On peut trouver incongru l'ouverture d'un topic sur le Niger. Eh bien soit !
Pourtant la côte de ce pays ne cesse de monter dans la hiérarchie arbitraire des faits tels qu'ils nous sont transmis par les agences de presse. Depuis plusieurs semaines, le Niger s'enfonce dans une crise politique dont il est difficile de pronostiquer l'issue: dictature autocratique ? coup d'Etat militaire ? soulèvement populaire ? guerre civile ? catastrophe écologique et humanitaire ? Tout est possible.
La situation au Niger est intéressante à plus d'un titre.
Elle est caractéristique du type de relation que le Nord entretient avec le Sud, de la guerre sans merci que se livrent la France et la Chine pour exploiter les richesses dont le sous-sol regorge, mais aussi de l'immaturité politique des peuples africains et du chemin qui leur reste à parcourir pour s'affranchir de l'emprise des bourgeoisies locales.
Quel est le pays le plus pauvre du monde ? Le Niger... ou presque.
Classé 172 ème pays sur 173 selon l’indicateur de développement humain du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). Plus de 60% de sa population vit sous ce qu'on appelle pudiquement dans les bureaux le "seuil de pauvreté".
Quel est le pays le plus riche du monde: Areva-Land !... ou presque.
Il pourrait bientôt concurrencer le Canada à la place de premier producteur mondial d'uranium.
Areva, par l'intermédiaire de la Cogema qui est devenue sa filiale, est présente au Niger depuis 1968. Elle est présentée comme le fleuron de l'industrie française. C'est le leader mondial du nucléaire. Preuve de l'intérêt stratégique qu'il y accorde, l'Etat français en détient 93% des parts. Pour les tenants du tout-nucléaire, l'uranium, c'est le pétrole du XXIe siècle. La Chine ne s'y trompe pas...
Le Niger est un débris de l'Empire colonial français, la défunte AOF.
Après son indépendance en 1960, le Niger est devenu une dictature oubliée, banale, mais conforme aux attentes et aux intérêts de la France-à-Fric. En 1961, sitôt l'indépendance accordée, la France s'était empressée de signer avec les gérants de cette nouvelle succursalle une série d'accords dont un, particulèrement stratégique, permettait un accès exclusif à l'uranium à un prix ridiculement bas.
En mars 1974, le président Hamani Diori commet une petite erreur. Enhardi par une quinzaine d'années au pouvoir, il se permet de discuter les prix et les quantités de minerai extraites du sous sol. On essaie de lui faire entendre raison... Mais voila que Pompidou meurt. La barbouzerie Foccard profite alors du vide politique et de la campagne présidentielle pour débarquer Diori ni vu ni connu et le remplacer par une junte militaire conduite par le colonel Seyni Kountché.
A la mort du colonel en 1987, l'armée fait le choix de libéraliser prudemment le régime, d'autoriser le multi-partisme, les mouvements civiques, des journaux moins dépendants du pouvoir. Il fait aboutir la signature d'un accord de paix avec les rebellions touaregue et touboue. En 1992, une nouvelle constitution est promulguée, largement inspirée de notre Ve République avec éléction pour 5 ans au suffrage universel d'un Président qui nomme un Premier Ministre etc.
Ce lent processus conduit en 1996 à des éléctions qui, après qu'elles aient été truquées dans un premier temps, ne permettent pas de dégager une majorité. Mince alors !
Si la démocratie doit rendre le pays ingouvernable, autant revenir aux méthodes qui ont fait leurs preuves... Le coup d'Etat porte au pouvoir le colonel Ibrahim Baré. Des journalistes et des dirigeants de l'opposition sont alors arrêtés (classique, pas de quoi s'affoler) mais quand le colonel se met à rechercher l'aide de son voisin lybien, cela ne va pas plaire du tout, mais alors pas du tout du tout à l'éxécutif chiraquien.
En 1999, par un heureux concours de circonstances... (hum), Baré est assassiné par un sous-fifre et la constitution de 1992 est rétablie. Cette fois, les élections permettent la victoire d'une coalition. Mamadou Tandja, un ancien colonel chef du MNSD (Mouvement National pour une Société Développée), devient Président de la République et Mahamane Ousmane, à la tête de la CDS (Convention Démocratique et Sociale), est élu Président de l'Assemblée Nationale. Les élections de 2004 confirmeront ces dirigeants à leurs fonctions.
Comme la Constitution prévoit que le président ne peut pas exercer plus de deux mandats, Tandja devrait céder son fauteuil en décembre 2009, Mais voila, il n'a pas l'intention de partir. Il a donc décidé d'arranger la Constitution a sa façon afin de pouvoir se représenter et rester trois années de plus.
Le parlement s'y oppose ? Qu'à cela ne tienne: il le dissout. La Cour constitutionnelle l'empêche d'organiser un référendum ? il le dissout également. Après avoir fait le vide autour de lui, il s'octroie les "pouvoirs exceptionnels" qui lui permettent de gouverner par décrets et ordonnances. Pour aller au bout de son projet autocratique, il espère s'appuyer sur les chefferies traditionnelles, mais rien est acquis.
Il se trouve, par une étrange coindidence (décidément !), que cette crise politique est survenue quelques jours après l'inauguration du complexe uranifère de Imouranen, le plus grand projet industriel du Niger, la plus grande mine d'uranium du monde, en présence de Anne Lauvergeon, présidente d'Areva. Quelques semaines plus tôt, Sarkozy avait supervisé un accord extrèmement important signé au mois de janvier par Areva et les autorités de Niamey.
Désormais avec le début de l'exploitation de ce gisement colossal, avec une production portée à 5 000 tonnes par an assurées pendant plus de 35 ans, Areva est à l'abri d'une rupture de stock. En 2012, la moitié du combustible des centrales nucléaires françaises viendra du Niger.
Marché "gagnant-gagnant" assure-t-on de part et d'autre.
Areva accepte d'augmenter de 50% le prix d'achat de l'uranium en provenance des gisements de Arlit... ce qui place encore ce prix très en deça des cours du marché international.
Elle consent également à "partager" les revenus de l'exploitation de Imouranen en laissant 33% à l'Etat nigérien, en échange de quoi, Niamey garantirait la sécurité de la région, aurait le cas échéant le feu vert de Paris pour entreprendre des actions punitives contre la rébellion touarègue dans le Nord du pays, des exactions que l'ONU a eu plusieurs fois l'occasion de condamner (l'Elysée faisant la sourde oreille).
Il se pourrait même que Areva ait aidé à négocier le silence de la France pour les "manquements constitutionnels" qui se sont produits depuis. La proximité des faits peut le laisser penser.
Plus d'un milliard d'euros d'investissement contre quelques milliers d'emplois...
Pour un pays aussi pauvre que le Niger, ce contrat qui engage les trente prochaines années, même s'il n'est pas équitable, est l’assurance de recettes budgétaires importantes. Car de l'argent a été mis sur la table, beaucoup d'argent, ce qui exacerbe les appétits et les ambitions.
L'argent venant d'Areva, même s'il ne représente que 33% d'un tout, ne devrait pas seulement servir à réprimer les touaregs et museler l'opposition, il permettra aussi de remplir les comptes bancaires de Tandja, de sa famille et de son entourage de confiance qu'il a pris le temps d'installer aux postes clés. Sa première épouse est impliquée dans des négociations sur les concessions de permis miniers. Leur fils négocie les ventes d'uranium à la Chine depuis Shanghai. Au Niger, tous les tripatouillages puent l'uranium.
Pendant ce temps, un pays se meurt.
Areva promettait progrès, développement et amélioration des conditions de vie. 40 ans après, le bilan parle de lui-même.
Non seulement l'entreprise française exproprie les tribus nomades de leurs terres, fait expulser les populations pauvres de leurs villages par le concours et la brutalité de l'armée nigérienne, mais elle pollue irréversiblement.
Les études de la CRIIRAD (Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité) réalisées sur le site de Arlit jusqu'en 2005 (c'est-à-dire tant que Areva les tolérait) ont démontrées que la contamination de l'eau était jusqu'à 100 fois supérieure aux recommandations de l'OMS.
Les déchets et les boues radioactives génèrent des poussières et des gaz qui se répandent et sont absorbés par la population, les ouvriers qui sont embauchés sans rien connaitre des risques, et le bétail.
Par ailleurs, comme l'exploitation des mines nécessite une surconsommation d'eau, Areva se sert directement dans les nappes phréatiques, asséchant les réserves en eau de toute une région qui en manque déjà cruellement, où il ne pleut que un à deux jours par an...
Les conditions existantes sur le site à ciel ouvert de Arlit vont se reproduire sur celui de Imouranen dans des proportions encore plus importantes, et créer des conditions sanitaires encore plus désastreuses pour les populations qui vivent dans l'immédiate périphérie.
La rebellion touarègue, quant à elle, a repris ses opérations depuis 2007, mais elle condamne à peine cette situation. Elle essaie de monnayer ses trèves auprès du gouvernement en échange, pour les populations locales, d'une part conséquente des bénéfices tirés de l’exploitation de l’uranium.
Les chefs touaregs sont prêts à se remplir les poches pour peu qu'on leur en fournisse l'opportunité. Leur pression sur le gouvernement de Niamey n'a pas d'autre signification.
L'attribution des pleins pouvoirs par Tandja fait l'unanimité de toutes les forces politiques contre lui, à commencer par le principal parti d'opposition, le PNDS (Parti Nigérien pour la Démocratie et le Socialisme) dirigé par Mahamadou Issoufou. Sa principale revendication est l'ouverture d'une commission d'enquête sur les concessions minières qui si elle aboutissait devrait mettre en accusation la coalition qui a dirigé le pays ces huit dernières années.
Le 14 juin, une manifestation rassemblait près de 10 000 personnes à Niamey. Fin juin, les syndicats ont organisé une grêve générale, la première depuis 1999. Opération ville morte. Les rues de Niamey étaient désertes. Le calme avant la tempète annonce-t-on.
Actuellement, tous les regards se tournent vers l'armée qui, jusqu'à présent, laisse faire et garde le silence.
Y a-t-il des manifestations prévues en France contre l'Areva-Land ?
L'Afrique intéresse-t-elle les révolutionnaires ?