Polar engagé

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Polar engagé

Messagede Nico37 » 04 Sep 2010, 10:04

Jean-Pierre Levaray a publié dans Le Monde libertaire de l’été 2010 un nouveau dénouement du roman Tue ton patron. Où le narrateur-héros n’est plus l’ouvrier, mais le patron… Bonne lecture !

CHANGEMENT DE POINT DE VUE
Ils sont venus, ils sont tous là. Non pas tous, mais presque. Plusieurs m’ont téléphoné pour s’excuser. Même Nicolas m’a contacté. Il m’a juste dit qu’il ne pouvait pas venir, à cause de la date et qu’il avait prévu autre chose avec sa dame. La prochaine fois qu’il me le demande, je ne lui prêterai pas mon hôtel privé. Non mais.

Je l’ai fait exprès de choisir le 24 décembre pour fêter mon départ. Pour voir sur qui je pouvais vraiment compter. En même temps, maintenant, je m’en fous. Je vais avoir d’autres chats à fouetter et un autre milieu à m’occuper.

Je m’aperçois que, dans la salle, il y a quelques-uns de mes concurrents directs, certains auraient voulu me voir mordre la poussière. J’ai gagné, tant pis pour eux. J’ai maintenu l’entreprise lors des crises successives, et j’ai réussi à conforter notre société dans le haut du panier du CAC 40, c’est quand même pas rien. FFI© est devenue une valeur de référence aujourd’hui. J’ai de quoi être fier. Bien sûr, cela s’est fait au prix de divers abandons et de diverses restructurations, mais changer de méthodes de travail, investir dans des pays émergeants et se recentrer sur des marchés porteurs, c’est le b-a ba. On est passé de 150 000 collaborateurs dans le monde à 80 000. C’est plutôt pas mal. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Et puis, voir l’action grimper autant, tripler sa valeur en si peu d’années, ça valait un petit sacrifice.

Ah ! Voici enfin un plateau de coupes de champagne qui passe. Voyons voir ce qu’il donne ce champagne. FFI© en a commandé des caisses, je veux voir où est passé notre argent. Le producteur est un ami, mais j’ai parfois du mal avec sa piquette. Oups. Pas terrible encore cette année. Mais ça m’amuse d’autant plus que tous ces zouaves rassemblés devront boire ça jusqu’à la lie.

J’ai bien fait de choisir la Verrière pour organiser mon pot de départ. Mon « pot de départ », ça me fait marrer. Comme mes prolos lorsqu’ils partent en retraite… Je suis peut-être un peu comme eux. Va savoir. A force de voir leurs représentants syndicaux, je les ai imités. Non, je rigole. N’empêche que je les ai bien eus aussi, ceux-là.

La Verrière vient juste d’ouvrir, au pied de la tour, et je ne pouvais pas faire moins que de les aider à pendre leur crémaillère tout en fêtant mon départ. Je suis encore dans le coup, non ?! Jolies, les guirlandes lumineuses. Ils font de ces trucs maintenant. Et les sapins décorés, c’est pas mal. Ça donne à la soirée un côté kitsch qui me va bien, un côté hollywoodien, fin de film à gros budget.

Bon, il faut que j’aille faire la tournée de mes ouailles avant les discours. La faune des courtisans et des lèche-bottes. Ce sont eux qui viennent à moi les premiers, évidemment. Ils croient vraiment que c’est en étant à mes pieds qu’ils accéderont au vrai pouvoir ? Que des larves. Ils me sourient, se tortillent devant moi. Ils veulent mon bien, croient être l’incarnation du pouvoir parce qu’ils sont déférents envers moi. On ne se rend pas compte mais faire partie de l’élite, ça a des désavantages. Et même si j’ai peu de sympathie pour l’espèce humaine, ce genre de comportement n’arrange pas ma perception. De toute façon, ils sont fichus : s’ils se rebellaient, je les casserais. Leur alternative est quasi nulle.

Mais où sont Bertrand et Charles, mes fidèles, mon équipe, mes hommes de main, ceux sur lesquels je peux compter ?

Ah ! Quelques membres du conseil d’administration. Là, on est en terrain connu. On se côtoie depuis si longtemps. On a la même vision du monde et presque le même costume. On n’a pas besoin qu’on nous raconte des histoires, c’est nous qui avons fait ce que FFI© est devenu. Il faudra que j’invite l’un d’eux à nous rendre visite quelques jours.

Dans tous les cas, je reste membre du CA, pas seulement pour les jetons de présence, mais pour rester aux commandes et mettre la pression sur mon successeur. Ah, il a voulu ma place de PDG, va falloir bosser. C’est lui qui devra fermer les quelques boîtes qui restent implantées en Europe du Nord. Ça m’amuse d’avance de savoir qu’il commencera son règne en supprimant des emplois. Il faut pourtant que je me montre avec lui, comme si nous étions complices, comme si nous ne faisions qu’un. Pour l’avenir de FFI©.

Et voilà La Fayette, le représentant des clients, des coopératives agricoles. Le type qui me fait bien sentir que sans lui, sans ses achats de mes phytosanitaires, je serais coulé. Tu parles. Maintenant que je fourgue la moitié des productions en Inde, il peut toujours se la jouer. Il est adipeux et veule, je ne le supporte pas. Il transpire, en plus, dans son costard de parvenu. Et sa rosette de la Légion d’honneur, qu’est-ce qu’il a fait pour l’avoir ? Il faudra d’ailleurs que j’en parle en haut lieu. C’est moi qui la mérite.

Je me défais vite de ce type, mais c’est pour tomber sur pire : Petrovitch est là. Cette fois, j’ai un peu les boules, on a passé des accords et j’ai un peu dépassé les bornes. Ce sont les lois du marché. Il faudra bien que ces Ruskofs se mettent au goût du jour. Tout ne se règle pas à coup de flingue. Le marché africain, c’était pour moi. Je vois qu’il sourit d’une façon pas très agréable mais il est courtois. Je m’éloigne.

Si Petrovitch est là, ça veut dire que Kristina est là aussi. Elle faisait partie du paquet cadeau. Hé oui, qu’est-ce que je disais ? La voici. Trop jolie. Sa robe noire moulante ne cache rien et son décolleté est trop plongeant, mais si elle me colle, comme d’habitude, tout le monde va se dire que je me suis levé une pute des pays de l’Est. Ce qu’elle est. C’est sûr que par rapport aux quelques femmes qui sont là, elle fait tâche. Marie n’est pas venue, heureusement. Elle a prétexté les préparatifs du repas de Noël après la messe de minuit, mais je sais qu’elle n’aime pas ce type de soirée.

Kristina se colle à moi. Normalement, je succombe, mais ce n’est pas l’heure. Elle me dit des mots à l’oreille. Normalement aussi, ça me fait de l’effet, mais je me sens regardé. Voilà qu’elle me pelote les couilles. On est tous serrés et personne ne peut voir mais je n’ai pas envie de ça. « Arrête, lui dis-je. Dégage, c’est pas le moment. » Je vois Bertrand qui s’approche enfin pour m’aider. Il va pour la prendre par l’épaule. Kristina se dégage, elle est en colère. Elle fait un esclandre mais Bertrand l’a en main. Allez du balai. Dommage, quelque part. Je n’aurai sans doute plus le droit à ses petites gâteries sous le bureau maintenant que je vais changer de vie.

Charles, enfin, m’apporte le feuillet de mon discours. Je me dirige vers la tribune, cela n’a que trop duré. Dès que je prends le micro, le silence s’installe. Allez, quelques vannes pour les mettre dans ma poche, un peu d’histoire de FFI©, mon engagement et l’état des lieux, et… J’espère que Charles ne m’a pas fait un discours à la Fidel Castro, je n’ai pas que ça à faire. Ah, ça se termine : « Bien sûr, ce que je garde comme souvenir de FFI©, c’est cette véritable aventure humaine au cours de laquelle j’ai croisé des collaborateurs dévoués, professionnels et dignes de confiance. Maintenant je me tourne vers de nouvelles aventures, plus près de ma famille, car cela reste la valeur la plus importante au monde. » Hop, emballé c’est pesé. Applaudissement et tout le tralala.

Après c’est au tour de mon successeur, je n’ai même pas envie d’écouter les platitudes d’usages, quoi que je perçoive dans ses intonations le discours guerrier de mes débuts. Il ira peut-être loin, le petit. Ensuite c’est le ministre de l’Industrie, discours sobre et bien écrit par son nègre. Heureusement que l’autre ministre ne cause pas, il est déjà bourré. Je l’inviterai d’ailleurs bientôt chez moi, pour voir s’il ne tient pas l’alcool ou s’il boit vraiment beaucoup.

Bon, c’est pas que je m’ennuie mais j’ai une messe sur le feu. Je préviens le personnel que dans un quart d’heure c’est basta. Les meilleures choses ont une fin.

Salutations d’usage. Kristina a vraiment disparu. C’est tout de suite que j’aurais eu besoin d’elle. J’ai toujours son numéro de portable, au cas où…

Ça y est tout le monde est parti. A moi de quitter les lieux. J’ai un coup de blues, mais la vie n’est pas finie. J’ai des projets. Dehors, la nuit est glaciale. La Défense est le quartier des courants d’air. Je passe devant la tour FFI©. Elle a quand même de la gueule et c’est moi qui en étais le maître d’œuvre. Chapeau l’artiste. Désormais, en dehors des conseils d’administration, j’essaierai de ne pas trop venir. Je vais avoir mes terres et mes employés à gérer. Je vais aussi m’intéresser à la gestion communale. J’ai des idées là-dessus, pour moi et mes futurs administrés. Mon petit peuple. Mais avant, Marie et moi, nous partons nous ressourcer aux Seychelles, ça ne fera pas de mal.

Voilà l’escalier du parking.

Il fait sombre et je n’aime pas. Je ne me suis pas penché sur le sujet des parkings, j’aurais dû. Un peu flippant la nuit, quand on est seul. Et ce n’est pas les violons de Vivaldi en fond sonore qui vont arranger les choses.

J’atteins mon coupé Mercedes. Je vais m’en débarrasser bientôt. Ce n’est plus dans ma fonction. J’aurais dû m’offrir ce 4X4 Q7 de chez Audi pour Noël. Ce véhicule collera mieux à mon aventure terrienne. Ça en jettera sur mes ploucs.

Clic. Les portières s’ouvrent.

« Pelletier-Raillac, lève les mains. »

C’est quoi ça ? Je me retourne. Un mec, plutôt nerveux, me tient en joue. C’est quoi cette connerie ? Il n’a pas l’air à l’aise.

« Pan ! » Putain, ça fait mal. Il m’a tiré dessus. Je ne sais pas ce que c’est mais, aïe aïe aïe. J’ai l’épaule broyée. Qu’est-ce qu’il me veut ce type. En plus, il n’a pas l’air très pro. Il est tombé par terre. C’est Petrovitch qui l’envoie, c’est évident. Jamais je n’aurais dû pactiser avec les Russes. C’est mafia et compagnie. Je les ai eus sur le marché africain, tant pis pour eux. Il faut qu’ils s’y fassent.

Je touche ma blessure. Il y a plein de sang. J’espère qu’il n’a pas atteint le poumon. Je ne pense pas. En plus mon costard est mort.

Le type se lève et vient vers moi, il me tient toujours en joue. C’est quoi ? Je n’y comprends rien. « Casse-toi, connard. »

Il reste là. « C’est Petrovitch qui t’envoie ? Je pensais qu’il s’entourait d’un meilleur personnel. »

Le type à l’air bizarre. J’suis tombé sur un fou. C’est pas possible. Je suis dans un mauvais rêve.

Le type me dit qu’il est un de mes anciens salariés, viré lors du dernier plan. J’y crois pas. Le monde ne s’arrange pas. Je pense que Petrovitch est allé chercher son tueur à l’HP. Ce n’est pas possible autrement.

« Je travaillais pour FFI©, mais vous m’avez licencié… Depuis, ma vie est fichue, alors je veux que la vôtre le soit aussi. »

Des conneries. Mais si c’est le cas, c’est une de ces larves. Un de ces ouvriers serviles qui ne voulaient pas se prendre en charge, qui attendaient sagement que leur salaire tombe tous les mois et qui pètent les plombs. Je lui crie : « Moi, je me suis battu pour FFI©, toi tu n’as su qu’obéir. Tu n’es rien. »

Si j’en réchappe, je le tue, c’est clair. Je l’enfermerai dans ma cave, je le ferai souffrir. Il verra qui c’est le boss.

Je savais bien que certains prolos disjoncteraient, il a fallu que ça me tombe dessus.

Voilà qu’il essaie de me causer : « Sans des mecs comme moi, qui font tourner les machines, tu n’existerais pas. »

J’ai chaud d’un seul coup. Il faut que ça se termine. Bertrand m’a toujours recommandé de porter un flingue depuis que je « négocie » avec Petrovitch, cette fois ça va me servir. Il faut juste que je le sorte de ma poche.

« Pan ! »

Il a tiré de nouveau. Je ne sens rien. Juste comme un coup de poing dans ma cuisse droite. Je ne sais pas ce que j’ai. J’ai l’impression de me vider. Putain, la fémorale. Le type me regarde. Il a les yeux noirs. J’ai une vision du cochon qu’on avait saigné chez moi l’an dernier. C’était jour de fête. Mon sang se répand partout. Je vais mourir. C’est pas possible : c’est moi le boss.

Jean-Pierre Levaray, Mai 2010
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Chroniques policières

Messagede Nico37 » 09 Jan 2011, 16:33

Le barbare et l'ivrogne B.Desforges - 2010 ©
Il avait un nom de fleur, cet homme-là, c’est peut-être pour ça que je m’en souviens si bien. Parce que le reste, j’aurais préféré l’oublier.
C’était une nuit, c’était un bar, c’était un type avec un nom de fleur qui avait trop bu. Un autre, qui avait bu autant que lui, avait fait une remarque désobligeante sur sa femme. À moins que ça n’ait été sur sa mère. Ou sur sa fille. Le blanc de l’oeil strié de rouge, les deux mains posées bien à plat sur le zinc poisseux pour ne pas tomber, il s’était penché vers lui et, d’une voix pâteuse, avait égrené à son oreille quelques mots noyés dans une haleine infecte. Pute. Traînée. Grosse. Cocu. L’homme au nom de fleur n’avait d’abord pas bronché. Il avait regardé l’autre, goguenard, qui se balançait sur son tabouret en se grattant le ventre, idiot, fier de sa saillie, et continuant à rire grassement. Il l’avait regardé à travers ses épaisses lunettes de myope, les lèvres pincées, les poings serrés, sans rien dire. Il le regardait rire et faire rire les autres ivrognes du bar, lui, la risée de tous, de chaque soir de cuite, et qui ne disait jamais rien. Parce que quand on boit aussi, il faut bien supporter des autres quelques écarts. Mais, ce soir-là, quatre mots avaient enflammé son ivresse. D’un coup, il s’était mis à hurler « Je vais le tuer ! » et il avait sorti de la poche de son manteau râpé un long couteau de boucher.
Il ne nous a pas vus arriver. Il se tenait au milieu du bar, la lame en avant. Il tournait lentement sur lui-même, livide, sa main libre s’ouvrant et se fermant nerveusement, menaçant à la ronde les derniers noctambules hébétés.
« Je vais le tuer, je vais le tuer », répétait-il.
Son front était luisant de sueur, ses lunettes glissaient sur son nez, il clignait des yeux à chaque mouvement qu’il imprimait au couteau.
Il n’a pas été difficile à maîtriser, il ne tenait pas debout. Menotté les mains dans le dos, il continuait à murmurer : « Je vais le tuer. »
Assis à l’arrière de la police secours, à chaque cahot, chaque coup de frein, il disait encore : « Je vais le tuer. » Complètement ivre.
« Pourquoi vous avez fait ça ?
– Faut pas me parler d’elle. Pas comme ça. Ça ne se fait pas.
– Mais pourquoi vous vous baladez avec un couteau ?
– Parce que, l’autre soir, je me suis fait agresser. Avec un couteau. »
Le couteau, son ivresse, les menaces, une plainte qui serait déposée le lendemain, on l’emmenait face à un officier de police judiciaire qui allait le mettre en garde à vue.
Devant le commissariat, il descend du car. On l’aide un peu, il titube, ne trouve pas le sol sous ses pieds. Ses lunettes sont pleines de larmes, de sueur, à présent il pleure, il regrette, son nez coule. Toujours menotté, il s’essuie sur son manteau d’un coup d’épaule qui manque de lui faire perdre l’équilibre. Marche pénible après marche glissante, il monte l’escalier appuyé contre le mur. On le tient par la manche jusqu’au bureau de l’officier.
Et merde. C’est lui, c’est le gros. Un teigneux, un méchant qui ne sort jamais. Toujours au ramassage. Un qui a la main leste, surtout sur les loques humaines, les déchéances menottées. Sur sa femme aussi, quand il n’oublie pas de rentrer chez lui après le service. Personne ne veut plus tourner avec lui dehors, tout le monde attend qu’il se barre, mais il reste. La nuit, les huis-clos seul avec son pouvoir d’être le plus fort, il aime ça. Et ce soir, il est là, il nous attend, les poings sur les hanches, le ventre en avant, avec sa sale gueule couperosée.
« Alors, les abrutis, qu’est-ce que vous m’amenez là ? La chiure du soir ?
– Reste correct, d’accord ? Menaces avec arme blanche, et il est complètement torché. Rien de plus. Voilà le couteau. »
Je lui tends le couteau en le tenant par la lame, il le saisit et, d’un coup sec, le plante sur son bureau.
« Eh bien, on va s’occuper de lui maintenant. Viens avec moi, connard, tu vas souffler dans l’éthylo et après, je te fous en cage. »
L’homme au nom de fleur le suit en traînant les pieds, il ne dit plus rien, il renifle bruyamment un filet de morve qui ne veut pas tomber de son nez. On le suit pour lui retirer les menottes. Mon collègue part se laver les mains, je reste dans le couloir et je griffonne sur un carnet le nom de fleur, l’adresse où on l’a cueilli et l’heure.
Arrivé dans la petite pièce où se trouve l’éthylomètre, l’officier sort une boîte pour y déposer la fouille de l’homme au drôle de nom.
« Tu vas aller en garde à vue, on va mettre là tout ce qu’il y a dans tes poches. »
Un portefeuille, un trousseau de clés, un paquet de tabac, un billet froissé, un petit galet rose.
« Mon porte-bonheur, précise-t-il, ce qui fait ricaner le gros.
– Tes lacets. »
Il se penche, pose un genou à terre, se délace, fait la même chose de l’autre côté et tend la paire de lacets à l’officier.
« Ta ceinture. »
Il défait sa ceinture, la fait glisser dans les passants et la pose sur la table.
« Tes lunettes.
– Non.
– Comment ça, non?
– Non. Je veux voir dans quoi je souffle. Je veux lire ce qui s’affiche. Je donne mes lunettes après.
– Mais mon cher, tu n’es personne ici pour décider quoi que ce soit ! Donne-moi tes lunettes.
– Non. »
L’homme s’entête. Il veut voir le chiffre apparaître sur la machine. Appuyée contre le mur du couloir, à quelques mètres, j’observe le face-à-face. L’officier croise les bras et le regarde fixement. L’autre fait de même en vacillant. Il porte d’épaisses lunettes en écaille d’un autre âge, qui lui font de gros yeux et un regard ahuri.
« Pour la dernière fois, retire tes lunettes.
– Non. »
Et c’est allé très vite. J’ai vu le coup de tête partir, les lunettes voler et se briser au sol. J’ai vu l’homme prendre son visage à deux mains en gueulant et saigner entre ses doigts sales. J’ai vu l’autre l’attraper par le col et lui coller le nez contre l’éthylomètre.
« Et comme ça, tu vois mieux ? »
L’homme s’est laissé glisser par terre en grognant et soufflant. Je n’arrivais pas à bouger. J’ai encore vu le gros s’approcher et se laisser tomber sur lui, un genou sur son flanc et l’autre sur son nez. J’ai entendu l’os craquer.
« Pourquoi ? Pourquoi ? » râlait l’homme en se tordant de douleur sur le sol qui se constellait de gouttes de sang.
Un autre officier est accouru du fond du couloir en hurlant : « Mais c’est pas vrai ! Que se passe-t-il encore ? ! » Il s’est arrêté sur le pas de la porte en soupirant. Le gros a fait un pas vers lui : « Je vais t’expliquer. » Et l’autre s’est tourné vers nous : « C’est bon, allez-y, je m’en occupe. »
Dans la nuit, les pompiers sont intervenus dans une garde à vue. Un homme y gisait inconscient, le visage tuméfié et couvert de sang. Ils ont tout de suite vu le nez cassé et l’arcade fendue. Aux urgences, ils ont encore diagnostiqué deux côtes cassées.

Le lendemain à l’appel, nous avons été convoqués dans le bureau du commandant. Il nous attendait, les poings sur les hanches, en haut de l’escalier, comme le gros de la veille. Il était en colère. On est entrés dans son bureau, il a fermé la porte et nous a reproché d’avoir conduit au commissariat un homme en état d’ivresse salement amoché. Un homme avec un nom de fleur qui ne se souvenait plus de rien. L’officier de police judiciaire avait fait un rapport et appelé les secours en pleine nuit.
« Je vais le tuer… »
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Re: Polar engagé

Messagede Pïérô » 04 Avr 2015, 19:24

Dimanche 5 avril 2015 à Saint-Denis (93)

Jean Meckert/Jean Amila,

du roman prolétarien au polar engagé

Les dimanche de la Dionyversité au Musée de St-Denis

Conférence-débat de Pierre Gauyat

à 15h, Musée d'art et d'histoire de Saint-Denis, 22 bis, rue Gabriel-Péri, Saint Denis (93)

Jeune ouvrier, Jean Meckert (1910-1995) publie son premier roman, Les Coups, en 1942 chez Gallimard. Il fait paraître plusieurs romans de littérature prolétarienne avant de rejoindre la "Série noire" en 1950 où il publie une vingtaine de polars en 35 ans, sous le pseudonyme de Jean Amila.

Comme Hammet ou Chandler, il écrit des romans noirs annonçant le néo-polar qui émerge après Mai 68. Didier Daeninckx et Patrick Pécherot revendiquent son héritage littéraire.

Pierre Gauyat est l'auteur de Jean Meckert, dit Jean Amila, du roman prolétarien au roman noir contemporain, paru aux éditions Encrage (2013).

Entrée libre

document au format PDF:
http://paris.demosphere.eu/files/docs/f ... -fname.pdf
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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 16 Avr 2015, 01:28

Vendredi 17 avril

à 19h45, Quilombo, Boutique-Librairie, 23 rue Voltaire, Paris 11e

Présentation-débat « Autour de Jean Meckert »

Présentation-débat en présence
• de l'association Colères du présent,
• de Hervé Delouche, l'un des deux (ré)éditeurs aux éditions Joëlle Losfeld,
• les auteurs Patrick Pécherot et Gauz

L'association Colères du présent et la librairie Quilombo consacrent une soirée à Jean Meckert le vendredi 17 avril 2015.

Auteur de nombreux romans noirs, parmi lesquels Tranchecaille, Soleil noir ou L'Homme à la carabine, Patrick Pécherot a toujours revendiqué Amila-Meckert comme source d'inspiration et d'influence. Quant à Gauz, son premier roman, Debout-Payé, a été très remarqué par la presse et le public. Il est aujourd'hui sélectionné pour le prix Amila-Meckert remis chaque année dans le cadre du Salon du livre d'expression populaire et de critique sociale.

Le 11e prix Jean Amila-Meckert. Ce prix valorise un ouvrage d'expression populaire et de critique sociale remarquable. Le lauréat reçoit une somme de 4000 euros. Ont été récompensés : Olivier Adam, Maurice Attia, Florence Aubenas, Nan Aurousseau, Thierry Beinstingel, Caryl Férey, Marin Ledun, Jean-Hugues Lime, Antonin Varenne, Flore Vasseur. Des extraits seront lus par Corinne Masiero lors de la remise du prix 2015 au Théâtre d'Arras le 30 avril à 19h.

Jean Meckert naît à Paris en 1910. Mobilisé en 1939, il est interné en Suisse en 1940 à la suite de la débâcle et y écrit son premier roman, Les coups, que Gallimard accepte immédiatement. Suivront plusieurs autres titres, tous salués par des grands noms de la littérature française tels que Raymond Queneau, André Gide, Roger Martin du Gard, Maurice Nadeau, Jean-Jacques Pauvert… ou plus récemment Manchette et Annie Le Brun. Dès 1950, Marcel Duhamel le fait venir à la Série Noire où il s'impose, sous le nom d'Amila, comme l'un des meilleurs auteurs de polar français.

(Ce texte provient du site des éditions Joëlle Losfeld)
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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 13 Juin 2015, 14:20

UPE - Le Polar: historique et panorama du genre

Le 20 avril 2015, l'Université populaire d'Eymoutiers recevait les écrivains Jérôme leroy et Serge Quadruppani, pour une conférence intitulée "Le polar : historique et panorama du genre". Aujourd'hui le polar représente un quart de la production de romans en France. Le succès de ce genre est dû, entre autres, à sa capacité à rendre compte aussi bien des tendances contemporaines que des profondeurs sombres de l'âme humaine. Corruption, manipulations, services secrets, société de contrôle, pollution, racisme, économie souterraine, folie ordinaire : le polar est un excellent analyseur social.

Emission Radio Vassivière à écouter : http://www.radiovassiviere.com/index.ph ... Itemid=122
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Re: Polar engagé

Messagede Banshee » 13 Sep 2015, 18:38

Rencontre avec Patrick Pécherot pour la sortie de son nouveau livre : "Une Plaie ouverte"
Quilombo Boutique-Librairie, 23 rue Voltaire, Paris 11e



1870, la défaite de Sedan scelle la guerre franco-prussienne. Dans Paris assiégée, l'heure de la Commune va sonner. Une bande d'amis vit la fièvre de l'insurrection. Ils se nomment Vallès, Verlaine, Courbet, Gill, Marceau, Manon, Dana… Mais le temps des cerises s'achève dans le sang. Les amis sont dispersés, arrêtés ou recherchés. Dana, en fuite, est condamné à mort, accusé d'avoir participé au massacre des otages de la rue Haxo. Qui était-il ? Communard authentique ? Personnage trouble ? L'homme aux gestes de fumée a laissé derrière lui un halo de mystère. Son souvenir hante Marceau jusqu'à l'obsession. Trente ans plus tard, il croit le reconnaître parmi les figurants du premier western de l'histoire du cinématographe, et n'aura de cesse de retrouver sa trace. Elle croise celles des chercheurs d'absolu, exilés de la vieille Europe, qui parcourent les États-Unis…

Image

edit : avec la date c'est mieux, donc c'est le mercredi 16 septembre à 20 h. sm 26
"Si les abattoirs avaient des vitres, tout le monde deviendrait végétarien ! ", Paul McCartney
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Re: Polar engagé

Messagede Pïérô » 17 Oct 2015, 14:34

Besançon, vendredi 23 octobre

20h30, Librairie associative L'Autodidacte, 5 rue Marulaz, Besançon.

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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 24 Juil 2016, 03:07

Didier Daeninckx
1/5
Un été d'écrivains : Lundi 18 juillet 2016

L'écrivain Didier Daeninckx place au centre de ses polars les perdants et les oubliés de l'histoire.

A Voix Nue

Par Delphine Japhet. Réalisation : Anne-Pascale Desvignes. Prise de son : Laurent Lucas. Attachée d’émission : Claire Poinsignon.

Didier Daeninckx est avant tout connu pour ses romans noirs, même si l’on ne peut réduire son œuvre à ce genre littéraire. Certains thèmes récurrents traversent ses textes les faisant dialoguer les uns avec les autres, notamment son attention toute particulière à la mémoire, à l’histoire des sans-voix, des oubliés. Durant toute sa vie, Didier Daeninckx s’est efforcé d’exhumer les traces, de dénoncer les injustices sociales et d’enquêter sur l’histoire à l’instar des personnages qu’il met en scène. Pour comprendre d’où procède cet engagement d’écrivain, ce premier entretien plonge au cœur de son entourage familial : un grand-père anarchiste et l’autre communiste, une mère en lutte contre la guerre d’Algérie. Adhérent aux jeunesses communistes dès 1963, son militantisme politique s’ancre dans sa ville, celle qui l’a vu grandir et qu’il n’a jamais quittée : Aubervilliers, qui constitue en outre un des fondements de son œuvre et incontestablement le socle de sa réflexion sur l’urbain, tout comme le territoire de l’écriture.

1/Les origines

Après la rediffusion de ses entretiens dans l’émission « A voix nue », la fiction vous propose d’écouter ou de réécouter cinq épisodes de feuilleton consacrés à l’œuvre de Didier Daeninckx. Ecrivain français né en 1949, auteur de romans noirs, de nouvelles et d’essais, Didier Daeninckx a tout d’abord exercé pendant une quinzaine d’années les métiers d’ouvrier imprimeur, d’animateur culturel et de journaliste localier. C’est le livre Meurtres pour mémoire, publié en 1984, qui l’a révélé au grand public et pour lequel il a obtenu le Prix Paul Vaillant Couturier. Dès ses débuts littéraires, Didier Daeninckx a placé au centre de ses polars les perdants et les oubliés de l’histoire puis a élargi ce travail en faisant resurgir sur le devant de la scène des épisodes refoulés, ou carrément occultés de notre histoire comme la Guerre d’Algérie. Il dit écrire de vrais-faux romans policiers pour évoquer ce qui s’est trouvé interdit d’existence dans les différents récits de l’histoire. Plusieurs de ses ouvrages ont été publiés dans des collections destinées à la jeunesse, d’autres lui ont donné l’occasion de travailler avec des artistes réputés comme le photographe Willy Ronis ou les dessinateurs Assaf Hanouka, Mako, Guttierez, Tignous et Jacques Tardi. Il a obtenu de nombreux prix (Prix Eugène Dabit du roman populiste, Prix Mystère de la critique, Prix Louis Guilloux, Prix Goncourt du livre de jeunesse…). En 1994, la Société des Gens de Lettres lui a décerné le Prix Paul Féval de Littérature Populaire pour l’ensemble de son œuvre. En mars 2012, le prix Goncourt de la nouvelle lui a été attribué pour L’Espoir en contrebande.

• Feuilleton
Pages arrachées à Didier Daeninckx
Textes choisis par Sylvie Ballul
Conseillère littéraire: Emmanuelle Chevrière
Réalisation Jean-Matthieu Zahnd

1/ Meurtres pour mémoire
Avec
Vincent Schmitt ( le narrateur)
Philippe Pierrard ( le gardien)
Mustapha Abourachid ( Lounès)
Sliman Yefsah (Saïd)
Arnaud Simon (Roger Thiraud)
Zelda Perez (Kaïra)
Abel Aboualiten (Aounit)
Régis Chaussard (le capitaine des CRS)
Régis Kermorvant (le concierge)
Nicky Marbot (un membre de l’équipe de secours)
Equipe de réalisation: Claude Niort, Emmanuel Armaing, Alice Kachaner

Meurtres pour mémoire est publié aux éditions Gallimard en 1984



Emission à écouter : http://www.franceculture.fr/emissions/u ... illet-2016
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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 27 Juil 2016, 16:39

Didier Daeninckx

Un été d'écrivains : Mardi 19 juillet 2016
2/5
http://www.franceculture.fr/emissions/u ... illet-2016

Un été d'écrivains : Mercredi 20 juillet 2016
3/5
http://www.franceculture.fr/emissions/u ... illet-2016

Un été d'écrivains : Jeudi 21 juillet 2016
4/5
http://www.franceculture.fr/emissions/u ... illet-2016

Un été d'écrivains : Vendredi 22 juillet 2016
4/5
http://www.franceculture.fr/emissions/u ... illet-2016
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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 13 Nov 2016, 15:42

«La quiche était froide» de André Faber

Image

André Faber, La quiche était froide, 2016

Au coin de la rue de l’Usine, un bolide fauche la petite Jeanne et disparaît. Le mystère resterait épais comme les fumées des anciens hauts-fourneaux si le Gros Dédé ne décidait de mener l’enquête. Pas facile sous le gris du ciel bleu de Louange. La M’man, la belle Nicole, un syndicaliste en déroute, les potes du café Majestic, un étrange père Noël, vont accompagner les errements du héros. Virée à Vespa, baston, poursuite dans les mines de fer, recette des pommes de terre râpées…Le Gros fait ce qu’il peut. Car la petite Jeanne a disparu, mais c’est toute la mémoire de la sidérurgie lorraine qui fout le camp.

Dans ce polar sans flics ni brigands, André Faber s’exprime avec la précision du dessinateur industriel qu’il fut, l’humour caustique qui fait son succès d’illustrateur de presse et le talent de l’écrivain qu’il est devenu.

Né en 1954, André Faber vit en Moselle. Élève du fond de la classe, il apprend la mécanique et travaille en usine. Après un détour en école d’art, il gagne sa vie comme graphiste, infographiste, puis journaliste. En 1994, il devient illustrateur indépendant. Publié dans de nombreux titres de presse, dont «Courrier international», il est le créateur d’un strip BD, Monsieur l’Homme. Son premier roman paraît en 2014…

ISBN : 978-2-919568-80-2
179 pages – 13€

http://editions-libertaires.org/?p=997
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Re: Polar engagé

Messagede bipbip » 02 Sep 2018, 18:01

Ma Zad

Jean-Bernard Pouy

Cap sur l’utopie
Un Pouy d’amour pour NDDL


Avec Ma Zad, un Gallimard Série noire dédié espièglement aux zones humides, Jean-Bernard Pouy ne déçoit pas d’un poil de grenouille, animal qui a son rôle à jouer dans l’ouvrage. De même que la salamandre tachetée et l’alyte accoucheur, petit crapaud couvert de caviar blanchâtre, et que les kyrielles de canards de passage menacés par l’ignoble société bétonneuse-goudronneuse BTP (Bilan totalement positif) et par ses sinistres acolytes.

Pourquoi le fricasseur remarquable des Roubignoles du destin et de Spinoza encule Hegel, tous deux chez Folio, a-t-il encore réussi son dernier opus, jambon à cornes ?

Parce qu’il l’a ancré profond dans le quotidien aliéné.

Parce qu’il se branche direct sur l’actualité brûlante des luttes plutôt que de prendre la tangente comme tant de ses collègues « dégagés ».

Parce qu’il nous fait bougrement bien partager petit à petit la révolte flamboyante de son protagoniste.

Parce qu’il parvient à nous surprendre perpétuellement, on ne sait jamais le tour que vont prendre les événements, ce qui n’arrive pas si souvent que ça dans les polars. Parce qu’un Jean-Bernard Pouy est bien mieux encore qu’un petit maître stimulant de la vraie littérature populaire, c’est un écrivain merveilleusement inspiré tout court.

Parce que c’est en outre un irrésistible humoriste qui joue jubilatoirement avec les rites langagiers et les conventions narratives, multipliant les trouvailles cocasses à la Vialatte ou à la Desproges. Comme la devise des ivrognes, « Cubi or not cubi », la réelle signification de la SNCF, « Savoir nager comme Fernandel », ou ce cri de haine très argumenté contre les valises à roulettes.

Parce qu’il n’arrête pas de réinventer friponnement les expressions toutes faites : « Une tempête à décorner les limaces » ; « Un pêcheur trempé comme un croûton » ; « Une tête comme une galette saucisse ». Je trouve les jeux permanents de Pouy avec le parler classique, « ces images à la noix » comme il dit, mille fois plus réjouissants et inattendus que ceux du très surestimé Frédéric Dard, qui ont rarement dépassé le crapoteux niveau Bigard.

Et Pouy, je voulais dire « et puis », et c’est quand même ça l’essentiel, Ma Zad met constamment le cap sur une utopie en actes.

Hop ! Hop ! Hop ! C’est le moment d’aborder le scénario même du livre. Le projet de la plate-forme multimodale Zavenghem est annulé par le gouvernement, et les occupants des terrains où le projet devait se concrétiser sont priés de vider les lieux à toute gomme. Mais les zigomards refusent de décamper, bien décidés à protéger les agriculteurs, les squatteurs et les bestioles des zones humides expérimentant là-bas de nouveaux modes d’existence passionnants. Les flics donnent alors l’assaut dans une ambiance Mad Max III. Valse des matraques et des grenades soufflantes. Les cabanes des insurgés sont pulvérisées par des « engins monstrueux ». Des blessés dans les deux camps. Beaucoup d’arrestations. La résistance continue. Carnavalesquement. « Ce que l’État ne voulait pas comprendre, c’est qu’on avait, ici, pris goût à la lutte et au bonheur d’être ensemble, de faire ensemble. »

Le héros du récit, Camille, responsable du rayon frais de l’hyper de Cassel, est placé en garde à vue. On l’accuse d’avoir approvisionné les épiceries solidaires de la région en fruits et légumes chapardés à son boulot. D’avoir tenté d’embarquer des manifestants traqués dans son véhicule professionnel. D’avoir offert aux « contrevenants » des palettes avec lesquelles ils ont monté des barricades. D’avoir des accointances avec les black blocs et les gredins de No Border. D’avoir répliqué à ses juges que « les voleurs, c’est l’État, la Région, le capitalisme aveugle et dégénéré qui nous spolient ».

Une fois notre « zadiste périphérique » relâché, il collectionne les chieries : le hangar où il stocke des objets de récup’ destinés à permettre à ses camerluches de « construire leurs châteaux-forts » est réduit en cendres, son patron le licencie sec, sa petite copine met les voiles et il se fait dérouiller par des fachos. Mais Camille ne se laisse pas ratatiner. Éperonné par son affection croissante pour les « clowns zadistes » et tous les rêveurs hors la loi qu’il rencontre volant à la rescousse des Rroms et autres illégaux, il passe à la contre-attaque, s’ingéniant à « prendre dorénavant de vitesse les mauvaises nouvelles ». Et il devient un dégourdi saboteur à la Émile Pouget et un dynamiteur discret de donjons patronaux tout en continuant à être un as de la redistribution sauvage.

Ce qui manque à cette roborative épopée ? Un happy end de la farine de tout ce qui précède. À nous, si ça nous chante, de l’imaginer et de le scotcher à la fin du livre.


http://cqfd-journal.org/Un-Pouy-d-amour-pour-NDDL
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