NOTE SUR LE 17 NOVEMBRE
La manière dont se sont répandus sur les réseaux sociaux les appels à « manifester » le 17 novembre, à « bloquer des routes ou des ronds-points », ou à « mettre un gilet jaune sur son tableau de bord » est sans aucun doute la traduction sur internet d’un mécontentement social contre ce qui est perçu comme « le gouvernement des riches ». Par contre nul ne peut savoir à ce jour quelle sera la traduction concrète d’une telle agitation virtuelle.
Un ras-le-bol compréhensible
La hausse des prix des carburants, notamment celui du diesel, fait effectivement beaucoup râler ces derniers temps dans les milieux populaires, car elle est perçue comme une mesure de racket à l’égard de toutes celles et ceux qui n’ont souvent pas d’autre choix que d’utiliser leur voiture pour aller travailler ou circuler pour les besoins de la vie quotidienne. Mais il ne faut pas oublier que la baisse des taxes sur les carburants est une vieille revendication du patronat routier pour qui le volume des profits se mesure à l’aune des tonnes de carburant mises dans les cuves de ses camions qu’il répand en masse sur le réseau routier, en contradiction avec toutes les mesures les plus élémentaires de préservation de l’environnement.
Derrière ce ras-le-bol concernant l’augmentation du carburant vient se greffer tout le ras-le-bol contre l’augmentation des prix en général, conséquence du décrochage de plus en plus important entre les salaires (ou les pensions) et l’inflation. Comme l’impopularité du gouvernement est de plus en plus forte, que les réponses proposées par les directions syndicales et le mouvement ouvrier ne sont pas à la hauteur de la colère sociale (aucune suite proposée au 9 octobre mais plus généralement absence de campagne ou d’initiatives concernant la nécessité de prendre sur les profits pour augmenter les salaires ), des appels à une mobilisation « citoyenne », « populaire », «apolitique »… dont l’origine est plutôt « gazeuse », ont permis aux droites extrêmes de s’engouffrer derrière, à défaut de les avoir fomentés directement.
L’extrême droite à la manœuvre
Le premier de la fachosphère à avoir surfé sur ces appels est Franck Buhler, qui a annoncé le 23 octobre sur sa page FB « Patriosphère Infos » ne pas savoir qui avait lancé la «mobilisation générale du peuple français », mais appelle lui aussi à « bloquer tous les axes de circulation principaux pour protester contre les hausses du prix de l’essence ». Sa page est suivie par environ 16 000 personnes mais ses vidéos sur le sujet ont totalisé 3,6 millions de vues. Buhler est un ancien membre fondateur et secrétaire départemental du MPF (et représentant-mandataire de Villiers pour ses campagnes), ancien responsable communication du FN 82 et maintenant délégué de circonscription Debout la France (DLF). Il a joué donc un rôle de relais de cette initiative vers les milieux de droite et d’extrême droite. À ce jour, appellent clairement au 17 novembre : le RN de Le Pen, Debout la France de Dupont-Aignan, mais aussi les (très à droite) Jeunes Républicains.
Pourquoi l’extrême droite est-elle à l’aise sur ces sujets ? Le RN est est déjà en campagne sur la question du prix des carburants depuis début octobre et a juste actualisé son matériel avec l’appel au 17 novembre. En juin dernier, il annonçait que, le 16 juin, « des cortèges de voitures RN se formeront et récolteront étape après étape la signature des citoyens révoltés par l’entêtement du gouvernement. ». Le RN se mobilise contre la « hausse des tarifs des péages, les radars privés embarqués, la réforme du contrôle technique désormais plus cher et plus contraignant et l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires ». Dupont-Aignan rejette les « mesures prises par des gens qui prennent le vélo et le métro et ne connaissent pas la vie des Français ». Le Pen déclare : « Avec cette hausse spectaculaire des prix du carburant, les Français n’en peuvent plus ! La plupart d’entre eux, notamment dans la ruralité, ont besoin de leur voiture pour travailler ». On retrouve là des bases du classique discours sur la déconnexion peuple-élite. S’ajoute la dénonciation d’un racket sous couvert d’écologie. C’est d’ailleurs sous cet argument que le FN pourra aussi dénoncer « l’idéologie fiscaliste du GIEC », à travers les taxes carbone. La fiscalité est toujours une thématique de choix pour l’extrême droite.
Après, rien n’indique que RN et DLF aient vraiment l’intention, voire la capacité, de construire une mobilisation massive dans la rue. L’ex-FN ne fait plus descendre ses militants dans la rue (même plus pour leur 1er mai). Comme Debout la France, les partis « institutionnels » d’extrême droite ne sont pas beaucoup à l’aise avec ce type de manifestation. Un recul du gouvernement serait perçu comme la « victoire du peuple français » face à ses élites. Mais pour DLF et le RN, peu importe l’issue. Dans la mesure où ce sont les seules organisations politiques qui soutiennent, le seul débouché évident sera : « votez bien » (pour nous qui étions à vos côtés). DLF et RN n’ont aucun intérêt que cette mobilisation, en perdurant, se construise sur des bases politiques qui risqueraient leur échapper (faute de militants capable de proposer et orienter une ligne).
Quelle position pour le NPA ?
D’abord, on ne peut pas faire comme si on ignorait que ceux qui relaient politiquement les appels et qui chercheront à en tirer profit politiquement sont les principaux partis d’extrême droite dont le RN de Marine Le Pen. Et du coup il faut le dire, l’expliquer autour de nous, essayer de convaincre celles et ceux qui disent le contraire : l’extrême droite est un ennemi, ce n’est pas une alliée de circonstance avec laquelle on partagerait des revendications communes de manière ponctuelle. Ce n’est pas anodin de risquer d’apparaître dans la rue mélangés avec des gens portant les couleurs d’organisations d’extrême droite… La confusion entretenue par l’extrême droite autour de certaines « valeurs » qui seraient « proches du peuple » est justement une des armes essentielles qui permettent à celle-ci de progresser et de s’implanter.
C’est pour cette raison que les syndicats CGT et Solidaires ont très vite tenu à se démarquer de ces appels au 17 novembre. Leur prise de position contre le 17 novembre font maintenant partie du paysage, et il faut donc faire connaître leurs communiqués, notamment dans les milieux populaires qui pourraient être sensible à la démagogie de l’extrême droite 1.
De plus, l’argument qui consiste à dire qu’il ne faut pas laisser le terrain du 17 novembre à l’extrême droite parce que le 17 novembre part d’un appel « apolitique et sincère »ou de « milieux populaires frappés par la crise » n’est pas un bon argument, car il n’enlève en rien l’absence de délimitation de classe d’une revendication qui peut satisfaire du gros patron routier à « l’usager de la route ». L’extrême droite y est à l’aise parce que l’appel à la base est problématique : on ne fait pas grève, on n’apparaît pas comme « travailleur » mais comme « usager » ou « consommateur ». Conclusion : on ne peut pas faire comme si le mouvement du 17 novembre était juste « insatisfaisant » dans ses revendications, et y aller tranquillement en rajoutant les nôtres, en pensant qu’on va rallier les gens qui seront dans la rue ce jour-là avec la justesse de nos mots d’ordre.
Loin des « Bonnets rouges »…
L’appel au 17 novembre n’a rien à voir avec ce qui était né avec le mouvement des « Bonnets rouges » en Bretagne, qui mêlait dès le départ revendications patronales et ouvrières certes contradictoires (mais dont justement la particularité était de se mêler) et donc où existait la possibilité de défendre les unes ou les autres. Il était donc possible d’essayer de favoriser celles de la classe ouvrière de manière indépendante avec la politique « du pôle ouvrier », en particulier parce qu’une mobilisation des travailleurs préexistait au mouvement et que celui-ci a démarré par une manifestation de masse à Quimper (un lieu unique qui permettait aussi l’expression claire des revendications de notre camp social dans un cortège identifié). Ce n’est pas le cas pour ce 17 novembre. Rappelons d’ailleurs que le NPA n’était pas le « pôle ouvrier » mais un des éléments de celui-ci, et qu’il s’appuyait sur une véritable présence de travailleurs identifiés et regroupés par lieux de travail/de production.
Bien sûr que la question du prix des marchandises, des taxes injustes (et notamment la TVA, qui grève une bonne part du prix de l’essence mais aussi de tous les produits de grande consommation), devrait relever des préoccupations premières des organisations du mouvement ouvrier, notamment des organisations syndicales. Si celles-ci étaient à la hauteur de la situation, elles pourraient proposer et construire des initiatives larges autour de revendications pour le monde du travail, sans laisser le terrain à nos pires ennemis. Car nous partageons la colère des classes populaires par rapport à leur niveau de vie qui s’étrangle, et il faut dénoncer à la fois le blocage/le gel des salaires/des pensions et la non-indexation de ceux-ci sur le coût de la vie. Cela nécessite de mettre en avant la nécessité et d’une augmentation générale des salaires et de l’échelle mobile des salaires, ainsi que la disparition de toutes les taxes les plus injustes, notamment la TVA. Tout ce que ne dit pas ce 17 novembre, et les organisateurs et organisations qui y appellent…
Des choses à dire, mais pas dans les rassemblements du 17 novembre
Nos revendications ne peuvent pas s’arrêter aux taxes sur l’essence. Il faut défendre une perspective écosocialiste, avec le développement des transports en commun et leur gratuité ! Il faut défendre la nécessité de prendre sur les profits des capitalistes pour augmenter nos salaires et financer le développement des moyens de transports utilisant des énergies non polluantes et renouvelables. Et il faut bien sûr défendre le modèle d’une autre société où nous n’aurons pas à nous serrer la ceinture pour mettre 10 litres de plus dans le réservoir de notre bagnole pour aller bosser pour des salaires de misère. Oui, il faut revoir l’organisation de la société toute entière. Ce ne sont pas seulement les taxes qui nous mettent à genou mais l’ensemble du système capitaliste…
Et ce n’est pas seulement un samedi par an, sur la base de mots d’ordre interclassistes, que l’on « veut emmerder le gouvernement ». Ce que nous voulons, c’est bloquer l’économie du pays pour faire reculer les patrons et le gouvernement, leur disputer la marche de la société. Pour y arriver nous devrons faire grève, construire un mouvement d’ensemble, dans la durée, nous organiser de manière démocratique, défendre nos intérêts de classe, travailleurs français et immigrés, unis face au patronat, et à tous ses serviteurs, qu’ils soient actuellement au gouvernement ou qu’ils rêvent d’y accéder demain.
Tout cela, nous allons le dire et le redire autour de nous ces prochaines semaines. Mais nous ne pourrons pas le dire le samedi 17 novembre, dans ces rassemblements « citoyens » (qui marcheront ou pas d’ailleurs, mais ce n’est pas notre critère pour savoir si on doit y aller) aux allures de foire poujadiste, dans lesquels nous nous retrouverions au côté des ennemis les plus farouches du mouvement ouvrier. Des rassemblements que nous ne pourrons pas, en outre, étant donné leur nature et au vu des rapports de forces réellement existants, numériques et idéologiques, vis-à-vis de l’extrême droite, « transformer » comme par magie en rassemblements ayant un réel contenu de classe, porteurs d’une colère saine et non dévoyée contre ce système.
1- Solidaires :
https://solidaires.org/Hausse-des-prix- ... ulation-deCGT :
http://cgt.fr/Entre-exasperation-et-ins ... ation.html