Décédé mercredi 12 avril 2017 à l’âge de 57 ans, des suites d’une maladie dont il se savait atteint depuis septembre dernier, Luc Douillard était une figure forte et atypique de la vie politique nantaise depuis une quarantaine d’années.
Militant de gauche, libertaire, non-violent, antiautoritaire et anticapitaliste, il était également soucieux de la dimension affinitaire et amicale, sinon festive, de toute action politique.
Luc Douillard était marié à Emmanuelle Lefebvre et père de trois enfants : Pierre, Marc et Félix. Il était par ailleurs professeur d’histoire-géographie au lycée professionnel Michelet. Cet homme d’une grande courtoisie, humaniste attentif à son semblable, cultivé, passionné de presse locale et nationale, grand lecteur et fin lettré, admirateur d’Albert Camus était féru d’histoire, et en particulier de l’histoire nantaise dont il avait une connaissance précise et étendue.
Ses derniers actes et prises de positions publiques concernent en particulier deux mouvements collectifs qu’il avait coanimés : « Nuit debout » à Nantes au printemps 2016, ainsi que l’Assemblée des blessés, association nantaise rassemblant des victimes de violences policières.
Épilogue d’un long parcours politique, souvent médiatisé bien que mené en marge des organisations politiques traditionnelles, et qui avait commencé à la fin des années 1970.
Issu d’un milieu catholique de gauche, fils d’un enseignant, il se souvenait avoir assisté en compagnie de ce dernier, dès 1973 à l’âge de 13 ans, à un meeting en faveur des ouvriers de Lip. Épisode de l’histoire sociale française qu’il citait régulièrement en référence, déplorant l’évolution de « la CFDT autogestionnaire, passé de syndicat le plus à gauche à celui le plus à droite. »
Mais c’est en 1979 qu’il s’engage véritablement dans une vie militante, à l’occasion des grèves à l’université de Nantes en faveur des droits des étrangers, qui aboutira à la naissance de HOU (Hors d’œuvre universitaire), groupe affinitaire d’étudiants libertaires qui connut des succès aux élections universitaires. « Le groupe HOU eut un rayonnement réel à Nantes, mais qui ne dura pas après nous […] Ce fut la matrice irremplaçable d’amitiés agissantes qui durent toujours », écrira-t-il dans son « Modeste bilan de ma vie publique » publié à Noël 2016.
Ce récapitulatif d’un itinéraire politique très dense, surtitré d’une citation de Samuel Beckett (« Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux ») est accompagné d’une abondante documentation et iconographie visible sur le blog docnant.blogspot.fr
Il y est question du rapprochement avec le Partito radicale italien, alors dirigé par le député européen Marco Panella, du mouvement contre l’apartheid sud-africain ; des actions avec le Partito radicale derrière le rideau de fer qui valurent à Luc Douillard d’être emprisonné en Pologne ; de l’Apéro du 1er mai pour la taxe Tobin ; de la fête des langues de Nantes avec l’association Nantes est une fête (NEUF), inventée pour « résister, dans la fête et par l’amitié, à tous les replis nationalistes et ethnicistes, et pour remercier les immigrés qui nous apportent ici même leur plus beau cadeau : une culture à partager ensemble, pour s’enrichir sans s’appauvrir ! » ; etc. Mais un événement ressort, entre tous, de cette énumération. C’est celui qui, le 27 novembre 2007, valut à son fils alors âgé de 16 ans, atteint par le tir de flash-ball d’un policier lors d’une manifestation lycéenne, d’être privé de la vue d’un œil. Comme son enfant, Luc Douillard en fut meurtri pour toujours et n’eut ensuite de cesse, avec son épouse, d’épauler durant de longues années le combat du jeune homme devant les tribunaux, jusqu’à obtenir réparation partielle devant le tribunal administratif, dix ans plus tard (cf l’essai de Pierre Douillard-Lefevre, L'arme à L'oeil. Violences d'État et militarisation de la police (2016, Éditions du Bord de l’eau).
Luc Douillard avait aussi la particularité de fédérer autour de lui, et pas seulement via les réseaux sociaux, de très nombreux amis aux divergences parfois marquées, mais qui se retrouvaient tous quelque part en lui, discutant parfois âprement ses fréquents commentaires sur l’actualité locale, nationale et internationale. Par leur finesse et, souvent, leur originalité, ses analyses politiques emportaient l’adhésion ou donnaient pour le moins à débattre.
Professeur de français-histoire-géographie au lycée Michelet, il a mené avec ses élèves de nombreux projets débouchant sur des publications consacrées aux bombardements à Nantes, à la Résistance, il avait aussi lancé un mouvement de solidarité avec le peuple grec : « je suis grec » dans le cadre d'une « internationale Adelphique ».
Sa toute dernière contribution sur son compte Facebook fut un texte sur la bonté, notamment en politique .
Un épisode, enfin, pourrait évoquer ce qu’était la personnalité politique de Luc Douillard. Lors de la campagne présidentielle de 1981, avec une poignée d’autres militants antifascistes pourvus d’un solide courage physique, il investit un meeting de Jean-Marie Le Pen à Nantes, plutôt que de manifester à proximité, pour y distribuer 400 exemplaires d’un tract reproduisant l’Édit de Nantes de 1598, texte historique qui proclamait la tolérance, l’égalité des droits et le respect des différences.
Tel était notre frère, ami et camarade Luc Douillard."
Des proches et amis de Luc Douillard.