« Les révolutionnaires n’ont pas eu d’autre choix que de s’armer »
La révolution syrienne vit peut-être ses dernières heures sur le terrain, dans la région d’Idlib, dans la Ghouta bombardée quotidiennement et à quelques autres endroits du sud du pays. Elle subit à la fois la pression meurtrière du régime et de ses alliés russes et iraniens, et la division en interne du fait de factions armées dominantes qui poursuivent leurs propres intérêts.
D’un autre côté, « les kurdes », ou plutôt le PYD (Parti Kurde Syrien affilié au PKK de Turquie) et ses alliés, après avoir tiré profit de leur position stratégique auprès de la coalition anti-État-Islamique emmenée par les États-Unis, se retrouvent soudainement isolés face à la Turquie, bien décidée à ne pas leur laisser le nord de la Syrie. Après des mois d’escarmouches et de tergiversations diplomatiques, la Turquie d’Erdogan, s’étant assurée l’inaction des Russes (et peu ou prou celle des États-Unis...), a engagé ses troupes et son aviation contre le canton kurde d’Afrîn au nord-ouest de la Syrie.
Alors que tant de « révolutionnaires » sincères de par le monde se disent prêts (ou le font déjà) à aller défendre la nouvelle « patrie de la révolution communaliste », le Rojava, contre les troupes d’Erdogan, voilà donc le boucher de Damas, fossoyeur d’une génération entière de jeunes « révolutionnaires » syriens qui se mêle de la partie.
Il y a quelques mois, nous avons croisé le chemin de L., exilée kurde originaire d’Alep. C’est dans cette ville qu’elle a passé les premières années de la révolution syrienne à lutter avec ses amis arabes et kurdes syriens pour la chute du régime de Bachar Al Assad. Bien souvent contre l’avis de sa propre famille qui considérait, comme beaucoup de kurdes syriens, qu’en fait de « révolution » il s’agissait d’une « affaire entre arabes », elle a couru toutes les manifestations d’un bout à l’autre de la ville, tentant de rallier aussi la jeunesse kurde à la cause d’un changement de régime.
Le récit de L. éclaire les événements présents d’une lumière inédite. Elle nous parle depuis une de ces zones troubles où se déterminent des engagements existentiels singuliers. Engagements qui ne peuvent jamais entièrement rentrer dans le rang des lignes de partage officielles. Lignes de partage taillées à la hache de la propagande par ce qui, sous divers masques, s’apparente presque toujours à de la contre-révolution. Il y a là peut-être plus d’enseignements à tirer pour la révolution telle qu’elle continue, que dans tous les traités de géopolitique que biberonnent les commentateurs de l’époque.
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