de Antigone » 08 Mai 2009, 15:35
Tout d'abord, un peu d'histoire..
C'est avec la Guerre de 14-18 que sont apparus les premiers embryons de concertation et de collaboration entre Etat-patronat-syndicats.
Les difficultés crées par la guerre imposaient à la bourgeoisie de rallier la classe ouvrière à l'effort militaire et économique. L'Etat consultait les dirigeants syndicaux, en contre-partie ceux-ci faisaient avaler la pilule de l'effort de production.
C'est la logique du "donnant-donnant" dans laquelle les syndicats se sont engouffrés une fois passées les grandes luttes de l'après-guerre. Ils réclameront le contrôle ouvrier dans l'entreprise, des conventions collectives par branche, une participation aux organismes internationaux qui gèrent le travail. Ils n'obtiendront rien jusqu'en 1936.
Le Front Populaire est surtout une victoire des syndicats plus que des travailleurs.
Le rapport de force créé par les grêves permet aux syndicats d'être reconnus officiellement comme des partenaires incontournables et, c'est grâce à l'institution des délégués du personnel qu'ils commencent à jouer un rôle et donner leur point de vue dans la gestion des entreprises.
Après la Libération, de par l'application du programme du CNR inspiré par le PCF, la collaboration Etat-patronat-syndicat est étendue: création des Comités d'Entreprise, développement des conventions collectives.
Le calcul de la bourgeoisie est simple. Plutôt que d'être inquiétée plus tard par des luttes qui peuvent remettre en cause la bonne marche de l'économie nationale, mieux vaut concéder une partie du pouvoir au profit d'une infime partie de la classe ouvrière, dans les faits au bénéfice des bureaucraties syndicale et politique.
Ces structures de co-gestion vont s'ajuster et se perfectionner avec le temps et la pratique.
Ces gages de bonne conduite donnés par les syndicats pendant une vingtaine d'années vont inciter le pouvoir en 1968 à leur accorder enfin la reconnaissance officielle qu'ils attendaient, les récompensant d'avoir su contrôler le mouvement de grêves dans des limites raisonnables. La "participation" souhaitée par De Gaulle est entérinée.
Les CE reproduisent dans leur pratique, dans leur fonctionnement, de par leurs attributions, la même division de la classe ouvrière que celle qui est organisée par les patrons: Une politique d'alignement sur les conditions d'exploitation dans les entreprises capitalistes, à commencer par une grille hierarchisée des salaires.
L'existence de multiples commissions aux fonctions diverses qui renforce la spécialisation des membres du CE... et les éloignent des réalités du travail vécues par les autres salariés.
Sans oublier que le secrétaire du CE est (presque toujours) désigné par le syndicat à partir des couches les plus élevées de l'entreprise ou ceux qui ont le plus haut niveau d'études.
Car en période d'élection pour le renouvellement du CE, chaque syndicat met en avant ses compétences dans les domaines économiques. Il faut de bons spécialistes pour étudier les rapports financiers, les documents d'orientation pour les salaires et l'emploi. Toute une somme de paperasse qui oblige à faire appel à des experts comptables (souvent sous contrat confédéral) pour comprendre quelque chose. En toute occasion, il faut montrer qu'on est eficace et responsable jusqu'au bout d'une logique, celle qui est imposée par le patronat.
Quand arrive un coup dur (licenciements, mutations...), après que le CE ait été informé par la direction, son rôle n'est surtout pas d'organiser la lutte collective (!) mais de trouver des arrangements avec expertise à l'appui. Responsabilité oblige !
D'ailleurs, les dirigeants d'entreprises ne s'y trompent pas. Ils ont bien compris les énormes avantages qu'offrent ce genre de
participation.
Alors pour mieux s'attacher le service de ces représentants du personnel, on leur fait des petits cadeaux, leur fait bénéficier d'avantages matériels: des "week-ends-loisirs", un détachement pour animer une activité du CE (photo, yoga, voile, FSGT...), des absences, quitter pour un temps la production afin de s'acquitter de son "mandat" etc.
Le militant ouvrier membre d'un CE se détache très vite de sa classe parce que tout est fait pour ça. De plus, la spécialisation
acquise, les connaissances emmagasinées de réunion en réunion lui font remplir, qu'il le veuille ou non, un rôle d'indicateur et de temporisateur (même si cela ne lui semble pas flagrant) de conflits possibles auprès des patrons. Même armé des meilleures intentions, il ne peut échapper à ces pièges qui cherchent à l'éloigner des travailleurs, jusqu'à en rompre les liens, parfois.
Ce système de représentation va à l'encontre de ce refus de la délégation de pouvoir qui devrait servir de ligne de conduite au militant révolutionnaire en entreprise. En acceptant de mettre un doigt dans l'engrenage, il rentre dans les rouages d'un système sur lequel il n'a pas de prise. En plus il ne fait que renforcer la passivité des travailleurs qui s'en remettent à leur délégué, à leurs représentants, et conforter les habitudes sociétales, la division entre ceux qui savent parler et ceux qui les écoutent... Après ça, comment parler aux gens d'auto-organisation des luttes, de ne compter que sur nous-mêmes, sans qu'on se foute de notre gueule ?
Si l'on est assez lucide pour arriver à en sortir par soi-même, on se rend compte très vite du gâchis en perte de temps et d'énergie que ça a représenté et ce que cela nous a coûté. C'est une bêtise, une grave erreur que beaucoup de militants honnêtes font, simplement parce qu'ils croient rendre service, contribuer à changer des petites choses. J'en ai connus (des gens bien) qui en sont sortis tellement épuisés, laminés à force d'avoir ramé à contre-courant, qu'il ont cessé toute activité militante tout de suite après.
Pour "réussir", il faut croire dans le système. Si dès le départ, on n'y croit pas, pire encore quand on se force à y croire, on salit son intégrité et se détruit.
Je connais aussi l'argument selon lequel mieux vaut un CE que rien du tout, ce qui est le cas dans les entreprises de moins de 50 salariés où les travailleurs ont bien moins de protection juridique et sont obligés à avoir recours à des démarches individuelles pour faire valoir leurs droits contre des patrons tout-puissants. Mais c'est l'absence de toute histoire de luttes collectives et l'isolement du reste de la classe ouvrière qui est la cause de cette situation et de toute façon, la solution n'est pas CE ou pas CE, c'est de s'organiser et de lutter collectivement quelle que soit la taille de l'entreprise.
Dans la société capitaliste, l'entreprise créée nécessairement des injustices, des révoltes. Ce sont les patrons et leur logique de profit qui en dont responsables. Alors qu'ils se démerdent avec ! Notre rôle n'est pas de les aider, de leur faire des propositions quelles qu'elles soient, mais de lutter contre leur système, et ce n'est pas en tant que représentant du personnel qu'on y arrive.
J'ai été délégué syndical CGT (à la demande... en fait sur ordre de LO). J'en suis sorti avant d'être complètement démoralisé.
2 ans après avoir porté ce badge, j'étais devenu pro-autonome en toute connaissance de cause.