L’état veut confier les services publics à des agences indépendantes
C’est Solidaire Jeunesse et Sport qui a sonné l’alerte, par l’intermédiaire de son porte-parole, Raphaël Millon. L’ancien Conseiller Technique Sportif auprès de la fédération française de badminton, a directement contacté Le Média pour nous avertir de la situation et nous informer qu’une mobilisation intersyndicale se tiendra le 11 octobre devant le ministère des sports, situé à l’Avenue de France dans le XIIIe arrondissement de Paris.
Selon le communiqué de Solidaires, c’est 50 % des effectifs du ministère qui s’apprêtent à être privatisés. A ce train-là, le ministère sera vite transformé en agence, façon anglo-saxonne, et des milliers d’emplois, aussi bien dans les fédérations que dans les clubs amateurs, sont menacés. Un rapport du Comité Action Publique 2022 (CAP22) a été établi par le gouvernement. Il y est question de « changer de modèle », de « transformer » le ministère pour le rendre « plus efficace ». La question est de savoir ce qu’il y a lire entre les lignes et si le gouvernement ne joue pas avec les euphémismes.
Vers une privatisation du ministère des Sports
Grâce à Raphaël Millon, Le Média a pu consulter ledit rapport. Dès le début, l’ambition affichée est « d’améliorer le service public tout en faisant des économies substantielles ». Sous-entendu, on va couper dans les dépenses publiques. Attention tout de même de ne pas couper n’importe comment. Souvenons-nous que le projet de loi de finance prévoit la cession des participations de l’État dans la FDJ et dans Aéroports de Paris, alors que les deux étaient rentables. Le problème c’est qu’en interne, au sein du ministère des Sports et des fédérations, les rapports de force se font âpres. Notamment entre les conseillers techniques sportifs (CTS) et les directeurs techniques nationaux (DTN). Et il « serait dangereux que les DTN obtiennent une position de supérieur hiérarchique sur les CTS », nous explique Raphaël Millon. Et ce d’autant plus que le choix des DTN se font à la discrétion des présidents de fédération. Autrement dit, les DTN deviendraient les pions des présidents de fédération et l’autonomie des CTS, ainsi que leur liberté pédagogique, seraient considérablement remis en question. C’est du moins ce que semble craindre Solidaires Jeunesse et Sport. On reprend les principes du taylorisme des années 1920 tels qu’ils sont décrits par la sociologue du travail Danièle Linhart. On dépossède les travailleurs de leur métier et de leurs compétences pour les mettre au service de l’entreprise. En l’occurrence, ça devrait être au service d’une agence. Pour le dire autrement, la dépossession professionnelle a pour but officieux de plonger les salariés dans un état de soumission et de dépendance vis-à-vis de la hiérarchie. En dehors des postes au sein des « fédé », la question du devenir du sport français nous conduit à poser le regard sur le sport amateur. Comment les clubs amateurs survivront à de telles mesures ? Qu’adviendra-t-il des milliers de bénévoles et d’entraîneurs, de préparateurs physiques qui travaillent dans les clubs amateurs ?
On se souvient qu’en 1996, à la veille des JO d’Atlanta, Jacques Chirac avait déjà tenté ce genre de privatisations. Les délégations olympiques ayant menacé de boycotter la cérémonie d’ouverture, le président de la République avait alors décidé de tout laisser tomber. Nous ne sommes pas à la veille des JO de Tokyo, il est vrai. Mais ces derniers approchent à grand pas : deux ans, c’est court et la préparation des athlètes pourrait bien être perturbée, puisque qu’une telle mesure bouleverserait les fédérations et leur fonctionnement. De quoi susciter des inquiétudes légitimes dans le monde du sport et auprès des sportifs. Teddy Riner avait déjà fait part de ses craintes à la suite de l’annonce du budget alloué au ministère des Sports. Avec une diminution de 30 millions d’euros, son budget serait de 450 millions. Ce qui est dérisoire et en fait le plus petit budget du gouvernement parmi les ministères de plein exercice. Le double médaillé d’or olympique avait alors appelé à ce que le sport français mette « tous les moyens de son côté ». Kevin Meyer, récent recordman du monde du décathlon, a été plus loin en déclarant avoir « peur pour l’avenir du sport français ».
Le sport de haut niveau et le sport pour tous en danger
Même du côté des politiques, de gauche comme de droite, on ne comprend pas bien où le gouvernement veut en venir. Concernant les CTS, il est aussi prévu que le ministère transfert une partie des effectifs vers les collectivités locales. Valérie Pécresse, la présidente de la Région Île-de-France, explique qu’un tel transfert serait impossible et que la région n’a pas les moyens de prendre en charge ces effectifs. Cette dernière rappelle dans les colonnes de L’Equipe que « les collectivités n’ont pas le droit d’augmenter de plus de 1% leur budget. L’État nous a mis dans une situation où il est impossible d’intervenir à sa place. » Le vice-président de la région en charge du sport, Patrick Karam, toujours dans L’Equipe, ne « comprend plus dans quel sens vont nos autres partenaires. » Il paraît effectivement contradictoire de contraindre les collectivités locales à une orthodoxie budgétaire et, dans le même temps, de leur demander de prendre les CTS en charge. Pour l’ancienne ministre des Sports, Marie-George Buffet, qui s’est exprimée aux micros de nos confrères de France Info : « On est en train d’assécher le mouvement sportif et de tuer une politique publique. »
Pour Philippe Thiébaut, vice-président de l’association des DTN chargé des ressources humaines, explique au Média que l’enjeu, « c’est un modèle qui date des années 1960, sous le général de Gaulle ». Ce modèle veut que les cadres techniques soient des fonctionnaires d’État et qu’ils aient une mission auprès des fédérations. « Si on considère que les CTS ne sont plus des fonctionnaires, c’est tout le système s’effondre. Il ne s’agit pas de défendre une corporation mais le modèle de délégation de service public. Le déléguer a une association de droit privé est-il viable ? Se débarrasser des cadres techniques est économique à court terme mais très vite la plus-value humaine va leur coûter beaucoup plus cher. La valeur d’un cadre technique, dans le privé, est bien plus cher. » Concernant les collectivités territoriales, qui pourraient se voir contraintes de prendre en charge les cadres technique, l’ancien DTN de la Fédération française de tennis de table explique que « les régions n’ont pas vocation à prendre en charge des délégués de l’administration centrale. Elles ne peuvent pas gérer des cadres techniques de façon autonome par rapport au cadre national. » Elles n’en ont pas les moyens financiers ni organisationnels. « Il faut néanmoins être force de proposition, et nous demandons que l’État reste présent pour aider à développer le haut niveau et que les cadres restent auprès du ministère. Le problème, c’est qu’on a une logique commerciale du sport à l’anglo-saxonne. Il y a un fantasme libéral du sport. Le sport est aussi ce qui permet le vivre ensemble, la bonne santé et l’épanouissement d’une population. C’est une vraie mission de service public. » Dans le modèle promis par Emmanuel Macron, « les plus costauds économiquement vont survivre et les plus petits vont mourir. Avec le peu de budget dont dispose le ministère des sports, il est capable d’être présent partout car la délégation de service public protège le sport, les fédé et les clubs de la concurrence venant du privé. C’est un monopole d’État qu’il faut protéger. ».
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