Quelques réflexions...
Je pense que pour répondre à cette question il faut déjà définir ce qu'est « l'État ».
L'État n'est pas le simple fait d'avoir une organisation de la société, des institutions, des élections (ou pas), tout ça peut exister sans État. L'État c'est l'instrument d'une domination de classe, qui permet à une catégorie de personnes d'exercer une coercition sur le reste de la société (au travers de ses grandes fonctions : répressive, idéologique, économique).
Il peut donc exister des institutions, voire même aussi des modes d'organisation particulièrement autoritaires (ce qui n'est pas souhaitable
), sans pour autant avoir d'État.
Dans la société capitaliste, l'État est celui de la bourgeoisie. Pour les révolutionnaires, renverser le capitalisme c'est évidemment détruire l'État bourgeois et abolir la propriété privée des moyens de production (base de l'exploitation capitaliste et de la domination de la classe bourgeoise).
Et c'est effectivement là où le débat se corse : comment renverser et détruire l'Etat bourgeois? Et comment le détruire définitivement? Car à moins d'être naïf, on est forcé d'admettre que la bourgeoisie ne se laissera pas faire et fera tout pour rétablir son droit de propriété par le biais d'une contre-révolution qui peut s'annoncer sanglante (les exemples historiques ne manquent pas). Il ne suffit pas de détruire l'État bourgeois pour mettre fin à l'oppression capitaliste.
C'est ici que les positions divergent.
Si l'on part du postulat que les opprimés doivent s'auto-organiser, dans l'indépendance de classe par rapport à leur oppresseurs, et que pour ce faire, ils doivent se structurer de manière autonome d'une manière qui soit à la fois efficace, mais aussi qui évite toute bureaucratisation, on en vient à une structuration du prolétariat au travers d'AG, comités de grève ou de lutte, de délégations révocables, de rotation des mandats, etc.
Et à un moment donné, ce « pouvoir » du plus grand nombre, des travailleurs auto-organisés, est amené à renverser le capitalisme, l'État bourgeois, la propriété capitaliste, à prendre le contrôle des moyens de production, etc. Mais aussi à combattre la contre-révolution de la bourgeoisie (et à la vaincre, c'est mieux!
).
Ce pouvoir ainsi conquis, même exercé par l'ensemble du prolétariat (dans l'indépendance par rapport à la bourgeoisie), reste celui d'une domination de classe, dans une société de classes (temporairement du moins, jusqu'à la disparition de la bourgeoisie en tant que classe sociale). On peut donc considérer que c'est également un État (au sens de l'instrument d'une domination de classe... inversée, celle du prolétariat sur la bourgeoisie). Mais pas un État de même nature, car il n'est pas celui d'une minorité privilégiée mais au contraire celui de la majorité, démocratiquement auto-organisée et se partageant l'exercice du pouvoir.
En même temps que la menace de la contre-révolution bourgeoise disparaît, et que la division de la société en classes disparaît également, la fonction « étatique » perd sa raison d'être et disparaît. Du moins à partir du moment où une nouvelle classe dominante ne s'est pas constitué entre-temps, c'est-à-dire que le pouvoir « étatique » en question a bien été exercé par l'ensemble du prolétariat et non une fraction de celui-ci (avant-garde autoproclamée ou autre
).
Ce qui n'empêche pas l'organisation démocratique et collective de la société pour produire en fonction des besoins sociaux et environnementaux, prendre diverses décisions relatives à l'organisation de la société, etc. La vie politique et les contradictions ne s'arrêteront pas pour autant.
Maintenant, j'admets avoir une vision plutôt marxiste de la question de l'État, et la vision anarchiste (les visions?) ne me paraît pas toujours très claire sur la transition (révolutionnaire) du capitalisme vers le socialisme/communisme/anarchisme (bref la société sans classes et sans État pour laquelle on lutte tous).
Il me semble qu'il y a des positions contradictoires entre courants anarchistes sur la nature de la transition (révolutionnaire ou pas?), sur la nécessité ou pas de détruire l'État bourgeois (ou de l'ignorer pour certains), sur l'organisation pour combattre la contre-révolution (là-dessus j'avoue que je connais très peu), voire sur le simple fait de s'organiser ou pas, que ce soit au travers d'un État ou pas.
Certaines positions anarchistes ne me paraissent pas très différentes des positions marxistes (mais les bolcheviks eux-mêmes se faisaient "traiter" d'anarchistes à l'époque par les marxistes révisionnistes et autres soc-dems à la sauce lassalienne...).
Bref, je suis intéressé par vos éclaircissements car ce que j'ai lu (Bakounine, Kropotkine, Malatesta...) ne m'a pas paru très clair sur ces questions... (mais je suis loin d'avoir tout lu)
PS : pour ceux que ça intéresse,
une formation exposant la position de la LCR sur la question de l'État (d'où vient l'État? ses fonctions? ses formes?)