Retour sur la marche pour la justice et la dignité du 19 mars dernier
Entre 10 et 20000 manifestants ont participé à cette marche, ce qui est une réussite pour une initiative qui ne vient pas de la « gôche » officielle. Une manifestation aux composantes très diverses (familles de victimes, collectifs de sans papiers, des foyers, de banlieue, extrême gauche traditionnelle, mouvements décoloniaux, cortège antifasciste, « cortège de tête » (1)...), relativement colorée, un cortège dynamique avec des slogans variés. Une initiative qui a suscité aussi beaucoup de polémiques et qui pose pas mal de questions politiques importantes pour la suite.
Petit historique
A l’origine de la marche, un appel de familles de victimes de violences policières. Nous l’avons publié dans Courant Alternatif du mois de février. Cet appel avait le mérite de faire la jonction entre les violences policières racistes, la répression contre le mouvement social et l’état d’urgence. Il allait dans le sens de la convergence et des ponts à construire entre les diverses composantes de ceux et celles qui s opposent a cette société, et particulièrement les victimes des violences policières, l’antiracisme politique et les acteurs du mouvement social de ces derniers mois. Au départ, il était signé par pas mal de petits collectifs et très peu d’organisations. Les initiateurs/trices de l’appel essayaient de sortir de leur isolement et ont rapidement proposé un appel plus bref pour tenter (avec succès d’ailleurs) d’obtenir plus de soutien. Ce nouvel appel tenait en quatre points, plus consensuels, vérité et justice pour les familles, contre la banalisation du racisme, contre l’état d’urgence, pour la régularisation de tous les sans-papiers. Enfin, « sortir du colonialisme » organisait une semaine anticoloniale dans laquelle il appelait à soutenir la marche. Dans un premier temps, certaines organisations (le PCF par exemple) ont été signataires de la semaine, sans pour autant signer explicitement l’appel à la marche du 19 mars. Il y avait donc trois appels différents mais reliés entre eux. Par ailleurs, un certain nombre d’organisations et de collectifs ont décidé d’appeler à la marche sans signer l’appel, sur leurs propres bases. Pour finir, un nombre assez important de collectifs divers ont signé l’appel des familles à la marche (dont le FUIQB), quelques syndicats Sud et très peu d’organisations politiques (AFA, AL, CGA, NPA, VP, OCL Paris, PIR...), majoritairement signataires dès le départ. L’appel en quatre points a été peu signé, mais par des structures plus importantes (ATTAC, DAL, Ensemble !, Sud, UD-CGT...). Le Parti de Gauche, les Verts, le PCF... se sont ralliés à la marche à la dernière minute.
En fait, ceux qui ont le plus oeuvré pour le succès de la marche, ce sont le pouvoir, sa police et sa justice : acharnement contre la famille Traore, affaire Théo.... Et on peut considérer cette marche comme un succès du point de vue du nombre. Plus de 10000 manifestants pour une initiative autonome de la gauche institutionnelle, par des organisateurs peu importants et peu implantés, c’est pas mal. Une nuance à apporter cependant : il y avait très peu de cortèges de banlieue présents en tant que tels. Les enjeux sont d’importance. Il s’agit de rendre visibles les violences policières importantes subies en continu dans les quartiers populaires dans un silence médiatique et politique complet. Il s’agit à travers cette visibilisation de dénoncer le racisme d’état, le racisme structurel dans notre société. L’enjeu est aussi de travailler à une jonction entre ce qui se passe dans les quartiers populaires et les mobilisations sociales notamment autour de la loi travail, à une solidarité réelle entre deux types de victimes de la répression policière. L’enjeu enfin est de poser dans le débat public les questions des violences policières, de l’état d’urgence, du racisme structurel en période électorale, période plus que propice à tous les discours sécuritaires.
Il faut d’ailleurs noter que la mobilisation policière était massive. Certains départs de banlieue (c’est une tradition dans certaines communes de faire un rassemblement local d’abord) ont été interdits. Il y a pourtant eu très peu d’affrontements. Démonstration a été faite que le « cortège de tête » est capable de manifester dans le calme s’il estime que l’objectif politique l’exige (à quelques incidents de fin de manif près). Il faut noter aussi le silence médiatique quasi-total. Il n’a jamais été question de la marche dans les grands media avant. Pendant le week end, les media ont préféré se focaliser sur Mélenchon le samedi et Hamon le dimanche. C’est une version policière qui a été diffusée (d’abord 7000 manifestants, chiffres de la police, puis carrément 5000 manifestants et zoom sur les « violences »).
Des débats importants
Dès le départ, cette initiative a fait l’objet de nombreuses critiques, qui n’ont fait que s’amplifier, des critiques très contradictoires entre elles car venant de milieux différents, critiques pour certaines justifiées.
Tout d’abord, dans certains milieux, la seule signature qui a été prise en considération est celle du PIR, et il semble que pour certains, ceci suffise à refuser toute mobilisation commune sur le sujet. Cette initiative ne vient pas du PIR, mais de certaines familles. Ces proches des victimes, au fil de leurs années de combat, se sont conscientisées, politisées, quand elles ne l’étaient pas au départ, et il y a une certaine dose de mépris à les considérer comme des marionnettes aux mains d’un groupuscule. Ce n’est pas parce que ce sont des proches des victimes que nous sommes obligé-es d’être politiquement d’accord avec elles, mais elles sont bien à l’initiative. Et lorsqu’un appel est lancé, c’est bien le contenu de l’appel qui doit nous déterminer en premier. Et le contenu de cet appel faisait du bien dans la conjoncture actuelle. Certes, le PIR a une influence dans cette mobilisation, mais il n’en a pas la direction. Et comment combattre son influence si on ne participe pas aux mobilisations contre les violences policières au prétexte de leur présence ?
Il y a eu bien sûr des tensions et des désaccords dans le collectif tout au long de la préparation de la marche. L’assistance était diverse et loin d’être unie politiquement, c’est la conscience des enjeux qui nous a fait asseoir autour de la même table, en mettant certaines questions sous le tapis. Dès le départ il y a eu des divergences autour de la participation des sans-papiers et des foyers qui n’allaient pas de soi pour certain-e-s. Le même mépris pour les familles de certains milieux qui les prennent pour des marionnettes aux mains du PIR existe dans d’autres milieux qui prennent les sans-papiers pour des marionnettes aux mains de l’extrême-gauche (sous-entendue blanche). Et surtout, dans le non-dit, pour des gens qui cherchent à tout prix une alliance avec une gauche plus institutionnelle, la reconnaissance par les grands partis, revendiquer la liberté d’installation, ce n’est pas le meilleur moyen. On notera que cette revendication est bien restée un axe important de la mobilisation, axe dont on pouvait pourtant déplorer l’absence dans l’appel.
On en arrive aussi au cœur de critiques certainement plus importantes et plus justifiées. Déjà, les familles en lutte sont divisées politiquement. Certaines ont refusé de participer à la marche, personne ne peut se poser en représentant de l’ensemble des familles. C’est d’ailleurs bon signe, signe de ce que les familles ne se réduisent pas à des victimes, mais qu’il y a bien des collectifs de lutte, avec des débats et des oppositions. Le contraire serait inquiétant. Certains collectifs de banlieue ont beaucoup hésité avant de se joindre à l’initiative, d’autres ne l’ont pas fait.
Des divergences politiques ont commencé à se faire jour au sein du collectif à l’approche de la marche. Tout d’abord autour de la traditionnelle question de savoir qui allait parler au nom de qui. Il a été décidé qu’aucune organisation politique ne s’exprimerait à la tribune (ou toutes, ce qui faisait trop). Mais aussi sur l’attitude à avoir vis à vis du parti de gauche, qui a invité la marche à son meeting, sans pour autant mobiliser pour elle. La présence du PG à la marche était présentée comme le signe d’une victoire politique des tenants de l’antiracisme politique. C’est relativement inquiétant pour la suite de ne pas avoir même le minimum de réflexion sur la démagogie qui accompagne toute campagne électorale.
Le cœur de la critique de cette initiative peut être résumé par un extrait d’une tribune libre parue dans « quartiers libres » le 17 mars : « Une des critiques les plus importantes sur la marche est celle de l’arc de force qu’ont construit certains de ces organisateurs. Cela va des artistes en mode « je m’engage le temps d’un tube » jusqu’à celle du Parti de Gauche. Ce mix entre showbiz et politique rappelle les stratégies à la mode SOS racisme qui ont été et qui reste la marque de « l’antiracisme moral des jours de fêtes ». Que certains s’interrogent sur le sens de ces mises en scène ne peut être balayé par un simple constat sous Facebook comme le fait Hourria Bouteldja. ». Précisons que les mêmes critiques reprochent l’absence de la thématique de l’islamophobie dans la campagne et le cortège, et l’expliquent par cet opportunisme.
Et c’est bien ça qui va se jouer dans la suite de la marche. Ses organisateurs n’ont jamais caché qu’ils visaient un « après-marche », la construction d’une suite politique. Et ils ont raison. Cette marche serait de peu d’intérêt si elle s’en arrêtait là. L’enjeu après la marche reste le même qu’avant : comment prendre en compte la question du racisme structurel dans les luttes sociales, comment sortir les banlieues d’un statut (2) qui en font le lieu de tous les fantasmes y compris dans nos milieux, comment opérer une jonction réelle des luttes, ou à défaut des collectifs militants. Et ce n’est certainement pas en cherchant une alliance institutionnelle ou en courant les medias qu’on construira ce rapport de forces.
OCL Paris-Banlieue
(1) « Cortège de tête » qui cette fois-ci était en queue.
(2) Les banlieues n’apparaissent dans le paysage médiatique et politique que sous l’angle des violences, du non droit, etc. La réalité des banlieues, qui concentrent la population la plus nombreuse, et la grande majorité des exploité-e-s, elle, reste totalement ignorée.