Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 18 Mar 2018, 19:07

Reiner Tosstorff : La confrontation du syndicalisme révolutionnaire avec le bolchevisme

Suivi de : Commentaires sur le texte de Tosstorff

Monde-nouveau.net présente ici un texte très intéressant d’un historien allemand, Reiner Tosstorff, sur la confrontation entre le syndicalisme révolutionnaire et le bolchevisme dans la période qui a immédiatement suivi la révolution russe, lors de la constitution de l’Internationale syndicale rouge, peu après la fondation de l’Internationale communiste, dont le centenaire surviendra en 1919. Reiner Tosstorff enseigne l’histoire à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence. Il est l’auteur d’une histoire du Profintern en allemand (Paderborn 2004). D’autres publications récentes couvrent l’histoire du POUM dans la guerre civile espagnole et des aspects de l’Organisation internationale du Travail dans la période de l’entre-deux guerres. Il travaille actuellement sur une biographie de Robert Dissmann, un leader des ouvriers de la métallurgie allemande dans les premières années de la République de Weimar. Sa thèse sur l’Internationale syndicale rouge a récemment été traduite en anglais : The Red International of Labour Unions (RILU) 1920 – 1937. Le livre était originellement accessible au prix prohibitif de 243 euros ; il vient d’être édité en format "de poche" aux prix de 50 euros chez Haymarket Books.


Résumé

La révolution russe de 1917 représenta une grande opportunité pour
la gauche internationale, mais elle exacerba également les tensions
entre ceux qui préconisaient la révolution par le bas grâce à l’action
industrielle, et ceux qui soutenaient la conception léniniste du parti
d’avant-garde. Cet article utilise des documents d’archives
soviétiques jusqu’à présent secrets et se concentre sur les dialogues
et les tensions entre les organes de l’État bolchevique naissant et les
organisations syndicalistes révolutionnaires étrangères post-1917, et
sur l’apparition ultérieure d’un courant anarcho-syndicaliste
distinctif.

PDF : http://www.monde-nouveau.net/IMG/pdf/co ... -2018_.pdf et http://www.monde-nouveau.net/IMG/pdf/co ... storff.pdf

http://www.monde-nouveau.net/spip.php?article671
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 22 Mar 2018, 22:57

Conférence/débat sur la Révolution russe

Toulouse vendredi 23 mars 2018
à 19h, la Chapelle 36 rue Danièle Casanova

L’Alternative libertaire 31, vous invite à une conférence/débat

Pourquoi parler de la la Révolution Russe de 1917 en 2018 ?

Parce que le mouvement libertaire russe est décapité après son action en 1917, tout d’abord à Moscou, dans la nuit du 12 au 13 avril.

Derrière, cette répression sanglante ce sont des désaccords profonds sur la conduite de la révolution d’octobre 1917 qui opposent bolcheviques aux anarchistes : Soviétisation de l’économie contre socialisation, autoritarisme étatique contre démocratie directe, Armée rouge contre milices populaires, paix avec l’Allemagne ou bien développement de la guérilla.

Les masses populaires russes qui s’étaient mises en mouvement dès février 1917 ont été les grandes perdantes de la Révolution et cent années plus tard, la Russie ne s’est toujours pas sorti du carcan autoritaire étatique.

Comme le disait justement l’anarcha-féministe américaine Emma Goldman :

« Les méthodes des bolcheviques ont démontré de façon concluante comment il ne faut pas faire la révolution »

Nous réfutons, le monopole de la critique qu’exercent la droite et l’extrême droite sur le Régime soviétique naissant, car les anarchistes ont dès 1922 dénoncé la « terreur rouge » et le capitalisme d’État.

Se pencher sur la période révolutionnaire russe est-il toujours d’actualité ?

Oui car les enseignements du passé peuvent nous permettre d’éviter de reproduire des écueils qui ferait barrage à l’établissement futur d’une société communiste libertaire.

https://alternativelibertairetoulouse.w ... ion-russe/
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 05 Avr 2018, 14:33

La malédiction du centralisme

Image

" Il s’agit là de la première critique d’ensemble du régime bolchévik d’un point de vue anarchiste, parue en Allemagne en 1921 sous le titre "La faillite du communisme d’État russe".
Rudolf Rocker, militant anarcho-syndicaliste, avait au cours d’une longue période d’exil à Londres participé aux combats des ouvriers de la confection contre l’exploitation ; rentré en Allemagne en 1918, il avait œuvré au regroupement des militants anarcho-syndicalistes.
Dans ce livre, il montre comment, devenus maîtres des Soviets qui étaient nés de l’action spontanée des masses, les bolcheviks, après s’être emparés des pouvoir étatiques, en ont usé pour tenter d’intégrer à l’appareil d’État toutes les autres tendances révolutionnaires, ainsi que pour diffamer, calomnier, éliminer et massacrer quiconque refusait de se soumettre. S’appuyant sur des témoignages de première main, il dénonce les méthodes des bolcheviks qui ont, par exemple, cyniquement trahi le pacte conclu avec les troupes de Makhno, aggravé la famine qui sévissait déjà en détruisant les communes et les coopératives paysannes et ont fondé un État tout-puissant, prétendument socialiste, instrument d’une nouvelle forme de l’esclavage salarié. "

Présentation par les Éditions Spartacus.

“Les Soviets trahis par les bolcheviks”.

Douzième partie. D’après l’édition n°B-53 de la revue Spartacus mai-juin 1973.

« Non seulement le centralisme, aujourd'hui devenu un dogme pour les partisans de la plupart des tendances socialistes, n'a pas été capable d'établir l'unité du mouvement ouvrier désirée par tous, mais il n'a pas su non plus maintenir l'unité dans son propre parti. Plus une tendance déterminée a mis les positions centralistes au premier plan et plus grand a été son échec, précisément en ce domaine. On trouve une remarquable Illustration de cette règle dans l'état des différents partis communistes nationaux. Presque partout ont eu lieu des scissions et, là même où l'unité du parti est péniblement sauvegardée, on en aperçoit la fragilité interne, ce qui est particulièrement visible en Allemagne, où les scissions sont phénomènes intégrants du répertoire des partis communistes. Que l'on n'aille pourtant pas s'imaginer que cette pitoyable situation pousse ces braves gens à la réflexion ! Au contraire, après chaque fiasco, on s'efforce de renforcer encore le centralisme et de durcir la discipline jusqu'à pouvoir enfin annoncer à ses lecteurs, comme le «Kommunist» de Stuttgart : «Un membre du Parti doit être prêt à se tuer sur ordre du Parti. Bref, toute volonté personnelle doit disparaître».

Une déclaration où la folie atteint un niveau qui fait craindre pire qu'un ramollissement du cerveau !

On s'est autrefois battu pour la meilleure forme d'Église, théologiens protestants et catholiques cherchaient à se surpasser mutuellement en subtilités métaphysiques et les peuples épiaient leurs paroles avec une crainte respectueuse. Les quelques rares esprits audacieux qui, au cours des siècles, virent clairement que la cause du mal ne résidait pas dans la forme de l'Église, mais dans son existence, furent en butte à l'hostilité générale, méconnus et diffamés de leurs contemporains. Plus tard, naquit la dispute au sujet de la meilleure forme d'État. Les différents partis politiques, qui jouent dans la sphère du pouvoir d'État le même rôle que les différentes écoles théologiques dans celle de l'Église, et ne sont au fond pas autre chose que des théologiens d'État, rivalisant entre eux dans la découverte de la meilleure forme d'État. Mais combien peu, encore une fois, virent clairement que disputer sur la forme signifiait méconnaître le vrai problème, que la racine profonde du mal n'était pas dans la forme, mais dans l'existence de l'État, qu'il ne s'agit enfin pas tellement de savoir comment nous sommes gouvernés, mais du simple FAIT QUE NOUS SOMMES GOUVERNÉES.

Aujourd'hui, c'est l'idée du centralisme, cette invention originale de l'État, qui obsède les esprits. Le centralisme est devenu la panacée de notre temps et, tout comme on se querellait jadis pour la meilleure forme d'Église et aujourd'hui encore pour la meilleure forme d'État, on recherche maintenant tous les manques et les torts du système centraliste dans ses représentants fortuits, et non pas dans le système lui-même. On nous dit que le centralisme, c'est le rassemblement des forces, la concentration de la manifestation de la volonté prolétarienne sur un but déterminé, en un mot l'unité de l'action. Cette affirmation n'est cependant qu'une honteuse méconnaissance des faits et, dans de nombreux cas, qu'un mensonge conscient, dont on tient l'emploi pour justifié et sensé dans l'intérêt du parti. Le centralisme n'a jamais été une unification des forces, mais bien la paralysie de la force; c'est l'unité artificielle de haut en bas, qui cherche à atteindre son but par l'uniformisation de la volonté et l'élimination de toute initiative indépendante - l'unité d'action d'un théâtre de marionnettes, dont chaque personnage saute et danse au gré de celui qui tire les ficelles dans les coulisses. Mais que les fils viennent à casser, et la marionnette s'écroule.

Que l'État vole dans la centralisation la forme d'organisation la plus parfaite est tout à fait naturel et l'on comprend qu'elle soit le but des efforts de ses soutiens. En effet, pour l'État, l'uniformisation de la pensée et de l'action est une condition préalable essentielle de sa propre existence. Il hait et combat l'initiative personnelle, le rassemblement volontaire des forces né de la solidarité interne. Pour lui, chaque citoyen n'est qu'une roue sans vie dans un grand mécanisme, dont la place dans la machine est exactement fixée: en un mot, la suppression de l'indépendance personnelle, qu'il cherche à obtenir par la centralisation des forces, est une question vitale. Sa tâche principale est de former des sujets loyaux et d'élever la médiocrité intellectuelle à la hauteur d'un principe. Pas une action sans ordre, pas une décision sans inspiration d'en haut. Une bureaucratie desséchée et une imitation sans esprit de formes prescrites, telles sont les inévitables conséquences de toute centralisation.

Unité des forces, indépendance de la pensée et de l'action

Pour le mouvement ouvrier révolutionnaire, ce sont des conditions entièrement différentes qui sont nécessaires, s'il veut atteindre ses buts. Pensée indépendante, saisie critique des choses, besoin personnel de liberté et activité créatrice sont les conditions préalables les plus importantes de sa victoire finale. C'est pourquoi tout centralisme dans le mouvement ouvrier est un revers réactionnaire, qui menace son existence même et repousse ses buts propres dans des lointains nébuleux. Pour un mouvement vraiment libertaire, le fédéralisme est la seule forme d'organisation possible; loin de signifier l'émiettement des forces et de s'opposer à une action unifiée, il est au contraire unité des forces, mais une unité issue de la conviction de chaque membre, qui s'appuie sur l'action volontaire et libre de chaque groupe particulier, sur la solidarité vivante de leur communauté. Pour lui, l'indépendance de la pensée et de l'action est le fondement de toute acte unitaire. Il ne cherche pas à atteindre ses fins par l'uniformité de décrets pris au sommet, mais par la réunion planifiée et librement consentie de toutes les forces existantes poursuivant le même but.

En Russie, le centralisme, qui a trouvé son expression la plus parfaite dans la dictature, a étouffé la Révolution avant d'en revenir, en fin de compte, au capitalisme. En Allemagne, où le pouvoir politique échut dans son entier, en novembre 1918, aux partis socialistes, aucune tentative sérieuse ne fut faite pour construire la vie économique sur des bases nouvelles et l'on ne dépassa pas les phrases banales sur la socialisation. En Russie, la Révolution fut enterrée par la dictature, en Allemagne par la Constitution. Dans les deux cas, le socialisme échoua sur l'écueil de la politique du pouvoir des partis socialistes. En Allemagne, la politique du pouvoir de la social-démocratie «modérée» nous a conduit à la dictature de Noske; en Russie, la politique du pouvoir de la social-démocratie «radicale» à la dictature de Lénine et de Trotski. Dans les deux cas, le résultat lut le même: l'asservissement sanglant des classes non possédantes et le triomphe de la réaction capitaliste.

L'ère Noske fut l'âge d'or de la prison préventive, de l'état de siège et des tribunaux militaires d'exception. Aucun gouvernement bourgeois n'avait dans ce pays, osé fouler autant aux pieds les droits des travailleurs que ce fut le cas sous la domination des despotes socialistes; même les sombres temps des «lois antisocialistes» de Bismarck pâlissent en comparaison du régime de terreur de Noske.

L'ère Lénine-Trotski est I’âge d'or de la mise au ban de tous les vrais socialistes et révolutionnaires, l'époque du manque de droits total de la classe ouvrière, de la Tchéka et des exécutions en masse. Il devait lui être donné de pousser à l'extrême toutes les horreurs du système tsariste.

Ces deux ères ont fait tout ce qu'il est humainement possible de faire pour opprimer sans merci toute liberté et violer brutalement toute dignité humaine. Toutes deux ont pitoyablement échoué lorsqu'il s'est agi de faire passer dans la réalité les exigences véritablement socialistes.

Espérons que la classe ouvrière tirera la leçon de ces tristes résultats et qu'elle commencera enfin à comprendre que les partis politiques, pour radicaux qu'ils se donnent, sont absolument incapables de mener à bien la réorganisation de la société dans le sens socialiste, parce que toutes les conditions nécessaires à cette tâche leur font défaut. Toute organisation à forme de parti est axée sur la conquête du pouvoir et repose sur l'ordre imposé d'en haut. Aussi est-elle hostile à tout devenir organique se développant du sein du peuple, car elle elle ne peut tout simplement comprendre les énergies et capacités créatrices qui y sommeillent. Les réveiller et les porter à s'épanouir, telle est la tâche principale du socialisme, qui ne peut toutefois être réalisée qu'au sein des organisations économiques de la classe ouvrière, qui est seule appelée à initier et à mener à bien l'orientation socialiste de la société. C'est là que les travailleurs doivent être préparés à cette grande tâche Il convient d'étudier les rapports internes de la production et de la distribution des produits créés par eux, d'acquérir et d'approfondir le sens de l'administration des entreprises ainsi que de saisir les rapports naturels entre l'agriculture et l'Industrie, pour pouvoir répondre aux exigences d'une situation révolutionnaire. Cette activité, appuyée par des expériences pratiques là où elles sont possibles, est la seule véritable éducation pour le socialisme. La grande association économique des travailleurs intellectuels et manuels, et non le parti, voilà le point qui nous conduira à la société socialiste et ce pont doit être jeté par les masses elles-mêmes, aujourd'hui esclaves du salariat.

“Qui détient le pouvoir en abuse”

Certes, nous aussi savons que les révolutions ne se font pas avec de l'eau de rose et que les classes possédantes ne renonceront pas d'elles-mêmes à leurs privilèges. Au jour de la révolution victorieuse, le peuple travailleur devra imposer sa volonté aux actuels possesseurs du sol et des moyens de production. Mais ceci ne peut être réalisé, à notre avis, que par la prise en mains du capital social et la démolition de l'appareil de coercition politique, qui a été jusqu'ici le plus solide rempart de toute exploitation des masses, et le sera toujours. Cet acte est pour nous un acte de libération, une manifestation de justice sociale, c'est le point central et essentiel de la révolution sociale, qui n'a rien de commun avec l'idée purement bourgeoise d'une dictature.

Le prolétariat doit se débarrasser des idéologies bourgeoises des révolutions politiques, qui trouvent toujours leur aboutissement dans une nouvelle occupation de l'appareil du pouvoir politique. Qui détient le pouvoir en abuse; c'est pourquoi il faut empêcher toute prise du pouvoir, que ce soit par un parti ou par des individus, car elle mène toujours à un nouvel esclavage pour le peuple. Que ceci se passe sous le signe du sceptre ou de la faucille et du marteau, aux accents du «Boché Zaria Njrani» ou de I'«Internationale», il n'y a pas, au fond, grande différence. Une vraie libération n'est possible que lorsque l'appareil du pouvoir disparaît, car le monopole du pouvoir n'est pas moins dangereux que celui de la propriété. C'est seulement ainsi qu'il sera possible d'éveiller toutes les énergies qui sommeillent dans le peuple pour les faire servir à la Révolution. C'est ainsi, aussi, que disparaîtra la possibilité pour un parti - et pour la simple raison qu'il est parvenu à s'emparer du pouvoir - d'opprimer toutes les tendances véritablement révolutionnaires, parce qu'il le faut soi-disant «dans l'intérêt de la Révolution», bien que l'on sache que, dans ce cas, I'«intérêt de la Révolution» ne signifie jamais que celui du Parti ou d'une poignée de politiciens avides de pouvoir et sans scrupules.

LES SOVIETS, ET NON LES BOLCHEVIKS - LA LIBERTÉ, ET NON LA DICTATURE -

LE SOCIALISME, ET NON LE CAPITALISME D'ÉTAT !

TOUT PAR LES CONSEILS ET PAS DE POUVOIR AU-DESSUS DES CONSEILS ! TELLE EST NOTRE DEVISE, QUI SERA AUSSI CELLE DE LA RÉVOLUTION. »

Rudolf ROCKER


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... lisme.html
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 01 Sep 2018, 19:57

Les révolutions russes (1917-1918)

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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 02 Sep 2018, 18:39

INTERVIEW : Théorie critique du bolchevisme.

Avec René Berthier sur Radio Libertaire.

http://www.ekouter.net/theorie-critique ... taire-3758

Enregistré en 2017
Posté le 21.06.2018
Durée : 1 heures 21 minutes 23 secondes

Description :
À l’occasion du centenaire de la Révolution bolchévique, René Berthier, auteur d’Octobre 1917. Le Thermidor de la Révolution russe, nous propose une théorie critique du bolchévisme comme idéologie et comme politique.
Cet événement d’une ampleur jamais vue allait bouleverser le monde et orienter durablement le destin de la classe ouvrière internationale. Il appartient maintenant aux historiens de le restituer dans toute sa complexité en montrant l’extraordinaire vitalité et diversité des expériences que les acteurs de cette révolution ont tenté de mettre en place.

Émission "Sortir du capitalisme", animée par Armel Campagne.

http://www.ekouter.net/theorie-critique ... taire-3758

Théorie critique du bolchévisme

À l’occasion du centenaire du coup d’Etat d’Octobre 1917, une théorie critique du bolchévisme comme idéologie et comme politique – avec René Berthier, auteur d’Octobre 1917. Le Thermidor de la Révolution russe (CNT – Région parisienne, 1997).
Avec une théorie critique du léninisme, de sa stratégie révolutionnaire autoritaire, de son opportunisme théorique comme pratique, et enfin de sa politique de noyautage des soviets, des syndicats et des conseils d’usines [1ère partie, 30 minutes]

Avec une théorie critique du capitalisme d’Etat comme idéal pragmatique de Lénine, du centralisme bolchévique, de son scientisme et de sa logique d’élimination des oppositions en-dehors et au sein du parti [2ème partie, 40 minutes]
Liens

L’autre émission au sujet de 1917
http://sortirducapitalisme.fr/240-revol ... dre-skirda

Les notes de lecture au sujet de 1917 et du bolchévisme
http://sortirducapitalisme.fr/notes-de- ... e-de-parti

http://sortirducapitalisme.fr/notes-de- ... tion-russe
Autres émissions

http://sortirducapitalisme.fr/156-un-si ... -davranche


Les bolchéviques

« À l’ordre du jour s’inscrivent en particulier les mesures à prendre pour renforcer la discipline et accroître la productivité du travail. […] Il s’agit, par exemple, d’introduire le salaire aux pièces, d’appliquer les nombreux éléments scientifiques et progressifs que contient le système Taylor […] La soumission pendant le travail, et une soumission absolue aux ordres personnels des dirigeants soviétiques, dictateurs élus ou nommés par les institutions soviétiques, investis de pleins pouvoirs dictatoriaux […], est assurée d’une façon encore insuffisante » (Lénine, Œuvres, tome 27, pp. 329-330, cité dans Skirda 2000, p. 88)

« Qu’est-ce que le capitalisme d’Etat sous le pouvoir des soviets ? Etablir à présent le capitalisme d’Etat, c’est appliquer le recensement et le contrôle qu’appliquaient les classes capitalistes […] L’Allemagne nous offre un modèle de capitalisme d’Etat […] Mais si vous réfléchissez un tant soit peu à ce que signifierait en Russie, dans la Russie des soviets, la réalisation des bases de ce capitalisme d’Etat, quiconque a gardé son bon sens […] devra dire que le capitalisme d’Etat serait pour nous le salut » (Lénine, Œuvres, tome 27, p. 305, cité dans Skirda 2000, p. 90).

« Quatrième argument des avocats de la bourgeoisie : le prolétariat ne pourra pas « faire fonctionner » l’appareil d’Etat. Cet argument n’offre rien de nouveau par rapport au précédent. Naturellement, nous ne pourrions ni assimiler techniquement l’ancien appareil, ni le faire fonctionner. Le nouvel appareil, les Soviets, est déjà mis en mouvement par le « puissant essor créateur des forces populaires ». Il suffit de dégager cet appareil des entraves qui lui ont été imposées par la domination des chefs socialistes-révolutionnaires et menchéviks. Cet appareil fonctionne déjà ; il suffit de rejeter ce monstrueux attirail petit-bourgeois qui l’empêche d’avancer toujours à pleine vitesse. […]
Le monopole des céréales, la carte de pain n’ont pas été créés par nous, mais par l’Etat capitaliste en guerre. C’est lui qui a d’ores et déjà créé l’obligation générale du travail dans le cadre du capitalisme, – ce qui est un bagne militaire pour les ouvriers. Mais ici encore, comme dans toute son œuvre historique, le prolétariat emprunte ses armes au capitalisme, il ne les « imagine » pas, il ne les « tire pas du néant ». […] Ce moyen de contrôle, cette obligation du travail sont autrement puissants que les lois de la Convention et que sa guillotine. La guillotine n’était qu’un épouvantail qui brisait la résistance active. Cela ne nous suffit pas. […]
Nous ne devons pas seulement « épouvanter » les capitalistes, c’est-à-dire leur faire sentir la toute-puissance de l’Etat prolétarien et leur faire oublier l’idée d’une résistance active contre lui. Nous devons briser aussi leur résistance passive, incontestablement plus dangereuse et plus nuisible encore. Nous ne devons pas seulement briser toute résistance, quelle qu’elle soit. Nous devons encore obliger les gens à travailler dans le cadre de la nouvelle organisation de l’Etat. Il ne suffit pas de « flanquer à la porte » les capitalistes, il faut (après avoir flanqué à la porte les « récalcitrants » bons à rien et incurables) les mettre au service du nouvel Etat. Ceci concerne autant que les capitalistes une certaine couche des dirigeants intellectuels bourgeois, des employés, etc. Et nous avons les moyens de le faire. L’Etat capitaliste en guerre nous a lui-même mis entre les mains les moyens et les armes pour cela. Ces moyens, ce sont le monopole des céréales, la carte de pain, l’obligation générale du travail. « Qui ne travaille pas ne mange pas », telle est la règle fondamentale, la règle première, essentielle que peuvent appliquer et qu’appliqueront les Soviets de députés ouvriers, quand ils accéderont au pouvoir. […]
Les Soviets institueront le livret de travail pour les riches, et ensuite progressivement pour toute la population (dans un pays agricole, il est vraisemblable que pendant longtemps le livret de travail ne sera pas nécessaire pour l’immense majorité des paysans). Le livret de travail cessera d’être le signe qu’on fait partie de la « plèbe », il cessera d’être l’attribut des classes « inférieures », la preuve de l’esclavage salarié. Il deviendra la preuve que dans la nouvelle société il n’y a plus d’ « ouvriers », mais que par contre il n’y a plus personne qui ne soit un travailleur. […]
Nous aurons besoin de bons organisateurs du système bancaire, de gens capables de grouper les entreprises (dans ce domaine, les capitalistes ont plus d’expérience et avec des gens expérimentés, le travail marche mieux) ; il nous faut en nombre toujours plus grand que par le passé des ingénieurs, des agronomes, des techniciens, des spécialistes de tout genre, instruits et cultivés, dira l’Etat prolétarien. A tous ces travailleurs nous donnerons un travail approprié à leurs forces et à leurs habitudes ; nous n’instituerons vraisemblablement que peu à peu l’égalité des salaires dans toute la mesure du possible, laissant pendant la période transitoire un salaire plus élevé aux spécialistes, mais nous les soumettrons au contrôle total des ouvriers, nous obtiendrons la mise en application complète et sans réserve de la règle : « qui ne travaille pas ne mange pas ».
Et nous n’inventons pas une forme d’organisation du travail, nous l’empruntons toute faite au capitalisme : banques, cartels, usines modèles, stations expérimentales, académies, etc. ; il nous suffira d’emprunter les meilleurs types d’organisation à l’expérience des pays avancés. Et, naturellement, nous ne tomberons pas le moins du monde dans l’utopie, nous n’abandonnerons pas le terrain du calcul le plus sensé et le plus pratique, si nous disons : la classe capitaliste dans son ensemble opposera la résistance la plus acharnée, mais l’organisation de la population tout entière dans les Soviets brisera cette résistance, et il faudra, cela va de soi, punir par la confiscation de tous leurs biens et par la prison les capitalistes particulièrement obstinés et récalcitrants. » (Lénine, « Les bolchéviks garderons-ils le pouvoir ? » [Octobre 1917], Œuvres, t. 26, pp. 81-134, je souligne).

« Dans toute révolution socialiste, lorsque le prolétariat a réglé le problème de la prise du pouvoir, et à mesure que s’accomplit, dans ses grandes lignes, la tâche qui consiste à exproprier les expropriateurs et à écraser leur résistance, une tâche essentielle passe inéluctablement au premier plan : réaliser une structure sociale supérieure à celle du capitalisme, c’est-à-dire augmenter la productivité du travail et, en rapport avec cela (et pour cela), organiser le travail sur un mode supérieur. […]
Pour atteindre l’essor économique, il faut encore développer la discipline des travailleurs, leur habileté au travail, leur diligence, intensifier et mieux organiser le travail. […] L’avant-garde la plus consciente du prolétariat de Russie s’est déjà assigné la tâche de développer la discipline du travail. […] Il faut inscrire à l’ordre du jour, introduire pratiquement et mettre à l’épreuve le salaire aux pièces ; appliquer les nombreux éléments scientifiques et progressifs que comporte le système Taylor, proportionner les salaires au bilan général de telle ou telle production ou aux résultats de l’exploitation des chemins de fer, des transports par eau, etc., etc. […] Comparé aux nations avancées, le Russe travaille mal. […]
Apprendre à travailler, voilà la tâche que le pouvoir des soviets doit assigner au peuple dans toute son ampleur. Le dernier mot du capitalisme sous ce rapport, le système Taylor, de même que tous les progrès du capitalisme, combine la cruauté la plus raffinée de l’exploitation bourgeoise aux conquêtes scientifiques les plus précieuses […]. La république des Soviets doit faire siennes, coûte que coûte, les conquêtes les plus précieuses de la science et de la technique dans ce domaine […]. Nous pourrons réaliser le socialisme justement dans la mesure où nous aurons réussi à combiner le pouvoir soviétique et le système soviétique de gestion avec les plus récents progrès du capitalisme. […] Il faut […] que l’in use des moyens de contrainte, de façon que le mot d’ordre de dictature du prolétariat ne soit pas discrédité par l’état de déliquescence du pouvoir prolétarien dans la vie pratique […].
Il faut dire que toute grande industrie mécanique, qui constitue précisément la source et la base matérielle de production du socialisme, exige une unité de volonté rigoureuse […]. Mais comment assurer une rigoureuse unité de volonté ? Par la soumission de la volonté de milliers de gens à celle d’une seule. Cette soumission […] pourra revêtir des formes tranchées, dictatoriales, si la parfaite discipline et conscience font défaut » (Lénine, « Les tâches immédiates du pouvoir des soviets », Œuvres, tome 27, je souligne, cité dans Skirda 2000, pp. 109-110).

« Le capitalisme d’Etat serait un pas en avant par rapport à l’état actuel des choses dans notre république des Soviets. Si dans six mois par exemple, nous avions instauré chez nous le capitalisme d’Etat, ce serait un immense succès […]. Tant que la révolution tarde encore à éclore en Allemagne, notre devoir est de nous mettre à l’école du capitalisme d’Etat des Allemands, de nous appliquer de toutes nos forces à l’assimiler, de ne pas ménager les procédés dictatoriaux pour l’implanter en Russie encore plus vite que ne l’a fait Pierre le Grand pour les mœurs occidentales dans la vieille Russie barbare, sans reculer devant l’emploi de méthodes barbares contre la barbarie » (Lénine, « Sur l’infantilisme de gauche et les idées petites-bourgeoises, mai 1918 », Œuvres, tome 27, pp. 337-370).

« On appelle prolétariat la classe occupée à produire les biens matériels dans les entreprises de la grande industrie capitaliste. Etant donné que la grande industrie capitaliste est ruinée et que les fabriques et usines sont immobilisées, le prolétariat a disparu [sic]. […] Si le capitalisme se rétablit [sous la forme du capitalisme d’Etat], ce sera aussi, par conséquence, le rétablissement de la classe du prolétariat [sic] » (Lénine, Œuvres, tome 33, p. 59).

« L’État doit devenir un « patron » […], un négociant en gros » (Lénine, Œuvres, tome 33, p. 51).

« Le recensement et le contrôle, telle est la tâche économique essentielle de tout Soviet des députés ouvriers, soldats et paysans, de toute société de consommation, de toute association ou comité de ravitaillement, de tout comité d’usine ou de tout organe de contrôle ouvrier en général. […] Le recensement et le contrôle, à condition qu’ils soient assurés par les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans, en leur qualité de pouvoir suprême de l’État, ou d’après les indications et au nom de ce pouvoir - le recensement et le contrôle généralisés, universels, absolus, de la quantité de travail et de la répartition des produits, - tel est le fond même de la transformation socialiste, une fois la domination politique du prolétariat acquise et assurée. […]

Pas de quartier pour ces ennemis du peuple, ces ennemis du socialisme, ces ennemis des travailleurs. Guerre à mort aux riches et à leurs pique-assiettes, les intellectuels bourgeois ; guerre aux filous, aux fainéants et aux voyous. Les uns et les autres sont frères jumeaux, la progéniture du capitalisme, les rejetons de la société des seigneurs et des bourgeois, où une poignée d’individus spoliait et bafouait le peuple, société où l’indigence et la misère poussaient des milliers et des milliers d’hommes dans la voie de la canaillerie, de la vénalité, de la filouterie, de l’oubli de la dignité humaine, société qui inculquait nécessairement aux travailleurs le désir d’échapper à l’exploitation, fût-ce par un subterfuge, de se tirer d’affaire, de se débarrasser, ne serait-ce que pour une minute, d’un travail rebutant. […]

Les riches et les filous sont les deux faces d’une même médaille ; ce sont les deux catégories principales de parasites nourris par le capitalisme ; ce sont les principaux ennemis du socialisme, des ennemis qu’il faut placer sous la surveillance particulière de toute la population, et contre qui il faut sévir implacablement à la moindre infraction aux règles et aux lois de la société socialiste. Toute faiblesse, toute hésitation, toute sentimentalité à cet égard seraient le plus grand des crimes envers le socialisme. […]
Des milliers de formes et de procédés pratiques de recensement et de contrôle visant les riches, les filous et les parasites doivent être mis au point et éprouvés pratiquement par les communes elles-mêmes, par les petites cellules à la campagne et à la ville. La diversité est ici un gage de vitalité, une promesse de succès dans la poursuite d’un même but unique : débarrasser la terre russe de tous les insectes nuisibles, des puces (les filous), des punaises (les riches) et ainsi de suite. Ici, on mettra en prison une dizaine de riches, une douzaine de filous, une demi-douzaine d’ouvriers qui tirent au flanc (à la manière de voyous, comme le font de nombreux typographes à Pétrograd, surtout dans les imprimeries des partis). Là, on les enverra nettoyer les latrines. Ailleurs, on les munira, au sortir du cachot, d’une carte jaune afin que le peuple entier puisse surveiller ces gens malfaisants jusqu’à ce qu’ils se soient corrigés. Ou encore, on fusillera sur place un individu sur dix coupables de parasitisme. […] » (Lénine, « Comment organiser l’émulation ? » [Décembre 1917], je souligne).

« Bonapartisme prolétarien » (Boukharine)

« Le capitalisme d’Etat, c’est […] ce capitalisme qui est étroitement lié à l’Etat ; quant à l’Etat, ce sont les travailleurs, c’est […] l’avant-garde, c’est nous ! » (Zionviev, Les Partis et tendances antisoviétiques, 1922, p. 8, cité dans Skirda 2000, p. 119).

« Les Tchéka pan-russes et locales doivent être les organes de la dictature du prolétariat, de la dictature inexorable du parti » (Peters, Revue hebdomadaire de la Tchéka, n° 27, 1918, cité dans Skirda 2000, p. 114).

« La dictature de la classe ouvrière ne peut être garantie que sous la forme de la dictature de son avant-garde [d’intellectuels bourgeois], c’est-à-dire du Parti communiste » (résolution finale du Comité central du Parti communiste au XIIème congrès, cité dans Skirda 2000, p. 108).

« Tout nous est permis, car nous avons été les premiers dans le monde entier à lever le glaive […] au nom de la liberté universelle et de la suppression de l’esclavage [sic] » (Le glaive rouge, n°1, 18 août 1918, je souligne, cité dans Skirda 2000, p. 115).

« Il vaut mieux avoir tort avec le parti […] que raison contre lui » (Victor Serge, L’An I de la révolution russe, les débuts de la dictature du prolétariat (1917-1918), Librairie du Travail, Paris, 1930, p. 105, cité dans Skirda 2000, p. 116).

Critiques contemporaines du bolchévisme

« Je dois vous avouer franchement que, à mon avis, cette tentative d’édifier une république communiste sur la base d’un communisme d’Etat fortement centralisé, sous la loi de fer de la dictature d’un parti, est en train d’aboutir à un fiasco. Nous apprenons à connaître, en Russie, comment le communisme ne doit pas être introduit » (Kropotkine, Lettre aux travailleurs de l’Europe occidentale, le 28 avril 1919, cité dans Skirda 2000, p. 81).

« Ce n’est pas la libération du prolétariat quand de nombreux pillards individuels sont remplacés par un seul pillard très puissant – l’Etat » (Maximox, porte-parole des anarcho-syndicalistes, lors du 1er congrès panrusse des syndicats, en janvier 1918, cité dans Skirda 2000, p. 92).

« Vous [les bolcheviks] êtes au pouvoir en Russie, mais qu’est-ce qui a changé ? Les usines et la terre ne sont toujours pas aux mains des travailleurs, mais dans celles de l’Etat-patron. Le salariat, le mal fondamental de l’ordre bourgeois, continue d’exister, c’est pour cela que sont inévitables la faim, le froid, et le chômage. À cause de la « nécessité de tout supporter » pour un avenir meilleur, de défendre « ce qui est déjà acquis », un énorme appareil bureaucratique est créé, le droit de grève est aboli, les droits à la parole, de réunion et de presse, sont supprimés […] Vous dites que la bourgeoisie est écartée et que la classe ouvrière est au pouvoir. Nous répondrons qu’il n’y a que quelques ouvriers au pouvoir, et encore ce sont d’anciens ouvriers, séparés de leur classe. Les opprimés ne peuvent être au pouvoir par définition ; même si le pouvoir se proclame « prolétarien », ce qui est alors le plus grand des mensonges. [...]
Nous croyons que vous pouvez avoir, personnellement, subjectivement, les meilleurs intentions mais objectivement […] vous êtes les représentants de la classe des bureaucrates-fonctionnaires, d’un groupe d’intellectuels improductifs. […] Nous appelons à l’insurrection immédiate pour la pain et la liberté, et nous défendront la liberté avec les armes de la liberté et non pas avec celles de l’esclavage » (tracté d’un groupe anarchiste adressé aux bolcheviks en 1919-1920, cité dans Skirda 2000, pp. 101-102).

« Aucun État, si démocratiques que soient ses formes, voire la république politique la plus rouge, populaire uniquement au sens de ce mensonge connu sous le nom de représentation du peuple, n’est en mesure de donner à celui-ci ce dont il a besoin, c’est-à-dire la libre organisation de ses propres intérêts, de bas en haut, sans aucune immixtion, tutelle ou contrainte d’en haut, parce que tout Etat, même le plus républicain et le plus démocratique, même pseudo-populaire comme l’Etat imaginé par M. Marx [dans le Manifeste du parti communiste de 1848 : il reviendra sur ces conceptions dans La guerre civile en France de 1871], n’est pas autre chose, dans son essence, que le gouvernement des masses de haut en bas par une minorité savante, et par cela même privilégiée » (Bakounine, Etatisme et anarchie, 1873).

« Dans une révolution faite initialement au nom de la réalisation du socialisme, il n’est pas commode de dire tout de go : « C’est nous maintenant les nouveaux messieurs et les nouveaux exploiteurs ». Il est tellement plus facile d’intituler le rapt des usines aux ouvriers « une victoire du mode de production socialiste », la mainmise de la bureaucratie sur le prolétariat « le renforcement de la dictature du prolétariat », et les nouveaux exploiteurs, « l’avant-garde du prolétariat ». Dès l’instant où les seigneurs avaient été « les protecteurs des paysans », la bourgeoisie, « l’avant-garde du peuple », les bureaucrates pouvaient bien être « l’avant-garde du prolétariat ». Les exploiteurs se sont toujours considérés comme l’avant-garde des exploités. […] Une fois de plus l’histoire devait montrer la justesse de cette phrase du vieil hymne révolutionnaire : « Il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun », la justesse de la formule du mouvement ouvrier : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » » (Anton Ciliga, Lénine et la Révolution, Paris, Spartacus, 1948, cité dans Skirda 2000, p. 120).

« Le grand groupe de combat autonome, le parti des Narodniki, se désintégra dans le feu de la révolution prolétarienne et la direction des combats passa aux mains de l’aile la plus à gauche du mouvement ouvrier, celle des bolcheviks. Ce parti de « révolutionnaires professionnels » ne pouvait naturellement abandonner son caractère sectaire et son esprit de caste ; il en imprégna aussi la IIIe Internationale. Pour eux, la « masse » n’est qu’un objet, jamais un sujet. Ils veulent gouverner eux-mêmes même à la façon d’une caste. Et quand ils se disputent pour la « masse », c’est seulement pour l’utiliser comme tremplin, comme socle pour leur dictature de parti, pour leur domination de caste. Pour conserver leur dictature de parti ou l’édifier, ils sont prêts à toutes les concessions, prêts à s’allier avec Dieu ou le Diable, utilisant tous les moyens, même les moins scrupuleux.

Cette conception fondamentale des bolcheviks a également donné son empreinte à la révolution russe dans son cours ultérieur. La volonté de domination de la caste des bolcheviks allait être l’ennemi de tout développement de la conscience de soi et de tout mouvement indépendant du prolétariat. À la longue, cette volonté de domination n’a pu se poursuivre que par le centralisme le plus strict, par la terreur la plus brutale contre le prolétariat lui-même. Toute initiative indépendante du prolétariat devait être étouffée avec le bâillon du centralisme et du bureaucratisme. Une dictature qui ne réussit pas à mobiliser les forces du prolétariat ne peut jamais conduire à l’édification du communisme ; elle est au contraire obligée de détruire tous les prodromes de la reconstruction. Tant que les prolétaires russes devaient encore se défendre face à des ennemis extérieurs et intérieurs issus du camp de la bourgeoisie, et que cette lutte exigeait naturellement la centralisation de toutes les forces révolutionnaires, la conscience de cette réalité fit encore défaut. Mais au moment où les combats diminuèrent, ce strict principe d’autorité, ce système de caste des bolcheviks, sous forme de dictature des dirigeants sur le parti et de dictature de parti sur le prolétariat, se manifestèrent au grand jour. » (Extrait du Programme du KAPD, Berlin, janvier 1924)

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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 13 Sep 2018, 23:07

Kronstadt dans la révolution russe,

Efim Yartchouk

« Les morts vivent et avec eux, les rêves qui les ont portés », Gustav Landauer

Alexandre Skirda présente ce texte qu’il a traduit et qui complète son livre Kronstadt 1921, soviets libres contre dictature du parti. Efim Yartchouk, qui a participé à la révolution de 1905, est élu au soviet de Kronstadt après février 1917 et devient un des principaux animateurs de l’importante faction anarchiste, ce qui lui vaudra d’être emprisonné 6 fois par la Tchéka. Ce récit, publié à New York en 1923 par l’Union des travailleurs russes, a une grande valeur, car il s’agit pour l’essentiel d’un témoignage oculaire. Yartchouk dédie son livre : « Aux marins de Kronstadt. À ceux qui versèrent leur sang lors de la révolution de 1905 pour l’émancipation complète du prolétariat du joug du capital et de l’autorité. À ceux qui luttèrent en février et en juillet 1917 contre les maîtres du monde. À ceux qui s’étant laissé abuser par les slogans de l’État prolétarien levèrent bientôt les armes contre les nouveaux maîtres, les bolcheviks. À la mémoire de ceux qui périrent sur la route menant à la Société des hommes libres : l’anarchie. »

Juillet 1917 : « La révolution est en danger ! »
Après de nombreuses arrestations fin juin à Petrograd (« Piter »), le 1er régiment de mitrailleurs, influencé par les anarchistes, se dirige le 3 juillet vers le palais de Tauride, siège du gouvernement : « À bas la guerre ! Tout le pouvoir aux soviets locaux ». Après une fusillade, des délégués partent informer les Kronstadiens dans un grand meeting place de l’Ancre : les ASC (anarcho-syndicalistes et anarcho-communistes) proposent une manifestation armée à Piter, les bolcheviks attendent la décision du Comité central du Parti. Le 4, 12 000 Kronstadiens débarquent sur les quais de la Neva, déployant drapeaux noir et rouge et banderoles : « À bas le pouvoir et le capital », « L’usine aux ouvriers, la terre aux paysans ». Les bolcheviks tentent en vain de s’installer en tête : « Nous ne marchons pas derrière les drapeaux bolcheviks, mais derrière celui de notre soviet ».
Sur la perspective Liteïny un feu nourri de mitrailleuses fait de nombreuses victimes. Le Comité central bolchevik décide de se cacher et les manifestants par groupes de deux à trois mille se dirigent vers les garnisons et les quartiers ouvriers. Le 5, des troupes arrivent du front pour mater l’insurrection. Après de longues négociations, les Kronstadiens peuvent regagner l’île.

En marche... vers la dictature sur le prolétariat
Après la prise du Palais d’hiver, Kerensky rassemble des forces armées menaçant Piter : « Les bolcheviks fuient de tous côtés. Kamenev et Zinoviev quittent, paniqués, l’Institut Smolny ». Kronstadt rassemble une force maximale et met en déroute les contre-révolutionnaires à Gatchina.
Les Kronstadiens sont appelés aux quatre coins de la Russie pour soutenir la révolution : à Kazan sur la Volga, à Novotcherkassk au sud, où les ouvriers leur offrent un train de charbon et de blé pour le remercier d’avoir chassé les bandes de Kalédine...
Profitant de cette dispersion, le Soviet des commissaires du peuple décide en février 1918 la dissolution de la flotte remplacée par une « flotte rouge ». La grande majorité des matelots refuse et repart dans ses foyers en emportant ses armes : « Les fusils et les mitrailleuses nous seront utiles, alors qu’ici les bolcheviks cherchent à acheter des mercenaires ».
Kronstadt ainsi affaiblie, les bolcheviks chassent le soviet de Kronstadt, imposent une tchéka et des cellules chargées de la délation, surnommées les « com-mouchards ».

La Commune de Kronstadt (2–18 mars 1921)
50 ans après le déclenchement de la Commune de Paris, l’Armée rouge écrase celle de Kronstadt, « Galliffet-Trotsky » n’y voyant que « des mutins gardes blancs, quelques anarchistes et socialistes révolutionnaires douteux, patronnant une poignée de paysans réactionnaires et de soldats en rébellion » et Lénine « un mouvement petit-bourgeois anarchiste ».
Citons les « Izvestia » de Kronstadt :
5 mars : « Le feld-maréchal Trotsky menace la libre et révolutionnaire Kronstadt révoltée contre le pouvoir absolu exercé depuis trois ans par les commissaires communistes ».
7 mars : « Tout le pouvoir aux soviets et non aux partis ».
8 mars : « C’est ici à Kronstadt qu’est posée la première pierre de la IIIème Révolution opposée à l’ordre bureaucratique des bolcheviks, laissant derrière la dictature du Parti communiste, des tchékas et du capitalisme d’État ».
9 mars : « Lénine a dit : Le communisme, c’est le pouvoir des soviets, plus l’électricité, mais le peuple a compris que le communisme des bolcheviks, c’est la commissariocratie plus les fusillades ».

Stépan Pétrichenko, président du Comité révolutionnaire provisoire de Kronstadt, plus tard :
« Ils peuvent fusiller les Kronstadiens, mais ils ne pourront jamais fusiller la vérité de Kronstadt ».

Élan noir

Kronstadt dans la révolution russe, Efim Yartchouk, Éditions Noir et Rouge


https://monde-libertaire.fr/?article=Kr ... _Yartchouk
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 27 Sep 2018, 14:10

L’idée d’égalité et les bolcheviks

Nestor Makhno : L’Idée d’égalité et les Bolcheviks (1926).

Le XIVème congrès du Parti Communiste Russe à fermement condamné l’idée d’égalité. Avant le congrès, Zinoviev s’était référé à cette idée dans sa polémique contre Oustrialov et Boukharine. Il avait alors déclaré que toute la philosophie de notre époque était nourrie par l’aspiration à l’égalité. Kalinine est intervenu avec force contre cette thèse, en estimant que toute référence à l’égalité ne pouvait être que nocive et intolérable. Il a raisonné de la manière suivante :

"Peut-on parler d’égalité aux paysans ? Non, ce n’est pas possible car, dans ce cas, il se mettraient à exiger les même droits que les ouvriers, ce qui serait en complète contradiction avec la dictature du prolétariat.

Peut-on parler d’égalité aux ouvriers ? Non, c’est pas non plus possible, car, par exemple, si un emploi identique est occupé par un communiste et un sans parti, la différence tient en ce que le premier touche un salaire double du second. Reconnaître l’égalité permettrait au sans parti de toucher le même salaire que celui d’un communiste. Est-ce convenable, camarades ? Non, cela ne l’est pas.

Peut-on encore appeler les communistes à l’égalité ? Non, ce n’est pas non plus possible, car eux aussi occupent des places différentes, tant par leurs droits que par leur situation matérielle."

A partir de toutes ces considérations Kalinine a conclu que l’utilisation du terme "égalité" par Zinoviev ne pouvait qu’être démagogique et nocive. Dans sa réponse, Zinoviev a déclaré à son tour que, s’il avait parlé d’égalité, c’était dans un tout autre sens. Quant à lui, il n’avait dans la tête que "l’égalité socialiste", c’est à dire celle qui devra exister un jour, dans un avenir plus ou moins proche. Pour l’instant, tant que la révolution mondiale n’est pas accomplie et comme on ne sait quand elle se réalisera, il ne saura être question de quelque égalité que ce soit. En particulier, aucune égalité des droits ne pourra exister, car elle risquerait alors de nous entraîner vers des déviations "démocratiques" très dangereuses.

Cette entente sur l’idée d’égalité n’a pas été traduite par une résolution du congrès. Mais, sur le fond, les deux parties qui se sont affrontées au congrès ont estimé également intolérable l’idée d’égalité.

En d’autres temps, il n’y a pas si longtemps, les bolcheviks on tenu un tout autre langage. C’est sous l’étendard de l’égalité qu’ils ont agi pendant la grande Révolution russe, pour le renversement de la bourgeoisie, en commun avec les ouvriers et les paysans, aux dépends desquels ils sont parvenus à la domination politique du pays. C’est sous cet étendard que, depuis huit de règne sur la vie et la liberté des travailleurs de l’ancienne Russie - dénommée désormais "Union des Républiques Soviétiques Socialistes" - les tsars bolcheviks ont voulu convaincre cette "Union", opprimés par eux, ainsi que les travailleurs d’autres pays qu’ils ne domines pas encore, que s’ils ont persécuté, laissé pourrir en prison et en déportation et assassiné leurs ennemis politiques, c’était uniquement au nom de la révolution, de ces fondements égalitaires, introduits prétendument par eux dans la révolution, et que leurs ennemis auraient voulu détruire.

Le sang des anarchistes coule bientôt depuis huit ans, parcequ’ils n’ont pas voulu s’incliner servilement devant la violence et l’impudence de ceux qui se sont emparé du pouvoir, ni devant leur idéologie notoirement mensongère et leur totale irresponsabilité.

Dans cet acte criminel, acte que l’on ne peut qualifier autrement que de débauche sanglante des dieux bolchéviks, meilleurs fils de la révolution ont péri, parcequ’ils étaient les plus fidèles porteurs des idéaux révolutionnaires et parcequ’ils n’ont pu être acheté pour les trahir défendant honnêtement les préceptes de la révolution, ces fils de la révolution ont aspiré à éloigner la folie des dieux bolcheviks et à sortir de leur cul-de-sac, afin de frayer la voie à la véritable liberté et à une authentique liberté des travailleurs.

Les potentats bolchéviks se sont vites aperçu que les aspirations de ses fils de la révolution signifierait pour eux la fin de leur folie et surtout des privilèges qu’ils ont habilement hérité de la bourgeoisie renversée, puis traîtreusement renforcé en leur faveur. C’est pour cela qu’ils ont condamné à mort les révolutionnaires. Des hommes à l’âme d’esclave les ont soutenus et le sang à coulé. Il continue à couler depuis huit ans et on se demander au nom de quoi ? Au nom de la liberté et de l’égalité des travailleurs, disent les bolcheviks, en continuant à exterminer des milliers de révolutionnaires anonymes, combattants de la révolution sociale, étiquetée "bandits" et "contre révolutionnaires". Par ce mensonge éhonté, les bolchéviks ont masqué aux yeux des travailleurs du monde entier le véritable état des choses en Russie, en particulier leur banqueroute complète dans l’édification socialiste, banqueroute qu’ils ne veulent reconnaître jusqu’à maintenant, alors qu’elle est plus que flagrante pur tous ceux qui ont des yeux pour voir.

Les anarchistes ont signalé à temps aux anarchistes de tous les pays les crimes bolcheviks dans la révolution russe. Le bolchevisme incarnant l’idéal d’un état centralisateur, est apparu comme l’ennemi mortel de l’esprit libre des travailleurs révolutionnaires. Usant de mesures inouïes, il a saboté le développement de la révolution et sali l’honneur de ce qu’il y avait de meilleur en elle. Se masquant avec succès, il a dissimulé au regard des travailleurs son vrais visage, en se donnant pour le champion de leurs intérêts. Ce n’est que maintenant, après huit ans de règne, en se rapprochant de plus en plus de la bourgeoisie internationale, qu’il commence à ôter son masque révolutionnaire et à dévoiler devant le monde du travail le visage d’un rapace exploiteur.

Les bolcheviks ont abandonné l’idée d’égalité, non seulement en pratique, mais aussi en théorie, car la seule expression leur paraît maintenant dangereuse. C’est assez compréhensible, toute leur domination repose sur une idée diamétralement opposée, sur une inégalité criante, dont toute l’horreur et les maux se sont abattus sur le dos des travailleurs. Souhaitons que les travailleurs de tous pays en retirent les conclusions nécessaires et, à leur tour, en finissent avec les bolcheviks, porteurs de l’idée de l’esclavage et oppresseur du Travail. »

Nestor Makhno


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... eviks.html
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 27 Sep 2018, 21:23

Anarchistes et Juifs dans la Révolution russe

Anarchistes et Juifs dans la Révolution russe

Selon l’adage antisémite des années 1930, «  les Juifs dominent le monde  » , qu’ils soient capitalistes ou communistes. Si de nombreux Juifs et Juives se sont impliqués dans la dynamique révolutionnaire en Russie, c’est d’abord pour sortir de la situation d’extrême pauvreté, des mesures discriminatoires, et des pogroms orchestrés par l’appareil d’État tsariste. Beaucoup de ces Juifs et Juives révolutionnaires avaient choisi le camp libertaire et ont subi la répression bolchévique.

La Russie commence à s’industrialiser au tournant du XXe siècle notamment dans des villes moyennes du Yiddishland. [1] C’est à Bialystock que se crée le premier foyer de militance libertaire juive, suite à une scission au sein du Bund. [2] Prônant la révolution sociale immédiate, ces très jeunes gens sont impatients d’en découdre avec l’autocratie tsariste, la religion et le capital, trouvant le Bund ou le Parti socialiste-révolutionnaire trop timide dans leurs actions. Au plus fort du mouvement révolutionnaire de 1905, on trouve plusieurs centaines d’activistes libertaires juifs rien que dans cette ville. Des groupes libertaires essaiment alors jusqu’aux confins du Yiddishland.

Même si ce phénomène reste minoritaire au regard de l’immense majorité des paysans, la classe ouvrière de ces villes moyennes, où les conditions sociales sont extrêmement dures, va être un élément moteur d’une révolution décentralisée. Dans le climat de guerre sociale larvée qui suit l’échec de la révolution de 1905, les activistes libertaires juifs choisissent très majoritairement la stratégie «  action directe, sabotage, propagande par le fait, expropriation  ». Dans une logique de vendetta face à la répression tsariste. Ils et elles pratiquent la lutte armée contre les gradés de l’armée et la police, et commettent des attentas contre la bourgeoisie. Le passage à l’acte allant jusqu’à lancer une bombe dans la synagogue de Krynki qui abritait une réunion de patrons juifs. Ces anarchistes comme Samuel Schwartzbard initient des groupes d’auto-défense contre les pogromistes.

Riposter à la violence tsariste

La réaction du pouvoir tsariste est sans pitié. Entre 1906 et 1908, le mouvement libertaire est éradiqué en Russie, notamment dans le Yiddishland. Plusieurs milliers d’activistes périssent, d’autres sont emprisonnés ou envoyés en Sibérie. Les plus chanceux fuient en Occident et aux États-Unis où ils et elles vont fréquenter le mouvement libertaire et syndicaliste révolutionnaire, jusqu’en 1917, se formant à de nouvelles pratiques de lutte collective et de propagande. C’est à cette époque que Daniil Novomirsky, très influencé par Fernand Pelloutier, le promoteur des bourses du travail, en France, invente et utilise, en 1907, le terme «  anarcho-syndicaliste  ».

La révolution de 1917

De retour d’exil, en 1917, dans la «  Mère Russie  » par milliers, ces activistes libertaires juifs sont numériquement ultra minoritaire au regard d’une révolution qui engage six millions d’ouvriers et ouvrières, et une centaine de millions de moujiks. [3] Cependant ces militants et militantes aguerris vont devenir pour partie les cadres du mouvement anarchiste russe.

Débarrassés du carcan géographique du Yiddisland, ils et elles rejoignent en nombre Petrograd et Moscou, animent des soviets, dont celui de Kronstadt, des syndicats, éditent des journaux libertaires, structurent les organisations libertaires. [4] Physiquement engagés sur tous les fronts militaires, nombreux sont ceux et celles qui périssent les armes à la main. On les retrouve notamment en Ukraine, au côté de Nestor Makhno.

Puis de nouveau la répression s’abat sur le mouvement libertaire, dès avril 1918 à Moscou, mais cette fois ce sont les bolcheviks qui font le sale travail essentiellement au travers de leur appareil policier, la Tchéka, et de l’Armée rouge. Des anarchistes sont envoyés en exil dans les goulags où les sévices, le froid, la maladie et la disette les font mourir à petit feu jusque dans les années 1930. En 1920, Olga Taratouta, de son vrai nom Elka Ruvinskaia, écrit «  qu’un an et demi de prison soviétique  » lui avait coûté «  plus de vie que les dix années de travaux forcés du temps tsariste  ». Elle est fusillée le 8 février 1938 «  pour activité antisoviétique et anarchiste  » à 62 ans.

La « terreur rouge »

Les libertaires juifs sont particulièrement visés par l’appareil de répression bolchevik car très vite repérés en tant qu’animateurs et animatrices du mouvement. Leurs noms égrèneront dès 1922 les longues listes de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.

Une certaine porosité avec la culture judaïque donne d’ailleurs des résultats assez étonnants  : le terme «  pogroms anti-anarchistes  » est employé pour parler de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.

Parallèlement, la présence de nombreux Juifs et Juives bolcheviks dans l’appareil d’État soviétique dès les premiers mois qui suivent la révolution, grâce à la fin des discriminations envers les minorités ethniques, suscitent bientôt une réaction antisémite. Lorsque l’extension de la bureaucratie favorise l’entrée massive d’une nouvelle génération issue des couches populaires paysannes, celle-ci entre en concurrence au sein de l’appareil stalinien, avec les «  Juifs de la première heure  ». Ces tensions perpétuent un antisémitisme populaire qui perdure jusqu’à nos jours en Russie.

De retour dans l’exil

La plupart des historiens libertaires de la Révolution russe sont d’origine juive. Ces intellectuel.les engagé.es dans l’action, Ida Met, Anatole Gorelik, Ephim Yartchouk, Voline, Alexandre Shapiro, ou des témoins oculaires tels Emma Goldman et Alexandre Berkman, n’ont de cesse dans leur exil de donner leur vision anti-autoritaire de la Révolution russe de dénoncer les exactions bolcheviks. Emma Goldman laisse dans ses Mémoires un témoignage émouvant de son passage dans un village d’Ukraine dans lequel les habitants juifs et juives viennent de subir un pogrom. Leurs analyses pertinentes de l’échec de la Révolution nous éclairent encore aujourd’hui sur la façon de conduire nos luttes et structurer notre mouvement. Ils et elles théorisent le système soviétique comme «  capitalisme d’État  ».

Dès 1922, la situation au goulag et la répression bolchevik (appelée «  fascisme rouge  », par Voline) est dénoncée par ces militant.es. Beaucoup ne les écoutent pas à cette époque, parce qu’ils et elles sont anarchistes. La droite et son extrême ne peuvent s’arroger le monopole de la dénonciation des crimes soviétiques  : les anarchistes qui se revendiquent du communisme ont toute la légitimité pour clamer haut et fort l’horreur des goulags. D’ailleurs laissons parler Gorelik, Voline et Konov  : «  Un jour l’historien de la révolution s’arrêtera tout étonné et effrayé aux pages relatant les persécutions que le gouvernement communiste fit subir à l’idée libertaire, à ses disciples, propagateurs et militants  ; il se détournera de ces pages en tressaillant. A première vue, il ne les croira pas. Et lorsqu’il les croira, lorsqu’il se persuadera de leur véracité bouleversante, il les qualifiera comme les pages les plus noires de l’histoire du communisme étatiste. Et il cherchera audacieusement l’explication historique et psychologique de cette épopée sanguinaire  » [5]

Un anarchiste juif signe le dernier acte de la révolution russe, en 1927 à Paris  : Samuel Schwarzbard y assassine le pogromiste ukrainien Petlioura d’un coup de pistolet en pleine rue devant le restaurant d’où il sortait. Son acte est considéré par la justice française comme de la légitime défense, ce qui lui permet d’échapper à la condamnation. Pour la petite histoire, Schwarzbard s’était procuré son arme auprès d’un groupe de militants exilés de la CNT espagnole. [6]

Jean-Marc Izrine [7]


[1] Région dans laquelle les tsars avaient cantonné les Juifs de Russie (Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Galicie, Pologne, Moldavie)

[2] Parti social-démocrate spécifiquement juif et tout aussi numériquement important à lui seul que le Parti ouvrier social-démocrate russe.

[3] Paysans en russe.

[4] Voir le dossier d’Alternative libertaire de juillet-août 2017 http://www.alternativelibertaire.org/?D ... eurs-choix, où plusieurs activistes juifs du mouvement sont cités.

[5] Brochure La répression de l’anarchisme en Russie soviétique, juin 1922.

[6] Juan Garcia Oliver, L’Écho des pas, Le Coquelicot, p.98-99.

[7] Jean-Marc Izrine est l’auteur de Les Libertaires du Yiddishland http://boutique.alternativelibertaire.o ... 33339.html, éditions d’Alternative libertaire.


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bipbip
 
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 09 Oct 2018, 18:55

3textes sur la révolte et la vie à Kronstadt

1917, la vie quotidienne à Kronstadt

Kronstadt tentait de mener une pratique constructive.

L'union des agriculteurs, organisation des ouvriers possédant une liaison avec les campagnes, demanda à tous ceux qui possédaient de la vieille ferraille de la donner pour fabriquer des outils d'agriculture.

La commission technique et militaire du soviet céda de même une certaine quantité de métal provenant de vieux matériel militaire (beaucoup de pièces d'artillerie dataient presque de Pierre-le-Grand, qui en avait accumulé un dépôt colossal). Les ouvriers, membres de l'union, organisèrent un atelier spécial où ils travaillèrent pendant leurs loisirs, à raison de plusieurs heures par jour chacun.

Des techniciens spécialistes, des soldats et des matelots les aidaient également. Ils fabriquèrent des faux, des socs de charrue, des clous, des fers à cheval. Tout ce qui était fabriqué était répertorié en listes complètes dans les Izvestia du soviet de Kronstadt. Chaque objet portait l'estampille de l'Union des Agriculteurs de Kronstadt. On donnait aux agitateurs du soviet, partant dans les campagnes, selon les possibilités, des objets et instruments fabriqués par cette union ; ils étaient offerts aux paysans par l'intermédiaire de leurs soviets locaux. Cela valut par la suite au soviet de Kronstadt de recevoir une avalanche de lettres chaleureuses, le remerciant et promettant un soutien " à la ville " dans sa lutte pour le pain et la liberté.

C'est alors que fut élaboré le principe des communes de culture.

Cette organisation se forma de la façon suivante : un groupe de 10 à 60 citadins, selon le lieu de travail ou de domicile, se mettait d'accord pour une culture commune de la terre. Il faut préciser que Kronstadt est une petite île, étroite, d'une douzaine de kilomètres de long. La rive, faisant face à Pétrograd, est occupée par la ville, les ports et les jetées. Les parties du Nord, Sud et Ouest sont parsemées de fortifications militaires ; dans l'intervalle s'étend un espace de 3 km.

En effet, pendant la guerre, pour des considérations stratégiques, même les petites contractions qui s'y trouvaient furent détruites. C'est cet endroit qui fut cultivé par les kronstadiens.

Lors d'assemblées générales de délégués des cultivateurs, en présence de toutes sortes de spécialistes au nombre desquels des géomètres et des agronomes, la terre était divisée en petits lots répartis par tirage au sort. Les semences étaient fournies par le comité de ravitaillement.
Les outils de culture étaient évidemment les plus primitifs : des pelles, des arrosoirs, et encore en nombre limité. Ils étaient fournis pour la saison de travail par la ville. Le reste était obtenu par l'initiative personnelle des " communards ".

L'engrais était amené par les chevaux de la ville ; les lopins de terre étaient labourés à tour de rôle. Déjà en 1918, les communes de culture aidèrent beaucoup les kronstadiens dans la lutte contre la faim. Après la récolte, après le décompte en faveur des familles du comité de ravitaillement, chaque " communard " obtenait en moyenne 10 kg de légumes.

Dans la majorité des communes, la répartition se faisait selon le nombre de jours de travail.

Les communes s'avérèrent vivaces : elles existaient toujours sous la même forme en 1921. Ce fut la seule organisation que les bolcheviks n'avaient pas supprimée. On peut expliquer cela peut-être par le fait que Kronstadt s'opposa fortement aux décrets des bolcheviks et défendit longtemps son indépendance.

La surveillance de la ville était assurée par la milice populaire, c'est-à-dire toute la population, par le biais des comités de maison. Les comités de maison n'existaient qu'à l'état embryonnaire.

Tout leur rôle se limitait à ce cadre étroit. Mais la propagande faisait son oeuvre.

Aux meetings et aux conférences des anarchistes, une des tâches continuellement à l'ordre du jour était la liquidation de la propriété privée des habitations.

Ils appelaient à l'élargissement de l'activité des comités de maison, à leur union, afin de réaliser par là l'égalité de tous dans la répartition des demeures. Comme toujours, lorsqu'étaient traitées les questions d'une actualité brûlante - la guerre et la paix, la terre, les organisations ouvrières et paysannes - de nombreuses questions écrites étaient posées à l'orateur et au rapporteur, que ce soit sur le plan théorique ou sur le plan pratique.

Beaucoup se plaignaient de la dégradation des maisons, de l'endommagement des conduites d'eau ; ils décrivaient des scènes pénibles : la pluie passant par les toitures trouées et par conséquent une humidité persistante dans les appartements du sous-sol ce qui provoquait une forte mortalité infantile. Les propriétaires n'avaient pas fait de réparations depuis plusieurs années.

Il ne restait qu'une solution : s'y installer tous ensemble.

Ainsi, lorsqu'en octobre se précisa l'immense possibilité d'un travail créateur et indépendant, un processus préparateur s'était déjà accompli dans la conscience des masses et un meeting solennel décida de la socialisation des habitations.

Pour Kronstadt, cependant, la tâche principale subsistait : provoquer le plus possible des idées à travers toute la Russie et se tenir prêt à un éventuel conflit armé avec la réaction extérieure et intérieure. Ces buts étaient poursuivis par des organes techniques : deux commissions spéciales du soviet, une technico-militaire, l'autre d'agitation propagandiste.

La commission technico-militaire qui existait de façon embryonnaire depuis le 3 juillet effectua un grand travail durant les journées komiloviennes et développa alors son activité. Elle vérifia la capacité de combat des ports, fit un inventaire précis des forces armés. Le mot d'ordre d'armement général se réalisait au moyen des comités de fabriques et d'usines.

La commission technico-militaire fournit des armes à tous les ateliers ; les comités de fabriques et d'usines en assurèrent la distribution aux ouvriers. Pour l'instruction militaire, tous les ouvriers se divisèrent en plusieurs catégories : ceux qui savaient manier un fusil s'organisèrent en groupes spéciaux de formation d'artilleurs, de mitrailleurs et de sapeurs ; ceux qui étaient novices en la matière militaire, s'exercèrent d'abord à la marche deux fois par semaine sur la place de l'Ancre, puis s'instruisirent sur les champs de tir maritimes.

Chaque ouvrier s'assignait le but d'assimiler l'art du maniement du fusil et des bombes à main ...

Le mot d'ordre " Tout le pouvoir aux soviets locaux " est compris à Kronstadt de la façon suivante : désormais, plus aucun centre ne peut ordonner ou prescrire à aucun soviet, ni à aucune organisation, ce qu'il y a à faire et, au contraire, chaque soviet, chaque organisation locale d'ouvriers et de paysans, tend à s'unir volontairement avec les organismes du même type.

De cette façon, la fédération des soviets libres et la fédération des comités d'usines et de fabriques créent une force organisationnelle puissante, tant pour le succès de la défense de la Révolution que pour régler harmonieusement la production et la consommation.

Kronstadt, limité par sa position géographique dans l'application de ses forces créatrices, met toute son énergie dans la socialisation des habitations. A l'un de ses grandioses meetings, les anarchistes sont chargés de soulever au soviet la question d'une répartition harmonieuse, des habitations ainsi que leur aménagement.

A la séance suivante du soviet, un projet de socialisation des maisons est déposé, élaboré par le groupe des anarchistes et des S.R. de gauche du soviet.

Le premier point déclare que : dorénavant, la propriété privée des habitations et de la terre est abolie. Plus loin, il est dit que la gestion des maisons est assurée par des comités de maisons et que les affaires se règlent désormais lors d'assemblées générales de tous les habitants des maisons ; la question concernant tout un quartier est résolue par l'Assemblée Générale de tous ses habitants, qui désignent des comités d'arrondissements ; un bureau général exécutif des comités de maisons s'organise.

Les habitations deviennent ainsi la propriété collective de la population. Les bolcheviks, se référant à l'importance du problème et à la nécessité de l'étudier à fond, demandèrent de remettre à une semaine le débat du projet de la socialisation des maisons.

Ils allèrent pendant ce temps à Petrograd et, ayant reçu des instructions du centre, exigèrent à la séance suivante du soviet l'élimination de l'ordre du jour de ce projet, du fait que, déclaraient-ils, une question aussi sérieuse ne pouvait être résolue qu'à l'échelle de toute la Russie, et Lénine préparait déjà un décret dans ce sens ; pour cette raison, dans l'intérêt de la chose, le soviet de Kronstadt devait attendre des instructions du centre.

Les anarchistes, les S.R. de gauche et les maximalistes insistèrent pour que le projet soit abordé tout de suite. Il apparut dans le débat que l'aile gauche du soviet était pour la réalisation immédiate du projet. Les bolcheviks et les S.R. mencheviks constituèrent alors un "front commun" et quittèrent la salle de l'Assemblée. Ils furent accompagnés par des applaudissements bruyants et des quolibets : "Enfin, ils ont fini par s'entendre !"

Dans la discussion ultérieure du projet, le maximaliste Rivkine proposa de voter par point, afin d'offrir ainsi la possibilité aux bolcheviks de se " blanchir " devant les travailleurs, lesquels pourraient avoir l'impression que les bolcheviks étaient contre la suppression de la propriété privée. Les bolcheviks, ayant pris conscience de leur faux pas, revinrent à la séance et le premier point -la propriété privée sur les habitations et la terre est supprimée- fut adopté à l'unanimité pour le principe. Toutefois, lorsque les autres points du projet vinrent à être examinés où il était envisagé en particulier de le réaliser immédiatement, alors les bolcheviks quittèrent à nouveau la salle de séance.

Quelques bolcheviks, trouvant impossible cette fois de se soumettre à la discipline du parti, d'autant plus, comme ils l'expliquèrent ensuite, qu'ils avaient reçu de leurs électeurs le mandat de voter pour la réalisation immédiate du projet, restèrent à la séance du soviet ; ils reçurent une "punition sévère" : exclusion du parti pour "déviation anarcho-syndicaliste".

Longtemps encore après cette séance agitée du soviet, une forte lutte eut lieu autour du projet. Dans les ateliers, sur les navires, dans les compagnies, des meetings s'organisaient. Les représentants du soviet étaient convoqués pour rendre compte de cette question.

Plusieurs bolcheviks furent rappelés du soviet par leurs mandants à cause de leur opposition au projet. En liaison avec cette question, les bolcheviks commencèrent une campagne de dénigrement contre les anarchistes. Finalement, malgré le sabotage des bolcheviks, des comités de maisons, d'arrondissements et autres comités furent créés dans tout Kronstadt.

Lorsqu'on en arriva à la répartition équitable des demeures, il apparut qu'à côté de la misère des travailleurs, se logeant dans d'effroyables sous-sols, il y avait des gens qui occupaient jusqu'à 10 ou 15 chambres. Le directeur de l'Ecole de l'ingénieur, célibataire, occupait même 20 chambres et, lorsqu'on vint en occuper une partie, il considéra cela comme un véritable acte de brigandage.

Le projet fut appliqué. Ceux qui vivaient dans des sous-sols sales et humides, dans des taudis misérables, dans des greniers, s'installèrent dans des appartements convenables ; le principe "tous doivent avoir un logement convenable" fut réalisé.

Il fut de même prévu plusieurs hôtels pour les gens de passage. Dans chaque comité d'arrondissement, des ateliers furent organisés pour oeuvrer à l'aménagement et à la réfection des maisons. Ce n'est que longtemps après, lorsque les principaux arguments des bolcheviks à l'égard de leurs adversaires de gauche devinrent la prison, la baïonnette et la balle, que fut détruite par les bolcheviks cette organisation avec toutes ses bases créatrices.

La question des maisons fut transférée à l'office central des habitations et de la terre, auprès du soviet national de l'économie, qui installa dans chaque maison son fonctionnaire : "le staroste", lequel devait remplir aussi la fonction d'un policier, veillant à ce que personne ne puisse y vivre sans autorisation officielle, et à ce que des personnes étrangères n'y soient pas hébergées, dénonçant à l'occasion "les cas douteux ".

En 1920, un nouveau décret parut, abolissant l'institution du "staroste".

Les fonctionnaires de l'office des habitations et de la terre se mirent à ressusciter les comités de maison, à appeler la masse à une organisation autonome, sous la menace habituelle d'une intervention de la Tcheka. Mais personne ne répondit à cet appel, car la dure réalité montrait bien que l'organisation autonome de la masse n'est pas compatible avec la " dictature du prolétariat ", avec la domination d'un parti, même s'il avait été révolutionnaire auparavant.

On désigna au secrétariat des comités de maison les exstaristes qui s'étaient adaptés au " nouveau régime ", puis les maisons en arrivèrent progressivement à une désorganisation totale.

Voilà comment périt une des grandes conquêtes d'Octobre

Efim YARTCHOUK

Kronstadt dans la révolution russe 1917 - 1921. Edition de la tête de feuille



1921, Insurection de Kronstadt : le prolétarait contre le bolchévisme

Les marins qui en 1917 avaient pris le palais d'hivers, en ce début d'année 1921 diffuse un nouveau slogan: Vive les soviets, à morts les bolchévics !

Durant les mois qui précèdent, les soviets (ou Conseils de délégués ouvriers, soldats et paysans) avaient pénétré dans presque toutes les usines, sapant les bases économiques et sociales du régime bourgeois. Les comités et soviets de soldats avaient totalement désorganisé l'armée tsariste. Dans les campagnes, les paysans avaient exproprié collectivement les propriétaires terriens et avaient entrepris la culture commune de la terre. Pendant l'Octobre des ouvriers et des paysans, les slogans étaient sans ambiguïté : La terre aux paysans, l'usine à l'ouvrier. Le pouvoir aux soviets locaux et au centre des soldats, ouvriers et paysans.

La Contre-révolution bolchevique

Trois tendances inconciliables vont s'affronter : Il y avait le camp de la Réaction avec les "armées blanches" qui tentait de réinstaurer le tsarisme ; le camp des partisans d'une société dirigée sur tous les plans par un "État ouvrier" ; et il y avait aussi (et surtout) un mouvement populaire, porteur d'une dynamique et d'un projet autogestionnaire. L'Histoire va alors démontrer qu'entre autogestion sociale et étatisation, il n'y avait pas d'accord possible. Dès leur arrivée au pouvoir les bolcheviks vont mettre en œuvre leur fameuse conception de la " dictature du prolétariat " qui, bien évidemment, ne signifie pas autre chose que la dictature du Parti : La dictature de la classe ouvrière ne peut être garantie que sous la forme de la dictature de son avant-garde, c'est-à-dire du Parti communiste (Résolution du XIIè Congrès du Parti).

Les organisations ouvrières sont mises au pas. En avril 1918, tous les clubs anarchistes à Moscou sont fermés (pris au canon) et 600 militants libertaires sont jetés en prison.

Le nouveau pouvoir va imposer une militarisation du travail et transformer des millions d'individus en exécutants soumis.

Militarisation du travail et fascisme rouge

Le renforcement de la discipline et la présence de l'armée à l'intérieur même des usines va provoquer de nombreux meetings de protestation. Les organisateurs de ces meetings seront dénoncés comme des "contre-révolutionnaires", des saboteurs, des espions etc.

Pour Lénine et les bolcheviks les paysans sont incapables d'une prise de conscience révolutionnaire, et doivent donc être asservis à "l'État prolétarien". C'est ainsi que l'Armée rouge va organiser un pillage systématique des campagnes, créant artificiellement le conflit "ville-campagne". Au lieu de faire alliance avec la paysannerie, qui combat le retour des Blancs (tsaristes), et de respecter le slogan "La terre aux paysans, l'usine à l'ouvrier", le parti bolchevik déclenche l'hostilité générale de la paysannerie à son égard. Une fois le danger contre-révolutionnaire écarté, des révoltes armées embrasent le pays tout entier (dont le mouvement anarchiste makhnoviste). En février 1921, soit un mois avant l'insurrection de Kronstadt, un rapport de la Tchéka (police politique bolchevik) dénombre 118 insurrections paysannes.

Les grèves insurrectionnelles ouvrières de 1921

Rappeler tous ces éléments était nécessaire pour comprendre le vent de révolte qui va souffler en 1921 et la rage de tous ceux et celles qui aspiraient à une "troisième révolution" : la véritable révolution sociale et socialiste !

En effet, si la Révolution est victorieuse, les travailleurs se rendent compte que ses conquêtes leur échappent ! La famine s'installe : on estime à 5 200 000 personnes, mortes victimes de la famine et du froid en 1921. Alors que déjà les apparatchiks du pouvoir s'octroient de multiples privilèges, la décision gouvernementale du 22 janvier 1921, de réduire d'un tiers les rations de pain pour les citadins jette une étincelle sur un baril de poudre. Des grèves et des manifestations suivent les meetings, vite réprimées par les Koursantis (officiers de l'Armée rouge) et les unités spéciales de la Tchéka. Le mouvement prend une ampleur exceptionnelle à Petrograd.

Les bolcheviks répondent par des arrestations et des fusillades. La plupart des mencheviks, Socialistes Révolutionnaires (S-R) et anarchistes encore en liberté sont arrêtés et rejoignent les centaines d'ouvriers déjà appréhendés.

Les marins de Kronstadt demandent des comptes

Les échos de ces événements sont parvenus à Kronstadt. Lors des premières grèves de Petrograd, les kronstadtiens apprennent également que le pouvoir menace les ouvriers de l'intervention de "Kronstadt-la-Rouge", qui les forcerait à reprendre le travail s'ils continuaient à faire grève. Ainsi, les bolcheviks transformaient Kronstadt en épouvantail dans toute la Russie pour appuyer leur politique... Les marins envoient donc une délégation, afin de s'informer sur le caractère du mouvement.

Le 1er mars, un meeting a lieu à Kronstadt, rassemblant 16 000 personnes (environ le tiers de la population totale de l'île). Les représentants du gouvernement s'y font copieusement critiqués et la résolution du 28 février est adoptée (qui sera le "testament politique" de la Commune). Alors, par la bouche de Trotsky et de Zinoviev, le Comité Central du Parti entame sa vieille rengaine et stigmatise aussitôt le mouvement comme une rébellion contre-révolutionnaire fomentée de l'étranger etc. Lénine écrit : Il est absolument évident que c'est l'œuvre des socialistes-révolutionnaires et des gardes blancs de l'étranger [...], un mouvement petit-bourgeois anarchiste.

La Commune, du 2 au 18 mars 1921

Le 2 mars, 300 délégués de toutes les unités militaires des équipages et des fabriques, se réunissent dans le but d'élaborer les bases des nouvelles élections du Soviet. C'est le commencement de la Commune. Le 3 mars, parait le premier numéro des Izvestia (Les Nouvelles) de Kronstadt, journal quotidien de la Commune jusqu'au 16 mars. Toutes les prises de position des insurgés y paraîtront.

Pendant dix jours et dix nuits harassantes, les marins et les soldats de la ville tinrent bon contre un feu d'artillerie continu, venant de trois côtés, et contre les bombes, lancées par l'aviation. Pendant la Commune, tout le Petrograd socialiste (au sens réel du terme) et anarchiste est décimé, soumis sous la botte bolchevik. Les équipes de la Tchéka arrêtent tous les militants, les attroupements "de plus d'une personne" sont interdits !

Pour mettre Kronstadt à genoux, le gouvernement devra faire appel à des unités spéciales, laminées par la propagande officielle et d'une fidélité aveugle au Parti. Mais malgré cela, l'État-major de l'Armée rouge va subir de nombreux déboires. Dès les premières offensives, des démissions massives se produisent. Des régiments entiers refusent de monter à l'assaut ! Ces mouvements de refus vont s'intensifier les jours suivants : beaucoup de mobilisés veulent savoir ce que réclament les Kronstadiens et pourquoi on les envoie contre eux. La répression s'abat sur les régiments " indisciplinés " : dans de nombreuses unités, un soldat sur cinq est fusillé. Lors des attaques, afin de prévenir la reddition des troupes, des rangs " d'éléments sûrs " (Tchékistes, permanents du Parti) sont placés derrière les assaillants et leurs tirent dessus à la moindre hésitation.

Le 16 mars, l'ordre est donné de s'emparer de la forteresse coûte que coûte. Quand les forces gouvernementales parviennent à rentrer dans Kronstadt, la bataille se transforme en combat de rue. Exténués par huit jours de résistance ininterrompue, affamés, à court de munitions, les kronstadiens décident d'évacuer la forteresse. 8 000 d'entre eux parviendront à se réfugier en Finlande. Ils seront arrêtés plus tard, à leur retour, et fusillés en nombre ou entassés dans des camps.

Si le nombre de kronstadiens tombés au cours des combats est relativement peu élevé (comparativement aux pertes des attaquants), il va considérablement augmenter par le nombre de prisonniers et blessés exécutés sommairement par leurs ennemis. Les kronstadiens vont en effet être sauvagement pourchassés dans les rues de la ville, les blessés achevés sur place. Dybenko, le nouveau commandant de Kronstadt nommé par le pouvoir, revendique 900 exécutions pour la première journée où l'ordre fut rétabli dans l'île. Les kronstadiens étaient devenus des témoins gênants des contradictions de la dictature du prolétariat. Par conséquent leur seule existence continuait à représenter un danger pour le Parti, car ils pouvaient contaminerle reste de la population, en les informant de la nature et du caractère réels de leur mouvement.

La signification politique de Kronstadt

L'objectif des insurgés de Kronstadt était clairement une "troisième révolution". Cette troisième révolution fait suite à la première, contre le tsarisme, contre la noblesse féodale et l'autocratie et à la deuxième, contre la bourgeoisie, le parlementarisme et le capitalisme privé. La Troisième révolution se fera, elle, contre le césarisme bureaucratique de parti et le capitalisme d'État, pour établir le pouvoir des Conseils, sans parti guide. Si les Kronstadiens ne cèdent pas aux sommations et ultimatums lancés par Trostsky et ses sbires c'est donc parce qu'ils espèrent, jusqu'au dernier moment, que leur mouvement va servir de déclencheur à cette nouvelle révolution sociale.

Le caractère libertaire et révolutionnaire de ce mouvement est donc indéniable. Mais pour saisir la signification précise de Kronstadt, il faut aller plus loin. L'insurrection marque un tournant décisif de la Révolution russe parce qu'elle consacre l'instauration définitive du bolchevisme. Lénine a su exploiter l'événement pour mater et écarter l'Opposition Ouvrière au sein de son propre parti ; le tout afin de passer à la N.E.P, la Nouvelle Politique, ce qui n'eût pas été possible sans la répression du dernier souffle révolutionnaire du prolétariat à Kronstadt.

Du fait de sa trop brève durée et de son isolement, Kronstadt n'atteint pas la même profondeur sociale et révolutionnaire que le mouvement makhnoviste ou la révolution espagnole de 1936-1937 par exemple, mais sa démarche spontanée de classe et la netteté de ses mots d'ordre en font un prototype accompli de toute lutte anti-autoritaire.

par un groupe anarchiste de kronstadt



1921, l'orage éclate à Petrograd

Expulsé des Etat-Unis Emma Goldam et Alexandre Berkman parcourrent la russie révolutionnaire. Durant l'hivers 1920 / 1921, ils sont à Prétrograg (future Léningrard) le berceau de la révolution de 1917. Le texte que nous vous proposon est issu de la biographie d'E. Goldman : Living my life.

Au début de mon séjour en Russie, la question des grèves m'avait beaucoup intriguée.

On m'avait dit que la dernière grève avait été écrasée et les grévistes jetés en prison, je ne croyais pas un mot de cette histoire mais je posai la question à Zorine :

- Des grèves sous la dictature du prolétariat ? s'était-il exclamé, cela n'existe pas !

Des grèves contre qui ? Contre les ouvriers eux-mêmes ? Eux, les maîtres du pays !

A, peine, étions-nous arrivés à Petrograd depuis vingt-quatre heures que la ville en effervescence était parcourue de rumeurs de grèves. Au cours de cet hiver particulièrement sévère, les tempêtes de neige avaient retardé la livraison des provisions déjà bien maigres.

De plus le Petro-Soviet avait eu la stupidité de fermer des usines et de diminuer les rations de nourriture. La situation était grave. Bien entendu, nous n'allions pas repartir pour Moscou.

L'orage éclata plus tôt que prévu.

Ce sont d'abord les ouvriers des filatures de Troubetskoï qui se mettent en grève pour obtenir une augmentation des rations et une distribution de chaussures, Le soviet de Petrograd refuse de parlementer avec eux et envoie des compagnies armées de jeunes communistes pour disperser les ouvriers.

Cinq autres usines suivent le mouvement et se mettent également en grève. Les ouvriers organisent alors un grand défilé à Petrograd et les soldats interviennent brutalement pour le faire cesser.

Les revendications initiales, "du pain et du feu", deviennent vite plus politiques : un manifeste revendiquant davantage de liberté pour les ouvriers et les paysans et un changement radical de politique du gouvernement fait mystérieusement son apparition sur les murs. La tension monte et il ne s'écoule pas de jour sans que de nouveaux manifestes soient affichés.

La loi martiale est proclamée

Quand les ouvriers ne reprennent pas le travail on leur supprime les bons de nourriture et comme ces mesures ne produisent pas les résultats escomptés, les syndicats sont interdits. On commençait à arrêter les militants ouvriers : Sasha tenta alors de joindre Zinoviev et moi Mme Ravich et Zorine, pour essayer de faire comprendre aux leaders soviétiques la folie et le danger de leur tactique. On nous fit à chaque fois la même réponse : ils étaient trop occupés à défendre la ville contre les complots des mencheviks et des socialistes révolutionnaires.

La grève s'étendait. Les arrestations aussi.

L'obscurantisme des autorités encourageait malheureusement les éléments réactionnaires qui publiaient des proclamations anti-juives et anti-révolutionnaires...

Les grévistes étaient déterminés mais il était clair qu'ils allaient bientôt mourir de faim et pas question d'organiser des collectes car personne n'avait rien à donner. Les quartiers industriels étaient coupés du reste de la ville par des barrages militaires.

La situation était franchement dramatique quand un premier espoir parcourut la ville.

Fidèles à leur tradition révolutionnaire glorieusement illustrée en 1905 puis au cours des deux soulèvements de 1917, les marins de Cronstadt prenaient fait et cause pour les prolétaires persécutés de Petrograd. Discrètement, ils avaient envoyé une délégation enquêter sur la situation. Quand elle fit son rapport, les marins du Petropavlovsk et du Sebastopol votèrent sur le champ une motion de soutien aux grévistes dans laquelle ils déclaraient leur loyauté à la Révolution, aux Soviets et au Parti communiste mais ils entendaient protester contre l'arbitraire des commissaires.

Dans la même motion, ils réclamaient le droit de réunion pour les syndicats ouvriers et les organisations de paysans, ainsi que la libération des prisonniers politiques détenus dans les prisons et les camps de concentration.

Le 1er mars, un meeting en plein air réunit seize mille marins soldats de l'Armée Rouge et ouvriers de Cronstadt. Des résolutions furent adoptées à l'unanimité à l'exception de trois voix, celles du président du Soviet, du commissaire de la Flotte de la Baltique et de Kalinine, président de la Fédération des Républiques Socialistes.

Deux anarchistes qui avaient assisté au meeting nous racontèrent que depuis Octobre jamais ils n'avaient vu un tel enthousiasme, une telle manifestation spontanée de solidarité. Ils regrettaient que Sasha et moi n'y soyons pas. je me rappelais en effet que Gorki m'avait dit que les hommes de la Flotte de la Baltique étaient nés anarchistes et que ma place était parmi eux.

Cela faisait longtemps que j'avais envie de rencontrer les équipages de Cronstadt qui avaient envoyé un message de solidarité lors du procès de Sasha en 1917. Je décidai d'aller les rejoindre même si les bolcheviks devaient m'accuser d'inciter les marins à la révolte. Sasha dit qu'il se moquait bien de ce que diraient les communistes : il soutiendrait à tout prix la motion de Cronstadt.

D'ailleurs les marins ne pouvaient pas être soupçonnés d'antisoviétisme : leur meeting s'était déroulé sous les auspices du soviet de Cronstadt et avaient accueilli Kalinine à la gare avec des chansons et de la musique.

Mais plus tard, au cours d'une réunion de trois cents délégués, les marins avaient arrêté le président du soviet et le commissaire de la flotte qui les avaient traités de traîtres. De plus, les délégués venaient d'apprendre que l'ordre de retirer les vivres et les munitions de Cronstadt venait d'être donné.

Cela revenait à acculer la ville à la famine.

La nouvelle de la manifestation de solidarité des marins de Cronstadt enthousiasma Petrograd.

Hélas, une heure après, une autre nouvelle se répandait comme une traînée de feu dans Petrograd : Lénine et Trotski avaient signé une déclaration de guerre contre Cronstadt ; pour eux il s'agissait d'une mutinerie contre le gouvernement soviétique et ils dénonçaient le complot "les marins à la solde des anciens généraux tsaristes avec les socialistes révolutionnaires contre la République prolétarienne".

" C'est absurde ! s'écria Sasha en lisant l'ordre de Lénine. Ils ont été mal informés.

Comment peuvent-ils croire que ces héros de la révolution soient devenus des contre-révolutionnaires ! Partons pour Moscou ! Nous devons lever cet horrible malentendu. "

J'étais d'accord avec lui. Zinoviev, qui téléphonait chaque soir au Kremlin pour faire son rapport n'était pas spécialement connu pour son courage : il devait paniquer. D'ailleurs quand la garnison locale avait pris fait et cause pour les grévistes il avait immédiatement fait installer une mitrailleuse dans le hall de l'Astoria pour
assurer sa protection...

Il devait alimenter Moscou en histoires étranges et exagérées.

Une loi martiale extraordinaire fut décrétée dans toute la province de Petrograd.

Il était interdit de quitter la ville sans autorisation.

La presse bolchevique se lança dans une campagne de diffamation contre Cronstadt, laissant entendre que les marins avaient fait alliance avec le "général tsariste Kozlovsky". Sasha commençait à réaliser que la situation dépassait largement le simple malentendu. Trotski devait assister à une réunion spéciale du Petro-Soviet, nous décidâmes que c'était l'occasion d'essayer de le convaincre de régler le problème de Cronstadt dans un esprit fraternel. Malheureusement le train prit du retard et Trotski ne vint pas à la réunion.

Les orateurs présents avaient déjà quitté le terrain de la discussion rationnelle : leurs discours faisaient preuve d'un fanatisme délirant et d'une peur aveugle. Des soldats en armes de la Tchéka protégeaient l'estrade contre la foule. Zinoviev, qui présidait la séance, semblait sur le point de s'effondrer : il se leva plusieurs fois pour parler et se rassit sans un mot.

Quand enfin il réussit à articuler, il regardait sans cesse à droite et à gauche comme s'il craignait un attentat. Sa voix d'adolescent tournait en cris aigus qui ne pouvaient plus convaincre personne.

Il dénonça Kozlovsky comme instigateur de la révolte alors que tout le monde savait que ce vieil homme décrépit n'exerçait plus la moindre influence. D'ailleurs c'était Trostki lui-même qui l'avait nommé technicien militaire à Cronstadt. Mais qu'importe ! Zinoviev déclamait, affirmant que Cronstadt était manipulé par les tsaristes.

Kalinine lui succéda : " Aucune mesure ne sera trop sévère pour ceux qui osent s'attaquer à notre glorieuse révolution. " Au milieu de la meute hurlante, une voix se fit entendre une voix sérieuse, précise. C'était celle d'un homme assis au premier rang : le délégué des ouvriers de l'arsenal en grève.

Il se devait de protester dit-il - contre les mensonges proférés à l'encontre des courageux marins de Cronstadt. Planté face à Zinoviev, il le montrait du doigt et hurlait d'une voix tonitruante :

" C'est votre négligence et celle de votre parti qui nous ont poussés à la grève et nous ont gagné la sympathie de nos camarades marins. Nous nous sommes battus côte à côte pendant la révolution. Les marins ne sont coupables d'aucun crime et vous le savez bien. Consciemment, vous les calomniez pour les détruire !

" Sa voix fut couverte par le chahut de l'assemblée :

" Contre-révolutionnaire ! Traître ! Bandit menchevik !... ",

Le vieil ouvrier restait debout, sa voix dominait le tumulte " Il y a à peine trois ans, Lénine, Trotski, Zinoviev et vous tous étiez dénoncés comme des traîtres par les espions allemands" cria-t-il. Nous les ouvriers et les marins, nous sommes venus à votre aide et nous vous avons sauvés de Kerensky. Nous vous avons mis au pouvoir. L'avez-vous oublié ? Maintenant vous retournez les armes contre nous. Souvenez-vous que vous jouez avec le feu.

Vous répétez les erreurs et les crimes du gouvernement Kerensky. Méfiez-vous !

Vous risquez bien de subir le même sort, "

Zinoviev tressaillit et sur l'estrade les autres avaient l'air mal à l'aise.

Le public semblait impressionné par cet avertissement. Dans le fond de la salle, un marin en uniforme prit aussi la parole : "L'esprit révolutionnaire de mes camarades marins n'a pas changé, dit-il. Ils sont prêts à défendre la révolution jusqu'à leur dernière goutte de sang. "

Et il proposa de lire la fameuse motion du 1er mars, mais celle-ci souleva une telle tempête de protestations que c'était totalement inaudible pour tous ceux qui n'étaient pas juste à côté de lui.

Il continua néanmoins la lecture du communiqué jusqu'à la fin puis se rassit.

La seule réponse de Zinoviev fut une résolution exigeant la reddition immédiate et totale de Cronstadt sous peine d'extermination. Paralysée par cette atmosphère de fanatisme et de haine, ma voix m'avait abandonnée : je ne pouvais plus émettre le moindre son. Pourtant, aux États-Unis, j'avais toujours réussi à parler même dans des situations très périlleuses. Ce soir, je ne pouvais pas. je ne pouvais pas dénoncer les bolcheviks comme j'avais dénoncé les crimes de Woodrow Wilson.

J'étais anéantie par un sentiment d'impuissance. Ce silence devant l'imminence du massacre m'était intolérable. Puisque )e ne pouvais m'exprimer devant ce public déchaîné, je ferais entendre ma voix auprès du pouvoir suprême, le soviet de la Défense.

J'en parlai à Sasha qui avait eu la même idée : nous allions envoyer un appel commun protestant contre la résolution criminelle du Petro-Soviet. je ne croyais pas à l'efficacité d'une telle démarche mais, pour l'avenir, je tenais à proclamer que nous n'étions pas tous restés silencieux devant la trahison de la révolution par le parti communiste.

A deux heures du matin, Sasha téléphona à Zinoviev pour lui faire savoir qu'il avait un message à lui communiquer au sujet de Cronstadt, Zinoviev dut croire qu'il s'agissait de l'aider dans son complot parce qu'il prit la peine d'envoyer Madame Ravich, dix minutes après le coup de téléphone, pour prendre le message de Sasha. Nous y disions, notamment :

Rester silencieux maintenant est impossible, et criminel. Les récents événements nous forcent, nous anarchistes, à prendre la parole... " Le malaise et le mécontentement des ouvriers et des marins méritent notre attention : le froid et la faim, l'absence de discussion libre et de droit de critique les ont contraints à exposer leurs revendications au jour. Nous pensons que le conflit entre le gouvernement soviétique d'une part, les ouvriers et les marins d'autre part, doit être réglé non par la force des armes, mais dans la camaraderie et la compréhension révolutionnaire...

L'usage de la force contre eux par le Gouvernement des Ouvriers et des Paysans aura un effet réactionnaire sur l'ensemble du mouvement révolutionnaire international et fera un tort profond à la Révolution... Camarades bolcheviques réfléchissez avant qu'il ne soit trop tard.

Ne jouez pas avec le feu. Vous êtes sur le point de franchir un pas irréversible.

" Nous vous soumettons donc la proposition suivante : la réunion d'une commission de cinq personnes, dont deux anarchistes, qui va se rendre à Cronstadt et règlera le conflit par des moyens pacifiques. Dans la situation actuelle, c'est la solution la plus radicale. Et elle aura un retentissement international.

ALEXANDER BERKMAN - EMMA GOLDMAN - PERKUS PETROVSKY

Petrograd, le 5 mars 1921.

Notre appel était tombé dans l'oreille d'un sourd.

Le lendemain matin, Trotski arrivait et lançait son ultimatum : , Au nom du Gouvernement des Ouvriers et des Paysans - déclarait-il - nous tirerons comme des perdrix tous ceux qui osent lever la main contre la terre socialiste. " Les navires et les équipages devaient se rendre immédiatement au gouvernement soviétique. Seuls ceux qui se rendraient inconditionnellement pourraient bénéficier de la grâce de la République soviétique.

L'ultimatum était signé de Trotski, en tant que président du soviet militaire et de Kamenev, commandant en chef de l'Armée Rouge. La critique du droit divin des maîtres était à nouveau punie de mort.

Trotski, qui était arrivé au pouvoir grâce aux hommes de Cronstadt, payait sa dette en se réclamant de la "glorieuse révolution russe". Il avait à son service les meilleurs stratèges militaires des tsars, en particulier le fameux Toukhatchevsky, auquel Trotski confia le commandement de l'attaque contre Cronstadt.

Il disposait également des hordes de tchékistes rodées par trois années d'entraînement à l'art de tuer, de communistes spécialement sélectionnés pour leur obéissance aveugle et de troupes d'élite ramenées du front. Avec une telle concentration de forces, la ville mutinée devait être aisément domptée.

D'autant plus que les marins et les soldats de la garnison avaient été désarmés.

Emma Goldam (Le récit complet de la révolte de Kronstadt par Emma Goldman a été traduit par Daniel Guérin et publié dans : Ni Dieu ni Maître, Anthologie de l'anarchisme.)


https://www.facebook.com/notes/cnt-ait- ... 712550915/
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 14 Oct 2018, 19:27

Anarchistes et Juifs dans la Révolution russe

Anarchistes et Juifs dans la Révolution russe

Selon l’adage antisémite des années 1930, «  les Juifs dominent le monde  » , qu’ils soient capitalistes ou communistes. Si de nombreux Juifs et Juives se sont impliqués dans la dynamique révolutionnaire en Russie, c’est d’abord pour sortir de la situation d’extrême pauvreté, des mesures discriminatoires, et des pogroms orchestrés par l’appareil d’État tsariste. Beaucoup de ces Juifs et Juives révolutionnaires avaient choisi le camp libertaire et ont subi la répression bolchévique.

La Russie commence à s’industrialiser au tournant du XXe siècle notamment dans des villes moyennes du Yiddishland. [1] C’est à Bialystock que se crée le premier foyer de militance libertaire juive, suite à une scission au sein du Bund. [2] Prônant la révolution sociale immédiate, ces très jeunes gens sont impatients d’en découdre avec l’autocratie tsariste, la religion et le capital, trouvant le Bund ou le Parti socialiste-révolutionnaire trop timide dans leurs actions. Au plus fort du mouvement révolutionnaire de 1905, on trouve plusieurs centaines d’activistes libertaires juifs rien que dans cette ville. Des groupes libertaires essaiment alors jusqu’aux confins du Yiddishland.

Même si ce phénomène reste minoritaire au regard de l’immense majorité des paysans, la classe ouvrière de ces villes moyennes, où les conditions sociales sont extrêmement dures, va être un élément moteur d’une révolution décentralisée. Dans le climat de guerre sociale larvée qui suit l’échec de la révolution de 1905, les activistes libertaires juifs choisissent très majoritairement la stratégie «  action directe, sabotage, propagande par le fait, expropriation  ». Dans une logique de vendetta face à la répression tsariste. Ils et elles pratiquent la lutte armée contre les gradés de l’armée et la police, et commettent des attentas contre la bourgeoisie. Le passage à l’acte allant jusqu’à lancer une bombe dans la synagogue de Krynki qui abritait une réunion de patrons juifs. Ces anarchistes comme Samuel Schwartzbard initient des groupes d’auto-défense contre les pogromistes.

Riposter à la violence tsariste

La réaction du pouvoir tsariste est sans pitié. Entre 1906 et 1908, le mouvement libertaire est éradiqué en Russie, notamment dans le Yiddishland. Plusieurs milliers d’activistes périssent, d’autres sont emprisonnés ou envoyés en Sibérie. Les plus chanceux fuient en Occident et aux États-Unis où ils et elles vont fréquenter le mouvement libertaire et syndicaliste révolutionnaire, jusqu’en 1917, se formant à de nouvelles pratiques de lutte collective et de propagande. C’est à cette époque que Daniil Novomirsky, très influencé par Fernand Pelloutier, le promoteur des bourses du travail, en France, invente et utilise, en 1907, le terme «  anarcho-syndicaliste  ».

La révolution de 1917

De retour d’exil, en 1917, dans la «  Mère Russie  » par milliers, ces activistes libertaires juifs sont numériquement ultra minoritaire au regard d’une révolution qui engage six millions d’ouvriers et ouvrières, et une centaine de millions de moujiks. [3] Cependant ces militants et militantes aguerris vont devenir pour partie les cadres du mouvement anarchiste russe.

Débarrassés du carcan géographique du Yiddisland, ils et elles rejoignent en nombre Petrograd et Moscou, animent des soviets, dont celui de Kronstadt, des syndicats, éditent des journaux libertaires, structurent les organisations libertaires. [4] Physiquement engagés sur tous les fronts militaires, nombreux sont ceux et celles qui périssent les armes à la main. On les retrouve notamment en Ukraine, au côté de Nestor Makhno.

Puis de nouveau la répression s’abat sur le mouvement libertaire, dès avril 1918 à Moscou, mais cette fois ce sont les bolcheviks qui font le sale travail essentiellement au travers de leur appareil policier, la Tchéka, et de l’Armée rouge. Des anarchistes sont envoyés en exil dans les goulags où les sévices, le froid, la maladie et la disette les font mourir à petit feu jusque dans les années 1930. En 1920, Olga Taratouta, de son vrai nom Elka Ruvinskaia, écrit «  qu’un an et demi de prison soviétique  » lui avait coûté «  plus de vie que les dix années de travaux forcés du temps tsariste  ». Elle est fusillée le 8 février 1938 «  pour activité antisoviétique et anarchiste  » à 62 ans.

La « terreur rouge »

Les libertaires juifs sont particulièrement visés par l’appareil de répression bolchevik car très vite repérés en tant qu’animateurs et animatrices du mouvement. Leurs noms égrèneront dès 1922 les longues listes de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.

Une certaine porosité avec la culture judaïque donne d’ailleurs des résultats assez étonnants  : le terme «  pogroms anti-anarchistes  » est employé pour parler de victimes libertaires du pouvoir bolchevik.

Parallèlement, la présence de nombreux Juifs et Juives bolcheviks dans l’appareil d’État soviétique dès les premiers mois qui suivent la révolution, grâce à la fin des discriminations envers les minorités ethniques, suscitent bientôt une réaction antisémite. Lorsque l’extension de la bureaucratie favorise l’entrée massive d’une nouvelle génération issue des couches populaires paysannes, celle-ci entre en concurrence au sein de l’appareil stalinien, avec les «  Juifs de la première heure  ». Ces tensions perpétuent un antisémitisme populaire qui perdure jusqu’à nos jours en Russie.

De retour dans l’exil

La plupart des historiens libertaires de la Révolution russe sont d’origine juive. Ces intellectuel.les engagé.es dans l’action, Ida Met, Anatole Gorelik, Ephim Yartchouk, Voline, Alexandre Shapiro, ou des témoins oculaires tels Emma Goldman et Alexandre Berkman, n’ont de cesse dans leur exil de donner leur vision anti-autoritaire de la Révolution russe de dénoncer les exactions bolcheviks. Emma Goldman laisse dans ses Mémoires un témoignage émouvant de son passage dans un village d’Ukraine dans lequel les habitants juifs et juives viennent de subir un pogrom. Leurs analyses pertinentes de l’échec de la Révolution nous éclairent encore aujourd’hui sur la façon de conduire nos luttes et structurer notre mouvement. Ils et elles théorisent le système soviétique comme «  capitalisme d’État  ».

Dès 1922, la situation au goulag et la répression bolchevik (appelée «  fascisme rouge  », par Voline) est dénoncée par ces militant.es. Beaucoup ne les écoutent pas à cette époque, parce qu’ils et elles sont anarchistes. La droite et son extrême ne peuvent s’arroger le monopole de la dénonciation des crimes soviétiques  : les anarchistes qui se revendiquent du communisme ont toute la légitimité pour clamer haut et fort l’horreur des goulags. D’ailleurs laissons parler Gorelik, Voline et Konov  : «  Un jour l’historien de la révolution s’arrêtera tout étonné et effrayé aux pages relatant les persécutions que le gouvernement communiste fit subir à l’idée libertaire, à ses disciples, propagateurs et militants  ; il se détournera de ces pages en tressaillant. A première vue, il ne les croira pas. Et lorsqu’il les croira, lorsqu’il se persuadera de leur véracité bouleversante, il les qualifiera comme les pages les plus noires de l’histoire du communisme étatiste. Et il cherchera audacieusement l’explication historique et psychologique de cette épopée sanguinaire  » [5]

Un anarchiste juif signe le dernier acte de la révolution russe, en 1927 à Paris  : Samuel Schwarzbard y assassine le pogromiste ukrainien Petlioura d’un coup de pistolet en pleine rue devant le restaurant d’où il sortait. Son acte est considéré par la justice française comme de la légitime défense, ce qui lui permet d’échapper à la condamnation. Pour la petite histoire, Schwarzbard s’était procuré son arme auprès d’un groupe de militants exilés de la CNT espagnole. [6]

Jean-Marc Izrine [7]


[1] Région dans laquelle les tsars avaient cantonné les Juifs de Russie (Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Galicie, Pologne, Moldavie)

[2] Parti social-démocrate spécifiquement juif et tout aussi numériquement important à lui seul que le Parti ouvrier social-démocrate russe.

[3] Paysans en russe.

[4] Voir le dossier d’Alternative libertaire de juillet-août 2017 http://www.alternativelibertaire.org/?D ... eurs-choix, où plusieurs activistes juifs du mouvement sont cités.

[5] Brochure La répression de l’anarchisme en Russie soviétique, juin 1922.

[6] Juan Garcia Oliver, L’Écho des pas, Le Coquelicot, p.98-99.

[7] Jean-Marc Izrine est l’auteur de Les Libertaires du Yiddishland http://boutique.alternativelibertaire.o ... 33339.html, éditions d’Alternative libertaire.


http://www.alternativelibertaire.org/?A ... tion-russe
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Re: Les Soviets en Russie 1905-1921, révolution russe

Messagede bipbip » 23 Oct 2018, 18:02

congrès des anarcho-syndicalistes russes à Moscou (1918)

1-Sur le moment présent
2-Sur les soviets ( conseils)
3-Sur les comités d'usine et de fabrique et les syndicats

Sur le moment présent

Considérant que notre Révolution est une révolution sociale qui doit provoquer l'embrasement mondial d'un affrontement décisif des classes ; et prenant en considération qu'elle se trouve actuellement sous la triple menace contre-révolutionnaire de la bourgeoisie étrangère, de la contre-révolution intérieure et du parti actuellement dominant, devenu contre-révolutionnaire après la conclusion de la paix de BrestLitovsk et de la trahison du prolétariat et de la paysannerie de Pologne, de Lithuanie, d'Ukraine, de Finlande et autres.

la 1ère conférence panrusse des anarcho-syndicalistes estime indispensable et de toute urgence d'organiser ses forces pour la lutte contre les ennemis de la révolution et de la classe ouvrière, afin de poursuivre et approfondir la Révolution commencée.

Dans ce but, la Conférence des anarcho-syndicalistes recommande aux camarades, en ce moment donné, de tendre à réaliser et d'imprégner la conscience des classes laborieuses de la nécessité de la lutte pour :

1- La suppression du capitalisme d'Etat et de tout pouvoir.

2- La révolution communaliste, sur le plan politique, par l'union des soviets libres sur la base du fédéralisme ; la révolution syndicaliste, sur le plan économique, par une même union des organisations indépendantes des ouvriers et des paysans sur une base de production.

3- La création de soviets libres de délégués (les ouvriers et paysans, et la suppression de l'institution des commissaires du peuple, en tant qu'organisation hostile aux intérêts de la classe ouvrière.

4- La suppression de l'armée, en tant qu'institution, et l'armement général des ouvriers et paysans, en montrant l'absurdité de la "patrie socialiste", car il n'y a que le monde entier qui puisse être tel.

5- Le combat contre la réaction blanche, comme par exemple les Tchécoslovaques et autres mercenaires de l'impérialisme mondial, sans oublier que le parti anciennement archi-révolutionnaire des bolcheviks est devenu le parti de la stagnation et de la réaction.

6-Le transfert de la question du ravitaillement entre les mains des organisations paysannes et prolétaires, l'arrêt des réquisitions forcées et des mesures policières à la campagne ; de telles mesures provoquent l'hostilité des paysans envers les ouvriers, affaiblissent le front révolutionnaire et font le jeu de la contre-révolution.

Sur les soviets

Prenant en considération :

l- le rôle des soviets dans la lutte contre la contre-révolution.

2- Le mécontentement des ouvriers vis-à-vis de la tactique des bolcheviks à l'égard des soviets et des autres organisations ouvrières, qui ne fait que croître.

3- La dictature des bolcheviks sur les soviets et les organisations ouvrières qui pousse les ouvriers à droite, vers l'Assemblée constituante.

4- Que pour sortir la révolution de l'impasse, il faut une grande énergie et une pleine responsabilité de la part des travailleurs et qu'il est pour cela nécessaire de restaurer les soviets en tant qu'organisation purement de classe. Que les travailleurs doivent avoir des soviets une compréhension plus claire et déterminée, afin de mener un combat victorieux.

Nous, anarcho-syndicalistes, déclarons :

1- Nous sommes pour les soviets qui tendent à la destruction des formes centralistes actuelles. (des conseils- des soviets libres ndt)

2- Nous avons lutté et lutterons pour les soviets, en tant que forme politique transitoire, car nous considérons que la fédération des villes et des communes libres apparaît comme la forme politique transitoire de la société, devant inévitablement mener à la suppression totale de l'Etat et au triomphe définitif du communisme.

3- Nous sommes pour les soviets, mais sommes catégoriquement contre le Soviet des commissaires du peuple, en tant qu'organe ne découlant pas de l'oeuvre des soviets, mais au contraire ne faisant que la gêner.

4- Nous sommes pour les soviets réellement représentatifs, organisés sur des bases collégiales, sous réserve d'une délégation directe des ouvriers et paysans d'une usine donnée, d'une fabrique, d'un village, etc. et non de politiciens bavards y entrant sur des listes de parti et qui transforment les soviets en salons de bavardages démagogiques.

5- Nous sommes pour la fédération des soviets, où les soviets locaux autonomes s'unissent sur le plan du district et de la région ; et aussi pour que périodiquement des congrès généraux panrusses s'assemblent et s'organisent en commissions conçues sur le modèle du soviet.

6- Nous sommes pour les soviets libres ne prenant de mesures qu'après consultation des électeurs locaux qui se tiennent à l'écart des comités centraux de tous les partis possibles, s'il est encore possible d'y mener un travail libre et créateur.

Sur les comités d'usine et de fabrique et les syndicats

l- Il est indispensable de procéder à une transformation radicale et immédiate de l'économie du pays, la bourgeoisie impérialiste l'ayant acculée, par la guerre et le pillage, à une situation désespérée ; il faut abolir le système capitaliste d'Etat et le remplacer par un système socialiste basé sur des principes communistes libertaires.

2- Les organisations ouvrières doivent jouer le rôle le plus actif dans cette oeuvre, chacune sur son terrain défini par la vie (sans permettre en cela aucune intervention de l'Etat ou d'organisations étatiques).

3- Les syndicats, ainsi que l'a montré la révolution actuelle, ne peuvent être l'axe du mouvement ouvrier, du fait qu'ils ne correspondent pas à la situation politique et économique changeante actuelle, ni par leur forme ni par leur nature. A présent, une nouvelle forme d'organisation ouvrière correspond pleinement aux nouvelles formes révolutionnaires de la vie économique et politique, tant par ses structures que par sa nature. Cette nouvelle forme d'organisation est le produit de la grande révolution laborieuse : les comités d'usine et de fabrique. Dorénavant, le centre de gravité des aspirations ouvrières doit se transporter dans cette forme d'organisation.

4- Les syndicats dans leur sens habituel sont des organisations mortes. Désormais, ils apparaissent comme une section du comité d'usine et de fabrique, menant un travail complètement autonome dans les secteurs suivants :
- éducatif et culturel (seulement là où les organisations prolétariennes culturo-éducatives n'ont pas pris corps) ;
- de solidarité ;
- dans les cas d'aide individuelle, où le comité d'usine, la bourse du travail et la coopérative ouvrière de consommation n'ont pas à intervenir.

5- Le comité d'usine et de fabrique est la forme organisationnelle de combat de tout le mouvement ouvrier, considérablement plus achevée que les soviets de délégués des ouvriers, paysans et soldats, du fait qu'il apparaît comme l'organisation autogérée de production à la base et parce qu'il se trouve sous le constant et vigilant contrôle des ouvriers. C'est sur lui que la Révolution fait reposer l'organisation de la vie économique à partir des principes communistes. Là, où il n'est pas possible de créer des comités d'usine et de fabrique, les syndicats remplissent leurs fonctions.

6- Le comité d'usine et de fabrique est notre organisation future, jeune et dynamique, pleine de vie et d'énergie ; les syndicats notre organisation ancienne, vieille et usée. Le comité d'usine et de fabrique est l'une des formes les plus achevées d'organisation ouvrière, dans les limites de l'ordre étatique et capitaliste actuel en train de crouler ainsi que le premier organe social de base dans la future société communiste libertaire.
Toutes les autres formes d'organisation ouvrière doivent s'effacer devant lui, car elles ne peuvent être que ses ramifications.
Avec l'aide des comités d'usine et de fabrique et de leurs unions, réalisées fédérativement, la classe ouvrière anéantira aussi bien l'esclavage économique actuel, que son nouvel aspect le capitalisme d'Etat, qui se fait appeler "socialisme".

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