La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 19 Fév 2009, 08:29

La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Histoire du mouvement anarchiste 1945-1975 de Roland Biard
Editions Galilée pages 117-124


Dès le congrès de la F.A. de 1951, l'Organisation Pensée Bataille s'était emparé de la majorité du Conseil national. La mainmise fut définitive au Congrès de 1953 qui vit l'exclusion des derniers opposants : les groupes d'Asnières et du dix-huitième (Louise Michel) ainsi que celui de Bordeaux.

Un « référendum » organisé après le Congrès entérine le changement de nom. Par 71 mandats contre 61, la F.A. devient Fédération Communiste Libertaire. Le terme de « mandats » ne doit pas tromper, il s'agit en fait de vote exprimés par militant. La nouvelle F.C.L. compte donc dans les 130/160 militants, compte-tenu de ceux qui n'ont pas participé à la consultation. Le Mémorandum du groupe Kronstadt déjà cité permet de localiser ces militants pour l'année considérée. La F.C.L. compte seize groupes répartis de la façon suivante :

Région parisienne, neuf groupes : Paris -centre, Paris-18ième, Paris-14ième, Paris-Nord, Paris-19/20ièmes, groupe d'entreprise Thomson, Choisy, Boulogne, Aulnay-sous-Bois.

Province, sept groupes : Toulouse, Mâcon, Clermond-Ferrand, Thiers, Lyon, Narbonne, Villeneuve-sur-Yonne.

L'O.P.B. « contrôle » un certain nombre de groupes (le nombre de ceux-ci varie suivant les sources !), particulièrement dans la Région parisienne. Cette majorité lui permet de faire adopter un certain nombre de documents dont le principe est le Manifeste communiste libertaire de Georges Fontenis.

L'élément le plus controversé de ce texte est celui concernant la définition du rôle de l'organisation. Il apparaît à la lecture que le rôle essentiel, dans la Révolution, est dévolu à l'organisation spécifique :

« ... également éloignés du spontanéisme, de l'empirisme et du volontarisme, nous fondons la nécessité de l'organisation anarchiste révolutionnaire conçue comme l'avant-garde consciente et active des masses populaires... »

L'avant-garde a deux tâches principales : celle de développer la capacité d'auto-organisation des masses, et une fonction de direction :

« Ainsi, la minorité en participant à toutes les formes de résistance et d'action (qui peuvent aller, suivant les conditions, de la revendication au sabotage, de la résistance sourde à la révolte) garde la possibilité d'orienter et de développer les moindres mouvements... »

« Son rôle de guide doit se concevoir comme consistant à formuler, à exprimer une orientation idéologique, organisatrice et tactique, orientation précisée, élaborée, adaptée sur la base des aspirations et des expériences de masse... »

L'ensemble de ces thèses font de l'organisation libertaire à la fois l'expression idéologique et la direction politique des masses en lutte.

Mais ceci n'empêche l'auteur du Manifeste d'inscrire son texte dans la tradition libertaire :

« (on trouvera) l'essentiel de la pensée des premiers fondateurs et des meilleurs théoriciens du communisme anarchiste : Bakounine, Kropotkine, Malatesta... on y retrouvera, parfois presque mot pour mot, des passages des « Statuts de l'Alliance » de Bakounine, on y retrouvera ce qui peut être retenu de fondamental dans les idées de la « Plate-Forme » de Makhno et de ses compagnons... on y retrouvera les points principaux et l'esprit du Pacte d'Alliance et du Programme qui présidèrent à la naissance en 1920 de l'Union Anarchiste Italienne, on y retrouvera les thèses défendues aujourd'hui en Italie par les Groupes Anarchistes d'Action Prolétarienne, l'esprit et les conceptions du mouvement espagnol et de ses expériences de 1936... On y retrouvera enfin le développement des principes qui animent le mouvement communiste anarchiste révolutionnaire en France, tel qu'il s'est dégagé des luttes de tendances, sutout depuis 1913... »

La multiplicité des références traduit surtout la volonté de l'auteur de se concilier certaines tendances du mouvement anarchiste international. Il n'ya en effet que fort peu de points communs entre les textes et les hommes cités dans ce texte. En tout état de cause, aucun d'entre eux n'avoue une orientation aussi avant-gardiste que celle du Manifeste. La définition de l'organisation est plus léniniste qu'anarchiste. Jean Maîtron parlera à propos du Manifeste communiste libertaire d'un « effort de synthèse entre l'anarchisme et le léninisme », ce qui semble, en effet, en caractériser parfaitement l'esprit !

L'orientation de plus en plus léniniste de la F.C.L. s'accentue à partir de 1953.

En 1954, sera publié le « Programme ouvrier » de la F.CL. dénoncé par le groupe Kronstadt comme une pâle copie du programme revendicatif de la C.G.T. Cette tendance à prendre le P.C.F. et la C.G.T. comme modèles sera un leitmotiv constant. Dès 1953, la F.C.L. reprend à son compte le mot d'ordre de « convocation extraordinaire du Parlement »... à propos des grèves de l'été. À plusieurs reprises, les groupes F.C.L. proposent « l'unité d'action » aux cellules du P.C.F. Ou de l'U.J.R.F. (cas du groupe du 19ième, de celui d'Elbeuf...).

La rupture avec le mouvement anarchiste international allait intervenir dès 1954. Devant l'inefficacité – voire la quasi-disparition de l'Internationale anarchiste - , la F.C.L. crée sa propre Internationale : L'Internationale communiste libertaire.

Du 5 au 7 juin, un Congrès est réuni à Paris. Trois « pays » sont représentés : la France, l'Italie et l'Espagne, mais une seule organisation participe à l'I.C.L. : la F.C.L., les autres participants ne représentent qu'eux-mêmes. Par la suite, une « section espagnole » sera mise sur pied et les G.A.A.P. Italiens rejoindront l'Internationale. Il ne semble pas qu'il y ait eu un deuxième Congrès. Le « Conseil » de l'I.C.L. a tenu, quant à lui, deux réunions (septembre 1955 et avril 1956) et publié dans Le Libertaire deux longues déclarations.

En 1955, un texte intitulé « Zimmerwald 1915-1955 » met l'accent sur les « mots d'ordre » de l'« I.C.L. » :

l'« Unité » ;
l'« Opposition ouvrière » (opposée à l'opposition légalitaire constitutionnaliste « constructive » à l'Etat capitaliste) ;
« Direction révolutionnaire » : « Pour que se lève une direction révolutionnaire, il faut un long et patient travail, et l'I.C.L. appelle tous les travailleurs à contribuer à cette oeuvre. »

En 1956, le Conseil publie un document intitulé « L'I.CL. et le Xxième Congrès du P.C. Russe » qui contient des appréciations étonnantes du genre :

« La bureaucratie russe liquide le stalinisme pour s'éloigner plus encore des positions d'octobre 1917... »...

« (les décisions du Xxième Congrès)... entraînet le passage OFFICIEL des partis communistes dans le camp du réformisme... »

« ... (Le Xxième Congrès)... ouvre une crise de transition à l'intérieur de la société soviétique et des partis communistes... »

Le texte conclut en indiquant que le rôle de l'I.C.L. est le « travail normal d'éclaircissement », et la « récupération des militants communistes-révolutionnaires ».

La F.C.L. passera de la théorie à la pratique. En 1956, elle contacte André Marty qui vient d'être exclu du P.C.F. Celui-ci collaborera à quelques uméros du libertaire... mais sans rien renier de son action passée ! Tout au plus apporterat-il quelques éléments critiques sur le P.C.F. en dénonçant les pratiques bureaucratiques de l'appareil dirigeant de celui-ci. André Marty, après quelques trente-cinq années de participation à ces hautes sphères, n'accouche que d'une souris !

Ce ne seront pas ces prises de position qui provoqueront la crise finale de la F.C.L. l'élément fondamental de désagrégation de cette organisation fut, sans aucun doute, la participation de cette organisation aux élections législatives de 1956. Cette participation ne peut être évidemment dégagée de son contexte politique. L'orientation de la F.C.L., ses prises de position tout au long des années 1955 et 1956, pouvaient permettre de déceler les justifications théorico-politiques de la présentation de candidats. De 1953 à 1956, l'évolution est cependant brutale. En effet, à l'occasion des élections municipales de 1953, la Fédération anarchiste avait publié un manifeste condamnat celles-ci sans appel :

« ... Ces élections sont une imposture... »

« Aux travailleurs qui ... voudront voter en pensant choisir un moindre mal, nous rappelons que la droite c'est la réaction et la gauche, la trahison. Nous disons : votez donc, mais ce ne sera qu'une expérience de plus. Abstention massive ! Non parce que nous nous désintéressons des questions communales, mais au contraire parce que tout le régime est en cause et que ces élections ne sont qu'une imposture... »

L'appel à l'abstention n'eut jamais beaucoup d'écho en France lorsqu'il n'émane que des minorités révolutionnaires. En 1953, le taux d'abstention ne fut ni plus faible ni plus fort que d'habitude. Certains interprétèrent ce résultat comme un échec et commençèrent à préconiser une « tactique plus souple ». A partir de 1955, et en fonction de l'échéance de janvier 1956, la question des élections commence à être débattue dans les bulletins intérieurs. En mars 1955, le groupe de Maisons-Alfort-Alfortville publie une motion destinée à « ouvrir la discussion ». Le Congrès de 1955 entérine une prise de position dans le même sens.

Un des opposants à la majorité de la F.C.L., qui s'en retirera en 1955 pour rejoindre ce qui formeront les G.A.A.R., raconte dans Noir et Rouge le cheminement politico-idéologique qui devait conduire à la présentation d'une liste de candidats dans la première circonscription de la Seine.

« C'este le 27 octobre 1955 que la position F.C.L. sur le problème électoral passa du stade intérieur au plan public, par l'intermise du Libertaire. Ce fut d'abord quelque chose d'anodin, bien-sûr, un article qui se terminait ainsi : « Un député ouvrier ne doit pas entrer dans le jeu parlementariste de la classe bourgeoise. Il sait que ses interlocuteurs sont de mauvaise foi, qu'il n'y a pas de compromis parlementaire, qu'il doit appuyer l'action directe des travailleurs. » (Le Libertaire numéro 450, Explication du vote et pantomime parlementaire M.H.)

« en plus d'une incontestable contradiction dans tous les termes de cet épilogue, l'idée du « député-ouvrier » était donc avancée. Les Lib suivants allaient étoffer tout ça, pour commencer par une suite d'articles : « La F.C.L. et le Front populaire (Lib numéros 451-452-453 G.F.) » et surtout par les éditoriaux beaucoup plus directs. Celui du 17 novembre devenait encore plus précis et la future participation électorale de la F.C.L. s'y devinait avec transparence. Après le numéro du 8 décembre où une convocation extraordinaire du Conseil national de la F.C.L. en « raison de la gravité des circonstances et de la proximité de la campagne électorale » était annoncée, c'était la confirmation officielle du 15 décembre où le Lib déclarait : « la F.C.L. entre en lutte » avec une présentation d'une liste de dix candidats et ouverture d'une souscription spéciale pour la campagne qui s'ouvrait ainsi.

...

« Ajoutons que, par divers camarades, nous apprîmes que la particpationà ces élections n'avait pas été décidée sans tiraillements, certains « pour » au Congrès (Congrès de mai 1955 où la discussion sur ce problème avait été abordée d'une façon théorique) brutalement mis au pied du mur commençaient à réaliser les difficultés de l'entreprise. »

Les résultats électoraux de la F.CL. furent maigres. La liste « présentée par le Libertaire » obtient 2219 voix (moyenne de la liste) sur 457 266 suffrages exprimés, soit 0,5% de ceux-ci. Elle arrive en dixième position sur dix-neuf listes présentées (dont quatre listes « bidons » destinées au « jeu des apparentements »)... juste avant celle des « Amis du Christ » (1132 voix).

La F.C.L. pavoise cependant en déclarant trimphalement que plus de 3000 suffrages ouvriers se sont portés sur ses candidats !

Mais l'échec est patent et provoque la désaffection croissante des militants. De 1956 à 1958, la F.CL. Participera activement aux luttes contre l'envoi du contigent en Afrique du Nord. Le Libertaire sera plusieurs fois saisi et Georges Fontenis condamné à de fortes amendes. La crise de conscience des militants communistes libertaires après les élections, la répression, les difficultés financières ont bientôt raison de la F.C.L. En juillet 1956, la publication du Libertaire est suspendue,la F.CL. abandonne ses locaux. Réduite à l'état d'un groupe, elle fera encore paraître deux numéros d'une revue Le Partisan, pour disparaître définitivement au début de 1958.

Les militants de la F.CL. à cette date ont déjà rejoint d'autres organisations. Les communistes libertaires et les anarchistes ont rejoint soit les groupes d'« exclus » (groupe Kronstadt, groupe de Mâcon) qui fonderont en 1956 les Groupes Anarchistes d'Action Révolutionnaire. D'autres, recrutés au moment de la « campagne électorale » déçus par l'inefficacité chronique de la F.C.L. rejoindront le P.C.F. Enfin, beaucoup d'autres disparaîtront dans la nature. Certains d'entre-eux reparaîtrons en 1968 et seront à l'origine du Mouvement Communiste Libertaire.
Modifié en dernier par vroum le 26 Mai 2009, 15:56, modifié 1 fois.
vroum
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 20 Fév 2009, 13:56

L'Organisation Pensée Bataille (O.P.B.)

Extraits du « Mémorandum du groupe Kronstadt »

L'O.P.B.

L'O.P.B. (Organisation « Pensée Bataille »), c'est le parti clandestin qui, actuellement dirige notre F.C.L.

Ce parti s'est constitué secrètement en janvier 1950 à l'intérieur de la Fédération anarchiste dans le but de transformer celle-ci en organisation de lutte de classe.
Composé d'un petit nombre de militants (dix-sept à l'origine), l'O.P.B. S'est révélée dès le départ, grâce à son caractère secret, un instrument de noyautage efficace pour conquérir les postes responsables locaux, régionaux et nationaux. 18 mois après sa création, au congrès de Lille (1951), l'O.P.B. S'assurait le contrôle absolu de la Région Parisienne.

Ces résultats ont été possibles pour deux raisons majeures :

1)le manque de vigilance de la part des groupes ;

2)l'organisation quasi-militaire de l'O.P.B.

Depuis 1945, l'histoire de la F.A.F. n'est qu'une suite de concessions faites, congrès après congrès par les anarchistes aux responsables nationaux qui, d'années en années, élargissaient les pouvoirs du Comité National (C.N.) au point d'en faire l'outil essentiel de l'Organisation, non seulement d'ordre administratif, mais encore d'ordre idéologique. A la naissance de l'O.P.B., les groupes usaient de leurs droits élémentaires d'examen des activités du C.N.

L'O.P.B., parti clandestin, a ses propres statuts et déclaration de principes. Elle dispose de militants qui, selon les statuts, avant d'être membre de la F.A. sont « avant tout aux ordres de l'O.P.B. ». Elle a à sa tête un bureau composé de trois membres. Les cotisations obligatoires sont de 500 à 2 000 francs par mois et par militant. Ces cotisations donnaient à l'O.P.B. Des moyens financiers solides, utilisés par exemple pour financer les déplacements des membres O.P.B. Les adhésions à l'O.P.B. Se font par cooptation après enquête sur le passé du futur militant et sur propositions de deux parrains.

Les assemblées plénières de l'O.P.B. ont lieu tous les 15 jours, parfois toutes les semaines. Ces réunions sont obligatoires pour tous, les décisions qui y sont prises sont exécutoires par tous, y compris ceux qui ont voté contre : le bureau de l'O.P.B. est d'ailleurs chargé de faire respecter par les militants ces décisions qui sont appliqués dans la F.A.F. (dans les groupes, au Comité de la Région Parisienne, et au Comité National).

Dans les groupes, les militants O.P.B. doivent s'assurer les secrétariats, inciter, en montrant l'exemple, au collage et à la criée, détecter les éléments suscptibles d'entrer à l'O.P.B. Dans les groupes encore, les militants O.P.B. font adopter des motions allant toutes dans le même sens en vue des congrès.

Dans les comités responsables, notamment au C.N. les militants O.P.B. s'efforcent de l'emporter sur les militants F.A.F. par des votes majoritaires jusqu'au moment où le C.N. sera totalement sous le contrôle du parti clandestin.

Les groupes Paris 19ième, Paris-Est, Paris 14ième, Paris 18ième, Sacco et Vanzetti, Boulogne-Billancourt, Paris-Centre, Paris-Nord, F.A.4 (Marseille) et Narbonne sont noyautés par l'O.P.B. Et votent ensemble dans les congrès s'assurant facilement la majorité devant les autres groupes plus nombreux mais divisés.
Après le congrès de Bordeaux, la victoire de l'O.P.B. est totale. Ceux qui ne peuvent rester dans la F.A.F. se retirant et se groupant autour de l'Entente anarchiste.
Toutefois au cours des années 1950, 1951, 1952, 1953 et 1954, le parti clandestin connaît des crises internes. Sur les 17 militants réunis lors de la création de l'O.P.B., il n'en reste en 1954, que six dont trois sont aujourd'hui les 3 membres du bureau de l'O.P.B. Le parti clandestin a facilité les ambitions personnelles : peu à peu, le caractère collégial de l'O.P.B. a fait place à l'autorité d'un seul : le secrétaire de l'O.P.B.

lors de sa fondation, le parti clandestin avait comme but de propager « l'Anarchisme social », il n'était nullement question d'utiliser le matérialisme historique comme base idéologique ni de vider la F.A.F. de son contenu fédéraliste pour y substituer un centralisme bureaucratique tel que nous le connaissons actuellement dans la F.C.L.
Pourtant cette évolution s'est faite logiquement : l'orientation en était prise dans le moment où l'O.P.B. se constituait en dehors des principes et statuts de la F.A.F. pour entreprendre un travail de noyautage.

Les antécédents de l'O.P.B.

Il serait faux de penser que dans la F.A.F. le fédéralisme était respecté avant janvier 1950, date de la création de l'O.P.B. Avant janvier 1950, il existait déjà un organisme clandestin dont les membres cooptés étaient incontrôlés par la F.A.F. Cet organisme secret était cependant admis par l'ensemble du mouvement... il s'agit du groupe d'auto-défense.

Le groupe d'auto-défense, placé théoriquement sous la responsabilité du Secrétaire général de la F.A.F. jouissait dans la pratique, de l'autonomie la plus complète et ne rendait de comptes à personne. Dans les congrès comme au comité national, le groupe d'auto-défense était un sujet tabou.

Quelles étaient les attributions de ce groupe ? Chargé soi-disant d'assurer la sécurité de la F.A.F. en temps de paix comme en temps de guerre, le groupe d'auto-défense, sorte de gendarmerie anarchiste, a surtout permis la réunion d'un groupe de militants qui, par la suite, au sein de l'O.P.B. se sont bien vite élevés au rang de policiers politiques.

On peut dire sans exagération que l'O.P.B. est fille de ce groupe d'auto-défense qui, dans la F.A.F., n'a jamais été combattu mais au contraire toléré par tous, malgré son caractère opposé aux principes généraux de la Fédération.

Conclusions sur l'O.P.B.

Il y a seulement deux façons d'analyser l'affaire O.P.B. avant que l'on considère les agissements fractionnels, secrets et autoritaires avec un préjugé favorable ou défavorable. En effet, on ne peut pas évoquer d'autres raisons ou d'autres critères quant au fond de l'affaire. Le fond simple et clair, c'est le fait même : quelques militants ont organisé une société secrète au sein d'une Fédération anarchiste avec un bureau directeur, répartition des tâches, gestion, discipline quasi-militaire, statuts et objectif, ainsi qu'un but final inavoué et inavouable. Il est difficile, en effet, de prouver péremptoirement que ce but final : la bolchévisation, la prise de direction de la Fédération se trouve à la base de l'O.P.B. pour certains, cela est suffisamment rassurant seulement, il se trouve que dans une question d'ordre idéologique et organisationnel, nous n'avons aucun droit de nous préoccuper des intentions peut-être sincères à l'origine mais qui n'étaient pas pour autant moins déviationnistes dès le départ. On ne peut pas introduire dans une analyse politique la notion sentimentale des « bonnes intentions » et surtout nous ne pouvons pas le faire en tant que militants conscients quand il est question tout simplement des agissements totalement opposés à la base même à la doctrine anarchiste. Croire ou faire semblant de croire qu'on arrivera à mettre sur pied une organisation libertaire et fédéraliste en agissant en cachette et derrière le dos des camarades, en passant par dessus la tête des groupes et assemblées contrairement à tous les principes fédéralistes, s'assurer le contrôle bureaucratique de l'appareil organisationnel, croire qu'en organisant la dictature, on se bat pour la liberté, ne peut avoir d'autre signification que la naïveté ou alors l'absence totale de formation politique anarchiste.

Devant l'absurdité complète de cette situation, nous ne pouvons que constater – et tous les camarades conscients le feront avec nous – que tous les membres de l'O.P.B. par le seul fait d'appartenance à cette clique cessaient d'être des militants anarchistes en vertu des statuts aussi bien anciens que présents en vertu de toutes les déclarations de principes depuis que le mouvement existe, y compris même la dernière. Nous réviserons nos positions envers ces camarades et nous les considérerons comme réintégrés au sein de la Fédération aux conditions nécessaires et suffisantes suivantes :

1)Reconnaître que l'appartenance à un groupement clandestin autoritaire, au sein du mouvement anarchiste est contraire à l'idéologie que nous défendons. Reconnaître que l'erreur provient du fait même de l'appartenance à un tel groupement et non de considérations de résultats ou de points de détail. Le principe de ces méthodes doit être condamné par une analyse idéologique sérieuse faîte ou acceptée par ces camarades.

2)Continuer à travailler au sein de la Fédération comme tout autre militant.

Nous sommes obligés de constater que S. Ninn et L. Blanchard, militants du groupe Kronstadt restent les seuls anciens membres de l'O.P.B. qui satisfont à ces conditions. Notons de plus que ces deux camarades ainsi que le camarade Léo, étaient exclus de l'O.P.B. depuis février 1953 à cause de leur attitude anti-autoritaire et à cause de leur position idéologique anarchiste.

Il serait logique d'arrêter là notre analyse et de citer pour finir une phrase de Malatesta, admirable par sa justesse et par son actualité :

« Marcher vers l'anarchie ne peut pas signifier le reniement de l'anarchisme à travers la constitution d'un gouvernement de soi-disant anarchistes. Il faut tendre vers ce que l'on veut en faisant ce que l'on peut. »

in Pensiero e volonta # 4, Rome, du 15 février 1924
vroum
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 20 Fév 2009, 13:58

Statuts de l’O.P.B. (1949)

Texte reproduit en annexe du livre de Georges Fontenis, L’Autre communisme..., op. cit., p. 292-294.

Les présents statuts ont été conçus à l’échelle des effectifs actuels et sont susceptibles de modifications en cas d’expansion d’O.P.B., sauf en ce qui concerne les principes et les buts.

I. Buts de l’organisation

L’organisation régie par les présents statuts rassemble des militants de l’anarchisme social en vue de travailler à la réalisation du but suivant : transformer les mouvements anarchistes le plus possible dans le sens d’organisations efficaces et sérieuses défendant un corps de doctrine cohérent, pouvant être ainsi résumé :
La construction d’une société anarchiste suppose une période de lutte révolutionnaire plus ou moins longue, plus ou moins violente, de prise par le peuple des moyens de production, d’échange, de répartition, de transmission. Pendant cette période, le peuple exerce un pouvoir révolutionnaire direct diamétralement opposé au pouvoir d’État, État étant entendu dans son sens historique de domination de l’ensemble de la Société par un appareil exerçant son autorité en dehors de toute volonté ou contrôle réels du peuple !

Les organes de ce pouvoir direct sont les organisations populaires fédérales (comités de lutte révolutionnaire, conseils, syndicats, communes, coopératives, etc...) avec les seules centralisations imposées par la nature même des relations à établir. La pratique du peuple organisateur s’oppose ainsi à la naissance et au développement d’une bureaucratie permanente et privilégiée, la pratique du peuple en arrmes - milices populaires contrôlées par tous les organismes économiques et sociaux - s’oppose à l’existence d’une caste militaire ou policière séparée du peuple.

La volonté de suppression des classes, des privilèges et d’autre part les nécessités de la vie sociale dans un monde hautement industrialisé et technicien conduit à résumer la volonté de transformation anarchiste par la formule suivante : Equivalence des conditions, hiérarchie ou spécialisation des fonctions, étant bien entendu que les techniciens, tant dans le domaine administratif qu’industriel ou de la lutte violente, ne peuvent avoir d’autorité que technique, que d’autre part les éléments les plus marquants, montrant le plus d’initiatives dans la lutte ou la construction ne peuvent avoir d’autorité que technique, que d’autre part les éléments les plus marquants, montrant le plus d’initiatives dans la lutte ou la construction ne peuvent avoir d’autorité que morale et du consentement de tous.

II. Modalités de l’action

Article 1 : Le but des militant de l’O.P.B. peut être atteint à la fois en défendant son programme et en donnant l’exemple du sérieux, de la discipline (c’est-à-dire du respect des engagements pris), de la cohérence, du dévouement !

Article 2 : O.P.B. est considérée par tous ses membres comme leur point de ralliement essentiel, leur base commune de travail la plus solide. En conséquence, un militant de O.P.B. ne pourra appartenir à aucune organisation ou liaison dont les buts sont contraires à ceux de l’O.P.B. sauf en cas de délégation de celle-ci. Dans toute organisation, même dans celles dont les principes seraient voisins de O.P.B., un militant de l’O.P.B. sera d’abord au service de O.P.B.

Article 3 : Dans leur action, O.P.B. et ses militants ne doivent en aucun cas laisser supposer l’existence de la liaison, O.P.B. est une organisation de caractère secret.

Article 4 : Dans les mouvements anarchistes, les militants O.P.B. doivent viser d’abord à répandre leur programme, à acquérir l’influence à la base. Ils doivent donc être présents et actifs dans leurs groupes, commissions, assemblées, congrès, etc. Ils doivent aussi accepter les responsabilités à tous les échelons s’ils sont capables de les assumer, mais cette acceptation doit être décidée en commun, au sein de O.P.B.

III. Fonctionnement

On ne peut appartenir à O.P.B. par simple adhésion mais par cooptation prononcée après enquête et à la majorité des deux tiers. Un militant coopté doit répondre à tout questionnaire fixé par l’organisation. Les seules sanctions sont : l’avertissement, la suspension pour un temps d’au moins six mois ou l’exclusion.

La démission n’est acceptée que si O.P.B. n’a rien à reprocher au démissionnaire, sinon, il y a lieu de prendre une sanction d’exclusion.

Tout militant en activité, suspendu, exclu ou démissionnaire doit observer le secret absolu sur O.P.B. et les militants qui la composent. Tout manquement à cet égard entraîne les mesures judiciaires adéquates par O.P.B. et pouvant aller jusqu’à la suppression en cas de dénonciation mettant en danger la sécurité des militants.
La structure de l’O.P.B. est la suivante :

L'O.P.B., en assemblée générale, élabore chaque année (ou semestre, ou trimestre) le plan des activités de l’organisation. Elle élit un responsable du Plan, un responsable au Contrôle et un conseiller.

En assemblée générale, comme à tous les échelons, les décisions sont prises à la majorité absolue.

Le responsable au Plan, le responsable au contrôle et le conseiller constituent le Bureau de l’organisation. Le bureau est chargé de mettre au point les moyens les meilleurs propres à l’exécution du Plan décidée par l’assemblée générale.

Le responsable au Plan a pour tâche de faire exécuter le plan élaboré par l’assemblée générale en assumant la direction des tâches des militants. Ce responsable après examen avec le Bureau de l’organisation choisit les militants qu’il estime les plus aptes aux tâches et fait en sorte que ceux-ci apportent une complète adhésion à leur accomplissement.

Le responsable au Plan suscite les rapports d’activité des militants qui sont examinés par le Bureau et, éventuellement, soumis à l’assemblée générale.
Le conseiller est adjoint au responsable au Plan.

Le responsable au contrôle a pour tâches :

1)de convoquer le cas échéant la commission de Contrôle.

2)de faire effectuer le contrôle de la trésorerie.

3)de la sécurité de l’Organisation.

La commission de contrôle est formée outre le responsable au Contrôle de deux membres choisis dans l’organisation à tour de rôle, ces deux membres sont choisis par le responsable au Contrôle.

La commission de contrôle a pour tâches d’étudier les suspensions, exclusions et démissions. Ses rapports sont soumis à l’assemblée. En ce qui concerne les cooptations, celles-ci sont présentées par le responsable au Contrôle après examen du Bureau et après avoir entendu les parrains à l’assemblée générale pour adoption. Toutefois, le Bureau peut suspendre provisoirement un militant jusqu’à décision prise par l’assemblée générale.

Le militant dans le cadre de ses activités soumet ses activités et ses initiatives à l’approbation du bureau en l’absence de l’assemblée générale. Un minimum de travail à la base (F.A.) est accompli par les militants. Le refus ou la mauvaise exécution des tâches sont portées devant l’assemblée générale par le bureau. L’appréciation définitive est laissée à l’assemblée.

L’assemblée générale se réunit sur convocation du bureau, ou sur proposition des deux tiers de O.P.B. au bureau. L’appréciation définitive en est laissée à l’assemblée.
Toute décision n’est valable que si le 4/5 (approchés par défaut) des militants sont présents, la minorité est tenue de défendre à l’extérieur de O.P.B. la décision prise. Les militants minoritaires peuvent faire inscrire leur nom au procès verbal comme ayant défendu une thèse minoritaire.

Les membres de l’O.P.B. n’usent entre eux que du titre de militant. A leur entrée à O.P.B., ils choisissent un nom de militant qui est seul utilisé à l’intérieur de l’organisation.

Les statuts de l'O.P.B. ne peuvent être modifiés que par une assemblée générale.
vroum
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 24 Fév 2009, 10:26

GUÉRIN, Cédric. Anarchisme français de 1950 à 1970

Mémoire de Maitrise

Mémoire de Maîtrise : Histoire contemporaine : Lille 3 : 2000, sous la direction de Mr Vandenbussche. Villeneuve d’Ascq : Dactylogramme, 2000. 188 p. ; 30 cm. Bibliogr. p. 181-186

LILLE 3 : Bibliothèque Georges Lefebvre

La crise de 1953, la Fédération communiste libertaire et les anarchistes


Comme nous l’avons vu, c’est au début de l’année 1950 que se constitue l’OPB, organisme secret dont le but est de faire triompher l’anarchisme social au sein de la Fédération anarchiste. L’histoire et l’activité de l’OPB vont profondément marquer le mouvement anarchiste et le conditionner pour le reste de l’aventure. Il nous faut ici redoubler de vigilance pour appréhender le phénomène OPB ; en effet, l’étude de la tendance communiste libertaire du début des années cinquante reste bizarrement sous silence ou à peine entrevue chez la plupart des historiens du mouvement. Simple hasard ou pure coïncidence ? A vrai dire, la condamnation totale de l’OPB par les militants anarchistes et (aussi par les historiens de l’anarchisme) ne reconnaissant pas dans cette orientation une connotation anarchiste a laissée des traces (il suffit d’évoquer le sujet avec un militant pour voir surgir des accès de colère !) De plus, les témoignages, souvent dénués de compte rendus exacts, ne facilitent pas la tâche pour une étude sérieuse de ce phénomène.

“ Synthèse de l’anarchisme et d’un certain léninisme ” pour Maitron, la tendance communiste libertaire nous a laissé à travers l’ouvrage de Georges Fontenis nombre de documents qu’il est intéressant d’étudier pour comprendre les nouvelles formes que peut prendre la théorie libertaire. Nous pourrons ainsi voir que certains arguments théoriques des communistes libertaires seront à bien des égards ceux qui resurgiront tout au long de la période et notamment en 1968.

Si Georges Fontenis explique l’apparition de l’OPB par le malaise dont souffre la FA et le mouvement, il n’oublie pas de souligner une cause sociologique de sa création : “ L’accroissement du recrutement des jeunes, surtout dans la classe ouvrière mais aussi chez les intellectuels, est en train de modifier la composition idéologique de la FA ; moins de petits entrepreneurs et de forains, davantage d’ouvriers, de techniciens, d’enseignants. ”

Cette constatation laisse la place à une hypothèse de taille ,et que Arvon semble aussi déceler, le changement de la composition sociologique et donc idéologique des groupes anarchistes. D’après les propos de Fontenis, on peut sentir l’émergence d’une classe qui sera qualifiée plus tard de moyenne d’un côté, et celle de la jeunesse de l’autre. Ces deux aspects semblent prendre une importance relative lorsqu’il sera question de l’appartenance sociale des anarchistes.

Néanmoins, il nous semble qu’il ne faut pas chercher dans cette différence sociologique la cause profonde de l’OPB. Fontenis souligne dans son ouvrage les erreurs des historiens du mouvement libertaire sur la date de l’intronisation du vote dans les congrès ; en effet, il faut selon lui remonter au congrès de 1950 pour dater son intronisation. Cet événement est pour lui la première marque d’affaiblissement de la tradition girondine dans le mouvement : “ Le fait que cette décision soit obtenue par l’accord général des délégués des groupes, selon l’ancienne forme de consultation, est révélateur d’un esprit nouveau et d’un affaiblissement des traditions “ girondines ”. ” Mais plus que la perte de vitesse des girondins, l’intronisation du vote marque une certaine cassure avec la tradition anarchiste. C’est cette rupture avec l’esprit de solidarité entre anarchistes que l’on peut aussi constater à la lecture des statuts de l’OPB. Le premier but que se fixe l’organisation est très clair : “ L’organisation régie par les présents statuts rassemble des militants de l’anarchisme social en vue de travailler à la réalisation du but suivant : transformer les mouvements anarchistes le plus possible dans le sens d’organisations efficaces et sérieuses défendant un corps de doctrine cohérent. ”

Organe secret, la tactique de l’OPB est l’entrisme, c’est à dire l’accaparement de l’organisation existante par l’intérieur et son orientation dans un sens communiste libertaire : “ Dans les mouvements anarchistes, les militants OPB doivent viser d’abord à répandre leur programme, à acquérir l’influence par la base. ” Les militants sont recrutés par cooptation et à la majorité des deux tiers. Sa structure se répartit dans une assemblée générale qui élit un responsable du Plan, un responsable au Contrôle et un conseiller, qui forment à eux trois le Bureau de l’organisation “ … chargé de mettre au point les meilleurs propres à l’exécution du Plan décidé par l’assemblée générale. ” A l’origine de l’organisation, hormis Georges Fontenis, on peut pour les plus importants les noms de Blanchard, Devancon, Ninn, Caron, Moine et Joulin. L’OPB est constitué des groupes Paris-Est, Paris 18ème et 19ème, Renault Billancourt et du groupe Krondstadt qui apparaît comme le groupe le pus solide de l’organisation. Enfin, les trois fonctions occupées témoignent de l’influence de certains militants : un secrétaire, dit responsable au Plan (Fontenis), un secrétaire-Adjoint dit conseiller (Caron) et le trésorier (Joulin). C’est au cours des deux années qui séparent le congrès de Paris et celui de Bordeaux que l’OPB va s’assurer la mainmise sur l’organisation.

Ce n’est seulement qu’en juin 1953 qu’apparaît une “ Déclaration de principes ” du mouvement communiste libertaire, fortement inspirée du Manifeste du communisme libertaire de mai 1953, après que la tendance du même nom se soit définitivement emparée de la FA. Cette résolution fut approuvée au congrès de Paris de mai 1953 et nous renseigne davantage sur les buts réels du mouvement, rompant avec une certaine tradition anarchiste en donnant un caractère marxiste-léniniste à la théorie : “ L’organisation spécifique des militants du communisme libertaire se considère l’avant-garde, la minorité consciente et agissante dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat ” afin que “ la révolution soit rendue possible pour édifier la société communiste libertaire. ” Si l’exposé de l’anarchisme communiste qui y est fait se démarque essentiellement par son côté “ anarchisme-lutte de classe ”, la question de la révolution y est affirmée : “ Mais le passage de la société de classes à la société communiste sans classe ne peut être réalisée que par la Révolution, par l’acte révolutionnaire brisant et liquidant tous les aspects du pouvoir… ” Mais devant l’inéducation des masses, qui n’ont pas encore pris conscience de leur asservissement, l’organisation communiste libertaire a un rôle prépondérant à jouer : “ La révolution n’est possible que dans certaines conditions objectives (…) et lorsque les masses, orientées et rendues de plus en plus conscientes de la nécessité révolutionnaire par l’organisation communiste libertaire, sont devenues capables de réaliser la liquidation de la structure de classes".

Tout en condamnant la dictature du prolétariat, le manifeste se prononce pour le pouvoir ouvrier direct et sa dictature à l’encontre des courants et organisations “ qui s’opposent plus ou moins ouvertement à la gestion ouvrière, à l’exercice du pouvoir par les organisations de masse. ” D’ailleurs, on peut voir aussi dans ce manifeste une volonté de défiance face aux anarchistes exclus ou quittant la Fédération : “ Face aux “ humanistes ” anarchistes que nous nommions entre nous les “ vaseux ”, il y avait une volonté de provocation. Le Manifeste utilise le vocabulaire proscrit chez les marxistes : parti, ligne politique, discipline. On se sert du terme “ dictature du prolétariat ” pour faire une tête de paragraphe, même si on nie ensuite le principe dans le texte. On ne craint pas d’affirmer que les autres tendances n’ont qu’un lien vague avec l’anarchisme dont notre courant constitue le seul représentant. ” Les principes internes nous permettent de mieux cerner la volonté des militants communistes libertaires et de mieux comprendre leur volonté de “ déscléroser ” le mouvement. Si l’unité idéologique est préconisée, c’est aussi le cas de l’action, de la propagande et de la forme à donner au mouvement. Ainsi, il doit y avoir “ unité de programmes et unité de tactique définis par les congrès et référenda, la position majoritaire étant l’expression de l’organisation à défaut d’unanimité. ”

L’intronisation du vote, avec la préférence majoritaire, est donc reconnue en dépit d’une tradition anarchiste contre les formes de consultation et en faveur d’une plus grande efficacité. Enfin, l’action collective et le fédéralisme apparaissent comme deux principes fondamentaux de l’organisation. Ces deux facteurs mettent en lumière une réelle volonté d’efficacité qui se traduit aussi dans les formes de structures des groupes et le rejet plus ou moins apparent des individualistes. En effet, le groupe est “ l’organisme fondamental ” mais “ ne peut être considéré comme groupe qu’une organisation ayant au moins trois membres. ” Ce qui peut paraître le plus représentatif et le plus surprenant, c’est une certaine discipline à respecter dans le cadre d’une action toujours plus efficace et cohérente ; ainsi, pour être considérée comme un groupe, il faut que l’organisation fournisse “ des rapports d’activités au moins tous les trois mois au comité de sa région et par son intermédiaire au comité national ”, le but étant une fédération de régions regroupant les différents groupes. Il nous faut également souligner l’importance prépondérante du Comité national, composé de six membres : un secrétaire général, un secrétaire d’organisation, un état de trésorerie, un secrétaire de propagande, un secrétaire de relations internationales et enfin un secrétaire de relations extérieures.

On peut remarquer le rejet de la Franc-maçonnerie : “ Le congrès reconnaissant unanimement que les buts poursuivis par ne organisation secrète telle que la FM sont incompatibles avec ceux poursuivis par l’organisation anarchiste révolutionnaire. ” Enfin, l’adoption du troisième front révèle une volonté de s’inscrire dans les luttes de l’époque et de définir les rapports des anarchistes avec les problèmes de décolonisation :

“ 1- Le troisième front est l’expression révolutionnaire dans la période actuelle, où le phénomène impérialiste se manifeste en deux blocs antagonistes, de l’Internationale prolétarien.
2- Suivant les conditions, et les pays, la représentation de notre positon “ 3ème front ” devra tenir compte du mouvement de fait des masses populaires à condition que ces mouvements aient un contenu révolutionnaire de classe.

En ce qui concerne le mouvement des peuples coloniaux, la position adoptée est celle de soutien critique, en fonction de ce qui est défini ci-dessus.” Au niveau international, les militants du communisme libertaire vont essayer de se rapprocher de certains mouvements étrangers et de former à court terme une Internationale (communiste) libertaire. C’est dans ce sens qu’il faut voir les relations entre l’organisation communiste libertaire et les GAAP, Gruppi anarchici di azione proletaria. En effet, le mouvement italien se retrouve totalement divisé après le congrès d’Ancône et la création des GAAP. Ces derniers critiquent le faible niveau idéologique du mouvement anarchiste, sentimentalement lié à “ l’expérience perdue ” (sur le plan révolutionnaire) de la Résistance antifasciste, phénomène resté interne à la société bourgeoise. Ils indiquent une issue à la crise de l’anarchisme, avec la formule : “ On n’entre, ni ne reste dans l’histoire si on ne représente à une réalité de classe. ” Leurs positions rappellent celles des plateformistes russes de 1926, mais la FAI juge ces gens trop marxistes. Par leur culte de l’efficacité et leur classicisme, les GAAP présentent de nombreux points communs avec l’organisation communiste libertaire française.

En ce qui concerne le nom à donner à l’organisation, les participants au congrès ne purent se mettre d’accord et l’on décida un référendum. Finalement, ce fut en décembre 1953, une Fédération communiste libertaire qui remplaça la Fédération anarchiste française. La FCL conservait le local et le journal. Surtout, dès novembre 1953, Georges Fontenis n’hésitait plus à cacher sa pensée profonde : “ La doctrine communiste libertaire est plus réellement basée sur le matérialisme dialectique que ne le sont les positions politiques du marxisme. ” La FCL va survivre jusque 1956 et sa participation aux élections législatives de janvier de la même année. En effet, en février 1955, certains songèrent à une possible participation à des élections municipales, et l’organe intérieur de la Fédération, Le Lien, fit état d’une motion unanimement acceptée qui posait la question suivante : “La bataille électorale étant devenue une forme de lutte de classe, ne pourrions-nous pas envisager cette question comme une question de tactique liée aux circonstances et aux faits du combat social ? ” Effectivement, l’ordre du jour du congrès de printemps comportait “ le problème de la participation électorale ” et, dans Le Lien d’avril, un article de neuf pages signé F. (Fontenis ?) intitulé “ Pour le praticisme révolutionnaire ” affirmait : “ Nous pouvons participer aux luttes électorales, (…), nous occuperons alors non des postes de législateurs mais d’agitateurs. Nous voyons là une forme d’agitation qu’on ne peut négliger. ” La discussion s’engagea dans les groupes et le congrès de mai accepta à une assez forte majorité une participation conditionnelle (lorsque existent des conditions réelles pour l’élection de représentants ouvriers révolutionnaires). Dans la pratique une telle participation se réalisa à l’élection du 2 janvier 1956 et la FCL présenta dix candidats.

Au delà de l’échec lors de ces élections, la FCL, en abattant un tabou anarchiste, s’est aliéné le soutien de nombre de militants encore très sensibles à la question du vote et des participations électorales. Jean Maitron y voit la cause essentielle (avec le rapprochement entre la FCL et André Marty) de sa chute. Le Libertaire cessait de paraître en juillet 1956, ce qui traduisait concrètement l’échec de l’expérience. Néanmoins, comme le souligne Fontenis, il ne faudrait pas oublier la grande activité des militants contre la guerre d’Algérie. Georges Fontenis y voit d’ailleurs la cause essentielle de la disparition de la FCL, tant cette dernière eut droit à tout l’attention des autorités en place.

Parfois oubliée, souvent caricaturée, l’expérience FCL témoigne pourtant à la fois d’un profond malaise au sein du mouvement anarchiste et d’une réelle volonté de sortir le mouvement de son immobilisme. Il semble néanmoins que cette dernière suscite un regain d’intérêt à notre époque, notamment à travers les études d’Alexandre Skirda et de Philippe Dubacq. Si pour ce dernier, l’évolution de la Fédération communiste libertaire relève “ d’une fuite en avant sous la pression des événements et en fonction des ambitions de la FCL ” , il n’en oublie pas les acquis théoriques et tactiques qu’a pu engendrer cette expérience et tient à relativiser l’étiquette marxiste qui colle à la peau de la FCL : “ L’adoption du matérialisme historique et dialectique comme méthode d’analyse, autre acquis théorique de la FCL, permettrait de parler sans hésitation d’influence marxiste. Mais cette adoption ne sera affirmée qu’après la sortie du Manifeste, à travers deux articles de G. Fontenis parus dans les rubriques “ Problèmes essentiels ” des Libertaire de novembre et de décembre 1953. Le manifeste se pare seulement d’un matérialisme opposé à l’idéalisme (…), le matérialisme commun à l’ensemble du courant anarchiste-communiste, qui cependant se défend de tout déterminisme historique ou économique, par opposition aux marxistes. En aucun cas ce matérialisme n’est identifié au système d’analyse marxiste, des conceptions idéalistes telle que “ l’éthique ” et “ la morale ” devant corriger pour les anarchistes les attitudes découlant du “ mécanisme historique ”. ”

Dans une analyse plus “ tactique ” donc plus tendancielle, A. Skirda voit dans l’organisation communiste libertaire “ une tentative extrême de promouvoir l’anarchisme social sur le devant des batailles ouvrières, le souci d’efficacité passant avant le respect d’une certaine tradition libertaire. ” Pour Georges Fontenis, la cause de l’échec de la FCL est à rechercher ailleurs, dans la peur du contact et de la confrontation des anarchistes : “ Si on excepte un Berneri pour les italiens, un Ridel-Mercier pour la France, un Juan Peiro et un Orobon-Fernandez pour l’Espagne, la plupart de ceux qui parlent ou écrivent ont simplifié à dessein la pensée de Marx pour n’avoir pas à en tenir compte. C’est aussi bien le cas d’un Joyeux, spécialiste des âneries antimarxistes, que d’un Lepoil ou d’un Lapeyre. Ils sont parfois rejoints par des transfuges de la social-démocratie, médiocres comme un Beaulaton, respectables comme un Domela-Nieuwenhuis. ”

Enfin, le témoignage laissé par Guy Bourgeois dans sa “ Préface à la réédition du manifeste ” nous donne une fois de plus des renseignements sur les relations entre marxisme et anarchisme au sein de la FCL : “Avec étonnement, nous découvrions aussi que l’analyse matérialiste telle que les marxistes la conçoivent ne constituait pas du tout une divergence aux yeux du courant libertaire de la première Internationale, que la frontière entre marxisme et anarchisme n’était pas toujours très nette. ” Il poursuit et regrette l’assimilation parfois trop facile faite par les militants libertaires de l’époque : “ Les autres tendances de la FA ressentaient l’agressivité de nos démarches. Rapidement, on se demanda si nous n’étions point des agents du Bolchevisme infiltrés, on le chuchota, on le dit et bien des années plus tard, on l’écrivit. ”

Au delà d’un problème idéologique entre marxisme et anarchisme, Maurice Joyeux voit dans l’expérience de la FCL un problème de fond pour les militants libertaires : l’intellectualisme. Selon lui, le communisme libertaire relève surtout de motivations d’intellectuels qui ne peuvent que dénaturer le mouvement anarchiste : “ Ce problème, c’est celui des intellectuels, plutôt de l’intellectualisme au sein d’une fédération de tradition ouvrière, (…), pour Fontenis, la Fédération anarchiste était composée de deux éléments valables : les syndicalistes et les communistes. Les premiers relevaient des ouvriers, les seconds des intellectuels, et nous devions nous partager la tâche. ”

On remarque assez facilement que les jugements sont très différents selon la position des observateurs. Néanmoins, la Fédération communiste libertaire représente la première tentative d’assimilation d’une partie des écrits marxistes dans la théorie libertaire. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les relations assez fortes qui lieront un peu plus tard Georges Fontenis et Daniel Guérin, chantre(s) du “ marxisme libertaire”.

Plusieurs conclusions s’imposent alors ; premièrement la rupture définitive entre anarchistes et marxistes, notamment dans l’esprit des militants exclus ou quittant la FA. De plus, l’expérience communiste libertaire, si elle se finit par un échec, laisse derrière elle pour nombre de militants assez jeunes un héritage idéologique et tactique. En outre, si la FCL a implosé par la bureaucratisation grandissante de l’organisation, il n’empêche que ses militants croient toujours dans les possibilités du communisme libertaire. Ce sera le cas de l’équipe de Noir et Rouge qui alimentera à partir de 1956 les théories anarchistes-communistes. Enfin, la FCL a fait exploser le mouvement anarchiste et la fédération, tout en créant un véritable choc chez les militants de base. En 1953, les anarchistes qui ne se reconnaissent pas dans la nouvelle orientation vont tenter de se réunir et de reconstruire un mouvement qui a failli mourir.
vroum
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 24 Fév 2009, 13:56

Fabrice Magnone
Le Libertaire (1917-1956)
Autopsie d'un organe anarchiste

1. L’O.P.B. (Organisation Pensée-Bataille)


Jusqu’à la publication du Mémorandum du groupe Kronstadt en 1954, l’existence de l’Organisation Pensée Bataille (O.P.B.) [1] n’était connue que d’un petit nombre d’initiés. Fondé en janvier 1950, cet organisme qui recrutait ses adhérents parmi les partisans d’une synthèse marxiste libertaire, réussit en trois ans à imposer une direction occulte et une nouvelle orientation à la F.A. Les animateurs de l’O.P.B. occupent progressivement tous les postes clés dans l’organisation et au conseil de rédaction du journal. Ils provoquent le départ des défenseurs de l’anarchisme « traditionnel » tout en réussissant à conserver la direction du Libertaire et tous les bénéfices des efforts entrepris depuis la Seconde Guerre mondiale pour la reconstruction de la F.A.

Les statuts de l’O.P.B., présentés en annexe du livre de Georges Fontenis, nous renseignent assez bien sur l’état d’esprit de ses fondateurs. Ils sont en effet marqués par une conception avant-gardiste et romantique de la révolution qui rappelle les théories de Lénine sur le rôle directeur du parti [2].

Tout militant en activité, suspendu, exclu ou démissionnaire doit observer le secret absolu sur O.P.B. et les militants qui la composent. Tout manquement à cet égard entraîne les mesures jugées adéquates par O.P.B. et pouvant aller jusqu’à la suppression en cas de dénonciation mettant en danger la sécurité des militants. [3]

Les adhérents doivent en outre se choisir un pseudonyme dont l’usage sera réservé aux relations à l’intérieur de l’organisation. Ce mode de fonctionnement est sans doute l’une des conséquences de la fascination qu’exerce encore la Résistance sur certains jeunes libertaires. Il ne faut pas non plus négliger la proximité avec mouvement libertaire espagnol en exil dont les membres sont très souvent contraints d’agir dans la clandestinité. Georges Fontenis lui-même ne vient-il pas d’être impliqué dans une tentative d’attentat contre Franco ? Il a en effet été contacté au cours de l’année 1948, par la « commission de coordination » qui organise les activités clandestines du mouvement libertaire espagnol, pour servir de prête-nom dans l’achat d’un avion destiné à abattre le dictateur [4]. Cette affaire n’est rendue publique qu’au début de l’année 1951, au moment où la police française, sous prétexte d’une enquête sur l’attaque d’un fourgon postal à Lyon, procéde à une rafle dans les milieux libertaires espagnols et arrête le secrétaire général de la F.A. Ce dernier avoue au cours de l’interrogatoire sa participation à l’attentat contre Franco mais dénonce la tentative d’assimilation du mouvement libertaire avec les malfaiteurs lyonnais [5]. Avec la participation à la résistance des militants espagnols, la question de l’usage de la violence est à nouveau d’actualité.

Selon le Mémorandum du groupe Kronstadt, l’existence à l’intérieur même de la F.A. d’une commission d’auto-défense aurait servi de modèle à l’O.P.B. Ce dispositif, mis en place à la suite du congrès de Dijon en 1946, avait pour mission d’éviter les infiltrations et de se débarrasser d’éventuels agents provocateurs et autres indicateurs. De par la nature de ses activités, l’identité de ses membres ne devait surtout pas être révélée. Son existence même ne devait pas être évoquée. Si ce culte du secret a pu inspirer les fondateurs de l’O.P.B., Georges Fontenis, qui fut en tant que secrétaire général l’initiateur de cette commission et en conserva le contrôle, nie toute relation entre les deux organismes [6].

La tactique de l’O.P.B. consiste à placer ses militants à des postes de responsabilité au sein de la F.A. Parmi les 21 membres qui la compose au moment de sa fondation, l’O.P.B. compte déjà le secrétaire général de la F.A., le secrétaire de la région parisienne, le secrétaire du Comité de relations internationales anarchistes ainsi que l’administrateur du Libertaire. Notons au passage la présence dans cette première équipe de trois militants plateformistes de longue date : Louis Estève, Roger Caron et Robert Joulin. Ces deux derniers figurent d’ailleurs en compagnie de Georges Fontenis au bureau de l’organisation.

L’O.P.B a à sa tête un bureau composé de trois membres. Les cotisations obligatoires lui donnent des moyens financiers solides, utilisés par exemple pour financer les déplacements des membres O.P.B. Les adhésions à l’O.P.B. se font par cooptation après enquête. (...) Dans les groupes les militants O.P.B. doivent s’assurer les secrétariats ; inciter, en montrant l’exemple, au collage et à la vente du Lib à la criée, détecter les éléments susceptibles d’entrer à l’O.P.B. Dans les groupes encore, les militants O.P.B. font adopter des motions allant toutes dans le même sens en vue des congrès. [7]

Les premiers résultats sont obtenus dès le congrès de Paris du 27 au 29 mai 1950. Maurice Joyeux, jugé trop autoritaire, est écarté de ses responsabilités au sein du Comité national tandis que Georges Fontenis réintègre le poste de secrétaire général. Sur proposition du groupe Louise Michel représentant le 18ème arrondissement parisien, les votes en congrès ne se feront plus par groupe mais sur la base d’un mandat par militant, ce qui va modifier les fragiles équilibres au sein de la fédération. Le compte-rendu très succinct publié dans Le Libertaire ne cache pas la vivacité des débats de ce « congrès passionné, violent parfois, et où l’ardeur des jeunes militants rendit éclatante la montée des nouvelles générations » [8]. Mais, bien entendu, il ne montre pas toute l’étendue du fossé qui sépare les tenants d’un anarchisme « traditionnel » de ceux qui prônent un renouveau idéologique.

En juillet 1951, à peine un mois après le congrès de Lille, les militants mécontents se regroupent au sein d’une Commission d’études anarchiste (C.E.A.). Malgré cette fronde, le congrès de Bordeaux du 31 mai au 2 juin 1952 enregistre un nouveau succès de l’O.P.B. qui réussit à imposer une motion d’inspiration communiste libertaire. De l’aveu même de Georges Fontenis, « cette résolution sur l’orientation et la tactique a été préparée par l’O.P.B., amendée jusqu’au dernier moment » [9]. Sortie victorieuse du rapport de force, l’équipe dirigeante n’hésite pas à prononcer l’exclusion ou à provoquer le départ des principaux opposants à sa ligne politique : Maurice Joyeux, Georges Vincey, André Arru, Paul et Aristide Lapeyre, Maurice Fayolle, etc.

Raymond Beaulaton, qui a présenté la démission de son groupe à la fin du congrès de Bordeaux, convoque une nouvelle assemblée au Mans le 11 octobre 1952. En dépit du petit nombre de participants, cette réunion connaît un relatif succès. Louis Louvet, Georges Vincey, André Fernand Robert, Hem Day figurent parmi la poignée de militants à avoir accepté l’invitation. Posant ensemble la première pierre d’une nouvelle F.A., ils fondent l’Entente anarchiste qui édite la revue du même nom, « bulletin de relations, d’information, de coordination et d’études organisationnelle du mouvement anarchiste » [10]. En l’absence d’autres perspectives et dans l’attente du congrès suivant, des personnalité comme André Prudhommeaux, André Arru, Maurice Joyeux ou encore Paul et Aristide Lapeyre ne tarderont pas à se rallier à cette initiative.

Au congrés de Paris du 23 au 25 mai 1953, l’influence de l’O.P.B. atteint son apogée dans la F.A. L’organisation se dote d’une « Déclaration de principe » qui reflète la nouvelle orientation :

L’organisation spécifique des militants du communisme libertaire se considère l’avant-garde, la minorité consciente et agissante exprimant dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat. [11]

Si l’on excepte ce préambule et la partie consacrée au fonctionnement interne, cette profession de foi est assez fidèle au Manifeste d’Orléans adopté par les adhérents de l’U.A.C. en juillet 1926 sous l’influence des thèses plateformistes [12]. Plus de vingt ans après la rédaction de ce texte, l’objectif des militants reste le même : l’instauration du communisme libertaire par la révolution sociale. Mais, les nouveaux statuts qui accompagnent la « Déclaration de principes » dépassent largement la « plate-forme » d’Archinoff dans leur application. En introduisant la règle du vote à la majorité dans toutes les instances de l’organisation et en exigeant une stricte discipline de la part de ses membres et des groupes, ils vont encore plus loin que ce qu’avait tenté de faire l’U.A.C.R. en 1927. Désormais, les adhérents seront tenus de défendre en public les résolutions des congrès même s’ils ont voté contre. Ils doivent en outre éviter d’« avoir une conduite publique indigne » [13] de véritables militants révolutionnaires. Enfin, les membres de la F.A. affiliés à la Franc-maçonnerie sont sommés de choisir entre celle-ci et l’organisation libertaire [14].

Cette modification des statuts représente une étape décisive qui justifie un changement dans le nom même de l’organisation. Soucieux de s’éloigner toujours plus des rives de l’anarchisme « traditionnel », les congressistes évoquent la possibilité d’intituler leur regroupement « Parti communiste anarchiste » ou « Parti communiste libertaire ». Ne réussissant pas à se mettre d’accord, ils procèdent à une consultation qui donne 61 mandats en faveur de la conservation du sigle F.A. contre 71 pour rebaptiser l’organisation « Mouvement communiste libertaire » (M.C.L.). Les partisans d’une dénomination plus représentative de la nouvelle orientation l’emportent donc d’une courte majorité. Mais, l’écart de voix entre les deux propositions est jugé insuffisant pour les départager sur une question de cette importance. Il faudra procéder à un référendum interne pour que la F.A. se tranforme finalement en Fédération communiste libertaire (F.C.L.).

Le Libertaire du 3 décembre 1953 entérine le changement de tendance en prenant pour sous-titre : « organe de la Fédération communiste libertaire » [15]. À cette date, les membres de l’O.P.B. contrôlent le Comité national et toutes les commissions qui régissent la vie de la fédération, les éditions, le journal ou les relations internationales. Georges Fontenis n’occupe plus de fonction que dans la commission chargée d’étudier ses écrits en vue d’en faire un Manifeste communiste libertaire. Mais, il garde une très grande influence au sein de l’organisation. D’après Maurice Joyeux, il vient néanmoins de commettre « la première des erreurs monumentales qui vont le conduire à sa perte » :

Il commençait à avoir l’habitude de nos milieux et je n’ai pas compris les raisons d’une pareille sottise. (...) Pour être crédible, le titre de l’organisation doit porter le mot anarchiste et le titre du journal celui de libertaire. [16]

La victoire de l’O.P.B. dans la F.A. abandonne les anciens opposants à leur sort, complètement démunis et livrés à eux-mêmes. Ils ont le sentiment de s’être fait dépouiller de tous les outils qu’ils avaient patiemment développés depuis la Libération. Mais le changement de nom de la Fédération anarchiste en Fédération communiste libertaire laisse le champ libre à une reconstruction et leur donne une chance inespérée de retrouver une certaine légitimité aux yeux des sympathisants.


[1] Le nom de l’organisation a été choisi en hommage à l’œuvre de l’anarchiste italien Camillo Berneri.

[2] Selon Georges Fontenis, « Il y a sans doute du vrai dans cette affirmation mais il ne faut pas oublier le poids d’autre traditions, d’autres "modèles" comme un certain bakouninisme, le blanquisme, le carbonarisme, modèles qui ont influencé également le léninisme », in L’Autre communisme..., op. cit., p. 220-221.

[3] Statuts de l’O.P.B. reproduits par Georges Fontenis in L’Autre communisme..., op. cit., annexe IX, p. 292-294.

[4] Georges Fontenis, L’Autre communisme..., op. cit., annexe XIII, p. 302-309.

[5] « Les gangsters de Lyon n’ont rien de commun avec le mouvement anarchiste espagnol », Le Libertaire, n°255, 9 février 1951 et « Non les anarchistes ne sont pas des gangsters », Le Libertaire, n°256, 16 février 1951.

[6] Georges Fontenis, L’Autre communisme..., op. cit., p. 139.

[7] Mémorandum du groupe Kronstadt, Paris, 1954, p. 9-10, cité par Alexandre Skirda in Autonomie individuelle et force collective. Les anarchistes et l’organisation de Proudhon à nos jours, Paris, édité par l’auteur, 1987, p. 205. De larges extraits de ce Mémorandum ont également été publiés par Aristide Lapeyre dans le Bulletin intérieur de la Fédération anarchiste, n°3, octobre 1954, p. 7-16.

[8] « Notre Congrès », Le Libertaire, n°231, 2 juin 1950.

[9] Georges Fontenis, L’Autre communisme..., op. cit., note 1, p. 162.

[10] L’Entente anarchiste, n°1, 30 octobre 1952. Voir René Bianco, Un siècle de presse anarchiste..., op. cit.

[11] Résolutions du Congrès de Paris (23-25 mai 1953) in Le Lien, n°1, juin 1953. Cf. annexe IV.

[12] Cf. supra chap. II, « La querelle de la “Plate-forme” (1925-1934) ».

[13] Résolutions du Congrès de Paris (23-25 mai 1953) in Le Lien, n°1, juin 1953.

[14] Cf. infra chap. X.

[15] Le Libertaire, n°378, 3 décembre 1953.

[16] Maurice Joyeux, Sous les plis du drapeau noir. Souvenirs d’un anarchiste, vol. 2, op. cit., p. 142.
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 24 Fév 2009, 13:59

Fabrice Magnone
Le Libertaire (1917-1956)
Autopsie d'un organe anarchiste

3. La F.C.L. (Fédération communiste libertaire)


Alors que les militants exclus se regroupent dans une nouvelle Fédération anarchiste et publient Le Monde libertaire, la F.C.L. semble rompre définitivement avec l’anarchisme « traditionnel ». Au printemps 1955, Le Libertaire accueille la signature d’André Marty, député communiste de Paris qui vient d’être exclu du P.C.F. Celui-ci se borne à publier des passages de son livre L’Affaire Marty [1]. Mais la rédaction tient pourtant à rassurer les lecteurs : « Il va sans dire que nous ne sommes pas tenus pour autant de faire nôtres toutes les opinions de A. Marty, bien que nous nous rencontrions aujourd’hui sur beaucoup de points » [2]. Cette collaboration ne passe pas inaperçue dans les rangs des anarchistes qui se souviennent du passé d’André Marty et déclenche les sarcasmes de Maurice Joyeux dans Le Monde libertaire. L’ancien mutin de la Mer noire, « seul officier français à avoir levé l’étendard de la révolte » [3], fut aussi secrétaire de l’Internationale communiste, avant de devenir dirigeant des Brigades internationales en Espagne.

Au début de l’année 1955, une discussion autour de la question de l’abstentionnisme s’engage dans Le Lien [4] sans que Le Libertaire s’en fasse l’écho. Les lecteurs du journal ne sont pas mieux informés des débats du congrès du 28 au 30 mai 1955 où l’on évoque la possibilité pour la F.C.L. de participer à des élections. Faute de place, la rédaction ne publie qu’une partie des résolutions [5]. Aussi, l’effet de surprise est-il total quand, à la fin de l’année, la F.C.L. annonce sa participation aux élections législatives anticipées du 2 janvier 1956, « participation basée bien entendu sur la dénonciation de l’illusion parlementaire » [6]. La liste présentée par la F.C.L. à Paris arrive en dixième position avec 2.617 voix, soit 0,5 % des suffrages exprimés ; ce qui n’empêche pas un rédacteur du Libertaire de commenter : « Un tel résultat, inespéré si l’on songe à nos moyens réduits, est pour nos militants une victoire et un encouragement » ! [7] Une analyse plus critique paraît dans le numéro suivant [8].

Cette dérive politique entraîne un nouveau départ de militants qui vont fonder les Groupes anarchistes d’action révolutionnaire (G.A.A.R.) et éditer la revue Noir et Rouge. Tribune ouverte aux différentes tentatives de réforme de la doctrine libertaire, Noir et Rouge restera dans l’histoire, avec d’autres titres comme Socialisme ou Barbarie [9] ou Internationale Situationniste [10], comme l’un des creusets idéologiques du mai 68 français.

Le Libertaire a souffert des différentes scissions. Depuis l’été 1954, il ne paraît plus que sur deux pages. Mais il faut chercher la cause de l’interruption de la publication du côté de son engagement contre la guerre d’Algérie. Adhérent de la F.C.L., Pierre Morain est le premier militant français a être emprisonné pour son combat anticolonialiste. Arrêté à Roubaix à cause de sa participation à une manifestation d’Algériens, il est incarcéré le 29 juin 1955 à la maison d’arrêt de Loos dans le Nord. D’abord condamné à cinq mois de prison ferme par le tribunal de Lille, il voit sa peine commuée à un an par la Cour d’Appel de Douai. Le verdict tombe au milieu d’un climat social explosif. Une grève générale à Nantes menace s’étendre au reste du pays tandis que les manifestations de rappelés se multiplient. André Marty [11], Daniel Guérin et Albert Camus [12] prennent la défense de Pierre Morain. Le Comité de soutien lancé en octobre 1955 [13] enregistre les adhésions de nombreuses personnalités parmi lesquelles figurent les surréalistes. L’élan de protestation gagne jusqu’à l’Internationale lettriste qui s’élève contre la « condamnation scandaleuse de Pierre Morain, de la Fédération Communiste Libertaire, en des termes qui tendent à établir que des opinions anticolonialistes sont désormais incompatibles avec la nationalité française » [14].

Pour une fois, les membres de la F.C.L. ont réussi à rompre leur isolement. Ils savent qu’ils peuvent compter désormais sur des sympathies qui dépassent largement les frontières du mouvement anarchiste. Ils décident de quitter le Comité de lutte contre la répression colonialiste pour fonder un Mouvement de lutte anticolonialiste (M.L.A.). Mais en dénonçant les massacres et la torture et en soutenant ouvertement la résistance algérienne, la Fédération communiste libertaire a attiré sur elle les foudres de la répression. Depuis le début des « événements », sept numéros ont été saisis [15], dont trois pour le seul mois de juin 1956. En Algérie, le journal est interdit depuis le mois de novembre 1954 [16]. Le bilan des poursuites est impressionnant : 200 inculpations, 26 mois de prison avec sursis et 1.810.000 francs d’amendes. Les responsables de la F.C.L. : Roger Caron, Michel Donnet, Georges Fontenis, Robert Joulin et Paul Philippe sont inculpés d’atteintes à la sûreté intérieure et extérieure de l’État, d’atteinte au moral de l’armée, d’injures et de diffamation envers la Police, les armées, les C.R.S., les administrations publiques, le tribunal de Lille et la Cour d’Appel de Douai, et diverses personnalités, de provocation de militaires à la désobéissance, d’apologie des crimes de meurtres, de vol, d’incendie, de provocation à la violence... [17] Paul Philippe, alors secrétaire de la Région parisienne, résume assez bien la situation :

Pendant ce mois de juillet 1956, la F.C.L. est financièrement à bout du rouleau. Chaque journal saisi constitue une perte sèche, les frais d’impression restant les mêmes. D’autre part nous ne pouvons plus jouer notre rôle d’information à cause des saisies systématiques. [18]

Dans ce contexte, la décision de suspendre la publication en attendant des jours meilleurs s’impose d’elle-même. C’est la conclusion à laquelle parvient le conseil national de la F.C.L. réuni le 5 juillet. Un dernier numéro paraît la semaine suivante pour annoncer ce choix aux lecteurs [19]. Mais un groupe de militants plus déterminés que les autres prend ce jour-là l’initiative de passer à l’action clandestine. Ils impriment à plusieurs milliers d’exemplaires et distribuent dans les gares un appel à la désertion et à la constitution de maquis. Ce tract signé « La Volonté du Peuple » alerte les autorités qui décident d’intensifier la répression. Les locaux de l’organisation et les appartements des responsables sont perquisitionnés. Les militants les plus en vue sont interrogés par la D.S.T. qui, faute de preuve, doit se résoudre à les relâcher. Mais cette fois la rupture est consommée entre les activistes et les partisans d’une ligne plus modérée. Une édition spéciale du Libertaire paraît le 14 juillet 1956 pour dénoncer une dernière fois la répression. La rédaction annonce la publication d’un bulletin intitulé Le Partisan qui ne verra jamais le jour. À la place plusieurs numéros de La Volonté du Peuple [20] sont distribués « dans les gares, à la sortie des usines ou dans les couloirs du métro » [21]. Une revue, Les Cahiers de critique sociale [22] paraît de manière irrégulière de décembre 1956 à avril 1957.

En juillet 1957, après un an de « cavale », les membres du noyau responsable poursuivis depuis septembre 1956 sont arrêtés par la D.S.T., les uns après les autres. Après leur sortie de prison, les réunions qui peuvent se tenir concluent à la nécessité de passer à une autre forme de militantisme. (...) Des militants ont entretemps, pris contact avec l’Union de la gauche socialiste (U.G.S.), qui ira se fondre dans la création du P.S.U., ou avec des noyaux oppositionnels du P.C.F. C’est ainsi que beaucoup de ceux-ci iront renforcer l’opposition qui édite La Voie communiste [23]

Si la dispersion de ses militants marque la fin de la F.C.L., les tentatives de conjuguer l’anarchisme et le marxisme ne manqueront pas dans la suite de l’histoire du mouvement libertaire. Le parcours de Daniel Guérin en témoigne. Il croisera à plusieurs reprises celui de Georges Fontenis, notamment en mai 1969 au moment de la création du Mouvement communiste libertaire (M.C.L.).


[1] André Marty, « Au service du prolétariat : L’affaire A. Marty », Le Libertaire, du n°431, 19 mai 1955 au n°436, 23 juin 1955. Voir aussi « Quelques documents sur l’affaire Marty : Toujours avec les travailleurs ! », Le Libertaire, n°437, 30 juin 1955 et Georges Fontenis, « La F.C.L. et l’affaire Marty », Le Libertaire, n°438, 7 juillet 1955.

[2] « À partir de la semaine prochaine, en exclusivité, les meilleures pages d’André Marty », Le Libertaire, n°430, 12 mai 1955.

[3] René Lochu, Libertaires, mes compagnons de Brest et d’ailleurs, Quimperlé, La digitale, 1983.

[4] F. [Georges Fontenis], « Pour le praticisme révolutionnaire », Le Lien, n° ?, avril 1955.

[5] « Les résolutions du 2ème congrès de la F.C.L. », Le Libertaire, n°434, 9 juin 1955.

[6] « Abstention ou protestation active ? », Le Libertaire, n°453, 17 novembre 1955.

[7] « L’avant garde des travailleurs révolutionnaires fait confiance à la F.C.L. », Le Libertaire, n°460, 5 janvier 1956. Par ailleurs, ces élections marquent l’arrivée sur les bancs de l’Assemblée nationale d’une cinquantaine de députés « poujadistes » de l’Union de défense des commerçants et des artisans (U.D.C.A.).

[8] Le Libertaire, n°461, 12 janvier 1956.

[9] Sur Socialisme ou Barbarie voir « Socialisme ou Barbarie », organe de critique et d’orientation révolutionnaire : grèves ouvrières en France, 1953-1957, Mauléon, Acratie, 1985 ; Pierre Vidal-Naquet, « Souvenirs à bâtons rompus sur Cornelius Castoriadis et Socialisme ou Barbarie », Revue européenne des sciences sociales, tome XXVII, n°86, 1989 et Philippe Gottraux, « Socialisme ou Barbarie » : un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Lausanne, éd. Payot, 1997.

[10] La littérature sur l’Internationale situationniste étant abondante, nous ne mentionnerons ici qu’une sélection bibliographique à laquelle il convient bien entendu d’ajouter les œuvres complètes de Guy Debord et Raoul Vaneigem : Jean-Jacques Respaud et Jean-Pierre Voyer, L’Internationale situationniste : protagonistes, chronologie, bibliographie (avec un index des noms insultés), Paris, Champ libre, 1972 ; « Internationale situationniste » : 1958-1969, Paris, Champ libre, 1975 ; Documents relatifs à la fondation de l’Internationale situationniste : 1948-1957, Paris, Allia, 1985 ; Jean-François Martos, Histoire de l’Internationale situationniste, Paris, éd. Gérard Lebovici, 1989 et Laurent Chollet, L’Insurrection situationniste, Paris, éd. Dagorno, 2000.

[11] « André Marty se solidarise de P. Morain », Le Libertaire, n°439, 14 juillet 1955

[12] Albert Camus, « La princesse et le couvreur », L’Express, 8 novembre 1955, texte repris dans Albert Camus, éditorialiste à « L’Express » : mai 1955-février 1956, Paris, Gallimard, 1987, p. 92.

[13] Paul Philippe, « Le comité pour la défense de Pierre Morain et de toutes les victimes de la répression colonialiste est créé », Le Libertaire, n°448, 13 octobre 1955.

[14] « Politique », Potlatch, n°24, 24 novembre 1955.

[15] Il s’agit du Libertaire, n°404, 11 novembre 1954, n°438, 7 juillet 1955, n°441, 4 août 1955, n°474, 12 avril 1956, n°482, 7 juin 1956, n°484, 19 juin 1956 et n°485, 26 juin 1956.

[16] Cf. « La répression colonialiste », Le Libertaire, n°438, 7 juillet 1955.

[17] Cf. Le Libertaire, n°486, 5 juillet 1956.

[18] Paul Philippe, « Un combat politique » in Des Français contre la terreur d’État (Algérie 1954-1962), Paris, éditions Reflex, 2002, p. 96.

[19] « Décision du Conseil National de la F.C.L. réuni le 5 juillet 1956 », Le Libertaire, n°487, 12 juillet 1956.

[20] Cf. René Bianco, Répertoire de la presse anarchiste..., op. cit. p. 2204.

[21] Paul Philippe, « Un combat politique », art. cit., p. 97

[22] Cf. René Bianco, Répertoire de la presse anarchiste..., op. cit. p. 418.

[23] Georges Fontenis, « L’insurrection algérienne et les communistes libertaires », op. cit., p. 89
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 26 Fév 2009, 22:14

Déclaration de principes de la Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Lors de ce congrès de la F.A., celle-ci change de nom pour celui de Fédération communiste libertaire et adopte une nouvelle déclaration de principes.

Résolution du congrés de Paris (23-25 mai 1953), publiée dans Le Lien de la F.C.L. n°1, juin 1953

1. Nature de l’organisation

L’organisation spécifique des militants du communisme libertaire se considère l’avant-garde, la minorité consciente et agissante exprimant dans son idéologie et son action les aspirations du prolétariat, c’est-à-dire de la classe exploitée, oppriméee, aliénée, limitée à des tâches d’exécution, écartée de la propriété des moyens de production et de toute fonction de gestion, ne pouvant vendre sa force de travail.
L’organisation spécifique tend à donner au prolétariat et aux masses populaires plus larges comprenant les paysans pauvres, les artisans réduits à la misère, etc..., la pleine conscience de sa situation et de ses aspirations, afin que les masses ralliant la minorité, la révolution soit rendue possible pour édifier la société communiste libertaire.

2. Buts

Le but est le Communime libertaire, dont les caractères essentiels sont :
la liquidation de l’opposition entre les dirigeants et les exécutants, donc de la propriété privée des moyens de production et de répartition et de pouvoir politique d’une minorité ou État, donc réalisation de la société sans classes ;
la gestion de tous les rouages de la société sur tous les plans (économiques, politique) par des organismes de masses fédérés ;
la réalisation de l’égalité économique ou plus exactement de l’équivalence des conditions, vers la réalisation de l’idéal du communisme : « de chacun selon ses moyens, à chacun selons ses besoins » ;
la possibilité d’un développement continu de l’Homme dans une société sans classes en perpétuelle évolution.

3. Moyens

L’organisation spécifique communiste libertaire est attachée aux luttes présentes des masses exploitées et opprimées, mais toujours dans le sens de l’action directe et dans la mesure où ces luttes peuvent être orientées contre le capitalisme et l’État, et contribuer à développer la conscience révolutionnaire des masses.
Mais le passage de la société de classes à la société communiste sans classes ne peut être réalisée que par la Révolution, par l’acte révolutionnaire brisant et liquidant tous les aspects du pouvoir, de plus en plus unifié (pouvoir politique, économique, culturel) de la classe dominante.
La révolution n’est possible que dans certaines conditions objectives (crise finale permanente ; agonie du régime de classes) et lorsque les masses, orientées et rendues de plus en plus conscientes de la nécessité révolutionnaire par l’organisation communiste libertaire, sont devenues capables de réaliser la liquidation de la structure de classes.
L’acte révolutionnaire, par le pouvoir direct des masses, détruit immédiatement les bases de la société de classes :
1) par la collectivisation ou la coopération (selon les possibilités) des moyens de production et de répartition ;
2) par la gestion de l’économique et l’administration du social par les organismes de masses : communes, conseils, syndicats, coopératives, se fédérant, et dont les délégués et comités de coordination, à tous les échelons élus et révocables à tous moment et mandatés pour des tâches précises et limitées, ne disposant pas d’appareil de corecition, remplacent ainsi la bureaucratie de la société de classes, spécialisée, hiérarchisée, privilégiée et disposant de forces coercitives.
3) par le pouvoir du peuple en armes : milices contrôlées par les organismes réguliers de la société, communes, conseils, etc... et remplaçant l’armée et la police séparées du peuple et soumises à l’arbitraire d’un pouvoir d’État ou constituant ce pouvoir.
Les techniciens sur tous les plans (social, économique, militaire) ne disposent d’aucun privilège, d’aucune autorité autre que leur autorité technique.
Les délégués et comités sur tous les plans ne peuvent que mettre en application les décisions et plans établis par les cellules de base et mis au point dans les assemblées et congrès.
La Révolution réalise donc la démocratie et la liberté véritables.
En se libérant, les masses libèrent la société toute entière, réalisant la société dans laquelle l’homme peut se développer indéfiniment.

4. Principes internes

L’organisation spécifique communiste libertaire repose sur les principes internes suivants, dont les Statuts sont l’application pratique :
Unité idéologique sur la base de la présente déclaration de principes.
Unité de programme et unité de tactique définis par les congrès et référenda, la position majoritaire étant l’expression de l’organisation à défaut d’unanimité.
Action collective dans le respect des décisions prises dans les assemblées, congrès et consultations statutaires de l’organisation.
Fédéralisme : c’est-à-dire démocratie directe interne intégrale assurant à tous les militants l’expression au sein de l’organisation sur la base des principes définis ci-dessus.
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Alayn » 27 Fév 2009, 03:27

Message édité en laissant ce qui rentre dans le sujet et qui n'est pas de la pure provoc'. willio


Bonsoir ! Tiens je réponds après coup :

- A mon humble avis, il n'y a pas de parano de Maurice JOYEUX ou des membres lucides et conséquents de la FA de l'époque, juste un constat clair:

-La mainmise de marxisants(tes) style Fontenis sur la FA et une recherche de solutions pour que çà ne se reproduise pas. (et qui fut salutaire ! Merci Maurice !)

- Quand on voit les excellents documents publiés ici-même sur l'histoire des différentes fractions communistes-libertaires par vroum (histoire de l'UGAC, de l'ORA, etc) et écrites par Roland Biard (qui ne peut être accusé d'anti-communisme-libertaire) à moins d'être bouché, on a tout compris.... (sans même parler de l'entrisme situ marxisant de l'époque...re-pouf..pouf... et au secours !)
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Pïérô » 27 Fév 2009, 23:07

Maurice Joyeux a joué un role important tant dans les scissions que dans la transmission d'une analyse caricaturale et mensongère de toutes ces histoires puisqu'à chaque fois qu'il y avait une tendance anarchiste-communiste qui se développait il ressortait cette théorie du complot "marxisant" venant de l'extérieur. Cette question est traitée de long en large dans d'autres topics plus anciens de ce forum. Et il existe aussi une façon de voir l'histoire d'une manière plus objective, comme justement l'ont fait Biard et d'autres. Fontenis lui même revient sur cette période avec humour et dose d'autocritique. Et je ne pense pas qu'aujourd'hui, plus de cinquante ans après, on puisse avoir à se ranger derrière un mort ou derriére quelqu'un qui est retiré depuis un moment.

Juste autre chose pour sortir de cette image caricaturale et mensongère, il est plutôt cavalier (pour rester cool) de parler "d'entrisme situ marxisant" (situ de situationisme), en cette période du début des années cinquante, c'est un non sens historique...et donc je ne sais pas si "on a tout compris". Cette histoire du complot "marxiste" ou "marxisant" venu de l'extérieur aurait pû relever d'une méconnaissance de l'histoire, s'il n'y avaient eu les éléments que l'on trouvera dans ce forum en plus à droite et à gauche, et Alayn connait ces éléments puisqu'il y a déjà été confronté auparavant. Nous sommes donc ici dans un autre registre...

Et pour finir, le mouvement anarchiste a toujours été traversé de ces débat autour de la question de l'organisation, tant dans la forme que sur le fond, et a connu plusieurs scissions pour des raisons souvent identiques. Celà a été vif dans cette période d'après guerre puis d'après 68, qui voyaient nombre de jeunes rejoindre la FA. FA, qui dans la fin des années 70 reconnaitra enfin le principe de la lutte des classes amenant cette fois un autre type de scission avec le départ d'une grande partie du courant individualiste. Mais peut être que ce rajout dans les principes de base de la FA était encore due à une manoeuvre d'êtres venus d'une autre planète, de "marxisants" ?
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Alayn » 28 Fév 2009, 04:11

Bonsoir ! Voui, chacune et chacun voit l'histoire à sa porte (ou à la portée capacitaire qu'il peut en avoir...)

- Sans Maurice JOYEUX et quelques autres, il n'y aurait peut-être pas de FA aujourd'hui. Premier point.
- Fontenis, avec son OPB, a clairement noyauté la FA et l'a marxiser dans les années 50.(jusqu'à participer à des élections en 56 !!!!) Second point.
-Voui, les situs ne sont apparus que dans les années 60, tout d'abord en noyautant les orgas communistes-libertaires (UGAC, revue Rouge et Noir et compagnie) et en traînassant un discours marxisant et marxiste. (qui a connu son apogée en mai 68 avant son sabordage en 70/71). Pas une grosse perte...
-Maurice JOYEUX était visionnaire: dès les années 50, il avait explicationné cette mainmise autoritaire du courant marxisant sur le mouvement anarchiste (voir "L'Hydre de Lerne" où quelques chapitres ont été publiés ici par mes soins et MIRACULEUSEMENT non censurés)
-Aujourd'hui, de tout cela, il nous reste que quelques fossiles osant encore défendre Fontenis, parqués principalement à AL. A tel point qu'on se demande si AL est vraiment une orga anar....(ou simplement et bêtement une orga ne cherchant qu'à avoir un strapontain avec l'extrème-gôche....)

Mais rentrons dans le fond:
-La FA a reconnu bien avant les années 70 "la lutte des classes", sans même l'inscrire forcément dans ses PB (pour faire plaisir aux communistes-libertaires, voire aux anarcho-syndicalistes ???) Bouffonade qierrotiste çà et argument mensonger et fallacieux manipulatoire de l'histoire !
La FA était majoritairement ouvrièriste jusque dans les années 80 ! Et j'ai encore dans les oreilles les lamentations lancinantes de militants(tes) FA qui se lamentaient (à juste titre ou pas ; là n'est pas le propos) qu'elle ne le soit plus à l'aube des années 90. Ce qui est exact mais qu'est-ce qu'on y peut ? C'est simplement un fait sociologique.

-Le départ d'individualistes fin année 70 pour cause d'"entrisme" forcené"(arf !) de la notion de "lutte des classes" et fatalement d'une horde dévastatrice de cocos-libertaires submergeant tout ? Pfiou, maybee... I don't know.... (je commençais à lire mes premiers ML parlant de la guerre au Liban-arf !)

Fin années 70 et début années 80, je m'en tapais des cocos-libertaires: j'étais avec des Anarchistes à lutter contre des centrales nucléaires (Civaux, Golfech, etc...) et à préparer mon insoumission au service militaire.Je me rappelle pas avoir vu de cocos-libertaires...

Salutations Anarchistes !
Alayn
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Pïérô » 28 Fév 2009, 14:57

C'est la vision partisanne développée à l'époque par Joyeux. A ce titre et parce que tu sembles vouloir t'appuyer dessus, je t'invite à lire justement les textes de Biard et les autres, ainsi que ceux qui avaient déjà été mis en ligne auparavant, et que tu n'as manifestement pas lû (où alors nous serions dans le domaine de la mauvaise foi) !
Tu fais une part trop importante à l'influence supposée du mouvement situationiste dans cette histoire propre au mouvement anarchiste. La revue "Noir et Rouge" aborde à cette époque cette question d'ailleurs du situationisme des années 60 (il y a éléments là aussi : Contre la confusion, C lagant, N&R, 1967 viewtopic.php?f=68&t=637&start=15#p11066 ). Ceci permet surtout d'entretenir cette thèse d'un complot venant de l'extérieur, thèse qu'à toujours défendu Joyeux contre le courant anarchiste-communiste, Joyeux qui a toujours sû s'appuyer sur le courant individualiste, pour lequel il n'a jamais eu beaucoup de sympathie, pour continuer à trôner dans la FA. Tu continues dans cette espèce de tradition mensongère a assimiler les anarchistes communistes à des marxistes alors que ce courant se situe dans la tradition bakouninienne. Les anarchistes-communistes étant la tendance la plus organisationelle, se sont toujours eux qui ont été les principaux acteurs de la création des organisations anarchistes dans l'histoire. On voit par exemple (c'est dans un des textes mis en ligne par vroum sur l'histoire de la FA), comment quelqu'un comme Maurice Fayolle dans la FA deuxième mouture va reposer ces questions d'investissement dans les luttes, de la lutte des classes, du sens de l'organisation, de l'immobilisme des individualistes...pendant une dizaine d'années, puis finira par imaginer l'ORA. Depuis les années 20 puis 30 les organisations anarchistes ont toujours été confrontés à cette question de la difficulté de réaliser une synthèse sans créer de l'immobilisme, et des scissions. Et ici nombre de camarades pensent qu'il est impossible de concevoir une organisation unique et que l'unité doit se penser dans un autre cadre, reconnaissant les sensibilités et les différences, comme la question de s'organiser en courant spécifique. Des générations jeunes successives se sont heurtées à l'immobilisme de la FA après guerre, ce qui a produit jusqu'à il y a peu encore de multiples scissions dans la FA (et j'en suis parti aussi à cause de çà après 19 ans passés à la FA) avec le départ de plusieurs groupes il y a cinq ans.

Je ne connais personne aujourd'hui qui ne pense pas que l'OPB était une connerie. Fontenis y revient dans ses écrits et j'invite aussi les personnes intéressées à commander le film DVD fait par des Tourangeaux où Fontenis revient la dessus comme sur la question des élections de 56 où il dit : "nous avons mis les pieds dans le crotin" . C'est intéressant aussi de voir le bonhomme, qui est en fin de vie, et qui a traversé toute une histoire du mouvement anarchiste, et qui n'a pas vraiment le côté autoritaire qu'on lui prète *.

Tu parles de la lutte contre les centrales de Civaux et Golfech, auquelles j'ai participé à cette époque et j'y cotoyais des camarades de l'OCL, de la FA et le courant autonome proche de l'OCL, ce qui infirme ce que tu dis. Il y avait beaucoup de monde dans les manifs à Golfech et je ne peux rien affirmer, par contre je ne t'ai pas rencontré à l'époque dont tu parles dans la lutte contre Civaux (j'étais membre du CLAN, Comité de Lutte Anti-Nucléaire de Poitiers, et nous avions construit une apparition anarchiste spécifique dans cette lutte contre Civaux avec des camarades de la région, jusqu'à Limoges).

* vidéo, parcours libertaire, entretien avec Georges Fontenis :
viewtopic.php?f=68&t=1249
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Klement » 28 Fév 2009, 19:24

qierrot a écrit:Je ne connais personne aujourd'hui qui ne pense pas que l'OPB était une connerie. Fontenis y revient dans ses écrits et j'invite aussi les personnes intéressées à commander le film DVD fait par des Tourangeaux où Fontenis revient la dessus comme sur la question des élections de 56 où il dit : "nous avons mis les pieds dans le crotin" .

Pour ma part je pense pas que l'OPB ait été une "connerie" ça a été un tentative salutaire à mon avis pour développer un anarchisme révolutionnaire fondé sur la lutte de classe, quant au côté fraction secrète, Fontenis raconte très bien que les individualistes était également organisés de la sorte...
En revanche ce qui est discutable ce sont certaines positions de la FCL (fascination pour le PCF, quasi proclamation de la FCL comme "Parti d'avant garde", présentation aux élections qui d'ailleurs a presque immédiatement été analysée comme une erreur par de nombreux militants FCL). Cela dit je pense que la FCL correspond à un moment crucial d'autonomisation du courant communiste libertaire, qu'elle a engrangé un certain nombre d'acquis théoriques et dans les luttes (anticolonialisme, pratiques unitaires, primauté de la lutte de classe, interventions en entreprise, programme revendicatif,syndicalisme) dont je me réclame, modestement, dans mon militantisme communiste libertaire actuel
Klement
 

Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede Pïérô » 28 Fév 2009, 20:47

C'est vrai pour les individualistes, et en même temps il y avait encore des restes des cet héritage républicain et révolutionnaire (et franc maçon aussi) des sociétés secrètes, dans lequel Bakounine excellait aussi, et aussi pendant le première internationale, que la tendance de Pierre Besnard l'avait pratiqué dans le syndicalisme avant guerre, mais on ne peut pas dire que la fin justifie certains moyens contestables ou que çà a été salutaire. D'ailleurs je trouve que celà reste une casserole que les communistes libertaire trainent, malgré les cinquantes années qui sont passées. D'un autre côté celà sert d'épouvantail pour les anti-anarchistes-communistes à chaque fois pour passer à côté du débat organisationel et pour dénigrer une sensibilité qui n'a pas à porter cet "héritage", cinquante ans après. Ces pratiques n'ont d'ailleurs plus cours depuis longtemps.
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Re: La Fédération Communiste Libertaire (F.C.L.)

Messagede vroum » 26 Mai 2009, 15:59

Alexandre SKIRDA

Un extrait du bouquin de Skirda pour relancer le topic :

AUTONOMIE INDIVIDUELLE ET FORCE COLLECTIVE

Les anarchistes et l’organisation de Proudhon à nos jours



L'OPB et la FCL (Fédération communiste libertaire)


Le mouvement anarchiste français se reconstitue dans l'euphorie de la libération de 1945. Une Fédération anarchiste est fondée sous de bons auspices: il est question de «faire table rase des méthodes d'action qui sont d'un autre âge et dont la faillite est incontestable». Malgré certains tiraillements, des principes organisationnels plus rigoureux sont adoptés, laissant «loin derrière eux tous les errements passés en matière d'organisation libertaire». Parmi les décisions, notons comme en 1913, 1927 et 1935 (FCL), l'obligation pour les adhérents d'avoir, sur le modèle syndical, des cartes et des timbres de cotisations. Le vote majoritaire est officiellement introduit dans le fonctionnement de l'organisation et des groupes, ainsi qu'au cours des congrès. Trois comités, naissent : le Comité national, organisme de coordination des groupes et adhérents, avec un secrétaire général ; un Comité de propagande ayant pour charge de faire paraître le journal, et un Comité pour les jeunes, destiné à l'accueil des sympathisants et arrivants. La Fédération compte trois permanents : deux administratifs et un au journal (dont plus tard Georges Brassens, non encore connu comme chanteur). Parallèlement, un syndicat anarcho-syndicaliste, la CNT française, sera créé sur le modèle espagnol (d'ailleurs, de nombreux, sinon la grande majorité de ses membres en proviennent). Les deux organisations travaillent la main dans la main ; leurs organes tirent à des dizaines de mille d'exemplaires : Le Libertaire, hebdomadaire, tire en moyenne près de cinquante mille exemplaires (cent mille pour l'un de ses numéros, lors de la grève de Renault en 1947). Pourtant, en quelques années ces deux organisations vont décroître, se séparer et se réduire en chapelles groupusculaires. Examinons-en les raisons.

Le contexte national et international joue un rôle déterminant. La belle unanimité de la résistance et le rêve d'un nouveau Front populaire font place à une hostilité déclarée entre socialistes et communistes ; les grèves presque insurrectionnelles des mineurs et de Renault sont contrées avec fermeté par les socialistes français au pouvoir. Le «coup de Prague», où les staliniens se sont emparés sans coup férir du pouvoir total, alors qu'ils n'avaient qu'un simple droit de regard sur le pays, selon les accords de Yalta, ouvre les yeux à beaucoup sur les visées staliniennes. Tous ces événements ont forcément des effets démobilisateurs et suscitent, d'une part, un reflux des bonnes volontés et, d'autre part, un climat de grande tension, dû au risque d'échauffement de la «guerre froide».

Cependant, pour restituer l'époque, le stalinisme est alors «dominateur et sûr de lui» dans le mouvement ouvrier. Il règne également chez les intellectuels et donne le ton à la meute de ses «compagnons de route», dont le plus fameux est l'existentialiste Jean-«Baptiste» (comme l'a surnommé Céline dans une célèbre diatribe) Sartre, lequel estime naturel de dissimuler la vérité sur le régime totalitaire existant en URSS, afin de ne pas «désespérer Boulogne-Billancourt (siège de l'usine Renault) !» Il est vrai que l'auteur des Mouches veut également faire oublier ses simagrées sous l'occupation, lorsqu'il faisait jouer ses pièces de théâtre devant des parterres d'officiers allemands.

L'atmosphère est donc à l'affrontement. La Fédération anarchiste crée un «groupe d'autodéfense», sous la responsabilité de son secrétaire général, Georges Fontenis. Au début, c'est un noyau de militants expérimentés et sûrs, chargés de veiller à ce que des provocateurs ne s'infiltrent pas au sein de l'organisation. Son existence est connue de tous, bien que son fonctionnement et sa composition soient tenus secrets. Une totale confiance à ce sujet est accordée au secrétaire général, élu et réélu en 1946, 1947, 1948 et 1950. A partir de cette dernière année, une partie de ce groupe d'autodéfense se réunit à part, se retourne vers des problèmes internes et décide de réagir contre certains adhérents de la FA. Son but devient d'éliminer les individualistes, les francs-maçons et autres adversaires de la lutte de classes et de l'anarchisme social. Elle se structure, adopte une déclaration de principes, recueille des cotisations internes et prend le nom d'OPB (Organisation Pensée-Bataille, en hommage à Camillo Berneri, l'anarchiste italien assassiné par les agents mussoliniens ou staliniens, en mai 1937, à Barcelone). L'OPB compte à ses débuts 15 membres parisiens et deux correspondants en province. Détail important, son existence est tenue absolument secrète au sein de la FA. Certains de ses membres l'ont quittée par la suite et publié, en 1954, un document révélant ses tenants et aboutissants, connu sous le nom de Memorandum du groupe Kronstadt. Référons-nous à son analyse :

«L'OPB a à sa tête un bureau composé de trois membres. Les cotisations obligatoires lui donnent des moyens financiers solides, utilisés par exemple pour financer les déplacements des membres OPB. Les adhésions à l'OPB se font par cooptation après enquête sur le passé du futur militant et sur proposition de deux parrains. Les assemblées plénières de l'OPB ont lieu tous les 15 jours, parfois toutes les semaines. Ces réunions sont obligatoires pour tous. Les décisions qui y sont prises sont exécutoires par tous y compris ceux qui ont voté contre [...] Dans les groupes, les militants OPB doivent s'assurer les secrétariats ; inciter, en montrant l'exemple, au collage et à la vente du LIB à la criée, détecter les éléments susceptibles d'entrer à l'OPB. Dans les groupes encore, les militants OPB font adapter des motions allant toutes dans le même sens en vue des Congrès.»177

La tâche impartie au départ de propager l'anarchisme social et de se délimiter des «individualistes» et des «libéraux» de l'organisation, s'étend peu à peu à ceux qui sont qualifiés de «vaseux», «nullistes» et même «anarchistes traditionnels». Grâce à sa tactique de noyautage des groupes et des responsabilités, l'OPB conquiert, en 1952, la majorité de la région parisienne, la plus importante du pays, et provoque au congrès de Bordeaux de la même année à une première série de départs : des personnalités — Maurice Joyeux, les Lapeyre, Maurice Fayolle, Arru, Vincey, etc. —, et des groupes hostiles. A cette occasion, innovation en la matière, le principe du vote par mandats est adopté à une large majorité du congrès. L'OPB triomphe sur toute la ligne. Voyons comment le Memorandum explique ce phénomène, qualifié en la circonstance de «centralisme bureaucratique» :

«Ainsi, utilisant la passivité de la masse des militants et le noyautage méthodique, une fraction est parvenue à contrôler et à diriger l'ensemble de la Fédération. Résumons le processus qui aboutit à créer au sein de la Fédération un pouvoir concentré en une pyramide hiérarchisée, qui anime les rouages les plus importants de l'organisation.

Ce procédé rappelle curieusement le système du “holding” qui permet à un petit groupe d'actionnaires de “tenir” des sociétés de plus en plus étendues, où ils disposent d'un nombre minime mais agissant de voix.

A. Les principaux groupes de Paris “tiennent” la 2e Région (parisienne) et la Fédération en accaparant la grosse majorité des postes responsables (Comité national, etc.) et des sièges des commissions.
B. L'OPB “tient” les principaux groupes de la Région parisienne en trustant les responsabilités de groupe.
C. Le Bureau de l'OPB “tient” l'OPB dont les membres sont ramenés à la tâche d'exécutants dociles.
D. Fontenis “tient” l'OPB par son poste prédominant de Secrétaire à l'organisation.

On comprend facilement comment s'est ainsi affirmée la supériorité de la fraction Fontenis. Son monolithisme de pensée et sa cohésion disciplinée lui ont permis une stratégie et une tactique triomphant aisément des militants dispersés confiants dans le fédéralisme de l'organisation. L'OPB seule avait la possibilité d'agir simultanément dans de nombreux groupes pour les influencer de l'intérieur dans un sens déterminé. L'OPB seule a pu truster les initiatives et l'activité au sein des groupes puis au nom des groupes. L'OPB seule, pouvait s'assurer un monopole de fait sur l'activité administrative et idéologique de la Fédération. L'OPB seule, était cet outil redoutable, capable d'utiliser la démocratie apparente pour les besoins d'une dictature occulte.

Aussi, la Fédération, au lieu d'être l'expression de l'ensemble des militants de base par l'intermédiaire d'organismes démocratiquement élus, devenait l'expression d'un seul homme appuyé, relayé par des organismes disposés à agir depuis un centre jusqu'à la périphérie. C'est l'inverse même du processus fédéraliste ou même démocratique dont le stalinisme fut l'un des plus beaux exemples.»178

D'après le Memorandum, ce mécanisme précis expliquait comment un homme «seul et décidé» pouvait, à force de calculs et de manœuvres, mettre la main sur une organisation révolutionnaire. Approfondissant sa description, le Memorandum assimile l'OPB à un bureau politique (politburo) et son secrétaire, Georges Fontenis, à un «guide», consacrant la séparation interne dans l'organisation entre le dirigeant, se réservant l'élaboration de la ligne politique, et les militants, simples exécutants de sa volonté. Pour faire comprendre cet ascendant, le Memorandum relève les «atouts particulièrement dangereux» de G. Fontenis, à savoir sa «valeur personnelle», sa profession (enseignant), sa faculté d'être fréquemment présent au local et de pouvoir accomplir de multiples tournées à travers le pays, bref, d'être omniprésent, disponible et de savoir se rendre indispensable. En outre, son charisme lui valait le soutien indéfectible de ses fidèles. Selon le Memorandum, le succès de l'entreprise de Fontenis tenait surtout au «manque de vigilance révolutionnaire des militants et au renoncement passif d'un grand nombre d'entre eux à exercer leur droit de critique sur les faits qui pouvaient leur paraître sujets à caution».

Une deuxième fournée d'exclus — dont Prudhommeaux, Louvet, Fernand Robert, Beaulaton — se regroupe en une Entente anarchiste sur une base individualiste. A la suite d'un référendum, la FA change son nom en Fédération communiste libertaire. Elle se dote de nouvelles commissions : d'Études, ouvrière, de contrôle et de conflits. C'est devant celle-ci qu'est réglé le différend entre Fontenis, le Comité national et le groupe Kronstadt, le 1er janvier 1954. C'est précisément ce jour que Serge Ninn choisit pour révéler l'existence de l'OPB, malgré l'engagement pris à l'origine de ne jamais la rendre publique. Fontenis, présent, déclare :

«Il y avait effectivement, fin 1950, une organisation secrète, l'OPB. S'il n'y avait pas eu l'OPB, il n'y aurait pas aujourd'hui de FCL. Un travail énorme a été fourni en 1950. Nous avons maintenu Le Libertaire. Tant pis pour la FA. La position de 3e Front a été élaborée d'abord à l'OPB. Je ne regrette rien du travail effectué. Ceux qui sont sortis ne l'ont pas fait à cause de moi. D'ailleurs, l'OPB est supprimée à la suite du Congrès de Paris de 1953. Cette organisation, j'attends que l'on apporte la liste de ses méfaits, même en ce qui concerne les vieux militants. D'accusé, je me transforme en accusateur à mon tour. L'OPB a continué jusqu'au dernier congrès inclusivement. Dans la mesure où Ninn et Blanchard (membre du groupe Kronstadt. Ndla) se trouvaient en opposition, quand la FCL se fut affirmée, l'OPB fut dissoute. L'OPB, telle qu'elle avait été conçue jusqu'alors n'avait plus de raison d'être.

Il fallait faire l'OPB, je ne rougis de rien. Avons-nous dicté des décisions aux commissions ? Non. Des grandes lignes, des grandes décisions, oui. La preuve que l'OPB n'avait pas l'intention de mettre la main sur l'organisation au Congrès de Paris, c'est que précisément elle n'a fait nommer aucun de ses membres à la Commission de conflits. L'OPB a existé, son travail est louable. Je nie formellement que l'OPB pèse d'une façon dictatoriale sur la vie de l'organisation. Je nie qu'à l'intérieur de l'OPB, il y ait eu une dictature de Fontenis. Qui avait des relations et des capacités de travail, sinon moi.»179

Il ajoute plus loin que l'OPB a été liquidée parce qu'elle représentait plus de danger que d'avantages. Pourquoi «ne pas l'avoir dévoilée ? C'est évident. L'OPB n'était pas en crise et n'a pas systématiquement affaibli le nombre des militants de la FA». En conclusion, la Commission de conflits «réprouve l'attitude du camarade Fontenis, consistant en un travail fractionnel à la veille du congrès. Émet le vœu formel que ces agissements ne se renouvellent pas».180

Que penser d'un tel phénomène, surprenant dans un mouvement anarchiste ? A-t-il des précédents dans les annales ? Peut-on le ramifier aux sociétés secrètes de Bakounine, en particulier à l'Alliance ? Le contexte historique était bien différent, elles étaient tenues à la clandestinité et étaient orientées vers l'extérieur ou alors contre des adversaires politiques et non contre leurs compagnons d'idées et de lutte. La filiation avec les sociétés secrètes blanquistes nous paraît plus nette. Il y a également une similitude avec le Pacte conclu par Pierre Besnard et dix-sept autres militants syndicalistes révolutionnaires, en février 1921, pour s'opposer à l'emprise grandissante de Moscou et de la Troisième Internationale au sein de la CGT. Parmi les articles de ce Pacte figure l'engagement de «ne révéler à personne l'existence du comité» et à «œuvrer par tous les moyens en notre pouvoir pour qu'à la tête et dans tous les rouages essentiels du Comité syndicaliste révolutionnaire, principalement à la tête de la CGT lorsqu'elle sera en notre pouvoir et sous notre contrôle, nous assurions l'élection, aux postes les plus en vue et responsables, tant au point de vue théorique qu'à celui de l'action pratique, des camarades purement syndicalistes révolutionnaires, autonomistes et fédéralistes».181 Son existence fut rendue publique le 15 juin 1922 et P. Besnard dut s'en expliquer. Son résultat le plus tangible fut l'élimination de Monatte, mais il échoua complètement dans la conquête de la CGT d'abord, puis de la CGTU, où les communistes finirent par le supplanter. Hormis cet exemple, nous ne pouvons trouver des ressemblances entre l'existence d'une fraction organisationnelle interne et secrète, telle qu'a été l'OPB, qu'avec des organismes de même type en usage dans les milieux bolcheviks, tout particulièrement chez les trotskystes, grands «spécialistes» du noyautage.



Afin de démontrer la justesse de sa démarche et aussi, peut-être, de justifier les méthodes employées, Fontenis publie une série d'articles théoriques dans Le Libertaire, à la rubrique Problèmes essentiels. Une partie d'entre eux est reprise dans une brochure, sous le titre de Manifeste du communisme libertaire. Il est édité par Le Libertaire et une Introduction de la Commission d'éditions la présente. Remarquons que les conditions de cette édition ont été contestées par Roland Breton, membre du groupe Kronstadt. Il avait rédigé une motion où il considérait que cette brochure n'exprimait que le point de vue personnel d'un camarade et non pas celui de la Fédération ; il mettait même en question l'existence de ladite commission d'Éditions et même la publication par Le Libertaire, aucune décision n'ayant jamais été prise à ce sujet. Le plus important à ses yeux était que cette «brochure n'avait jamais été soumise à la discussion de l'organisation et encore moins adoptée comme l'expression du mouvement».

Passons, nonobstant, à l'examen de ce texte qui sera adopté par le congrès de la FCL de 1953 comme texte de base. L'Introduction de la Commission d'Éditions explique que le «régime capitaliste en est arrivé à son point culminant et que toutes les solutions de replâtrage et les solutions du pseudo-communisme d'État» ont fait faillite, ainsi il a paru «nécessaire et urgent de poser en un manifeste l’analyse et la solution communistes libertaires». Cette affirmation conserve toujours son actualité, mais son aspect «urgent» le semble beaucoup moins, la situation décrite remontant déjà aux années 1920 et le capitalisme étant un malade qui se porte assez bien, merci, malgré toutes ses crises et accès de fièvre, ce serait plutôt le mouvement ouvrier révolutionnaire qui ne cesserait de défaillir. L'Introduction poursuit néanmoins que ce Manifeste a été rédigé par G. Fontenis «à la demande de la quasi unanimité» des militants, qu'il n'a pas pensé «créer une nouvelle doctrine», ni «être original à tout prix», mais uniquement faire une «œuvre modeste de rassembleur». Pour un texte aussi fondamental, il est anormal qu'il ne soit dû qu'à la plume d'un seul militant, aussi capable soit-il, bien qu'il ait «retouché, corrigé, précisé en tenant compte des observations, des approbations, des critiques que lui ont apportées les militants et les lecteurs du Libertaire». Cette circonstance inhabituelle confirmerait ce qu'écrit le Memorandum au sujet de la prédominance personnelle de G. Fontenis au sein de la FCL en matière d'orientation politique.

Malgré la volonté affichée de ne pas innover, ce Manifeste exprime une analyse en bien des points révisionniste par rapport à la doctrine anarchiste connue jusqu'alors. Soucieux de se démarquer à tout prix de l'anarchisme traditionnel, l'auteur emploie des notions et des expressions parfois ambiguës. Après avoir répété à plusieurs reprises, par exemple, que l'anarchisme n'est pas une «philosophie de l'individu ou de l'homme en général», il affirme que l'anarchisme l’est tout de même mais «dans un sens particulier», car ce serait dans ses aspirations et buts «humains ou si l'on veut humaniste».182 Il met ainsi en opposition le courant philosophique et la doctrine sociale, alors que nous l'avons amplement vu, la seconde est un dépassement historique du premier, sans pour autant l'éliminer. Sa définition des classes sociales et du prolétariat apparaît quelque peu contradictoire. Le prolétariat est d'abord fort justement défini comme l'«ensemble des individus qui n'ont que des fonctions d'exécution dans la production et dans l'ordre politique» ; ensuite, il est question de sa «partie la plus décidée, la plus active, la classe ouvrière proprement dite», puis il se réfère à quelque chose de «plus vaste que le prolétariat et qui comprend d'autres couches sociales qu'il faut entraîner dans l'action : ce sont les masses populaires qui comprennent les petits paysans, les artisans pauvres, etc.» Enfin, il mentionne la «suprématie de la classe ouvrière sur d'autres couches exploitées», à propos d'une interprétation possible de la «dictature du prolétariat», à laquelle il substitue le «pouvoir ouvrier direct». Parmi les tâches de celui-ci figure la défense de la révolution contre les «hésitants, voire contre les couches sociales exploitées, arriérées (certaines catégories paysannes par exemple).» Tout cela est imprécis et source de confusions, surtout avec ces catégories d'«hésitants» et d'«arriérés», tout à fait subjectives et pouvant s'étendre indéfiniment ; c'est ainsi, par exemple, que les bolcheviks ont pu transférer la conscience révolutionnaire de classe au parti et à ses organes dirigeants.

La réfutation des notions-clé du bolchevisme, telles que la «dictature du prolétariat», l'État dit «ouvrier ou prolétarien» et de la «période transitoire», n'est pas vraiment convaincante. La première est rejetée comme domination d'une minorité sur la majorité et envisagée dans le sens inverse, mais Fontenis juge l'expression «impropre, imprécise, cause de malentendus». Il voit l'État «prolétarien» exercer une «contrainte organisée, rendue nécessaire par l'insuffisance du développement économique, le manque de développement des capacités humaines (?) et — au moins pour une première période — la lutte contre les résidus des ex-classes dominantes, vaincues par la révolution ou plus exactement la défense du territoire révolutionnaire à l'intérieur et à l'extérieur». L'explication est très discutable : on a bien vu que cet État dit «ouvrier» a été le principal obstacle à un véritable développement économique et encore plus des «capacités humaines», dont il a fait un gaspillage insensé. Quant à la lutte contre les «résidus» du régime d'exploitation défunt, elle s'est réduite à une répression policière implacable, allant jusqu'à l'élimination physique de classes entières (comme les paysans pauvres, réfractaires à la collectivisation en 1930-1934) et de toutes sortes de «récalcitrants». Au sujet de la période transitoire, Fontenis distingue les phases inférieure et supérieure du communisme ; la première, autrement appelée le socialisme, marque une certaine pénurie qui «signifie la persistance de l'économique sur l'humain, donc à une certaine limitation», laquelle revient à «rationnement égalitaire ou encore à une répartition par l'intermédiaire de signes monétaires à validité limitée». Ce régime serait toujours marqué par des «notions de hiérarchie» et de «différenciation de taux de salaires», malgré tout minimes car il «tendrait vers une égalisation aussi grande que possible, une équivalence de conditions». Pures rêveries ! Démenties par toutes les expériences accomplies, tant en Russie qu'ailleurs. Les différenciations de taux de salaire ou même de répartition ont, au contraire, constitué la source de la naissance d'une nouvelle classe d'exploiteurs. Bakounine l'avait prédit avec une clarté méridienne et d'autres après lui aussi, il paraît étonnant que Fontenis ait pu l'ignorer. L'inconséquence vient de ce qu'il refuse d'appeler cette forme de «communisme inférieur», menant au «communisme parfait», une «période transitoire», estimant l'expression inexacte.

En ce qui concerne la pratique organisationnelle, l'auteur du Manifeste reprend tels quels les principes organisationnels de la Plate-forme de Diélo trouda, tout en en accentuant le caractère avant-gardiste. Un changement de titre entre l'article paru dans Le Libertaire et le chapitre de la brochure est révélateur : les «rapports entre les masses et l'organisation révolutionnaire» deviennent les «rapports entre les masses et l'avant-garde révolutionnaire». Toutefois, l'avant-garde est définie de manière identique à celle de la Plate-forme : elle n'est ni au-devant, ni en dehors de la classe ou des masses, elle «ne vise qu'à développer leur capacité d'auto-organisation» et se place délibérément en leur sein, car si elle s'en détache elle «devient un clan ou une classe». Quoi qu'il en soit, l'organisation anarchiste révolutionnaire spécifique devient l'«avant-garde consciente et active des masses populaires». Ajoutons que cette dernière expression est également lourde de toutes les confusions possibles, pour conclure que cette conception d’une «organisation révolutionnaire ou Parti», voulait incarner une conscience révolutionnaire hégémonique de la minorité anarchiste agissante, et se poser en concurrente directe du «pseudo»-Parti communiste français.

Jusqu'ici, le Manifeste et la démarche de Fontenis ont été interprétés comme une tentative de «bolcheviser» l'anarchisme, car on les a crus adressés à des anarchistes. Par contre, si on les perçoit orientés surtout vers des militants ouvriers de ces années, sous influence lénino-stalinienne, ou même vers des sympathisants et dissidents du PCF, il est possible de décrypter le Manifeste à l'envers : comme un essai de les «anarchiser». Alors, les confusions, contradictions ou si l'on veut les «obscurités» du texte s'éclairent soudain, vues à travers le prisme de tels lecteurs. La suite des événements paraît accréditer cette version : ouvriérisme débridé, surenchère sur les mots d'ordre de la CGT et du PCF, engagement actif dans la lutte anticolonialiste (guerre d'Algérie), d'abord, candidature aux élections législatives de 1956, relance de l'exclu du PCF André Marty, ensuite.



Que le mimétisme adopté à l'égard du Parti communiste corresponde à une volonté de débordement sur sa gauche et sur son terrain de prédilection, la classe ouvrière, c'est clair, mais la FCL n'avait ni la vocation ni les moyens d'assumer cette tâche. Cela dit, nous ne sommes pas d'accord avec Jean Maitron lorsqu'il écrit que c'était une «synthèse entre l'anarchisme et un certain léninisme», se «situant dans une ligne plateformiste mais allant au-delà des thèses d'Archinov».183 Nous pensons que c'est plutôt une tentative extrême de promouvoir l'anarchisme social sur le devant des batailles ouvrières, le souci d'«efficacité» passant avant le respect d'une certaine tradition libertaire. Cette démarche n'est pas isolée historiquement : nous avons vu le rejet du démocratisme au sein de la CGT par Émile Pouget, les tentatives de dictature et de transformation de la FAI en parti politique, au cours de la révolution espagnole. Théoriquement, à notre avis, la filiation remonte à un certain blanquisme anarchisant (n'oublions pas que Blanqui, vers la fin de sa vie, a lancé le mot d'ordre «Ni Dieu, ni Maître», en le prenant pour titre d'une de ses publications). A l'appui de cette thèse, nous pouvons noter que ni Pouget, ni Besnard, ni Garcia Oliver ou Horacio Prieto, ni Fontenis, n'ont jamais rejoint, à notre connaissance, une organisation bolchevique. Ce qui eût été immanquablement le cas si leurs convictions intimes les avaient portés vers cette doctrine.



En ce qui concerne les affinités entre le Manifeste de Fontenis et la Plate-forme de Diélo trouda, les positions d'Archinov, elles existent indubitablement dans l'adoption de la lutte de classe, comme moteur des luttes sociales, ainsi que des principes organisationnels. Cependant, nous avons vu quelle application Fontenis et ses amis en ont fait avec l'OPB. Par ailleurs, la Plate-forme n'accorde pas la même importance que Fontenis à la classe ouvrière, simple composante du prolétariat comprenant essentiellement la paysannerie pauvre. Cela peut s'expliquer par les compositions sociales historiquement différentes de la Russie et de la France. La divergence essentielle demeure dans la démarche choisie : la Plate-forme mène un débat public au sein du mouvement anarchiste et compte sur la réflexion et la prise de conscience collectives pour le faire évoluer, alors que Fontenis et ses partisans emploient des moyens occultes et bureaucratiques pour imposer leurs conceptions.

L'action de la FCL contre la guerre d'Algérie vaut au Libertaire d'être censuré et saisi ; de lourdes amendes grèvent ses finances, amenant rapidement la disparition du journal et la perte du local. En outre, ses options de plus en plus «hérétiques» provoquent la désaffection de militants restés fidèles au communisme libertaire. Sans avoir d'acte officiel de «décès», elle disparaît de la scène politique au cours des années 1957-1958.


Nous nous sommes interrogés sur le pourquoi et le comment de cette expérience exceptionnelle dans l'histoire du mouvement anarchiste, aussi, avons-nous sollicité Georges Fontenis pour disposer d'éléments de réponse sur la question. Il nous a fort aimablement répondu et exposé de façon concise la raison d'être de l'OPB. Nous reproduisons sa lettre en annexe. Prenons note qu'il persiste et signe en ce qui concerne l'OPB, par contre, il semble émettre des réserves sur l'évolution de la FCL, de 1954 à 1956. Il annonce un ouvrage détaillé, où il «reviendra sur tout cela avec précision et dans un esprit d'auto-critique». Gageons que cette publication sera très utile pour mieux appréhender certains aspects de cette période restés obscurs.
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Messagede Vieille Chouette » 01 Juin 2013, 13:39

Pierre Morain est décédé

Pierre Morain est décédé

C’est un militant infatigable qui vient de nous quitter, à l’âge de 83 ans. Ouvrier du bâtiment, militant de la Fédération communiste libertaire en 1955, Pierre Morain s’est distingué dans le combat anticolonialiste, de la guerre d’Algérie à la cause palestinienne ces dernières années.

A son enterrement, le 30 mai à Saint-Martin-du-Larzac (Aveyron), environ 200 personnes étaient venues de tout le plateau et de plus loin. Des militants de tous les horizons — Alternative libertaire, Confédération paysanne, Faucheurs volontaires d’OGM, Ecole émancipée, Campagne civile pour la protection du peuple palestinien — étaient présents et ont lu des allocutions souvent émouvantes. Citons notamment celles d’un ancien prisonnier palestinien, et le message transmis par Jean-Claude Amara (Droits devant !!) et par Jean-Baptiste Eyrault (DAL).

Notre camarade Daniel (AL Paris-Sud) a transmis un message de Line Caminade (ex-FCL) et raconté sa rencontre avec Pierre et sa compagne Suzanne, lorsqu’il a réalisé le film Une résistance oubliée, dont des extraits ont été projetés pendant la cérémonie.

Après quelques chansons antimilitaristes comme La Butte rouge et Le Déserteur, les présents ont fait à Pierre l’hommage d’une ultime Internationale tandis que le cercueil était porté en terre.

Nous assurons sa compagne Suzanne et sa fille Eliane de toute notre amitié. Nous parlerons plus longuement de Pierre Morain dans le numéro d’été d’Alternative libertaire.



Source : http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle5360
Je sais que les asiles et les prisons de ce pays, sont le dépôt des inclassés, des nouveaux enragés, je sais qu'faut se courber et toujours rester muer, se plier, s'laisser bouffer, et en redemander... (Kyma - Les grands vides pleins)
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