Violences policières, crimes racistes : à quoi sert vraiment la légitime défense ?
L'historienne et politologue Vanessa Codaccioni se penche dans son nouveau livre sur la légitime défense. Donne-t-elle vraiment un “permis de tuer” aux policiers ? Sert-elle à couvrir des crimes racistes ? Que disent les verdicts de relaxe, d'acquittement ou de non-lieu dans les cas de légitime défense ? Entretien.
À quoi sert vraiment la légitime défense ? Strictement encadrée par la loi, cette notion fait régulièrement l'objet d'une politisation extrême, par des associations sécuritaires comme “Légitime Défense” (créée en 1978) ou par des forces politiques comme le Front national. A la faveur du contexte des attentats commis sur le territoire français, la légitime défense policière a ainsi été étendue par deux lois en 2016 et 2017. Avec quelles conséquences ? Dans Légitime défense - Homicides sécuritaires, crimes racistes et violences policières (CNRS Editions), l'historienne et politologue Vanessa Codaccioni renseigne sur les effets insidieux de ce moyen, pour les auteurs d'homicides, d'échapper à la justice. Au terme d'une analyse socio-historique des grandes affaires de légitime défense de 1978 à nos jours, elle montre qu'elles couvrent bien souvent des crimes sécuritaires ou racistes. La légitime défense serait ainsi “une cause d’irresponsabilité pénale accordée à certains individus au détriment d’autres en raison de leurs caractéristiques sociales”.
Pour écrire cette sociologie de la légitime défense en France, de 1978 à nos jours, vous avez dépouillé la presse et plusieurs fonds d’archives judiciaires. Quelles grandes tendances avez-vous mis en lumière ? Le champ de la légitime défense s’est-il étendu en quarante ans ?
Vanessa Codaccioni - La première grande tendance est la baisse du nombre de meurtres dits “commis en état de légitime défense”. Cela s’explique par l’intolérance croissante des sociétés occidentales à la violence et par la pacification des mœurs, mais aussi par l’action de l’État français qui a mis en œuvre un ensemble de mesures pour les rendre plus exceptionnels. Je pense ici surtout à la politique de contrôle des armes à feu, de plus en plus restrictive et sévère. La carabine 22 Long Rifle par exemple, qui était avec le fusil de chasse l’arme la plus utilisée à des fins sécuritaires, n’est plus en vente libre, comme la plupart des armes à feu. L’un des grands processus que j’étudie est donc celui de la limitation de la légitime défense citoyenne par l’État.
La deuxième grande évolution, qui se déroule parallèlement à la première, est l’extension du champ d’application de la légitime défense policière. La possibilité pour les policiers d’utiliser plus facilement leurs armes est une vieille revendication des syndicats de police les plus à droite, mais aussi de certains élus RPR, UMP puis Les Républicains. Jusque-là lettres mortes, ces revendications ont trouvé un écho favorable dans le cadre du renforcement de la lutte antiterroriste et, plus précisément, après les attentats du 13 novembre 2015. D’où le vote de deux lois, en 2016 et 2017, qui modifient les conditions d’utilisation des armes à feu par les agents des forces de l’ordre. La gravité des attaques, la potentialité meurtrière inédite des attentats et les nouvelles problématiques autour du “faire mourir” les terroristes ont ainsi permis une extension sans précédent du pouvoir de mort policier.
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