Chroniques et présentations livres

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Messagede bipbip » 18 Déc 2017, 11:25

Chiapas : Indios sans roi

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L’armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a quitté les pages des grands médias. Cette rupture a été assumée par les zapatistes qui ont choisi de travailler avec les médias indépendants, militants et alternatifs.

La publication de Indios sans roi  : Rencontres avec des femmes et des hommes du Chiapas d’Orsetta Bellani s’inscrit dans ce choix. Ce titre étrange - Indios sans roi - vient d’une citation de l’écrivain Eduardo Galeano racontant la surprise des conquérants espagnols face aux communautés Mayas qui élisaient leurs leaders parmi ceux qui savaient le mieux écouter.

«  Cet ouvrage qui a par bien des aspects la forme d’un carnet de route, nous rapproche au plus près des communautés zapatistes. Les personnes qui ne seraient pas informées sur l’insurrection zapatiste y trouvent des éléments pour remonter aux origines du mouvement tandis que les autres y puisent des information actualisées…  » (extrait de la préface).

Le livre revient d’abord sur l’avant 1994 et la naissance du mouvement insurrectionnel. Cette partie s’achève sur la disparition du sous commandant Marcos avant sa réapparition sous le nom de Galeano.

Au fil des chapitres sont abordées ensuite les questions de pouvoir, de libération de la femme, de la justice, de l’éducation, de la santé, telles qu’elles sont pratiquées dans les communautés zapatistes. C’est au travers de rencontres que nous apprenons des hommes et des femmes engagé.es au quotidien ce que signifie la construction de l’autonomie. Orsetta Bellani aborde également des sujets moins connus comme la «  banque zapatiste  » ou l’attrait auprès des jeunes zapatistes de la migration aux Etats-Unis. Mais Orsetta n’oublie pas non plus la contre-insurrection et la violence qui frappent les communautés en résistance.

De nombreuses photos en noir et blanc parsèment ce livre court pas cher et qui se révèle indispensable pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur le mouvement zapatiste.

Marcos

Orsetta Bellani, Indios sans roi. Rencontres avec des femmes et des hommes du Chiapas, Atelier de création libertaire, 2017, 150 pages, 10 euros.

http://www.alternativelibertaire.org/?C ... s-sans-roi
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Messagede bipbip » 21 Déc 2017, 17:20

Refuzniks. Dire non à l’armée en Israël - Martin Barzilai

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Fiche de lecture

Une fois n’est pas coutume, les éditions Libertalia publient ce que les libraires appellent un « beau-livre » (à prix plutôt modeste : 20 €, pour ce type d’objet), en l’occurrence un livre de photos à reliure cartonnée publié « avec le soutien d’Amnesty international ». Il s’agit des portraits de quarante-sept réfractaires (que l’on appelle là-bas des « refuzniks ») à la conscription obligatoire en Israël, accompagnés de brèves biographies. Le refus de servir dans l’armée est un phénomène relativement peu connu, même si, d’après Edo Ramon, 19 ans, rencontré en 2016 par Martin Barzilai, « dix-huit mille personnes […] passent par la prison militaire chaque année. » C’est-à-dire à peu près 10% des effectifs de l’armée israélienne.

En transcrivant le sous-titre de ce livre, j’ai failli taper : « Dire non à Israël », tant cet État semble se confondre avec son armée. Vu de France, pays où la conscription a été définitivement supprimée en 2001 (ce qui ne manque pas d’être paradoxal, tant cette année-là marque aussi le début d’un nouveau réarmement moral et matériel de l’Occident, toujours pas terminé à ce jour), ce service militaire obligatoire pour tou·te·s pourrait sembler quelque peu exotique, voire désuet. Mais Israël occupe des parties toujours plus grandes des territoires palestiniens, mais Israël implante des colonies dans ces mêmes territoires, mais Israël spolie et opprime leurs habitant·e·s selon la loi du plus fort, et ni des murs de séparation, ni le déploiement de toute une technologie de la répression parmi les plus avancées au monde, ni même une armée professionnalisée et surarmée ne pourraient suffir à maintenir cet état de fait. Il y faut encore le consentement, sinon la participation active, d’une majorité de la population civile du pays, et celui-ci est obtenu, entre autres, par la militarisation des esprits dès le plus jeune âge. « Les Israéliens sont enrôlés à l’âge de 18 ans, pour un service de trois ans pour les hommes et de deux ans pour les femmes, à l’exception des Arabes israéliens(18% de la population) […] » (Introduction, p. 15.) C’est moi qui souligne ce qui me semble être l’indice d’une politique qui se sait raciste. Sinon, pourquoi exempter les Arabes israéliens ? À l’évidence, il serait plus difficile d’obtenir leur participation volontaire au maintien des Palestinien·ne·s dans des ghettos qui rappellent furieusement les bantoustans de l’apartheid (c’est-à-dire privés de toute possiblité d’autonomie véritable). « L’armée d’Israël, dit Eyal Sivan dans sa préface, fait partie intégrante de l’identité intime et collective de chaque Israélien et de chaque Israélienne. C’est ainsi qu’en hébreu, le numéro d’identifiant militaire est appelé tout simplement « numéro personnel » (« mispar ishi ») et que celui-ci prime sur le numéro de carte d’identité nationale. Tous les Juifs et les Juives israéliens connaissent par cœur leur numéro personnel, même bien des années après avoir fini leur service militaire […] Ne pas faire l’armée, ne pas avoir de numéro personnel et ne pas appartenir à une génération identifiée par son label guerrier [là où les guerres et opérations de répression auxquelles elle a participé] signifie qu’on n’a pas passé le rituel d’initiation collective pour devenir un·e Israélien·ne à part entière. […] C’est ainsi que les Palestiniens citoyens d’Israël, tout comme les Juifs religieux ultra-orthodoxes – que l’État n’appelle pas sous le drapeau – se retrouvent automatiquement aux marges de la société. »

C’est pourquoi refuser de servir ne va pas de soi. Plusieurs de ces refuzniks disent que cela fut la décision la plus importante de leur vie. Plusieurs également racontent qu’ils ont dû la prendre seul·e·s envers et contre l’avis de leurs proches et de leur famille. Cette décision signifiait pour elles, pour eux, des périodes plus ou moins longues de prison, parfois à l’isolement, et une mise au ban de la société – du moins pour celles et ceux qui ne disposaient pas des réseaux nécessaires pour se « réinsérer ». Tou·te·s n’en demeurent pas moins très conscients de leur « privilège blanc » : même s’ils doivent passer par des moments difficiles auxquels rien ne les avait préparés, ils et elles sont conscient·e·s que la vie est bien plus dure pour les Palestinien·ne·s de Cisjordanie et de Gaza – quand l’armée, justement, ne les tue pas lors d’une opération de « représailles » ou simplement à un checkpointou encore pour s’être trop approché d’une limite de colonie. « C’est bien plus facile de vivre en prison que de vivre en Palestine », dit Efi Brenner (18 ans en 2009). Gadi Elgazi, un « ancien » refuznik (55 ans en 2016), rappelle que « la dernière fois que ce pays a combattu contre une armée régulière, c’était en 1973 ». Et il poursuit : « Depuis, nous ne pratiquons plus le type de guerre classique européenne imaginée au XVIIesiècle : avec la déclaration de guerre, le déclenchement des hostilités, les ambassadeurs qui rentrent chez eux, des batailles entre armées, la reddition d’un des belligérants et enfin la célébration de la paix. Les guerres coloniales sont différentes, elles sont comme des vagues : il n’y a ni début ni fin. La plupart des tués sont des civils et c’est toute la société qui en paye le prix. Dans ce cas, les différences entre guerre et paix s’estompent. Il y a une oscillation constante. Ces “petites guerres” ne finissent jamais car il s’agit de briser l’esprit d’un peuple. Il s’agit forcément d’une guerre totale. »

C’est de cette réalité qu’ont pris conscience beaucoup de refuzniks – même si certains s’en tiennent à un pacifisme plus « général », simplement basé sur la non-violence et le refus de porter une arme. Beaucoup déclarent qu’ils ou elles auraient été prêt·e·s à défendre Israël contre des agressions extérieures. Par contre, lorsqu’ils découvrent la situation des territoires occupés et comment l’armée se comporte contre les gens là-bas, ils refusent de servir. Souvent, ils disent avoir mis du temps à comprendre : « Il a fallu un processus d’un an pour prendre pleinement conscience de tout cela. J’ai lu énormément de livres sur les relations entre les Arabes et les Juifs. Tous ces thèmes que l’on n’étudie pas à l’école. Il y a huit millions de personnes en Israël, dont six millions de Juifs. Il y a 1,7 million de Palestiniens israéliens. À Gaza il y a 1,7 million d’habitants. Et en Cisjordanie, 2,5 millions. Ces chiffres suffisent à prendre conscience de la dimension du problème, même si personne ne les évoque. » David Zonsheine, 43 ans, ingénieur, dit aussi : « Nous ne sécurisons pas Israël. Ce que nous faisons est différent : nous contrôlons d’autres êtres humains. » Et il ajoute : « De l’an 2000 à aujourd’hui [2016], il y a eu environ 10 000 victimes chez les Palestiniens. »

Un autre point commun entre beaucoup de ces refuzniks, c’est que soit dans leur jeunesse, soit plus tard au cours de leurs études ou en allant manifester contre le mur de séparation, par exemple, ils ou elles ont connu et ont noué des amitiés avec des Palestinien·ne·s. « Cela m’a permis, dit par exemple Gilad Halpern (34 ans en 2016), de “réhumaniser le conflit”. En Israël, les médias et les politiciens perpétuent le conflit en déshumanisant l’autre, tandis qu’il n’y a plus d’interactions entre les populations. » Ainsi, dit Taïr Kaminer (19 ans en 2016) « les Israéliens arrivent à se convaincre eux-mêmes qu’il n’y a pas d’alternative à la guerre. […] Au sujet des checkpoints, l’argument est le même : “Nous n’avons pas le choix, ils nous poignardent dans la rue. Cela fait partie de la problématique générale de ce pays, tout est relié à la peur. » Meir Amor (61 ans en 2016) confirme : « À l’heure actuelle, la société israélienne ne veut pas la paix. Parce que cela signifierait une transformation structurelle majeure : il faudrait traiter les Palestiniens d’Israël comme des citoyens à part entière, partager les terres et surtout changer la politique économique de la guerre en une politique économique de la paix. » La détermination et la lucidité des refuzniks n’en sont que plus remarquables. « Finalement, dit Oren Ziv (30 ans en 2016), « je ne voyais pas de différence entre être sur un checkpointen Cisjordanie et être assis dans un bureau à coller des timbres. C’est un seul et même système. Ma prise de conscience a exigé du temps mais je suis convaincu que faire des photos pour l’armée à des fins de propagande est pire que d’être envoyé à un checkpoint. Cela correspond à une analyse de classe. Beaucoup de gens issus de familles pauvres sont envoyés dans la police des frontières. Et les gens comme moi vont dans les unités de haute technologie. » On terminera cet aperçu par un extrait de la présentation de Yuval Oron (20 ans en 2009), qui a fait plusieurs séjours en prison militaire, dans un contexte plutôt difficile parce que c’était durant une attaque contre Gaza : « Si c’était à refaire je ne suis pas certain que je le referais. J’ai été puni et pourtant je ne crois pas que je le méritais. D’une certaine façon, c’est jouer le jeu de l’armée que d’accepter d’aller en prison. Bien entendu, nous avons utilisé notre enfermement pour faire parler de l’occupation des territoires. Disons que c’est une bonne façon de se battre mais il y en a peut-être de meilleures… »

À l’approche des fêtes de fin d’année, et si vous devez sacrifier au rituel des cadeaux, en voici donc un excellent pour qui ne connaîtrait pas bien la situation en Israël, qu’il ou elle pourra découvrir à travers ce qu’en disent ces personnes confrontées à un problème bien concret, celui d’accepter, ou non, de servir dans une armée d’occupation.


https://lundi.am/Refuzniks-Dire-non-a-l ... n-Barzilai
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Messagede bipbip » 23 Déc 2017, 20:07

Olivier Grojean : « Le PKK n’est pas une institution monolithique »

Dans les pages de son essai La Révolution kurde — Le PKK et la fabrique d’une utopie, paru aux éditions La Découverte, le chercheur Olivier Grojean retrace l’histoire du Parti des travailleurs du Kurdistan. De sa fondation en Turquie, en 1978, à la lutte qu’il mène de nos jours aux côtés des ses organisations satellites, notamment en Syrie et plus particulièrement au Rojava. Mais c’est une lecture critique que l’auteur propose, tout en clair-obscur : le PKK a-t-il changé ainsi qu’il le prétend ? le Rojava est-il le cœur de la révolution socialiste contemporaine ? L’État islamique s’est effondré, Washington a rappelé 400 de ses Marines, Poutine vient d’annoncer le retrait d’une part significative du contingent militaire russe — Assad a salué l’action menée par son partenaire au nom de « la guerre contre le terrorisme » — et le huitième cycle de pourparlers de paix sur la Syrie s’est achevé hier : c’est dans ce contexte que nous en discutons.

... https://www.revue-ballast.fr/olivier-gr ... olithique/
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 26 Déc 2017, 16:23

Fascisme : Temps obscurs

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Temps obscurs propose une analyse didactique sur les grands enjeux des fascismes modernes, et peut même constituer un outil précieux pour tout militant soucieux de s’inscrire dans la lutte antifasciste.

L’ouvrage de Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo, se propose de revenir sur le phénomène fasciste moderne, avec une grille d’analyse matérialiste. Il circonscrit davantage ce phénomène que ne le fait Arendt (évoquant un principe « totalitaire » peut-être trop large), et s’inscrit dans la tradition marxiste d’un Daniel Guérin, qui aura su rattacher le fascisme à une totalité socio-économique et politique déterminée.

Le premier chapitre propose un historique du fascisme. Une spécificité du fascisme apparaît  : les premières formes politiques fascistes, qui apparaissent en France à la fin du XIXe siècle, prônent une modernisation, à l’inverse de la droite traditionnelle, conservatrice. Gustave Le Bon, Barrès, Maurras, mais aussi Boulanger, constituent les figures centrales de ce pré-fascisme français.

De façon précise, est ensuite décrit le développement progressif du fascisme italien, et du nazisme allemand, après la première guerre mondiale, dans le contexte de difficultés socio-politiques nationales, et surtout au fil de la constitution de milices anti-ouvrières. On constate alors que ces fascismes ne se développent pas contre le capital, mais au contraire qu’ils peuvent d’abord servir ses intérêts intimes. L’horreur des camps de concentration et d’extermination, dans le contexte de la « solution finale », ainsi que la spécificité de l’antisémitisme moderne, sont bien sûr envisagées, ainsi que la fonction à la fois tactique et cathartique de la violence fasciste (qui finit par s’insérer dans la violence d’État).

Le développement du fascisme et du nazisme, en Italie et en Allemagne, dans les années 1920-30, est indissociable d’un contexte de crise  : ces idéologies proposent une politique de relance keynésienne, et prônent une alliance interclassiste. Elles s’adressent dans un premier temps aux couches populaires. Pourtant, le fascisme au pouvoir finit par mener des politiques sociales favorables à la bourgeoisie, développe un anti-communisme primaire, et ne propose finalement qu’un altercapitalisme ultra-nationaliste, fixé autour d’un leader charismatique et autoritaire.

Les auteurs insistent sur le fait que, par définition, ce fascisme ne peut être anticapitaliste, car l’anticapitalisme strict finirait par remettre en cause son principe d’unité nationale interclassiste (en effet, tout anticapitalisme cohérent finit par développer les luttes sociales contre la bourgeoisie, et demeure en outre internationaliste).

C’est aussi l’échec des partis bourgeois traditionnels face à la crise qui aura permis l’accession au pouvoir des fascistes.

Le deuxième chapitre revient sur «  le nouveau visage du fascisme  ». Il propose un panorama contemporain. La crise de 2008 contribue à barbariser l’exploitation, et à favoriser des politiques austéritaires dures. La «  Troisième voie  » que constitue l’extrême droite altercapitaliste retrouve un certain regain d’énergie.

Le racisme anti-musulmans (FN), ainsi qu’un antisémitisme radical (Egalité et réconciliation), définissent la manière dont ces extrêmes droites déterminent leur principe d’unité nationale et d’alliance interclassiste. L’ouvrage distingue les grands partis xénophobes d’extrême droite (FN) des groupuscules de rue (Ayoub). Les seconds revendiquent davantage l’héritage fasciste. Mais ces deux mouvances peuvent entretenir aussi des relations intimes. C’est dans cette mesure que l’ouvrage considère que le fascisme reste un phénomène d’actualité.

L’ouvrage revient sur les nouveautés de ces extrêmes droites contemporaines  : une islamophobie devenue structurelle. Mais aussi la pseudo-défense des droits des femmes et des personnes homosexuelles, instrumentalisée pour développer le rejet des musulmans jugés «  homophobes  » et «  masculinistes  ». En réalité, l’idéologie d’extrême droite demeure fondamentalement pétainiste, patriarcale et homophobe, mais ce pinkwashing superficiel n’est qu’un moyen de diffuser une islamophobie virulente. Le conspirationnisme, et le développement d’Internet, sont également des données qui redessinent les contours de ces extrêmes droites.

L’ouvrage s’achève finalement sur un panorama des territoires de l’extrême droite  : les localités françaises d’extrême droite sont analysées, ainsi que l’idéologie régionaliste que portent ces courants. Puis la question internationale et géopolitique qui est posée par ces extrêmes droites est brièvement développée. En guise de contrepoint nécessaire, un état des lieux sur les luttes antifascistes est finalement exposé.

Il s’agit d’un ouvrage agréable à lire, didactique, sans vocabulaire technique, qui s’adresse à toute personne soucieuse de comprendre les grands enjeux des fascismes modernes, et de l’extrême droite contemporaine. Il cible les points essentiels à retenir, et peut même constituer un outil précieux pour tout militant soucieux de s’inscrire dans la lutte antifasciste.

Benoît (AL Montpellier)

• Matthieu Gallandier et Sébastien Ibo, Temps obscurs, Nationalisme et Fascisme en France et en Europe. Éditions Acratie, 164 pages, 13 euros.

http://www.alternativelibertaire.org/?F ... ps-obscurs
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 28 Déc 2017, 18:30

Grojean, « La Révolution kurde »

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Lire : Grojean, « La Révolution kurde »

Non, ce n’est pas le énième livre pour exalter le courage des combattantes kurdes. Ce n’est pas non plus un tissu de billevesées malveillantes à la Jean-Pierre Filiu, ni un servile storytelling pro-PKK. C’est encore moins une tribune néocolonialiste à la Kouchner, qui ne verrait dans la cause kurde qu’un pion sur l’échiquier géopolitique.

Le livre d’Olivier Grojean est simplement un bel effort de synthèse, tout en sobriété, fondé sur le dépouillement de vingt-cinq ans de travaux sociologiques menés par des chercheuses et des chercheurs – souvent allemands – sur le PKK et sa mouvance. Il confronte l’évolution de son idéologie à la réalité de ses pratiques, aux permanences de son fonctionnement, à ses interactions avec la société civile et avec la diaspora, scrute la discipline dans ses unités combattantes, la montée des femmes, le rapport à l’icône Abdullah Öcalan, son fondateur et principal dirigeant…

Le livre est très instructif, à condition de ne pas se méprendre : il n’offre pas une vision exacte de ce qu’est la gauche kurde en 2017. Sur certains sujets, il souffre de l’absence de sources datant de moins de quinze ou vingt ans. Beaucoup de descriptions ou d’analyses sont donc valables pour les années 1990 ou 2000, et le livre, malgré sa prudence, ne permet pas toujours de discerner dans quelle mesure elles valent encore aujourd’hui. Il fournit en revanche de bonnes clefs de compréhension généalogiques.

Ainsi de la «  théorie de l’Homme nouveau » qui dans la résistance va se libérer de son ancienne personnalité de colonisé. Grojean la décèle dans des écrits d’Öcalan et d’autres leaders du PKK et la rapproche de la pensée de Frantz Fanon. Cette théorie a visiblement marqué la pratique dans les années 1990, alors que le PKK, en train de prendre ses distances avec le marxisme-léninisme, cherchait à élever sa doctrine à la hauteur d’une entreprise civilisationnelle. Qu’en est-il vingt ans plus tard ? L’auteur ne se risque pas à le mesurer.

Même remarque pour ce qui est de l’émancipation des femmes, thème emblématique de la gauche kurde. Olivier Grojean décortique les ambiguïtés de la « théorie de la Femme libre » élaborée par Öcalan à la fin des années 1980, en l’imbriquant dans la lutte anticolonialiste. Cette théorie était porteuse à la fois d’une promotion inédite des femmes, en rupture avec le patriarcat, et d’un essentialisme quelque peu inquiétant. Trente ans plus tard, qu’en subsiste-t-il dans le vaste mouvement des femmes ­kurdes, qui a pu se frotter à d’autres pensées féministes ?

Parmi les chapitres les plus intéressants, on citera encore celui sur les « convergences entre les projets politiques » du PKK et de l’EZLN mexicaine ; celui sur l’« autonomisation de la cause écologiste » ; « l’économie sociétale » au Rojava ; les « espaces gouvernés par le PKK » au Rojava, au Sinjar et à Maxmûr...

Guillaume Davranche (AL Montreuil)

• Olivier Grojean, La Révolution kurde. Le PKK et la fabrique d’une utopie, La Découverte, 2017, 256 pages, 17 euros

https://www.alternativelibertaire.org/? ... pkk-utopie
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 04 Jan 2018, 20:09

Le Cour Grandmaison, Olivier.
Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial. Paris, Fayard, 2005, 365 p.

Quand un politologue déboule dans le champ de l’histoire, qui plus est dans celui de l’histoire coloniale d’autant plus « délicate » qu’elle concerne ce morceau de « nous-mêmes » qu’a été l’Algérie pour la France ; que ce politologue s’est armé d’une volonté toute « barbare » d’en découdre avec les frontières disciplinaires et chronologiques ; eh bien, l’intrusion peut causer des désordres certes, mais dans le cas de Coloniser. Exterminer, ces désordres sont pour l’essentiel plutôt salutaires à notre sens.

Tant pis, si on peut estimer inconvenant, irrespectueux de la part de Le Cour Grandmaison de faire si peu cas des spécialistes et de leur préférer la compagnie de Foucault, Koselleck, Elias, Paxton et autres auteurs dont le terrain a été ou est l’Europe, ou ce qu’on appelle l’Occident. Le fait est que ça lui permet de mener une analyse de la colonisation et du colonialisme outillée différemment et de relier l’histoire coloniale à l’histoire du monde dont elle est en général amputée : celui des puissances coloniales européennes où est né cet insatiable mouvement d’expansion.

Certes, Le Cour Grandmaison n’est ni le premier, ni le seul à tenter de reconstituer certaines parties de l’écheveau de relations entre les centres des empires et leurs dépendances, ces dernières années. Mais son audace est de chercher à mettre des passerelles là où la rigidité des découpages entre spécialités, entre aires géographiques et culturelles ou entre époques d’une part, la rigidité de positionnements politiques obstinés et frileux d’autre part, refuseraient d’en admettre la simple évocation ou le principe de la mise en débat : ainsi en est-il, par exemple, des passerelles entre « violences » coloniales, « violences » sociopolitiques européennes et « violences » totalitaires nazies, que le livre s’emploie à re-constituer.

Consacré essentiellement à la conquête et à la colonisation de l’Algérie, axé surtout sur le xixe siècle, comme lieu et âge des origines, Coloniser. Exterminer, restitue l’histoire de ce grand laboratoire que l’auteur regarde comme un exceptionnel « champ d’expériences », au sens de R. Koselleck, où sont conçues ou systématisées des techniques relativement inédites de guerre, de répression et d’administration fondées, justifiées et légitimées par un corps de représentations du vaincu, de l’« indigène », de l’« Arabe » féroce. Cet ennemi traité en ennemi « non conventionnel », dont l’inévitable et plutôt prévisible résistance à la dépossession est perçue comme une preuve de sa « barbarie » ou de sa « mal-civilisation », autorise l’installation de la « guerre totale », du « tout est permis », de l’« état d’exception permanent » : sous la forme de razzias, d’enfumades, d’incitations aux mutilations collectives, d’usage des corps morts ou vifs dans des marchés incroyables (vente d’oreilles considérées comme trophées, usage des squelettes dans l’industrie du sucre à Marseille…), d’une systématisation des exécutions sommaires, des internements administratifs, d’une installation permanente de juridictions d’exception…

Le laboratoire, loin de s’adonner à des expérimentations secrètes, est le lieu et l’objet de débats publics. Non seulement peu de réprobations s’expriment, mais l’Algérie devient assez vite et reste un tremplin exceptionnel pour de brillantes carrières politiques ou militaires. La question même de l’« extermination » des « indigènes », ou au moins de leur « refoulement » vers le Sahara, et de leur remplacement par une « main-d’œuvre » noire ou chinoise garantissant la réussite de la colonisation, est débattue publiquement. « Biopolitique » sous la forme de « thanatopolitique » ou de bouleversement de la « carte raciale » en Algérie sont l’objet de plans ou de projets, dont les auteurs, à l’exemple du républicain et même féministe docteur Bodichon, de triste mémoire, sont loin d’être des marginaux sans audience, comme le montre l’auteur avec insistance. L’exemple américain est là pour conforter le « darwinisme ambiant » qui regarde comme inéluctable l’extinction agie ou naturelle des « races inférieures » lorsqu’elles rentrent en contact avec « les races supérieures ».

Le livre de Le Cour Grandmaison vient rappeler les effets désastreux de la conquête, pour les colonisés, soulignant par exemple la dépopulation qui frappe l’Algérie, où les pertes tournent autour du million entre 1830 et 1872 ; la désurbanisation, relevant les instructions données dans le sens de la destruction systématique des villes et villages qui pouvaient servir de points d’appui à la résistance… Cependant, il montre aussi le mouvement d’importation et d’exportation de toutes les pratiques répressives vers les autres colonies, mais aussi vers la métropole. Bien entendu, il revient sur le rôle joué par les grands hommes de la « Coloniale » contre la « Sociale », par les grands noms de l’armée d’Afrique (Bugeaud, Cavaignac, Saint-Arnaud, Bedeau, Négrier et autres) dans les répressions de 1848 ou de la Commune contre « les Bédouins de la métropole » racisés à leur tour. Il rappelle, pour une période plus tardive, la circulation avec les idées et les techniques, celle des hommes qui les créent ou les mettent en œuvre, à l’exemple de Marcel Peyrouton et de Joseph Barthélémy, dont il montre le rôle central dans la politique antijuive de Vichy.

Il soutient enfin que des violences comme celles du 8 mai 1945 ou celles de la guerre d’indépendance algérienne ne sont pas à classer au rang d’« embardées liées au contexte particulier de la guerre », mais comme les effets d’une continuité dans la « brutalisation » de la lutte contre ceux qui doivent rester des « assujettis permanents ».

Mais s’il souligne la continuité entre monarchie, républiques et empire, les faits lui imposent de s’arrêter plus longuement sur une IIIe République, qui non seulement assume totalement la poursuite de la course à l’empire en rivalité avec la « race anglo-saxonne », mais donne naissance à un système régi par un « racisme d’État » ; puis plus brièvement sur une IVe et une Ve République qui reprennent à leur compte « la guerre totale » jusqu’au bout.

Les longues pages où sont analysés les perceptions et les discours des Tocqueville, Beaumont, Hugo, Lamartine, Marx, Engels et bien d’autres, malgré les préventions de ceux qui sont vus comme des « philanthropes » naïfs, nous aident à mieux comprendre la banalité pour ces grands esprits de la nécessité de coloniser, de procéder à l’« écoulement » des « classes dangereuses » et d’acquérir un « Lebensraum » suffisant en en acceptant le prix, celui de la disparition des « races inférieures », condition nécessaire au progrès de ceux qui ont su acquérir des instruments plus performants de domination de la nature.

En ces temps de confusion extrême où, sous peine d’être désigné comme responsable des désordres dans les banlieues et bahuts, l’historien est officiellement sommé d’instruire sa société sur l’« œuvre positive » anciennement dénommée « œuvre civilisatrice » de la France dans les colonies, sans que le besoin de s’interroger sur les opinions de ceux qui en ont « subi » les bienfaits soit ressenti, un livre tel que Coloniser. Exterminer a le mérite de rafraîchir les mémoires. On en sort à la fois mal à l’aise et libéré. Les « douleurs » des colonisés, considérées au mieux comme des « excès » d’un système « complexe », acquièrent le statut d’objets respectables.


http://journals.openedition.org/etudesafricaines/5799
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 11 Jan 2018, 21:42

Portrait du travailleur intellectuel en « capitaliste du savoir »

Jan Waclav Makhaïski
Le socialisme des intellectuels, critique des capitalistes du savoir
Textes choisis, traduits et présentés par Alexandre Skirda
Spartacus, Paris, 2014, 322 pages

À la jonction entre les XIXe et XXe siècles, le révolutionnaire polonais Jan Makhaïski (1866-1926) entendait démontrer que les « travailleurs intellectuels », ceux qui sont rétribués pour penser (ingénieurs, gestionnaires, comptables, professeurs, journalistes, écrivains…), constituent une fraction de la bourgeoisie aux intérêts de classe opposés à ceux des ouvriers. Grâce à leurs études, payées par une partie des dividendes du travail des ouvriers, ils acquièrent un capital de connaissance qu’ils vont mettre au service de l’entreprise ou de l’État. Les diverses fonctions de gestion, de contrôle, d’encadrement, de « dressage » du prolétariat qu’ils occupent ensuite les situent du côté de la classe dirigeante. C’est aussi cette intelligentsia qui fournit au capital l’idéologie du progrès nécessaire à sa croissance, d’où naît une « nouvelle classe moyenne » bénéficiant d’une partie du « profit national net ».

Dans le mouvement socialiste, les intellectuels, « maîtres aux mains blanches », « se servent des révoltes ouvrières pour leur propre profit » en utilisant le marxisme comme une « religion scientifique » pour « obscurcir l’esprit et la volonté » des ouvriers en prétendant que « la production capitaliste creuse elle-même sa tombe », ce qui leur permet de promouvoir ce que nous appelons le réformisme, ainsi que le frontisme interclassiste entre ouvriers et « société civile », en attendant l’avenir radieux « du paradis socialiste ».

Les travailleurs intellectuels, en premier lieu les sociaux-démocrates de tout poil mais aussi les partisans du « socialisme d’État », devraient donc, selon lui, être exclus de toute « organisation de combat qui servirait les intérêts réels des ouvriers ». Ce qu’il affirmait en 1908 se confirme dix ans après : le parti bolchévique, « parti d’intellectuels » a mis en place un « pouvoir jacobin » qui ne vise pas « l’émancipation de la classe ouvrière » mais la soumission des ouvriers à « une dictature marxiste » dont Makhaïski prévoit déjà qu’elle sera particulièrement « féroce ».

Critique des bureaucraties sociales-démocrates et bolchéviques, il l’est aussi de la démocratie étatique qui est, pour lui, le territoire même de la domination des « capitalistes du savoir », celui où « le savant prend la place de la police » et où « se multiplient les responsables sociaux » : politiciens, agronomes, statisticiens, journalistes, avocats, etc.

Au « programme d’édification socialiste » et aux syndicats, Makhaïski oppose « la conspiration ouvrière » et « la grève générale économique » pour « une expropriation générale simultanée ».

On ne peut que s’étonner de la capacité d’anticipation de Makhaïski sur sa propre époque et, plus encore, de la résonance de ses thèses avec nombre de questions actuelles. Ainsi du débat sur la nature de la classe moyenne, qu’il définit, lui, comme « la couche inférieure de la bourgeoisie » sans en faire une troisième classe du rapport social capitaliste. Et quand il fait litière de l’idée que tous les salariés seraient des prolétaires exploités par une « poignée infime » de bourgeois, le lecteur du XXIe siècle pense aussitôt à la thèse des 1 % contre les 99 %. Sa critique de la projection d’un capitalisme qui va s’effondrer de lui-même et non sous l’effet de la lutte de classe nous évoque évidemment les théories de la Wertkritk et autres visionnaires du dépérissement spontané du capitalisme. Enfin, quand Makhaïski met en relief l’usage des intellectuels par l’État, cela nous renvoie à la fonction même de l’université et aux tristes mésaventures des « camarades » qui croient pouvoir élaborer la théorie de la révolution dans le cadre académique.

Mais faire de « l’intellectuel » une sorte d’ennemi principal est aujourd’hui d’autant plus contestable que beaucoup de cols blancs ne sont plus à présent des salariés bien payés pour penser et que la plupart n’ont presque aucune fonction d’encadrement et de contrôle. Et puis, suffirait-il de dévoiler le rôle contre-révolutionnaire des intellectuels pour que le prolétariat se débarrasse de cette pernicieuse avant-garde dirigeante et accède enfin à la conscience révolutionnaire ? Si Makhaïski prétend que Marx « ignore l’essence de la production sociale », il semble surtout que lui-même n’ait pas vraiment réussi à appréhender la dynamique même du rapport social capitaliste. Ce dont il est difficile de lui tenir rigueur dans le contexte de l’époque où il écrivit ces articles.

Décembre 2017,
Lola Miesseroff


https://lavoiedujaguar.net/Portrait-du- ... -du-savoir
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Messagede bipbip » 20 Jan 2018, 17:37

Migrants à Vintimille

La mémoire d’un camp autogéré

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Nous l’évoquions très récemment avec un camarade du canard indépendant Saxifrage [1] en route pour un reportage à Vintimille, ville située à la frontière franco-italienne : du périple des migrants – de leur arrivée sur la Botte jusqu’à leur passage en Hexagone –, l’on connaît surtout L’Aquarius, navire de SOS Méditerranée [2], l’île de Lampedusa ou encore le soutien réprimé de certains habitants de Nice ou de la vallée de la Roya (Alpes-Maritimes). Vintimille ? La ville a quasiment quitté le champ médiatique, et peu se souviennent qu’elle abritait un camp de migrants autogéré pendant l’été 2015, au moment où la France rétablissait sa frontière. C’est cette histoire que nous remet en mémoire Nous ne ferons pas marche arrière ! – Luttes contre la frontière franco-italienne à Vintimille, ouvrage collectif publié en juillet chez Niet ! Éditions (7 €).

Si l’on ne prend le temps de l’ouvrir, on pourrait classer ce petit bouquin dans la catégorie « militant-chiant » – si, si, cela existe. Ce serait une grossière erreur. Car il a le mérite de rappeler – à travers force témoignages – quel a été le combat de militants No Border et de voyageurs sans papiers bloqués en bord de route par l’arbitraire administratif, policier et militaire. De rappeler, voire de faire découvrir, que pendant quelques semaines, à quelques mètres de la frontière, sur les rochers des Balzi Rossi, les migrants et leurs soutiens ont réussi l’exploit de créer un véritable lieu de vie et de solidarité. « Après ce que nous avions vécu en Libye, trouver une telle solidarité humaine, c’était incroyable ! De gens qui dormaient avec nous du même sommeil, qui mangeaient avec nous la même nourriture. Après ça, après la peur en mer et avoir été traînés de camp en camp, arriver là-bas, à Vintimille, et être traités comme un être humain par d’autres êtres humains, c’était inespéré. Je suis arrivé là, j’étais fou, et j’ai rencontré des anges ! », témoigne CazaMoza avec une émotion non dissimulée. Dans le Presidio – nom du camp – « l’organisation a atteint un niveau important à partir du moment où on se voyait le matin pour faire une petite réunion pour voir qui allait faire quoi, complète Nazario, un Italien venu en soutien. Qui va nettoyer, qui commence à préparer à manger, qui va observer ce qui se passe à la frontière, qui va à la gare pour comprendre ce qui se passe là-bas ? […] C’était ça, les fonctions de cette communauté ». Qui, malheureusement, prit fin avec les beaux jours sous les charges policières.

L’intelligence de l’ouvrage ? Ne pas balancer à la mer tout ce qui pourrait s’éloigner de la vision politique des auteurs. Si ceux-ci ne ménagent pas le fonctionnement du camp de la Croix-Rouge situé à l’époque à quelques mètres du Presidio, ils reconnaissent que l’alliance de différents points de vue peut être une force. Comme quand ils évoquent, dans les derniers chapitres, la lutte actuelle dans la vallée de la Roya : « Les première réunions, t’avais une mère de famille catholique et des punks à chiens, relate un certain Pascal. Mais qui maintenant sont ensemble. Qui se sont domptés peu à peu, qui se retrouvent pour donner des coups de main aux maraudes ou parce que machin va prêter sa voiture. Je veux dire que ça laissera des traces. » Ce que nous espérons ardemment.


Notes

[1] Saxifrage, « journal casse-pierre du coin » – et surtout du Tarn – est un excellent canard indépendant. Pour le commander et s’abonner : Saxifrage, BP 40112, 81604 Gaillac Cedex. Contact : contact@saxifrage.fr.

[2] Sur le sujet, voir « Les vagues comme des barbelés », article paru dans le n°156 de CQFD http://cqfd-journal.org/Les-vagues-comme-des-barbeles.

http://cqfd-journal.org/La-memoire-d-un-camp-autogere
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Lila » 20 Jan 2018, 20:38

Automne 2017 : fin de la disqualification ?

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Un événement a surgi, une révolte prend forme. Les femmes prennent la parole, publiquement. Arrêtons de dire, et surtout de laisser dire, que la parole s’est libérée. Le sujet femme pratique la forme active et non passive de la conjugaison française. Elles ont donc pris la parole.

Le XXIe siècle a de nombreuses raisons de placer au centre de la volonté d’émancipation le corps des femmes. Outre le multiple des sexualités, le corps reproducteur (PMA, GPA, et filiations nouvelles) et le corps sexuel (violences, du harcèlement au viol) sont en débat et donnent une double perspective, dont on comprend combien elle est politique. Une fois encore la généalogie peut nous aider.

Durant deux siècles, en France, l’émancipation des femmes a fait feu de tout bois, œuvrant à la transformation des lois comme à la subversion des mœurs. Changer le code civil, lutter pour le droit de vote, par exemple, ou franchir des interdits non explicites comme passer le baccalauréat en 1860. Demander un changement de loi, ou profiter des interstices ou des silences de la loi, tels furent les deux chemins de l’émancipation. La subversion par les mœurs a continué, mais le cycle d’obtention des droits touche à sa fin au tournant des années 2000. Pourquoi ? Parce que les droits civils et politiques ont été égalisés, les droits économiques ont été énoncés, surtout par l’Europe, avec les directives prônant l’égalité de traitement. Enfin, l’égalité dans la famille a été pensée et actée (autorité parentale, transmission du nom, union homosexuelle).

Bien évidemment, le droit ne se transcrit pas automatiquement dans la réalité. Le formel ne fait pas le réel, nous l’avons appris à l’école. Et si ce formel indique une « fin de cycle », c’est précisément parce que la famille se devait d’être le dernier bastion de l’inégalité des sexes. Jean- Jacques Rousseau l’avait bien vu quand il notait, dans Le contrat social, que la famille, le domestique, devait rester à l’écart de l’ambition démocratique qui allait succéder à la monarchie installée. Finalement, le droit égalitaire a balayé tout le champ de l’existence des femmes et on s’en réjouit. Bien sûr, de nouvelles lois ou des améliorations juridiques peuvent advenir ; c’est nécessaire.

Mais le réel est loin de pratiquer suffisamment l’égalité des sexes. C’est pourquoi le corps entre en jeu. Certes, des lois propres au corps de toute femme, divorce et recherche en paternité pour le XIXe siècle, contraception et avortement pour le XXe, dessinèrent une ligne d’émancipation qui est moins celle de raison (éducation, citoyenneté, travail, etc.) que celle de la propriété de soi, c’est-à-dire de son corps. Mais aujourd’hui c’est le corps pluriel, le corps public qui rentre en scène. De la dénonciation individuelle avec l’affaire « DSK » à la plainte collective des affaires « Baupin » et « Weinstein », les femmes s’installent dans l’espace ouvert de la res publica. Sans doute, faut-il, et c’est le cas aujourd’hui, que les femmes aient une présence professionnelle suffisamment forte pour rendre ce geste collectif possible.

Nous y voilà. Non seulement le droit ne transforme pas automatiquement le réel, mais aussi le droit ne peut pas tout. Car le corps des femmes est un impensé du contrat social énoncé à l’époque moderne. Il existe, comme en un soubassement, un « contrat sexuel »1 qui confirme le fait que, même si on change de système politique, le corps des femmes est toujours à la disposition des hommes ; très, et trop souvent, en toute impunité. Patriarcat ? Le mot a ses avantages et ses inconvénients. Mais ce qui apparaît ici c’est moins le père ou le maître, mis en cause, que le simple fait que le corps des femmes ne leur appartient pas ; pas complètement.

C’est alors compréhensible qu’après ce cycle de droits, un nouveau cycle commence, celui où la révolte des corps, rendue possible par la parole des femmes, publique et multiple, devienne un enjeu politique.

Il est temps alors de préciser notre vocabulaire. Le mot « sexisme » prend toute sa place dans le fait de comprendre l’importance du corps des femmes dans notre vie publique. Qu’est-ce que le sexisme ? Ce mot, récent dans la langue française, est très souvent rapporté au mot « discrimination » : « agissement discriminatoire », dit le langage des institutions ou des dictionnaires. Or le sexisme ne relève pas d’emblée du langage juridique ; ou plutôt, la discrimination peut être, ou pas, une conséquence du sexisme ; toujours comme dans un deuxième temps. Car le sexisme n’est pas l’apanage du monde contemporain, ère démocratique de nos contrées où la justice se sert du juridique. Le sexisme traverse les siècles. En revanche, le mot « discrimination » fut un néologisme, daté de 1877, exactement au moment où la république s’installait pour durer en France.

C’est pourquoi je propose de définir le sexisme comme une « disqualification ». L’homme laisse entendre à la femme qu’elle n’est pas de la même qualité que lui, qu’il y a, dirait Aristote, une « différence de substance ». C’est pourquoi cette qualité de l’être femme, à l’évidence de moindre qualité, se transforme en infériorité et en objectivation.

Changement de cycle dont la révolte de l’automne 2017 témoigne. Ce livre s’interrompt à l’été 2011 et se termine par deux textes qui prennent acte de ce passage historique : l’un, à propos de DSK, souligne que le fait divers est devenu politique, donc historique, l’autre vient en soutien aux femmes tunisiennes, bientôt menacées par une nouvelle constitution décidée à les renvoyer à la « complémentarité » des sexes au détriment de leur égalité. L’un inaugure ce qui va se jouer autour du corps public des femmes, l’autre nous rappelle que nous serons toujours en alerte pour ce qui est de la loi, et du droit.

Geneviève Fraisse

Avant propos à la réédition de La fabrique du Féminisme
40 ans d’histoire et d’actualité du féminisme
Le passager clandestin, Lyon 2018, 480 pages, 10 euros

Note de lecture : la-surdite-commune-a-legard-du-feminisme-est-comme-une-ritournelle/ https://entreleslignesentrelesmots.word ... tournelle/


1 Carole Pateman (1988), Le contrat sexuel, traduit par Charlotte Nordmann, préface Geneviève Fraisse, postface Eric Fassin, Paris, La Découverte, 2010

https://entreleslignesentrelesmots.word ... more-32716
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Messagede bipbip » 28 Jan 2018, 17:54

La mauvaise conscience d’Israël

Dire non a Tsahal

paru dans CQFD n°160 (décembre 2017)

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À travers une quarantaine de portraits et témoignages [1], le photographe Martin Barzilai nous emmène à la rencontre des refuzniks, objecteurs, insoumis, déserteurs, filles et garçons, qui préfèrent aller en taule plutôt que de servir dans l’armée israélienne.

... http://cqfd-journal.org/Dire-non-a-Tsahal
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 03 Fév 2018, 15:02

Les limites de l’indignation

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Le sous-titre“La révolution commencera-t-elle à Bure ?” nous éclaire davantage sur le propos de cet ouvrage. Il y est en effet question du projet d’enfouissement de déchets nucléaires. Dans un premier temps, l’auteur explique l’émergence de la situation d’indignation, issue de la confrontation publique des promoteurs du projet et de ses opposantEs ; ensuite il détermine les “domaines de la lutte” à Bure qui dépassent largement le seul projet industriel. Pour finir, il analyse les avenirs possibles de ce conflit ; quel avenir peut produire la gouvernance ? Quel avenir peuvent produire les mouvements d’indignéEs ? Pour quelles raisons émerge si peu d’imagination sociale ? La seule solution à ce conflit est-elle la violence qui écraserait une des deux parties et donnerait l’exemple à suivre dans les autres quêtes d’avenir ?

Les limites de l’indignation, La révolution commencera-t-elle à Bure ?, Jan Spurk, éditions du Croquant, octobre 2017, 190 p., 15 €

http://www.emancipation.fr/spip.php?article1713
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 15 Fév 2018, 20:41

LIBERTÉ POUR TOUS AVEC OU SANS PAPIERS

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L’évacuation à coup de hache de l’église Saint-Amboise au matin de 23 août 1996 par 1 500 policiers et gendarmes, semble marquer une résurgence des luttes autour de l’immigration. Le soir même, une manifestation spontanée de 15 000 personnes exprime sa colère entre Bastille et Nation. Contre l’avis des états majors, 5 000 d’entre elles décident de partir jusqu’au centre de rétention de Vincennes pour délivrer les sans-papiers retenus. Les affrontements contre les forces de l’ordre durèrent une bonne partie de la nuit.
À partir de 2006, de telles mobilisations spontanées vont réapparaitre, notamment après la publication d’une circulaire du ministère de l’Intérieur le 21 février, précisant toutes les possibilités d’arrestations de sans-papiers, jusque dans les blocs opératoires.
Le matériel de cette lutte contre la machine à expulser est rassemblé ici avant tout comme un arsenal dans lequel puiser pour les combats du présent. Face aux avancées de la domination, sont racontées dans ces pages, de la lutte contre les rafles aux révoltes contre les centres de rétentions, des actions qui réinventent ou redécouvrent sans cesse « des manières plus agiles ».
Avec une chronologie très précises, tant des mobilisations, des attaques que des évolutions législatives, avec la reproduction de nombreux tracts et affiches, avec des récits d’actions, c’est la philosophie et les intentions de ce mouvement contre la machine à expulser, qu’il nous est donné à entendre.

« La menace de l’arrestation et de l’expulsion constitue un moyen de pression énorme sur les sans-papiers qui acceptent des boulots pénibles et sous-payés dans des secteurs d’activité comme le bâtiment, la restauration, le nettoyage ou le maraîchage par exemple. » (Tract d’août 2007)

Le contrôle du ticket dans le réseau de transport public transformé en contrôle d’identité est dénoncé avec force, la Sncf et la Ratp accusées d’être « de vrais services publics »… comme au temps du Vel d’hiv et des rafles de 1961 pendant la guerre d’Algérie.
« Face aux rafles comme face au reste, il ne suffit plus de gueuler et d’exposer son corps nu aux matraques des flics. Il est temps d’user, chacun à sa manière, de toutes les armes de la critique. Parce qu’en face, ils n’ont d’autre limite que celle que nous leur opposons. » (Trac du 11 octobre 2007 distribué à Belleville)
Il ne s’agit pas de réclamer une « amélioration des conditions de rétention » mais la fermeture des centres car ceux-ci ne peuvent pas être humanisés.
Un peu partout, à Paris, Montreuil, Lille, Grenoble, Dijon, des devantures et des distributeurs de billets de La Poste, de la BNP, (accusées d’avoir livré leurs clients sans-papiers à la police), des vitrines de Bouygues (constructeurs des centres de rétention), d’agences Air France (chargé des expulsions), mais aussi à Moscou, Bruxelles, Vancouver, Montevidéo, Hambourg,…
« Ce qui dégoûte le coeur, que la main s’y attaque. »

Le 22 juin 2008, au lendemain de la mort d’un retenu tunisien de 41 ans, Salem Souli, les deux bâtiments du centre de rétention de Vincennes , le plus grand du pays, brûlent. « Après des mois de tension et d’affrontements, comme au Mesnil-Amelot et ailleurs, des sans-papiers y ont réalisé la seule réforme possible des prisons : leur réduction en cendres. » (Extrait d’une affiche de 2008 « Beau comme des centres de rétention qui flambent »)
Le coût total des investissements réalisés par l’État à Vincennes de 2005 à 2010 s’élève à 28,69 millions d’euros, soit un montant de 159 400 euros par retenus ! (Sources : Communication de la Cour des comptes à la Commission des finances du Sénat, juin 2009)
Le 19 janvier 2009, c’est au centre de Bordeaux qu’un incendie se déclare.

Les auteurs de ce livre prennent également la parole pour redéfinir des perspectives, analyser les flux migratoires et la politique de gestion des migrations. Ils refusent d’accepter les « carcans autoritaires » mais proposent de les dépasser dans une logique subversive, « la fin étant déjà dans les moyens ».
Ils accusent les migrations d’être une « conséquence de la terreur économique ordinaire qu’exerce le capital et de la terreur politique des régimes en place et de leur bourgeoisie locale, au plus grand bénéfice des pays riches », et les dispositifs répressifs de ne pas avoir pour objectif réel d’expulser mais de « terroriser l’ensemble de la main d’oeuvre immigrée (celle qui est régularisée et celle qui est sélectionnée pour des durées de séjour toujours plus courtes) afin de la maintenir dans des conditions d’exploitations proches de celles qu’elle a fuies (des délocalisations internes en quelques sortes) tout en faisant pression à la baisse sur l’ensemble des conditions d’exploitation. »
Ils proposent de sortir de l’énonciation de slogans de plus en plus vagues, de sortir d’un activisme plus ou moins humaniste qui suit les échéances du pouvoir, pour développer « une projectualité contre les centres de rétention » qui remette en question l’exploitation et la domination en général, considérant que « c’est la liberté de tous qui est en jeu avec les rafles ».

Le ton des tracts est bien souvent déterminé, direct et radical (c’est-à-dire qu’il s’attaque à la racine).
« C’est sans aucun scrupule et avec un joli clin d’oeil à un détail de l’histoire que Brice Horteflammes choisit la ville de Vichy pour inviter ses homologues de la propreté nationale à disserter ensemble pour une meilleur harmonie européenne de la déportation. » (Tract du 28 février 2009 - Nîmes). Une directive européenne y est adoptée pour harmoniser la durée légale de rétention – qui est de 32 jours en France – à 18 mois.
« Un nouveau concept vient de sortir : la migration circulaire. En pratique cela se concrétise notamment par la délivrance de titres de séjour strictement limités aux contrats de travail. Le bâtiment recrute (Martin Bouygues a l’air satisfait de la motivation des travailleurs immigrés), alors qu’ils viennent faire des boulot de merde payés des miettes dont personne ne veut plus, puis retour à l’envoyeur. » (Tract du 28 février 2009 - Nîmes)
Dans cette guerre sociale, leurs auteurs ne se revendiquent pas « du côté » des indésirables mais « en être » : « L’entr’aide et la lutte ne peuvent ainsi se construire entre nous qu’à partir de bases de réciprocité et d’offensive ».

Ils dénoncent le rôle des associations, notamment de la Cimade qu’ils accusent de vivre directement de la misère de ceux qu’ils aident, de donner un visage juridique aux expulsions, de tenter de perfectionner le dispositif et certainement pas de le gripper ou de le supprimer. À raison de 4,5 millions d’euros par an reçu de l’État, on est loin du bénévolat mais dans la « cogestion de l’horreur des camps avec la police ». « La domination actuelle ne repose pas que sur le seul pouvoir de la matraque, mais fonctionne aussi sur la collaboration de chacun à son propre écrasement et sur l’intégration des mécanismes de contrôle. » La Croix Rouge est également accusée d’isoler, séparer et diviser, de garantir une issue en se pliant aux règles du jeu.

Les syndicats ne sont pas épargnés. La CGT qui encadre la grève des sans-papiers de 2008, invente tout simplement une circulaire et n’obtient que 2000 régularisations sur 3500 dossiers déposés, tandis que 2000 cartes de séjour seront obtenues en dehors des circuits syndicaux. Lors de la grève de 2009, le 24 juin, son service d’ordre parisien, encadré par la police expulse de force les centaines de personnes qui occupent la Bourse du travail depuis 14 mois.

Est également rapportée la répression disproportionnée, poursuites lancées par la section anti-terroriste pour des tags, une banderole suspendue à un pont, des distributeurs de billets détériorés.

Si l’argumentation devient par moment bavarde (mais peut-être n’est-ce qu’un effet d’accumulation provoqué par les documents nombreux et forcément redondants), les intentions sont claires et déterminées : « Dans cette guerre sociale qui se déroule au travail comme dans la rue, de jour comme de nuit, continuons de briser nos chaînes, ici comme partout : contre une société dans laquelle on devrait se tuer au turbin ou crever au chômage, être dressé à l’école et enfermé en prison, étouffer dans des tours de béton et subir l’occupation policière sans broncher. (…) Pour un mode sans maître ni esclave.
Contre tous les pouvoirs
Que vive l’insurrection !
(Affiche de janvier 2011)

Ces témoignages sont réunis pour être étudiés et pillés. Servez-vous !

LIBERTÉ POUR TOUS AVEC OU SANS PAPIERS
Une lutte contre la machine à expulser (Paris 2006-2011)
324 pages – 8 euros
Mutines Séditions – Paris – Juillet 2017
http:/mutineseditions.free.fr

https://bibliothequefahrenheit.blogspot ... .html#more
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Messagede bipbip » 04 Mar 2018, 17:52

Barzilai, « Refuzniks »

Lire : Barzilai, « Refuzniks »

Quarante-sept portraits de citoyens israéliens qui ont refusé de servir dans l’armée de leur pays sont photographiés, servis d’un texte percutant.

Des refuzniks comme on les appelle depuis que ce mouvement a essaimé avec la guerre du Liban. « Shministin, pacifistes, rescapés d’une tentative de suicide, réformés, réservistes », il faut du courage pour s’insoumettre dans un pays en état de guerre permanente où il est un devoir de protéger les frontières.

Le photographe Martin Barzilai a commencé ce reportage en 2008 dans le village de Ni’ilin où des manifestations contre le mur avaient lieu. La préface d’Eyal Sivan est éclairante sur la situation des insoumis : « Le numéro d’identifiant militaire est appelé tout simplement numéro personnel…  » Le professeur Leibovitz ajoute : « Ici, l’insoumission relève de l’héroïsme. » Taïr Kaminer, emprisonnée cent cinquante jours pour refus de servir une armée d’occupation raconte : « Cela fait partie de la problématique générale de ce pays, tout est relié à la peur. »

Que dire d’Omer Goldman, figure d’Antigone et fille d’un général membre du Mossad qui a passé deux mois en prison et dont le père promettait de venir lui jeter des cacahouètes en détention où il n’est finalement jamais venu la voir.

C. G.

• Martin Barzilai, Refuzniks, Libertalia, Paris, 2017, 197 pages, 20 euros.


https://www.alternativelibertaire.org/?Livre-Refuzniks
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 12 Mai 2018, 19:27

Le Mexique en mouvement(s)

Geoffrey Pleyers et Manuel Garza (coord.). México en Movimientos (Miguel Ángel Porrúa/UABJ Oaxaca/ Université de Ciudad Juárez, Mexico, 2017), 164 pp.

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C’est à grâce au travail de Jérôme Baschet[1] que les chercheurs et militants francophones connaissent la portée du mouvement néo-zapatiste au Mexique. Or, depuis plus d’une décennie, plusieurs mouvements sociaux ont fait irruption dans le paysage mexicain. A cet égard, le livre México en Movimientos (« Mexique en Mouvements »), coordonné par Geoffrey Pleyers, enseignant-chercheur à l’Université de Louvain, et Manuel Garza, professeur à l’Université Autonome d’Oaxaca, nous offre un aperçu socio-historique des principales expressions de ces mouvements émancipateurs.

Cela fait plus d’une décennie que le Mexique est qualifié d’« État failli », de « cimetière à ciel ouvert », d’ « administration de la misère » ou encore d’« État narco ». Si ces images font indéniablement partie de la réalité mexicaine, il est tout aussi vrai que le Mexique se révèle être un objet d’analyse particulièrement stimulant en matière de mouvements sociaux et de luttes populaires. Par conséquent, reconnaître la dynamique « thanatopolitique » de la modernité capitaliste implique d’identifier également les lueurs d’espoir projetées dans les « états de rébellions » des victimes. C’est précisément dans cette lignée que s’inscrit le livre México en Movimientos.

Composé de cinq parties, ce livre nous offre une importante cartographie des diverses luttes qui se développent dans quatorze états fédérés du pays.

La première partie, intitulée « Résistance et alternatives à partir des communautés », montre comment les racines communautaires continuent de jouer un rôle crucial tant dans l’usage du droit comme instrument contre-hégémonique (Gonzáles Hernández et Zertuche Cobos) que dans le recours à l’« autodéfense » (Ornelas) pour rompre avec les formes de clientélismes de longue date. De plus, nous observons que c’est dans la lutte (dans les assemblées, les barricades, dans le corps à corps) que se brise le continuum de l’histoire et que sont récupérées les subjectivités (Garza Zepeda). La commune de Oaxaca, les insurgés du village désormais autonome de Cherán et les « autodéfenses » du Michoacán questionnent les perspectives naïves qui rejettent le rôle de la « critique des armes », ce qui peut être traduit en langage benjaminien comme mettant sur un pied d’égalité la violence mythique et la violence divine.

La deuxième partie du livre, « Face à la violence », aborde non seulement les principales caractéristiques de la « violence systémique » et de la « violence systématique » (Constantino) mais également le processus de politisation des identités stigmatisées (Lamas). En analysant le travail de collectifs urbains (principalement de retraités, de familles de disparus, de la « Brigade de la rue »), les auteurs présentent différentes expressions de l’action collective. Le chapitre de López Aspeitia met quant à lui l’accent sur les mobilisations autour des disparitions forcées, montrant qu’elles ne se limitent pas à une expression de défense des droits de l’homme, mais qu’elles incarnent aussi une lutte pour la mémoire.

La troisième partie, « Mouvements paysans et résistances écologiques », a particulièrement retenu notre attention car elle présente de manière claire la « crise de civilisation » dans laquelle est plongé le Mexique d’aujourd’hui et met en relief les contradictions objectives du processus capitaliste de production et reproduction sociale, en analysant la particularité du développement du capitalisme -sous sa forme néolibérale- et « l’accumulation par dépossession » (terme popularisé par Harvey, mais qui trouve son origine dans les travaux de Rosa Luxemburg) qui contribuent à la reproduction élargie du capital.

Les contributions de Víctor M. Quintana et de Víctor Toledo analysent les luttes des communautés paysannes et indigènes comme des formes de résistance au modèle extractiviste. La notion de « territoire » est fondamentale pour comprendre la configuration de ces luttes car elle nous mène vers d’autres temporalités, d’autres visions du monde et d’autres formes d’organisation qui s’opposent à la modernité capitaliste. Il est difficile de ne pas faire référence au « tournant décolonial » quand un des auteurs soutient l’idée que : « il s’agit de batailles suprêmes car il n’existe pas de solutions modernes à la crise de la modernité » (p. 87). Il importe de mentionner que la dimension émotionnelle (Poma et Gravante) remplit une fonction importante dans le fleurissement de subjectivités différentes dans les conflits socio-environnementaux.

La quatrième partie du livre dévoile la fragilité du célèbre discours de la « transition démocratique » au Mexique. Depuis l’année 2000, le pays connait officiellement une « alternance au pouvoir », l’ancien parti-état (PRI) qui régnait depuis 1929 ayant perdu la présidence de la république de 2000 à 2012. Ainsi, nous sommes d’accord avec Torres-Ruiz lorsqu’il défend l’idée que nous devons éviter le faux dilemme entre représentation et participation, et que les partis politiques, y compris ceux de gauche (Morena et PRD) sont électoralistes/pragmatiques.

Nous souhaiterions cependant questionner la « perspective utilitariste » du politologue quand il mentionne que « chacun des mouvements [le mouvement zapatiste, la APPO (Appel populaire des peuples de Oaxaca), le Mouvement pour la Paix en Justice et Dignité, etc.] furent des moments extraordinaires de mobilisation et de force sociale, mais qu’au final, ils n’ont pas toujours rencontré le succès » (p. 113). A ce sujet, nous pensons tout comme le sociologue et économiste Jean-Louis Laville qu’il ne faut pas rendre responsable les mouvements sociaux de leur défaite, mais que cette responsabilité doit être endossée par chaque membre de l’humanité[2]. D’autre part, il ne faut pas non plus ignorer le degré d’insubordination citoyenne inédit depuis la Révolution de 1910 qui règne au Mexique, comme le signale dans son article Luis Hernández Navarro.

La dernière partie intitulée « Au-delà des politiques institutionnelles? » aborde également la relation des mouvements sociaux avec la sphère institutionnelle. L’usage des réseaux sociaux (Flores-Márquez) et d’internet comme « instrument de lutte » a été utilisé par de nombreux mouvements (zapatistes, Front de Défense de Wirikuta, réseau féministe “YoVoy8deMarzo”) pour rendre visible leurs revendications et contrer les médias traditionnels. D’autre part, Carmen Díaz Alba montre que le mouvement féministe ancré dans de nombreuses villes du Mexique se distingue par le fait qu’il conjugue l’intersection entre revendications féministes (oppressions de genre, de classe et de rase) avec la lutte contre l’hétéronormativité de la doxa dominante.

C’est précisément cet « imaginaire de ruptures » (Matamoros) qui revêt une importance particulière dans la reconfiguration constante d’un des plus importants mouvements surgis au Mexique à la fin du XXème siècle : le zapatisme. A ce sujet, la proposition des zapatistes et du Congrès National Indigène (CNI) de présenter une candidate indigène lors de la campagne électorale de 2018 nous oblige à prendre au sérieux les expériences accumulées par les communautés indigènes et, en ce sens, comme le signale F. Matamoros « là où certains voient les murs des institutions impossibles à franchir, d’autres y voient des multitudes de sentiers. Sentiers qui ne cheminent pas vers les mêmes chemins institutionnels, mais vers l’espoir des nouveaux paysages historiques de la lutte des classes » (p.137).

Il est évident que « l’élément éthique dans la démocratisation de la démocratie » (Pleyers) est bien présent au sein de ces luttes contemporaines. Au Mexique, comme dans de nombreux pays, on assiste à l’émergence d’une culture différente du militantisme, que l’auteur nomme « alter-activistes ». Selon G. Pleyers, « cette culture alter-activiste propose un activisme fortement individualisé et très solidaire, connecté dans les réseaux sociodigitaux et les résonnances globales. Simultanément, ils sont très actifs au niveau local dans la mesure où ils permettent l’implantation d’alternatives concrètes » (p.139). Nous sommes ainsi face à des « préfigurations » d’un autre genre qui nous permettent de comprendre « le politique » et comment faire « la politique » différemment.

Inscrit dans le projet éditorial openMovements porté par le comité de recherche sur les mouvements sociaux de l’Association Internationale de Sociologie, cet ouvrage ancre l’analyse dans des recherches empiriques menées au niveau local à travers le Mexique. Dans sa postface, Breno Bringuel souligne la pertinence de l’ouvrage pour comprendre les enjeux contemporains des mouvements et de la démocratie en Amérique latine. Il nous invite avec ce livre à dépasser l’eurocentrisme qui continue de caractériser les principales perspectives de la sociologie de l’action collective. Sans tomber dans le langage cryptique des spécialistes et en évitant la proximité avec les analyses biaisées, ce livre atteint les objectifs d’une sociologie des mouvements sociaux publique et globale: a) établir le lien entre les mouvements sociaux et l’analyse de la société; b) penser global de manière combinée dans des contextes, des échelles et des processus distincts; c) apprendre du Sud et dialoguer avec les acteurs et perspectives du Sud; d) contribuer à la production de connaissances à partir des mouvements sociaux et; e) nourrir le développement d’une sociologie publique.

A nos yeux, cet ouvrage contribue non seulement à l’analyse des mouvements sociaux contemporains, mais il permet aussi de saisir les enjeux qui traversent les luttes sociales au Mexique. En ce sens, il présente un éventail des formes d’organisation « par en bas »[3] que les recherches sur l’action collective oblitèrent trop souvent par une approche utilitariste des sciences sociales. Même si le degré d’intensité de ces luttes des classes (voir l’excellent prologue de John Holloway) varie en fonction du regard du chercheur ou de la chercheuse, (certains omettent l’« antagonisme structurant le monde capitaliste » alors que d’autres l’assument sans contraintes), nous pensons que cet ouvrage présente la morphologie des mouvements sociaux au Mexique, et, simultanément, renforce le sens des luttes anticapitalistes. Comme le souligne Holloway, cet ouvrage intéressera tant les spécialistes du Mexique que ceux qui cherchent à penser l’émancipation et à comprendre l’émergence de nouveaux acteurs sociaux au XXIème siècle.


Notes

[1] Jérôme Baschet, La Rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire, Paris, Flammarion, 2005 et Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes, Paris, La Découverte, 2014.

[2] Jean-Louis Laville, José-Luis Coraggio (dir.), Les gauches du XXIe siècle. Un dialogue Nord Sud, Paris, Le Bord de l’eau, 2016.

[3] Geoffrey Pleyers et Brieg Capitaine, Mouvements sociaux. Quand le sujet devient acteur, Paris, FMSH, 2016.


http://www.contretemps.eu/mexique-mouvements/
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Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 01 Juil 2018, 19:09

ZAPATISME : LA RÉBELLION QUI DURE

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Vingt ans après l’insurrection du 1er janvier 1994, la rébellion des indigènes zapatistes du Chiapas lutte toujours « pour la dignité » et « contre le capitalisme ». Bilan et perspectives.

Dans son éditorial, Bernard Duterme, coordinateur de ce numéro, rappelle comment en novembre 1983, une poignée de guérilleros créent l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) au fin fond de l’État du Chiapas, région dans laquelle les animateurs sociaux du diocèse catholique de San Cristobal de Las Casas, inspirés par la Théorie de la libération, sont aussi à l’oeuvre depuis de nombreuses années puis, comment, dix ans après la rébellion, résignés à se voir trahis par la non-application des accords de San Andrés, signés par le gouvernement mexicain et les commandants rebelles le 16 février 1996, les zapatistes créent leur propres organes d’auto-gouvernement, radicalement étanches aux instances et interventions de l’État, « autonomie de fait » exercée depuis dix ans sur un territoire de la taille de la Belgique, concernant 250 000 personnes peuplant les vingt-sept Municipalités autonomes rebelles (MAREZ), soit 22% de la population indigène du Chiapas.

Gilberto Lopez y Rivas consacre son article à rapporter et analyser précisément l’enchainement de ces évènements. Il identifie la contre-réforme de l’article 27 de la Constitution mexicaine, ouvrant la voie à la privatisation des terres ejidales (structures de gestion communale des terres inscrites dans la Constitution en 1917) et communales, comme une des causes de l’insurrection des Mayas zapatistes. Les opérations militaires de l’EZLN n’ont duré que douze jours, au contraire des schéma classique des guérillas d’Amérique latine. De la même façon, les négociations qui ont conduit à la signature des accords, ont eu lieu du 20 avril 1995 au 12 août 1996, en présence de représentants de quarante peuples indigènes délibérants par consensus, ont fait apparaître de nouvelles façons de penser et de faire de la politique, au-delà de la dichotomie fatale entre cooptation et répression, entre « plata o plomo » (argent ou plomb). Les zapatistes disposent d’une stratégie, l’autonomie, légitimée par ces accords trahis, pour résister aux politiques néolibérales et proposer un projet civilisateur différent de celui offert par le capitalisme globalisé. Les gauches institutionnelles, lorsqu’elles parviennent à l’alternance, mettent en oeuvre des programmes paternalistes pour amortir le néolibéralisme mais sans toucher au pouvoir de fait du capital et de ses élites. L’autonomie remet en question l’intégrationnisme assimilationniste et le différentialisme ségrégationniste.

Neil Harvey s’attache à montrer comment les zapatistes, en rejetant le corporatisme, le clientélisme et le « caciquisme », ont posé autrement la question du pouvoir et créé de nouvelles manières de faire de la politique, comment l’autonomie s’avère plus être un « mécanisme d’inclusion dans un nation reconstituée » qu’une rupture.

Après ces articles généraux qui permettent de comprendre le mouvement zapatiste, la sociologue Alejandra Aquino Moreschi analyse l’engagement individuel en suivant Pedro, un jeune paysan, père de famille. Lorsque le président Carlos Salinas modifia l’article 27 de la Constitution en 1992, comme beaucoup de paysans, il a perdu l’espoir de bénéficier un jour d’une dotation de terres par la lutte pacifique et voit la lutte armée comme seule alternative. Son engagement s’est converti en essence même de son identité : le port de la cagoule paradoxalement assurait reconnaissance et fierté. Le 9 février 1995, l’armée mexicaine occupa son village et les indigènes durent fonder un hameau clandestin dans la forêt. L’exil dura six ans. C’est au retour qu’il connaitra comme tant d’autres le burn out, un profond désespoir face à l’impossible dialogue avec le gouvernement qui le poussera à émigrer aux États-Unis. Cette enquête est fort intéressante car elle permet d’appréhender comment les militants vivent leur lutte au quotidien, pratique émancipatrice puis projet de vie.

Raul Zibechi analyse les continuités et les évolutions de la politique zapatiste qui se situe en dehors des marqueurs institutionnels classiques et ne se contente pas de « préfigurer » un « nouveau monde » mais tente de le construire dès à présent. Elle s’inscrit dans la tradition de résistance de Franz Fanon qui oppose l’oppresseur à l’oppressé. Les zapatistes divisent le monde entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas, « ceux d’en haut et ceux d’en bas », catégories qui traversent toutes les autres : genre, ethnie, classe, sexualité, race, nationalité. Ils rejettent le concept de citoyens qu’ils considèrent comme trompeur car effaçant les différences sociales. Ils sont opposés à la realpolitik électorale : « Nous ne voulons pas seulement changer de gouvernement, nous voulons changer de monde. » Cette culture politique ne peut pas être enseignée de façon traditionnelle (tracts, livres, conférences) mais par immersion, partage et engagement, c’est pourquoi a été mise en place l’Escuelita qui doit transmettre les sept principes du « diriger en obéissant » (mandar obedeciendo):

Servir et non pas se servir,
Représenter et non pas supplanter,
Construire et non pas détruire,
Obéir et non pas commander,
Proposer et non pas imposer,
Convaincre et non pas vaincre,
Descendre et non pas monter.

Il évoque les dispositifs de santé, les programmes d’éducation et constate que les communautés ne connaissent plus la faim, qu'elles se nourrissent mieux et parviennent à épargner. Les « projets productifs » sont envisagés sous l’angle de la « résistance économique » dans le but de maintenir l’autonomie : « l’objectif principal des communautés indigènes n’est pas la production, mais la survie en tant que communautés ». La zapatisme ne produit pas le capitalisme dans ses territoires. Il ne se contente pas de combattre « le système » mais de construire une « pratique générant un sens collectif et conférant de la légitimité (…) aux processus et aux structures propres de l’auto-gouvernement ».

Jérôme Baschet fut un des 5 000 élèves accueillis dans les villages rebelles pour une session de l’Escuelita. Il a rapporté son expérience dans ENSEIGNEMENT D’UNE RÉBELLION : La Petite école zapatiste dont nous avons déjà rendu compte.

Sylvia Marcos revient sur l’adoption de la « loi révolutionnaire des femmes » diffusée le 1er janvier 1994, évalue les progrès et les limites après vingt ans d’application. Il ne s’agissait pas de corriger les « mauvaises habitudes » mais bien de remonter aux racines : l’exploitation par les grands propriétaires terriens. Dans le mouvement zapatiste, la femme occupe une place centrale et visible.

Gustavo Esteva explique comment le soulèvement zapatiste a créé une alternative à la mondialisation néolibérale et ouvert une voie à l’espoir. « Les zapatistes défient, en paroles et en actes, tous les aspects de la société contemporaine. Ils révèlent la cause principale des crises actuelles et aident à démanteler le discours dominant. Ils sapent le capitalisme, l’État-nation, la démocratie formelle et toutes les institutions modernes. » « Déterminés à réorganiser le monde d’en bas vers le haut, en s’adressant d’abord aux populations elle-mêmes, ils mettent en évidence le caractère illusoire et contre-productif des changements conçus et mis en oeuvre du haut vers le bas. » Parce que les pouvoirs en place accentuent le pillage et l’exploitation des majorités, menacent la survie même de l’humanité, la lutte actuelle doit prendre une forme anticapitaliste comme condition de survie. La promesse radicale des zapatistes n’est pas une « nouvelle construction idéologique d’avenirs possibles », elle s’autoréalise continuellement dans les faits. S’il est difficile de changer le monde, il est possible d’en créer un nouveau, « un monde sans exploitation ni classes sociales, sans oppression ni hiérarchie (sauf celle du service aux autres) et au sein duquel la mentalité patriarcale et sexiste a été complètement brisée, un espace qui n’est déjà plus une utopie, car il a sa place dans le monde ».
« Si l’on considère que l’État de droit n’existe que dans les sociétés où tous les membres du corps social connaissent et acceptent les règles qui régissent leur vie, et que ces règles sont universellement appliquées de manière juste et équitable, nous devons reconnaître qu’aucune société actuelle, à l’exception de la société zapatiste, ne vit dans un État de droit. »

Alicia Castellanos Guerrero analyse comment et pourquoi le zapatisme est une référence majeure des luttes actuelles : une « utopie concrète » face à l’idée d’impossibilité qui domine l’imaginaire sociale et démobilise l’action collective, face à l’aggravation de la crise de civilisation du système capitaliste.


ZAPATISME : LA RÉBELLION QUI DURE
Points de vue du Sud
Alternatives Sud – Volume 21-2014/2
210 pages – 13 euros
Centre Tricontinental et Éditions Syllepse – Louvain-la-Neuve/Paris – Mai 2014


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