Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede Johan » 15 Sep 2009, 16:24

Fransisco Ferrer

1909 : L’Affaire Ferrer soulève les foules contre l’Église catholique[ /size]
Durant l’été 1909, la monarchie espagnole a maté dans le sang une insurrection à Barcelone. Mais elle ne se doute pas qu’en exécutant le pédagogue Francisco Ferrer, elle va s’attirer une protestation mondiale sans précédent. En France, l’Affaire Ferrer va même marquer un tournant dans les pratiques politiques. Un épisode méconnu de l’histoire du mouvement ouvrier.


En juillet 1909, le sang coule à Barcelone. Le peuple s’est soulevé contre la guerre coloniale au Maroc. La monarchie met plusieurs jours à reprendre le contrôle de la ville, et le bilan est cruel : 2.000 arrestations, 500 blessés, 78 morts. Les révolutionnaires sont traqués, les syndicats interdits, les écoles laïques fermées. L’histoire retiendra cette insurrection sous le nom de « Semaine tragique ». À l’étranger, elle provoque un mouvement de solidarité orchestré, en France, par la CGT, le Parti socialiste-SFIO et la mouvance anarchiste.

En 1909, l’anarchisme communiste français est structuré autour de deux pôles. D’une part, l’hebdomadaire Les Temps nouveaux, un peu pontifiant, animé par un Jean Grave vieillissant. D’autre part, une mouvance plus activiste, plus syndicaliste, que l’on retrouve au Comité de défense sociale (CDS, un organisme anti-répression), à l’Association internationale antimilitariste (AIA), au Libertaire et au sein de l’hebdomadaire le plus influent de l’extrême gauche : La Guerre sociale, dirigé par Gustave Hervé, leader de la tendance « insurrectionnelle » (c’est son nom) du Parti socialiste.

En avril, cette mouvance s’est dotée d’une petite structure politique : la Fédération révolutionnaire, animée par des militants comme Miguel Almereyda (de la Guerre sociale), Georges Durupt (de l’AIA), René de Marmande (du CDS) ou Eugène Péronnet (du CDS et du Libertaire).

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Le Libertaire du 13 octobre 1909

Mais, en cet été 1909, la campagne menée pour Barcelone ne rencontre guère d’écho au-delà des milieux militants. Un mois après la Semaine tragique, les médias et le grand public sont déjà passés à autre chose. Il faut attendre la fin de l’été pour que survienne un événement qui va non seulement relancer les protestations, mais centupler leur portée, soulevant cette fois l’indignation de vastes foules : l’arrestation de Francisco Ferrer.

En fait, quand il est arrêté par la police espagnole, le 1er septembre, l’anarchiste Ferrer n’est pas vraiment connu du grand public en-dehors de l’Espagne. À l’étranger, il n’est célèbre que dans les milieux avancés, où on admire son œuvre pédagogique (voir ci-contre).

Francisco Ferrer n’a joué aucun rôle dirigeant dans l’insurrection de Barcelone. Réfugié en France depuis 1906, il ne faisait alors qu’un discret passage en Catalogne pour visiter sa famille. Mais sa présence a été repérée, et l’Église pense tenir sa revanche. Interpellé, Ferrer est désigné comme le principal fomenteur de révolution, et enfermé dans la forteresse de Montjuich. Il est passible de la peine de mort.

Manifestation motorisée sur les boulevards

La nouvelle fait rapidement le tour du mouvement ouvrier international. On sonne l’alarme. Il faut en appeler au peuple, lui faire connaître cette « noble figure », sauver Ferrer ! Des comités de défense se créent un peu partout. En France, le Comité Ferrer, animé par les libertaires Charles-Albert et Charles-Ange Laisant, s’appuie sur le CDS et la Fédération révolutionnaire. Dès le 9 septembre, il monte une pétaradante manifestation motorisée dans la capitale. Pas moins de 12 automobiles parcourent les boulevards extérieurs, couvertes de grands panneaux : « Exécutions sommaires en Espagne ! On va tuer Ferrer ! » Par les portières, on lance des poignées de tracts. La chevauchée se termine aux abords de l’ambassade espagnole : tout le monde en garde à vue.

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Emeute lors de la manifestation pour Ferrer, le 13 octobre 1909

Mais la campagne se poursuit et, à la surprise des révolutionnaires, elle marche au-delà de toute attente. Au bout de quelques semaines, Ferrer est sur toutes les lèvres. Les militantes et les militants se prennent à espérer car, comme en une réminiscence de l’affaire Dreyfus, l’ensemble du camp « progressiste » se met à vibrer pour le prisonnier de Montjuich. Les intellectuels pétitionnent. La CGT fait voter des ordres du jour. Des anarchistes à certains républicains, en passant par les socialistes, libres-penseurs et humanistes divers, des centaines de milliers de voix conspuent le monarque espagnol Alphonse XIII, bientôt en passe de supplanter le tsar de Russie comme parangon du tyran sanguinaire.

Du fond de sa cellule, Francisco Ferrer a-t-il conscience qu’il est brusquement devenu un mythe ? Dans des millions de cœurs il est à présent le doux pédagogue auréolé de martyre, symbole de la liberté contre le despotisme, de la laïcité contre l’Église, de la modernité contre l’archaïsme, de la lumière contre l’obscurantisme, bref, de la civilisation contre la barbarie.

Pourtant, la campagne mondiale en sa faveur ne suffit pas à empêcher le tragique dénouement. Le 13 octobre, à l’aube, il est fusillé dans les fossés de Montjuich, sans presque de témoins.

Dès midi, l’Europe et le monde sont au courant. Le choc est immense. À Rome, les fiacres et les tramways se mettent en grève et les rues se remplissent de manifestants. Les syndicats appellent à une grève générale de 24 heures. Le lendemain, l’armée protège le Vatican contre une foule de jeunes gens venus en découdre avec « les jésuites ». En Belgique, les Maisons du peuple du bassin de Charleroi se pavoisent de drapeaux noirs en signe de deuil. À Trieste, en Autriche, les chantiers navals sont partis en grève dès 10 heures, et les écoles publiques sont désertées. Barcelone, encore éprouvée par la grande saignée de juillet, est secouée par trois attentats à la bombe. À Londres et Berlin, où le mouvement ouvrier est canalisé par la social-démocratie, on se contente de voter des protestations, mais on programme des manifestations monstres pour les jours suivants. À Buenos Aires, 20.000 personnes affluent au meeting des anarchistes de la FORA, qui appellent à la grève générale. À Lisbonne, on se bat aux abords de l’ambassade d’Espagne. À Saint-Pétersbourg, où toute manifestation est prohibée, 2.000 étudiantes et étudiants votent une résolution à la gloire de Ferrer et l’expédient à l’ambassadeur espagnol [1].

La France enregistre également son lot de troubles. La CGT appelle au boycott des navires espagnols. À Lyon, un millier de personnes brisent les vitres d’un journal qui s’est trop ouvertement réjoui de l’exécution, et affrontent la police à proximité du consulat. Scène similaire au Havre, où les dockers ont voté la grève. À Lille, 3.000 personnes affluent à un meeting du PS émaillé de violences. Dans le bassin houiller, les drapeaux sont en berne au fronton des mairies. À Amiens 2.000 personnes manifestent. À Cherbourg, le directeur de la police refuse d’entraver les manifestations et démissionne. À Brest, les ouvriers sortent de la bourse du travail en entonnant L’Internationale et L’Hymne à l’anarchie ; des troupes coloniales leur barrent l’accès du consulat. À Sète, ouvriers et marins en grève forcent l’accès au vice-consulat où ils brûlent un drapeau espagnol. À Marseille, un meeting attire 10.000 personnes, la manifestation 20.000 ; le consulat est protégé par la troupe. À Nancy, après le meeting, une bombe artisanale est projetée dans le jardin de l’évêché. À Orléans 600 manifestants brisent des vitres et tirent des coups de feu en direction du consulat espagnol.

Pluie de cailloux et de briques

Mais c’est dans la capitale que la manifestation est la plus violente. Dans les rues, où on s’arrache L’Humanité et La Guerre sociale, le mot d’ordre se répand : « À l’ambassade ! » Vers 21 heures, deux cortèges de plusieurs milliers de personnes, celui du PS, derrière Jaurès et Vaillant, et celui des révolutionnaires, mené par Hervé et Durupt, convergent vers l’ambassade. Face à eux, trois lignes de policiers à pied et à cheval, commandés par le préfet Lépine en personne. Le choc est rude. On s’égosille. L’Internationale à tue-tête. Des « Vive Ferrer ! » à en assommer les flics. Le cortège du PS, moins combatif, est disloqué par la police. Du cortège révolutionnaire, des coups de feu claquent. Les dragons mettent sabre au clair. On fait feu sur le préfet : manqué ! mais deux agents à ses côtés sont fauchés par les balles. La cohue est totale. Cailloux et briques pleuvent. Des manifestants se sont emparés de lances à incendie et arrosent copieusement les uniformes. La foule a enflé : près de 20.000 personnes font à présent résonner le boulevard, alors qu’il fait à présent tout à fait nuit. Du coup, on brise les lampadaires pour faire le noir et désorganiser la police. Les bancs publics sont désossés pour fournir des armes. Des colonnes Morris et des kiosques à journaux sont renversés. On dresse une barricade. Un tramway est couché et incendié. Le calme ne revient que vers 3 heures du matin [2]. Bilan : une centaine de policiers blessés, dont deux commissaires et le préfet, un agent tué. Côté manifestants : 17 arrestations, et les blessés sont innombrables. Jean Jaurès et Vaillant eux-mêmes ont été molestés [3].

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Manifestation pro-Ferrer le 17 octobre 1909

Le lendemain, la presse bourgeoise se déchaîne contre les « apaches » [4] qui ont dévasté le quartier. De leur côté, La Guerre sociale et Le Libertaire s’enflamment : « Ce ne sont pas des malandrins, des apaches qui ont résisté, revolver au poing, clame Gustave Hervé. C’est nous, les révolutionnaires. » [5]

La manifestation du 13 octobre a surpris tout le monde par sa violence débridée. L’espace de quelques heures, on a revécu l’émeute de Villeneuve-Saint-Georges. Mieux : on l’a vengée [6].

Cependant, laissant les anarchistes célébrer cette nuit apache, le PS prépare une initiative inédite en France : organiser, avec l’autorisation de la préfecture, une manifestation pacifique ! Il faut savoir qu’à l’époque, les manifestations de rue sont prohibées, et systématiquement attaquées par la police. Le préfet Lépine a des tactiques éprouvées pour cela [7]. Chaque 1er mai est une épreuve de force.

Mais le 16 octobre, L’Humanité déclare vouloir faire défiler 100.000 personnes « pour affirmer que l’émotion produite par les événements d’Espagne n’est ni superficielle ni limitée à quelques catégories de citoyens ardents ». Mais, précise-t-elle, elle « ne cherche pas de trouble » et « ne veut pas violer le territoire espagnol » que constitue l’ambassade. Elle pense ainsi « enlever au pouvoir les prétextes aux brutalités policières ». Aussi défilera-t-on à 15 heures, « hors de l’ombre propice aux coups de police comme aux actes individuels ». Elle espère ainsi faire « avec loyauté une décisive expérience pour conquérir la liberté des pacifiques manifestations de la rue, comme elle existe dans les monarchies d’Angleterre et de Belgique ».

Une première : la manifestation pacifique

Avant cette annonce publique, le chef du gouvernement, Aristide Briand – lui-même admirateur de Ferrer – a favorablement accueilli l’idée. Des conciliabules ont probablement eu lieu – L’Humanité n’en pipe mot – mais Gustave Hervé, membre de la direction du PS, est forcément au courant. Par ricochet, toute l’extrême gauche l’est : l’équipe de La Guerre sociale, la Fédération révolutionnaire, Le Libertaire.

Les anarchistes vont-ils s’insurger contre cette compromission inédite ? Nullement ! De façon tout à fait inattendue, ils approuvent l’initiative socialiste… et vont même y participer !

Le dimanche 17 à 15 heures, une foule énorme se masse donc place de Clichy. Ni pancartes, ni drapeaux, conformément aux prescriptions du PS. Même la tonitruante Guerre sociale a très officiellement appelé à se prêter « loyalement à cet essai de manifestation pacifique » et a adressé à ses lecteurs une harangue pour le moins inhabituelle : « vous ferez l’étonnement des plus modérés par votre calme, votre sang froid, votre patience » !

L’immense foule – entre 60 000 et 100 000 personnes – à qui on a demandé de renoncer à tout slogan hostile aux gouvernements français et espagnol, doit se contenter de L’Internationale et de crier « Vive Ferrer ! » Non loin des pelotons de dragons, des groupes de militants positionnés aux endroits stratégiques canalisent eux-mêmes la foule. Pour cette première expérience de manifestation pacifique, le service d’ordre (on dit alors « les hommes de confiance ») est carrément constitué… de députés et d’élus municipaux socialistes ( !) mêlés aux anarchistes Charles-Albert, Méric, Ardouin, Péronnet, Thuillier, Almereyda, Tissier, Beylie, Malato, de Marmande, Laisant ou Bodechon.

Le lendemain, la presse ne tarit pas d’éloges moqueurs. Ce sont autant l’énorme affluence que le style de la manifestation qui font l’événement. Le Matin évoque « un spectacle nouveau : les mœurs du peuple et du gouvernement anglais transportés à Paris, les manifestants respectant l’autorité, l’autorité respectant les manifestants » [8]. « Antimilitaristes, anarchistes ? persifle Le Figaro. N’en croyez rien. De bons et robustes troupiers, qui marchent bien au pas. » [9]. Mais aussi par l’hebdomadaire communiste libertaire de Picardie, Germinal, qui marque son désaccord avec cette « faute très grave » [10].

La « 2e manifestation Ferrer » va marquer un tournant dans les pratiques politiques en France. Avec l’autorisation préfectorale – accordée avec parcimonie –, on pourra désormais défiler en criant des slogans. Les journaux bourgeois, rassérénés, y verront un défouloir finalement très utile. Une conséquence inattendue de l’Affaire Ferrer qui aura également été le premier grand mouvement d’opinion humanitaire mondial, préfigurant ce que sera, quinze ans plus tard, l’Affaire Sacco et Vanzetti.

[Guillaume Davranche]
Article paru dans « Alternative libertaire » de juillet-août 2009.

FRANSISCO FERRER

Francisco Ferrer (1859-1909) En 1901, dans une Espagne sous la férule cléricale, ce militant anarchiste a fondé à Barcelone l’École moderne, pour dispenser aux enfants du peuple une instruction rationnelle, mixte et intégrale. Étroitement liée au mouvement syndical, l’École moderne est rapidement devenue un symbole de résistance à la monarchie et à l’Église, alors investie du monopole de l’enseignement. Excédé, l’épiscopat a harcelé Ferrer jusqu’à obtenir en 1906 la fermeture de l’École moderne. Le militant s’est alors exilé en France. Trop tard, cependant : l’exemple avait été suivi, et plus d’une centaine d’écoles analogues avaient entre-temps ouvert dans la péninsule.


Notes

[1] Le Matin des 14, 15, 16, 17 et 18 octobre 1909.

[2] Le Matin, Le Gaulois, L’Humanité des 14 et 15 octobre 1909 ; Le Temps du 15 octobre 1909.

[3] Le Figaro du 17 octobre 1909.

[4] C’est ainsi qu’à l’époque on nomme les délinquants.

[5] La Guerre sociale, 14 octobre 1909.

[6] Lire Alternative libertaire de l’été 2008 : « Juillet 1908 : Draveil-Villeneuve, la CGT à l’heure de vérité ».

[7] Jean-Marc Berlière, Le Monde des polices en France, Complexe, 1996, p. 126.

[8] Le Matin du 18 octobre 1909.

[9] Le Figaro du 18 octobre 1909.]

Moqués à droite, les révolutionnaires sont aussi critiqués à gauche. Par les anarcho-individualistes qui, bien qu’ils n’aient pas levé le petit doigt pour sauver Ferrer, vont jusqu’à leur attribuer une part de responsabilité dans sa mort, et les traitent de « pitres » et de « fausses couches sociales » [[Lux, « Innocents ou coupables ? », L’Anarchie du 28 octobre 1909.

[10] Germinal du 22 octobre 1909.

Source: http://www.avoixautre.be/spip.php?article2455


[size=150]Commémoration à l’ULB : Fransisco Ferrer - 100 ans après son exécution
Fransisco Ferrer - 100 ans après son exécution. Les avatars d’une image du 11 septembre au 17 octobre 2009.

ULB et Haute Ecole Francisco Ferrer
Commémorations Ferrer septembre– octobre 2009

Deux centres de recherche de l’ULB (CIERL et CHSG ) et la Haute Ecole Francisco Ferrer (HEFF) ont pris l’initiative d’organiser en septembre-octobre 2009 les commémorations du centenaire de l’exécution de Francisco Ferrer.

Ce pédagogue anarchiste catalan, qui entendait - à travers son école mixte et laïque - combattre le monopole de l’enseignement religieux et la soumission des enfants au déterminisme social, fut considéré comme ayant par ses idées subversives déclenché la révolte qui secoua Barcelone en 1909.

A la suite d’un procès expéditif devant une Cour militaire, il fut condamné à mort puis exécuté le 13 octobre 1909.

Les réactions à cette exécution furent nombreuses et violentes de par le monde et Ferrer devint rapidement – contrairement à ce qu’il avait souhaité dans son testament – un symbole de la répression religieuse contre les idées libertaires.

Programme :

- jeudi 10 septembre à 18 heures : ULB : inauguration de l’exposition : « Francisco Ferrer 100 ans après son exécution, les avatars d’une image » (Salle Allende – expo accessible du vendredi 11 septembre au 20 octobre)

- mardi 22 septembre au vendredi 9 octobre : HEFF : Quinzaine du film pédagogique à la Cinématek

- lundi 12 octobre à 18 heures : ULB : révision du procès Ferrer par les facultés de Droit de l’ULB et d’Alicante

- lundi 12 octobre : HEFF : inauguration de l’exposition « Ferrer, l’Ecole moderne, d’hier à aujourd’hui » (accessible du 13 au 23 octobre)

- mardi 13 octobre : ULB : 9h00 à 17h00 : colloque international « Francisco Ferrer 100 ans après son exécution, les avatars d’une image » et présentation de la traduction française de l’ouvrage de Ferrer « L’Ecole moderne ».
11h : dépôt de fleurs
17 h : inauguration de la statue de Ferrer provisoirement « revisitée » par les étudiants de l’Institut d’architecture Horta
19h00 : réception à l’Hôtel de ville de Bruxelles

- mercredi 14 octobre : HEFF : 8H30 à 17 heures, colloque pédagogique : « La pédagogie peut-elle changer le monde ? » (Espace Magh et HEFF)

- jeudi 15 octobre : HEFF : concert d’hommage

- vendredi 16 et samedi 17 octobre : HEFF : « Démocratiser le savoir : maths en rue, maths pour tous », animations place de la Monnaie, conférence, projections sur la façade de l’Hôtel de Ville.

- mardi 20 octobre : ULB : clôture de l’exposition qui partira ensuite à l’université d’Alicante, en Bretagne puis tournera dans les bibliothèques publiques de Wallonie-Bruxelles.

- vendredi 23 octobre : HEFF : clôture de l’exposition à la Haute Ecole Francisco Ferrer

D’autres activités en lien avec la commémoration du Centenaire de l’exécution de Francisco Ferrer sont détaillées sur les sites suivants : http://www.he-ferrer.eu et

Des informations peuvent également être obtenues par téléphone (ULB-Carmen Louis 02/650.35 78) ou par courriel (Carmen.Louis@ulb.ac.be).

Source: http://www.avoixautre.be/spip.php?article2454
Johan
 

Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede Johan » 15 Sep 2009, 17:40

Une journée en hommage à Fransisco Ferrer
http://www.cnt-f.org/fte/article.php3?id_article=2699

La CNT 66 organise un hommage à Francisco Ferrer le 10 octobre 2009 à Perpignan, Salles des Libertés, rue Bartissol.
Programme:
14h30 : accueil et 2 expositions (Francisco Ferrer, Célestin Freinet)
15h : film (sans doute un court-métrage sur la Semaine Tragique de Barcelone).
16h : interventions vivantes : témoignages de personnes évoquant la vie et l'oeuvre de Ferrer.
17h : débat Des groupes (...)
Johan
 

Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 18 Sep 2014, 01:22

1909 : L’Affaire Ferrer soulève les foules contre l’Église catholique

Durant l’été 1909, la monarchie espagnole a maté dans le sang une insurrection à Barcelone. Mais elle ne se doute pas qu’en exécutant le pédagogue Francisco Ferrer, elle va s’attirer une protestation mondiale sans précédent. En France, l’Affaire Ferrer va même marquer un tournant dans les pratiques politiques. Un épisode méconnu de l’histoire du mouvement ouvrier.

En juillet 1909, le sang coule à Barcelone. Le peuple s’est soulevé contre la guerre coloniale au Maroc. La monarchie met plusieurs jours à reprendre le contrôle de la ville, et le bilan est cruel : 2.000 arrestations, 500 blessés, 78 morts. Les révolutionnaires sont traqués, les syndicats interdits, les écoles laïques fermées. L’histoire retiendra cette insurrection sous le nom de « Semaine tragique ». À l’étranger, elle provoque un mouvement de solidarité orchestré, en France, par la CGT, le Parti socialiste-SFIO et la mouvance anarchiste.

En 1909, l’anarchisme communiste français est structuré autour de deux pôles. D’une part, l’hebdomadaire Les Temps nouveaux, un peu pontifiant, animé par un Jean Grave vieillissant. D’autre part, une mouvance plus activiste, plus syndicaliste, que l’on retrouve au Comité de défense sociale (CDS, un organisme anti-répression), à l’Association internationale antimilitariste (AIA), au Libertaire et au sein de l’hebdomadaire le plus influent de l’extrême gauche : La Guerre sociale, dirigé par Gustave Hervé, leader de la tendance « insurrectionnelle » (c’est son nom) du Parti socialiste.

En avril, cette mouvance s’est dotée d’une petite structure politique : la Fédération révolutionnaire, animée par des militants comme Miguel Almereyda (de la Guerre sociale), Georges Durupt (de l’AIA), René de Marmande (du CDS) ou Eugène Péronnet (du CDS et du Libertaire).

Mais, en cet été 1909, la campagne menée pour Barcelone ne rencontre guère d’écho au-delà des milieux militants. Un mois après la Semaine tragique, les médias et le grand public sont déjà passés à autre chose. Il faut attendre la fin de l’été pour que survienne un événement qui va non seulement relancer les protestations, mais centupler leur portée, soulevant cette fois l’indignation de vastes foules : l’arrestation de Francisco Ferrer.

En fait, quand il est arrêté par la police espagnole, le 1er septembre, l’anarchiste Ferrer n’est pas vraiment connu du grand public en-dehors de l’Espagne. À l’étanger, il n’est célèbre que dans les milieux avancés, où on admire son œuvre pédagogique (voir ci-contre).

Francisco Ferrer n’a joué aucun rôle dirigeant dans l’insurrection de Barcelone. Réfugié en France depuis 1906, il ne faisait alors qu’un discret passage en Catalogne pour visiter sa famille. Mais sa présence a été repérée, et l’Église pense tenir sa revanche. Interpelé, Ferrer est désigné comme le principal fomenteur de révolution, et enfermé dans la forteresse de Montjuich. Il est passible de la peine de mort.

Manifestation motorisée sur les boulevards

La nouvelle fait rapidement le tour du mouvement ouvrier international. On sonne l’alarme. Il faut en appeler au peuple, lui faire connaître cette « noble figure », sauver Ferrer ! Des comités de défense se créent un peu partout. En France, le Comité Ferrer, animé par les libertaires Charles-Albert et Charles-Ange Laisant, s’appuie sur le CDS et la Fédération révolutionnaire. Dès le 9 septembre, il monte une pétaradante manifestation motorisée dans la capitale. Pas moins de 12 automobiles parcourent les boulevards extérieurs, couvertes de grands panneaux : « Exécutions sommaires en Espagne ! On va tuer Ferrer ! » Par les portières, on lance des poignées de tracts. La chevauchée se termine aux abords de l’ambassade espagnole : tout le monde en garde à vue.

Mais la campagne se poursuit et, à la surprise des révolutionnaires, elle marche au-delà de toute attente. Au bout de quelques semaines, Ferrer est sur toutes les lèvres. Les militantes et les militants se prennent à espérer car, comme en une réminiscence de l’affaire Dreyfus, l’ensemble du camp « progressiste » se met à vibrer pour le prisonnier de Montjuich. Les intellectuels pétitionnent. La CGT fait voter des ordres du jour. Des anarchistes à certains républicains, en passant par les socialistes, libres-penseurs et humanistes divers, des centaines de milliers de voix conspuent le monarque espagnol Alphonse XIII, bientôt en passe de supplanter le tsar de Russie comme parangon du tyran sanguinaire.

Du fond de sa cellule, Francisco Ferrer a-t-il conscience qu’il est brusquement devenu un mythe ? Dans des millions de cœurs il est à présent le doux pédagogue auréolé de martyre, symbole de la liberté contre le despotisme, de la laïcité contre l’Église, de la modernité contre l’archaïsme, de la lumière contre l’obscurantisme, bref, de la civilisation contre la barbarie.

Pourtant, la campagne mondiale en sa faveur ne suffit pas à empêcher le tragique dénouement. Le 13 octobre, à l’aube, il est fusillé dans les fossés de Montjuich, sans presque de témoins.

Dès midi, l’Europe et le monde sont au courant. Le choc est immense. À Rome, les fiacres et les tramways se mettent en grève et les rues se remplissent de manifestants. Les syndicats appellent à une grève générale de 24 heures. Le lendemain, l’armée protège le Vatican contre une foule de jeunes gens venus en découdre avec « les jésuites ». En Belgique, les Maisons du peuple du bassin de Charleroi se pavoisent de drapeaux noirs en signe de deuil. À Trieste, en Autriche, les chantiers navals sont partis en grève dès 10 heures, et les écoles publiques sont désertées. Barcelone, encore éprouvée par la grande saignée de juillet, est secouée par trois attentats à la bombe. À Londres et Berlin, où le mouvement ouvrier est canalisé par la social-démocratie, on se contente de voter des protestations, mais on programme des manifestations monstres pour les jours suivants. À Buenos Aires, 20.000 personnes affluent au meeting des anarchistes de la FORA, qui appellent à la grève générale. À Lisbonne, on se bat aux abords de l’ambassade d’Espagne. À Saint-Pétersbourg, où toute manifestation est prohibée, 2.000 étudiantes et étudiants votent une résolution à la gloire de Ferrer et l’expédient à l’ambassadeur espagnol [1].

La France enregistre également son lot de troubles. La CGT appelle au boycott des navires espagnols. À Lyon, un millier de personnes brisent les vitres d’un journal qui s’est trop ouvertement réjoui de l’exécution, et affrontent la police à proximité du consulat. Scène similaire au Havre, où les dockers ont voté la grève. À Lille, 3.000 personnes affluent à un meeting du PS émaillé de violences. Dans le bassin houiller, les drapeaux sont en berne au fronton des mairies. À Amiens 2.000 personnes manifestent. À Cherbourg, le directeur de la police refuse d’entraver les manifestations et démissionne. À Brest, les ouvriers sortent de la bourse du travail en entonnant L’Internationale et L’Hymne à l’anarchie ; des troupes coloniales leur barrent l’accès du consulat. À Sète, ouvriers et marins en grève forcent l’accès au vice-consulat où ils brûlent un drapeau espagnol. À Marseille, un meeting attire 10.000 personnes, la manifestation 20.000 ; le consulat est protégé par la troupe. À Nancy, après le meeting, une bombe artisanale est projetée dans le jardin de l’évêché. À Orléans 600 manifestants brisent des vitres et tirent des coups de feu en direction du consulat espagnol.

Pluie de cailloux et de briques

Mais c’est dans la capitale que la manifestation est la plus violente. Dans les rues, où on s’arrache L’Humanité et La Guerre sociale, le mot d’ordre se répand : « À l’ambassade ! »

Vers 21 heures, deux cortèges de plusieurs milliers de personnes, celui du PS, derrière Jaurès et Vaillant, et celui des révolutionnaires, mené par Hervé et Durupt, convergent vers l’ambassade. Face à eux, trois lignes de policiers à pied et à cheval, commandés par le préfet Lépine en personne. Le choc est rude. On s’égosille. L’Internationale à tue-tête. Des « Vive Ferrer ! » à en assommer les flics. Le cortège du PS, moins combatif, est disloqué par la police. Du cortège révolutionnaire, des coups de feu claquent. Les dragons mettent sabre au clair. On fait feu sur le préfet : manqué ! mais deux agents à ses côtés sont fauchés par les balles. La cohue est totale. Cailloux et briques pleuvent. Des manifestants se sont emparés de lances à incendie et arrosent copieusement les uniformes. La foule a enflé : près de 20.000 personnes font à présent résonner le boulevard, alors qu’il fait à présent tout à fait nuit. Du coup, on brise les lampadaires pour faire le noir et désorganiser la police. Les bancs publics sont désossés pour fournir des armes. Des colonnes Morris et des kiosques à journaux sont renversés. On dresse une barricade. Un tramway est couché et incendié. Le calme ne revient que vers 3 heures du matin [2].

Bilan : une centaine de policiers blessés, dont deux commissaires et le préfet, un agent tué. Côté manifestants : 17 arrestations, et les blessés sont innombrables. Jean Jaurès et Vaillant eux-mêmes ont été molestés [3].

Le lendemain, la presse bourgeoise se déchaîne contre les « apaches » [4] qui ont dévasté le quartier. De leur côté, La Guerre sociale et Le Libertaire s’enflamment : « Ce ne sont pas des malandrins, des apaches qui ont résisté, revolver au poing, clame Gustave Hervé. C’est nous, les révolutionnaires. » [5]

La manifestation du 13 octobre a surpris tout le monde par sa violence débridée. L’espace de quelques heures, on a revécu l’émeute de Villeneuve-Saint-Georges. Mieux : on l’a vengée [6].

Cependant, laissant les anarchistes célébrer cette nuit apache, le PS prépare une initiative inédite en France : organiser, avec l’autorisation de la préfecture, une manifestation pacifique ! Il faut savoir qu’à l’époque, les manifestations de rue sont prohibées, et systématiquement attaquées par la police. Le préfet Lépine a des tactiques éprouvées pour cela [7]. Chaque 1er mai est une épreuve de force.

Mais le 16 octobre, L’Humanité déclare vouloir faire défiler 100.000 personnes « pour affirmer que l’émotion produite par les événements d’Espagne n’est ni superficielle ni limitée à quelques catégories de citoyens ardents ». Mais, précise-t-elle, elle « ne cherche pas de trouble » et « ne veut pas violer le territoire espagnol » que constitue l’ambassade. Elle pense ainsi « enlever au pouvoir les prétextes aux brutalités policières ». Aussi défilera-t-on à 15 heures, « hors de l’ombre propice aux coups de police comme aux actes individuels ». Elle espère ainsi faire « avec loyauté une décisive expérience pour conquérir la liberté des pacifiques manifestations de la rue, comme elle existe dans les monarchies d’Angleterre et de Belgique ».

une première : la manifestation pacifique

Avant cette annonce publique, le chef du gouvernement, Aristide Briand – lui-même admirateur de Ferrer – a favorablement accueilli l’idée. Des conciliabules ont probablement eu lieu – L’Humanité n’en pipe mot – mais Gustave Hervé, membre de la direction du PS, est forcément au courant. Par ricochet, toute l’extrême gauche l’est : l’équipe de La Guerre sociale, la Fédération révolutionnaire, Le Libertaire.

Les anarchistes vont-ils s’insurger contre cette compromission inédite ? Nullement ! De façon tout à fait inattendue, ils approuvent l’initiative socialiste... et vont même y participer !

Le dimanche 17 à 15 heures, une foule énorme se masse donc place de Clichy. Ni pancartes, ni drapeaux, conformément aux prescriptions du PS. Même la tonitruante Guerre sociale a très officiellement appelé à se prêter « loyalement à cet essai de manifestation pacifique » et a adressé à ses lecteurs une harangue pour le moins inhabituelle : « vous ferez l’étonnement des plus modérés par votre calme, votre sang froid, votre patience » !

L’immense foule – entre 60 000 et 100 000 personnes – à qui on a demandé de renoncer à tout slogan hostile aux gouvernements français et espagnol, doit se contenter de L’Internationale et de crier « Vive Ferrer ! » Non loin des pelotons de dragons, des groupes de militants positionnés aux endroits stratégiques canalisent eux-mêmes la foule. Pour cette première expérience de manifestation pacifique, le service d’ordre (on dit alors « les hommes de confiance ») est carrément constitué... de députés et d’élus municipaux socialistes (!) mêlés aux anarchistes Charles-Albert, Méric, Ardouin, Péronnet, Thuillier, Almereyda, Tissier, Beylie, Malato, de Marmande, Laisant ou Bodechon.

Le lendemain, la presse ne tarit pas d’éloges moqueurs. Ce sont autant l’énorme affluence que le style de la manifestation qui font l’événement. Le Matin évoque « un spectacle nouveau : les mœurs du peuple et du gouvernement anglais transportés à Paris, les manifestants respectant l’autorité, l’autorité respectant les manifestants » [8]. « Antimilitaristes, anarchistes ? persifle Le Figaro. N’en croyez rien. De bons et robustes troupiers, qui marchent bien au pas. » [9]

Moqués à droite, les révolutionnaires sont aussi critiqués à gauche. Par les anarcho-individualistes qui, bien qu’ils n’aient pas levé le petit doigt pour sauver Ferrer, vont jusqu’à leur attribuer une part de responsabilité dans sa mort, et les traitent de « pitres » et de « fausses couches sociales » [10]. Mais aussi par l’hebdomadaire communiste libertaire de Picardie, Germinal, qui marque son désaccord avec cette « faute très grave » [11].

La « 2e manifestation Ferrer » va marquer un tournant dans les pratiques politiques en France. Avec l’autorisation préfectorale – accordée avec parcimonie –, on pourra désormais défiler en criant des slogans. Les journaux bourgeois, rassérénés, y verront un défouloir finalement très utile. Une conséquence inattendue de l’Affaire Ferrer qui aura également été le premier grand mouvement d’opinion humanitaire mondial, préfigurant ce que sera, quinze ans plus tard, l’Affaire Sacco et Vanzetti.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)


[1] Le Matin des 14, 15, 16, 17 et 18 octobre 1909.

[2] Le Matin, Le Gaulois, L’Humanité des 14 et 15 octobre 1909 ; Le Temps du 15 octobre 1909.

[3] Le Figaro du 17 octobre 1909.

[4] C’est ainsi qu’à l’époque on nomme les délinquants.

[5] La Guerre sociale, 14 octobre 1909.

[6] Lire Alternative libertaire de l’été 2008 : « Juillet 1908 : Draveil-Villeneuve, la CGT à l’heure de vérité ».

[7] Jean-Marc Berlière, Le Monde des polices en France, Complexe, 1996, p. 126.

[8] Le Matin du 18 octobre 1909.

[9] Le Figaro du 18 octobre 1909.9

[10] Lux, « Innocents ou coupables ? », L’Anarchie du 28 octobre 1909.

[11] Germinal du 22 octobre 1909.

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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede Pïérô » 29 Oct 2015, 18:03

Franscisco Ferrer i Guardia

texte issu de « Franscisco Ferrer i Guardia 1859 - 1909, une pensée en action »


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... http://al-toulouse.org/histoire-franscisco-ferrer/
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 15 Jan 2017, 16:39

Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage
Suivi de « l’École moderne » de Francisco

Redécouvrir Francisco Ferrer, l’anarchiste, le pédagogue, le franc-maçon et le rationaliste du début du XXe siècle n’est pas faire œuvre de commémoration pour le « martyr » de la libre pensée, mais replacer sa réflexion et son action dans son contexte.

Nous avons exploré l’itinéraire de Francisco Ferrer dans ses tâtonnements et dans sa complexité, au croisement de plusieurs histoires : celle de l’anarchisme, de l’éducation libertaire mais aussi de l’éducation nouvelle. En effet, cet anarchiste « éducationniste » s’engage dans l’élaboration d’un projet éducatif global, dans la lignée de celui de Paul Robin, mais avec ses propres convictions et sans limiter son action à la création d’une école rationaliste. Son ouvrage l’École moderne, traduit ici en français dans son intégralité, éclaire de façon nouvelle sa volonté de ne pas se replier sur une dénonciation de l’école traditionnelle et de l’éducation coexercitive mais d’innover pédagogiquement. Son combat pour la transformation de la société par l’éducation, de faire de l’apprenant un être émancipé, libre de penser et d’agir, reste un idéal et un défi particulièrement d’actualité.

Sylvain Wagnon est agrégé, docteur en Histoire et enseignant-chercheur à l’Université de Montpellier 2. Ses travaux portent actuellement sur l’histoire de l’éducation nouvelle et libertaire ainsi que sur l’histoire des pratiques pédagogiques alternatives.

Ce livre est suivi d’une nouvelle traduction par Verónica Bouzas González du texte de Francisco Ferrer l’École moderne.

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http://www.atelierdecreationlibertaire. ... ation.html
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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 02 Nov 2017, 17:23

Hommage à Francisco Ferrer

Il y a un siècle, le 13 octobre 1909, Francisco Ferrer y Guardia était exécuté à Montjuïc, dans les fossés de la forteresse de Barcelone, après avoir été jugé à la hâte par une cour martiale. Son défenseur commis d’office, le capitaine de l’armée Francisco Gacelan, fut lui-même écœuré par les charges mensongères de l’accusation et par la partialité éhontée du jugement. Sa défense passionnée lui valut la prison et des sanctions militaires. Manifestement, Ferrer était un homme à abattre à tout prix. Pour comprendre cet acharnement, il ne suffit pas d’invoquer, comme certaines institutions le font en ces temps de commémoration, l’engagement de Ferrer en faveur de la libre pensée, de l’enseignement laïque et de la pédagogie rationaliste. Il faut y ajouter son combat pour une révolution anarchiste, dans un contexte d’insurrection qui faillit déjà renverser une monarchie aux abois.

Né en 1859 dans une famille paysanne aisée, conservatrice et catholique, c’est à l’adolescence qu’il entame sa prise de conscience politique : engagé comme apprenti chez un drapier libre-penseur, il ouvre les yeux sur les mensonges de l’Église, non seulement en matière religieuse, mais aussi et surtout quant au régime d’oppression et d’exploitation dont elle est un soutien essentiel.

En 1886, il est contrôleur des chemins de fer quand éclate une insurrection républicaine menée par des militaires sous le commandement du général Villacampa ; la rébellion est rapidement écrasée et ses principaux acteurs arrêtés. Ferrer part alors s’établir à Paris où se sont réfugiés de nombreux républicains espagnols. Pour faire vivre sa famille (il aura plusieurs enfants), il donne des cours d’espagnol. Mais son activité principale est d’écrire, de traduire et de publier des livres scientifiques afin de combattre l’ignorance et les préjugés. Il estime que la meilleure action politique n’est pas l’affrontement direct mais la transformation des esprits ; que la vérité scientifique et sociale rendra impossible l’exploitation car le peuple instruit ne se laissera plus opprimer. Il écrit notamment dans le journal de Solidaridad Obrera, le syndicat révolutionnaire anarchiste et socialiste qui deviendra en 1911 la CNT.

L’ École moderne

En 1901, Ferrer reçoit un héritage considérable d’une amie française, Mlle Meunier, qui lui permet enfin de fonder son école. À l’époque, l’enseignement est largement aux mains des congrégations religieuses, hormis quelques écoles gouvernementales dont le niveau est lamentable. Ferrer estime qu’il ne faut le confier ni à l’Église, évidemment, ni à l’État, comme le voudraient certains socialistes, car l’État va forcément orienter l’instruction vers ses propres intérêts, de sorte que la docilité et le conformisme seront toujours les objectifs privilégiés. Une fois les autorisations obtenues grâce à des relations dans les milieux juridiques, Ferrer loue un ancien couvent et engage des enseignants séduits par la pédagogie nouvelle. Pour attirer des élèves, il fait de la publicité dans les journaux et à l’université. Dès la première rentrée, il a une trentaine d’inscrits, filles et garçons ; quelques mois plus tard il en compte 86, et l’année suivante 130. L’école est payante, puisqu’elle refuse toute subvention de l’État, mais les parents paient en fonction de leurs revenus. Il y a une recherche déclarée de mixité sociale, au sens où, selon Ferrer, si l’on n’inscrit que des riches, on renforce le système, mais, si l’on n’inscrit que des pauvres, on favorise la haine et le ressentiment. Quant à la mixité des sexes, elle constitue sans aucun doute l’aspect qui parut le plus scandaleux dans cette Espagne réactionnaire et qui valut le plus d’acharnement contre le projet, au point qu’elle n’est pas annoncée publiquement mais qu’elle est expliquée aux parents en privé lors de l’inscription.

Les principes pédagogiques de l’École moderne sont les suivants :

- les cours ne peuvent dépasser une heure ; ils sont rendus vivants par des expériences, des observations, des excursions et le contact direct avec la nature ;
- il n’y a ni examens, ni récompenses, ni châtiments, aucune compétition entre les élèves ;
- les enfants sont libres d’assister au cours ou non, de sortir de la classe quand ils le désirent ou de lire en classe ;
- sont particulièrement encouragés l’expression orale, les discussions et les échanges d’arguments, y compris avec les enseignants, dans le but d’apprendre à penser par soi-même ;
- l’éducation physique et l’hygiène sont développées, mais à l’exclusion de tout sport compétitif ;
- l’éducation morale se fait par la pratique, par l’insistance constante sur le respectmutuel, la solidarité, l’élévation des désirs et des motivations ;
- un Bulletin mensuel est publié, dans lequel aussi bien les élèves que les fondateurs et les enseignants sont invités à écrire sur tous les sujets qui les intéressent.

Toutes les expériences et observations concernant l’application de ces principes sont réunies par Ferrer dans un livre intitulé L’École moderne, écrit en 1907 et publié en 1911.

Le succès de l’école est foudroyant, ce qui fait naître des projets similaires dans de nombreuses autres villes d’Espagne et d’Europe. Ferrer fonde en même temps une maison d’édition, d’abord pour imprimer les manuels scolaires correspondant à la pédagogie nouvelle, ensuite pour publier des livres scientifiques de toutes les disciplines. Il ouvre également une école normale destinée à la formation des enseignants. Enfin, il fonde la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance, dont le président d’honneur est Anatole France et dont font partie de nombreux intellectuels et écrivains européens, notamment Maurice Maeterlinck.

De la répression à l’exécution

En 1906, un employé de la maison d’édition commet un attentat à la bombe contre le jeune roi Alphonse XIII et on accuse Ferrer de l’y avoir incité ; il est condamné à treize mois de prison, puis acquitté à la suite d’une campagne de soutien internationale considérable. Cependant, l’école est fermée et ne rouvrira pas. En 1909, le peuple de Catalogne se révolte contre la levée de troupes destinée à intensifier la guerre au Maroc ; les hommes refusent d’aller se battre pour protéger l’exploitation des mines de plomb qui ne servent qu’à enrichir la classe dominante. Une grève générale est déclenchée, on brûle des couvents et des bâtiments publics, avant qu’une répression très violente ne vienne écraser la révolte. Ferrer est à nouveau accusé d’être un instigateur intellectuel de l’insurrection, et son exécution est précipitée, de crainte que des manifestations nationales et internationales n’arrivent à l’empêcher. De fait, il y eut une mobilisation gigantesque dans de nombreuses villes d’Europe à l’annonce du verdict, sous forme de manifestations populaires autant que de pétitions et de déclarations indignées de la part d’intellectuels [1].

Ferrer est fusillé, mais l’héritage qu’il laisse est considérable : il aura fait avancer sans retour possible les idées de laïcité, de mixité, de libre pensée et, pour nous anarchistes, celle d’un enseignement profondément libertaire dans tous ses aspects. Force est de constater, en effet, qu’au cours du XXe siècle les innovations prônées par l’École moderne en matière de transmission des savoirs ont été progressivement adoptées par l’ensemble des réseaux d’enseignement, alors que les mesures proprement politiques, civiques ou éthiques sont toujours inappliquées et unanimement désapprouvées par ces mêmes réseaux malgré des déclarations hypocrites en faveur d’une prétendue éducation à la citoyenneté. Pour faire avancer la situation aussi sur ce terrain, il est toujours aussi important pour nous d’étudier de près l’expérience de Ferrer, comme celle d’autres écoles libertaires [2], et de consacrer à nouveau à la formation des enfants toute l’attention qu’elle mérite si l’on veut qu’ils construisent un autre futur.

Annick Stevens


[1] Rudolf Rocker, entre autres, évoque dans le deuxième tome de ses Mémoires ces journées de protestation auxquelles il participa et qui lui valurent d’être expulsé de Paris.

[2] Voir à ce propos l’excellent recueil Éducation et liberté. Anthologie, tome I : 1793-1918, de Normand Baillargeon (Montréal, Lux éditeur, 2005). Sur Ferrer, un bon document est le livre de sa fille Sol Ferrer, La Vie et l’œuvre de Francisco Ferrer. Un martyr au XXe siècle (Le Mouvement social, 1963). À noter que toute son œuvre originale est disponible dans le domaine public, et que le livre La Escuela moderna peut être lu intégralement sur le site espagnol de Wikipedia.


http://www.refractions.plusloin.org/spip.php?article613
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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 31 Mar 2018, 23:21

FRANCISCO FERRER I GUARDIA : LE PÉDAGOGUE ANARCHISTE

Les premiers pas républicains

« Francisco Ferrer i Guardia est né en 1859 dans le petit village d’Alella, près de Barcelone. Ses parents, de riches propriétaires agricoles, tentent de lui inculquer une éducation très conservatrice, baignée dans le catholicisme et le monarchisme. Heureusement, il vient à fréquenter très tôt un de ses oncles, fervent républicain et anticlérical forcené qui n’hésite pas à lui exposer ses idées et à l’amener assister aux rassemblements barcelonais des militants de la république. Petit à petit, Francisco Ferrer se laisse séduire par ces idées, alors en totale rupture avec celles que tentent de lui transmettre ses parents.

Peu après la mort de cet oncle admiré, Ferrer est placé par ses parents chez le mari d’une amie de la famille, dans l’espoir de le remettre dans le « droit » chemin des « bonnes » mœurs conservatrices et religieuses. Mais ses parents font fausse route : le mari en question se révèle être, en vérité, un républicain et un anticléricaliste affirmé. Comme au temps de son oncle défunt, Ferrer est particulièrement attentif aux idées de son nouveau tuteur et l’accompagne, à son tour, aux rassemblements républicains organisés à Barcelone et aux alentours. Il se laisse même convaincre de s’inscrire aux cours du soir dispensés par les organisations républicaines et les sociétés de résistance ouvrières. Ce désir de s’instruire davantage et de se forger une solide conscience politique et sociale l’amène à fréquenter les milieux libertaires barcelonais. C’est dans ce cadre qu’il rencontre et se lie d’amitié avec le célèbre anarchiste Anselmo Lorenzo qui, le prenant sous son aile, lui fait découvrir les grands théoriciens anarchistes classiques – tels que Proudhon, Bakounine et Kropotkine – et le pousse à lire la presse libertaire locale, notamment Solidaridad obrera et El Proletariado militante. Bien qu’intéressé par ces idées, Francisco Ferrer n’en demeure pas moins encore attaché aux idées républicaines.

En 1883, ses contacts dans les milieux républicains lui permettent d’obtenir un emploi de contrôleur aux chemins fer espagnols. Il est alors envoyé sur la ligne Barcelone-Cerbère qui l’amène quotidiennement à côtoyer de près la frontière franco-espagnole. Liant travail et militantisme politique, il n’hésite pas à user de ses fonctions pour aider des républicains en danger à fuir l’Espagne pour se réfugier clandestinement en France. Un peu trop militant, il est repéré (ou dénoncé) par sa direction qui le fait muter sur une autre ligne (Barcelone-Granollers).

Entre-temps, il se rapproche de la franc-maçonnerie et intègre la loge barcelonaise La Verdad sous le pseudo de Hermano Zero. À cette date, la franc-maçonnerie espagnole, principalement réunit au sein du Grand-Orient, est alors fermement anticléricale et antiroyaliste. En son sein, on y retrouve des individus issus de toutes les classes sociales et de différents milieux politiques (des républicains, des socialistes et même des anarchistes).

Républicain militant, Ferrer participe, en 1886, aux émeutes et au coup d’État raté du général républicain Villacampa. Vivement recherché par les autorités, il est contraint, comme tant d’autres, de quitter l’Espagne et de se réfugier en France.

L’exil en France et les débuts de l’École moderne

Franc-maçon, Francisco Ferrer est accueillit en France par ses frères du Grand-Orient et intègre la loge Les Vrais Experts. Après avoir enchaîné plusieurs petits boulots (représentants en vin, gérant d’un restaurant), il obtient un poste de professeur d’espagnol au sein de l’Association philotechnique puis, grâce à la franc-maçonnerie, au lycée Condorcet. Dans le cadre de cette activité, il entreprend la rédaction d’une grammaire espagnole qu’il termine et publie en 1895 sous le titre de El espanol pratico.

En parallèle à son métier de professeur, il organise également, pour ses élèves, des causeries du dimanche, moments de pleine liberté où chacun s’exprime, débat et discute, à la lumière de la raison et de la réflexion scientifique, des enseignements, des savoirs et des questions sociales et politiques.

Dans le cadre de ces cours, il rencontre deux femmes qui auront une place déterminante dans le reste de sa vie. La première, Léopoldine Bonnard, jeune libertaire française, devient sa nouvelle femme et lui donne un fils, Riego. La seconde, quant à elle, n’est autre qu’une vieille dame catholique – répondant au nom de mademoiselle Meunié – avec laquelle il entretient, malgré son fervent anticléricalisme, une profonde amitié. Ils sont d’ailleurs si proches que, lorsqu’elle meurt en 1901, elle lui lègue une large partie de sa fortune, soit un million trois cent milles francs, héritage que Ferrer investit immédiatement dans la fondation de son école, l’École moderne. C’est qu’à cette époque, le jeune exilé espagnol a déjà abandonné ses idées républicaines pour épouser les théories anarchistes et, notamment, les pédagogies émancipatrices promues par les anarchistes français Sébastien Faure et Paul Robin. Largement influencé par ces deux derniers, qu’il rencontre à Paris, Ferrer en vient à penser qu’une nouvelle forme d’éducation – porteuse d’un projet d’émancipation de l’individu et en totale rupture avec les institutions religieuses et étatiques – devra précédé la transformation sociale. Pour lui, l’éducation émancipatrice, en transformant les mentalités des générations futures, est la clé de l’émancipation humaine.

Pour autant, contrairement à nombre d’autres adeptes de la pédagogie libertaire comme outil de transformation sociale, Ferrer ne met pas tous les espoirs de la révolution sociale sur cette nouvelle éducation émancipatrice. S’il la juge indispensable, il ne la considère pas pour autant comme suffisante. Au contraire, il se fait le fervent défenseur de la grève générale comme seul moyen capable de renverser les rapports de force sociaux et d’éliminer le capitalisme et l’État. Grand contributeur du journal Huelga General, il y dénonçait, en 1901, ceux « qui croyaient à la panacée du vote comme si c’était l’hostie qui doit les porter au paradis » et affirmait que « l’émancipation complète des travailleurs ne viendra ni de l’Église, ni de l’État, mais de la grève générale qui détruira les deux ».

C’est en 1901, donc, que Francisco Ferrer, après avoir loué un ancien couvent (sic !), ouvre les portes de l’École moderne, institution à travers laquelle il entend fournir une éducation rationnelle, favorisant le développement de l’autonomie et de l’entraide, en dehors des cadres de l’État et de l’Église. À la date où l’École moderne est fondée, la situation scolaire de l’Espagne est désastreuse. En 1901, on recense plus de 70 % d’analphabètes (1), notamment à cause d’un manque crucial d’écoles ou de quelqu’autres établissements destinés à transmettre des savoirs. Le peu d’enseignement scolaire est alors majoritairement dispensé par les institutions religieuses (2). L’École moderne s’impose donc aussi bien comme une nécessité quantitative (ouvrir un établissement scolaire de plus) que qualitative (transmettre un enseignement émancipateur). Toutefois, elle n’est pas la première école à rompre avec le schéma des écoles publiques ou confessionnelles. Les centres ouvriers, les athénées libertaires et les écoles laïques des libres penseurs proposaient, elles aussi, de nouvelles formes et/ou contenus d’enseignement. Mais, l’École moderne ne correspond pleinement à aucune d’entre elles. Ferrer considérait en effet que les écoles des centres ouvriers et des athénées libertaires étaient beaucoup trop politiquement engagées et que cet engagement trop affirmé pouvait dissuader plus d’une famille (d’où qu’elle vienne) d’y envoyer ses enfants. Quant aux écoles laïques et républicaines, il les trouvait, au contraire des précédentes, beaucoup trop molles, car non porteuses d’un véritable projet d’émancipation de l’individu.

Dans un premier temps, Ferrer évite donc d’évoquer ouvertement le caractère profondément anarchiste de l’École moderne, afin de ne pas éveiller les craintes et la répression inévitable du gouvernement. De fait, nombre d’intellectuels espagnols – y compris des républicains et des socialistes – se rallient à ce projet et le soutiennent, parfois même financièrement. Soutenue par cette petite bourgeoisie intellectuelle, l’École moderne l’est aussi par les sociétés de résistance ouvrières qui saluent la création de ce nouvel outil pour l’émancipation des travailleurs.

Grâce à ces soutiens, mais surtout à la pertinence de la pédagogie Ferrer, l’École moderne rencontre rapidement le succès. À son ouverture, elle accueille 30 élèves (18 garçons et 12 filles). En décembre de la même année, elle compte 70. En janvier, 86 et, deux ans après, en 1903, 114 (63 garçons et 51 filles).

La pédagogie de l’École moderne

La pédagogie élaborée par Francisco Ferrer repose sur cinq piliers : la mixité, l’égalité sociale, la transmission d’un enseignement rationnel, l’autonomie et l’entraide.

Une école mixte : Ferrer considère que l’égalité entre les sexes passe avant tout par un accès égal à une éducation identique. La mixité au sein des classes et de l’établissement scolaire doit ainsi pouvoir permettre aux femmes d’accéder à la même éducation, au même apprentissage, aux mêmes enseignements que les hommes. En outre, il considère que hommes et femmes se complètent et que, de fait, la mixité est naturelle.

Une école rationaliste : Ferrer n’a jamais été très friand du terme de « laïcité », trop souvent utilisé pour qualifier les pédagogies républicaines auxquelles il reproche le nationalisme, la soumission à l’État – et à l’autorité en général – et, de fait, l’absence de volonté d’émanciper l’individu. Dès lors, il préfère parler de « raison » et de « rationalisme ».

Rationaliste, donc, Ferrer accorde une place fondamentale à la science dans la construction de sa pédagogie : l’École moderne entend seulement diffuser et étudier des savoirs, des théories et des faits prouvés et admis dans le cadre d’une démarche scientifique ou reposant sur un raisonnement rationnel (qui fait appel à la raison et non aux croyances religieuses et autres superstitions). À cet effet, il écrivait : « Nous voulons que les vérités de la science brillent de leur propre éclat et illuminent chaque intelligence, de sorte que, mises en pratique, elles puissent donner le bonheur à l’humanité, sans exclusion pour personne par privilèges odieux. »

Une école sociale : si l’école est payante (puisqu’elle ne reçoit aucune subvention publique ou privée), les droits d’entrées sont proportionnels aux revenus de la famille, de sorte que chacun, quelque soit la classe sociale de laquelle il est issue, puisse accéder au même enseignement. En outre, l’École moderne organise des cours du soir ouverts aux familles des élèves, notamment à celles issues des classes populaires et qui, dans leur jeunesse, n’avaient pas ou peu reçues d’éducation scolaire.

Fonder dans le but de favoriser le développement de l’autonomie et de l’entraide des individus, les classes de l’École moderne répondent à une forme d’organisation bien précise. Les élèves y sont répartis en groupes (souvent affinitaires) et travaillent entre eux, selon une démarche d’entraide : les uns aidant les autres dans les difficultés qu’ils rencontrent. Ce sont également les enfants qui élaborent et bâtissent leurs projets de travail dans le cadre d’une discipline enseignée. Les professeurs, quant à eux, n’interviennent que très peu, et jamais sans avoir été au préalable sollicités par un ou plusieurs élèves. Les enfants peuvent ainsi se prendre en mains, se responsabiliser et développer leur autonomie, tout en portant une attention aux difficultés d’autrui.

Évidemment, cette pédagogie libertaire évacue toute idée de compétition, il n’y a ni examens ni classements dans l’École moderne, afin de privilégier la solidarité et l’entraide entre les élèves, plutôt que la course aux bonnes notes et aux premières places qui favorisent davantage l’individualisme et l’apprentissage bête et méchant. Punitions et récompenses en sont également exclus. Pour Ferrer, l’école doit avant tout apprendre aux élèves à être des individus responsables, qui étudient et apprennent pour eux-mêmes et non pour une hypothétique récompense ou dans la peur de la sanction. L’éducation doit donc se faire en dehors du cadre de la coercition.

La fin de l’École moderne

Échappant radicalement au contrôle de l’État et des institutions religieuses, et véhiculant un projet émancipateur de transformation sociale, l’École moderne s’attire vite les foudres du gouvernement et du clergé qui n’aspirent qu’à une chose, la fermer. En 1906, ils trouvent le prétexte rêvé : suite à la tentative d’attentat contre le roi Alphonse-XIII, le militant anarchiste et bibliothécaire de l’École moderne, Mateo Morral, est arrêté, accusé et écroué. Son appartenance à l’école Ferrer suffit aux autorités pour ordonner sa fermeture. Par la même occasion, Francisco Ferrer est arrêté, puis finalement acquitté le 19 juillet 1907. Fermée à Barcelone, l’École moderne aura cependant pu essaimer en Espagne où, en 1909, on dénombre 32 écoles fonctionnant selon la pédagogie élaborée par Francisco Ferrer.

En 1908, il retourne en France où il fonde, à Paris, la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance, dont la présidence est confiée à Anatole France. Il créé également la revue l’École rénovée dans laquelle il présente les théories et les activités de la Ligue.

La semaine tragique et l’exécution de Francisco Ferrer

Avec le début de la guerre du Rif au Maroc, le gouvernement espagnol déclare la mobilisation nationale, obligeant des milliers de travailleurs à endosser l’uniforme pour aller se faire trouer la peau sur le front. À l’époque, seul le versement de 6 000 réaux pouvait permettre d’échapper à la conscription, une somme extrêmement élevée qu’aucun travailleur n’était en mesure de réunir. Autrement dit, seuls les bourgeois pouvaient y échapper, faisant de la conscription une nouvelle injustice de classe. Le 26 juillet 1909, à Barcelone, Solidarida Obrera et le syndicat socialiste UGT proclament une grève générale sauvage pour protester contre la guerre. En quelques heures, la ville est paralysée. Mais, rapidement, le peuple insurgé déborde les cadres des organisations et, dans la nuit du 27, incendient les églises et les couvents. Terrifié à l’idée d’une révolution naissante, le gouvernement proclame la loi martiale et envoie l’armée pour écraser la grève. Mais c’était sans prévoir la colère d’une partie des militaires et des gardes civils qui refusent de tirer sur les grévistes et se mutinent, laissant le gouvernement sans moyens immédiats de mettre un terme à la grève et aux barricades : c’est la révolution. Mais les espoirs ne sont que de courte durée. Trois jours après, le 29 juillet, le gouvernement de Madrid envoie des renforts militaires et, jusqu’au 2 août, réprime dans le sang les grévistes insurgés, laissant derrière lui 78 morts, 500 blessés et 2 000 arrestations.

Francisco Ferrer fait partie des victimes de cette répression. La grève écrasée, l’évêque de Barcelone l’accuse d’en avoir été l’investigateur, alors même qu’il n’y avait pas participé. Arrêté, jugé coupable, il est fusillé le 13 octobre 1909.

Mais son procès et sa condamnation engendre une indignation internationale : dans de nombreux pays, des manifestations et des grèves de protestation éclatent, réclamant la libération immédiate du pédagogue anarchiste.

À Paris, l’arrestation de Ferrer n’est pas sans rappeler la récente affaire Dreyfus. À l’annonce de l’emprisonnement du fondateur de l’École moderne, un Comité de défense des victimes de la répression espagnole est mis en place. Il groupe alors des individus d’opinions diverses, mais tous indignés par la brutalité de la répression madrilène et l’injustice dont est victime Francisco Ferrer. Le premier jour du procès, une manifestation motorisée est organisée à Paris. Des dizaines d’autres auront lieu les jours suivant un peu partout en France.

Le 13 octobre, lorsque Francisco Ferrer est exécuté, une manifestation sauvage éclate dans la capitale française, et plusieurs dizaines de milliers de personnes s’en vont investir l’ambassade d’Espagne. Le préfet Lépine, en charge de l’écrasement de mouvement de masse spontané, envoie la cavalerie. Révoltés, indignés, la foule des manifestants résistent, briques et pistolets aux poings. Dans la bagarre, un flic est tué.

L’importance et la spontanéité de ces manifestations témoignent de l’émotion suscitée par la mort de Francisco Ferrer, mais aussi de l’impact international de son œuvre pédagogique et éducative. »


(1) Chiffre donné dans Marcos (Juanito), Marcos (Violette), Rieu (Annie), Francisco Ferrer i Guardia, 1859-1909, une pensée en action, Le Coquelicot, Toulouse, 2009, 109 pages.

(2) En 1901, à Barcelone, on compte 438 écoles religieuses pour 137 non confessionnelles.


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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 30 Mai 2018, 07:46

« Francisco Ferrer : pour une morale rationaliste, fraternelle et laïque »

Montpellier mercredi 30 mai 2018
à 20h30, Centre Ascaso Durruti, 6 rue Henri René

Présentation - débat du livre par Sylvain WAGNON, enseignant -chercheur à l'université Paul-Valéry en Sciences de l'éducation

En 2013 déjà, dans notre ouvrage « Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage » aux éditions ACL, nous avions exploré l'itinéraire de Francisco Ferrer (1859-1909), fondateur et directeur de l'École moderne de Barcelone (1901-1907), afin de comprendre ses engagements pour la transformation de la société par l'école.

Son texte l'École moderne, traduit en français dans son intégralité à cette occasion, éclaire de façon nouvelle sa volonté de ne pas se replier sur une dénonciation de l'école traditionnelle et de l'éducation coercitive mais d'innover pédagogiquement.

Redécouvrir Francisco Ferrer, l'anarchiste, le pédagogue, le franc-maçon et le rationaliste du début du XXe siècle, n'est pas faire œuvre de commémoration pour le « martyr » de la libre pensée, mais il s'agit de replacer sa réflexion et son action dans son contexte.

C'est dans le même esprit qu'aujourd'hui, dans l'ouvrage « Francisco Ferrer : pour une morale rationaliste, fraternelle et laïque » publié en 2018 aux éditions ACL, nous proposons la traduction de son manuscrit « Les principes d'une morale scientifique à l'usage des écoles rationalistes  ». Cet écrit propose une analyse de sa conception de l'enseignement moral et sa volonté de mettre en œuvre une morale rationaliste, fraternelle et laïque qui reste toujours d'actualité au regard des défis auxquels est confrontée aujourd'hui la laïcité.

https://herault.demosphere.eu/rv/8806

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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 28 Juin 2018, 21:31

Francisco Ferrer et l’école libertaire

Chronique « Ni Dieu ni maître d’école » : Francisco Ferrer et l’école libertaire

Arrêtons-nous un moment sur l’éducateur catalan qui fonda la première école moderne, ou rationnelle, type d’école vouée à l’émancipation des classes populaires. Ferrer va voyager jusqu’aux tropiques latino-américains, jusqu’à un Brésil du début du XXe siècle marqué par la présence des immigrants européens, dont une partie non négligeable imprégnée d’idées libertaires vont contribuer à l’éclosion d’écoles inspirées de Ferrer.

Né en 1859 et bien qu’issu d’une famille catholique conservatrice et royaliste, Francisco Ferrer va démontrer très tôt une indépendance d’esprit qui va le voir fréquenter des organisations très éloignées des cercles où le catholicisme espagnol intransigeant avait coutume d’endoctriner les esprits. Ainsi animé d’un désir d’apprendre, il va lire par lui-même et apprendre auprès des républicains de l’époque (le meunier chez qui il est placé à 14 ans jouera aussi un rôle décisif dans sa formation intellectuelle) et des internationalistes qui font alors figure d’épouvantails auprès des esprits bien-pensants de l’époque. Mais il lit également, sous la férule d’Anselmo Lorenzo, des théoriciens anarchistes, sans toutefois adhérer à ces idées.

Républicain, il va aussi dès 1884 s’affilier à une loge maçonnique espagnole et en 1886 participe à une tentative insurrectionnelle de renversement de la monarchie qui échoue et l’oblige à s’exiler en France. Là, il affermit ses principes de libre-penseur et franc-maçon, et commence à fréquenter des anarchistes français comme Jean Grave et Sébastien Faure, qui n’adhèrent pas à la stratégie de la propagande par le fait, que lui-même réprouve, surtout depuis l’échec du soulèvement de 1886...

Toutefois, à cette période il opère une conversion importante et vers 1892 son idéologie est plus anarchiste que républicaine. C’est que Paris est un des points du monde où le bouillonnement des idées libertaires est des plus vivaces et où l’on peut même croiser un futur homme d’État comme Aristide Briand, fréquentant l’anarchiste Pelloutier ou se positionnant en faveur de la stratégie de la grève générale. Briand sera d’ailleurs un des soutiens de poids de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance créée par Ferrer en 1908.

Car, désormais anarchiste, Ferrer voit dans l’éducation plutôt que dans les méthodes violentes le moyen de changer radicalement de modèle de société. Il rencontre Paul Robin alors qu’il se penche de plus en plus sur les questions pédagogiques et se prend d’intérêt pour ses conceptions d’éducation intégrale développées à Cempuis et dans le cadre de la première Internationale.

Entre 1895 et 1901, il vit à Paris de ses cours d’espagnol et commence à concevoir ce qui va prendre la forme d’un projet de plus en plus concret, une école en Espagne, à Barcelone, fondée sur des principes rationalistes visant à l’émancipation des classes exploitées, pour battre en brèche le monopole éducatif alors détenu par l’obscurantiste clergé espagnol.

Comme à Belém en 1919, l’Église étend son ombre menaçante sur les projets émancipateurs, à Barcelone de Ferrer, en Amazonie de ses émules. Nous verrons ainsi dès le mois prochain, ce que fut la matrice barcelonaise de l’école brésilienne, ensuite nous reprendrons notre enquête au sujet de celle-ci.

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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 01 Juil 2018, 16:49

(Re)lire Francisco Ferrer

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(Re)lire Francisco Ferrer

En 2013, dans l’ouvrage Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage aux éditions ACL, Sylvain Wagnon avait déjà exploré l’itinéraire de Francisco Ferrer (1859-1909), fondateur et directeur de l’École moderne de Barcelone (1901-1907), afin de comprendre ses engagements pour la transformation de la société par l’école. Son texte l’École moderne, traduit en français dans son intégralité à cette occasion, éclairait de façon nouvelle sa volonté de ne pas se replier sur une dénonciation de l’école traditionnelle et de l’éducation coercitive mais d’innover pédagogiquement.

Redécouvrir Francisco Ferrer, l’anarchiste, le pédagogue, le franc-maçon et le rationaliste du début du XXe siècle, n’est pas faire œuvre de commémoration pour le « martyr » de la libre pensée, mais il s’agit de replacer sa réflexion et son action dans son contexte.

C’est dans le même esprit qu’est publié aujourd’hui l’ouvrage Francisco Ferrer : pour une morale rationaliste, fraternelle et laïque toujours aux éditions ACL. Après une introduction sur la pensée de Ferrer, l’ouvrage propose la traduction de son manuscrit « Les principes d’une morale scientifique à l’usage des écoles rationalistes  ». Cet écrit propose une analyse de sa conception de l’enseignement moral et sa volonté de mettre en œuvre une morale rationaliste, fraternelle et laïque qui reste toujours d’actualité au regard des défis auxquels est confrontée la laïcité.


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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 01 Sep 2018, 16:41

Chronique : Ni Dieu ni maître d’école, « Francisco Ferrer et l’école libertaire » partie 2

Nous avons vu la formation intellectuelle et politique de Francisco Ferrer, penchons-nous sur la création de l’École moderne. Celle-ci va rayonner dans l’Europe de la « Belle Époque » et, se disséminant, atteindra Belém, qui connut cette période particulière du début du XXe siècle et vit également la création d’une école rationnelle dans un de ses bairros populaires.

1901, Barcelone. La première École moderne accueille ses élèves et pour la première fois en Espagne, ce ne sera pas sous l’égide de l’État monarchique ou de l’Église catholique mais selon les principes d’un homme pétri d’humanisme et formé à l’anarchisme à traits scientifiques de son époque. L’Église, que l’on peut alors décrire comme une machine à créer des illettré.es obéissants et craignant la colère divine, exerce sur l’éducation une forme d’hégémonie qu’elle ne goûte que fort peu de voir remise en cause par un homme lié à un courant de pensée contestataire. De fait, les autorisations furent plus que difficiles à obtenir, et travailler sur un matériel sans connotation religieuse se révéla une entreprise ardue, au point que les ouvrages didactiques furent élaborés spécialement par et pour l’école.

Une des principales caractéristiques qui révulse le clergé et la société bien-pensante est la mixité. La co-éducation, comme elle est alors appelée, est évoquée ainsi par Ferrer dans une lettre envoyée en 1900 à son ami José Prats : « Mon plan est que l’école soit d’enseignement primaire […], mixte, c’est-à-dire, avec garçons et filles ensemble, comme à Cempuis. » On voit ici combien Ferrer place ce mode de fonctionnement au centre de son œuvre éducative en reprenant l’expérience de Paul Robin et de son orphelinat de Cempuis. Mais dans cette lettre, on trouve un autre objectif central pour l’éducateur catalan : la lutte des classes. « Si pendant la journée elle servira d’école pour les enfants, le soir, elle servira aux adultes en donnant des cours de français, d’anglais, d’allemand, de taquigraphie et de comptabilité. En même temps, des conférences y seront données et il y aura un local disponible pour les syndicats et groupes d’ouvriers, les sociétés de résistance qui ne s’occupent pas d’élections ni d’améliorations de classe, mais travaillent à sa complète émancipation. »

Ainsi, l’école rationnelle de Ferrer propose clairement un objectif fondé sur les principes anarchistes et pose comme principe l’éducation tant de la jeunesse que des adultes en joignant dans un même lieu éducation scolaire et éducation populaire. Comme, en France, un certain Fernand Pelloutier et ses Bourses du travail.

De cette école-matrice vont surgir un peu partout des Écoles modernes en Espagne (de nombreuses Écoles modernes y existent déjà du vivant de Ferrer : 32 d’entre elles sont ainsi recensées dans le royaume ibérique au moment de sa mort) ainsi que dans le monde, et l’éxécution de Ferrer en 1909, sous un prétexte fallacieux, va donner encore plus de force à ce mouvement : New York voit naître une Modern School en 1911, Lausanne dès 1910, et en 1912 c’est au tour de la capitale économique du Brésil, São Paulo, de fonder son école moderne... le début d’un mouvement auquel Belém do Pará participera quelques années plus tard...

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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 12 Sep 2018, 21:07

Belém do Pará et l’école rationaliste

Ni Dieu ni maître d’école : Belém do Pará et l’école rationaliste

Nous y voilà. Le mouvement initié par Francisco Ferrer, et que sa mort injuste va renforcer, donne lieu à diverses créations d’écoles dans le monde.

L’Amazonie est à cette époque en plein boom économique. Ses capitales Belém et Manaus sont en pleine expansion grâce à l’exploitation de la sève de l’hévéa qui donne le caoutchouc et tous ses dérivés. Mais comment et grâce à qui a pu être lancée cette aventure d’éducation libertaire sur des terres où les anarchistes originaires d’Europe venaient semer les graines de la révolte, de la lutte des classes pour repousser l’exploitation sauvage des commerçants de latex  ?

En 1917, le Brésil connaît une grève générale sans précédent et sa capitale économique São Paulo et le port de Santos, point d’embarquement des marchandises envoyées dans les pays du Nord ainsi que port d’arrivée des nombreux migrants européens en quête de chances d’en finir avec la faim et les privations en tous genres, sont paralysés pendant des semaines. Parmi ces migrants qui remplissent les ponts et les cales des navires arrive un grand nombre de militants anarchistes. Ferrer est mort depuis huit ans et l’Europe agonise sous les bombes que ses dirigeants irresponsables font pleuvoir sur le prolétariat engagé sous les drapeaux des patries dévorant leurs enfants… À l’Est retenti la nouvelle d’une révolution de conseils d’usines et de soldats, mais ici c’est bel et bien la grève générale qui est l’instrument de défi aux dominants. Dans ce contexte, on comprend pourquoi, dès le milieu de la décennie qui suit, un camp de concentration de prisonniers politiques anarchistes sera créé par le président Artur Bernardes près de la frontière guyanaise : Cleverlândia.

En attendant, à Belém, deux ans après cette grève et cinq ans avant l’ouverture de ce camp, les anarchistes du nord du Brésil montrent que leur œuvre a un but créateur fort, celui d’émanciper les classes laborieuses par l’éducation, en suivant les principes du pionnier catalan.

Comme nous l’avions anticipé lors de nos rendez-vous précédents, il y a bel et bien eu une école Francisco Ferrer à Belém. Elle fut ouverte au cours de la deuxième moitié du mois d’octobre 1919, soit dix ans après la mort de son inspirateur et fut le fruit de la lutte des militants syndicaux anarchistes de l’époque. Elle reçut le soutien de certaines personnalités des Lettres amazoniennes de l’époque, tel que le poète Bruno de Menezes. Son lieu de fondation répondait aux besoins des classes populaires de la capitale du Pará et elle se trouvait dans l’un des barrios les plus prolétaires de la ville, le Jurunas, qui aujourd’hui encore accueille les migrants intérieurs d’un exode rural qui n’en finit pas de dépeupler les campagnes et la forêt, aux mains des fazendeiros, ces grands propriétaires de terres incultes interdites de fait aux familles de travailleurs ruraux. Située au bord du fleuve Guajará, c’est donc à des populations très précaires et fragiles, à la culture populaire en revanche très forte, empreinte de tous les mythes d’origine tupi, les peuples autochtones de la région, que se dédiait cette école où la mixité n’était pas qu’entre garçons et filles, mais aussi entre urbains et ruraux, familles de la forêt, du fleuve ou de la métropole.

Ici l’éducation libertaire se trouvait de fait en prise avec la diversité originale d’une région de contrastes forts. Les syndicats de chauffeurs (les voituriers des familles aisées du centre-ville), de cordonniers ou autres venaient appuyer l’apprentissage émancipateur de populations nouvellement arrivées dans le chaos de la jungle urbaine.

Un autre monde, en somme.

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Re: Fransisco Ferrer: 100 ans après son exécution

Messagede bipbip » 14 Oct 2018, 19:20

Francisco Ferrer meurt assassiné le 13 octobre 1909

Olt nous présente en BD l’anarchiste catalan Francisco Ferrer (1859-1909) fondateur de "l’école moderne", laïque et mixte, dont la pédagogie libertaire eut un retentissement énorme dans toute l’Europe et continue à faire des émules.

Issu de la bourgeoisie catholique espagnole, Francisco Ferrer devient libre penseur. Il fonde en août 1901 l’École moderne de Barcelone. Il sera secondé par sa compagne Soledad de Villafranca. Il meurt assassiné le 13 octobre 1909.

Partisan de l’action ouvrière, du syndicalisme révolutionnaire et de la grève générale comme prélude de la révolution sociale, Ferrer subventionne et écrit pour le journal La Huelga General (La Grève Générale) de 1901 à 1903. En 1907, il contribue à la création du rassemblement syndical Solidaridad Obrera et à la fondation de son journal éponyme Solidaridad Obrera (premier numéro le 19 octobre).

Le 31 mai 1906, le jour du mariage du roi Alfonso XIII, une bombe (fabriquée par Salvador Creus) explose au milieu du cortège, provoquant la mort de 28 personnes. L’auteur de l’attentat, Mateo Morral avait été traducteur et bibliothécaire à l’École Moderne. Son ancienne appartenance à l’École moderne suffit aux autorités pour ordonner sa fermeture. Francisco Ferrer est arrêté et accusé d’être l’instigateur de cet acte individuel. En dépit de nombreuses protestations, il est emprisonné plus d’un an. Son procès tourne court, car aucune charge précise ne peut être retenue contre lui. Il est finalement acquitté, le 10 juin 1907. Francisco Ferrer tente vainement d’obtenir l’autorisation de rouvrir l’École Moderne de Barcelone. Il décide alors de retourner à Paris et de donner une dimension internationale à son œuvre pédagogique et séjourne dans plusieurs capitales européennes dont Bruxelles et Londres.

Avec Charles-Ange Laisant et soutenu par Sébastien Faure et Charles Malato, il fonde en avril 1908 la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance, dont le président honoraire est Anatole France. Elle acquiert rapidement une audience importante dans les milieux progressistes européens et le soutien de personnalités dont Aristide Briand, Pierre Kropotkine et Paul Robin. Sa revue, L’École rénovée, est d’abord mensuelle puis hebdomadaire. Elle paraît d’avril 1908 à juillet 1909 et compte jusqu’à 900 abonnés.

En 1909, à la suite des événements de la semaine tragique à Barcelone, il est accusé, notamment par le clergé catholique, d’en être l’un des instigateurs. Condamné à mort par un tribunal militaire à l’issue d’une parodie de procès, il est fusillé le 13 octobre. Son exécution provoque un important mouvement international de protestation.

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