression », les cercles de qualité », etc.). De plus, la suppression d’une grande partie de la classe ouvrière traditionnelle - par automatisation des tâches d’exécution simple, voire relativement complexes dans les secteurs les plus avancés (les systèmes-experts) - a conduit à des impasses ridicules : tout un nouveau réseau d’activités (entretien, réparation, surveillance...) a dû être intensifié vu les absurdités auxquelles conduit une automatisation trop poussée - d’où de nouveaux conflits... Bref, l’injonction paradoxale, le double bind auquel est soumis l’ouvrier décrit de longue date par Daniel Molhé - n’a fait en un sens que s’intensifier à l’âge du travail programmé : « Améliorer un système qui a été préalablement programmé » ; « modifier ce qui a été fait pour ne pas l’être » ; « faire entrer les aléas dans la programmation (3) ».

L’idéologie actuelle et la colonisation de la vie quotidienne

Toute une idéologie de la transparence, de la communication - concomitante de la floraison des « réseaux informationnels-communicationnels » -, s’est ainsi développée. Le « management participatif » est en fait fondé sur une reconnaissance et un développement des groupes et relations informels de base en vue d’une mobilisation générale accrue et d’une circulation optimale de l’information. Dans ses formes les plus avancées et sous diverses variantes, il peut laisser place à une forme d’auto-exploitation. L’exemple le plus cité est celui de Toyota et de la méthode Ohno (le Taylor de la bureaucratie cool et cybernétiquement assistée) qui préconise une certaine rotation des lâches dans les différents secteurs et branches d’entreprise, une coopération étroite techniciens-ouvriers, le « flux tendu », etc. Des « équipes autonomes » de montage avaient déjà été « expérimentées » voici près de vingt ans chez Volvo...

Face au flot d’idéologie, il faut dire d’une part que l’organisation bureaucratique de l’entreprise et de la société n’est aucunement mise en question ; bien au contraire, toutes les mesures prises ne sont là que pour les fluidifier par l’informatisation des différents flux informationnels et la mobilisation générale - le tout rendu possible par une allergie de plus en plus grande des individus à toute forme de contrainte explicite ; d’autre part, que la dynamique enclenchée pourrait bien un jour retomber sur la gueule des « expérimentateurs professionnalisés en relations humaines » - la sélection des bons ouvriers qualifiés et autres techniciens soumis a ses limites imprévisibles qui peuvent être révélées à l’occasion d’une crise quelconque (4) (sabotage, absentéisme, grève sauvage, interruption facilitée des processus par l’informatique et les flux tendus qui peut paralyser toute une branche d’activités - grève de Cléon, etc.).

Le travail productif - la part humaine dans le secteur industriel (« travail vivant ») tend donc à diminuer et à éclater en diverses catégories extrêmement hétérogènes - d’autant plus hétérogènes que nous sommes dans une phase de transition : les formes mentionnées plus haut coexistent avec un travail tout à fait traditionnel dans des entreprises de sous-traitance en développement et des PME surtout régionales (chaînes, rapports hiérarchiques autoritaires figés, etc.). D’autre part, nous l’avons dit, la forme travail s’est généralisée dans tous les domaines, et les projets de burcaucratisation-cybcrnétisation de nos vies quotidiennes ne manquent pas (« nouveaux gisements d’emplois »). C’est face à cette colonisation, selon le mot des situalionnistes et d’autres, que la critique et l’action devraient se développer en priorité. Des campagnes de refus de la rationalisation-monétarisation-bureaucratisation de nos relations les plus quotidiennes, dont les chômeurs (futurs nouveaux domestiques chargés de l’« entretien » d’un monde de plus en plus artificiel) pourraient être les fers de lance. Il faut dénoncer avec opiniâtreté (constatons le vide actuel de l’action politique...) l’absurdité d’un tel système, fondé sur l’accroissement et la recherche insensée de temps de travail. Toute la rhétorique sur la « lutte contre le chômage » cherche à nous enfermer dans de faux dilemmes et des chantages insensés : « Vous êtes contre le travail, vous voulez donc enfermer les gens dans la marginalité et l’exclusion », etc. De toute façon, il est vrai que tant que la population dans son ensemble s’accroche comme devant le vide à l’idéologie du travail et à l’imaginaire de l’Economie, on est condamné à l’impuissance...

Conséquences pour le mouvement révolutionnaire
En trente ans, la durée annuelle du travail a diminué d’un tiers, la production a plus que doublé. Ce qui signifie deux choses :

la part du travail ouvrier proprement dit ne cesse de diminuer et la production échappe de plus en plus à la maîtrise de la majorité : la population est exclue du processus ;

le système diminue la durée du travail de manière indirecte, essentiellement par le chômage et la précarisation.

Les conséquences sont aisées à tirer : il devient absurde de se baser sur une catégorie sociale minoritaire et relativement intégrée pour refonder un mouvement révolutionnaire ; le système fonctionne sur la recherche permanente de temps de travail, alors que la productivité de ce dernier en réduit sans cesse la part nécessaire ; il y a comme un consensus général d’appel à un temps vide et insensé de travail pour le travail qui fait le ciment essentiel a la mobilisation du peuple pour la course au développement ; mais, simultanément et paradoxalement, les gens refusent véritablement de se battre pour leur intégration dans le système de travail - ce qui tendrait à indiquer la tentation d’une désertion passive généralisée ! L’idéologie du travail se maintient, mais au fond plus personne n’y croit vraiment - sauf les cadres bosseurs et dynamiques. On ne sait sur quoi une telle situation peut déboucher tant que la population préfère le spectacle de la crise à la réaction inventive. Au « Participez je l’ordonne » des bureaucrates, l’individu n’articule aucune réponse. D’où le désarroi des « analystes »...

D’une manière ou d’une autre - ne serait-ce que par le RMI et l’écran TV -, les individus et les biens doivent circuler, sont le sang du processus, le « temps mort » est le principal ennemi. Dans le cycle infini production-travail-consommation-spectacle-recherche de travail, la part consacrée à l’amitié, l’amour, la solitude de la réflexion ou la politique au sens authentique des termes doit être combattue comme la peste par le système, et recyclée, falsifiée par lui : il renverse toute perspective en sa faveur - nous perdons notre temps dans un cycle absurde, mais nous devons faire comme si nous l’ignorions, comme si nous ne pouvions envisager un autre temps, des activités et un travail sensés socialement, une politique laissant place à l’autonomie et donnant chair à nos échanges concrets.

Peu nombreux furent ceux, dans l’histoire du mouvement révolutionnaire, qui ne glorifièrent pas d’une manière ou d’une autre le Travail rédempteur de l’humanité - Proudhon et Bakounine compris. Rares furent ceux - comme Stirner à qui il faut rendre hommage - qui surent dénoncer les dangers potentiels d’un communautarisme fondé sur la valeur centrale du travail. L’idéologie dominante du mouvement ouvrier traditionnel fut un élément essentiel de sa bureaucratisation (partidaire et syndicale) : la valorisation exorbitante du travail et de la production - suite et ferment inlégratif du et au productivisme capitaliste. Il faut ainsi faire son deuil de l’ouvriérisme hérité et des idéologies qui le portèrent : le vieil anarchisme et surtout le marxisme ; il n’y a pas de sauveur suprême, quelle que soit la catégorie sociale que nous pourrions faire postuler à ce rôle - la production, la technique, le travail ou la pauvreté ne sont pas en soi porteurs d’émancipation.

Quel est aujourdhui le pivot central du système ? Certainement pas la production industrielle, métamorphosée et automatisée. C’est le savoir - l’enseignement permanent et la techno-science. Est-ce que les luttes des étudiants et leurs critiques éventuelles des méthodes d’enseignement et de l’Ecole, celles des personnels de santé et leur critique potentielle de la médecine moderne et de ses mythes, celles des scientifiques contre la folie des manipulations génétiques débridés, etc., sont moins importantes que ce que pourraient être les luttes ouvrières ?... La réponse s’impose évidemment. Mais quand on en est là, c’est tout le projet et les théories révolutionnaires qui doivent être refondées, renouvelées, et la question du qui le portera doit être envisagée à nouveaux frais, sachant qu’aucune catégorie ni domaine de la société ne peuvent plus être privilégiés.

Quel type d’individu et d’activité crée le « savoir » et la techno-science ? Quel type d’individu et d’activité crée les médias, la pub et les parcs d’attraction ? Un individu de plus en plus privatisé et conformiste, qui se fiche bien de ce qu’il fait pourvu qu’il fasse - tout, n’importe quoi, du bruit qu’il appellera « musique », des centrales nucléaires, des « expériences » sur embryons... Un individu qui se fichera d’autant plus des conséquences et des fins de son travail qu’il pourra s’y investir et s’y enfermer en un sens - cela est particulièrement vrai des scientifiques, comme l’ont bien vu les écrivains qui parlèrent de l’imaginaire totalitaire. On peut se demander de plus en plus si l’individu critique et réfléchissant que notre société a longtemps produit n’est pas en train de disparaître en se voilant la face pour éviter de voir qu’il marche vers l’abîme.

Objectifs immédiats-préalable à un renouveau de la pensée et de l’action révolutionnaires
Devant cette réalité, que fait, que pense ce qu’il reste du « mouvement révolutionnaire » ? Misère !...

Tout est à reprendre, en pensée comme en acte. J’essaie de voir, face au travail, ce que pourraient être les objectifs immédiats :

- d’abord, autant que faire se peut, refuser son extension au cœur du plus quotidien de nos vies et étendre la sphère de la gratuité et de la solidarité communautaire, par la création de contre-pouvoirs coopératifs autogérés ;

- lutter pour la diminution du temps de travail socialement alloué en posant parallèlement l’enjeu de cette lutte : la mise en cause radicale du primat de l’Economie. Car la simple diminution du temps de travail ne suffit pas - cela, le système sait faire, à sa manière. Notre objectif doit être la réappropriation citoyenne de l’activité humaine - lui donner un sens par la délibération permanente sur ses fins, ses modalités, ses normes, son partage équilibré - pour tous et pour chacun. Fourier l’avait bien compris : les « passions pivotales » pour un type d’activité peuvent varier au cours d’une vie et être balancées par d’autres passions journalières. Certes, nous savons qu’une destruction absolue de la division du travail est impossible, qu’il n’y aura jamais de société transparente et sans conflits, notre projet ne doit pas être une utopie ;

- finalement, la lutte est inséparable du renouvellement du ou des projets révolutionnaires à la lumière de la crise actuelle et de l’expérience passée de la tradition que nous souhaitons voir renaître : le recommencement du mouvement révolutionnaire, inauguré par la « classe ouvrière », dont nous savons aujourd’hui qu’elle n’est plus le porteur privilégié.

Cette remise en chantier ne pourrait en aucun cas privilégier l’Economie.

Jean-Luc Leylavergne

Notes
1. On voit par là comment celte théorie est devenue une idéologie en accord parfait avec le système dominant.
2. C. Castoriadis, dans Socialisme ou barbarie, en 1960, « Le Mouvement révolutionnaire sous le capitalisme moderne ».
3. J. Gautrat, revue Travail, n° 24, dossier « Le Management participatif », p. 67.
4. Voir le bulletin du groupe Echanges et mouvement.
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Critique du travail/précarité

Messagede altersocial » 06 Oct 2012, 09:35

Il y a des éléments intéressants dans cette intervention de Philippe Coutant, auteur du livre « Le sujet et le capitalisme contemporain » . Même si je suis sceptique sur la partie "désir" -que je ne saisis pas trop-. Je ne connaissais pas cet auteur découvert avec cette vidéo CNT :

http://www.cnt-f.org/video/videos/42-ch ... ntemporain

Impossible d'exporter le lecteur ici. Si quelqu'un a une solution technique :wink:
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Re: Travail

Messagede bipbip » 13 Avr 2015, 01:28

Le défunt travail
et le travail des fins


État des lieux sur l'état actuel des débats autour de la fin du travail

Nécessité de confronter plusieurs angles d’approches

- Limites de la discussion strictement économique (certaines personnes affirment qu’il ne s’agit pas d’une crise économique puisqu’il y a de l’argent en quantité suffisante et que nous produisons assez de richesses pour satisfaire le bien-être des habitants de cette planète - ce qui est à vérifier et pour se départir d’un point de vue local voire impérialiste.
- Limites de la discussion sur les besoins et l’utilité sociale (on garde la notion de travail comme base).
- Limites sur la question de l’activité (notion fourre-tout).
- Limites sur la revendication du revenu minimum et de la gratuité (qui fixe le revenu minimum, qui le distribue et quel est son champ de validité, la gratuité pourrait laisser croire qu’on nous doit tout et que nous ne serions redevables de rien, nous aurions des droits et jamais de devoirs vis à vis de l’humanité et de la nature).
La notion de travail est synonyme en général d’activité contrainte et aliénante, liée en général au salariat. Mais en même temps on peut constater sous un autre angle que c’est aussi une condition du développement humain (le fameux "métier" et l’attachement au travail bien fait très répandu dans la population qui procure une certaine valorisation). Le travail donne accès au revenu et à l’identité sociale. Le paradoxe c’est qu’on peut être conduit à défendre des activités "bizarres", dans mon cas personnel c’est que si je défends mon travail je vais défendre la bureaucratie et une administration parasite et inutile.
Que dire du "travail sur soi" nommé par la psychologie ou le "travail" des artistes ? Il s’agit bien alors d’une activité de transformation non plus productive au sens du travail industriel par exemple, mais d’une transformation de soi et de la création artistique.
La contrainte peut permettre la création et le développement des capacités humaines dans l’activité collective et y compris pour soi-même (formation, rencontre des autres, participation à une œuvre, - qui peut prendre la forme de la "culture maison" -, etc...). Cette notion de contrainte rencontre celle de loi, de règle (même si ces notions provoquent des débats et peuvent se comprendre en des sens très différents), d’interdit qui permet à l’humain de devenir humain (c’est la prohibition de l’inceste qui serait la source de la culture selon les anthropologues).

La crise touche toutes les formes d’activités humaines

- C’est l’existence même qui est en cause : Qu’est-ce qu’être humain ? devient la question fondamentale ce qui peut être nommer comme : les modalités de la dramatique de l’usage de soi et l’être ensemble...
- La crise de tous nos modèles antérieurs.
C’est assez clair à plusieurs niveaux.
Le premier point c’est celui de la techno-science où l’informatique et les nouvelles techniques de traitement de l’information et de communication sont à l’origine d’un bouleversement profond. La technique et l’évolution rapide de l’informatisation liée au transport de l’information sous toutes ses formes. L’existence des "technopathes" montrent bien qu’il s’agit d’une nouvelle transformation mentale. La question sociale oblige à nuancer ce qualificatif puisqu'une grande partie de la population n’a qu’un accès limité à ces techniques, est-elle touchée par le syndrome de la "technopathie" pour autant ? Ce qui voudrait dire que comme la majorité des pathologies mentales c’est l’individu qui est touché mais qu’elle a une base sociale.
Ceci est visible avec le développement des ordinateurs personnels et professionnels, c’est le caractère massif du phénomène qu’il faut prendre en compte. Le caractère irréversible est patent, tous les secteurs de la vie sont touchés. Un des constats de ce phénomène c’est la nouvelle façon de manipuler les symboles au travers des écrans et de l’informatique, c’est un accès au monde qui passe par la maîtrise de nouvelles représentations.
Le second point c’est celui de la communication, dans ce cadre le rapport au monde est changé, le spectacle a détruit toutes les médiations antérieures entre le monde et la conscience mondiale et universelle (famille, communauté locale, nation, etc...) d’emblée l’individu est placé dans le "monde" ou ce qui est nommé tel. La mondialisation est aussi mentale, puisque la conscience humaine est "mondialisée". Les nouvelles technologies font fonctionner la représentation de façon différente des précédentes et libère (ou devrait libérer) ou modifie des capacités qui avant étaient utilisées ailleurs (dans le travail manuel par exemple ou le travail tout court). Elles sont majoritairement captées par l’image spectaculaire, mais laissent de coté le besoin de valorisation ,de création des humains et ne répondent pas à la question du sens.
Peut-être sommes-nous à un moment comme celui qui lors de l’hominisation a permis la station debout, le développement du cerveau et le rôle si particulier de la main.
Il s’agit aussi d’une mutation sociale et mentale où l’absence de médiation entre soi et "le monde", entre l’un, individu, et le tout, monde, provoque des changements dans de multiples domaines. C’est visible avec l’intériorisation mentale des contraintes comme dans le cas des ronds-points, mais aussi dans la dilution croissante de l’autorité.
La domination n’est elle pas devenue principalement une technologie mentale ?

Ceci induit la question de la civilisation, des valeurs, du mental...

On connaît le rôle de la décision humaine dans l’évolution sociale depuis le XVIIIème siècle, la convention de la règle ou de la loi (avec tous les débats inhérents à ces mots) devrait nous permettre de remettre en débat des notions clés comme l’égalité, l’universalité, le "bien commun", etc... Ce qui est en jeu c’est la question du tiers entre nous et les autres, entre nous et le réel, entre notre conscience et notre "autre".
Contre la confusion relativiste, contre la clôture (souvent binaire), le différentialisme, qui tendent à affirmer que seul prime l’intérêt et le particulier, qui nous confine à l’impuissance politique, reprendre la parole et se battre idéologiquement et théoriquement pour affirmer nos valeurs et leur légitimité et leur validité devient primordial.

Repères historiques

Ils peuvent aider afin d’essayer de cerner les enjeux, c’est à dire qu’on voit bien que le problème est plus compliqué qu’un remake de 1789, de la Commune de Paris, de 1917 ou de 36 en Espagne ;
- Le paléolithique avec la fabrication des premiers outils et la ritualisation de la mort, Leroi Gourhan parle d’une "mise hors de soi".
- Le néolithique avec l’apparition de l’agriculture, elle implique une organisation collective et permet l’existence de surplus donc d’une libération du travail de certaines personnes. Les fonctions de rois et de prêtres apparaissent au même endroit et au même moment : il y a environ 10 000 ans au moyen orient. Ces fonctions continuent celles des sorciers et chamans, mais elles sont liées ici à une nouvelle structuration sociale et une nouvelle façon de produire.
- L’écriture et la loi c’est l’extériorité du symbole évident et la puissance collective par l’institutionnalisation de la règle et son écriture, sa publicité permet aussi sa force et son objectivation comme force externe, le pouvoir comme transcendance.
- La démocratie grecque avec la notion de débat public et la naissance revendiquée des "intellos" longtemps après l’écriture (les philosophes) et les premiers débats ouvert sur la convention des règles humaines portés par les sophistes.
- La crise du XIIème siècle avec le nominalisme et la critique de l’essence, il n’y a que des noms et pas réalité divine qui fonde le nom, il n’y a qu’une activité humaine (l’exemple de la connaissance éclaire ce possible). La décision sur les valeurs prendra une tournure politique plus tard après les débats sur le contrat social au XVIIème siècle.
- L’invention de l’imprimerie par Gutemberg, dont les effets ne seront visibles que très longtemps après, encore une fois c’est une nouvelle façon de manier les symboles.
- L’apparition de l’industrie à la fin du XVIIIème et l’extension du salariat au XIXème siècle qui fait croire qu’on peut valider la possibilité d’accéder au bonheur par le travail, l’application de la science à la production et la raison en politique (la société idéale).

Quelques impasses visibles

- La république classique et la nation (crise de la politique actuelle et des institutions) ;
- Les solutions sur l’emploi (recours à l’Etat, la promesse par les politiques, la course aux ersatz d’emploi, etc...) ;
- L’attente des avant-gardes (crise militante et dépression collective, après la promesse du progrès la peur de la catastrophe) ;
Tout cela profite bien à Le Pen, la crise de la politique demande un modification profonde, les promesses sur l’emploi débouchent forcément sur la précarité et le vide, l’impuissance politique lui laisse le champ libre.

Quelques débats ou recherches nécessaires

- L’instance collective demande débat (sa nécessité s’impose bien qu'historiquement elle a toujours été au service de la domination).
- La nécessité de la critique ou des critiques globales et mais l’action en situation.
- L’activité humaine pensée comme augmentation de la puissance à la fois pour soi et collectivement implique une réflexion sur le développement et son orientation, donc des débats sur les choix de civilisation.
- La nécessité de l’éthique pour viser la "non-domination" parce qu’on sait qu’il n’y a aucune garantie et que le problème se repose sans cesse vu l’auto reproduction du pouvoir y compris dans les sphères militantes.
- La liaison forte avec la valorisation où l’image de soi et la reconnaissance sociale sont des points très fort dans la personnalité humaine et ses choix ;
- La recherche et l’expérimentation sur les alternatives basées sur la "non-domination".
- Le heurt avec le "sens commun", on peut prendre l’exemple de mesures simples sur les dirigeants politiques qui nous trompent ou la possibilité de débrancher les ordinateurs pour attaquer la puissance et l’autonomie de l’argent (signe de la force et force du signe).
Peut-être faut-il affirmer la relativité sans le relativisme, la tranversalité et le multiple un peu comme ce qui se passe sur Internet, et accepter le caractère mouvant de notre humanité (personnelle et collective). Il n’y a rien à attendre, ni un parti, ni une révolution, ni une solution strictement concrète. C’est l’urgence de la politique et de la réflexion, de l’inventivité, même si on sait l’incertitude et l’absence de garanties, la présence de la multiplicité et le besoin de chemins inédits. Peut-être faut-il déjà être capable de reprendre ce qu’ont fait nos prédécesseurs avec la critique du droit divin et de la religion au XVII et au XVIIIème siècle (cf la façon dont Rousseau et les penseurs des Lumières critiquent le caractère "naturel" de la royauté ou Kant qui écrit un livre pour montrer qu’on ne peut démontrer l’existence de Dieu en raison). Mettre en œuvre des solidarités c’est déjà être gagnant contre la barbarie et un type de réponse à la demande de globalité qui est souvent une injonction que nous intime le pouvoir.

En guise de conclusion

La crise est générale et la question du travail n’est qu’un élément de cette crise. La lutte contre le capitalisme rencontre la question symbolique, à nous de trouver des chemins inédits tout en sachant que nous sommes toujours dans un rapport humains où le tiers, la loi a sa place. La question de la loi est ainsi et toujours éminemment politique.
La fin du travail croise le travail sur les fins.

Philippe Coutant

http://libertaire.pagesperso-orange.fr/ ... ravail.htm
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L'Emploi à tout prix?

Messagede LeNouveau » 24 Nov 2015, 12:44

L'emploi à tout prix ? est un cycle de conférences qui se déroulera à partir du 7 décembre à l'Université
Paris Ouest - La Défense

07/12/2015 Introduction
11/01/2016 L'emploi : le bonheur ?
01/02/2016 Face aux restructurations, l'emploi comme seule stratégie ?
07/03/2016 L'emploi est mort, vive le travail ?
04/04/2016 La mise en emploi, une nouvelle industrie ?
02/05/2016 Le coût de politiques de l'emploi
06/06/2016 Assurance chômage et intermittence de l'emploi : quels droits pour les salariés à l'emploi
discontinu ?
27/06/2016 Conclusion

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Re: Travail

Messagede bipbip » 20 Jan 2016, 16:14

Le travail ça ne sert à rien

Faire du pain, bâtir une maison, enseigner, faire pousser des tomates, conduire un bus, soigner des animaux de compagnie, vendre des places de cinéma, écrire un poème, installer des composants électroniques... A première vue, ces activités semblent répondre à une fonction bien précise : combler les besoins d'une société tout en veillant à assurer un revenu à la personne qui s'y emploi.

Et pourtant, nous pouvons affirmer que ces activités ne servent à rien.

Plus précisément, nous pouvons dire qu'à l'heure du règne de la société marchande, ces activités deviennent autre chose que leur fonction première. Cette autre chose fait plus que s'ajouter comme une seconde nature, elle devient la nature même de l'activité. C'est à ce moment que l'activité se transforme en travail et acquiert un statut général dans le procès capitaliste de production de valeur.

Le capitalisme est précisément cette non-société qui emploie les individus à des tâches dont l'objet véritable est autre chose que ce qui apparaît de prime abord.
En clair, le travail ne sert qu'à la production de valeur, catégorie abstraite, un fétiche fabriqué par les hommes mais qui mène sa propre existence autonome sans que quiconque ait prise sur sa logique et son développement.

Les activités humaines n'ont pas toujours été du travail. L'interaction de l'homme avec la nature et des hommes entre eux n'a pas toujours comme prétexte le fait de transformer une somme d'argent en plus d'argent. Il s'agit d'un fait relativement nouveau. Dans des sociétés pré-capitalistes, il pouvait arriver qu'elles soient mises au services de catégories fétiches, religieuses ou absurdes mais jamais il ne s'agissait du modèle pour toutes activités et jamais on avait regroupé sous une même dénomination toutes les activités des hommes.


https://www.youtube.com/watch?v=RYJvB0m9ypY#t=18

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Re: Travail

Messagede bipbip » 11 Mar 2016, 13:24

Brève histoire du temps de travail

Brève histoire du temps de travail : première partie

Avec l’arrivée de la loi El Khomri, les 12 heures de travail par jour et la semaine de 46 heures risquent d’être mises en place si la mobilisation sociale n’est pas à la hauteur de l’attaque que nous subissons. Mais pour se rendre compte de l’ampleur de ce recul social, il faut parfois regarder un peu derrière nous. Ce sont les différentes grandes mobilisations et grèves qui ont permis des améliorations du temps de travail et il nous semblait intéressant de revenir très brièvement sur ces évolutions.

1831 : Les premières grandes luttes de travailleurs commencent en France et notamment à Lyon à travers la révolte des Canuts. Ces ouvriers de la soierie lyonnaise ne veulent plus être payés à la pièce. Ils travaillent alors en moyennes 12 à 16 heures par jour. Les patrons français commencent à avoir peur de la capacité de révolte des travailleurs. Suite à cette lutte, ils commencent à être payés à l’heure de travail et non plus à la pièce produite.

1847 : En Angleterre, la journée de travail est limitée à 10h pour les femmes et les enfants.

1848 : La crise économique pousse des milliers de prolos dans la rue et provoque la chute du roi. Cette révolution est récupérée par la bourgeoisie qui met en place la seconde république. Par crainte des travailleurs qui ont fait la révolution et sont encore armés, le gouvernement provisoire fait passer en mars un décret limitant le temps de travail à 10h par jour à Paris et 11h en province, mais ce dernier n’aura jamais le temps d’être appliqué.

En effet, pour baisser le chômage et la misère qui a poussé les travailleurs à faire la révolution, le gouvernement provisoire met en place des « ateliers nationaux » ayant pour but d’occuper les ouvriers à un travail payé par l’État. Les travaux effectués y sont souvent fastidieux et inutiles, mais ces ateliers nationaux vont devenir de véritables ateliers pour l’émeute. Lorsqu’ils sont supprimés en juin, des milliers de prolétaires (travaillant ou non) prennent la rue et dressent des barricades. La répression de l’État bourgeois est sanglante puisque l’armée assassine 5 000 insurgés durant les affrontements et en exécute 1 500 autres sans jugement. Ensuite, l’État arrête plus de 25 000 personnes et en déporte pas moins de 11 000 vers l’Algérie. Après cette répression sanglante, l’État peut revenir sur les avancées sociales que la crainte d’une révolte ouvrière l’avait poussé à accepter. Le temps de travail est ramené à 12 heures par jour en septembre et cette limite n’est même pas appliquée dans tous les secteurs.

1866 : La première Association Internationale des Travailleurs (AIT) reprend le slogan popularisé dès le début du XIXème par Robert Owen « 8 heures de travail, 8 heures de loisir, 8 heures de sommeil ».

1886 : Le 1er Mai aux États-Unis, une grande grève générale mobilise plus de 340 000 grévistes pour obtenir la journée de 8h de travail. La lutte continue jusqu’au 4 mai où elle est réprimée dans le sang lors du massacre d’Haymarket Square à Chicago. Lors d’une manifestation, les flics tirent dans la foule et condamnent huit militants à la pendaison. La réaction du mouvement ouvrier est mondiale et des manifestations de soutien aux « huit de Chicago » sont organisées dans la plupart des villes européennes. Les habitants de Livourne se retournant même contre les bateaux américains présents dans le port, puis attaquèrent le siège de la police de la ville ou le consul étatsunien était réfugié.

1889 : En hommage à la grève générale aux USA et aux huit de Chicago, le 1er Mai devient le jour international pour la journée de 8h. Tous les ans, les travailleurs du monde entier se mettront en grève générale pour obtenir la réduction du temps de travail à 8h par jour. Dès l’année suivante, cette journée de grève est pratiquée dans la plupart des pays industrialisés et devient la journée internationale des travailleurs.

1891 : Les flics tirent sur la foule lors du 1er Mai à Fourmies dans le nord et tuent 10 personnes, dont deux enfants. Le premier mai deviens alors un événement mondial et se met en place la tradition de porter une fleur : l’églantine rouge pour commémorer cette tuerie. Chaque année le mouvement prend de l’ampleur.

1892 : La durée maximum de travail pour les enfants est ramenée à 10h par jour. En permettant le travail 10h par jour pour les apprentis, la loi El Khomri nous fait à peu près remonter à cette époque, voir en 1847 si on se base sur les lois anglaises.

1900 : En réaction à l’organisation progressive des travailleurs et à la multiplication des grèves et de luttes sociales, le gouvernement vote la loi Millerand fait passer la journée de travail en France à 11h puis à 10 heures.

1905 : La journée de travail est limitée à 8h dans les mines.

1909 : Loi instaurant le versement du salaire régulièrement : tous les 15 jours pour les ouvriers et tous les mois pour les employés. Le projet de loi travail revient aussi là-dessus puisqu’elle permet aux patrons de ne pas payer les heures supplémentaires travaillées pendant … 3 ans en vous donnant des jours de congé beaucoup plus tard.

1919 : La situation est alors explosive un peu partout en Europe. La révolution bolchévique d’octobre 1917 fait craindre la contagion communiste aux patrons de l’ensemble des autres pays européens. Les conseils ouvriers se multiplient en Allemagne et les grèves continuent malgré l’écrasement par le Parti Socialiste Allemand de la révolution spartakiste.

En France, de gigantesques grèves se multiplient et le gouvernement et les patrons craignent la grève générale et la possible contagion révolutionnaire. Cela les contraint à adopter la journée de 8h, la semaine de 48h maximum et de rendre obligatoire les conventions collectives par branches. Mais cela n’empêche pas le développement de grandes grèves au mois de juin, qui revendiquent entre autres la semaine de 44h comme en Angleterre.

1936 : La crise économique de 1929 a atteint la France depuis plus de 5 ans et le taux de chômage est au plus haut pour l’époque. En juin, deux millions de travailleurs font grève et occupent leurs lieux de travail contre l’avis de leurs syndicats (CGT en tête) et du PCF, paralysant ainsi toute l’économie du pays. On est alors au bord d’une révolution et les syndicats tentent de calmer la situation en condamnant les séquestrations de patrons ou les tentatives de récupérer l’outil de travail. Ces gigantesques grèves de juin 1936 poussent le Front populaire au pouvoir à tenter de négocier un accord pour mettre terme à la lutte. Ce furent les accords de Matignon qui, entre autres, limitèrent la semaine de travail à 40h, augmentèrent les salaires de 15% et créèrent deux semaines de congés payés par an. Mais l’ampleur du mouvement social était telle que ces mesures ne pouvaient plus suffire à arrêter la grève. Faisant appel au « patriotisme » 1) et à la haine des étrangers 2), le Parti Communiste fit alors tout pour arrêter la lutte en menaçant les grévistes et militants révolutionnaires et en lançant la fameuse phrase par l’intermédiaire de son secrétaire général Maurice Thorez : « il faut savoir arrêter une grève ». Le mouvement social est alors coupé en deux, les militants de la CGT sont utilisés par le gouvernement pour faire cesser les occupations et les grèves. Ensuite pour les plus récalcitrants, l’armée est envoyée.

Le pire c’est que lorsque l’on parle du début du XXème siècle on s’imagine toujours des usines enfumée et des prolétaires qui crèvent dans les mines en se tuant à la tâche. C’était le cas, mais les boulots, quoique très durs, étaient effectués à des cadences bien moindres qu’aujourd’hui. La productivité par travailleur a littéralement explosé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’évolution technologique et la mécanisation de la production en ont été largement responsables, mais la machine, construite pour produire, a mis l’humain à son rythme. Au début du siècle, on passait 10 heures par jour au travail, aujourd’hui l’on passe 10 heures par jour à travailler, même si pour certains c’est en restant assis derrière un ordinateur.

Avant de continuer cette brève histoire du temps de travail jusqu’à nos jours, dans un très prochain article, rappelons que la loi travail tente d’imposer, entre autres, la journée de 12h et la semaine de 46 heures de travail ce qui nous ramène dans le temps à peu près aux alentours des années 1920.


Références et sources

1. « Nous estimons impossible une politique qui, face à la menace hitlérienne, risquerait de mettre en jeu la sécurité de la France. » « Les pourparlers rompus doivent être repris[…].La situation présente, ne saurait se prolonger sans péril pour la sécurité du peuple de France. » L’Humanité des 3 & 6 juin 1936. Le PCF utilise également le drapeau tricolore et chante la marseillaise durant les manifestations.
2. Les ouvriers continuant les grèves et occupations contre l’avis des syndicats et du PCF sont accusés d’être étrangers au syndicat, étrangers à l’usine voir étrangers à la France. La CGT dans son journal Le Peuple du 25 juin 1936 proteste violemment contre « cette intrusion des étrangers dans le mouvement syndical français». Cet argumentaire est repris par le pouvoir pour justifier la répression en affirmant que les occupations était faite par des agents de l’étranger (sous entendu des fasciste voulant affaiblir la France). « La France entend rester fidèle à sa tradition de terre d’asile. Il ne serait pas cependant admissible que des étrangers puissent sur notre territoire prendre part de manière active aux discussions de politique intérieure [entendre les occupations d’usine] et provoquer des troubles et du désordre ». Les grévistes et les manifestants sont accusés de porter atteinte à la nation, d’être la main de l’étranger.

Daniel Guérin, Front Populaire révolution manquée, Marseille, Agone, p.192. On peut trouver certaines des citations à cette adresse : http://www.matierevolution.fr/spip.php?article1351

http://www.19h17.info/2016/03/02/breve- ... re-partie/
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Re: Travail

Messagede bipbip » 11 Mar 2016, 13:28

Brève histoire du temps de travail, deuxième partie

Vichy, les 35h, El Khomri : brève histoire du temps de travail #2

On continue notre brève histoire du temps de travail et l’on arrive maintenant aux dates un peu plus contemporaines. Si vous avez raté le premier épisode, il se trouve ici. Pour voir l’ampleur de ce recul social, il faut parfois regarder un peu derrière nous. Ce sont les différentes grandes mobilisations et grèves qui ont permis des améliorations du temps de travail et il nous semblait intéressant de revenir très brièvement sur ces évolutions.

Mais les dates ce n’est pas vraiment ce qui est important (à part pour briller à trivial poursuit ou épater le prof d’Histoire si vous êtes ce genre de personne). Ce qui est plus intéressant c’est le parallèle historique et les corrélations que l’on peut faire avec l’attaque massive qu’est la loi « travail » El Khomri .

On s’était arrêté en 1936 où les grèves massives, les occupations d’usines et la peur révolutionnaire avaient contraint les patrons et le gouvernement à accepter entre autres, la semaine de 40 h en échange d’un retour au travail promis par les syndicats. Après la fin du conflit, le retour à l’ordre redonna confiance au patronat qui poussa l’État à revenir rapidement sur ces quelques avancées sociales.

1938 : Le gouvernement centriste met fin à la semaine de 40 heures en utilisant le bon vieil argument patriotique. Il faut « remettre la France au travail » pour « permettre la défense nationale ». Retour aux 48 heures de travail par semaine.

1941 : Le gouvernement de Vichy proclame la charte du travail supprimant le droit de grève, mais créant un salaire minimum fixé par l’État (l’ancêtre du SMIC), le minimum vieillesse, nationalisant les caisses d’assurance santé (préfigurant la Sécu), rendant obligatoire la médecine du travail et favorisant le dialogue social entre patrons et délégués du personnel. Le 1er Mai n’est plus la fête des Travailleurs, mais deviens la fête du Travail. Il devient un jour férié rémunéré et l’églantine rouge est remplacée par le muguet.

1946 : Le gouvernement provisoire rétablit la semaine 40 heures tout en permettant les heures supplémentaires. Cette loi est mise en place en échange d’une forte augmentation des cadences de travail et avec le soutien de la CGT et du PCF qui s’engagent dans la « bataille de la productivité » 1). Dans les faits, la journée de travail ne diminue pas tant que cela et les heures supplémentaires permettent qu’elle continue de tourner autour de 45 heures par semaine

1968 : L’embrasement social et la grève générale de Mai 1968 poussent le patronat et les syndicats à ratifier les accords de Grenelle pour pousser les grévistes à reprendre le travail. Ces accords contiennent entre autres la baisse effective du temps de travail à 40h par semaine. Rapidement les semaines de travail commencent réellement à tourner autour des 40 h.

1973 : La crise économique touche l’ensemble du monde. L’augmentation de la productivité ne suffit plus aux capitalistes pour continuer à faire toujours plus de profits. Ils ne peuvent plus laisser augmenter les salaires en même temps que la productivité. Le chômage commence à croitre, les usines à délocaliser et les patrons à précariser le travail pour permettre une baisse des salaires réels. C’est le début de la restructuration 2) qui continue encore aujourd’hui.

1982 : Durant sa campagne présidentielle, Mitterrand promet les 35 heures. Arrivé au pouvoir, le temps de travail est en réalité seulement réduit à 39 heures par semaine.

2000 : La loi sur les 35 heures est votée et est progressivement mise en place jusqu’en 2002. En réalité, cette réduction du temps de travail se fait en échange d’une baisse des cotisations patronales (qui sont du salaire indirect 3), d’une précarisation générale des contrats de travail, de la possibilité de multiplier les temps partiels et d’une très forte augmentation des cadences de travail. En plus, la plupart des entreprises n’ont jamais réellement adopté les 35 heures et se sont contentées d’accepter les journées de RTT. De toute façon, la loi est remise en question dès son application en 2002 puisque différentes mesures favorisent rapidement le recours aux heures supplémentaires en baissant leur prix ou en les défiscalisant. Plus que de nous permettre de travailler moins, la loi des 35 heures a surtout permis une précarisation des contrats de travail et donc une baisse des salaires. Elle a été un instrument efficace dans la restructuration du capitalisme.

2003-2013 : Aucune évolution légale du temps de travail, mais de plus en plus de facilités pour le patronat d’avoir recours aux heures supplémentaires. Le temps de travail réel par semaine en France augmente de 4h et atteint en moyenne 39,2 heures par semaines 4) pour les travailleurs salariés à temps plein.

2016 : Projet de loi El Khomri faisant passer les journées à 12 heures de travail, la semaine jusqu’à 46 heures, facilitant les heures supplémentaires et rendant gratuits les licenciements abusifs. Après avoir utilisé le passage aux 35 heures comme carotte pour accélérer la précarisation du travail, l’État décide de supprimer la carotte tout en baissant un peu plus les salaires (BFM appellerait cela le « coût du travail »).

On voit donc que seules les baisses du temps de travail arrachées par des luttes sociales ont été effectives et ont permis une certaine amélioration des conditions de travail. Mais à partir des années 1970, le capitalisme en crise n’a plus la possibilité de lâcher de telles baisses de profit pour lui. De toute façon, le rapport de force dans les luttes sociales ne le permettait plus. Par contre, cela n’a pas empêché au temps de travail légal d’être baissé, mais en échange de fortes baisses des salaires et d’augmentation des cadences de travail.

La loi El Khomri s’inscrit donc dans un processus de précarisation et d’attaque contre les prolos qui dure depuis les années 1970. Et encore pour que cet article reste court et principalement sur le « temps de travail », on vous a épargné toutes les réformes de ces dernières années. On reviendra dessus surement dans un prochain article.

Aujourd’hui, l’idée est de revenir sur la baisse légale du temps de travail et de continuer à baisser des salaires. En fait, si les 35 heures n’ont pas réellement fait baisser le temps de travail (on travaille toujours en moyenne 39,2 h/semaine pour un temps complet), ce que la loi El Khomri promet c’est, entre autres la suppression des RTT. Du coup, au lieu de pouvoir poser une journée de congé payé, on devra travailler et sans que ce travail ne soit rémunéré. Pire le salaire pourra largement être baissé par des accords de boite signés entre le patron et le syndicat maison ou en passant par un référendum démocratique ou le choix sera : baisse de salaire ou licenciement économique.


Références et sources

1. Ce qui donnera, après celle de 1936, une autre citation célèbre, de Maurice Thorez secrétaire général du PCF : «Produire, produire et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français » Maurice Thorez, Discours à Wazier 21 juillet 1945
2. http://www.tantquil.net/2013/03/22/ques ... cturation/
3. http://www.tantquil.net/2013/10/23/ques ... -indirect/
4. Centre d’observation économique et de Recherche pour l’Expansion de l’économie et le Développement des Entreprises, La durée effective annuelle du travail en France et en Europe en 2013, Paris, juin 2014

http://www.19h17.info/2016/03/08/de-vic ... e-travail/
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Re: Travail

Messagede Pïérô » 14 Mar 2016, 13:24

Radio Libertaire

Critique radicale du projet de réforme du code du travail, de l’organisation néocapitaliste du travail, et du travail capitaliste (en crise) – avec Jean-Luc Debry - 08-03-2016

Une émission de critique radicale du projet de loi de réforme du code du travail, et de l’organisation néocapitaliste du travail, ses servitudes et ses souffrances particulières, et son idéologie managériale ; de critique radicale du travail capitaliste comme servitude et comme souffrance constitutives du capitalisme, comme aliénation et comme exploitation ; de présentation synthétique des dynamiques de crise du capitalisme, et ses effets en termes de chômage technologique et de précarisation-ubérisation-intensification du travail, et ses conséquences en termes de stratégie de lutte contre l’actuelle projet de loi de réforme du code du travail - avec Jean-Luc Debry (auteur de Départ volontaire, Editions Noir et Rouge, 2014) - 08-03-2016.

à écouter : http://sortirducapitalisme.fr/145-criti ... 08-03-2016
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Re: Travail

Messagede bipbip » 16 Mai 2016, 14:53

Montpellier mardi 17 mai 2016

le travail et sa crise

L'Ouvre-Tête vous invite à la projection d'un montage fait à partir d'une série d'anticipation (80% des gens seraient au chômage!), suivie d'une intervention d'Armel Campagne (animateur sur Radio Libertaire & chercheur) et de débats ouverts.

Servitude, précarisation du travail, rentabilité, .. venez échanger autour du travail et de sa crise!

à 19h, Maison Des Etudiants de la Fac de Sciences, Place Eugène Bataillon, Montpellier
(Attention: ne vous garez pas sur le parking à l'intérieur de la fac car il ferme ses portes vers 20h)

https://www.facebook.com/events/556922314488011/
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Re: Travail

Messagede Pïérô » 01 Mai 2017, 23:25

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Re: Travail

Messagede bipbip » 17 Juin 2017, 14:53

Lyon dimanche 18 juin 2017

Ciné club de la CNT : "La mise à mort du travail" Partie 1

Projection de "la mise à mort du travail" de Jean-robert Viallet, Partie 1 d’une série documentaire expliquant comment les logiques de rentabilité pulvérisent les liens sociaux et humains
Dimanche 18 juin à 16h - Au local de la CNT : 44 rue Burdeau 69001 Lyon (Métro Croix-Paquet)

L’UD CNT propose à partir du mois de Juin un ciné-club les 3émes dimanches du mois à 16h, histoire de se rencontrer autour d’un moment convivial tout en discutant, réfléchissant et préparant l’action...
Des films divers et variés, documentaires ou fictions seront proposés suivis pourquoi pas d’un échange autour d’un verre.

Nous commençons par la première partie de "la mise à mort du travail" de Jean-Robert Viallet" intitulée "la destruction". Cette série documentaire explique comment les logiques de rentabilité pulvérisent les liens sociaux et humains. Bref c’est d’actualité ! Les deux autres parties seront diffusées à la rentrée.

Contact : ud69@cnt-f.org

https://rebellyon.info/Cine-clube-de-la ... t-du-17950
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Re: Travail

Messagede bipbip » 16 Juil 2017, 15:31

Le travail c’est la santé ?

Le travail a longtemps tué, que ce soit par des accidents mortels graves avec traumatismes corporels, ou par des maladies professionnelles (silicose des mineurs, intoxication par les vapeurs de mercure pour les miroitiers ayant réalisé la galerie des Glaces, qui mouraient empoisonnés avant l’âge de 30 ans, cancers professionnels dus à l’amiante ou à d’autres substances cancérogènes).

Combien de travailleurs mutilés après un accident se sont retrouvés sans travail et sans argent pour faire vivre leur famille avant la mise en place des pensions d’invalidité et des rentes (dédommagements financiers) pour les accidents du travail graves ?

La souffrance au travail a toujours existé, mais sa forme a changé au cours du temps. Jusqu’au XXe siècle, les seules formes de souffrance au travail prises en compte ou presque étaient la souffrance physique, donc essentiellement ce qui pouvait être accidents ou maladies professionnelles, et les troubles musculo-squelettiques (pathologie douloureuse des muscles, tendons, ligaments et articulations).

Danièle Linhart [1], sociologue du travail, a étudié les effets du fordisme puis du taylorisme sur les travailleurs.

Taylor (1856-1915) pense que les relations entre ouvriers et patrons ne devraient pas être conflictuelles, que leurs intérêts devraient être communs, à savoir augmenter la productivité.

Il fustige la « flânerie » des ouvriers, qui provoque une importante perte de productivité. Il propose une organisation « scientifique » du travail (OST), où tous les gestes de l’ouvrier sont analysés et disséqués et où ensuite les ingénieurs de méthode vont déterminer les processus de fabrication les plus efficaces et les plus productifs. Le gain de productivité est important et indéniable, et il va avec une augmentation des salaires et du niveau de vie. La flânerie est impitoyablement traquée et éradiquée, les ouvriers n’ont plus de répit et de temps de détente. L’ouvrier est dépossédé de tout son savoir-faire, il n’a plus aucune prise sur son travail, qui perd tout son sens et devient abrutissant. Les ouvriers n’ont plus besoin de faire appel à leur esprit d’initiative et à leur intelligence pour travailler. On leur remet des consignes écrites où tous les gestes nécessaires au travail sont décrits en détail. Le taylorisme est très autoritaire et ne supporte aucune opposition. Les employés ont l’obligation de travailler main dans la main avec leur patron et la lutte des classes ne doit plus exister.

Le taylorisme génère de nouveaux emplois de techniciens et d’ingénieurs des méthodes, les contremaîtres se développent et les travailleurs sont surveillés en permanence. Le système est très inégalitaire, entre encadrement, agents de maîtrise et ouvriers tout en bas de l’échelle.

Ford (1863-1947) introduit en 1913 les premières chaînes de montage dans l’industrie, ce qui entraîne l’augmentation du rythme de travail. Le temps d’assemblage d’une voiture passe de 216 heures en 1913 à 127 heures en 1914, ce qui représente une augmentation de 70 %. Si c’est spectaculaire, la détérioration des conditions de travail est elle aussi spectaculaire. Les témoignages des ouvriers de chez Ford parlent d’« une sorte d’enfer où les hommes sont devenus des robots ». Les ouvriers sont exploités très durement, le rythme de travail les obsède et entraîne une maladie nerveuse qu’ils baptisent « fordite » et que nous appellerions actuellement stress. Le turn-over des ouvriers est spectaculaire : 380% ! Ford double alors la paye en 1914 passant de 2,5 à 5 dollars par jour et réussit à fidéliser ses ouvriers, le turn-over descend alors à 16%. Il pratique également une politique très interventionniste dans la vie privée de ses ouvriers en formant des « inspecteurs » qui doivent aller vérifier au domicile des ouvriers qu’ils respectent bien les règles d’hygiène, de morale et le sens de l’économie qu’il préconise sans quoi ils ne touchent pas le salaire maximum de 5 dollars mais seulement 2,50 dollars par jour.

Taylor et Ford, avec chacun leur modèle et leur représentation du travail, prétendaient changer l’état d’esprit des ouvriers et obtenir la paix sociale, ce qui n’a pas fonctionné si bien que cela…



L’arrivée du taylorisme dans les usines Renault, en France, s’accompagne d’importants mouvements de grève. Henry Ford comprend alors que le côté technique ne suffit pas et qu’il faut prendre en compte la dimension humaine dans l’organisation du travail.

À partir des années 1930, aux USA, le mouvement des « Human Relations » apparaît dans l’industrie moderne. Ce mouvement est fondé sur le développement des sciences de l’homme appliquées au travail, la psychologie et la sociologie y ont toute leur place. Il faut prendre en compte les griefs et les aspirations psychologiques et sociologiques des personnels. C’est l’époque où se développe la « Harvard School of Business », où de nombreux patrons envoient en stage leurs jeunes chefs et les futurs leaders de service de la direction du personnel. Ce mouvement des relations humaines s’accompagne aussi d’un paternalisme matériel et moral exacerbé. Ce paternalisme transforme les rapports d’autorité et d’exploitation en rapports affectifs et empêche les ouvriers de se révolter contre l’exploitation dont ils sont victimes, les patrons se montrant bienveillants à leur égard et se comportant en bons pères de famille. Les patrons d’usine investissent dans les logements, ils construisent des cités ouvrières, des hôpitaux, des écoles, des bibliothèques, créent des associations sportives et culturelles. Les ouvriers peuvent être pris en charge toute leur vie. Le but inavoué est d’empêcher la contestation et la « dépravation » ouvrière, occuper l’ouvrier le protège du vice et de l’alcoolisme. Ce paternalisme permet de « fidéliser » les ouvriers et d’empêcher un turn-over important.

Le fordisme et le taylorisme, où tout le travail est prescrit par des consignes écrites, se heurtent malgré tout à un écueil important : si les travailleurs n’appliquent que les consignes écrites et font la grève du zèle, plus rien ne fonctionne.

Dans les années 1970-1980, la psychologie et la sociologie du travail ainsi que l’ergonomie vont étudier cet aspect du travail et définir le travail réel. Le travail réel est le travail décrit par l’ouvrier ou l’agent, ce qu’il fait vraiment : le travail réel est souvent fort éloigné du travail prescrit. Mais bien souvent les compétences du travail réel sont utilisées et transmises entre salariés de façon clandestine, en se cachant du patron. Ces pratiques existent partout, elles permettent de redonner un sens au travail, de se le réapproprier et, donc, de le rendre plus supportable. Elles recréent aussi une solidarité et un collectif de travail entre salariés.

Cependant, l’écart entre travail réel et travail prescrit est souvent source de souffrance au travail.

La souffrance au travail est un sujet devenu médiatique depuis les suicides sur le lieu de travail, que ce soit à France Télécom, Renault ou La Poste. Elle se décline sous plusieurs formes et les mots burn-out (épuisement professionnel en français), et risques psychosociaux (RPS) sont passés dans le langage courant.

Les suicides à France Télécom ont été très médiatisés, en septembre 2009. Didier Lombard, le PDG de l’époque, avait choqué en s’engageant à mettre un « point d’arrêt à cette mode du suicide qui, évidemment, choque tout le monde ». Comment pouvait-il s’exprimer ainsi sur de tels drames ? Du reste, il a été mis en examen plus tard pour harcèlement moral. Les méthodes brutales de management de France Télécom, à l’époque, les mobilités géographiques et/ou fonctionnelles (changement du contenu du travail) imposées à grande échelle, la volonté de pousser les personnels à la démission pour diminuer le nombre de salariés avaient créé des ambiances professionnelles délétères, poussant les salariés à bout. On peut se demander comment on en est arrivé là…

Le mouvement des « Human Relations » est apparu dans les années 1930, mais son application massive en Europe n’a commencé que dans les années 1970, avec, par exemple dans l’industrie, une rémunération individualisée en fonction de la productivité, et, de façon générale de nouveaux modes de gestion des « ressources humaines ». Alors qu’autrefois, il était question de service de gestion de personnels, l’apparition de la gestion des « ressources humaines » a marqué un tournant et de nouvelles pratiques. L’intensification du travail va devenir générale, dans l’industrie, il faut augmenter la productivité sans limite. L’informatisation générale va entraîner la généralisation des postes de travail isolés. La mondialisation et la libéralisation complète de l’économie génèrent un contexte de concurrence sauvage qui n’épargnera aucun secteur ou presque. Au sein des entreprises et des administrations, les salariés sont aussi mis en concurrence. La pratique et la généralisation des entretiens professionnels d’évaluation avec le N + 1 (supérieur hiérarchique direct), qui fixent des objectifs professionnels individuels à chacun(e), mettent les personnels sous pression. Leurs « performances » sont évaluées lors de l’entretien professionnel suivant, six mois ou un an après, et la rémunération peut en dépendre. Ce processus est non seulement infantilisant, mais il est aussi délétère. L’individualisation à outrance de la gestion des personnels et de leur parcours professionnel casse les collectifs de travail, qui restent d’après la plupart des psychologues du travail (Yves Clot, Christophe Dejours) le meilleur rempart contre le désespoir, la dépression, le burn-out et les risques psychosociaux de façon générale. L’employeur prétend miser sur l’empathie avec le salarié qui se retrouve tout seul face à ses difficultés professionnelles, une fois le collectif de travail cassé. Le salarié exemplaire doit accepter la flexibilité, la mobilité et être tout le temps disponible pour son travail (bien entendu au détriment de sa vie privée et familiale). Des réunions ont lieu pour « souder » les salariés, déterminer la culture de l’entreprise. Dans les années 1980, c’est la grande vogue des week-ends « séminaires » saut à l’élastique ou en parachute, les salariés doivent investir toute leur énergie dans l’entreprise et faire toujours plus avec moins de personnels et de budgets. L’idéologie du « défi » professionnel à relever, du dépassement de soi se développe. La mise en concurrence des salariés empêche la coopération et entraîne la dégradation des rapports sociaux sur le lieu de travail. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont invasives et peuvent empêcher une séparation nette entre sphère publique et privée. Elles permettent aussi de surveiller les salariés en permanence.

Cette nouvelle organisation du travail génère du stress et du mal-être. Dans les années 1990-2000, c’est la grande mode des open spaces, bureaux immenses où jusqu’à 50 personnes peuvent travailler sur le même « plateau ». Chacun se sent surveillé et surveille tout le monde, les conversations téléphoniques dérangent les uns et les autres, aucune intimité n’est possible, les horaires de travail sont délirants et ne laissent aucun équilibre possible entre vie professionnelle et vie privée.

Le changement doit être permanent. Il faut déstabiliser les salariés par des restructurations et des réorganisations incessantes, ainsi vont-ils accepter d’appliquer les procédures standardisées de travail concoctées par la direction. Ils vont perdre leurs repères et leurs compétences professionnelles, ils ne maîtriseront plus leur travail et seront donc facilement taillables et corvéables à merci.

La dictature du changement permanent va de pair avec une précarisation des salariés, qui augmente, les CDD, les stagiaires, les vacataires sont de plus en plus nombreux, surtout chez les jeunes salariés, les stages et les CDD étant le passage obligé vers un CDI que certain(e)s ne décrocheront jamais Une main-d’œuvre précarisée ne proteste pas, ne conteste pas, ne se met jamais en grève.

La précarité et le chômage de masse permettent aux employeurs de faire un chantage à l’emploi et d’imposer ce qu’ils veulent. Travailler n’est certes pas toujours bon pour la santé mais avoir un emploi stable est devenu un privilège…

In furore

Article paru dans RésisteR ! #50 le 9 juillet 2017.


Notes

[1] Voir Danièle Linhart, La Comédie humaine du travail – De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, Paris, Érès, coll. « Sociologie clinique », 2015.


https://manif-est.info/Le-travail-c-est ... e-271.html
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