Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Nico37 » 24 Avr 2009, 16:51

EDIT : s'il n'est pas évident vu la source qu'il s'agit d'un article de merde...

Proudhon, le grand désillusionniste

Il ne plaît ni aux bourgeois, ni aux intellectuels, ni aux sectaires, ni aux imbéciles, ni aux snobs... C'est qu'il a dénoncé comme personne avant lui les pièges du principe d'autorité

Nous célébrons cette année - ou plutôt, nous devrions célébrer - le bicentenaire de la naissance de Pierre-Joseph Proudhon, né à Besançon le 15 janvier 1809. Proudhon, le plus grand nom du socialisme français et, en outre, l'un des rares penseurs de cette mouvance d'origine prolétarienne. Très peu d'articles, pas de manifestations hors du colloque qui se tiendra dans sa ville natale du 15 au 17 octobre.
Proudhon ne plaît guère aux bourgeois et aux technocrates parce qu'il est le père de l'anarchisme. Il ne plaît pas davantage aux intellectuels parce qu'il n'est pas violent : «Révolutionnaire, disait-il, mais non bousculeur.» Or ce qui plaît tant aux intellectuels dans la révolution violente, ce n'est pas la révolution, c'est la violence. Comme s'ils voulaient échapper, grâce à leur préférence affichée pour l'extrémisme, à leur mauvaise conscience de travailler dans l'immatériel.
J'ajoute que Proudhon ne plaît ni aux sectaires, ni aux imbéciles, ni aux snobs. Tout cela mis bout à bout finit par faire beaucoup de monde. Il lui arrive assez souvent de changer d'avis. Il est l'auteur d'une formule qui traverse les siècles comme une balle : «La propriété, c'est le vol.» Rousseau, qu'il détestait, n'eût pas dit mieux. Et pourtant Proudhon veut permettre aux prolétaires d'accéder à la propriété grâce à une «banque du peuple» qui n'est pas sans évoquer le microcrédit du prix Nobel de la paix 2006 Muhammad Yunus. La gloire immortelle de Proudhon, c'est de s'être dressé comme jamais personne avant lui contre le principe d'autorité et d'avoir tenté de lui substituer une formule contractuelle de la société dont le fédéralisme ou mieux encore le mutualisme sont l'expression politique. D'où ses sentiments mêlés à l'égard de la Révolution française, qui certes a eu raison d'abolir la souveraineté royale, mais a eu tort de lui substituer immédiatement la souveraineté populaire, qui ne vaut pas mieux puisque c'est la souveraineté elle-même qu'il s'agit d'abolir pour faire de nous des êtres libres.
«L'exploitation de l'homme par l'homme, a dit quelqu'un, c'est le vol. Eh bien ! le gouvernement de l'homme par l'homme, c'est la servitude.» Proudhon a dénoncé à la fois la menace du césarisme issu de l'idée de gouvernement direct; la menace de dictature issue de l'idée socialiste; la menace d'exploitation issue de l'idée bourgeoise de représentation. «L'Eglise disait jadis, parlant comme une mère tendre : tout pour le peuple, mais tout par les prêtres. La monarchie est venue après l'Eglise : tout pour le peuple, mais tout par le prince. Les doctrinaires : tout pour le peuple, mais tout par la bourgeoisie. Les Jacobins n'ont pas changé le principe, pour avoir changé la formule : tout pour le peuple, mais tout par l'Etat C'est toujours le même gouvernementalisme, le même communisme» («Confessions d'un révolutionnaire», 1849).
Il faudrait multiplier les citations. J'emprunte celle-ci à l'excellente anthologie de Vincent Valentin (1), qui sauve l'honneur dans le désert intellectuel de ce bicentenaire et qu'il faut lire absolument si l'on veut échapper au crétinisme de l'époque. Les deux grands partis qui divisent la société, «l'économie politique» (nous disons aujourd'hui le libéralisme) et le socialisme, il les a vus à l'oeuvre dès le milieu du XIXe siècle; ils relèvent tous deux de l'exploitation de l'homme par l'homme. Au moment où la crise révèle au grand jour les turpitudes du système capitaliste; au moment où des intellectuels sans cervelle prétendent réhabiliter le communisme, comme si Staline, Mao, Pol Pot et le goulag n'avaient jamais existé, il faut lire Proudhon, ce grand désillusionniste, à titre d'antidote. Sans le secours de l'expérimentation, il a parfaitement vu que le communisme - il dit «la communauté» - ne pouvait être que l'une des pires formes de la tyrannie. Même l'Etat-providence (il dit «l'Etat serviteur») n'échappe pas à ses flèches.

(1)«Liberté, partout et toujours», par Pierre-Joseph Proudhon, Les Belles Lettres (2009). Textes choisis, ordonnés et présentés par Vincent Valentin.

Jacques Julliard Le Nouvel Observateur
Modifié en dernier par Nico37 le 25 Avr 2009, 10:19, modifié 1 fois.
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Alayn » 25 Avr 2009, 03:47

Purée, mais c'en est vraiment à gerber !

Le bicentenaire de Proudhon sera célébré à Besac' (Besançon)avec un colloque sur PJP (Pierre-Joseph PROUDHON) et le Congrès de la FA à la suite qui aura une autre gueule que le minable texte du social-traître J.Julliard que tu publie ici. (t'aurais pu franchement trouver autre chose....)

AU SECOURS !

Alayn, si tu n'as pas compris que Nico postait cela justement pour dénoncer l'article de merde de Julliard... Le post peut être réédité pour revenir à l'original, si quiconque trouve la décision abusive.
Modifié en dernier par Alayn le 25 Avr 2009, 11:14, modifié 1 fois.
Raison: Edition des propos déplacés et hors sujet d'Alayn
Alayn
 

Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede FRED » 25 Avr 2009, 10:10

Cela montre aussi que des anarchiste ont puent attiré, influencé, et inspiré a une époque, et que ça a des répercussion aujourd'hui.
* « Nous n’avons pas peur des ruines. Nous sommes capables de bâtir aussi.

Buenaventura Durruti
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Vilaine bureaucrate » 26 Mai 2009, 02:39

vroum a écrit:Image


ça m'agace..
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede RickRoll » 26 Mai 2009, 09:41

J'aime pas trop Daniel Colson. Dans son dictionnaire de l'anarchisme il "oublie" (enfin je soupçonne que ce soit volontaire) plein de termes importants de l'anarchisme social.
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede AnarSonore » 26 Mai 2009, 11:55

Pour info:

Hommage à Pierre-Joseph Proudhon (1965)

Une émission de Georges Charbonnier diffusé pour la première fois en 1965. Entretien avec Roger Gouze , Jean Bruhat et Jean Maitron et lecture d’extraits : La philosophie de la misère, De la création dans l’ordre de l’humanité, Confessions d’un révolutionnaire, La justice dans la révolution et dans l’Eglise.

:arrow: http://anarsonore.free.fr/spip.php?article404

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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Nico37 » 03 Fév 2011, 19:13

Proudhon : Anarchisme ou Fédéralisme ? Texte intégral

Table des matières

Les fondaments de l’anarchisme proudhonien
Le choix lexical de Proudhon
Quelles conclusions provisoires

Depuis le début des polémiques entre marxistes et anarchistes, l’œuvre complexe et foisonnante de Pierre-Joseph Proudhon a suscité de multiples jugements péremptoires et contradictoires. Notamment, se trouvent opposées deux interprétations globales de l’œuvre, - l’une majorant les thèmes anarchistes tels que Proudhon les a développés dans les premiers Mémoires sur la propriété, dans Les Confessions d’un révolutionnaire (1849) et l’Idée générale de la révolution au XIXème siècle (1851), - l’autre considérant comme plus synthétiques et significatives les œuvres de la maturité, tels l’ouvrage de 1863, Du principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la révolution et l’œuvre posthume, De la capacité politique des classes ouvrières.
Ces divergences d’interprétation conduisent à des lectures fortement différenciées, à des choix différents des œuvres tenues pour importantes ou secondaires. La lecture anarchisante met l’accent sur les dimensions les plus critiques dans la ligne de pensée du Premier mémoire sur la propriété(1840) ; la seconde, que l’on peut qualifier de fédéraliste, met l’accent sur les dimensions que Proudhon considérait lui-même comme plus constructives que critiques. En prolongeant quelque peu cette polarité des interprétations, on serait conduit à proposer l’image de deux Proudhon, ou, à tout le moins, l’image de deux œuvres, une œuvre de jeunesse portée par l’ardeur juvénile de la révolution, l’autre que l’on attribuerait à la modération de la maturité.
Les difficultés d’une telle polarisation sont trop nombreuses pour que l’on puisse la soutenir intégralement. Il est difficile, sinon impossible, de tracer une ligne de séparation évidente entre les textes de la période que l’on dirait anarchiste et les textes que l’on attribuerait à la période de la maturité. La tâche est irréalisable pour la plupart des articles destinés à des journaux, à partir de l’année 1847. Proudhon est alors amené, dans l’effervescence des années 48 à aborder de multiples sujets d’actualité qui échappent à une classification simplifiante. De plus, et plus gravement, l’hypothèse dualiste clôt la question des continuités, impose le schéma d’une rupture entre les deux périodes et les deux théorisations, celle de l’anarchisme et celle du fédéralisme.
Je souhaiterais reprendre ces questions en d’autres termes. Nous interroger sur le dynamisme, sur les raisons du mouvement intellectuel et affectif de Proudhon, nous interroger moins sur des formulations provisoires anarchistes ou fédéralistes, mais davantage sur les exigences, sur les aspirations, les intuitions et les passions qui soutiennent la créativité et les choix de Proudhon, et pas seulement sur les idées et leur formulation.
Les fondaments de l’anarchisme proudhonien

Il nous faudra, tout d’abord, nous rappeler les principes fondamentaux de l’anarchisme spécifiquement proudhonien tels qu’ils sont exposés dans les textes antérieurs à la Révolution de 1848, puis suivre l’évolution de sa pensée dans les années 1850-1860, et, enfin confronter les positions de ces années et les textes de la maturité dans lesquels le fédéralisme fait l’objet d’une élaboration systématique. Au terme de ce parcours, nous tenterons de répondre aux questions initiales : y a-t-il bien deux constructions successives dans l’œuvre de Proudhon et deux périodes de création celle des Mémoires sur la Propriété et celle du « Principe fédératif »,- ou -, au contraire, approfondissement progressif d’une même théorisation ? Selon la réponse à cette interrogation, on ne pourra éviter de porter un jugement d’ensemble sur la cohérence de l’œuvre. Nous pourrons aussi en attendre une compréhension plus précise des deux concepts par leurs comparaisons.
Bien que les termes anarchie ou anarchisme ne soient guère présents dans le vocabulaire du Premier Mémoire de 1840, on ne manque pas d’y trouver les éléments critiques qui constituent l’essentiel de ce texte, trois critiques à caractère anarchiste qui se trouvent exprimées dès les premières pages. Proudhon résume, en une formule lapidaire et simpli- ficatrice, les liens étroits entre ces trois critiques :
« Puisque la propriété est la grande cause du privilège et du despotisme, la formule du serment républicain doit être changée. Au lieu de : Je jure haine à la royauté, désormais, le récipiendaire d’une société secrète doit dire : Je jure haine à la propriété1 »

C’est ainsi par une dénonciation virulente de la propriété privée que Proudhon aborde la critique de l’économie capitaliste. La propriété est bien, comme l’affirment les théoriciens conservateurs, le principe, la base de la société et donc la question la plus importante du problème social. Ce princi- pe a été unanimement soutenu au cours de la Révolution de 1789, et les annnées qui l’ont suivie n’ont fait que l’aggraver avec l’expansion des activités commerciales et industrielles.
Proudhon, à partir de ce constat, associe directement ce rappel relevant de l’économie politique à la critique sociale et aux rapports de classes. Dès le Premier Mémoire, il établit un lien étroit entre le rapport d’exploitation qui sépare les propriétaires et les non-propriétaires, la bourgeoisie et la classe des travailleurs, les exploiteurs et les exploités. Thème qui sera amplement développé dans les textes ultérieurs et qui constitue, pouvons-nous dire, le deuxième niveau d’analyse de sa conception anarchiste.
Avant de poursuivre, posons la question du pourquoi de ces diatribes contre la propriété, et contre la guerre des classes. Proudhon pose la question préalable, celle de la violence, des guerres et des souffrances sociales :
« D’où vient, écrit-il dans Les Confessions d’un révolutionnaire, que la société est divisée en fractions ennemies, intolérantes, obstinées chacune dans son erreur, implacables dans leurs vengeances ? Où est la nécessité pour la marche du monde et les progrès de la civilisation, que les hommes se détestent et se déchirent ? Quelle destinée, quel satan a voulu, pour l’ordre des
cités et le perfectionnement des individus, qu’ils ne puissent penser, agir librement les uns à côté des autres, s’aimer au besoin, et, en tout cas, se laisser tranquilles ?2 »

La réponse à cette question, suggère Proudhon, sera donnée par l’analyse et l’explication de toutes ces violences, économiques, sociales, politiques.
Le troisième niveau d’analyse, celui de l’Etat, et du rejet de ses pouvoirs, trouvera, dans les textes des années 1849, Les Confessions d’un révolutionnaire, et 1851, Idée générale de la Révolution, des développe-mentsconsidérables, mais ils trouvent leur première expression dans le Premier Mémoire qui fait aussi de la propriété un rapport politique en tant qu’elle génère des rapports de pouvoir et fonde ainsi, selon l’expresion employée, le despotisme.
Enfin, pour caractériser plus précisément l’anarchisme proudhonien, il conviendrait d’associer, à ces trois négations, l’ensemble des illusions, des affirmations mensongères, des sacralisations qui accompagnent ces trois piliers d’une société aliénée (par le Capital, la division entre les deux classes sociales, par l’Etat enfin et ses prestiges), mais les thèses anarchistes, trouvent dans ces thèses initiales, leurs arguments essentiels. La critique de l’Etat, telle qu’elle est exprimée dans le Premier Mémoire, annonce la théorie du dépérissement et du refus de l’Etat, la théorie de la disparition de l’Etat dans la Révolution démocratique et sociale. Les Confessions d’un révolutionnaire écrites dans une sorte de colère au lendemain de l’échec d’une révolution sociale espérée, développe ces thèses avec un virulence renouvelée :
« Qui donc osera dire enfin : Tout pour le peuple et tout par le peuple, même le gouvernement ?3»

Cette élimination de l’aliénation politique n’est pas seulement un vœu conforme aux exigences de la justice et de l’égalité, elle prolonge la division sociale qui s’approfondie à travers les révolutions successives et qui sé- pare deux sphères : celle des pouvoirs et de l’Etat, d’une part, et, d’autre part, le monde du travail, de la production, le monde des travailleurs. Dans Les Confessions d’un révolutionnaire, Proudhon emploie le mot de Constitution pour désigner ces deux réalités opposées :
« Je distingue en toute société deux espèces de constitutions : l’une que j’appelle la constitution SOCIALE, l’autre qui est la constitution POLITIQUE ; la première, intime à l’humanité, libérée, nécessaire, et dont le développement consiste surtout à affaiblir et écarter peu à peu la seconde, essentiellement factice, restrictive et transitoire. La constitution sociale n’est autre chose que l’équilibre des intérêts fondé sur le libre contrat et l’organisation des forces économiques qui sont, en général : le Travail, la Division du travail, la Force collective, la Concurrence, le Commerce, la Monnaie, le Crédit, la Propriété, l’Egalité dans les transactions, la Réciprocité des garanties, etc. La constitution politique a pour principe l’AUTORITE, ses formes sont : la Distinction des classes, la Séparation des pouvoirs, la Centralisation administrative, la Hiérarchie (…). Ces deux constitutions (…) sont de nature absolument diverse et même incompatible4 »

On voit comment l’anarchisme, en luttant contre l’aliénation politique, tend à libérer les forces sociales des pouvoirs aliénants, comment, aussi, l’anarchisme tend à expliquer les haines et les violences et projette de les dissiper. La révolution sociale, en détruisant l’aliénation politique aurait aussi pour effet d’écarter les haines liées aux inégalités de pouvoir, aux soumissions, aux dépendances et aux impuissances.
Ces pages des Confessions consacrées surtout au récit des événements politiques des années 48-49, retracent aussi, dans un tableau rapide, les révolutions antérieures, 1789 et 1830. Et c’est dans un passage consacré à la révolution de 1789, que Proudhon introduit le mot de FEDERATION dans un sens positif, pour évoquer notamment la fête de la Fédération du 14 Juillet 1790. Quelques lignes plus loin, il associe le mot de Fraternisation au mot de fédération, en ces termes :
En 1789, « Les fédérations ou fraternisations se formèrent spontanément de toutes parts ; elles prouvaient que la souveraineté du peuple n’est autre chose que l’harmonie des intérêts, résultant d’un libre contrat et que la centralisation des pouvoirs (…) est l’aliénation même des libertés 5 ».

Phrase écrite en 1849 et qui annonce précisément les thèses qui formeront la trame théorique de celles qui seront exposées en 1863 dans Le Principe Fédératif.
Le choix lexical de Proudhon

Il s’agit là d’un moment important et révélateur dans le cheminement de Proudhon vers un certain fédéralisme. Il se produit, en effet, dans le vocabulaire de Proudhon et dans l’usage qu’il fait de ce mot, un choix origi-nal qui demande explication. Associer, rendre synonymes ces deux termes (fédération et fraternisation) annonce une rupture avec l’usage courant. En effet, dans la langue commune comme dans le vocabulaire juridique, la fédération désigne un type de régime politique, et n’implique nullement un régime socio-affectif particulier dont le modèle serait donné par les liens fraternels au sein d’une famille.
En désignant la fédération comme une communauté d’entente, il s’oppose au langage courant qui fait de la fédération l’un des régimes politiques et refuse la confusion entre le fédératif et l’aliénation politique. Si l’on prend en compte la vigueur de la dénonciation de l’oppression politique, on mesure l’importance de cette nouvelle définition des rapports fédératifs.
Pour mieux comprendre ce changement de vocabulaire, il est utile d’évoquer des événements qui se sont produits auparavant dans la Fédération suisse. En Septembre 1845, les sept cantons catholiques de la Confédération avaient formé une ligue – le Sondebund - pour protester contre une décision du Conseil fédéral. Celui-ci, en violation des droits des cantons en matière religieuse, avait décidé l’expulsion des Jésuites sur tout le territoire de la Suisse (Il s’agissait, en fait, d’un épisode dans le conflit qui opposait alors les tenants de la centralisation contre les défenseurs des libertés traditionnelles et fédérales).
En France, la majorité des journaux, des politiques, et la plupart des socialistes prenaient parti pour les centralisateurs suisses et contre le Son- debund.
Or, Proudhon ; (et c’est ce qui nous intéresse dans cet épisode), Proudhon, dès le début de cette querelle, s’insurge contre le coup de force du conseil fédéral, et prend la défense des Jésuites qu’il n’hésite pas à considérer comme, dit-il, « plus progressifs que leurs adversaires ». En aôut 47, il écrit à un ami suisse :
« Je déplore les dissenssions qui menacent sans cesse d’abîmer votre bonne et heureuse Suisse. Vous êtes aujourd’hui la nation la mieux placée pour tenter l’avenir, faire la leçon aux peuples et aux gouvernements ; est-il écrit que vous vous épuiserez dans une vaine imitation de nos utopies politiques, constitutionnelles et parlementaires6 ? »

Déclaration non rendue publique mais sans ambiguïté, favorable au fédéralisme et explicitement critique à l’égard des régimes centralisateurs. Or Proudhon ne poursuit pas, alors, ces réflexions et semble, tout au long de la période révolutionnaire de 1848, s’en désintéresser. On a ainsi une chronologie singulière de l’usage du mot : En 1840, en pleine période anarchiste, le mot de fédération n’apparaît pas dans son vocabulaire ; c’est plus tard, au cours de l’année 47 qu’il commence à s’en préoccuper et qu’il y consacre de nombreuses notes dans ses Carnets comme s’il poursuivait, pour lui-même, sa réflexion sur le sujet.
Mais, avec la Révolution de 48, l’intérêt pour le fédéralisme disparaît, sinon en de brêves allusions, comme on vient de le voir dans les Confessions. La question du fédéralisme revient en force après 1860 alors que Proudhon a quitté Paris en 1858 et s’est réfugié à Bruxelles pour échapper à la police et à sa nouvelle condamnation à 3 ans de prison. Tous les biographes sont d’accord pour attribuer la reprise de la réflexion sur le fédéralisme à la conjoncture politique (unification de l’Italie, projets d’unification en Allemagne …) mais cette conjoncture ne rend pas suffisamment compte de tout le cheminement de la pensée de Proudhon à ce sujet.
Comment expliquer ce long silence de Proudhon qui, en 1847 prend vigoureusement parti, dans son courrier, dans ses Carnets, pour le fédéralisme, contre la centralisation politique, et qui ne rend public ces positions politiques que 14 ans plus tard, en 1861 dans son gros volume, La Guerre et la Paix, et plus explicitement deux ans après, dans son ouvrage Du principe fédératif ?
Nous pourrions faire à ce sujet deux remarques, l’une sur les significations, sur les usages publics du mot, dans les années qui ont suivi la Révolution de 89 – l’autre sur le sens du mot dans le vocabulaire de Proudhon.
Avant la Révolution, l’ancien usage du mot latin foedus (union, être lié par alliance) est usité pour désigner l’union que les villages d’une vallée, par exemple, ou de villes voisines cotractent , se fédèrent, éventuellement contre une menace, contre le seigneur local par exemple. Mais le mot prend des significations nouvelles en fonction des évolutions politiques. A la veille de la Révolution, en 1788-89, à l’occasion de la rédaction des Cahiers de doléances, des fédérations se forment, des villes s’associent, la Fête de la Fédération, le 14 Juillet 179O couronne ce mouvement social qui sera magnifié par Jules Michelet. Mais lors des tensions entre Jacobins et Girondins ces derniers sont accusés de sympathie pour une république fédérative et soupçonnés de projets contre-révolutionnaires.
L’adjectif « fédéré » désigne aussi les gardes nationaux qui se réunirent au Champ de Mars en juillet 90 ; mais aussi les corps de volontaires enrôlés par l’Empereur pendant les Cent jours. Après tant de polémiques et de confusion, les mots de Fédération, Fédérés, Fédéralistes, étaient devenus suspects et, pour beaucoup, incompréhensibles. On peut penser que Proudhon, en 1850-1860, n’aie pas souhaité reprendre un terme si chargé de contradictions et de violences verbales, un terme si dévalué.
Aurait-ll, été inspiré, dans ces changements de vocabulaire, par l’ancien- ne tradition qui, depuis l’histoire des villes grecques, pouvait être source de réflexion sur les fédérations et leurs avatars ? On peut en douter : il n’évoque jamais la pensée de Montesquieu et, s’il fallait trouver des influences sur sa propre réflexion, il faudrait plutôt reprendre sa correspondance et ses échanges avec ses amis, tel Joseph Ferrari.
Ma deuxième remarque préalable concerne le mot de « Fédération » et la signification que Proudhon va privilégier. Ce terme peut désigner un régime politique établi comportant ses règles et ses hiérarchies, mais il peut aussi mettre l’accent sur les actions collectives conduisant à l’édification d’une fé- dération : sur le fait de « se fédérer ». Proudhon utilise ces deux significa- tions selon les situations et les conjonctures mais, dans la perspective historique et dynamique qui est la sienne, c’est bien sur ce processus de création qu’il met l’accent et sur sa « spontanéité ». Lorsqu’il rappelle le mouvement collectif qui porta les citoyens, en 1788-89, à former des fédé- rations, c’est bien de ce processus actif et créatif qu’il s’agit : les citoyens se sont alors, eux-mêmes, fédérés. Dans Le Principe fédératif, il écrit, évoquant l’avenir : « ils se fédéreront… ».
Quelles conclusions provisoires

Quelles conclusions (provisoires) peut-on tirer de ces réflexions, pour ce qui concerne l’anarchisme et le fédéralisme ?
Proudhon a traité tant de sujets, évoqué tant de questions, que l’on pour- rait dresser une liste impressionnante de sujets sur lesquels il n’a pas hésité
à rectifier ses affirmations. Il y était poussé par la diversité des questions posées par l’actualité révolutionnaire autant que par sa propre avidité à y répondre. Son propre penchant aux formules tranchantes (La propriété, c’est le vol… Dieu, c’est le mal) incitent le lecteur à la simplification d’une pensée, en réalité, complexe et nuancée.Mais ces changements ou rectifications ne doivent pas dissimuler les continuités sélectives depuis les premières affirmations anarchistes jusqu’aux thèses fédéralistes.
La dénonciation virulente de la propriété capitaliste qui constitue le premier thème de l’anarchisme ne donne pas lieu, dans les œuvres de la maturité, à des répétitions explicites. Cette critique est tenue pour acquise et surmontée dans la réalisation de la « Fédération agricole industrielle » placée à la base de l’édifice fédéral. La révolution sociale et économique, en suscitant ses multiples associations de production, dissiperait les possibilités d’accaparements financiers propres à un régime dépassé.
Il en est de même pour le deuxième thème de l’anarchisme, celui du « vol » capitaliste et de la division en deux classes qui en est la conséquen- ce Ce ne serait qu’en cas d’échec de l’évolution vers la fédération que le retour à la division en classes rivales pourrait se renouveler.
Par contre, la généralisation du principe fédératif à la totalité du système social et politique remet en question la nature et les fonctions de l’Etat. Alors que l’Etat, dans les régimes de féodalité ou de démocratie tradition-nelle tend à se saisir de tous les pouvoirs et à constituer ou reconstituer le despotisme, l’Etat d’un régime fédéral se trouve face à tous les contre-pouvoirs d’une société de liberté. Cette question de la délimitation du rôle de l’Etat est, écrit Proudhon, « une question de vie et de mort pour la liberté collective et individuelle7 »
« Le contrat de fédération, dont l’essence est de réserver toujours plus aux citoyens qu’à l’Etat, aux autorités municipales et provinciales plus qu’à l’autorité centrale pouvait seul nous mettre sur le chemin de la vérité. Dans une société libre, le rôle de l’Etat ou Gouvernement est par excellence un rôle de législation, d’institution, de création, d’inauguration ; - c’est, le moins possible un rôle d’exécution8 ».

Proudhon poursuit en donnant l’exemple de la monnaie. Dans un univers de fédérations, il entrerait, parmi les fonctions de l’Etat, de fixer les valeurs et les divisions des monnaies :
« C’est l’Etat qui fixe les poids et mesures, qui donne le module, lavaleur et les divisions des monnaies9 »

écrit Proudhon dans le Principe fédératif. Mais le rôle de l’Etat se limiterait strictement à cette fonction d’initiation ; la fabrication des pièces ne relevant ensuite que des entreprises locales. En fait, le danger d’extension des pouvoirs, le danger d’expansion de l’emprise gouvernementale est permanent et c’est à l’esprit anarchiste d’exercer la vigilance nécessaire.
« Dans la fédération, le principe d’autorité étant subalternisé, la liberté prépondérante, l’ordre politique est une hiérarchie renversée dans laquelle la plus grande part de conseil, d’action, de richesse et de puissance reste aux mains de la multitude confédérée, sans pouvoir jamais passer à celles d’une autorité centrale10.
La notion même de gouvernement change radicalement de sens. Il ne s’agit plus d’un « pouvoir » mais, l’autorité étant « subalternisée », les fonctions autrefois dominantes cèdent place à l’ensemble des fonctions générales d’administration des échanges entre les fédérations et les confédérations.
Ainsi, ne peut-on aucunement confronter et comparer les positions et critiques à caractère anarchiste et les développements exposés dans le « Principe fédératif ». Il s’agit, dans les Mémoires sur la propriété ou dans Les Confessions d’un révolutionnaire, de recherches critiques sur les réalités économiques et politiques des temps présents. Dans le Principe fédératif, tout au contraire, et comme l’indique bien le titre de l’ouvrage, il s’agitd’une réflexion résolument théorique sur ce que serait une logique socio-politique étendue à l’ensemble d’une société, et même à l’universalité des sociétés politiques. De plus, les oppositions entre ces sociétés, réelles et imaginées, ne sont aucunement secondaires ou de détail, mais en oppositions radicales. Proudhon ne cesse de confronter les régimes par les antinomies entre les régimes centralisateurs et les régimes décentralisés, entre les systèmes de classes antagonistes et les systèmes égalitaires.
Ces deux modes de raisonnement conduisent, éventuellement, à ce qui peut apparaître comme des contradictions. On le voit bien dans les réflexions concernant l’Etat au sujet duquel Proudhon peut, dans Les Confessions d’un révolutionnaire, affirmer que l’Etat est nécessairement porté à l’extension de l’emprise, de la répression et, dans le Principe fédératif, insister, tout au contraire, sur son action positive, dans le cadre des liens d’égalité dans l’administration des rapports de confédérations pacifiques.
La contradiction n’est cependant qu’apparente. Proudhon oppose, en effet, deux approches opposées. Il veut clairement démontrer qu’un Etat unitaire et centralisé est inéluctablement porté à poursuivre son expansion et à renforcer ses oppressions et que, d’autre part, un Etat fédéral et dé- centralisé sera porté, au contraire, à multiplier ses actions dans le sens des libertés individuelles et collectives.
Par delà ces contradictions apparentes, les deux approches se confirment l’une l’autre. Elles poursuivent le même but, celui de démontrer combien la révolution démocratique et sociale répondrait aux aspirations collectives.
Comme on l’a souvent évoqué, la Commune de Paris, en 1871, n’a-t-elle pas été, par la spontanéité des fraternisations, par la recherche des liens de fédérations et de confédérations, une confirmation historique des thèses et des intuitions proudhoniennes ?
Notes

1 Qu’est-ce que la propriété ? Premier mémoire, Ed. Marcel Rivière, p. 286

2 Confessions d’un révolutionnaire, p. 69.

3 Ibid., p. 83

4 Ibid,, p. 217

5 Ibid., p. 87- 88

6 Cor., t. III, p. 391

7 Du principe fédératif, p. 326.

8 Ibid

9 Ibid. p. 327

10 Ibid. p. 409

Pour citer ce document

Pierre Ansart, «Proudhon : Anarchisme ou Fédéralisme?», Les Cahiers de Psychologie politique [En ligne], numéro 16, Janvier 2010. URL : http://lodel.irevues.inist.fr/cahiersps ... hp?id=1412
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Pïérô » 22 Oct 2011, 15:12

émission "Demain Le Grand Soir" de mercredi dernier sur radio béton (Tours) sur le sujet de Proudhon, avec un invité participant à un colloque organisé localement : http://demainlegrandsoir.org/spip.php?article882
C'est une émission où on ne fait pas que laisser parler l'invité, :hehe: , et il y a en moins d'une heure un point de vue assez général qu'il me semble interessant à partager.

Merci à Denis pour l'enregistrement et le lien.
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede bipbip » 09 Nov 2017, 10:47

Colloque « Proudhon et l’idée de Révolution »

Vendredi 17 novembre 2017, Paris Nanterre

Colloque organisé par le Sophiapol Université Paris-Nanterre et la Société P-J Proudhon Vendredi 17 novembre 2017

Salle de conférences Bâtiment F Université Paris X Nanterre 200 Avenue de la République, 92000 Nanterre RER A Nanterre Université

Présentation

Le mot « révolution » est sans aucun doute l’un de ceux qui reviennent le plus souvent sous la plume de P.-J. Proudhon. Il désigne tantôt ce qui eut lieu en 1789 et dans les années suivantes, tantôt un processus déjà ancré dans la réalité, mais qu’il faut aider à se développer en dénonçant les obstacles (juridiques, institutionnels, théoriques, théologiques, etc.) qui s’opposent à lui ou l’étouffent, en analysant les pratiques en cours ou à venir qui sont susceptibles de lui donner consistance, en élucidant ses assises et ses aspirations... Le tout sans poser au prophète et sans jamais s’ériger en chef de parti.

Proudhon s’est toujours considéré comme un héritier de la Révolution. Assurément pas dans la version guizotienne, où elle s’achève en victoire définitive et totale de la classe bourgeoise, puisque ce sont précisément aux tenants et aboutissants de cette victoire qu’il s’attaque en 1839 en s’en prenant au droit propriétaire. Soulignons l’argument majeur : en déniant toute capacité créatrice au collectif, le capitalisme non seulement s’abstient de le rémunérer (il ne rémunère jamais que des individus), mais s’approprie ce qui a été ainsi produit. Il prospère grâce à ce dont il dénie par ailleurs l’existence.Une douzaine d’années plus tard, dans la lettre de remerciement qu’il adresse à Michelet pour lui avoir envoyé les premiers volumes de son Histoire de la Révolution française, Proudhon exprime son admiration à l’historien, et surtout en précise l’objet essentiel : la mise au jour d’un acteur collectif, ou d’un collectif agissant, qui permet enfin d’éviter de confondre l’histoire avec celle des meneurs. Et il ajoute qu’il est particulièrement sensible à cet aspect parce que ses recherches personnelles l’ont amené à s’interroger sur la spécificité de l’être collectif.

Qu’il faille relier cet être collectif à celui de 1839 est une évidence. Seulement, d’une date à l’autre, ses capacités se sont beaucoup accrues, puisqu’il s’avère désormais capable de transformer la société de fond en comble, pour peu du moins qu’il apprenne à ne pas se laisser confisquer sa puissance. Si impressionné qu’il ait pu être par la description que fait Michelet du mouvement des Fédérations (de septembre 1789 à juillet 1790), Proudhon est loin de partager deux des caractéristiques du collectif qui est censé être à l’œuvre ici : le collectif michelettien ne se constitue et n’opère qu’à distance du travail, et semble du coup incapable de changer quoi que ce soit à l’une des dimensions les plus fondamentales et les plus concrètes de la vie quotidienne ; ce même collectif ne peut pleinement prendre conscience de lui-même que dans l’unité de la Nation, au risque que la dite unité ne vienne contredire et son pluralisme de départ, et le fait que son origine se situe « en bas » et non dans des hauteurs qui finissent toujours par être celles d’un Etat.

L’insistance de Proudhon sur les capacités créatrices du collectif et ses recherches sur les principes intrinsèques par lesquels ce collectif peut et doit s’auto-structurer (pluralisme, égalité, liberté, etc.) pour persévérer dans son être et éviter que sa puissance lui soit confisquée ou soit amoindrie font du Bisontin le penseur d’un concept de « révolution » qui échappe ou en tout cas s’efforce d’échapper tant à la résurgence du féodalisme sous toutes ses formes (industrielles, financières…) qu’au « communautarisme » en ses divers visages.

A l’heure où l’idée de révolution semble émerger du discrédit où de soi-disant experts l’avaient fait tomber, il est peut-être temps, sinon de prétendre revenir à Proudhon, du moins de tenter d’examiner avec quelque rigueur la conceptualisation qu’il en propose. Les angles d’approche seront divers, soit qu’il s’agisse de retracer le parcours proudhonien dans son époque, soit qu’il s’agisse, à partir de la nôtre, de repérer en lui ce qui peut éclairer notre pensée et notre action…

Georges Navet, Président de la Société P.J. Proudhon

Programme

9h30 Accueil

10h Christian Laval : Présentation du colloque : Où en est l’idée de la révolution cent ans après Octobre ?

10h 30 Georges Navet : Proudhon, Justice et Révolution

11h Débat et pause

http://www.proudhon.net/#/colloque-2017/2504587439
11h30 Édouard Jourdain : Radicalité contre extrémisme : la pensée révolutionnaire de Proudhon

12h Débats

12h30 -14h Repas

14h Edward Castleton : Proudhon, Révolution et progrès

14h30 Anne Steiner : De l’anarchisme au pôle insurrectionaliste de la SFIO : l’itinéraire complexe de Miguel Almeyreda, journaliste et révolutionnaire ».

15h Débat et pause

15h30 Roger Sue : La Révolution de l’association

16h Pierre Sauvêtre : L’actualité du communalisme

16h30 Débat final

17 h Fin du colloque – AG de la Société P.J. Proudhon

http://www.proudhon.net/#/colloque-2017/2504587439
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede bipbip » 22 Déc 2017, 22:21

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) - "L'anarchie, c'est l'ordre" [Radio]

De lui, on connaît : "La propriété, c'est le vol". Marx l'a réduit à la figure de petit bourgeois. L'habitude l'a rangé parmi les ancêtres de l'anarchie. Pendant la révolution de 1848, comme député et journaliste, Proudhon était le plus populaire des socialistes. Aujourd'hui on le redécouvre.

La révolution de 1848 a été une révolution populaire dans laquelle les ouvriers ont pris la parole et tenté de s'organiser. Les clubs politiques, les coopératives ont proliféré. Proudhon avec le mutuellisme et les coopératives aux mains des ouvriers avait les idées que défendait le peuple à cette époque. Rendu célèbre par son livre sur la propriété et son journal, "Le Peuple", il a cru qu'il était l'homme du moment.

Sa vie avait déjà été intense : né pauvre dans un faubourg de Besançon, il a commencé sa carrière comme conducteur de bœufs à l'âge de 8 ans, puis ouvrier pour aider son père endetté. Ses talents ont été découverts tardivement. Doté d'une bourse, il a étudié avec frénésie pour exercer tous les métiers : typographe, bachelier à 29 ans, patron d'imprimerie, patron ruiné, avocat d'affaires d'une société de bateliers, philologue puis économiste.

Élu député, il s'en est pris aux représentants qui ne représentent qu'eux-même et se réfugient à la Chambre dans un "isoloir". Il refuse l’élection d'un président au suffrage universel, qui serait un nouveau monarque, en plus puissant. Sa tentative de détruire la propriété du capital au Parlement a été une déroute : il était seul contre tous. Son grand projet, faire la révolution par la "Banque du Peuple", a fait banqueroute. Mais aujourd'hui les SEL et les monnaies locales reprennent son idée d'une banque qui prête sans intérêt, les mutuelles se sont développées, quoique loin de son projet.

Pendant plus d'un siècle, Proudhon, ce fils du peuple, père de l'anarchie, frère ennemi des communistes, a été enterré. Depuis peu des universitaires et des étudiants le relisent. Une poignée de jeunes syndicalistes et quelques militants le pratiquent. Des marxistes le réhabilitent.

Par Louis-Laurent Grandadam. Réalisation : Yvon Croizier Mixage : Yvon Croizier. Archives INA : Arnaud Plançon. Liens internet : Annelise Signoret.

Emission à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/ ... est-lordre
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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede bipbip » 17 Juil 2018, 14:25

PROUDHON (1809-1865) : Un penseur inconfortable – Une vie, une œuvre [2009]

Le Mardi des auteurs : Proudhon, un penseur inconfortable. [NB : "Le Mardi des auteurs" est le nom qui fut donné à l'émission "Une Vie, une œuvre" au cours de la saison 2009/2010.] Par Anne Argouse, Hugues Peyret et Gilles Davidas. Émission diffusée sur France Culture le 15.09.2009. Aujourd'hui, Proudhon a pour beaucoup l'image poussiéreuse et subversive d'un penseur que l'on croit extrême, l'auteur d'une citation aussi célèbre que mal comprise : « la propriété, c'est le vol ». Ce penseur encyclopédique fut tour à tour imprimeur, écrivain, homme de presse, banquier, député puis prisonnier politique. Antidogmatique, socialiste individualiste, libertaire et moraliste, il a été attaqué par la droite comme par la gauche et reste aujourd'hui encore inclassable.

À l'occasion du bicentenaire de sa naissance, l'émission revient sur la pensée de celui qui fut parfois désigné comme « l'homme terreur » ou le père de l'anarchisme. L'impertinence d'hier peut-elle être la pertinence d'aujourd'hui ?

Intervenants : - Gaston Bordet - Edward Castelton - Dominique Lestrat - Thierry Menuelle - Charles Piaget

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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede bipbip » 17 Juil 2018, 14:32

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865)

Pourquoi Proudhon, dans ses ouvrages successifs, s'attaque-t-il d'abord au droit de propriété, puis à l'économie libérale et au capitalisme, ensuite à l'Etat et enfin à l'Eglise ? En quoi, dès lors, le fédéralisme et le mutualisme constituent-ils les formes les meilleures d'organisation sociale juste ? Bref, qu'est-ce que l'anarchisme selon Proudhon ?

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Re: Bicentenaire de la naissance de Proudhon

Messagede Lila » 03 Sep 2019, 00:08

Proudhon, un refoulé sexuel

Proudhon, un refoulé sexuel,
extrait du livre de Daniel Guérin,
Essai sur la révolution sexuelle (après Reich et Kinsey),
paru en 1969 aux Editions Pierre Belfond.

« Je voudrais considérer l’un des aspects les moins connus de l’œuvre du grand réformateur social : sa vive et insolite curiosité à l’égard de l’homosexualité. [1] Curiosité d’autant plus surprenante qu’il passait, a juste titre, pour un homme de mœurs rigides et que, par ailleurs, l’auteur de la posthume Pornocratie était enclin a tonner contre les écarts de la chair.

Proudhon avait cru remarquer que l’homosexualité, de son temps, n’était guère pratiquée par les classes laborieuses. Ses adeptes étaient bien plutôt, selon lui, « des raffinés, des artistes, des gens de lettres, des magistrats, des prêtres ». Pourquoi ? parce que les travailleurs n’étaient « pas assez avancés dans le culte de l’idéal ». Pour lui, l’amour unisexuel était « une erreur de jugement produite par une illusion de l’idéal », par la poursuite « du beau et du bien ». Ce qui le frappait dans les mœurs antiques, c’était que de « grands poètes en vinrent à célébrer cette monstrueuse ardeur, privilège, à les entendre, des dieux et des héros ». Il ajoutait que c’était cette « poétique » de l’homosexualité qu’il s’agissait surtout d’expliquer. Et s’excusant à l’avance de l’audace de son incursion dans pareil domaine, il osait écrire :

« J’ai consulté les témoignages écrits ; j’ai interrogé ces anciens qui surent mettre de la poésie, de la philosophie partout, et qui, parlant à une société habituée aux mœurs socratiques, ne se gênaient guère (...) Ce que je vais dire (...) aura (...) l’avantage d’alléger singulièrement le crime de ceux qui les premiers s’en firent les chantres et les panégyristes (...) Nous avons plaidé en faveur de quelques personnages, les plus grands qui aient illustré notre race, en faveur de la poésie et de la philosophie grecque, éternel honneur de l’esprit humain, l’innocence de l’amour unisexuel. »

Proudhon ouvre son étude en rejetant délibérément l’explication de saint Paul « qui croit avoir tout dit quand il attribue le phénomène qui nous occupe au culte des faux dieux ». Pour lui « l’explication de saint Paul n’explique rien ». Il était trop commode pour le christianisme d’imputer au polythéisme et à la société fondée sur lui les comportements dont il prétendait purger la terre. « Mais (...) le christianisme n’a pas réussi dans son entreprise » et les passions dénoncées par l’apôtre « se sont perpétuées dans l’Eglise du Christ. »

Remontant aux origines de l’amour grec, Proudhon suggère, avec raison, que l’homosexualité avait existé en Grèce bien avant Socrate. C’est en Ionie que cet amour fut d’abord « chanté et divinisé ». De bonne heure, chez les Syriens, les Babyloniens et autres Orientaux la religion avait fait de l’homosexualité un de ses mystères. A l’origine de l’humanité, régnait un « panthéisme érotique », ce que Charles Fourier, à qui Proudhon devait tant, appelait omnigamie et que Proudhon évoque en ces termes.

« Cet amour suprême, qui débrouilla le chaos et qui anime tous les êtres, n’a pas besoin, pour jouir, de la forme humaine. Pour lui, les règnes, les genres, les espèces, les sexes, tout est confondu (...) C’est Cénis, changée de fille en garçon ; Hermaphrodite, à la fois mâle et femelle ; Protée, avec ses mille métamorphoses (...) Théocrite va plus loin : dans une complainte sur la mort d’Adonis, il prétend que le sanglier qui le tua d’un coup de croc ne fut coupable que de maladresse. Le pauvre animal voulut donner un baiser à ce beau jeune homme : dans le transport de sa passion il le déchira ! »

Quand l’humanité, sortie du chaos, entra dans la civilisation, ce panthéisme érotique se mua en « idéalisme érotique » :

« Avant tout, pensaient les anciens, l’homme ne peut vivre sans amour ; sans amour la vie est une anticipation de la mort. L’antiquité est pleine de cette idée ; elle a chanté et préconisé l’amour ; elle a disputé à perte de vue de sa nature comme elle a disputé du souverain Bien, et plus d’une fois il lui est arrivé de les confondre. Avec la même puissance que ses artistes idéalisaient la forme humaine, ses philosophes et ses poètes idéalisèrent l’Amour (...) Ce fut (...) parmi eux, à qui découvrirait et réaliserait le parfait amour (...) Mais cette idéalité de l’amour, où la trouver ? Comment en jouir, et dans quelle mesure ? »

Dans le mariage ? Proudhon réplique d'après un proverbe :

« Le mariage est le tombeau de l’amour. Et cela était vrai pour les Grecs (...) incomparablement plus qu’il ne l’est pour nous. La dignité d’épouse, aristocratique dans son principe et dans sa forme, ne conférait guère à la femme antique que de hautaines prétentions qui la rendaient peu aimable. »

L’auteur fait ici allusion, mais trop sommairement d’ailleurs, aux conditions sociales (patriarcat) dont était victime la femme grecque :

« L’épouse telle qu’au sortir de l’âge héroïque la civilisation dut la faire, n’ayant pour elle que son orgueil, la trivialité de ses occupations et son importune lascivité, que réprimaient à peine les ennuis de la grossesse et les rebuffades maritales, l’amour s’envolait au matin des noces, et le cœur restait désert. Il n’y a pas la moindre parcelle d’amour dans le gynécée, dit énergiquement Plutarque. »

Si l’union conjugale était ainsi « destituée d’idéal, partant, d’amour » à qui demander l’amour ? A l’hetaïra, à la concubine, à la courtisane ? Mais ce genre d’ « amour à gages » se réduit à une « satisfaction des sens », à une « sécrétion de l’organisme », à une « sentine », peste Proudhon. « Je l’aime, dites-vous ; oui comme j’aime le vin, le poisson et tout ce qui me donne du plaisir. »

« Ainsi l’hetaïra et la courtisane n’offrant rien de plus, quant a la délectation amoureuse, offrant même moins que la femme légitime, l’amour tel que le veut l’âme humaine, l’amour idéalisé devient impossible entre les deux sexes (...) Les anciens n’avaient que trop bien suivi cette analyse. Ils comprenaient merveilleusement que la beauté, au physique comme au moral, est immatérielle, que l’amour qu’elle inspire est tout entier dans l’âme (...) Où donc, se demandait l’homme de l’antiquité, où trouver l’amour sans lequel je ne puis vivre, et que je ne puis saisir ni avec ma femme, ni avec ma maîtresse, ni avec mon esclave ? Où est-il, cet amour, feu follet qui ne se montre que pour tromper les hommes ? J’ai trouvé la femme plus amère que la mort, s’écrie Salomon ; il désigne évidemment, non pas la personne, mais le sexe. Néant partout, amour nulle part. »

Et Proudhon de suivre attentivement « la marche de cette séduction idéaliste qui, après avoir fait repousser le mariage comme étranger par sa nature à l’amour », aboutit à « l’hallucination » de l’homosexualité.

« C’est donc par un raffinement de délicatesse en même temps que par une recherche quintessenciée du beau et de l’honnête que les anciens en vinrent à mépriser l’amour conjugal, et avec lui tout rapport physique avec la femme. Telle est la série d’idées par laquelle les Grecs, à force de spéculer sur l’amour et de le dégager des indignités de la chair, arrivèrent aux derniers excès. Cela peut paraître prodigieux, mais cela est : et l’histoire entière en témoigne. »

Proudhon, avec une singulière complaisance, abandonne maintenant la théorie pour les exemples :

« Anacréon, suivant Elien, étant a la cour de Polycrate, tyran de Samos, conçut une vive affection pour un jeune homme nommé Smerdias. Il le chérissait, dit l’historien, pour son âme, non pour son corps. De son côté, l’adolescent avait une affection respectueuse pour le poète. »

Et Proudhon de surenchérir :

« Le bel éphèbe Smerdias dont il est ici question était aussi aimé par le tyran Polycrate. »

Ayant surmonté, enfin, et la prudence et l’inhibition, l’auteur se lance à corps perdu dans l’exaltation de l’amour grec :

« Il faut bien croire que cette théorie extraordinaire était entrée jusqu’à un certain point dans les mœurs, quand on voit les hommes les plus vertueux de l’antiquité et les moins suspects en faire profession. Socrate, qui donna son nom a l’amour parfait avant que Platon lui eût donné le sien, faisait, au vu et au su de toute la ville, l’amour a Alcibiade. Il lui enseignait la philosophie, lui reprochait son orgueil, l’arrachait aux séductions des courtisanes, le formait à la continence, et, par son exemple et ses discours, apprenait aux Athéniens à aimer la jeunesse et à la respecter. Il y a une belle leçon de lui dans le dialogue de Platon appelé le Théétète. Théétète est un jeune homme sans grâce, au nez camus, aux petits yeux enfoncés, vrai portrait de Socrate, et qui est présenté et recommandé au philosophe par un citoyen d’Athènes, que ses amis accusaient ironiquement, et à son grand déplaisir, de faire l’amour à ce vilain garçon. Socrate interroge Théétète, le force par ses questions de montrer son intelligence, fait ressortir son heureux naturel, et lui dit à la fin devant tout le monde : Va, tu es beau, Théétète ; car tu possèdes la beauté de l’âme, mille fois plus précieuse que celle du corps. Parole digne de l’Évangile, qui dut frapper vivement les Athéniens, et que Platon n’aurait eu garde de perdre.

« Cornéhus Népos, dans la vie d’Epaminondas, raconte que, le roi de Perse ayant eu dessein de l’acheter, Diomédon de Cyzique, qui était chargé de la commission, commença par mettre dans ses intérêts un tout jeune homme, appelé Micythus, qu’Epaminondas aimait de tout son cœur. Que fit le héros thébain ? Après avoir admonesté sévèrement l’entremetteur du grand roi, il dit a son jeune ami : Pour toi, Micythus, rends-lui vite son argent, ou je te dénonce au magistrat ! (...) Étrange occupation pour des pédérastes, de prêcher à leurs gitons, de parole et d’exemple, la modestie, l’étude, le désintéressement, la chasteté, tous les genres de vertu, et de les menacer du châtiment s’ils s’en écartent !

« Dans une guerre que ceux de Chalcis soutenaient contre leurs voisins, ils durent la victoire au courage de Cléomaque, un des leurs, qui se dévoua (...) à la seule condition de recevoir auparavant, en présence de l’armée, un baiser de son ami, et de mourir sous ses yeux. C’est Plutarque qui raconte le fait. Je voudrais savoir si la chevalerie a produit rien de plus beau et de plus chaste que ce trait ?

« Tout le monde sait que le bataillon sacré de Thèbes, qui périt tout entier à Chéronée, était formé de trois cents jeunes gens, cent cinquante paires, dont l’amour autant que le patriotisme formait la discipline. »

Passant de la littérature grecque à la poésie latine, Proudhon poursuit dans la même veine :

« Virgile, chantant le messianisme romain et la régénération universelle, Virgile, disciple de Platon, n’oublie pas cette épuration de l’amour pédérastique. Son épisode de Nisus et Euryale s’inspire de l’amitié grecque, où l’amour s’allie à l’émulation guerrière : Un même amour les unissait et ils se ruaient ensemble dans les combats, [2] dit-il des jeunes héros : Euryale, type de jeunesse splendide et de grâce vertueuse, que toute l’armée aime autant qu’elle l’admire, Euryale remarquable par sa beauté et par sa jeunesse en fleur, [3] Ce charme plus séduisant qui apparaît dans un beau corps, [4] et Nisus, son pur et pieux amant. Lisez aux 5e et 9e livres de l’Enéide l’histoire touchante de cet amour : on dirait un épisode du bataillon sacré de Thèbes. Et c’est après avoir raconté leur mort que le poète s’écrie : Heureux couple ! Si mes vers ont quelque puissance, votre mémoire durera autant que le Capitole, aussi longtemps que Rome tiendra l’empire du monde ! »

Et Proudhon, que rien n’étonne plus, que rien ne retient plus, s’exclame :

« Pourquoi nous étonner si fort, après tout, d’un attachement qui a des racines dans la nature même ? Ne savons-nous pas qu’il existe entre l’adolescent et l’homme fait une inclination réciproque, qui se compose de mille sentiments divers et dont les effets vont bien au-delà de la simple amitié, Qu’était-ce que l’affection de Fénelon pour le duc de Bourgogne, cet enfant de son cœur et de son génie, qu’il avait créé, formé, la Bible dirait engendré, comme il avait créé son Télémaque ? De l’amour, dans le sens le plus pur et le plus élevé que lui donnaient les Grecs. Fénelon instruisant le duc de Bourgogne, c’est Socrate révélant à ses auditeurs la beauté de Théétète, c’est Epaminondas réprimandant Micythus. Qu’il eût voulu mourir pour ce fruit de ses entrailles, le tendre Fénelon !

« J’irais plus loin : qu’était cette prédilection tant remarquée du Christ pour le plus jeune de ses apôtres ? [5] Pour moi, j’y vois, comme dans l’épisode de Nisus et Euryale, une imitation chrétienne de l’amour grec. Et ce n’est pas la moindre preuve à mes yeux que l’auteur du 4e Evangile ne fut pas un Hébreu de Jérusalem, incapable de ces délicatesses, mais un helléniste d’Alexandrie, qui connaissait son public, et ne trouvait rien de mieux, pour vanter la sainteté du Christ, que d’en faire un amant à la manière de Socrate. Nous calomnions les anciens, et nous ne voyons pas que leurs idées, ramenées à leur juste mesure, ont leur source dans le cœur humain, et qu’elles ont coulé jusque dans notre religion.

« La distinction des amours et la différence de leurs caractères était si bien établie chez les Grecs, que nous les voyons habiter ensemble, sans se combattre ni se confondre. Achille a pour compagne de sa couche, hetaïra, Briséis, la belle captive ; pour ami de cœur, Patrocle, son hetaïros. Aussi, quelle différence dans les regrets qu’il leur donne ! Pour Briséis, il pleure, il jure de ne plus combattre et de retourner en Thessalie ; pour Patrocle, il viole son serment, tue Hector, massacre ses captifs et décide la prise de Troie.

« Tous les poètes grecs qui ont chanté l’amour sous sa double hypostase ont suivi l’exemple d’Homère. Je veux que le Bathylle d’Anacréon soit suspect : l’indiscrétion du poète, dans le portrait qu’il a tracé de son ami, a laissé tomber sur la pureté de l’original une ombre obscène ; mais combien le sentiment que Bathylle lui inspire l’emporte sur toutes ses fantaisies de maîtresses ! Quoi de plus ravissant que cette chanson de la colombe messagère ! Et quelle rêverie dans ces deux couplets, que les traducteurs séparent comme si c’étaient deux odes : Rafraîchissez, ô femmes, de vin doux ma gorge desséchée ; rafraîchissez de roses nouvelles ma tête brûlante. Mais qui rafraîchira mon cœur, incendié par les amours ? Je m’assoirai à l’ombre de Bathylle, le jeune arbre à la verdoyante chevelure ; auprès de lui coule et murmure la fontaine de persuasion. C’est la, voyageur épuisé, que je prendrai une nouvelle force. »

Maintenant ce n’est plus tant l’amour grec que sa pureté qui intrigue Proudhon :

« Ce qui m’étonne dans toute cette poésie socratique, platonique, anacréontique ou saphique, comme on voudra l’appeler, c’est l’extraordinaire chasteté de la pensée aussi bien que du langage, chasteté qui n’a d’égale que l’ardeur de la passion. M’explique qui pourra, dans l’hypothèse d’un amour impie, cet inconcevable mélange de tout ce que la tendresse la plus exaltée, la pensée la plus sévère, la poésie la plus divine, pouvaient offrir de traits pénétrants, d’images gracieuses et d’ineffable harmonie, avec ce que la rage des sens aurait fait inventer de plus atroce ; quant à moi, une pareille alliance du ciel et de l’enfer dans un même cœur me paraît inadmissible, et je reste convaincu que, s’il y a là-dessous quelque horreur, elle est toute notre. »

L’amour « unisexuel » des anciens était-il vraiment pur ? Proudhon, après l’avoir affirmé, n’en est plus tellement certain. Mais leur idéal, tout au moins, était, selon lui, de pureté :

« Pour nous, sans prétendre à plus de science en pareille matière qu’il ne convient à d’honnêtes gens d’en avoir, nous maintenons l’opinion établie par nous dans le texte, savoir, que l’amour pédérastique n’impliquait pas nécessairement, pour les anciens Grecs, comme il implique aujourd’hui pour nous, des rapports corporels ; que tout au contraire cet amour avait la prétention de rester pur, et que c’est ainsi que le pratiquèrent Socrate, Epaminondas, et une foule d’autres. Les passages que nous avons cités de Plutarque, de Platon, de Virgile, de l’Évangile selon saint Jean, en sont des témoignages irrécusables. Nous soutiendrons en conséquence que c’est ce pur amour que chantèrent Anacréon et Sapho ; qu’il importe, si l’on veut être juste, de distinguer ici entre la théorie passionnelle des anciens et ce que put être leur pratique, et qu’avant d’accuser de mœurs abominables les plus grands des poètes, il faudrait commencer par comprendre leurs sentiments et leurs idées. De quelque façon qu’en aient usé, dans le secret, Anacréon avec Bathylle, Sapho avec son amie, ce dont nous ne savons absolument rien ni ne saurons jamais rien, une chose reste positive, démontrée, acquise (...) les anciens se faisaient de l’amour un autre idéal que nous, idéal qu’il ne s’agit pas ici de justifier (...) ; mais idéal irréprochable dans leur pensée, et qui avait sa poésie. »

Proudhon, cependant, instruit par son expérience personnelle, a une notion trop profonde de la « rage des sens » pour se bercer de naïves illusions. Il sait trop bien qu’il est impossible d’interposer une cloison étanche entre le platonisme et la chair : ce genre d’amour, « quelque spiritualiste qu’en soit le principe », n’en demeure pas moins physique :

« Un des interlocuteurs de Plutarque, celui qui défend la cause de l’amour androgyne ou bi-sexuel, fait à son adversaire, qui protestait au nom des sectateurs du parfait amour contre les accusations dont on les chargeait, l’objection suivante : Vous prétendez que votre amour est pur de tout rapprochement des corps, et que l’union n’existe qu’entre les âmes ; mais comment peut-il y avoir amour là où il n’y a pas possession ? C’est comme si vous parliez de vous enivrer en faisant une libation aux dieux, ou d’apaiser votre faim à l’odeur des victimes. A cette objection, pas de réponse. Quelque opinion que l’on se lasse de la distinction des corps et des âmes, il reste toujours que celles-ci ne s’unissent que par le rapprochement de ceux-là. »

Et Proudhon de conclure, comme un homme qu’a dévasté, au plus profond de lui-même, le combat de l’ange et de la bête :

« Tout amour, si idéal qu’en soit l’objet, tel qu’est par exemple l’amour des religieuses pour le Christ ou celui des moines pour la Vierge, à plus forte raison l’amour qui se rapporte à un être vivant et palpable, retentit nécessairement dans l’organisme et ébranle la sexualité. Il y a de la délectation amoureuse chez la jeune Vierge qui caresse sa tourterelle ; et quel délire, on le sait trop, allume dans leurs sens consumés l’imagination des mystiques ! Parvenu au sommet de l’empyrée, l’amour céleste, attiré par cette beauté matérielle dont la contemplation le poursuit, retombe vers l’abîme : c’est Eloa, la belle archange, amoureuse de Satan, qu’il lui suffit de regarder pour se perdre. Telle est (...) l’antinomie à laquelle l’amour, comme toute passion, est soumis : de même qu’il ne peut se passer d’idéal, il ne peut pas non plus se passer de possession. Le premier le pousse invinciblement à la seconde. »

* * *

Pourquoi Proudhon portait-il tant d’intérêt à l’homosexualité ? Il me reste à chercher la clé de l’énigme dans sa vie et sa personne. La plupart de ses nombreux commentateurs se sont dérobés devant une aussi indiscrète enquête. Tout au plus, l’un d’eux, Jules L. Puech s’est-il borné à indiquer, sommairement, que la source de ses refoulements serait « sans doute » révélée par la psychanalyse. [6]

Tout jeune, à l’âge de 17 ans, Proudhon éprouve, comme il nous le raconte lui-même, un « amour platonique » qui le rend « bien sot et bien triste ». Il s’éprend d’une jeune fille à la manière d’un chrétien, c’est-à-dire avec « la foi à l’absolu ». [7]

En dépit de sa « verte jeunesse » qui réclame des satisfactions plus concrètes, il se fait le « gardien » et le « participant » de la virginité de la demoiselle. A la fin, « ayant trop attendu, la jeune personne s’est elle-même détachée et mariée à un autre ».

Pourquoi ce singulier comportement amoureux, qui s’est prolongé durant cinq années ? Proudhon attribue son « affection mentale » à la lecture de Paul et Virginie, de Bernardin de Saint-Pierre, « pastorale prétendue innocente et qui devrait être à l’index de toutes les familles ». Et il dénonce « le péril de ce platonisme qu’une vaine littérature voudrait ériger en vertu ». Il nous suggère une autre explication lorsqu’il note dans ses Carnets : « Je souhaite, si je me marie jamais, d’aimer autant ma femme que j’ai aimé ma mère ». [8] Peut-être a-t-il été paralysé, comme tant d’autres, par le trop fameux complexe d’Œdipe. Toujours est-il qu’il dut à ce malheureux amour de rester puceau, pendant dix ans après sa puberté :

« Celui qu’une passion idéale a saisi de bonne heure et conduit fort avant dans la virilité est devenu, par son idéalisme même, gauche et maladroit avec le sexe, dédaigneux de la galanterie, où il ne réussit pas, brusque et sarcastique envers les jolies personnes, intraitable à l’endroit des positions mitoyennes, qu’il qualifie, non sans raison, d’immorales. Bref, il regimbe, malgré son appétit et ses dents, contre l’amour qui le pique, l’irrite, le fait rougir comme un lion (...) Il se sent extravagant, ridicule (...) il prend en aversion et l’amour, et le mariage, et la femme. »

Pendant des années, Proudhon, « lamentable martyr de la continence », sera « assailli par le diable qui taquinait saint Paul » :

« Le diable qui, si longtemps m’avait brûlé du côté du cœur, maintenant me rôtissait du côté du foie, sans que ni travail, ni lectures, ni promenades, ni réfrigérants d’aucune sorte pussent me rendre la tranquillité (...) Une scission douloureuse s’opérait en moi entre la volonté et la nature. La chair disait : je veux, la conscience : je ne veux pas... »

C’est alors que Proudhon nous entrouvre ses réduits les plus intimes. Ce « platonisme » dont il dénonçait de façon imprécise le « péril », [9] il l’explicite maintenant :

« O vous tous, jeunes hommes et jeunes filles, qui rêvez d’un amour parfait, sachez-le bien, votre platonisme est le droit chemin qui conduit à Sodome. » [10]

* * *

Si l’on fouille dans ses moindres recoins la jeunesse de Proudhon, on n’y trouve, à part cette chaste passion, aucune aventure féminine. Son biographe, Daniel Halévy, convient que « folâtrer avec le beau sexe n’était pas de son goût ». [11] Lui-même nous avoue que lorsqu’il vivait encore à la campagne et qu’il voyait les filles de ferme masturber le taureau, « il ne sentait jamais rien pour ces luronnes ». [12]

Par contre, nous lui découvrons une liaison masculine. A 22 ans, il a fait la connaissance, à l’imprimerie où il travaille, d’un jeune étudiant de Besançon. Bien que d’origine sociale différente, les deux jeunes gens deviennent des inséparables : « Je vous ai connu, je vous ai aimé » écrira plus tard Gustave Fallot à Pierre-Joseph Proudhon. [13] Il presse son ami de le suivre à Paris. Proudhon ne résiste pas à cet appel. Tout est commun entre eux : chambre, lit, table, bibliothèque, pécule. Ensemble, ils « platonisent ». Mais la terrible épidémie de choléra de 1836 atteint Fallot. Son ami le soigne jour et nuit. Il s’épuise pour sauver celui qu’il aime. Mais il ne réussit pas à le disputer à la mort. Sa douleur est affreuse :

« Je sentis que la moitié de ma vie et de mon esprit m’était retranchée : je me trouvai seul au monde. »

Le souvenir de Fallot occupe sa pensée « comme une idée fixe, une vraie monomanie ». Il se rend au Père-Lachaise et reste une heure entière en méditation sur sa tombe. [14]

Toute sa vie Proudhon restera fidèle à l’amitié masculine. Dans un écrit posthume, il observera :

« Tout homme a des secrets qu’il confie à un ami, et qu’il ne dit pas à sa femme. » [15]

A un camarade, que lui enlève une épouse, il écrit, avec amertume :

« Le mariage opère d’une façon étrange sur vous, messieurs qui avez pris femme (...) Vous retranchant peu à peu dans le ménage, vous finissez par oublier que vous fûtes compagnons. Je croyais que l’amour, la paternité augmentaient l’amitié chez les hommes ; je m’aperçois aujourd’hui que ce n’était là qu’urne illusion. »

Et il ajoute cette remarque significative, pour le lecteur qui sait déjà le prix qu’il attachait à l’amitié antique :

« Si Oreste avait épousé Hermione, de ce jour, il eût oublié Pylade. » [16]

Ailleurs Proudhon presse un amoureux, à qui il veut du bien, de sauvegarder sa liberté :

« Souviens-toi, jeune homme, que les baisers qu’on te donne sont des liens dont tu te charges et que trois jours de carême suffisent pour faire de la femme, sans que tu t’en aperçoives, d’une douce amoureuse un tyran. » [17]

Proudhon voudrait préserver ses amis de la délétère influence féminine :

« La conversation et la société des femmes rapetissent l’esprit des hommes, les efféminent, les émoussent. » [18]

* * *

Quand il arrive à sa plume d’évoquer un beau mâle, Proudhon contient mal son émoi. Dans une curieuse parabole, il décrit un personnage de sang plébéien, dont « l’énergie passionnée, la fermeté de ses muscles, le timbre de sa voix (...) exerçaient une séduction irrésistible » au point que la jeune veuve dont il était l’un des adorateurs « ne pouvait, en sa présence, se défendre d’un frisson délicieux. » [19] En revanche, l’effémination lui répugne :

« Le mignon qui affecte les grâces féminines est dégoûtant. »

La perspective lui fait horreur d’une société où l’homme serait « joli, gentil, mignon » et où il n’y aurait plus « ni mâles ni femelles ». [20] Ailleurs Proudhon trahit sa prédilection pour l’anatomie masculine. Comparé au corps de l’homme celui de la femme est, à ses yeux, un « amoindrissement, un sous-ordre » :

« Les muscles sont effacés ; cette carrure virile est arrondie ; ces lignes expressives et fortes sont adoucies et molles. » [21]

Proudhon n’est pas tendre pour le sexe faible. Il ne trouve pas de mots assez dégradants pour stigmatiser la femme que l’amour possède. Elle jappe, elle redevient une bête, une folle, une catin, une guenon, elle est atteinte de luxure inextinguible, elle est un puits de coquinerie.

« La femme sollicite, agace, provoque l’homme ; elle le dégoûte et l’embête : encore, encore, encore ! » [22]

Pour Proudhon, la femme est une créature inférieure, « subalterne ». Elle ne sera jamais un « esprit fort ». Il nie radicalement le génie féminin. « Une femme ne peut plus faire d’enfant quand son esprit, son imagination et son cœur se préoccupent des choses de la politique, de la société et de la littérature. » Sa vraie vocation est le ménage :

« Nous autres hommes, nous trouvons qu’une femme en sait assez quand elle raccommode nos chemises et nous fait des beefsteaks. » [23]

Accorder à la femme le droit de vote serait « porter atteinte à la pudeur familiale » et Proudhon, qui a pris pour épouse une ménagère, profère cette risible menace :

« Le jour où le législateur accordera aux femmes le droit de suffrage sera le jour de mon divorce. » [24]

Il va jusqu’à prescrire aux hommes de mener la femme à la trique :

« Elle veut être domptée et s’en trouve bien (...) L’homme a la force ; c’est pour en user ; sans la force la femme le méprise (...) La femme ne hait point d’être un peu violentée, voire même violée. » [25]

La bête noire de Proudhon, c’est la femme émancipée, atteinte de « nymphomanie intellectuelle », qui imite les manières masculines, la « virago », la femme de lettres, dont George Sand est, à ses yeux, le détestable prototype.[26] Mais cette frénésie anti-féministe lui vaudra de cinglantes ripostes. A l’âge de dix-huit ans, une jeune romancière publiera contre Proudhon un vigoureux pamphlet, suivie bientôt par une consœur.[27] Rendu furieux par ces attaques, Proudhon rédigera une réponse échevelée, d’ailleurs inachevée, et qui, heureusement pour lui, ne verra le jour qu’après sa mort. [28]

* * *

Par-delà la femme, c’est toute la société moderne en voie de révolution sexuelle qui suscite l’ire de Proudhon. Il dénonce « la folie amoureuse qui tourmente notre génération », « cette pornocratie qui depuis trente ans a fait reculer en France la pudeur publique », « cet esprit de luxure et de dévergondage » qui est « la peste de la démocratie », « le culte de l’amour et de la volupté (...) cancer de la nation française ». Apostrophant ses contemporains, il leur lance :

« Vous voulez de la chair ! vous aurez de la chair jusqu’au dégoût. » [29]

La faute en est aux arts et aux lettres, qui surexcitent les sens. [30] La lecture d’un roman amoureux n’est-elle pas suivie infailliblement par une visite à la maison de tolérance - où l’on « ne rencontre que dégoût, déplaisance, remords » ?[31] Et Proudhon de s’en prendre aux socialistes utopiques, ses prédécesseurs, qui ont voulu réhabiliter la chair, au Père Enfantin, chef de la « religion saint-simonienne » à qui il lance : « Vous êtes une église de proxénètes et de dévergondés », [32] à Charles Fourier, qui prêchait le libre essor des passions et prétendait les mettre au service de sa société régénérée. [33]

Mais, plus encore que la luxure, c’est l’homosexualité qui ne cesse de hanter le cerveau dérangé de Proudhon. Le communisme, en tendant « à la confusion des sexes » serait « au point de vue des relations amoureuses, fatalement pédérastique ». [34] Il suspecte « l’androgynie sacerdotale » des saints-simoniens tout comme l’ « omnigamie » de Fourier, sur qui il fait peser le soupçon inquisitorial d’avoir « étendu fort au-delà des barrières accoutumées les relations amoureuses » et d’avoir « sanctifié jusqu’aux conjonctions unisexuelles ». [35] La fureur des sens, à l’entendre, aboutit nécessairement aux jouissances « contre nature », à la « sodomie ». [36]

« Nous sommes en pleine promiscuité, tant la paillardise est devenue universelle... Nous voilà parvenus à l’amour unisexuel. » [37]

Toute nation qui s’adonne au plaisir « est une nation que dévore la gangrène sodomitique, une congrégation de pédérastes ». [38] La pédérastie serait « l’effet d’une volupté furieuse que rien ne peut assouvir ». [39] Et il demande, sur un ton d’étrange délectation :

« Y aurait-il (...) dans ce frictus de deux mâles, une jouissance âcre, qui réveille les sens blasés, comme la chair humaine qui, dit-on, rend fastidieux au cannibale tout autre festin ? » [40]

* * *

Le dernier mot de Proudhon, c’est le terrorisme antisexuel. Livrée à elle-même, la passion charnelle lui paraît sans remède : « Il n’a servi de rien aux Bernard, aux Jérôme, aux Origène, de vouloir dompter leur chair par le travail, le jeûne, les veilles, la solitude. » Comprimée, la passion éclate avec encore plus de furie. Au lieu de s’amortir, elle renaît de l’assouvissement et cherche de nouveaux objets :

« Jouir, jouir encore, jouir sans fin. » [41]

Proudhon n’hésite donc pas à appeler le législateur, le gendarme, le juge à la rescousse. Qu’on interdise le divorce, qu’on assimile la sodomie au viol et qu’on la punisse de vingt ans de réclusion.[42] Mieux encore, qu’on déclare légalement excusable le meurtre, par le premier venu, d’un « sodomite » pris en flagrant délit. [43] Proudhon songe sérieusement à adresser une dénonciation au procureur général afin de faire poursuivre pour « immoralité » l’école phalanstérienne :

« Désormais, triomphe-t-il, on est en droit de dire aux fouriéristes vous êtes des pédérastes (...) S’il est démontré que le fouriérisme est immoral, il faut les interdire (...) Ce ne sera pas de la persécution, ce sera de la légitime défense. » [44]

Proudhon prône, pour extirper la luxure, le plus implacable des eugénismes :

« Il faut exterminer toutes les mauvaises natures et renouveler le sexe, par l’élimination des sujets vicieux, comme les Anglais refont une race de bœufs, de moutons et de porcs. » [45]

Le socialisme, tel qu’il le conçoit, emploiera les grands moyens. Le tort du christianisme n’est pas, selon lui, d’avoir voulu condamner tout rapport sexuel hors légitime mariage, mais de n’avoir pas su le faire. La Révolution, elle, le fera. [46]

Nous voici prévenus : « Tout se prépare pour des mœurs sévères. » Dans la société future, « une guerre perpétuelle » sera faite « aux appétits érotiques » ; « une guerre de plus en plus heureuse ». On saura bien nous inculquer « le dégoût de la chair. » [47]

Ainsi, ô paradoxe, pour éteindre « le feu du sang » [48] qui le consume et que, désespérément, il refoule, Proudhon, anarchiste en matière d’organisation sociale, sombre dans le plus autoritaire des puritanismes.

Il fait ainsi la preuve par l’absurde qu’il faut pour délivrer les victimes de son espèce une révolution sexuelle. »

Daniel Guérin



[1] Toutes les citations de Proudhon qui suivent sont extraites de De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, 1858, édition Rivière, t. IV.

[2] Enéide, IX, 188.

[3] Ibid.., V. 295.

[4] Ibid., V. 344.

[5] Jean, XIII, 23 ; XIX, 26, 27 ; XXI, 20.

[6] Introduction au volume des œuvres Complètes de P.J. Proudhon contenant Du Principe de l’Art, La Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, 1939, p. 304.

[7] Cité par Daniel Halévy, La Jeunesse de Proudhon, 1913, p. 36.

[8] Philosophie de la Misère, 1867, t. Il, p. 384 ; - Carnets, 1960-1961, t. I,

[9] De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, édition Rivière, t. IV, p. 131-132.

[10] Ibid., p. 69.

[11] Daniel Ha1évy, La Jeunesse de Proudhon, 1913, p. 102.

[12] La Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, ouvrage posthume, 1875, p. 84.

[13] Lettre du 5 décembre 1831, Correspondance, 1875, t. I, p. XV.

[14] Halévy, op. cit., p. 122, 133.

[15] La Pornocratie..., p. 193.

[16] Lettre à Ackermann du 4 octobre 1844, Correspondance, t. Il, p. 158.159.

[17] La Pornocratie..., p. 264.

[18] Carnets, 1961, II, p. 12.

[19] Contradictions Politiques, 1864, ouvrage posthume, édition Rivière, p. 297. On peut comparer ce portrait à celui d’Hercule, athlète « aux cuisses longues et fortes » emprunté, avec complaisance, par Proudhon, à un manuel scolaire en latin (La Guerre et la Paix, 1861, édition Rivière, p. 15).

[20] La Pornocratie..., p. 33, 59-63. La Pornocratie..., p. 33, 59-63.

[21] Carnets, 1961, II, p. 11.

[22] La Pornocratie..., p. 30, 92, 198, 235, 265 - Contradictions Politiques, p. 298.

[23] La Pornocratie..., 33, 225, 170 - De la Justice..., t. IV, p. 304 ; - Carnets, 1961, II, p. 12.

[24] La Pornocratie..., p. 59 ; - Contradictions Politiques, p. 274.

[25] La Pornocratie..., p. 191, 194, 267.

[26] Ibid., p. 28 - Carnets, t. I, p. 227, 321, 342-343, 354 ; t. II, p. 202, 363.

[27] Juliette La Messine (la future Madame Adam, connue en littérature sous le nom de Juliette Lamber), Idées antiproudhoniennes, 1858 - Jenny d’Héricourt, La femme affranchie, 1860 ; - cf. Jules L. Puech, Introduction à La Pornocratie..., édition Rivière, 1939, p. 315.

[28] La Pornocratie...

[29] Philosophie de la Misère, t. II, p. 376 ; - cf. également Carnets 1960, t. I, p. 242 : « Tous sont contents pourvu qu’ils baisent (...) On fait l’amour en chien ».

[30] De la Justice..., t. IV, p. 71 ; - Philosophie de la Misère, t. Il, p. 384 ; - Lettre de Proudhon à Joseph Garnier, 23 février 1844 cit. par Sainte-Beuve, P. -J. Proudhon, 1872, p. 105.

[31] La Pornocratie..., p. 250 ; - De la Justice..., t. IV, p. 132.

[32] La Pornocratie..., p. 166 et 23, 31, 108, 113.

[33] Ibid., p. 229.

[34] De la Justice..., t. IV, p. 71.

[35] Avertissement aux Propriétaires, 1842, édition Rivière, 1939, p. 222

[36] La Pornocratie..., p. 164, 247, 261.

[37] De la Justice..., t. IV, p. 131.

[38] Ibid., p. 71.

[39] De la Justice..., t. IV, p. 54.

[40] De la Justice..., t. IV, p. 54-55.

[41] Philosophie de la Misère, édition 1867, t. II, p. 376, 385.

[42] De la Justice..., t. IV, p. 52, 298.

[43] Carnets, t. I, p. 232.

[44] La Justice poursuivie par l’Eglise, 1861, éd. Rivière, 1946, p. 237 ; - Carnets, I, p. 168, 275, 288-289 ; II, p. 113, 128.

[45] La Pornocratie..., cit., p. 252.

[46] De la Justice..., IV, p. 155.

[47] Carnets, I, p. 135, 190.

[48] Philosophie de la Misère, p. 379


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