L'éducation libertaire

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Messagede bipbip » 19 Mar 2018, 17:18

Soirée Paul Robin à l’Ecole Vitruve

Paris jeudi 22 mars 2018
à 19h30, à l’école Vitruve, amphithéâtre Robert-Gloton, 3 passage Josseaume, 75020 Paris
Ouverture des portes à partir de 19h

« Tout enfant a droit de devenir en même temps un travailleur des bras et un travailleur de la tête. »

La commission Parents Rencontres Vitruve et l’Association des Amis de l’école Vitruve vous invitent à une séance de cinématographe précédée d’une causerie :

Projection de deux films de Richard Hamon, l’un à propos de Paul Robin (pédagogue libertaire), l’autre à propos de l’école Vitruve (école différente et singulière dans l’Education nationale)

* Suffit-il de décréter l’égalité pour la faire ? Paul Robin (1837-1912) (durée 13 min) - 2001
* Une école de la République (durée 56 min) - 2003

La projection sera précédée d’une intervention de Christiane Demeulenaere-Douyère, docteur en histoire, conservateur du patrimoine, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire sociale et en particulier à Paul Robin.

Paul Robin est connu pour avoir énoncé les principes de l’éducation intégrale et surtout pour les avoir mis, le premier, en pratique à l’Orphelinat Prévost, à Cempuis. Il a aussi mis en œuvre la coéducation des sexes, faisant de son établissement « la grande famille de Cempuis ». Démarche innovante et isolée dans le monde scolaire de l’époque, elle a focalisé, en 1894, les attaques de la droite antiparlementaire. Pourtant, on peut retenir dans cette tentative une des premières expériences, réussie sur le terrain, de la mixité à l’école.

Entrée libre dans la limite des places disponibles

https://www.questionsdeclasses.org/?Par ... le-Vitruve
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 03 Mai 2018, 18:06

Court traité d’anarchisme à l’usage de J.-M. Blanquer

« La liberté pédagogique n’a jamais été l’anarchisme pédagogique » s’est exclamé le ministre. La formule a fait mouche, reprise ad nauseam par les médias, de sorte qu’il peut récompenser ses communicateurs qui, lui soufflant le terme « anarchisme », ont bien travaillé.

Le ministre Blanquer, dans sa volonté de défendre l’ordre et de mettre au pas les enseignant-e-s, aurait pu dénoncer "l’anarchie", comme un autre avait dénoncé la "chienlit". Il a curieusement choisi, dans une de ses formules-chocs, de s’en prendre à "l’anarchisme", croyant sans doute éveiller des fantasmes de subversion. Nestor Romero (auteur de L’école des pauvres, l’école des riches) lui rappelle quelques éléments de base de la pédagogie. Voici son billet... Q2C

Mais que sait monsieur Blanquer de l’anarchisme ? Que sait-il en outre de la pédagogie ? Et que sait-il de la pédagogie libertaire ?

Sait-il que l’autonomie de l’individu, de l’enfant donc, est le fondement même de l’anarchisme ? Cette autonomie qui, de Kant affirmant impérativement que la personne, l’enfant comme personne, doit toujours être considérée comme fin et jamais comme moyen (jamais, donc comme « ressource humaine »), à Foucault et son « souci de soi », le ministre sait-il qu’elle structure toute l’histoire de l’éducation, de Socrate à Freinet.

Le ministre sait-il, en outre, que cette autonomie est posée tout au long de cette histoire comme nécessité et condition de l’épanouissement (terme honni des instructeurs, je le sais bien) de l’enfant afin de l’aider (oui l’aider !), autant que faire se peut, à découvrir ce qu’il est et ce qu’il lui plaît d’être et ainsi, selon le fameux conatus spinozien, de « persévérer dans son être », de se libérer, autant que faire se peut de tous les déterminismes jusqu’à être en mesure de « penser contre soi-même » (Sartre).

L’anarchisme, mot que je répugne à utiliser pour ne pas jouer comme le fait le ministre avec sa polysémie clinquante et effarante, la pensée libertaire, donc, n’a d’autre sens que la libération de l’individu de toutes les impositions afin de le rendre à lui-même… autant que faire se peut.

Car, monsieur Blanquer le sait-il ?, « L’enfant n’appartient ni à Dieu, ni à l’Etat, ni à sa famille mais à lui-même ». Ceci dit par Sébastien Faure, pédagogue et militant libertaire (1858-1942), synthétisant ainsi avec brio le fondement même de la pédagogie libertaire.

Sébastien Faure fonda, en 1904 à Rambouillet, l’école « La Ruche » inspirée de l’action de Paul Robin et fonctionnant non pas à la compétition mais à la solidarité, ou plutôt à l’entraide selon le concept de cet autre grand savant et pédagogue libertaire, Pierre Kropotkine.

Paul Robin, monsieur Blanquer le sait-il ?, est un pédagogue libertaire, inspecteur de l’enseignement primaire, nommé par Ferdinand Buisson… sous Jules Ferry ! Il dirige l’orphelinat de Cempuis où il met en œuvre une pédagogie, c’est-à-dire un mode de vie dans l’école, fondée sur le concept bakouninien d’instruction intégrale qui se donne comme objectif d’estomper la dichotomie entre travail manuel et travail intellectuel.

Comment ne pas citer parmi la multitude des pédagogues libertaires Francisco Ferrer Guardia et son « Escuela moderna » à laquelle participèrent Anatole France, Kropotkine, Spencer, TolstoÏ ? Ferrer, on le sait, fut exécuté le 13 octobre 1909 à la suite de la « Semaine tragique » de Barcelone.

On n’en finirait pas de relater l’histoire de la pédagogie libertaire et de son influence dans les mouvements d’Éducation nouvelle et de pédagogie active depuis Robin jusqu’à Freinet et les Lycées autogérés en passant par les écoles de Hambourg, par Korczak, et même Neill...

Mais comment ne pas citer pour finir l’immense Tolstoï, anarchiste non-violent et son école de Iasnaïa Poliana fondée en 1859 ?

Comment enfin ne pas indiquer au ministre actuel, et donc provisoire, que la pédagogie libertaire par l’activité constante de ses militants a diffusé dans l’Institution publique d’éducation des idées, des méthodes, des comportements qui constituent ce qu’elle a de meilleur, et que cette diffusion se poursuit et se poursuivra quoi qu’en aient les ministres successifs adeptes de l’autorité autoritaire, de la compétition compétitive et de l’inculcation inculquant.

Comment ne pas porter à sa connaissance cet aphorisme du très grand savant et géographe Elisée Reclus ? : « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre »

Nestor Romero


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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 08 Mai 2018, 18:11

Trois sources des pédagogies libertaires

Trois sources des pédagogies libertaires

Faisons un petit détour par notre passé ! Nous allons voir brièvement comment trois auteurs classiques définissent l’éducation comme essentielle à la construction d’une société libérée de l’oppression et de l’exploitation, et l’éducation libertaire comme pièce essentielle de la lutte pour un projet socialiste libertaire.

– Stirner, Proudhon et Bakounine – vont établir que la liberté doit s’articuler avec l’éducation. Ces références historiques, qui ne sont certes pas les seules mais ont marqué leur temps et le nôtre, vont établir la relation qui existe entre éducation et révolution, et contester le principe marxiste selon lequel l’éducation sera modifiée dès lors que l’ordre économique capitaliste aura été renversé.

Il serait illusoire, comme le rappellent J.-M. Raynaud et G. Ambauves dans un numéro de Spartacus de 1978, de penser que la pédagogie et l’école à elles seules peuvent accoucher d’une société libertaire. Si « le problème scolaire est un problème vital » selon Stirner, c’est parce que l’école joue un rôle crucial d’intégration à la société.

Comme celle que nous avons autour de nous est autoritaire, son école ne saura former que quelques rares donneurs d’ordres et surtout des cohortes d’exécutants serviles, dépossédés dès leurs plus jeunes années de leur liberté d’individus pleinement réalisés. La liberté de l’enfant est, dès lors, condition sine qua non pour avoir des hommes libres.

Pour Proudhon, l’éducation doit, pour sortir de ce piège de l’école formatrice d’hommes aliénés, être une éducation de classe. Populaire et redonnant au travail sa vraie valeur, l’école selon le typographe libertaire doit proposer une éducation – intégrale fondée sur la « polytechnie » un libre choix des disciplines sans discrimination aucune entre celles plus manuelles et les autres, plus intellectuelles – et, d’autre part, doit permettre l’apprentissage tout au long de la vie. C’est à cette condition seulement que l’on pourra en finir avec les distinctions de savoirs qui amènent de manière directe aux distinctions de pouvoirs... et à toutes les inégalités et les oppressions que nous connaissons.

Pour le révolutionnaire russe Bakounine, à la suite de Proudhon, l’éducation doit être intégrale et, de ce fait, ne pas se contenter de fournir les connaissances mais aussi et surtout viser à former les caractères pour les habituer à l’exercice de la liberté conquise par l’apprentissage, grâce à l’effacement de la figure du maître. Éducation complète qui comporte aussi la possibilité de l’erreur dans l’orientation puisque, dans ce cadre, « s’ils [les enfants] se trompent, l’erreur même qu’ils auront commise leur servira d’enseignement efficace pour l’avenir, et l’instruction intégrale qu’ils auront reçue servant de lumière, ils pourront facilement revenir dans la voie qui leur est indiquée par leur propre nature… » : principe du tâtonnement et de l’erreur féconde que ne reniera pas, quelques décennies plus tard un éducateur français nourri de syndicalisme révolutionnaire, Célestin Freinet.

Trois figures à peine esquissées ici, trois marques importantes de notre mouvement qui nous montrent, si besoin en était, que nous devons conjuguer les efforts pour une société libertaire avec les luttes pour une pédagogie émancipatrice et autogestionnaire.

Accattone


http://www.alternativelibertaire.org/?T ... ibertaires
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 24 Mai 2018, 16:22

L'autorité et la pédagogie libertaire

Rouen samedi 26 mai 2018

Dans le cadre du cycle sur mai 68 organisé par le Diable au Corps, 50 nuances de Mai, nous vous proposons un atelier délocalisé à la Galerie Trampoline.

L'idée de l'atelier est d'échanger sur les pratiques éducatives, et notamment sur l'autorité et la violence. Une présentation de pédagogies libertaires sera également faite, notamment sur l'expérience de Summerhill [1].

Tout le monde est le bienvenue, parent ou non.
On s'occupe de vos enfants pendant l'atelier si vous le souhaitez !

Rendez-vous à la Galerie Trampoline, 47 rue St Vivien, à Rouen, samedi 26 mai de 14h30 à 16h.

Notes

[1] L'école de Summerhill est un établissement d'enseignement fondé en 1921 par Alexander Sutherland Neill (1883-1973) afin d'y appliquer ses théories pédagogiques originales d'inspiration libertaire. Les principes du fonctionnement de l'école sont la liberté et une forme de démocratie basée sur l'égalité des voix pour sa gestion

https://rouen.demosphere.eu/rv/3044
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 26 Juin 2018, 21:09

D'une ancienne députée écotartuffe

Plutôt que Parcoursup... si on essayait l’école anarchiste ?

L’esprit de compétition et de sélection, qui envahit l’école après avoir assommé le monde du travail, atteint son paroxysme avec Parcousup. Notre chroniqueuse revient sur une autre vision de l’éducation, celle des pédagogues anarchistes se battant pour l’émancipation des individus.

Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Alors que des centaines de milliers de jeunes Français passent le bac et s’interrogent sur leur avenir, le gouvernement leur a clairement annoncé la couleur : sélection partout ! Le (dys)fonctionnement de Parcoursup a suscité la colère légitime des lycéens et étudiants. Les représailles sont tombées immédiatement. On ne conteste pas les merveilleuses « réformes » du tout puissant Jupiter impunément. Les lycéens d’Arago et leurs parents en savent quelque chose.

J’enrage.

Comment peuvent-ils brutalement décider de casser les rêves de nos enfants ? Oh ! je sais, tout n’a pas commencé avec Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal. Mais aujourd’hui, à l’école comme ailleurs, le mépris est de mise. Le mépris de classe envers ceux qui ne sont pas partis en voyage linguistique à l’étranger, ceux qui ont redoublé, ceux qui ne sont pas dans les « bons » lycées.

J’étais, pendant quelques années, secrétaire de la commission des Affaires culturelles et Éducation de l’Assemblée nationale. J’avais des rêves, des modèles, quelques « figures tutélaires ». Tous à l’opposé de cette sélection destructrice.
« Laissez l’enfant faire lui-même ses découvertes »

Parmi ces figures cohabitent Jean Zay (je vous expliquerai pourquoi une prochaine fois, promis) et trois pédagogues anarchistes qui ont montré le chemin à suivre il y a plus d’un siècle. Ils sont guidés par le postulat, extrêmement puissant, que l’émancipation de l’individu par l’instruction aboutirait naturellement à la transformation de la société et que l’observation et le respect de la nature sont indissociables du développement personnel de chaque enfant. C’est ainsi que le catalan Francisco Ferrer a imaginé son école moderne. Il a ouvert la première à Barcelone en 1901. Il y en aurait près de cent dans toute l’Espagne quelques années plus tard, et l’école moderne de New York a ouvert en 1911.

Francisco Ferrer a rencontré Sébastien Faure et Paul Robin à Paris. Ce dernier avait déjà réfléchi à son concept d’école intégrale car, entre 1880 et 1894, il dirigeait l’orphelinat de Cempuis, dans l’Oise, en promouvant l’émancipation par le travail manuel et l’observation de la nature : « Laissez l’enfant faire lui-même ses découvertes, attendez ses questions, répondez-y sobrement, avec réserve, pour que son esprit continue ses propres efforts, gardez-vous par-dessus tout de lui imposer des idées toutes faites, banales, transmises par la routine irréfléchie et abrutissante. » S’ils avaient vécu aujourd’hui, Jean-Michel Blanquer les aurait traités de « pédagogistes » en remettant fissa au programme la dictée, l’uniforme, la leçon de morale et les fables de La Fontaine !

En 1904, s’appuyant sur les expériences de Ferrer et Robin, Sébastien Faure créa à son tour une école, « la Ruche ». Il ne voulait ni dépendre de l’État ni créer une école privée. L’enseignement était gratuit pour des enfants issus de milieux très modestes. Pour rémunérer les enseignants et nourrir les enfants, la Ruche fonctionnait selon le modèle coopératif. Faure donnait des conférences pour financer son école. Toutes les communautés éducatives des trois pédagogues étaient en autogestion et permettaient de développer à la fois les libertés et les responsabilités.
Ce travail d’émancipation, de construction de l’individu, sans compétition, sans stress inutile

Ces trois libres-penseurs prônaient, entre autres, un enseignement mixte dans une école laïque. Cela leur valut les foudres, et l’acharnement contre eux, de l’Église catholique. Francisco Ferrer est mort fusillé en 1909 sous la pression cléricale, Paul Robin dut démissionner de Cempuis. Quant à Sébastien Faure, resté farouchement pacifiste comme Errico Malatesta, il ne put poursuivre ses conférences pendant la guerre et ferma la Ruche en 1917.

Aujourd’hui, les pédagogies Montessori et Freinet poursuivent ce travail d’émancipation, de construction de l’individu, sans compétition, sans stress inutile. Les écoles démocratiques alternatives se développent en se heurtant malheureusement souvent à des problèmes financiers.

Une des écoles héritières de la Ruche, de Cempuis et de l’école moderne se trouve en Espagne, près d’Alicante. Ojo de Agua existe depuis 1999 et regroupe près de 80 jeunes. L’écologie est partout comme le respect (respect de la nature, de l’individu et des autres), la liberté et l’entraide. Les notes n’existent pas…

Ferrer, Robin et Faure étaient tous trois opposés au système de notation. Sébastien Faure disait : « Ainsi, ce qu’on sème, par le classement, c’est : chez les premiers, la vanité, la présomption, le mépris des inférieurs, l’arrivisme quand même ; chez les derniers, l’envie, le découragement, le dégoût de l’effort, la résignation. »

Voilà ce que sème Jupiter. Rien de positif n’en germera. Sauf si les jeunes eux-mêmes en décident autrement !


https://reporterre.net/Plutot-que-Parco ... anarchiste
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 01 Juil 2018, 16:33

Francisco Ferrer

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(Re)lire Francisco Ferrer

En 2013, dans l’ouvrage Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage aux éditions ACL, Sylvain Wagnon avait déjà exploré l’itinéraire de Francisco Ferrer (1859-1909), fondateur et directeur de l’École moderne de Barcelone (1901-1907), afin de comprendre ses engagements pour la transformation de la société par l’école. Son texte l’École moderne, traduit en français dans son intégralité à cette occasion, éclairait de façon nouvelle sa volonté de ne pas se replier sur une dénonciation de l’école traditionnelle et de l’éducation coercitive mais d’innover pédagogiquement.

Redécouvrir Francisco Ferrer, l’anarchiste, le pédagogue, le franc-maçon et le rationaliste du début du XXe siècle, n’est pas faire œuvre de commémoration pour le « martyr » de la libre pensée, mais il s’agit de replacer sa réflexion et son action dans son contexte.

C’est dans le même esprit qu’est publié aujourd’hui l’ouvrage Francisco Ferrer : pour une morale rationaliste, fraternelle et laïque toujours aux éditions ACL. Après une introduction sur la pensée de Ferrer, l’ouvrage propose la traduction de son manuscrit « Les principes d’une morale scientifique à l’usage des écoles rationalistes  ». Cet écrit propose une analyse de sa conception de l’enseignement moral et sa volonté de mettre en œuvre une morale rationaliste, fraternelle et laïque qui reste toujours d’actualité au regard des défis auxquels est confrontée la laïcité.


https://www.questionsdeclasses.org/?re- ... sco-Ferrer
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 01 Sep 2018, 16:43

Francisco Ferrer et l’école libertaire

Chronique « Ni Dieu ni maître d’école » : Francisco Ferrer et l’école libertaire

Arrêtons-nous un moment sur l’éducateur catalan qui fonda la première école moderne, ou rationnelle, type d’école vouée à l’émancipation des classes populaires. Ferrer va voyager jusqu’aux tropiques latino-américains, jusqu’à un Brésil du début du XXe siècle marqué par la présence des immigrants européens, dont une partie non négligeable imprégnée d’idées libertaires vont contribuer à l’éclosion d’écoles inspirées de Ferrer.

Né en 1859 et bien qu’issu d’une famille catholique conservatrice et royaliste, Francisco Ferrer va démontrer très tôt une indépendance d’esprit qui va le voir fréquenter des organisations très éloignées des cercles où le catholicisme espagnol intransigeant avait coutume d’endoctriner les esprits. Ainsi animé d’un désir d’apprendre, il va lire par lui-même et apprendre auprès des républicains de l’époque (le meunier chez qui il est placé à 14 ans jouera aussi un rôle décisif dans sa formation intellectuelle) et des internationalistes qui font alors figure d’épouvantails auprès des esprits bien-pensants de l’époque. Mais il lit également, sous la férule d’Anselmo Lorenzo, des théoriciens anarchistes, sans toutefois adhérer à ces idées.

Républicain, il va aussi dès 1884 s’affilier à une loge maçonnique espagnole et en 1886 participe à une tentative insurrectionnelle de renversement de la monarchie qui échoue et l’oblige à s’exiler en France. Là, il affermit ses principes de libre-penseur et franc-maçon, et commence à fréquenter des anarchistes français comme Jean Grave et Sébastien Faure, qui n’adhèrent pas à la stratégie de la propagande par le fait, que lui-même réprouve, surtout depuis l’échec du soulèvement de 1886...

Toutefois, à cette période il opère une conversion importante et vers 1892 son idéologie est plus anarchiste que républicaine. C’est que Paris est un des points du monde où le bouillonnement des idées libertaires est des plus vivaces et où l’on peut même croiser un futur homme d’État comme Aristide Briand, fréquentant l’anarchiste Pelloutier ou se positionnant en faveur de la stratégie de la grève générale. Briand sera d’ailleurs un des soutiens de poids de la Ligue internationale pour l’éducation rationnelle de l’enfance créée par Ferrer en 1908.

Car, désormais anarchiste, Ferrer voit dans l’éducation plutôt que dans les méthodes violentes le moyen de changer radicalement de modèle de société. Il rencontre Paul Robin alors qu’il se penche de plus en plus sur les questions pédagogiques et se prend d’intérêt pour ses conceptions d’éducation intégrale développées à Cempuis et dans le cadre de la première Internationale.

Entre 1895 et 1901, il vit à Paris de ses cours d’espagnol et commence à concevoir ce qui va prendre la forme d’un projet de plus en plus concret, une école en Espagne, à Barcelone, fondée sur des principes rationalistes visant à l’émancipation des classes exploitées, pour battre en brèche le monopole éducatif alors détenu par l’obscurantiste clergé espagnol.

Comme à Belém en 1919, l’Église étend son ombre menaçante sur les projets émancipateurs, à Barcelone de Ferrer, en Amazonie de ses émules. Nous verrons ainsi dès le mois prochain, ce que fut la matrice barcelonaise de l’école brésilienne, ensuite nous reprendrons notre enquête au sujet de celle-ci.

Accattone


http://alternativelibertaire.org/?Chron ... libertaire


Chronique : Ni Dieu ni maître d’école, « Francisco Ferrer et l’école libertaire » partie 2

Nous avons vu la formation intellectuelle et politique de Francisco Ferrer, penchons-nous sur la création de l’École moderne. Celle-ci va rayonner dans l’Europe de la « Belle Époque » et, se disséminant, atteindra Belém, qui connut cette période particulière du début du XXe siècle et vit également la création d’une école rationnelle dans un de ses bairros populaires.

1901, Barcelone. La première École moderne accueille ses élèves et pour la première fois en Espagne, ce ne sera pas sous l’égide de l’État monarchique ou de l’Église catholique mais selon les principes d’un homme pétri d’humanisme et formé à l’anarchisme à traits scientifiques de son époque. L’Église, que l’on peut alors décrire comme une machine à créer des illettré.es obéissants et craignant la colère divine, exerce sur l’éducation une forme d’hégémonie qu’elle ne goûte que fort peu de voir remise en cause par un homme lié à un courant de pensée contestataire. De fait, les autorisations furent plus que difficiles à obtenir, et travailler sur un matériel sans connotation religieuse se révéla une entreprise ardue, au point que les ouvrages didactiques furent élaborés spécialement par et pour l’école.

Une des principales caractéristiques qui révulse le clergé et la société bien-pensante est la mixité. La co-éducation, comme elle est alors appelée, est évoquée ainsi par Ferrer dans une lettre envoyée en 1900 à son ami José Prats : « Mon plan est que l’école soit d’enseignement primaire […], mixte, c’est-à-dire, avec garçons et filles ensemble, comme à Cempuis. » On voit ici combien Ferrer place ce mode de fonctionnement au centre de son œuvre éducative en reprenant l’expérience de Paul Robin et de son orphelinat de Cempuis. Mais dans cette lettre, on trouve un autre objectif central pour l’éducateur catalan : la lutte des classes. « Si pendant la journée elle servira d’école pour les enfants, le soir, elle servira aux adultes en donnant des cours de français, d’anglais, d’allemand, de taquigraphie et de comptabilité. En même temps, des conférences y seront données et il y aura un local disponible pour les syndicats et groupes d’ouvriers, les sociétés de résistance qui ne s’occupent pas d’élections ni d’améliorations de classe, mais travaillent à sa complète émancipation. »

Ainsi, l’école rationnelle de Ferrer propose clairement un objectif fondé sur les principes anarchistes et pose comme principe l’éducation tant de la jeunesse que des adultes en joignant dans un même lieu éducation scolaire et éducation populaire. Comme, en France, un certain Fernand Pelloutier et ses Bourses du travail.

De cette école-matrice vont surgir un peu partout des Écoles modernes en Espagne (de nombreuses Écoles modernes y existent déjà du vivant de Ferrer : 32 d’entre elles sont ainsi recensées dans le royaume ibérique au moment de sa mort) ainsi que dans le monde, et l’éxécution de Ferrer en 1909, sous un prétexte fallacieux, va donner encore plus de force à ce mouvement : New York voit naître une Modern School en 1911, Lausanne dès 1910, et en 1912 c’est au tour de la capitale économique du Brésil, São Paulo, de fonder son école moderne... le début d’un mouvement auquel Belém do Pará participera quelques années plus tard...

Accattone


http://www.alternativelibertaire.org/?C ... taire-7858
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 02 Sep 2018, 18:12

Education libertaire, éducation critique ?

« A présent que nous sommes les maîtres de nos vies,
nous devons maîtriser toutes les armes du savoir »
Appel du comité d’usine Poulitov, Petrograd, 1917

« A l’école, ce qu’on t’enseigne, c’est l’histoire des guerres,
jamais celle du travail, jamais celle des travailleurs ».
Louis Guilloux[1]

« Par un enseignement rationnel, par l’étude attrayante,
Par l’observation, la discussion et l’esprit critique,
nous formons des intelligences cultivées ».
Sébastien Faure

Comme le souligne Grégory Chambat deux systèmes éducatifs se concurrencent, voire s’affrontent, depuis le 19e siècle. En effet, « il existe bien deux éducations : si l’une aspire à concilier émancipation collective et épanouissement individuel, l’autre entend, à travers ses pratiques pédagogiques autoritaires, enseigner l’obéissance, domestiquer le peuple pour perpétuer le système et asseoir le pouvoir des dominants »[2]. Tous les régimes autoritaires y compris républicains tentèrent d’utiliser l’éducation comme le fer de lance de leur projet sociétal, de Falloux à aujourd’hui. C’est ce que Michel Winoch rappelle à propos de Guizot et de la loi 1833 qui porte son nom. Ce dernier écrit dans ses Mémoires à propos des « instituteurs populaires » (sic) : « quant à eux, leur mission est de faire de l’école un instrument d’ordre et de stabilité ; ils participent à ce gouvernement des esprits recherchés, c’est-à-dire à la formation d’une opinion commune »[3] en d’autres termes, à l’uniformisation de la pensée et de l’action, voire à l’acceptation de la soumission. Raymond Fonvielle ne dira pas autre chose. Il affirme sans détour que « l’école à partir de l’âge où elle a été décrétée « obligatoire », [s’est muée] en rouage de l’Etat dont elle se fait serviteur des finalités de formation des esprits »[4].

A l’évidence, c’est dans le premier courant, celui de l’émancipation, que s’inscrit et s’invente l’éducation libertaire critique. Quant aux auteurs de La nouvelle école capitaliste en 2011, ils rappellent à raison que Pierre Bourdieu en son temps, et, après tant d’autres, relevait que l’école qui se définissait comme « une institution émancipatrice et universaliste devenait, dans la pratique, un instrument de reproduction sociale d’une redoutable efficacité »[5]. Pourtant certains tenants de l’école républicaine, par naïveté ou aveuglement, crurent ou ont feignirent de croire aux intentions émancipatrices et critiques de l’école de Ferry et de ses successeurs jusqu’à aujourd’hui. En effet, ces auteurs affirment à juste titre que l’école, mais en fut-il un jour autrement, « s’aligne de plus en plus explicitement et ouvertement sur les formes et les contenus répondant aux exigences de la « nouvelle économie », c’est-à-dire du capitalisme contemporain »[6] et qu’elle devient explicitement, mais encore une fois est-ce une nouveauté, « le lieu de fabrications de subjectivités dociles, souples, adaptables, et réactives, requises par les entreprises »[7]. N’est-ce pas contre cette école de tout temps a-critique, malgré des discours de façade, que s’affirmèrent les pédagogues libertaires ?

Les anarchistes, toute sensibilité confondue[8], furent sans doute, à la suite Joseph Jacotot[9], les premiers à dénoncer les maitres-explicateurs comme frein aux intelligences et à la libre construction des individus, en particulier en obscurcissant les esprits et en empêchant toute manifestation de l’esprit critique. Pour les libertaires en effet, pas de société anarchiste sans esprit critique donc pas de pédagogie libertaire sans ce souci et cette dimension. Esprit critique et anarchisme sont irrémédiablement liés dans une dialectique vertueuse, la critique enrichissant l’anarchisme, l’anarchisme renforçant la critique. En effet, comme l’écrit Octavio Alberola : la pensée anarchiste [est] toujours ouverte aux apports de la pensée critique […] parce que telle est la condition pour être anarchiste »[10]. Angel Pestana Numez, militant infatigable de la CNT espagnole ne disait pas autre chose lors d’une conférence en octobre 1919 devant les ouvriers madrilènes. Il s’inscrivait ainsi dans la grande tradition éducationniste anarcho-syndicaliste et dans les pas de Fernand Pelloutier pour lequel l’éducation et l’esprit critique fondaient les outils de la compréhension du monde et pour l’apprenti, la science libératrice de son malheur. Angel Pestana martelait donc en ce sens : « nous ne voulons pas qu’on accepte nos principes sans les discuter, parce que l’homme qui accepte quelque chose sans discuter montre ou son ignorance ou sa servilité et, des deux je ne sais pas ce qui est pire : la servilité ou l’ignorance »[11].

Fort de cet axiome partagé par l’ensemble des libertaires : esprit critique et anarchisme vont de concert, ceux et celles qui réfléchirent et mirent en œuvre des expériences pédagogiques ne se départirent jamais de ce souhait et de cette nécessité afin de permettre aux enfants et adultes de se construire et de se former à l’esprit critique et par l’esprit critique, quitte d’ailleurs à en être les premières cibles.



Pour illustrer mon propos, je ferai d’abord un panorama, certes non exhaustif, de propos tenus dans le sens de la pédagogie critique. D’abord en évoquant ceux de quelques précurseurs puis ceux de quelques éducateurs anarchistes, mais pas exclusivement. Cette communication est donc inspirée et rédigée à partir dans mes recherches antérieures et de quelques lectures et publications récentes. Je conclurai en utilisant deux textes d’actualité issus de la sensibilité libertaire, un roman social catalan de 2012 paru suite à sa traduction en 2016 en France et un numéro d’un périodique anarchiste plus que cinquantenaire, Le Monde libertaire, imprimé en mai 2017.

Aux prémices de l’anarchisme éducationniste

Dans une certaine mesure, il est possible de rattacher la question de l’éducation critique à un large courant philosophique qui s’inscrit dans la recherche et la construction d’un sujet libre. Courant dans lequel se retrouvent Rabelais, La Boétie, Montaigne, Rousseau et son disciple Pestalozzi pour ne citer qu’eux. Recherche d’un individu libre qui à mon sens se cristallise dans la formule d’Emmanuel Kant lorsqu’il affirme : « la volonté n’est libre que lorsqu’elle n’est conditionnée par rien d’extérieur »[12] ce qui est une façon de poser la question du rôle de l’éducation et des éducateurs et celui de la nécessité d’une éducation critique pour favoriser la construction de soi sans risque d’aliénation ou de soumission.

Il est de tradition de faire que William Godwin l’un des premiers penseurs de ce qui sera appelé après Proudhon l’anarchie positive. Godwin en philosophe social définit clairement les buts de l’éducation. Pour lui, « l’essentiel d’une éducation judicieuse, c’est d’apprendre à penser, à discuter, à se souvenir et à se poser des questions »[13]. Il jette pour ainsi dire les dés et les principes de l’éducation libertaire critique et réflexive dès 1793. Une autre grande figure du mouvement social naissant, Flora Tristan ne fut pas insensible à la question de l’éducation du monde ouvrier. Elle considère qu’il s’agit d’un outil indispensable à l’émancipation du plus grand nombre et au développement d’un humanisme populaire nécessaire à la transformation sociale. Elle écrit dans les années 1840 à propos des ouvriers lyonnais lors de son Tour de France, qu’elle a constaté chez tous un « grand esprit de justice [et que] si ces hommes étaient instruits, développés intellectuellement, ils seraient bien supérieurs à ce qu’on rencontre communément parmi les bourgeois »[14]. Dès 1849, dans la foulée de la Révolution de 1848, Roland, Pérot et Lefrançais rédigent le Programme d’enseignement de l’association fraternelle des instituteurs et institutrices et professeurs socialistes dans lequel ils posent, après avoir critiqué le système éducatif d’ancien régime, les fondements que l’on retrouvera sous la plume et dans les expérimentations d’éducation libertaire. Pour eux, « aucun enseignement religieux dogmatique ne saurait faire partie de notre éducation publique, sous peine, pour cette éducation, de tomber dans l’esprit de secte »[15]. Au-delà de prôner un enseignement laïc dégagé de toute visée dogmatique, ils affirment que les enfants qui fréquenteront une telle école auront leur esprit ouvert, leur curiosité favorisée et, « n’ayant rien appris par cœur, [ils] savent raisonner juste sur toutes les choses qui sont à la portée de leur esprit »[16]. L’école doit donc apprendre à raisonner « juste », c’est-à dire en se basant sur la raison et la réflexion critique. L’éducation socialiste, ajoutent-ils « loin de soumettre les élèves, comme on le fait dans l’ancien système, à une obéissance absolue qui ne peut faire que des esclaves, doit, dès les premiers pas, épier l’expression de la volonté, et, au lieu de la comprimer, pousser de toutes ses forces à sa libre expansion »[17]. Formule que nous retrouverons peu ou prou dans de nombreux écrits ultérieurs des éducationnistes libertaires. Proudhon, reprenant le principe de l’éducation intégrale, celle de la main et de l’esprit, qu’il emprunta à Charles Fourier se préoccupa lui aussi de l’éducation qu’il considère soit comme un outil de soumission à l’ordre dominant, soit comme un outil d’émancipation à la condition qu’elle échappe à l’Etat, qu’elle s’autonomise et qu’elle soit gérée par les travailleurs eux-mêmes. Pour Pierre-Joseph Proudhon l’éducation fut un constant souci, et, l’éducation du peuple par le peuple, la Démopédie[18], une exigence permanente. Sa conception de l’éducation est à la fois large et étroitement articulée avec le travail. Il préconise en effet, l’égalité entre la formation intellectuelle et la formation professionnelle qu’il nomme « polytechnie de l’apprentissage »[19]. Il ne vise rien de moins que « l’émancipation intellectuelle du peuple »[20]. Si la Démopédie est une condition de l’émancipation sociale, l’école doit se libérer à son tour du joug étatique ou religieux qui ne vise, par l’instruction élémentaire, qu’à enfermer la jeunesse et le futur producteur « dans l’étroitesse de ses fonctions parcellaires »[21] car sans garantie et sans contrôle des associations ouvrières « l’enfant envoyé aux écoles ne sera toujours qu’un jeune serf dressé pour la servitude, au mieux des intérêts et de la sécurité des classes supérieures ». Or, ajoute Proudhon, « nous voulons des travailleurs civilisés et libres »[22]. Pour clore ce petit florilège, il me faut encore évoquer deux figures aux lisières du mouvement anarchiste. La première celle de Max Stirner qui se livre à une virulente critique du système éducatif d’outre Rhin des années 1840 dans un texte souvent ignoré, intitulé De l’Education. Dans cette petite livraison, le philosophe déplore que l’éducation ne fasse que « rogner les ailes »[23] des individus à des fins de dressage quand « la pédagogie ne [devrait] pas perdre de vue qu’elle commence et qu’elle finit par la formation de la libre personnalité »[24] à laquelle aspire Striner. Pour lui aussi, « l’école doit être une éducation pour la liberté et non pour la soumission »[25]. Enfin, David Henry Thoreau anticipant certaines critiques formulées à l’égard du sociologue Durkheim écrivait dans son célèbre pamphlet La désobéissance civile que « L’homme sage n’est utile qu’en tant qu’il reste un homme et refusera d’être de la « glaise » [26]. Reste alors pour ce faire à donner à l’apprenant les moyens de se forger les armes de la critique.

Les anarchistes mais pas seuls

En effet, comme le souligne Jean Maitron, « les anarchistes ont toujours considérés l’éducation et l’instruction comme des facteurs révolutionnaires déterminants »[27]. Et si, comme on l’a vu, l’arsenal critique de la pensée libertaire sur les pédagogies autoritaires fut très tôt formulé et très largement partagée, les anarchistes ne furent pas les seuls à vouloir développer une éducation critique. Il convient donc, avant d’entrée en pédagogie libertaire critique, de faire un léger détour afin de saluer le même esprit de liberté chez d’autres auteurs. En effet, s’il est légitime de constater qu’il y eut un ensemencement réciproque, l’apport des libertaires fut sans doute non négligeable. Pour preuve le rôle déterminant de James Guillaume auprès de Ferdinand Buisson dans la réalisation du dictionnaire pédagogique[28].

Ainsi, les instituteurs syndicalistes du début du 20e siècle chez lesquels l’influence libertaire fut présente se revendiquèrent d’une éducation critique. Frédéric Mole dans son ouvrage intitulé L’école laïque pour une République sociale, controverses pédagogiques et politiques (1900-1914) a pointé cette exigence critique des instituteurs. De facto l’école laïque, malgré ses contradictions internes a eu très tôt pour ambition, de développer l’esprit critique. Pour cet auteur, si « d’un côté l’enseignement laïque requiert des maîtres astreints à un devoir de réserve ; d’un autre côté l’idéal laïque leur commande de cultiver l’esprit critique d’élèves qui auront à écrire leur propre histoire »[29]. Cette école de la critique « consiste à concevoir un enseignement qui aurait pour fin de développer l’esprit critique et de viser un nouvel ordre social et politique tout en respectant la liberté de conscience des élèves »[30]. Définition qui en tout point correspond aux exigences éducationnistes des pédagogues libertaires et à la possibilité pour chacun de se construire librement. Il s’agit donc pour les instituteurs syndicalistes et les anarchistes ayant acceptés, même de manière critique, l’école laïque de développer et défendre l’idée « d’une fonction émancipatrice de l’école consistant à offrir à l’élève de se soustraire à l’emprise de la réalité sociale et de se constituer comme un sujet critique et politique »[31]. Pierre Dufrenne, militant syndicaliste de l’école critique, cité par Mole, déclarait en ce sens en 1906 : « apprenons aux enfants à chercher, à trouver eux-mêmes la vérité, qu’il n’y a pas de vérité en dehors de la raison, de la logique et l’expérience »[32]. Proposition qui est recevable pour tout éducateur libertaire. Pour Frédéric Mole et ses acteurs, l’école de la critique « ne consiste pas à former un sujet abstrait, affranchi de toute inscription sociale ; elle repose sur le développement d’une culture critique de la société »[33]. De plus l’auteur souligne à juste titre qu’une telle école ne peut fonctionner qu’à la condition que les instituteurs eux-mêmes soit en capacité de développer leur propre appareil critique. En effet, « les instituteurs syndicalistes soutiennent qu’un enseignement présentant un caractère émancipateur suppose des instituteurs émancipés au plan corporatif, professionnel et politique : pas d’enseignement à l’esprit critique sans enseignants faisant par eux-mêmes l’expérience de l’esprit critique »[34]. Si pour l’auteur de L’école laïque pour une République sociale…, l’expression « école de la critique [désigne] – bien que le syntagme ne soit nullement utilisé à l’époque [vers 1910] – l’enseignement et les pratiques scolaires qui cherchent à mettre les élèves en situation d’interroger la légitimité de l’ordre social » [35]. Reste à définir « à partir de quels principes, de quels questionnements, de quelle culture scolaire l’esprit critique peut-il se développer chez les élèves ? Comment s’acquiert le savoir critiquer ? »[36].

C’est dans cette perspective que s’inscriront les recherches et les pratiques de Célestin Freinet et de son mouvement. Freinet dans un article de L’école émancipée de 1921 et de Clarté en 1923 se déclare fermement contre la pédagogie blanquiste déjà dénoncée par Albert Thierry. Pour lui, il faut cesser de bourrer le crâne des enfants, « nous avons trop vu, écrit-il, où cela nous a menés et où cela nous mène chaque jour. Et d’ailleurs que vous bourriez les crânes de rouge ou de blanc, c’est la même chose »[37]. Il ajoute : « Libérons nous de tous les dogmes ; faisons l’école pour l’enfant. Eduquons-les en pensant, non que nous faisons des capitalistes ou des communistes [voire des anarchistes], mais en nous persuadant bien […] que nous avons la charge d’en faire des hommes […] ayant soif d’amour et de liberté et qui emploieront tous leurs efforts à se libérer »[38]. A cette fin, il faut faire en sorte que l’école « soit une institution réelle et vivante, car la seule manière de se préparer à une tâche sociale est d’être engagé dans la vie sociale »[39]. Donc, plus d’école-caserne mais des écoles ouvertes sur la vie où le savoir peut prendre sens et où à chaque pas la connaissance doit être soumise à la pensée critique. Freinet affirme encore en 1934 que « la formation de l’esprit critique de l’enfant » doit être une de nos préoccupations capitales. Il s’agit de préparer l’enfant non pas à penser en série, à obéir servilement aux perfides suggestions des corrupteurs sociaux et aux ordres impérieux de ses maîtres, mais à réfléchir, à juger, à orienter ses efforts, à découvrir le mensonge, même lorsqu’il se cache sous les apparences hypocrites de l’humanité, de la charité, ou de la religion » [40] voire des pseudo-vérités et pseudo-sciences ajouterai-je. Freinet précise son projet pédagogique en 1933 dans L’éducateur prolétarien où il écrit : « toute notre technique [pédagogique] subséquente tend au même but : préparer à travers l’enfant l’homme actif, vrai, fort, capable de se dresser devant l’erreur et l’injustice »[41]. Il ajoute dans un autre article de Monde : « nos élèves habitués à rédiger, à composer [caractères en plomb)] et à imprimer un journal scolaire, s’exercent ainsi à critiquer avec sureté ce qui est écrit et imprimé et que la masse accueille aujourd’hui béatement comme vérités indiscutables. Nous avons soustrait nos élèves au dogmatisme »[42]. Toujours fidèle à l’école critique, il affirmera encore plus tard en 1939 : « nous apprendrons aux enfants à raisonner sainement, à réfléchir, à passer les évènements et leurs résonances au crible de leur claire conscience »[43].

Cette tradition émancipatrice de l’école critique perdurera. Le courant de la pédagogie institutionnelle développée par Fernand Oury, à son tour, dénoncera l’école caserne, celle du bourrage de crâne et de la contrainte des corps critiquée par Henri Roorda. Pour les pédagogues institutionnels il s’agit bien de « l’école de la non-communication, l’institution bureaucratique héritée de l’Empire, vouée par sa structure verticale à la pétrification et à l’absurdité »[44] qui jamais n’œuvre à fonder et développer l’esprit critique et la réflexivité des apprenants.

Dans la période contemporaine, toujours dans ce mouvement d’ensemencement réciproque évoquée plus haut, Castoriadis prônera une éducation voire une auto-éducation critique tout en rompant à son tour avec les pédagogies autoritaires et blanquistes. Education qui s’inscrit bien au-delà des apprentissages enfantins et qui se fait tout au long de la vie. « Pendant la majeure partie du 19e siècle, écrit-il, la classe ouvrière des pays qui s’industrialisaient s’autonomise, s’alphabétise et se forme d’elle-même, fait surgir un type d’individu confiant en ses forces, son jugement, qui s’instruit tant qu’il peut, pense par lui-même, n’abandonne jamais la réflexion critique. Le marxisme en accaparant le mouvement ouvrier, remplace cet individu par le militant endoctriné dans un évangile, croyant à l’organisation, à la théorie et aux chefs qui la possèdent et l’interprètent, militant qui tend à leur obéir inconditionnellement, s’identifie à eux et ne peut, la plupart du temps, rompre cette identification qu’en s’effondrant lui-même »[45]. Pour lui, comme pour les anarchistes et une large partie du mouvement socialiste, l’éducation demeure un puissant levier d’émancipation à la condition toutefois qu’elle organise la critique et ne (se) repose pas sur la croyance en un dogme, en un chef. En effet, « la centralité de l’éducation dans une société démocratique est indiscutable. En un sens, on peut dire qu’une société démocratique est une immense institution d’éducation et d’auto-éducation permanente de ses citoyens, et qu’elle ne pourrait vivre sans cela. Car une société réflexive, doit faire constamment appel à l’activité lucide et à l’opinion éclairée de tous ses citoyens »[46] pour progresser et se libérer des systèmes de contraintes intellectuels et physiques qui s’y développent. « Soit exactement, ajoute-t-il, le contraire de ce qui se passe aujourd’hui, avec le règne des politiciens professionnels, des « experts », des sondages télévisuels. […]. L’éducation commence avec la naissance de l’individu et se termine avec sa mort. Elle a lieu partout et toujours. Les murs de la ville, les livres, les spectacles, les évènements éduquent – et, aujourd’hui, pour l’essentiel « méséduquent » – les citoyens »[47]. Constat amers et critique d’une éducation a-critique et aliénante que Castoriadis élargit non seulement aux organisations ouvrières autoritaires et centralisatrices mais à la société toute entière où l’éducation toute entière, elle aussi, est devenue « spectacle » à consommer sans modération, sans réflexion, en d’autres termes sans analyse critique.

Les anarchistes et l’éducation critique

Les anarchistes, toute sensibilité confondue – individualistes, anarchistes-communistes, anarchosyndicalistes, pacifistes… – s’intéressèrent à la question de l’éducation et, ils sont en règle générale d’accord sur les principes et les pratiques appelés à régir une pédagogie en harmonie avec les valeurs de leur courant d’idée. Il paraît même possible d’affirmer que sans critique point de pédagogie libertaire. C’est ce que cette dernière partie tentera de démontrer et de faire partager en proposant un rapide tour d’horizon, nécessairement réducteur, des principaux auteurs et acteurs de l’éducation libertaire.

Les syndicalistes libertaires

Très tôt les antiautoritaires, pas encore dénommés anarchistes, s’intéressèrent à l’école et à l’apprentissage y compris professionnel. En effet, après Proudhon déjà cité qui propose d’œuvrer à « l’émancipation intellectuelle des peuples »[48], des militants au sein de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT) fondée en 1864 mirent à l’ordre du jour des congrès de l’association des points de débat et votèrent de nombreuses motions sur l’éducation.

Dès le second congrès de l’AIT à Lausanne en 1867 sera évoquée la nécessité d’un enseignement intégral inspiré de Proudhon. Le congrès émettra d’ailleurs « une résolution en faveur de l’organisation de l’école-atelier, et d’un enseignement scientifique, professionnel et productif »[49]. En effet, aux yeux des internationaux, « l’instruction et l’éducation sont (…) une des conditions de leur émancipation », et, comme l’affirme, l’un d’entre eux, Heligon : « l’absence d’instruction met le travailleur sous la dépendance de ceux qui la possèdent »[50]. En 1869, au congrès de Bâle, l’éducation intégrale est inscrite au débat et fait l’objet d’une nouvelle motion. Suite aux internationalistes et aux résolutions des congrès de l’AIT, les anarchistes syndicalistes plus tard dénommés anarcho-syndicalistes furent dans les premiers à penser à une éducation critique. L’un d’entre eux Fernand Pelloutier en 1898 n’appelait-il pas à « instruire pour révolter »[51] et/ou plutôt à s’instruire pour s’autoriser à se révolter et cela en mobilisant son esprit critique pour découvrir « la science de son malheur », source de toutes les émancipations. Esprit critique défaisant les dogmes et les demi-vérités, éclairant chacun sur le pourquoi de sa domination économique et politique. Au-delà de Pelloutier, Albert Thierry apparaît comme la figure emblématique du syndicalisme révolutionnaire et libertaire. Enseignant lui-même, Albert Thierry défend une éducation libérée de tout dogme, il dénoncera toute forme autoritaire d’éducation, y compris socialiste et blanquiste. Il refuse donc toute forme de catéchisation des enfants. En pédagogue libertaire, il prône une éducation ouverte où l’individu est seul à même de se fonder lui-même, de se construire en homme fier et libre. C’est pourquoi, il refuse toute forme de dressage. « Catéchiste syndicaliste, écrit-il, catéchiste bourgeois, catéchiste catholique, [catéchiste blanquiste][52] : – peu importe – j’en ai au catéchisme lui-même. C’est à l’homme de se faire sa vie intérieure et sans œillères »[53]. L’éducation doit, non pas catéchiser l’enfant mais « fortifier en lui le sens critique, l’esprit scientifique, en lui donnant le goût du savoir et le besoin de contrôle ; l’habituer à se conduire seul, agir lui-même, à rester maître de soi »[54]. Clairvoyant avant beaucoup d’autres, il dénonce toute forme autoritaire d’éducation, ferryste ou blanquiste, dont la visée est par essence réductrice, manipulatrice et autoritaire et qu’il la considère comme « une ruse pour asservir »[55] les enfants. Sans souhaiter plier l’enfant à un dogme quel qu’il soit, Thierry considère toutefois, comme d’autres nous le verrons, qu’il faut éveiller les consciences enfantines à la lutte des classes et aux valeurs syndicalistes, à condition de ne pas attenter à leur libre choix, à leur capacité de discuter et de mettre en débat l’éducation reçu. « Si je résume bien, écrit-il, l’esprit critique, le souci de l’intérêt collectif, l’antimilitarisme, voilà tout le programme ; et le généreux idéal du syndicat, voilà toute la pédagogie »[56]. Pour Albert Thierry et la plupart des syndicalistes libertaires l’école a-critique va contre les intérêts des enfants et de leur émancipation. C’est ce que rappelle Marcel Martinet dans sa préface aux Réflexions sur l’Education. « Tandis que nous voudrions, écrit Martinet, rendre ces écoles à leur double destination pour le travail et pour le peuple », elles demeurent aux mains des maîtres « pour le travail et contre le peuple »[57]. De leur côté, les instituteurs syndicalistes de la fédération unitaire de l’enseignement, qui rejoindront la CGT et dans laquelle les libertaires étaient présents, ne manquèrent pas de souhaiter une éducation critique et émancipatrice loin de tout dogme. En ce sens une militante, France Serret, écrivait dans L’Emancipation n°6 de mars 1930 : « les institutrices syndicalistes doivent se trouver à l’avant-garde du mouvement de pédagogie nouvelle, préparer l’apprentissage de la liberté, du self-gouvernement, de la coopération, de la responsabilité individuelle et sociale »[58]. Quant à Lucien Roth, il écrivait dans L’école émancipée n°37 du 15 juin 1930. Nous répudions […] une certaine littérature catéchisante destinée à former dès le bas âge le prolétariat révolutionnaire de demain. Notre rôle d’éducateurs n’est pas de façonner le cerveau de l’enfant pour le rendre accessible plus tard à une telle conception politique qui nous agrée. Nous devons aller à l’enfant mais non l’attirer à nous. Nous devons lui révéler la vérité, mais la sienne et non pas la nôtre. Ce qui ne veut pas dire que nous dussions nous mouvoir avec lui dans un cercle de niaiseries puériles et ridicules »[59]. Comme le souligne Gaëtan Le Porho : « pour les militants unitaires [de la CGT-U] l’école n’a pas comme finalité de fabriquer des êtres conformes à ce que veut d’eux la société capitaliste mais des travailleurs conscients et critiques »[60].

Enfin, Pierre Monatte, présent au congrès anarchiste d’Amsterdam en 1907, syndicaliste révolutionnaire et fondateur de la Vie ouvrière (organe de la CGT) ne dira pas autre chose en reprenant les propos de G. Dupin : « les masses, en apprenant à lire [sans esprit critique], avaient désappris à discerner »[61].

Les théoriciens

Très tôt dans l’histoire de l’anarchisme apparaissent des théoriciens et plus tard des praticiens de la pédagogie libertaire critique. Ils ne sont d’ailleurs, pour beaucoup d’entre eux, pas étrangers aux débats qui animèrent l’AIT sur la nécessaire éducation émancipatrice pour tous. Bakounine dès 1869 publient deux séries d’articles intitulés Les Endormeurs et L’Instruction intégrale dans le journal L’Egalité de Genève. Pour lui, l’instruction « doit préparer chaque enfant des deux sexes aussi bien à la vie de la pensée qu’à celle du travail, afin que tous puissent également devenir des hommes complets »[62] c’est-à-dire dotés d’un appareil critique leurs permettant d’assurer leur choix individuels et de participer au développement collectif. Dans le même esprit son ami James Guillaume consacre un chapitre de son texte Idées sur l’organisation sociale publié en 1876 à l’éducation. Pour Guillaume, « le but de l’éducation que reçoit l’enfant [est] de le mettre aussi vite que possible en état de se diriger lui-même »[63] en d’autres termes en capacité de (se) choisir, défi impossible sans cette dimension critique présente chez tous les éducationnistes libertaires. De plus, si l’enfant « s’appartient à lui-même », la société doit lui « assurer la garantie de son libre développement »[64]. Quant à la pédagogie intégrale, celle de la main et du cerveau, dont il se réclame aussi, elle « doit développer à la fois, écrit-il, toutes les facultés du corps et toutes les facultés de l’esprit, de manière à faire de l’enfant un homme complet »[65], condition et finalité de toute pédagogie libertaire. D’autres théoriciens anarchistes écriront sur la pédagogie tel Pierre Kropotkine ou encore Elisée Reclus. Celui-ci dans les années 1900, comme le fera Albert Thierry plus tard, dénonce les visées dogmatiques de nombreux éducateurs. En effet, déclare-t-il : « qu’on prenne bien en considération que l’école d’aujourd’hui, qu’elle soit administrée par le sacerdoce religieux ou régie par le sacerdoce laïque, est, une épée ou, mieux, telle une myriade d’épées, franchement et ouvertement dirigée contre les hommes libres, car il s’agit pour ceux qui ont le monopole de dresser contre tous les innovateurs, tous les enfants de la nouvelle génération »[66]. Enfin pour poursuivre ce bref aperçu, il convient de définir la pédagogique critique comme une pédagogie du doute et du questionnement. C’est Domela Nieuwenhuis qui l’évoque dans une conférence intitulée L’Education libertaire donnée en 1900 à Paris. Dans cette pédagogie Domela Nieuwenhuis fait du doute un droit fondamental de l’enfant et une condition de son libre développement. Il écrit à ce propos : « le bon droit du doute […] doit être reconnu comme la condition nécessaire du progrès, de l’exercice intellectuel de l’écolier ». Il convient aussi d’apprendre et/ou de laisser douter car « la défense de douter est le meilleur moyen de tuer le libre examen ». En effet, sans la pratique du doute l’individu, en particulier l’enfant sera condamné à accepter sans analyse et compréhension la parole d’autrui comme une vérité. Il faut donc proclamer pour l’enfant le droit de penser, de parler franchement, de douter, d’avoir son opinion à soi et aussi le droit à la révolte. Tel est le code des droits de l’enfant »[67]. Pour Domela Nieuwenhuis, « dans l’éducation on doit éviter tout ce qui répand ou entretient les préjugés, car ceux-ci sont les plus grands obstacles à l’exercice de la pensée [critique] et à l’atteinte de la vérité »[68]. L’éducation a-critique ne vise, ajoute-t-il, qu’à « bourrer la mémoire d’une foule de chose qui ne sont bonnes qu’à être oubliées ; désapprendre de penser librement et avec indépendance – telle est l’œuvre de mainte école »[69].

Quant au courant individualiste anarchiste, il fut aussi prolixe de réflexions sur l’éducation. Les nombreux articles d’Anna Mahé et Emilie Lamotte, parmi d’autres, dans les colonnes de l’anarchie dans les années 1910 en témoignent. Réflexions moins connues que je vais évoquer maintenant. Anna Mahé tout d’abord, dont les articles sont en orthografe simplifiée (sic) considère que dans le modèle éducatif dominant, celui de la République, l’élève est bien une « machine à aprendre, à laquèle on a suprimé la pensée »[70] et de facto tout esprit critique. Comme Niewenhuis, elle affirme que pour les élèves, « il est aussi interdit de douter et d’exprimer son doute qu’il l’était au moyen âje de douter de l’ecsistence réele de la très Sainte Trinité »[71] et qu’une « éducacion bazée sur le libre eczamen serait fatale à l’autorité »[72]. En bref, « la pédagojie oficiele [est] faite pour fabriquer des esclaves »[73]. Le but de l’éducation étant tout au contraire de « les amener à raizoner eus-mêmes, à trouver le pourquoi des chozes »[74]. De son côté Emilie Lamotte considère que le but de l’éducation et des éducateurs « est de susciter la découverte »[75] et surtout de travailler « sans relâche à éveiller l’esprit critique[76] et d’examen »[77] afin que chacun se forge sa propre opinion et renonce aux idées reçues et acceptées sans analyse personnelle. Libre examen et esprit critique apparaissent comme le trait commun de toute pédagogie libertaire qu’elle soit portée par les anarchistes syndicalistes, les individualistes ou d’autres sensibilités. Citons encore Maurice Imbard pour lequel : « Apprendre, douter, chercher, cette trilogie […] paraît apte à former des cerveaux éloignés de l’esprit de routine, inaccessibles aux principes d’autorité, de véritables cerveaux scientifiques, anarchistes » [78]. Enfin et pour clore ce rapide propos sur les théoriciens, un mot sur Henri Roorda, à la frontière de la théorie et de la pratique. Enseignant lui-même, il fut partie prenante de l’école Ferrer de Lausanne. Ainsi, s’insurge-t-il contre le bourrage de crâne (sic) systématique imposé aux enfants dans le cours de leur scolarité. Pour lui, à l’évidence, l’école est en premier lieu une école de la soumission qui n’a pour but que le dressage des individus : « Il importe peut-être, avant tout, que les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des hommes fassent très tôt l’apprentissage de la docilité »[79]. Et de fait « on n’habitue pas les écoliers à se poser des problèmes nouveaux. Inlassablement, on les met en mesure de répondre à des questions prévues »[80]. La réflexion pédagogique d’Henri Roorda le conduit à formuler le souhait que se développe une véritable pédagogie de l’intelligence qui ouvre les esprits au lieu de les scléroser. L’école et l’éducation doivent donc être exigeantes avec les élèves et leur fournir les moyens d’une pensée critique et les sensibiliser à la démarche scientifique. Il faut leur faire « comprendre que les problèmes qui nous passionnent sont d’une complexité inouïe et que nos hypothèses et nos opinons ne sont pas des vérités établies »[81] et que surtout que « les maîtres [aient] pour tâche de former des esprits libres. Leur rôle sera très discret ; ils se contenteront de mettre en branle la pensée de l’élève » [82] et de « les mettre en garde contre le pouvoir trompeur des mots »[83].

Les praticiens et les réalisateurs

Au-delà de déclarations de principes éducatifs généraux, les anarchistes les mirent à l’épreuve en Europe[84] et aux Amériques[85]. Je m’arrêterai toutefois à la France et à l’Espagne où les expérimentations furent nombreuses. En France, parmi les plus connues, celle menées par Paul Robin à l’orphelinat de Cempuis dans l’Oise entre 1880 et 1894. Dans ce lieu particulier d’éducation tout est mis en œuvre afin de laisser « l’enfant faire lui-même ses découvertes […] pour que son esprit continue ses propres efforts » et de se garder « par-dessus tout de lui imposer des idées toutes faites, banales, transmises par la routine irréfléchie et abrutissante »[86]. L’éducation à Cempuis vise donc à se méfier des « idées toutes faites [et] abrutissantes » et pour se faire il convient de les passer au crible de l’esprit critique, seule manière d’éduquer l’enfant et lui permettre un « développement progressif et bien équilibré de [son] être tout entier, sans lacune ni mutilation »[87]. Dans le même esprit Sébastien Faure ouvrira une école libertaire près de Rambouillet La Ruche qui fonctionna de 1904 à 1917 et qui elle-même fut une victime indirecte de la grande boucherie de la première guerre mondiale. A la Ruche « l’enfant n’apprend pas grand-chose. L’important, c’est de lui apprendre à apprendre »[88]. Il vaut donc mieux former le raisonnement et l’esprit critique que d’encombrer le jeune cerveau de contenus difficiles à maîtriser ou inutiles à cet âge comme je l’écrivais déjà dans mon Précis d’éducation libertaire en 2011. Comme chez Robin, « Le rôle de l’éducation c’est de porter au maximum de développement toutes les facultés de l’enfant : physiques, intellectuelles et morales »[89] et de le doter à l’évidence de capacités critiques lui permettant de fonder son propre jugement et ses propres actions tout d’abord comme enfant puis comme adulte conscient. Autre expérience libertaire d’éducation, celle de Madeleine Vernet à l’orphelinat L’Avenir social d’Epône de 1906 à 1911 en banlieue parisienne où il s’agissait d’éduquer les orphelins du prolétariat en dehors de la tutelle étatique et pour elle aliénante. Il va de soi, pour la libertaire qu’est Madeleine Vernet, que l’éducateur, pour œuvrer à la liberté des enfants, doit aussi être libre de ses mouvements et de ses pensées. C’est pourquoi, réclame-t-elle, « nous revendiquons la liberté absolue de l’instituteur […]. Nous proclamons que l’instituteur n’est pas un valet aux ordres d’un maître […]. Nous combattrons l’idée du monopole de toutes nos forces. L’enseignement monopolisé entre les mains de l’État est un gros danger pour le développement intellectuel[90] ». Position anarchiste dans la tradition critique de ce mouvement et accusation fondée contre l’État éducateur qui expliquent une fois encore, peut-être, ses désaccords puis son éviction de l’orphelinat par les militants communistes autoritaires et étatistes en 1922 sans doute réfractaires eux-mêmes à certaines critiques tant sur leur modèle éducatif que sociétal. « Nous voulons, écrit-elle, que l’école ne soit pas un moyen mais un but, qu’elle soit faite pour les enfants et qu’elle leur apprenne à penser librement »[91]. La finalité de l’éducation libertaire selon Vernet est de « diriger l’enfant sans l’opprimer ; combattre les instincts en respectant ce qui en lui est la forme de son individu ; faire naître la volonté raisonnée, sans laisser s’établir l’autoritarisme ; développer la bonté en combattant la faiblesse ; détruire le dogme moral pour y opposer la morale réfléchie ; tout cela c’est de l’éducation rationnelle »[92]. Enfin, dans une période plus récente, il me faut évoquer l’école libertaire Bonaventure où près d’un siècle plus tard un groupe de militants anarchistes fit fonctionner une école à Oléron de 1993 à 2001. L’école d’Oléron visait à « éduquer les enfants à la liberté, à l’égalité, à l’entraide, à l’autogestion en avançant ensemble à petits ou grands pas selon le moment »[93] en veillant une fois encore à éduquer la liberté de jugement de chacun, en d’autres termes l’esprit critique des enfants. Comme dans les expériences précédentes à Bonaventure « on apprend […] à discuter, à décider ensemble et peu à peu à se responsabiliser »[94] tout en acquérant des capacités de distanciation et en affûtant son regard critique sur soi, sur l’autre et les autres (en toute bienveillance), sur les idées toutes faites ou à faire, sur les faits et ses environnements proches ou lointains, domestiques ou sociaux.

L’Espagne entre les années 1900 et 1939 fut aussi un terrain propice aux expériences d’éducation libertaire et cette fois à une échelle de masse. Des cent cinquante « Ecoles modernes » de Catalogne en 1908 à toutes celles qui se réclamèrent peu ou prou de Francisco Ferrer dans l’Espagne révolutionnaire. Espagne et Catalogne où se mêlent intimement théorie et pratiques dans les expériences éducatives mis en oeuvre. Francisco Ferrer, fusillé en 1909, fut le pionnier de la réflexion et de la mise en œuvre des écoles libertaires sur un territoire où l’analphabétisme était encore monnaie courante dans le prolétariat agricole et industriel d’une Espagne cléricale et aristocratique. Former à l’esprit critique dans l’Espagne de 1900 n’était pas, aux yeux des puissants, ni concevable ni le bienvenu, car « les gouvernements [et les Églises] ont toujours veillé à diriger l’éducation du peuple et ils savent mieux que personne que leur pouvoir repose totalement sur l’école et c’est pour cela qu’ils la monopolisent avec chaque fois plus d’acharnement »[95]. Ecole sous contrôle où il convient, en Espagne comme en France sous Falloux, de moraliser le prolétariat où en d’autres termes le maintenir dans les filets de l’aliénation et de la sujétion. Pour Ferrer, tout au contraire, il s’agit de créer une école fondée sur la raison et non sur la croyance, une école rationnelle. Pour lui, dans cette école : « ni dogmes ni systèmes [mais] des solutions éprouvées par les faits, des théories acceptées par la raison, des vérités confirmées par l’évidence, voilà ce qui fait notre enseignement[96] », en d’autres termes un enseignement expérimental et résolument critique. Il ne s’agit donc pas de conformer les apprenants au désir du maître ou à un quelconque schéma politique pré-pensé, mais de lui laisser libre choix et de veiller au « développement le plus large possible des facultés de l’enfance sans assujettissement à aucun patron dogmatique. [Ainsi] les intelligences […] seront capables de se forger des convictions raisonnées propres, personnelles, par rapport à tout objet de la pensée»[97]. Désir d’émancipation par la critique que Ferrer réitérera dans sa correspondance. Dans une lettre écrite lors d’un séjour à la prison Modelo de Madrid en 1907, il affirme que : « l’école moderne prétend combattre tous les préjugés qui empêchent l’émancipation totale de l’individu et c’est pour cela qu’elle adopte le rationalisme humaniste, qui consiste à inculquer à l’enfance le désir de connaître l’origine de toutes les injustices sociales afin que par cette connaissance, elle puisse par la suite les combattre et s’opposer à elles »[98]. Ricardo Mella qui fut un acteur essentiel dans le débat sur l’éducation qui traversa le mouvement anarchiste espagnol écrivait en 1910 dans la même exigence que celle d’Albert Thierry : « l’école ne doit pas être, ne peut pas être républicaine, franc-maçonne, socialiste, anarchiste, de même qu’elle ne doit pas être et ne peut être religieuse »[99]. « Nos efforts, poursuit-il, dans une autre publication en 1912, en matière d’éducation, doivent tendre, non pas à un prosélytisme extensif, mais à une culture extensive des intelligences »[100] ce qui implique une totalité liberté à celles-ci pour se déployer. Pour lui, « en dehors de tout groupe partisan il faut instituer l’enseignement, en arrachant la jeunesse au pouvoir des doctrinaires même s’ils se disent révolutionnaires. Des vérités conquises, universellement reconnues, suffiront à former des individus libres intellectuellement »[101]. « L’école que nous désirons, écrit-il, sans dénomination préalable, c’est celle où l’on suscite le mieux et davantage chez les jeunes le désir de savoir par eux-mêmes, de former leurs propres idées »[102], de forger leur esprit critique aurait-il pu ajouter. Dans cet esprit, les réalisations éducatives des anarchistes espagnols durant la révolution autogestionnaire entre 1936 et 1939 mirent en œuvre les principes ci-dessus énoncés. Félix Carrasquer dans son livre paru en 1986 Una experiencia de escuela autogetionada réaffirme que les enfants doivent pouvoir « à aller puiser eux-mêmes aux sources »[103] afin de s’approprier le savoir par eux-mêmes, c’est-à-dire sans intermédiaire dans le cadre d’une pédagogie d’action directe seule susceptible de produire des individus critiques. Enfin, pour clore ce bref aperçu des apports des libertaires d’outre Pyrénées, citons un extrait du journal L’Espagne anti-fasciste : « Ecole unifiée ! Les internats, les maisons de correction et les casernes scolaires[104] disparaissent ; l’idée d’éducation se substitue à celle de châtiment. L’école nouvelle est l’expression d’un idéal social et d’une pédagogie détachée des traditions autoritaires. Elle fait exception à la règle, qui veut que chaque secte, chaque parti dans le cours de l’histoire n’a rien fait que modeler l’esprit de l’enfant selon ses normes et ses dogmes. De cette façon se sont formés des troupeaux sans idée propre […]. L’Ecole Nouvelle, au contraire entend que l’enfant, comme le bouton de la fleur, doit avoir en s’ouvrant sa couleur et son parfum naturels, elle repousse, et nous la repoussons avec elle, la prétention de déformer et de restreindre le monde illimité des possibilités de chaque enfant, en lui modelant le cerveau au goût de n’importe quelle tendance ou secte »[105]. Refus du modelage et du bourrage de crâne, développement libre de l’esprit critique, tel fut en tout temps et en tout lieu la préoccupation des anarchistes en matière d’éducation. C’est pourquoi, à l’école les enfants « apprendrons à chercher, examiner, peser, discuter, critiquer, n’acceptant une solution que lorsque leur raisonnement la leur indique comme la plus logique et non parce qu’on la leur aura enseigné telle »[106].

Conclusion

Toutefois les éducationnistes anarchistes ne sont pas naïfs car s’ils refusent toute forme d’éducation dogmatique et sectaire ils souhaitent que leur effort en matière d’éducation contribue à la création d’un monde nouveau. Il est donc possible d’aborder la question sociale[107] à l’école mais en veillant à ce que l’enfant se forge lui-même sa propre opinion justement grâce à son esprit critique. En ce sens Anna Mahé pense que la neutralité absolue est une erreur. Elle critique les éducateur qui dans « leur dézir d’élever les enfants sans faire pezer sur eus le poids de leurs idées. D’où il rézulte qu’on ferait l’éducation de l’enfant sans jamais éfleurer une question sociale de peur de l’influencer »[108]. Il va de soi que pour Mahé, il ne s’agit pas d’aliéner l’enfant mais de lui faire mettre en débat toute idée y compris celle de l’anarchisme afin d’opérer son libre choix. Ricardo Mella abonde aussi dans ce sens lorsqu’il distingue « expliquer » et « imposer ». Il écrit : « Expliquer des idées religieuses est très différent d’enseigner un dogme religieux : exposer des idées politiques face à l’enseignement de la démocratie, du socialisme ou de l’anarchie. Il faut tout expliquer, et non pas imposer une chose pour aussi certaine et juste qu’on le croit. C’est uniquement à ce prix que l’indépendance intellectuelle sera effective »[109]. Il ajoute : « nous […] croyons que se trouve là la vérité fondamentale de l’anarchisme, les anarchistes seront, une fois devenus des hommes, des jeunes instruits dans les vérités scientifiques. Et ils le seront par libre choix, de par leur conviction, parce qu’ils n’auront pas été modelés, en suivant la routine de tous les croyants, selon notre façon loyale de voir et de comprendre »[110]. Anarchiste peut-être le seront-ils mais par choix et après analyse du corpus et des pratiques du socialisme libertaire et non pas imitation a-critique. Ainsi, seront « développer d’une façon graduelle et harmonieuse toutes et chacunes de ses facultés. Quand il sera grand, [l’adulte] aura nos idées, si celles-ci sont les meilleures, ou bien il ira plus loin, si elles sont fausses ou mesquines »[111]. C’est donc par la critique et la culture de l’esprit critique que la pédagogie libertaire fait le pari de la réalisation de l’anarchisme.

Comme le soutient Francesco Codello[112], seule la pédagogie critique s’inscrit dans la possibilité d’Etre, en d’autres termes de se construire en étant y compris critique du modèle éducatif critique. C’est l’essence même de la pédagogie proposée par les anarchistes : autoriser, favoriser une éventuelle critique de la critique, en d’autres termes adopter une posture méta-critique. Les autres processus éducatifs proposent ou plutôt imposent un modèle, celui du devoir-Etre qui correspond à ce que la société attend de l’enfant en devenir, un Homme nouveau, un individu économicus voire demain un individu trans-humain. Pédagogie libertaire critique dont certains acteurs reprennent – afin de démontrer la pérennité d’une visée émancipatrice en éducation – les propos de Henrich Pestalozzi favorisant par l’éducation, de permettre à chacun de faire « œuvre de lui-même ».

Afin d’ouvrir des perspectives sur une problématique générale de l’absolue nécessité d’une pédagogique critique et émancipatrice, citons pour terminer deux extraits tirés de la littérature contemporaine. Le premier issu d’un texte intitulé Du pain et du vin de Ignazio Silone : « dans toute dictature […], écrit-il, un seul homme, aussi humble soit-il, qui continue à penser avec sa tête, met en danger l’ordre public […]. Il suffit qu’un petit homme, un seul petit homme, dise NON pour que cet ordre de granit soit mis en péril »[113]. Le second du roman Le cas Malaussène où l’auteur Daniel Pennac s’exprime au travers de l’un de ses personnages victime du mensonge délibéré de son entourage. Comme, on aurait pu le trouver sous la plume d’Henri Roorda : Pennac écrit « la connerie lénifiante des dits mensonges t’a proprement décervelé » et Pennac d’ajouter : « éviscéré de tout esprit critique, tu es ! Une tête sans tripes »[114].

Et enfin, pour en revenir au courant libertaire, l’esprit critique et la pédagogie qui y prépare sont toujours d’actualité et relèvent d’un principe absolu. L’exigence d’une éducation critique apparaît dans le roman social de l’écrivain libertaire catalan Lluis Llach, Les yeux fardés. Lorsque qu’il dépeint le fonctionnement d’une école probablement inspirée par le pédagogue Francisco Ferrer dans le quartier portuaire et ouvrier de la Barceloneta de la capitale catalane au tout début des années 1920. L’école de la mer donne sur la plage et s’y pratique une pédagogie active où la mer est souvent un prétexte et une source d’apprentissage. L’un des personnages a pour père un docker anarchiste qui fit tout pour que son fils puisse être reçu dans cet établissement. Son père en effet pensait avec de nombreux anarchistes de cette époque et encore aujourd’hui que la culture critique permettait de « découvrir qu’il existait une autre façon de devenir un homme, une personne, un individu »[115]. La devise de l’école de la mer était « Apprendre à Penser, à Ressentir, à Aimer »[116]. En d’autres termes à devenir un être humain critique. En effet l’équipe pédagogique et l’école avaient pour ambition affichée de donner aux enfants « tous les outils pour que nous puissions découvrir par nous même une autre façon de devenir un individu[117].

Réaffirmation partagée et permanence encore de la nécessité d’une pédagogie critique, d’une formation à l’esprit critique toujours dans Le Monde libertaire en 2017 sous la plume d’Isabelle Aubel qui fut longtemps institutrices spécialisée et militante de la CNT. Elle réaffirmait : « dans une société anarchiste, l’éducation a pour objectif l’émancipation de l’individu : éduquer les enfants pour les amener à penser le monde, à agir sur leur environnement, en faire des adultes actifs et critiques. Mais l’autonomie, l’esprit critique, la capacité à agir, tout cela s’apprend. Un enfant n’a pas de manière « naturelle » ces qualités. L’école a donc pour mission d’élaborer des dispositifs favorisant la capacité à penser de l’enfant »[118]. Dans ce même numéro dont le dossier est consacré au Vivre en Anarchie Jean-Pierre Tertrais[119] dans son article sur l’écologie politique libertaire évoque très rapidement la question de l’éducation. Il écrit qu’une éducation antiautoritaire doit favoriser le travail théorique et manuel, former à « l’observation et au sens critique » ce qui constitue un des but de l’éducation intégrale. On le voit au travers d’un numéro récent d’un même journal une préoccupation constante et contemporaine demeure chez les libertaires quant à favoriser l’esprit critique par l’éducation et dans l’éducation. Préoccupation qui unit les anarchistes d’hier, d’aujourd’hui et probablement de demain. Unité des libertaires qui considèrent que l’éducation est un des invariants de leur système de valeurs où se conjuguent respect de ces dernières et respect des apprenants, jeunes ou adultes. Ainsi dépassant sa seule dimension critique, il est possible d’affirmer que pour les anarchistes il s’agit bien d’une éducation et d’une pédagogie éthiques[120].


Hugues Lenoir


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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 02 Sep 2018, 18:12

Suite
Bibliographie indicative

Brémand N., 1992, Cempuis, une expérience d’éducation libertaire à l’époque de Jules Ferry, Paris, éd. du Monde libertaire.

Baillargeon Normand, 2005, Education et Liberté, Tome 1, 1793-1918, Montréal, Lux éditeur.

Chambat G., 2014, L’école des barricades, Paris, Libertalia.

Collectif, 1995, Bonaventure, une école libertaire, Paris/Bruxelles, éd. du Monde libertaire et éd. Alternative libertaire.

Codello F., 2005, La buona educazione. Esperienze libertarie e teorie anarchiche in Europa da Godwin a Neill, Milano, Franco Angeli.

Faure S, 1992, Écrits pédagogiques, Paris, éd. du Monde libertaire.

Ferrer i Guardia F., 2009, L’École moderne, Bruxelles, BXL laïque.

Fonvieille R., 1996, De l’écolier écœuré à l’enseignant novateur, Vauchrétien, Yvan Davy Éditeur.

Jomini-Mazoni R., 1999, Ecoles anarchistes au Brésil (1889-1920), Lyon, éd. ACL.

Le Gal J., 2007, Le maître qui apprenait aux enfants à grandir, un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion, Toulouse, Éditions libertaires et Éditions ICEM pédagogie Freinet.

Lenoir H., 2009, Éduquer pour émanciper, Paris, éd. CNT-RP.

Lenoir H., 2009, Henri Roorda ou le Zèbre pédagogue, Paris, éd. du Monde libertaire.

Lenoir H., 2010 Éducation, autogestion, éthique, Saint-Georges-d’Oléron, éd. libertaires.

Lenoir H., 2011, Précis d’éducation libertaire, suivi de Victor Considérant, un utopiste et un éducationniste bien oublié, Paris, éd. du Monde libertaire.

Lenoir H., 2014, Madeleine Vernet, Paris, éd. du Monde libertaire.

Lenoir H., 2015, Les anarchistes individualistes et l’éducation (1900-1914), Suivi de Gambart P., La vision stirnérienne de l’éducation ou le faux principe de l’éducation, Lyon, éd. ACL.

Lenoir H., 2015, Pérégrinations pédagogiques suivi de Domela Nieuwenhuis L’Education libertaire, Paris, éd. du Monde libertaire.

Lenoir H., 2017, James Guillaume, Pionnier d’une pédagogie émancipatrice in La Commune et l’éducation libertaire, Paris, éd. du Monde libertaire.

Le Porho G., 2016, Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice, l’investissement pédagogique de la Fédération unitaire de l’enseignement, 1922-1935, Paris, éd. Noir et Rouge.

Lewin R., 1989, Sébastien Faure et «la Ruche», Cahiers de l’Institut d’histoire des pédagogies libertaires, Vauchrétien, Ivan Davy Éditeur.

Schmid J.-R., 1936, Le Maître-camarade et la Pédagogie libertaire, Neuchâtel, éd. Delachaux et Niestlé.

Wagnon S., 2013, Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage, Lyon, éd. ACL.


[1] Guilloux L., 1934, Angélina, Paris, Grasset (réédition 1991), p.135.
[2] Chambat G., 2016, L’école des Réacs-publicains, Paris, Ed. Libertalia, p. 22.
[3] Winoch Michel, 2001, Les voix de la liberté, Paris, seuil, p. 302.
[4] Fonvielle R., 1997, la violence à l’école in Cette éducation toujours nouvelle, Lycée autogéré de Paris.
[5] Laval C., Vergne F. et alii, 2011, La nouvelle école capitaliste, Paris, Ed. La Découverte, p.7.
[6] Ibid., p. 8, guillemets dans le texte.
[7] Ibid., p. 97.
[8] Qu’il s’agisse des individualiste, des anarchistes-communistes ou des anarcho-syndicalistes.
[9] Rancière J., 2014, Le Maître ignorant, Paris, édition Fayard.
[10] Alberola O., Les anarchismes à contretemps…, Le Monde libertaire, n° 1789, juin-juillet 2017.
[11] Pestana Numez A. organisation et stratégie, in Le syndicat, organisation, pratiques et buts, 2017, Paris, Bibliothèque syndicale.
[12] Kant cité par Jappe A., 2017, La société anthropophage, Paris, La Découverte, p. 48.
[13] Godwin W., Recherche sur la justice politique et son influence sur la vertu et le bonheur de tous, cité in Raynaud, J.-M. (1987), T’are ta gueule à la révo ! Dires et agirs d’éducations libertaires, Paris, Les Editions du Monde libertaire, p. 191.
[14] Tristan F., 1973, Le Tour de France, journal inédit 1843-1844, Paris, La tâte de feuille, p. 76.
[15] Lefrançais G., Souvenirs d’un révolutionnaire, Société encyclopédique française et Éditions de la Tête de feuilles, Paris, 1972, en annexe Programme d’enseignement, p.485.
[16] Ibid., p. 479.
[17] Ibid., p. 473.
[18] Proudhon P.-J., Correspondance, t. 4, A. Lacroix et Cie éditeurs, Paris, 1875, Lettre à Charles Edmond,
p. 196.
[19] Dommanget M., Les grands socialistes et l’éducation, Paris, A. Colin, 1973, p. 254.
[20] Proudhon P.-J., De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, Les Editions du Monde libertaire, 1977, t. 2, p. 335.
[21] Dommanget, op. cit., p. 252, ici Maurice Dommanget cite Proudhon.
[22] Proudhon P.-J., De la capacité politique des classes ouvrières, op. cit., t. 2, p. 337.
[23] Stirner M., 1974, De l’Education, Paris, éd. Spartacus, p. 40.
[24] Baillargeon N., 2005, Education et Liberté, Tome 1, 1793-1918, Lux éditeur, Montréal, p. 95. A propos de Stirner.
[25] Stirner, op. cit., p. 41.
[26] Thoreau H. D., 2002, La désobéissance civile, Paris, Editions Mille et une nuits, p. 14.
[27] Maitron J., 1975, Le mouvement anarchiste en France, tomes 1 et 2, Paris, Ed. Maspero, t. 1, p. 349.
[28] Se reporter aux travaux de Patrick Dubois.
[29] Mole F., 2010, L’école laïque pour une République sociale, controverses pédagogiques et politiques
(1900-1914), Rennes, PUR-INRP, p. 100.
[30] Ibid., p. 332.
[31] Ibid., p. 197.
[32] Ibid., p. 213.
[33] Ibid., p. 197.
[34] Ibid., p. 103. Ce qui renvoie à une vraie réflexion sur la formation dispensée aujourd’hui dans les ESPE.
[35] Ibid., p. 131. En Italiques dans le texte.
[36] En Italiques dans le texte. Question toujours d’actualité.
[37] Chabrun C., Chambat G., Dugrand C., Norrito N., Bartkowiak B., 2016, Célestin Freinet, le maître insurgé, articles et éditoriaux 1920-1939, Paris, Ed. Libertalia, p. 38.
[38] Ibid., p. 40. Notons que l’arrêté de février 1923 simplifie les programmes initiés en 1882 (baisse du volume horaire). […] La priorité est donnée au jugement et à la réflexion. Autrement dit, chaque exercice doit être organisé pour faire réfléchir l’élève, arrêté dont se félicita Freinet (note de bas de page p. 50).
[39] Ibid., 49.
[40] Ibid., p. 134. En italiques dans le texte.
[41] Ibid., p. 126.
[42] bid., p.135.
[43] Ibid., p. 181.
[44]Vasquez A, Oury F., 2000, De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Vauchrétien, Matrice/CEPI, (1971 pour la 1ère édition), p. 14.
[45] Castoriadis C., 1996, La montée de l’insignifiance, Paris, Le Seuil. pp.50-51.
[46] Ibid., p. 84-85. En italiques dans le texte.
[47] Ibid., p. 84-85.
[48] Proudhon P.-J., De la capacité politique des classes ouvrières, op. cit., t. 2, p. 335.
[49] Dolléans E., 1957, Histoire du mouvement ouvrier, Paris, A. Colin, t.1, p. 282.
[50] Ibid., t. 1, p. 307.
[51] Pelloutier F., mai 1898, L’ouvrier des deux mondes, n° 15.
[52] Catéchiste blanquiste : ajouté par moi.
[53] Thierry A., 1964 (?), Réflexions sur l’éducation, suivies des Nouvelles de Vosves, Paris, Librairie du Travail, réédition, 1913, Blainville sur mer, L’amitié par le livre. p. 34.
[54] Ibid., p. 36.
[55] Thierry A., Réflexions sur l’éducation, op. cit., p.33.
[56] Ibid., pp. 33-34.
[57] Martinet M., préface aux Réflexions sur l’éducation, op. cit., p.14.
[58] Le Porho G., 2016, Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice, l’investissement pédagogique de la Fédération unitaire de l’enseignement, 1922-1935, Paris Ed. Noir et Rouge, p. 73.
[59] Ibid., p. 163.
[60] Ibid., p. 201.
[61] Monatte P., 1976, La Lutte syndicale, Maspero, Paris, p. 141.
[62] Bakounine, L’Instruction intégrale in Baillargeon Normand, 2005, Education et Liberté, Tome 1, 1793-1918, Montréal, Lux éditeur, p. 180.
[63] Guillaume J., 1979, Idées sur l’organisation sociale, Edition du groupe Fresnes-Antony, Fédération anarchiste, Volonté anarchiste, n°8, p. 33.
[64] Idées sur l’organisation sociale, op. cit., p. 29.
[65] Idées sur l’organisation sociale, op. cit., p. 29.
[66] Reclus E. L’anarchie et l’Eglise, in Hénocque, 2002, Elisée Reclus, St-Georges-d’Oléron, Editions libertaires/Editions Alternative libertaire, p. 41.
[67] Pour ces trois citations sur la pédagogie du doute, L’éducation libertaire : conférence, Paris, Les Temps nouveaux, 1900, p.12. Texte intégral in Lenoir H., 2015, Pérégrinations pédagogiques, Paris, Les Editions du Monde libertaire.
[68] Op. cit. in L’éducation libertaire : conférence, Paris, Les Temps nouveaux, 1900.p.11.
[69] Ibid., p. 20.
[70] Mahé A., L’Hérédité et l’éducation, l’anarchie, n°104, 4 avril 1907. Toutes les citations de l’anarchie sont tirées de Lenoir H., 2015, Les anarchistes individualistes et l’éducation (1900-1914), Lyon, Ed ACL.
[71] Mahé A., Le Monopole de l’enseignement, l’anarchie, n° 180, 17 septembre 1908.
[72] Mahé A., Le Monopole de l’enseignement, l’anarchie, n° 180, 17 septembre 1908.
[73] Mahé A., L’Hygiène du cerveau, l’anarchie, n°2, 20 avril 1905.
[74] Mahé A., Le rôle de l’éducateur, l’anarchie, n°58, 17 mai 1906
[75] Lamotte E, L’Education de l’enfance, l’anarchie n° 325, 29 juin 1911.
[76]Souligné par moi
[77] Lamotte E, L’Education de l’enfance, l’anarchie n° 325, 29 juin 1911.
[78] Imbard M., Pour acquérir des connaissances, l’anarchie, n° 211, 22 avril 1909. En italique dans le texte.
[79] Roorda H. 1970, Œuvres complètes, t. 2, Lausanne, Editions L’âge d’homme. « Avant la grande réforme de l’an 2000 », p. 163.
[80] Roorda H., 1918, Le pédagogue n’aime pas les enfants, Lausanne-Paris, Librairie Payot, p. 50
[81] Ibid., p. 122.
[82] Ibid.,,p. 114.
[83] Ibid., p. 119.
[84] Par exemple en Allemagne : Schmid J.-R., 1936, Le Maître-camarade et la Pédagogie libertaire, Neuchâtel,

Ed.Delachaux et Niestlé.
[85] Au Brésil par exemple, voir : Jomini-Mazoni R., 1999, Ecoles anarchistes au Brésil (1889-1920), Lyon, éd. ACL.
[86] Repris par moi in 2011, Précis d’éducation libertaire, suivi de Victor Considérant, un utopiste et un éducationniste bien oublié, Paris, Éditions du Monde libertaire, p. 39.
[87] Delaunay E., article Education de l’Encyclopédie anarchiste, sans date, éd de la Librairie internationale, Paris. Aujourd’hui disponible sur internet.
[88] Faure S, 1992, Écrits pédagogiques, Paris, éditions du Monde libertaire.
[89] Ibid., p. 150.
[90] Vernet M., 1918, L’École laïque menacée, Epône, Edition de l’Avenir social p. 16.
[91] Bulletin trimestriel [de L’Avenir social] n° 2, février 1921, p. 2.
[92]Vernet M., L’Avenir social : cinq années d’expérience éducative, 1906-1911, Epône, Edition de l’Avenir social, p. 41.
[93] Collectif, 1999, La farine et le son, bilan d’une république éducative libertaire, Bonaventure, Paris/Bruxelles, éd. du Monde libertaire et éd. Alternative libertaire, p. 9.
[94] Ibid., p. 10.
[95] Francisco Ferrer i Guardia, 2009, L’École moderne, BXL laïque, Bruxelles, pp. 50-51. Entre crochets, ajouté par moi.
[96] Ibid., p. 87.
[97] Ibid., p. 56 et p. 24.
[98] Marcos V., Rieu A., Marcos J., 2009, Francisco Ferrer y Guardia, Toulouse, Le Coquelicot p. 54
[99] Mella R., Accion libertaria, n°5, 16 décembre 1910.
Mella R., Le verbiage dans l’éducation, L’anarchie, n° 391, 10 octobre 1912.
[101] Ricardo Mella cité par Franck Mintz, Neutralité pédagogique, Ricardo Mella contre Francisco Ferrer Guardia in http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article1356
[102] Ibid.
[103] Carrasquer F., 2003, Les collectivités d’Aragon, Espagne 36-39, Paris, Editions CNT-RP. p. 97, traduction de Una experiencia de escuela autogetionada.
[104] Image que Fernand Oury et Jacques Pain reprendront à leur compte dans les années 1970 en France lorsqu’ils publieront Chronique de l’école caserne, Paris, Maspéro, 1972.
[105] L’Espagne anti-fasciste, 26 août 1936 in Dupont C., 2002,, Ils ont osé ! Espagne 1936-1939, Paris, Editions du Monde libertaire, pp. 272-273.
[106] Grave J. : Enseignement bourgeois et enseignement libertaire, Paris, Les Temps nouveaux, p.16, cité par Wagnon S., 2013, Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage, éditions ACL, Lyon, p. 46.
[107] Comme Albert Thierry le proposait aussi voir supra.
[108] Mahé A., L’Hérédité et l’éducation, l’anarchie, n° 106, 18 avril 1907.
[109] Ricardo Mella cité par Franck Mintz, op.cit.
[110] Ibid.
[111] Dupont C. op. cit., p. 273.
[112] Codello F., 2005, La buona educazione. Esperienze libertarie e teorie anarchiche in Europa da Godwin a Neill, Milano, Franco Angeli.
[113] Cité par Barrows S, Les murs qui parlent : le graffiti politique en 1877, Le Mouvement social, n°256, juillet-septembre 2017, pp. 63-64, en majuscules dans le texte.
[114] Pennac D., 2017, Le cas Malaussène, Paris, Gallimard, p. 102.
[115] Llach L., 2016, Les yeux fardés, Arles, Actes Sud, p. 44.
[116] Ibid., p. 48. Majuscules dans le texte.
[117] Ibid., p. 51.
[118] Aubel I, L’éducation dans une société anarchiste, Le Monde libertaire, n° 1789, juin-juillet 2017.
[119] Tertrais J.-P., L’écologie politique libertaire : mythe ou réalité, Le Monde libertaire, op. cit.
[120] Et non d’une éducation à l’éthique, fut-elle anarchiste, qui serait en contradiction avec la portée critique de l’éducation libertaire.


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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 04 Sep 2018, 07:32

L’éducation libertaire en question. Radio libertaire

L’éducation libertaire en question, avec Hugues Lenoir, L’ Education libertaire et la Commune de Paris , Jean-Charles Buttier, l’école révolutionnaire au moment de la mise en place de l’école de la Troisième République (Buisson/Guillaume), Greg Chambat, Les réacs-publicains en France et l’école, Francesco Codello, Les alternatives pédagogiques en Italie.

Emission à écouter : http://www.hugueslenoir.fr/uploads/Radi ... et2017.mp3

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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 06 Sep 2018, 18:38

Ferrer et Les Aventures de Nono

Si Célestin Freinet s’opposait aux livres scolaires préférant les activités directes sans intermédiaires, Francisco Ferrer le grand pédagogue anarchiste catalan, fusillé en 1909, considérait quant à lui le livre comme un outil indispensable pour l’accès à la culture et à l’émancipation. C’est tout l’origine des Aventures de Nono qu’il commanda au propagandiste libertaire Jean Grave comme il le fit pour d’autres ouvrages à Elisée Reclus. Non pas que Ferrer voulait par le truchement du livre faire des enfants, des anarchistes. Tout au contraire il souhaitait par le livre et la lecture développer l’esprit critique et la liberté de choix de l’enfant. C’est pourquoi face aux livres classiques et visant à la conformité et à la soumission il lança le projet d’une bibliothèque alternative.

Ecrites en 1901 Les Aventures de Nono, ce « prototype du roman libertaire pour la jeunesse » se refuse, comme le souligne Sylvain Wagon dans sa préface, à l’infantilisation de la jeunesse, à toute forme de dogmatisme, à « tous les prêts-à-penser et [à] la moralisation bien pensante ». Le voyage de Nono se déroule dans deux lieux, l’un libertaire dans son mode d’organisation, le pays d’Autonomie ; l’autre dans une société du pouvoir et de la soumission à l’argent nommé l’Argyocratie. C’est par expérience et comparaison que Nono pourra se faire une idée de la société à construire ou éventuellement à accepter avec ses inégalités. Le principe à Autonomie est celui de toute éducation libertaire : être d’abord soi-même et se construire comme futur adulte dans et par la liberté. Il y règne un climat propice à la solidarité. En bref tout le contraire d’Argyocratie où la misère est le lot de la grande majorité d’une population exploitée où certains « jouissent de tous les plaisirs » quand ceux qui travaillent ne jouissent d’aucun (p. 105).

A Autonomie, la prise au tas kropotkinienne est par contre la règle, ainsi les fruits appartiennent à tous et où tous peuvent prendre « autant qu’il voulait de la récolte » (p. 122). Vision un peu réductrice du monde devant conduire l’enfant à comprendre les mécanismes des sociétés réelles présentes et à venir.

En matière d’éducation, les principes de la pédagogie libertaire sont à l’œuvre à Autonomie. D’abord celui de la mixité ou de la co-éducation qui dans les années 1900 déclenchait la haine des aristocrates et des cléricaux contre Ferrer et Robin.

La liberté pour apprendre est la règle, « nous n’avons pas de maître, dit fièrement Nono. Ce sont des amis ! Ils travaillent avec nous, jouent avec nous, nous enseignent ce qu’ils savent, mais ne nous forcent jamais à faire ce que nous ne savons pas ou ne voulons pas faire » ( p. 90). Ainsi Nono échappera à « un tas de choses fausses [… et n’aura pas] à se décrasser le cerveau des niaiseries qu’on [lui] aura enseignées » (p. 96). Aventures dans deux mondes, mais il ne s’agit que d’un rêve de Nono que Jean grave en anarchiste et en rationaliste conséquent clos afin de protéger ses jeunes lecteurs de toute métaphysique par cette phrase : « Il n’y a pas de fée, il n’arrive jamais aucun événement sans que l’on puisse en expliquer les causes par des raisons naturelles » même si dans les récits merveilleux « on cache souvent une vérité […], une leçon » (pp. 199-200).

Ce roman, un peu naïf, a bien sûr vieilli mais il appartient sans aucun doute au patrimoine culturel libertaire au même titre que le temps d’Anarchie de Paul Signac, la chanson de Léo Ferré l’Âge d’or ou encore l’uchronique roman de Pouget et Pataud Comment nous ferons la Révolution. Je ne sais ce qu’en diront les jeunes lecteurs d’aujourd’hui mais il est sûr que l’intention de l’auteur et de Ferrer de construire une contre culture scolaire est toujours d’actualité face aux réac-publicains et aux balivernes répandues autour du « roman français » et des multiples hagiographies des traîneurs de sabres et des coureurs de maroquins.
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 07 Sep 2018, 00:41

Ni notes, ni profs : Une journée dans la dernière école anarchiste d’Espagne

Au sud-ouest de l’Espagne, la ville de Mérida accueille ce qui est probablement la dernière école anarchiste du pays. Alors qu’en France, le système traditionnel est remis en question, Paideia expérimente depuis quatre générations une forme inédite d’éducation.

Assembleaaaa… ! », hurle un petit garçon aux deux grains de beauté incroyablement symétriques sous le nez. Dani fait des bons à cloche-pied dans les couloirs du rez-de-chaussée. Dans cette école autogérée, l’assemblée permet de décider, débattre ou régler les conflits. Ce matin, enfants et adultes se réunissent à l’occasion de la grande assemblée trimestrielle. « Marina, tu viens ? », lance Dani à la petite métisse qui fouille dans son sac à dos. « J’arrive, je cherche ma feuille d’engagement… »

À Paideia, les notes n’existent pas. Leur motivation, les jeunes l’inscrivent noir sur blanc sur une « feuille d’engagement ». À la fin du trimestre, ils s’autoévaluent collectivement. Les seules personnes devant lesquelles ils sont responsables ce sont eux-mêmes ou le collectif, comme ils appellent souvent l’école. Dani me tend la sienne, datée de septembre dernier. « Je dois améliorer l’écriture et la philosophie. Je m’engage à assister à tous les ateliers du trimestre prochain et à faire quinze cahiers d’exercices sur mes heures de “travail individuel”. »

... https://8e-etage.fr/2017/01/23/ni-notes ... -despagne/
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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 13 Sep 2018, 21:59

Ni Dieu ni maître d’école : Belém do Pará et l’école rationaliste

Ni Dieu ni maître d’école : Belém do Pará et l’école rationaliste

Nous y voilà. Le mouvement initié par Francisco Ferrer, et que sa mort injuste va renforcer, donne lieu à diverses créations d’écoles dans le monde.

L’Amazonie est à cette époque en plein boom économique. Ses capitales Belém et Manaus sont en pleine expansion grâce à l’exploitation de la sève de l’hévéa qui donne le caoutchouc et tous ses dérivés. Mais comment et grâce à qui a pu être lancée cette aventure d’éducation libertaire sur des terres où les anarchistes originaires d’Europe venaient semer les graines de la révolte, de la lutte des classes pour repousser l’exploitation sauvage des commerçants de latex  ?

En 1917, le Brésil connaît une grève générale sans précédent et sa capitale économique São Paulo et le port de Santos, point d’embarquement des marchandises envoyées dans les pays du Nord ainsi que port d’arrivée des nombreux migrants européens en quête de chances d’en finir avec la faim et les privations en tous genres, sont paralysés pendant des semaines. Parmi ces migrants qui remplissent les ponts et les cales des navires arrive un grand nombre de militants anarchistes. Ferrer est mort depuis huit ans et l’Europe agonise sous les bombes que ses dirigeants irresponsables font pleuvoir sur le prolétariat engagé sous les drapeaux des patries dévorant leurs enfants… À l’Est retenti la nouvelle d’une révolution de conseils d’usines et de soldats, mais ici c’est bel et bien la grève générale qui est l’instrument de défi aux dominants. Dans ce contexte, on comprend pourquoi, dès le milieu de la décennie qui suit, un camp de concentration de prisonniers politiques anarchistes sera créé par le président Artur Bernardes près de la frontière guyanaise : Cleverlândia.

En attendant, à Belém, deux ans après cette grève et cinq ans avant l’ouverture de ce camp, les anarchistes du nord du Brésil montrent que leur œuvre a un but créateur fort, celui d’émanciper les classes laborieuses par l’éducation, en suivant les principes du pionnier catalan.

Comme nous l’avions anticipé lors de nos rendez-vous précédents, il y a bel et bien eu une école Francisco Ferrer à Belém. Elle fut ouverte au cours de la deuxième moitié du mois d’octobre 1919, soit dix ans après la mort de son inspirateur et fut le fruit de la lutte des militants syndicaux anarchistes de l’époque. Elle reçut le soutien de certaines personnalités des Lettres amazoniennes de l’époque, tel que le poète Bruno de Menezes. Son lieu de fondation répondait aux besoins des classes populaires de la capitale du Pará et elle se trouvait dans l’un des barrios les plus prolétaires de la ville, le Jurunas, qui aujourd’hui encore accueille les migrants intérieurs d’un exode rural qui n’en finit pas de dépeupler les campagnes et la forêt, aux mains des fazendeiros, ces grands propriétaires de terres incultes interdites de fait aux familles de travailleurs ruraux. Située au bord du fleuve Guajará, c’est donc à des populations très précaires et fragiles, à la culture populaire en revanche très forte, empreinte de tous les mythes d’origine tupi, les peuples autochtones de la région, que se dédiait cette école où la mixité n’était pas qu’entre garçons et filles, mais aussi entre urbains et ruraux, familles de la forêt, du fleuve ou de la métropole.

Ici l’éducation libertaire se trouvait de fait en prise avec la diversité originale d’une région de contrastes forts. Les syndicats de chauffeurs (les voituriers des familles aisées du centre-ville), de cordonniers ou autres venaient appuyer l’apprentissage émancipateur de populations nouvellement arrivées dans le chaos de la jungle urbaine.

Un autre monde, en somme.

Accattone


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Re: L'éducation libertaire

Messagede bipbip » 02 Jan 2019, 21:19

La figure de James Guillaume et la question de l’émancipation par les savoirs

Le 22 mars 2017, à l’occasion du Printemps du Maitron organisé à la Sorbonne en l’honneur du fameux "Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français", j’ai eu l’occasion d’évoquer la figure de James Guillaume. Les enregistrements des interventions sont tous disponibles en ligne, mais la transcription reproduite ci-dessous fournit les références des citations.

Le 22 mars 2017, à l’occasion du Printemps du Maitron organisé à la Sorbonne en l’honneur du fameux Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, le Maitron, j’ai eu l’occasion d’évoquer la figure de James Guillaume. Les enregistrements des interventions sont tous disponibles en ligne, mais la transcription reproduite ci-dessous fournit les références des citations.

Je remercie infiniment les organisateurs de ce printemps du Maitron qui m’ont fait l’honneur de m’inviter à parler de James Guillaume et d’émancipation par les savoirs. Si je suis le seul parmi les intervenants de cet après-midi à être affublé d’une indication de nationalité, c’est peut-être aussi parce que je vais évoquer la figure d’un compatriote qui traversait les frontières. Mais si je me réjouis particulièrement de pouvoir vous en parler aujourd’hui, c’est notamment parce qu’il incarne cette idée que l’émancipation sociale se prépare par les savoirs et leur transmission, sans qu’il s’agisse pour autant de n’importe quels savoirs, mais bien de savoirs considérés comme émancipateurs.

... https://blogs.mediapart.fr/heimbergch/b ... es-savoirs
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Re: L'éducation libertaire

Messagede Lila » 03 Sep 2019, 00:13

Repenser une critique radicale de l’école capitaliste

ARTICLE EXTRAIT de LA MOUETTE ENRAGÉE - août 2019.

« Allons-nous abandonner la critique de l’école aux seuls courants réactionnaires ? Qui aujourd’hui porte encore une charge radicale contre l’école, contre l’école capitaliste ? Bien peu monde en réalité puisque l’essentiel de l’effort fourni, tant dans les milieux enseignants que militants, porte dorénavant sur la défense a-critique des « services publics », doublée la plupart du temps d’un corporatisme rance. Le recul se mesure par ailleurs à l’engouement renouvelé de ces mêmes milieux pour la « recherche pédagogique ». Vieille limite technicienne vidée de tout contenu politique et aujourd’hui aveu de repli afin de mieux endurer l’insupportable au quotidien ; à fortiori dans une époque où l’absence d’un projet collectif capable de renverser l’ordre social sur lequel repose cette institution fait cruellement défaut.

Le plus souvent, l’école est naturalisée, acceptée comme le lieu privilégié de la transmission des connaissances et plus rarement comprise comme une production sociale historique. Raison pour laquelle on parle toujours de « l’école », comme si cela allait de soi. Pourtant, aucun système politique quelqu’il soit n’a jamais généré de système scolaire qui aille à l’encontre de ses intérêts propres. L’école qui léviterait, comme détachée des intérêts particuliers, cette école n’existe nulle part et n’a jamais existé. Même en se convaincant comme le font certains qu’elle ne serait pas une entreprise, ce qui est vrai, ou que l’éducation ne serait pas une marchandise, la réalité est toute différente.

La fonction de l’école

Ce sont les rapports de production qui déterminent le rôle et le fonctionnement de l’école. L’école assume la fonction de reproduire le rapport entre les classes sociales et de transmettre l’idéologie de la classe dominante. Tout le discours sur les inégalités scolaires ne vise qu’à masquer cette fonction de reproduction du rapport de classe. La polarisation entre les filières d’excellence d’un côté et de l’autre les branches d’exécution n’est au final que la traduction de la division en classes de la société. Le fait que le patronat laisse en grande partie financer les coûts de la formation par les contributions générales entretient l’illusion d’une école au service de tous dans laquelle les savoirs et la culture seraient recherchés pour eux mêmes. Ce serait oublier bien vite que c’est par l’intermédiaire d’organismes nationaux et de plus en plus transnationaux que le capital marque aujourd’hui de son sceau le système scolaire. Il n’est qu’a s’instruire des listes de recommandations de l’OCDE, des enquêtes internationales à la PISA et autres outils de management plus ou moins à distance.

L ’école à l’heure du capitalisme néolibéral

D’une réforme à l’autre, l’organigramme se redéploie mais la permanence de la fonction subsiste ; elle se voit remodelée par la nouvelle rationalité capitaliste. L’école adopte dorénavant les formes d’organisation de la période néolibérale : culture du résultat, programmes soumis à la logique des compétences, nouveau management des services public, etc… Bref, comme on le déplore souvent dans la gauche syndicale : « On aligne l’école sur le monde de l’entreprise ! », comme si cela semblait être une nouveauté, comme si l’école n’avait jamais travaillé à autre chose qu’à cela …

Bien sûr, personne ne niera l’allongement de la durée de la scolarité même pour la catégorie ouvrière. Comme « le niveau » qui, dit-on, s’élèverait ou s’effondrerait selon les commentateurs, la massification ne peut s’entendre qu’en rapport avec l’exigence de mettre en adéquation la formation des différents secteurs de la main d’oeuvre avec l’appareil de production. Dans une période où la limite entre chômage et travail tend à devenir de plus en plus incertaine, cet allongement de la scolarité permet aussi de retarder l’entrée sur un marché du travail aléatoire et d’en masquer la réalité.

Les enseignants et le service public

La défense du service public représente désormais l’alpha et l’omega de la mobilisation enseignante. De par son antériorité, l’école publique occupe une place particulière au sein de cet ensemble bien qu’elle s’inscrive dans un compromis identique à celui que nous décrirons plus loin. Penchons-nous un instant sur ce que sont les services publics. Ensemble, ils constituent les différentes pièces de l’appareil d’Etat et furent dès 1945 les piliers de la réorganisation de la production capitaliste en France. Résultats d’un compromis passé entre les organisations ouvrières et la bourgeoisie sous la pression politique et les luttes sociales, il faut tout de même reconnaître que les travailleurs n’ont jamais eu aucun pouvoir, ni de contrôle sur l’organisation, le fonctionnement et la finalité de ces fameux services publics. Lorsque le secteur de l’énergie était encore sous le contrôle entier de l’Etat, qui eut un jour son mot à dire sur le choix fait du nucléaire, par exemple ? L’Education Nationale n’a toujours été qu’une chaîne de commandement verticale, strictement hiérarchisée et jamais ouvertement remise en question par ses fonctionnaires. Là comme ailleurs, ce fut le prix à payer en contre partie d’un peu de sécurité …

Mais désormais en position de force, la bourgeoisie entend reprendre la main sur des secteurs qu’elle estime lui être bien trop couteux pour un rendement et une efficacité quelle juge insuffisants. La classe ouvrière déchue voit désormais les services de l’Etat se retourner contre elle, et les cadres de la fonction publique, isolés, sans alliance potentielle s’accrochent à des prérogatives dont ils sont bien seuls à se convaincre qu’ils seraient un bien commun. La dernière grande grève des cheminots, restée largement isolée, fut éloquente à cet égard.

Cette défense totalement a-critique des service publics s’apparente aujourd’hui à un combat d’arrière garde. En interne, le peu d’intérêt que suscitent auprès des titulaires le sort réservé aux précaires, l’absence de solidarité active lorsque ceux-ci parviennent parfois à entrer en lutte, tout cela montre l’incapacité des fonctionnaires à faire un pas de côté. Cela signe leur impuissance à dépasser les fables que se raconte l’école sur elle-même, l’incapacité à admettre le secteur de l’enseignement comme compris dans une totalité, la totalité capitaliste.

Evolution du recrutement et raidissement idéologique

Dans leur grande majorité, les enseignants appartiennent à la petite bourgeoisie fonctionnarisée. Pour combien de temps encore, là est une autre question qui en appellera d’autres.

Les instituteurs et les institutrices recrutés à la fin des années 60 provenaient pour près de 45 % d’entre eux du milieu ouvrier-employé et de la paysannerie. Ceux issus des familles de cadres supérieurs et moyens comptaient pour un peu moins de 25 %. En 2019, le phénomène s’est inversé sous la pression de la crise et afin de parer au déclassement. Si l’idéologie que véhiculent les enseignants a toujours été pétrie de méritocratie -les enseignants sont en règle général d’anciens « bons élèves » qui « aiment l’école » et se sentent redevables-, elle se double aujourd’hui d’un raidissement idéologique.

A l’heure de la massification achevée et tandis que les contradictions s’aiguisent on évoque souvent, sans la préciser, la « crise de l’école ». On observe que la distance, parfois la rupture, qui sépare le monde enseignant des familles prolétaires, celles du moins qui n’ont tiré aucun bénéfice de l’école, confinent à la haine de classe, inconsciente ou ostensiblement affichée. Le « métier impossible » compte toujours en son sein nombre d’exécutants dévoués et investis sur qui l’institution peut d’ailleurs s’appuyer afin que l’édifice ne s’ effondre pas totalement, mais le repli est incontestable.

Il se traduit entre autre par la fonte du nombre des syndiqués et par le succès relatif des listes droitières et corporatistes aux dernières élections professionnelles. Ce sont ces mêmes listes qui, par exemple, réclament avec le ministère un statut spécifique et encadré pour les directeurs d’école. La mesure ne semble même plus rencontrer d’opposition au sein des équipes enseignantes alors qu’elle avait soulevé un fort mouvement de contestation dans les années 80, porté par des coordinations de grévistes qui avaient bousculé les syndicats.

Les notions d’exploitation sont absentes de la réflexion des enseignants. N’ayant qu’un rapport abstrait et lointain au monde de la production, leur critique se fait toujours au travers des codes de la bourgeoisie et en référence au cadre scolaire. Les courants de la gauche syndicale s’en tiennent quant à eux à une terminologie vague qui réclame une « autre école » par « l’auto-gestion » et sa « démocratisation ».

L’absence de soutien massif des enseignants à l’égard des lycéens et étudiants en mouvement ces dernières années révèle qu’avec le recul de la contestation ouvrière, ce monde de l’entre-deux bascule tendanciellement du côté de la bourgeoisie. Son absence, voire son opposition au mouvement des Gilets Jaunes n’ a été qu’une illustration supplémentaire de ce phénomène. Un des animateurs de la revue Temps Critiques déclarait que le mouvement des Gilets Jaunes représente tout ce que détestent les enseignants : le désordre, le non-respect des règles, etc … Rien n’est plus vrai ! Les « Stylos-Rouges », cette tentative avortée aux exigences corporatistes a tâché de profiter de la dynamique du mouvement des Gilets Jaunes pour se faire entendre mais sans jamais s’y fondre. On ne mélange pas les torchons et les serviettes …

L’école contre le prolétariat

Après l’effondrement du bloc de l’Est et l’abandon des utopies collectives, l’école allait à son tour donner le coup de grâce à un monde ouvrier désorienté et en voie d’effacement. Dans les années 70 Baudelot et Establet affirment que l’inculcation de l’idéologie bourgeoise passe par le refoulement et l’interdiction faite au prolétariat de formuler l’idéologie dont elle a besoin (1). Dans les années 90, l’école passe à la vitesse supérieure en devenant l’un des lieux de diffusion de l’identité citoyenne en remplacement de celle de l’ouvrier et du prolétaire producteur. Dans leur enquête menée au sein de l’usine Peugeot de Sochaux, Beaud et Pialoux montrent comment les Lycées Technique travaillent à leur échelle à la désouvriérisation (2). En configurant les futurs « opérateurs » par le discours patronal et l’idéologie technicienne, ces établissements travaillent à déstabiliser idéologiquement les restes du vieux mouvement ouvrier organisé. Les fils apprendront à renier leurs pères, à les déchoir et les ringardiser ; eux et la culture qu’ils s’étaient construits. Et dans cette offensive, les enseignants ont choisi leur camp. Après avoir épousé le point de vue de la légitimité industrielle ils s’appliqueront à disqualifier auprès des élèves l’identité, la culture et surtout la résistance ouvrière.

L’allongement de la scolarité a également approfondi la distance qui sépare culturellement les générations de prolétaires entre elles. Le chômage de masse fera le reste et la nouvelle génération contribuera à liquider la culture d’opposition au travail de la précédente. Comme le remarquent encore Beaud et Pialoux, c’est à la transmission d’un héritage que s’est attaquée l’école en accentuant et en accélérant la crise d’un modèle. Cette crise, on la mesure au sein des nouvelles générations au recul de la culture « anti-école », jusqu’alors largement répandue et partagée au sein du groupe. Comme l’explique Paul Willis dans une autre enquête menée en Angleterre auprès d’enfants d’ouvriers, cette culture refusait de prendre au sérieux un univers imaginaire, illusoire, infantilisant et qui surtout n’avait rien à lui apporter (3). Mais comme le conclut Willis, si cette culture constitua une réelle remise en cause idéologique, elle ne déboucha pas nécessairement sur une action collective. La culture anti-école propre aux jeunes ouvriers en devenir avait intégré une part d’individualisme induite par les séparations qui clivaient le groupe : séparations d’ordre sexuel et ethnique essentiellement.

Les contradictions de la pédagogie

Après la sempiternelle question des moyens, qui fixe les limites traditionnelles dans lesquelles sont circonscrites les revendications enseignantes, c’est autour de la pédagogie que virevolte le discours sur l’école. Il se borne le plus souvent à une opposition aussi stérile que factice entre modernes et anciens. Ce faux débat a surtout une vertu, celle de substituer le fond au profit de la forme, d’amuser le regard en le détournant de l’essentiel. Et le débat enfle d’autant que la pédagogie se targue aujourd’hui de s’être élevée au rang d’une science. Les milieux plus critiques ne sont pas épargnés puisque la pédagogie -« émancipatrice » pour l’occasion- occupe une place de choix dans son corpus ; il n’est qu’à voir auprès des éditeurs militants le nombre d’ouvrages qui se re-publient sur la question ces derniers temps.

Sur ce terrain là, combien d’illusions ont été entretenues et le sont encore dont les premiers bénéficiaires ne furent certainement pas les enfants de prolétaires. Au début des années 70, Baudelot et Establet à propos des méthodes dites « actives » ou « non directives » soulignaient qu’elles ne proposent pas d’amener les élèves à un certain niveau de connaissances mais de les rassurer moralement par la mise en confiance et l’affection.

Cinquante ans plus tard et libérés des carcans d’un enseignement trop rigide, ce même pédagogisme mis au service d’une nouvelle organisation des procès de travail produit des élèves prétendument
« autonomes » pétris de « savoir être », prêts à « s’auto-stimuler » tout le long de leur vie et de leur carrière professionnelle. Joli retournement. A l’autre bout de la chaîne, dans les écoles élémentaires des Réseaux de l’Education Prioritaire, l’institution promeut les activités et les méthodes occupationnelles à moindre coût. Les dispositifs et projets en cascade comme la « lutte contre les écrans », la « co-parentalité » (!), etc… occupent le devant de la scène tout en stigmatisant dans une ambiance divertissante, de centre aéré, des populations reléguées. Cette culpabilisation bienveillante est d’autant plus abjecte que la reproduction du modèle familial bourgeois en milieu prolétarien est bien souvent hors de portée, à fortiori en temps de crise.

Du reste, il est piquant de noter qu’aujourd’hui comme hier, nombre de rétrogrades se fourvoient lorsqu’ils prêtent à la pédagogie vertus et défauts dont on ne saurait la tenir pour responsable. Et ce n’est pas sans raison si ce sont des praticiens « tout terrain » tels Fernand Deligny ou Makarenko qui lui portèrent parfois la critique la plus implacable : « De la science pédagogique je pensais avec colère : depuis combien de millénaires existe-t-elle ! Quels noms, quels esprits étincelants : Pestalozzi, Rousseau, Natorp, Blonski ! Que de livres, que de papiers, que de gloire ! Et cependant le vide, le néant, pas moyen de venir à bout d’une jeune gouape, ni méthode, ni instrument, ni logique, absolument rien. Une “espèce de charlatanisme” (4).

Pédagogie et mouvement ouvrier

Maintenant, au delà de l’activité commerciale que génère aujourd’hui la pédagogie, à titre d’exemple il suffit d’observer la recrudescence des établissements privés ou non se réclamant des précautions de la doctoresse Montessori (5), et sans s’étendre plus longuement sur ses prétentions scientifiques, reconnaissons qu’il lui arriva parfois d’apporter sa contribution à l’émancipation humaine en générale et à celle du prolétariat en particulier. Lorsqu’elle s’adossa au mouvement ouvrier révolutionnaire, alors, elle prit son sens. Englobée dans un processus de bouleversement social la dépassant, elle s’en nourrissait en retour. C’est là l’intérêt que l’on peut trouver aux différentes expériences que menèrent chacun à leur manière Ferrer, Makarenko, Freinet et bien d’autres…

S’il y a nécessité de repenser un projet éducatif pour le prolétariat, ce sera celui du dépassement de l’école en tant que lieu infantilisant, séparé de la production et de la société en général. Ce ne pourra être qu’un projet qui vise dans et par sa pratique à l’abolition de la séparation entre activités manuelles et intellectuelles. Mais avant cela, c’est à la refondation de notre propre camp de classe que nous devons nous atteler et sur ce terrain là, il n’y a guère de solution clé en main… »

Boulogne-sur-mer, le 19/06/2019 (*)


(1) L’école capitaliste en France. Baudelot & Establet. Ed. Maspéro. 1971.
(2) Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbelliard. S. Beaud , M. Pialoux. Ed Fayard. 2006.
(3) L’école des ouvriers. Paul Willis. Ed. Agone.
(4) Anton Makarenko : « Un art de savoir s’y prendre » : Revue Reliance (Revue des situations de handicap, de l’éducation et des sociétés)
(5) Pour la doctoresse Montessori, la science pédagogique valait bien quelques accommodements… Était-ce par cécité, par opportunisme ou par ignorance qu’elle trouva auprès de Mussolini, avant de rompre bien plus tard avec le régime, le soutien nécessaire à ses activités ?


(*) Ce texte est initialement paru dans le numéro 292 de la revue Courant Alternatif.
Pour en savoir plus sur cette revue, rendez-vous sur le site de l’OCL : http://www.oclibertaire.lautre.net


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... liste.html
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