Bildungsstreik à Dresde
Je ne peux, pour l'instant, vous parler que de Dresde, et je pense (et j'espère) que c?est très spécifique. 2500 étudiants hier [donc mercredi] sur la grand place rénovée du Altmarkt. On m'a fait l?honneur de la première prise de parole, je les ai salués de notre part à tous, j'ai insisté sur la dimension européenne, et sur le modèle d'université qui nous unit contre celui de Bologne. Après moi, une collègue du GEW [équivalent de la FSU] qui ne s?est pas affichée comme telle a énuméré toutes les difficultés générées par la mise en place de la réforme.
Puis un lycéen a listé leurs exigences. Puis, je pense un prof (ou était-ce un doctorant ?) a fait une conférence humoristique sur le monde de Bologne. Deux petits groupes sont ensuite allés, pour l?un, envahir le Ministère pour les sciences et les arts (la Ministre a accepté de recevoir une délégation demain) ; pour les autres occuper un bâtiment de l?université, avec pour mot d?ordre « La pensée en danger d'effondrement », qu?ils occupent encore aujourd?hui.
2500, c'est beaucoup, mais beaucoup moins que les 10 000 de décembre 2007, contre la mise en place de la nouvelle loi sur les écoles supérieures (Hochschulgesetzt) en Saxe, dont pourtant le caractère dévastateur se fait quotidiennement sentir (j'y reviendrai). A priori, nous étions trois enseignantes : deux lectrices de français (les lecteurs sont ici les seuls postes fixes avec les professeurs, j'y reviendrai aussi), et moi (+ peut-être celui qui a parlé).
Pour le reste : les étudiants ont loué une tente de cirque où se sont déroulés toute la semaine des conférences (sur la pédagogie, sur le processus de
Bologne, sur l'internet), des débats (représentants des partis politiques) : très intéressants, mais peu d?affluence, et essentiellement des étudiants déjà militants ; aussi des ateliers (banderoles, etc.) et des concerts. Un « cahier de doléances / exigences » a été ouvert sur un tableau. Toutes les journées ont commencé par un petit déjeuner collectif. Il y a une flash mob tous les jours à 11H.
Les revendications principales :
Le problème majeur que rencontre les étudiants allemands, il me semble, est celui de l'accélération des études. Paradoxalement, là où nous avons subi la semestrialisation, eux connaissent l'annualisation : d?un seul coup, tout est à faire dans l'ordre, dans un délai très contraint de 3 ans (même si, officiellement, ils ont droit à 5 ans, la pression est aussi forte que celle qui est faite sur nos doctorants, à un âge où ils sont encore plus fragiles : le coût
psychologique est réel, et déjà officiellement reconnu).
D'où aussi l'importance de la revendication (culturelle, il est vrai, en Allemagne, le pays de Humboldt) d'une université permettant aussi de se réaliser
personnellement.
La plate-forme (dresdoise) est cependant extrêmement pragmatique, et à aucun moment reliée au processus général de Bologne, même si sa dénonciation est constamment présente dans le programme. Je leur en est fait la remarque, car il me semble que c'est là l'une des difficultés que nous rencontrons dans l'internationalisation de ce mouvement : les modèles de départ sont très différents, ça « ne fait pas mal » tout à fait au même endroit, et c'est d'abord là-dessus qu'on revendique, c'est normal.
Ils demandent, entre autres : la limitation des droits d'inscription (ils ont beaucoup augmenté dans certains Länders, mais pas en Saxe) (1er) ; plus de souplesse dans la durée des études (2e) ; la suppression du système BA / MA ( = L / M) dans sa forme actuelle (3e) ; la possibilité pour tous de continuer en master (4e) ; de meilleures garanties démocratiques (9e) ; la suppression de la précarité dans le monde éducatif (10e) ; le financement total (13e) ;
de meilleures conditions d'étude (14e) ; des évaluations « assurance qualité » transparentes (16e) ; la suppression des listes de présence (17e) ; une recherche dédiée exclusivement au civil (18e) ; plus d'ordinateurs (19e) ; accès de tous à l'université (22e) ; une vie culturelle sur le campus (23e) ; l'anonymat des réseaux internet (26e et dernier). Vous voyez que s'il y a des convergences évidentes, il y a aussi des spécificités culturelles.
Les élèves ont leur propre plate-forme, une plate-forme spéciale est consacrée aux questions de parité, etc., et une autre aux questions sociales (musées gratuits, transports gratuits, indépendance financière [qui peut cependant prendre la forme d?un prêt partiel], suppression du service obligatoire, liberté garantie du choix des études, aide concrète aux étudiants-parents, aide à la culture dans les universités).
Raison du relatif échec (à Dresde : je ne sais pas si c?est général)
Je discuterais avec les organisateurs lundi des raisons qui expliquent, selon eux, la baisse de la mobilisation (je ne sais pas à combien ils estiment le nombre d?étudiants passés sur le campement). Information peu lisible, campement peut-être trop excentré expliquent sans doute en partie les choses. Je pense aussi que les étudiants sont tellement saisis par l'application de la réforme, qu'ils ne sont pas en capacité de la considérer à distance : l'effet « stress » est vraiment terrible, j'en ai eu plusieurs témoignages. Il est également possible que le lien entre la réforme vécue et le processus de Bologne ou, plus
largement encore, la crise, ne soit pas encore clair. Et puis, le phénomène « vide campus » dû à l'annonce de la semaine de grève (sans vote : elle a été décidée nationalement, chaque groupe local s'est saisi de l'annonce, qui a été tacitement acceptée par tout le monde) a joué à mon avis. La suite au prochain numéro.
Les enseignants, grands absents
Mais vraiment, terriblement absents ! Il est vrai que l'appel était ambigu : « Grève de l'éducation », mais à l'appel des étudiants et élèves.
D'après les étudiants, beaucoup de profs soutiennent, ont accepté de ne pas faire passer de listes d'émargement, encouragent même leurs étudiants à s'y
rendre (moi, j'ai eu des témoignages inverses, de collègues ironisant sur la grève, dans le genre « pourquoi faites-vous grève, puisque de toute façon vos droits d'inscription n?ont pas été élevés ? », mais je veux bien croire que ce sont des exceptions). Néanmoins, je n'en ai vu quasiment aucun aux conférences où je me suis rendue, ni en manifestation.
Le taux de syndicalisation est extrêmement bas. Les professeurs tiennent des discours blasés (« c'est désespérant, mais c'est comme ça ») + les professeurs
sont fonctionnaires, et les fonctionnaires allemands n'ont pas le droit de grève (mais ça ne les empêche pas de venir manifester en dehors de leurs heures
de cours, etc.). A contrario, et surtout, conséquence de la précarisation : le statut de maître de conférences n'existe pas / plus (depuis la réforme ? je dois encore vérifier ce point), il n?y a presque que des postes sous contrat pour préparer une thèse, puis une HDR.
Les syndicats, encore moins présents
Le parti Die Linke avait un stand les deux premiers jours, comme le syndicat GEW ; le SPD est représenté aussi par ses étudiants, les Verts ont participé à la table ronde (avec Die Linke, le SPD et le FDP, parti proche de la CDU, qui elle a refusé de venir) ; un représentant du syndicat Verdi aurait dû être là, mais n'a finalement pas pu venir.
Officiellement, le GEW soutient. Cependant, il n'a pas appelé à la manifestation, en tout cas n'y a envoyé aucun représentant. Il a pourtant sorti une belle plaquette sur le processus de Bologne, que je vais m'approprier avant de vous la résumer.
Voilà pour un premier état "brut façon blog". Amitiés, Isabelle K.