Jeudi 15 Janvier 2009 SUD-Rail monte en puissancePar Gaël VAILLANT leJDD.fr
Après le blocage mardi par des cheminots grévistes de la gare Saint-Lazare, qui a entraîné sa fermeture, SUD-Rail apparaît comme le mouvement à la pointe de la contestation au sein de la SNCF. que la direction s'inquiète de cette montée en puissance, Christian Mahieux, le patron du syndicat, entend faire feu de tout bois, avec, en ligne de mire, les élections professionnelles de mars.
La gare Saint-Lazare paralysée
Avec pour apothéose le blocage surprise et particulièrement "efficace" de la gare Saint-Lazare, mardi à Paris, la grève qui perturbait depuis un mois le trafic francilien s'est enfin terminée. La SNCF avait réussi à signer fin décembre un accord avec la CGT sur les conditions de travail des cheminots, dans le cadre de l'ouverture du transport de voyageurs à la concurrence. Mais si la CGT est le syndicat majoritaire des employés de la SNCF, ses responsables n'ont pas réussi à convaincre les grévistes, qui ont voté, en Assemblée générale, le prolongement du mouvement avant les vacances de Noël.
Des grévistes dont la motivation a largement été le fait des trublions de SUD-Rail. Déterminés, ces derniers ont réussi à relancer la grève mardi, après l'agression d'un conducteur du RER A. "Les employés responsables du blocage de la gare Saint-Lazare n'ont fait que suivre les indications du syndicat", affirme un cadre de l'entreprise publique. SUD-Rail, de son côté, reste modeste. Pour le patron du syndicat, Christian Mahieux, interrogé par leJDD.fr, ce sont les grévistes eux-mêmes qui sont à l'origine du coup de force. Et de rejeter la faute sur les cadres de la société: "Pendant les vacances, Jean-Pierre Farandou [Directeur général délégué SNCF Proximités] a excité l'opinion publique, affirmant que nous, les grévistes, les prenions en otage. Résultat: un employé s'est fait agresser par des usagers remontés, à tort, contre nous", déplore-t-il, avant de préciser: "Nous sommes en perpétuel dialogue avec toutes les associations des usagers. Mais nous ne pouvons pas combattre médiatiquement la campagne de contre-information de la SNCF."
Un paysage syndical bipolaire
Les cadres, dits "provocateurs", de l'entreprise publique paraissent pourtant plus nuancés. "SUD-Rail politise et fait polémique sur tout. C'est leur fond de commerce", lance un responsable de la SNCF qui a requis l'anonymat. Philippe Routier, directeur de la communication de l'entreprise publique, reste plus prudent: "Un conflit d'un mois vient de se terminer. Nous venons d'obtenir la paix sociale. Je ne ferais aucune déclaration sur le rôle de SUD-Rail dans cette grève" déclare-t-il au JDD.fr. Après un instant d'hésitation, il précise toutefois que le syndicat "se place logiquement dans la surenchère, par rapport à la CGT", avec, pour ligne de mire, les prochaines élections professionnelles.
"Surenchère". Le mot est lâché. Les élections syndicales, internes à la SNCF, se tiennent le 23 mars prochain, et la CGT-Cheminots, largement majoritaire, pourrait bien se faire talonner par SUD-rail. D'un côté, le mastodonte CGT, majoritaire à 43,24%, semble aujourd'hui modéré, en tout cas prêt à discuter avec la direction. En face, un concurrent pugnace qui, après avoir recueilli 14,51% des voix aux élections professionnelles de 2006, est devenu le deuxième syndicat de l'entreprise en 2008, lors d'un scrutin sur le Conseil d'administration. Et la loi sur la représentativité syndicale, votée en août, pourrait bien booster SUD-Rail. Tout syndicat doit désormais obtenir au moins 10% des voix. Outre le modéré Unsa-Cheminots (autour des 14%), les salariés de la SNCF devraient donc se tourner vers l'un des deux mouvements majoritaires.
Un match serré
La CGT n'est pas en bonne position. En montrant ses muscles mardi, SUD-Rail a réussi à mettre en colère un Nicolas Sarkozy peu populaire au sein des professionnels du réseau ferroviaire. La CGT apparaît, au contraire, comme le syndicat qui a plié face à la direction. "La CGT, parmi d'autres organismes, s'est retirée du mouvement, selon les termes d'un accord refusé par les salariés réunis en Assemblée générale. Nous sommes restés du côté des grévistes, parmi lesquels des responsables locaux de la CGT d'ailleurs", affirme Christian Mahieux. Contactée par leJDD.fr, la CGT n'a toujours pas répondu à nos questions.
Observatrice de ces clivages, la SNCF surveille attentivement les évolutions du paysage syndical en son sein. "Dans les établissements, comme sur Metz-Nancy ou à la gare Saint-Lazare, où SUD fait jeu égal avec la CGT à 25 ou 30 %, ça peut vite être ingérable", expliquait mercredi un cadre de la SNCF dans le Figaro. En effet, la direction, qui arrive à négocier avec la CGT de Didier Le Reste, a beaucoup plus de mal avec la tête pensante de SUD-Rail, Christian Mahieux. Ce dernier s'en explique: "Bien sûr que je ne lâche pas le moindre détail! Mon travail de syndicaliste est d'améliorer sans cesse les conditions de travail des salariés, sans oublier la satisfaction des usagers." Guillaume Pépy considère de son côté que la SNCF serait "ingouvernable" en cas de victoire de SUD-Rail.
Idéologie du blocage
Si SUD-Rail s'inscrit dans un discours fondé sur la lutte des classes, le mouvement, né en 1995, revendique avant toute chose une logique purement syndicale, à forte connotation corporative: la défense des intérêts de chacun des employés. Une idéologie qui a permis au mouvement de se forger une dimension plus humaine.... et surtout de récupérer les insatisfaits qui ont quitté la CGT. Les tracts distribués sont parfois explicites: "Tu as été lésé lors de la dernière grève? Tu refuses d'être le dindon de la farce? Fais-toi connaître auprès des délégués SUD-rail."
Autre particularité du syndicat: sa composition. Ses membres sont surtout issus des agents de conduite, des aiguilleurs et des contrôleurs. Les trois professions clés qui peuvent faire fermer une gare. Il est ainsi plus facile d'appliquer le principe de "grève à n'importe quel prétexte", une formule d'un dirigeant de la SNCF. En effet, SUD-Rail multiplie les revendications et les préavis - pour des motifs parfois futiles - à l'approche des élections syndicales de fin mars. Des mouvements à répétition qui pèsent sur les finances de l'entreprise, laquelle doit rembourser tout billet de train annulé, tout retard excessif. Guillaume Pépy a annoncé que "toutes les personnes qui voyageaient mardi par la gare Saint-Lazare seront indemnisées de 30 à 50 euros sur leur abonnement mensuel du mois prochain". Un surcoût forcément douloureux pour la SNCF, dont le budget est très serré, alors qu'elle entre dans la période, délicate, d'ouverture du transport de voyageurs à la concurrence. Mais, selon Christian Mahieux, le blocage est la "moins pire" solution pour faire avancer toute négociation.