Depuis quelques semaines, le mouvement des Gilets Jaunes a remis sur le devant de la scène la question des référendums. En France, le référendum d’initiative citoyenne (RIC) est réclamé sur de plus en plus de ronds-points. En Belgique, l’intégration du référendum dans la constitution est également une revendication qui prend de l’importance. Le 25 novembre 2018, dans l’émission C’est pas tous les jours dimanche sur RTL TVI, Stéphanie Servais, gilet jaune de Wandre, a défendu la nécessité de pouvoir sanctionner les représentants politiques qui ne respectent pas leurs engagements via le référendum révocatoire. Le référendum ne constitue pas une solution miracle. Il doit se combiner avec une série d’autres mesures visant à renforcer la démocratie [1]. Mais les Gilets Jaunes ont raison : le référendum peut constituer un élément positif pour avancer vers une démocratie digne de ce nom.
Un outil de démocratie directe à mettre en œuvre intelligemment
En permettant aux citoyen-ne-s de s’impliquer et se positionner sur des enjeux importants, le référendum populaire peut être un outil important de démocratie directe. Au-delà de l’organisation de débats publics et démocratiques, le peuple doit pouvoir directement se prononcer sur toute une série de questions. Bien sûr, il n’est pas envisageable de faire des référendums pour toutes les décisions (d’où l’intérêt d’avoir un régime représentatif efficace). Cependant, pour les décisions qui sortent du mandat qui a été confié aux représentants et qui ont des conséquences importantes et durables sur la vie des gens, un référendum peut se justifier, qu’il soit d’initiative populaire ou convoqué par les mandataires politiques en place.
Selon ses pourfendeurs, le référendum serait dangereux car la population ne serait pas suffisamment éduquée. Consulter le peuple sans lui avoir fourni les outils nécessaires à la compréhension des enjeux, c’est effectivement prendre le risque de favoriser l’irrationnel et le simplisme. Mais il est important de ne jamais envisager les alternatives de manière isolée. Afin de permettre aux citoyens et citoyennes de se positionner en connaissance de cause, organiser un référendum nécessite un débat public argumenté et approfondi, et donc du temps. Dans certaines situations, des référendums peuvent s’organiser relativement vite. La Grèce nous fournit un bon exemple. Le 27 juin 2015, Alexis Tsipras annonçait un référendum pour le 5 juillet, soit un délai d’une semaine. Ce référendum s’est pourtant très bien organisé et la participation fut très forte (62,5 %). Dans tous les cas, refuser le référendum en utilisant l’argument d’immaturité du peuple revient en réalité à refuser le principe même de démocratie et de citoyenneté participatives, et dès lors refuser la démocratie elle-même (même si le peuple a tort, n’est-ce pas à lui de décider ?). C’est aussi nier qu’un référendum constitue justement une occasion d’informer la population, et de l’impliquer dans la gestion de la Cité.
Le référendum pose plusieurs autres problèmes auxquels il faut être attentif. Une question fermée (réponse par oui/non ou pour/contre) n’est pas sans danger pour les questions complexes. La formulation de la question (ou ce qu’elle implique de manière implicite) est également importante et peut influencer fortement la réponse des sondés. De plus, il ne s’agit pas de permettre de faire des référendums sur tout et n’importe quoi. Comme le souligne le CRISP [2], il n’est pas rare que la constitution ou la loi interdise d’organiser un référendum sur certains sujets (comme par exemple la peine de mort ou les droits humains fondamentaux) parce que trop fondamentaux pour être mis en jeu ou susceptibles de provoquer des controverses trop importantes.
... http://www.cadtm.org/Les-gilets-jaunes- ... essaire-de
Histoire : Les sources révolutionnaires du Référendum d’initiative citoyenne
Les débats des gilets jaunes portent sur un projet de Referendum d’initiative citoyenne (RIC). Il est alors utile de signaler que le premier projet de ce genre a été élaboré il y a quelques 225 ans par la Convention nationale et adopté par le vote de millions de citoyens, avec la première Constitution républicaine, en juillet-août 1793.
... http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47287
RIC : les gilets jaunes « piégés », vraiment ?
Qu’un mouvement parti d’une colère contre la taxation du carburant aboutisse en quelques semaines à réclamer un changement institutionnel visant à ce que chacun puisse se prononcer sur les lois sans l’intermédiaire de représentants mérite peut-être un peu plus que de la condescendance. Quelques réflexions...
La revendication qui, en quelques jours, est devenue comme l’étendard des gilets jaunes, a aussitôt susciter contre elle réprobations et critiques de la part des militant.es et activistes aguerri.es, promptes à dénoncer le terrible piège qui se cacherait sous l’exigence du fameux RIC. Si nombre des avertissements énoncés méritent de l’être, on peut quand même s’étonner qu’ils soient formulés de manière aussi péremptoire – il n’y aurait donc rien à sauver dans l’appétit populaire pour un peu de démocratie directe ? Qu’un mouvement parti d’une colère contre la taxation du carburant aboutisse en quelques semaines à réclamer un changement institutionnel visant à ce que chacun puisse se prononcer sur les lois sans l’intermédiaire de représentants mérite peut-être un peu plus que de la condescendance.
1. Que le référendum d’initiative populaire ait été le fer de lance d’Étienne Chouard, dont on connaît les accointances avec des personnalités d’extrême droite, ne devrait pas suffire à discréditer une idée qui, en exprimant la volonté d’un exercice direct du pouvoir législatif, peut tout autant s’affilier avec les véléïtés de démocratie directes des « enragés » de 1789 ou des communards parisiens. Vouloir se passer de représentant, n’est-ce pas acter de manière on ne peut plus claire la défiance envers l’ensemble des politiques, de leurs partis, et des institutions démocratiques actuelles ?
2. N’y voir qu’un piège, en tant qu’il serait facilement assimilable et réappropriable par le gouvernement, c’est occulter la manière dont le RIC est défendu. Si jamais quelque chose du genre devait être octroyé, c’est certain qu’il ne ressemblerait pas vraiment à ce qui est réclamé : les questions posées ne pourront l’être sur n’importe quel sujet, et certainement pas sur la constitution ou la révocation des élus. Plus que de susciter un réflexe critique sans nuance, une pareille proposition devrait plutôt nous interroger sur les brèches béantes qu’elle met à jour. Combien de mouvements ont porté de manière aussi claire une remise en cause profonde de l’électoralisme et du parlementarisme ? Si le dégagisme du « Macron démission » n’exprime pas grand-chose d’autre qu’une personnification des dynamiques politiques et économiques en cours, le RIC dit tout autre chose et dit bien plus : il signe un certain refus de s’en remettre à des représentant.es, quel.les qu’iels soient. Alors certes, il ne s’agit ni d’exiger l’abolition de l’État, ni celle du capitalisme, mais prétendre qu’un tel système référendaire serait aisément soluble dans le programme gouvernemental, c’est négliger tout ce qu’il contient de potentiellement subversif, et que le pouvoir n’est pas prêt d’accepter. Ainsi, plutôt que d’y voir l’occasion de souligner la naïveté des gilets jaunes, les mises en garde critiques gagneraient sûrement à pointer le risque qu’il y aurait à se satisfaire d’un RIC tronqué de ses aspects les plus radicaux.
3. L’exemple du référendum de 2005 sur la constitution européenne montre sans ambiguïté qu’il est possible de ne pas prendre en compte le résultat d’un référendum. Est-ce suffisant pour disqualifier le RIC comme une mesure inepte ? D’une part il ne faudrait pas négliger la défiance et l’amertume durable qu’a engendré un tel passage en force – et donc le degré de conflictualité que produirait la répétition d’un tel scénario. D’autre part, on peut supposer que la partie ne serait pas si facile avec une possible révocabilité des élus. Quant au risque d’une instrumentalisation du RIC par l’extrême droite, et plus largement du poids de la manipulation médiatique sur « l’opinion publique », en plus de mimer les réticences qu’ont toujours exprimé les classes dominantes vis-à-vis de la démocratie et de l’incapacité de la « masse » à se forger une opinion valable, ces craintes ne sont pas plus pertinentes dans le cas du RIC que dans celui de l’élection de représentants.
4. La centralité qu’a acquise le RIC au sein du mouvement des gilets jaunes, au dépend des revendications sociales aux travers desquelles une dimension de classe prenait forme, peut être considéré comme un recul. Mais si le caractère inter-classiste de cette proposition est flagrant, il faut bien voire qu’elle représente aux yeux de beaucoup le moyen d’obtenir par la suite d’autres réformes, ou de s’y opposer, sans avoir à le quémander auprès des élu.es. S’il faut certainement mettre aussi en exergue les exigences qui reflètent le conflit de classe que porte ce mouvement, tout comme l’aspiration à la démission de Macron, cela n’est pas incompatible avec le soutient au RIC, dont le caractère apparemment consensuel apporte aussi aux gilets jaunes une certaine dynamique.
Considérer le RIC tel un piège que se serait eux-même tendu les gilets jaunes paraît non seulement reconduire le mépris qui déjà s’exprimait lorsqu’était fustigée l’opposition aux taxes sur le carburant et le mot d’ordre du pouvoir d’achat – qui pourtant pouvaient dès le départ être entendu et traduit comme un refus de la paupérisation et précarisation – mais tend aussi à minimiser la portée du consensus qui se forme autour de la révocabilité des élus, dont le principe est pourtant historiquement lié aux aspirations et organisations libertaires, et marque une transformation significative du rapport à la politique et aux modèles pseudo-démocratique qui nous dominent. Le raisonnement qui consiste à craindre que le mouvement s’arrête suite à la mise en place d’une forme de référendum d’initiative citoyenne vaut pour tout recul possible du gouvernement, qu’il s’agisse de l’augmentation du SMIC ou du rétablissement de l’ISF. En ce sens, maintenir fermement l’exigence d’une destitution du pouvoir permet de maintenir une conflictualité qu’aucun recul ne peut apaiser, mais cela ne nous empêche pas de tenter d’élargir et d’approfondir la brèche qu’ouvre une volonté massivement partagé d’un exercice direct du pouvoir sur tout sujet, et le désir sous-jacent d’une destitution à terme de tout représentant politique qu’il renferme.
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