Fin des néocotinoïdes ? Pas tout à fait
À partir de ce samedi 1er septembre, les pesticides de la famille des néonicotinoïdes sont interdits en France. Enfin, presque : les défenseurs des abeilles craignent des dérogations et de nouvelles molécules arrivent sur le marché.
Remémorez-vous quelques secondes les longs trajets de vos récentes vacances. Les slaloms entre les champs de maïs et de tournesols, les lignes droites cernées de céréales et de colza. Imaginez-vous maintenant à la place d’une abeille. Si vous survolez un champ d’orge d’hiver (orge plantée avant l’hiver), il y a 80 % de chances que les semences aient été enrobées d’un pesticide néonicotinoïde. Même situation pour 98 % des champs de betteraves à sucre, 40 % des champs de maïs, 25 % des champs de colza (le traitement est aérien pour ces derniers), mais aussi 50 % des champs de pommes de terre, 100 % des laitues, 90 % des pommiers et pruniers, 100 % des noisetiers [1].
Les néonicotinoïdes attaquent le système nerveux des insectes, et sont souvent la solution la plus radicale pour se débarrasser de ce que l’on appelle les « ravageurs ». Mis sur le marché français à partir de 1994, ils sont désormais les pesticides les plus utilisés en France (34 % des ventes en 2016). 4,4 millions d’hectares y sont traités, soit un peu plus de 15 % de la surface agricole selon nos calculs [2].
Mais pour les pollinisateurs, à partir de ce samedi 1er septembre, le paysage agricole français va changer. Votée dans la loi Biodiversité de 2016, l’interdiction des néonicotinoïdes entre en vigueur. Le décret d’application, publié le 30 juillet dernier, liste cinq substances aux noms barbares (acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride, thiaméthoxame) désormais bannies des champs. En 2013, des restrictions d’usages de certaines molécules sur les plantes attractives pour les abeilles avaient déjà été prises par l’Union européenne, mais d’autres néonicotinoïdes s’y sont substitués, et en France leur utilisation n’a pas diminué. L’hécatombe des abeilles, observée par les apiculteurs français depuis l’introduction de cette nouvelle famille de pesticides, s’est poursuivie.
« Une impasse technique dramatique »
Un long combat, mené notamment par les apiculteurs, qui semble enfin sur le point d’aboutir. « L’interdiction va changer la donne pour les abeilles », assure Henri Clément, porte-parole de l’Unaf (Union nationale des apiculteurs français). « C’est une première mondiale », ajoute Anne Furet, qui suit le dossier pesticides à l’Unaf. L’interdiction française pourrait d’ailleurs être renforcée dès la fin de l’année au niveau européen : trois néonicotinoïdes (thiaméthoxame, clothianidine et imidaclopride) vont être proscrits en plein champ dans toute l’Union.
Les utilisateurs de ces produits se sont quant à eux unanimement insurgés contre cette interdiction. « Alors que le président de la République et le gouvernement s’étaient engagés à “ne laisser aucun producteur sans solution”, un très grand nombre d’entre eux se retrouvent désormais dans une impasse technique dramatique », estiment dans un communiqué commun les syndicats des producteurs de blé (AGBP), maïs (AGPM), betterave (CGB), fruits (FNPF), colza (FOP) et le syndicat agricole majoritaire, la FNSEA.
Des protestations d’autant plus virulentes que la porte n’est pas tout à fait fermée aux néonicotinoïdes. La loi Biodiversité prévoit des dérogations jusqu’au 1er juillet 2020. « Cette interdiction est grave de conséquences pour nous, avertit Éric Lainé, président de la Confédération générale des planteurs de betterave. Nous n’avons pas de traitement alternatif contre le puceron vert, qui transmet un virus aux betteraves, ce qui entraîne des chutes de rendement. » Ils ont plaidé pour une dérogation auprès du ministère, sans succès pour l’instant. D’après les informations transmises par le syndicat des fabricants de pesticides (UIPP, Union des industries pour la protection des plantes), une dérogation pour le maïs aurait également été refusée.
Sortis par la porte, les néonicotinoïdes pourraient revenir par la fenêtre
« Des dérogations pour certains produits sur certaines cultures pourraient être accordées au fil des mois », nous informe Henri Clément. « Ils vont commencer par remettre un ministre de l’Écologie. »
La bataille n’est donc pas tout à fait terminée. Ce d’autant plus que, sortis par la porte, les néonicotinoïdes pourraient revenir par la fenêtre. Deux nouvelles molécules ont récemment été homologuées en Europe, le flupyradifurone et le sulfoxaflor. Leurs fabricants (Bayer et Dow Agroscience) assurent que ce ne sont pas des néonicotinoïdes… Mais l’essentiel est préservé : ils ont le même mode d’action. En France, deux pesticides à base de sulfoxaflor ont déjà été autorisés, puis suspendus. La parade pourrait être incluse dans la future loi Agriculture et Alimentation, qui doit être définitivement adoptée en ce mois de septembre : un article prévoit que les pesticides ayant les mêmes modes d’action que les néonicotinoïdes soient aussi interdits. Reste à ce que le texte soit voté en l’état.
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