Marx n'a jamais fait une théorie de l'Etat.
Il est largement passé à coté de la politique en tant que telle sauf dans au moins deux occasions :
- Critique de la philosophie du droit de Hegel (1843)
- La guerre civile en France (1871) - sur la Commune de Paris
Je pense qu'il se méfiait de l'Etat, qu'il n'envisageait pas comme un instrument de libération, et qu'il a vu avec bonheur la Commune de Paris comme la forme du pouvoir politique pris par le prolétariat. C'était, on le sait, une forme de démocratie directe qu'il a appelé Constitution communale.
A mon sens, il n'était pas étatiste, même s'il se méfiait des anarchistes (bakouninistes...) en ce qu'il voulait "détruire" l'Etat. Il avait la conviction qu'il fallait bien le remplacer par quelque chose.
Je crois que son soucis était plutôt qu'il ne voyait pas comment se passer d'une instance qui centralise un minimum cette forme du pouvoir prolétarien explicite, comme garant d'une unité entre différentes régions, tandis que les anars, en prônant le fédéralisme, faisait disparaitre la garantie de cette unité au profit de la multiplication de petites communes locales.
Pas étatiste (pour lui, le communisme était inenvisageable avec le moindre Etat) mais pas d'abord anti-étatiste au sens des anars qui, souvent, mettent cela en premier tandis que lui, avait découvert le jeu des déterminations sociales de l'économie, ce qui lui importait de déchiffrer parce que la vraie libération passera surtout par là. En résumé : pas de libération politique possible (démocratie, pouvoir du peuple) sans libération sociale (la domination de classe).
Je crois qu'il ne concevait pas le pouvoir ouvrier autrement que sous la formule de la démocratie, dont il parle à de nombreuses reprises comme le pouvoir du peuple par le peuple, contre l'Etat.
Dans le Manifeste je crois qu'il dit que la lutte du prolétariat doit le mener à la "conquête de la démocratie".
Je crois que la notion de politique et de démocratie est ce qui départage Marx des anars de son temps (les anars ne veulent pas entendre parler de politique car cela est pour eux synonyme d'Etat). Divergence qui n'en est peut-être qu'à moitié une car elle renvoie surtout à des question méthodologiques et conceptuelles sur le concept de "politique", admis par Marx et récusé par les anars.
Plus généralement, il faut distinguer Marx et les divers marxismes. A commencer par Marx et la chaîne Lenine/Trotsky/and co
Et aussi Marx avec lui-même car il est loin d'être homogène : il dit parfois quelque chose et son contraire !
Peut-on allier Marx et Bakounine ?
On peut essayer, comme exercice purement intellectuel. D. Guérin avait essayé de faire une sorte de mixte entre anarchisme et marxisme, mais comme avancée théorique ça a fait pschittt ! : ça tenait plutôt d'une construction laborieuse, du copier-coller, qui n'a jamais convaincu personne, y compris ceux qui pouvaient se dire à la fois anarchistes et marxistes.
Je crois personnellement plus intéressant de prendre des thématiques qui importent (le pouvoir, l'Etat, le travail, le communisme...) et de croiser des regards dessus.
Sur Marx et le démocratie :
http://www.plusloin.org/textes/democratiemarx.htmlIl y a aussi l'étude minutieuse de Miguel Abensour "La Démocratie contre l'Etat" qui est une réflexion à partir de Marx sur la démocratie (la "vraie" démocratie dont parle Marx) en tant qu'elle s'oppose à l'Etat et ouvre le champ d'un pouvoir politique non étatique, contre l'Etat.
(Miguel Abensour était proche de Pierre Clastres et partage avec lui ce soucis de penser le pouvoir, la politique, ses contradictions, indépendamment de l'Etat, c'est-à-dire contre parce que l'Etat non seulement est un pouvoir de coercition mais aussi dépossède la société de tout pouvoir sur elle-même)
Sur Clastres :
http://infokiosques.net/spip.php?article654