PIR : autopsie d'une dérive

Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede abel chemoul » 16 Mar 2016, 21:55

l'interview de Boutelja dans Le courrier de l'Atlas pour la sorite du bouquin: http://www.lecourrierdelatlas.com/11021 ... ienne.html
A la fois ami des opprimés, des juifs en particulier, et serviteur de l'impérialisme malgré lui. Inconsciemment Sartre, tout comme Camus, ont voulu sauver quelque chose de la "blanchité". Ainsi, Sartre est mort blanc, parce que mort sioniste.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede altersocial » 20 Mar 2016, 18:06

Banshee a écrit:Désolée, je ne viens plus très souvent ici, donc j'ai peut-être loupé des trucs. Mais quand même, je sais que la plupart d'entre vous considèrent l'UJFP comme des camarades.


Certains (organisations ou syndicats) avec le PIR, d'autres avec le STRASS, non ça ne sent pas bon tout ça.

Deux réactions, celles de l'Autodéfense Juive Antiraciste et Révolutionnaires :

Nos positions sur l'UJFP.

Suite à notre texte concernant l’allocution d’Houria Bouteldja, il nous a été demandé notre avis concernant l’UJFP. Cette organisation possédant une certaine visibilité dans le milieu progressiste, il nous a semblé nécessaire de clarifier notre position.

La création d'une organisation spécifique juive centrée sur la solidarité avec les palestinienNEs telle que l'UJFP est historiquement une réaction aux courants idéologiques sionistes qui présentent le sionisme comme la seule expression politique légitime au sein de la minorité juive et la seule identité juive possible. Toute critique de l'Etat d'Israël ou du sionisme est ainsi disqualifiée comme antisémite par essence. Par ailleurs certains courants antisémites tentent d'identifier Juifs-ves, sionistes, État et colonialisme israélien.
Des militants et militantes qui s'étaient jusque-là investiEs dans les luttes anticoloniales sans nécessairement y mettre en avant leur identité ou leur filiation juive (sans non plus nécessairement la nier ou la masquer dans un cadre personnel), se sont sentiEs contraintEs de le faire dans la logique du « pas en notre nom », en réponse aux discours des sionistes d'une part et des antisémites d'autres part.
Cette démarche est louable et nous ne pouvons qu’être favorables à l’existence d’organisations spécifiques juives soutenant le combat du peuple palestinien contre l’oppression.
Elle représente cependant le constat d'un échec dans la lutte contre l'antisémitisme. En effet, elle entérine l'idée selon laquelle être Juive ou Juif c'est nécessairement se positionner sur la question israélo-palestinienne, c'est nécessairement être considéré à priori comme favorable au sionisme et donc forcé de s'en dissocier explicitement.
Le sionisme, dans ses différentes variétés idéologiques, est une idéologie très présente parmi les Juifs et les Juives de France. Il a réussi à développer une influence idéologique majoritaire au sein d’un grand nombre d’institutions communautaires. Il ne mène pourtant ni à notre émancipation, ni à la coexistence pacifique des populations vivant en Israël / Palestine, et ce quels que soient les courants idéologiques qui s'en réclament (y compris les sionismes ouvriers). Se revendiquant du peuple juif dans son ensemble, les différents courants du sionisme, considérant l'antisémitisme comme inéluctable et présentant Israël comme un refuge pour les Juifs et les Juives, cherchent à nous enrôler dans un projet nationaliste, raciste et colonialiste.
Ces courants isolent ainsi la minorité juive, détournent l'aspiration à l'autodéfense et empêchent une compréhension réelle de l'antisémitisme et de son rôle dans la préservation du capitalisme, notamment en période de crise. En ce sens ils empêchent d'apporter une réponse efficace à l'antisémitisme. Nous tenons à préciser qu'ici nous parlons du sionisme selon ses conséquences réelles, et non sur ses intentions.
Pour cette raison il est nécessaire de le combattre au sein de notre minorité.

Comme révolutionnaires, nous pensons qu'il est nécessaire de soutenir les oppriméEs face au colonialisme, en étant solidaires de celles et ceux qui sont écraséEs par le colonialisme français comme des palestiniens et des palestiniennes face au colonialisme israélien. Se placer du côté des oppriméEs est la base d'une éthique juive et universaliste telle que nous la concevons.

Une démarche comme celle de l’UJFP, dans cette perspective, apparait au premier abord intéréssante, puisqu'elle contredit la volonté des organisations sionistes de faire taire toute critique de la politique israélienne en l’assimilant à de l’antisémitisme.
Pour autant, pour nous, Juif et Juives vivant en France, la nécessaire solidarité avec les Palestiniens et les Palestiniennes ne doit pas devenir un prétexte pour nier ou minimiser l'oppression antisémite.

Juifs et juives vivant en France subissent quotidiennement la diffusion d'un antisémitisme de masse. Cette situation, loin d'être abstraite, correspond à notre vécu. Cet antisémitisme se cache parfois sous le masque de la solidarité avec la Palestine et peut transparaître même chez des gens dont nous partageons d'autres combats. C'est le cas lorsque ceux et celles qui dénoncent l'antisémitisme sont immédiatement associéEs à des partisanEs du sionisme (le même mécanisme est à l'oeuvre lorsque ceux et celles qui dénoncent le racisme contre les MusulmanEs sont associéEs à des défenseurs ou à des défenseuses de l'islam politique) ; lorsque l'antisémitisme est condamné uniquement comme profitant au camp sioniste, mais non en tant que racisme ; ou encore lorsqu'il est nié, minimisé, ou considéré comme une invention de la propagande sioniste.
Lorsqu’une organisation juive choisit de faire l’impasse sur cette réalité (par exemple en minimisant l'antisémitisme pour faire pendant à l'instrumentalisation de celui-ci par les courants sionistes), lorsqu’elle nie l’antisémitisme de certains de ses alliés (le cas de René Balme est ici criant), elle prend le risque de servir de "caution juive" à tous les dérapages antisémites. La mise en avant d’une personne ou d’un groupe issu du rang des raciséEs pour légitimer un discours raciste est en effet une constante dans l'histoire du racisme (pour la minorité juive, l'exemple le plus frappant est celui de la secte Neturei Karta, groupe juif fondamentaliste qui soutient le régime iranien et estime que la Shoah est une punition divine causée par le sionisme, citée par tous les partisans de Dieudonné et de Soral).
La contradiction de l'UJFP découle notamment du fait qu'elle partage la même erreur d'analyse concernant la nature de l'antisémitisme contemporain que les courants sionistes et leurs alliés nationalistes français. Elle y voit une « importation du conflit israélo-palestinien » alors qu'il s'agit d'une production de l'idéologie nationale française et européenne, mais aussi du pouvoir colonial français au Maghreb qui protége la bourgeoisie. Qu'il s'appuie opportunément sur ce conflit n'en est qu'un élément tactique, certainement pas un élément essentiel.
L'UJFP s'est ainsi laissé entrainer sur le terrain même de ses adversaires sionistes : faire du conflit israélo-palestinien l'alpha et l’oméga du sort de la minorité juive en France. Une fois enfermé sur ce terrain, il ne lui reste que le déni ou la minimisation de l'antisémitisme comme tactique pour faire face au discours sioniste.
Nous ne pouvons espérer qu'une chose : c'est qu'elle rompe avec cet aveuglement et qu'elle se reprenne. Ceci dans l'intéret de la minorité juive, du combat antiraciste, et enfin de la solidarité anticolonialiste, que les dérives antisémites comme la complaisance vis à vis de l'antisémitisme ne font qu'affaiblir.

Quant à nous, notre démarche est différente. Nous reconnaissons la réalité de l'antisémitisme, nous contestons aussi bien l'analyse qu'en font les courants sionistes que celle de l'UJFP. Nous combattons l'idée que le sionisme soit la réponse à l'antisémitisme.
D'un point de vue révolutionnaire, le sionisme est donc une idéologie à combattre, mais ce n’est pas la cause de tous les maux de la société (le supposer relève clairement d’un mode de pensée antisémite). Ce n’est notamment pas lui qui crée le racisme à l’encontre des Juif-ve-s et des Musulman-e-s, qui répondent à des logiques internes à la société francaise et à son histoire. L’oublier aggrave la situation de la minorité nationale juive en légitimant un certain antisémitisme, tout en renforçant le sionisme par le biais de l’amalgame entre antisémites et opposantEs à la politique israélienne.

Nous sommes et nous serons toujours du coté des oppriméEs partout dans le monde, en France comme en Palestine.

Nous entendons marcher sur nos deux pieds : contre la réaction au sein de notre minorité, dont le sionisme et l'islamophobie font partie, et contre l'antisémitisme dont nous sommes victimes.

JUIVES ET JUIFS RÉVOLUTIONNAIRES - COMMENT RÉPONDRE À DES THÉORIES ANTISÉMITES ET CONTRE L'ANTISÉMITISME, LA POLITIQUE DU PIR(E)

COMMENT RÉPONDRE À DES THÉORIES ANTISÉMITES ?



Il y a plusieurs type de réactions face à des réflexions, remarques ou théories antisémites. La plus évidente consiste à esquiver d’une manière ou d’une autre, car nous ne souhaitons pas rentrer dans un débat qui nous est anxiogène, car nous ne nous sentons pas l’âme de pédagogue pour racistes ou tout simplement car nous sommes fatigué.e.s de ces conneries. Même type de réponse, la pédagogie du « ma main dans ta gueule » peut aussi être utilisée, si elle ne convaincra sans doute pas l’adversaire, elle pourra au moins le pousser à plus de discrétion dans l’expression de ses idées nauséabondes et nous permettra également d’éviter un ulcère dû à trop de maîtrise de soi.



Parfois cependant l’esquive est impossible et nous estimons qu’une réponse est nécessaire, cela peut être le cas quand l’interlocuteur est un.e proche, un.e collègue, etc. On se demande alors comment faire pour lui répondre, comment le ou la faire évoluer. Cette question est difficile. Comme le complotisme, l’antisémitisme n’est pas un mode de pensée rationnel, mais une grille de lecture du monde basée sur l’idée de l’existence d’un groupe occulte et tout puissant et donc tout à fait capable de produire des preuves de sa non existence, de falsifier l’histoire, etc. Tous les arguments que nous opposerons à une telle vision du monde pourront être repris par les antisémites les plus acharné.e.s comme preuve que décidément « ils » sont très forts. En ce sens, la meilleure méthode pour contrer les discours antisémites est pour nous la démonstration des rapports de classe existant en France, l’expérience de la solidarité face aux oppressions capitaliste, raciste, sexiste, etc.

Nous allons tenter cependant, pour venir en aide à ceux et celles qui s’en sentiraient le courage, de donner quelques réponses, non exhaustives, pour aller à l’encontre des idées antisémites les plus courantes.

« Les Juif.ve.s sont riches. »

Certain.e.s Juif.ve.s sont riches. La plupart ne le sont pas. Ainsi, certaines parmi les principales communautés juives de France sont situées dans des quartiers populaires, comme à Sarcelles. Selon le Fond Social Juif Unifié, 18% des Juif.ve.s de France vivent sous le seuil de pauvreté (environ 900 Euros par mois). À New York, ville du monde comptant le plus de Juif.ve.s, près d’un quart d‘entre eux et ellesvivent également sous le seuil de pauvreté.



« Les Juif.ve.s ont tué Jésus / le prophète Muhammad / la maman de Bambi. »

Dans l’Histoire, la religion est souvent prétexte à des massacres et des persécutions. Nous ne prétendons pas que le judaïsme fasse exception. Cependant, cette accusation d’assassins de prophètes se réfère à Jésus Christ, pourtant crucifié et condamné par le justice romaine et non par des Juif.ve.s, sans que personne n’en accuse les Italien.ne.s d’aujourd’hui.

Certaines traditions musulmanes accusent également une Juive dont la famille avait été tuée lors de la bataille de Khaybar d’avoir empoisonné Mahomet. Cependant, la plupart des théologiens musulmans estiment que Mahomet serait mort plusieurs années plus tard (quatre ans séparent Khaybar de la mort de Mahomet), vraisemblablement d’une pleurésie.

Cette accusation d’avoir tué tel ou tel personnage important trouve des déclinaisons concernant à peu près tout les personnages célèbres, de Malcolm X à Yasser Arafat en passant par le commandant Cousteau. Elle ne repose bien entendu sur rien de sérieux, si ce n’est les délires complotistes classiques.

Dans tous les cas, attribuer à un groupe social la responsabilité d’actes qui auraient été commis (sans aucune certitude) il y a plusieurs centaines d’années, qui plus est par une personne ou une poignée de personnes est une attitude raciste.



« Les Juif.ve.s génocident les Palestinien.ne.s. »

Deux idées antisémites sont ici à l’oeuvre. D’abord, l’assimilation de l’État israélien aux Juif.ve.s. Pourtant, une majorité des Juif.ve.s du monde vivent en dehors d’Israël et n’ont rien à voir avec la politique menée là-bas. Certain.e.s en sont même des farouches opposant.e.s.

Ensuite, l’accusation de génocide, qui a pour but de relativiser la Shoah en faisant passer l’idée que les massacré.e.s seraient devenu.e.s des massacreurs. Or, si le peuple palestinien est victime du colonialisme et de l’impérialisme israélien, il n’y a pas de la part du gouvernement israélien de volonté d’extermination systématique. Il n’y a ni chambre à gaz, ni camps d’extermination. Les souffrances n’ont pas à être mises en paralèlle et on peut défendre la cause des opprimé.e.s sans la rapporter systématiquement au nazisme.



« Les Juif.ve.s contrôlent le monde / la politique francaise / étasunienne. »

Il s’agit ici de dédouaner les États et les bourgeoisies francaises et étasuniennes de leurs méfaits en en rendant responsable la minorité juive. Cette accusation prend souvent la forme d’une focalisation sur certaines personnalités, d’autant plus difficile à contrer que les personnalités en question sont réactionnaires, détestées (et détestables, comme BHL). Leur pouvoir d’influence est largement exagéré, afin de suggérer par association que la minorité juive détiendrait le pouvoir réel, une quantité de pouvoir infiniment supérieure à son poids numérique. C’est un vieux théme antisémite, qui vise à exonérer les politiciens français et la bourgeoisie françaises de ses responsabilités : une aubaine pour l’État et les nationalistes.

Car paradoxalement, cette idée est assez naïve. L’État francais ou étasunien ne règle pas sa politique étrangère en fonction d’idéologie, fut-ce le sionisme, mais en fonction de ses intérêts économiques et géopolitiques et des intérêts de sa bourgeoisie. Ainsi, les interventions militaires francaise en Libye, en Côte d’Ivoire ou au Niger ne sont pas motivées par une volonté de plaire aux Juif.ve.s, mais par la défense des intérêts coloniaux en Afrique. Il en va de même pour les interventions militaires américaine en Irak ou en Afghanistan.



« La Shoah est un business inventé pour défendre Israël. »

D‘innombrables preuves existent aujourd’hui qui démontrent la réalité du génocide juif et sa spécificité. A ce propos nous recommandons le travail de vulgarisation du site http://www.phdn.org/index.html. Certains camps de concentration et d’extermination peuvent aujourd’hui être visités et des documents filmés et photographiés existent concernant la Shoah. De plus, la disparition de millions de personnes et de communautés entières ne peut être niée.

Si les Juif.ve.s ont été durablement traumatisé.e.s par ces faits, le projet politique sioniste date de bien avant, s’inscrit dans la lignée des mouvements nationalistes européens du 19e siècle et a donné naissance aux organisations qui ont menées la guerre contre le colonialisme britannique jusqu’à la création de l’État d’Israël en 1948. À cette époque, la Shoah était encore mal connue et ce n’est qu’à la faveur des procés des criminels nazis après les années 1960 que cette mémoire a pu ressurgir. Bien après la naissance de l’État d’Israël et son affirmation comme puissance régionale.



Il est interessant de constater que proposer une réponse à cinq questions suffit à couvrir une part importante des clichés antisémites classiques… Preuve, si besoin était, de la pauvreté imaginative des antisémites et preuve également du fait que l’antisémitisme n’a pas tellement changé. On retrouve toujours derrière les mêmes ressorts autour du mythe raciste d’un « peuple » par essence cupide, vénal, assoifé de sang et déicide…

Les réponses proposées ici sont des propositions, elles peuvent aider à trouver des arguments dans des discussions à ceux et celles, Jui.fs.ves ou non, qui se retrouvent face à l’un ou plusieurs de ces clichés classiques.

(https://juivesetjuifsrevolutionnaires.w ... tisemites/)
CONTRE L’ANTISÉMITISME, LA POLITIQUE DU PIR(E) ?



Notre groupe s’est créé en raison d’un manque de prise en compte de l’antisémitisme dans le milieu révolutionnaire. Celui-ci a été particulièrement flagrant lors des attaques meurtrières ayant visées des Juifs et Juives de France ces dernières années, suite auxquelles une majorité de nos organisations sont restées silencieuses, ne considérant manifestement pas ces attaques comme ce qu’elles sont : des meurtres racistes. Ce constat nous a amené à nous interroger sur l’auto-défense des minorités nationales et à nous organiser pour lutter par nous-même contre le racisme. Particulièrement vigilants à l’égard des thèses qui peuvent circuler dans notre milieu politique, nous ne pouvons rester sans réaction face au texte de l’allocution d’Houria Bouteldja du 3 mars 2015 consacré au racisme et au « philosémitisme d’État ».

Une fois l’introduction passée, affirmant que l’antiracisme en France est structuré par la Shoah, ce qui est au moins incomplet (en ce qui concerne l’Éducation Nationale cela peut être le cas, mais la récupération de la Marche pour l’Égalité par SOS Racisme nous semble également un moment majeur de la création d’un antiracisme « institutionnel »), Houria Bouteldja en vient au cœur du sujet : la situation des Juifs et Juives de France. Le commencement du texte est extrêmement juste, évoquant trois « lapsus» étatiques révélant une différenciation de la population juive permettant de structurer en creux la création d’une identité majoritaire blanche, européenne, et chrétienne. Est affirmé ensuite, également avec justesse, que la réaction de l’État suite aux attaques de janvier a été de mener l’offensive contre les Musulman-e-s (nous parlons de « Musulman-e-s » avec une majuscule, car il s’agit de tous ceux qui, sans être forcément religieusement musulman-e-s, sont renvoyés à cette identité ou se définissent comme tels), ceux-ci faisant depuis des années office de bouc émissaire. Continuant sur sa lancée, Houria Bouteldja dénonce le manque de clarté de la gauche face au racisme. Celle-ci rencontre en effet des difficultés à le considérer comme structurel à la société française, ce qui l’amène à une fausse contradiction entre lutte contre l’islamophobie et lutte contre l’antisémitisme.

Jusque-là, nous ne pouvons qu’être plutôt en accord avec Houria Bouteldja, mais les choses se gâtent rapidement. D’abord, contredisant le constat fait plus haut que l’antisémitisme comme l’islamophobie sont nécessaires à la définition d’une identité majoritaire, elle refuse toute « fausse symétrie » qui consisterait à se positionner à la fois contre l’un et contre l’autre. Pourtant, si l’on part de ce constat, le moyen le plus évident de combattre le racisme serait de briser cette fonction sociale, et cela ne peut être fait du point d’une seule minorité (auquel cas on est dans la demande d’intégration) mais dans la coordination des différents fronts antiracistes.

Ayant démontré que l’antisémitisme était structurel, Houria Bouteldja change brutalement son fusil d’épaule. En effet, l’antisémitisme ne viendrait pas de l’État. Dans un autre registre, l’exemple du sexisme nous prouve pourtant que la multiplication de discours étatiques, médiatiques, ou politiques pour condamner une discrimination n’équivaut pas à une lutte réelle et efficace contre celle-ci, et encore moins à sa disparation.

Pas plus que de l’État, l’antisémitisme selon Houria Bouteldja ne vient que marginalement de la majorité nationale ou de l’extrême droite « classique » (pour notre part, nous considérons que cet antisémitisme est loin d’être marginal, surtout au regard des explications développées plus haut), mais surtout des Musulman-e-s, considérés de manière homogène. On est ici dans le calque d’un discours nationaliste classique, c’est-à-dire niant toute contradiction de classe ou idéologique au profit d’une unité nationale fantasmée (paradoxalement, Houria Bouteldja est ici bien plus proche du nationalisme sioniste qu’elle ne veut bien l’admettre). Mais justement, homogènes, ceux-ci ne le sont pas.

De même que la société dans son ensemble, les minorités ont une histoire et sont traversées de contradictions sociales, de classe et idéologiques. L’antisémitisme qu’on peut trouver chez les Musulman-e-s est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui (soi-disant marginal) qu’on trouve dans la majorité nationale dont le côté pseudo anti-système facilite l’implantation au sein du prolétariat ; le produit d’une frange des Musulman-e-s qui le diffuse pour apporter du soutien extérieur à des régimes et groupes réactionnaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (dont elle est dépendante) ; et l’héritage d’une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la « beurgeoisie » en voie d’intégration institutionnelle, les travailleurs Musulman-e-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.

Il en est de même au sein de la minorité nationale juive. L’islamophobie et le racisme anti-arabe qu’on peut y trouver est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui qu’on trouve dans la majorité nationale ; le produit d’une frange des Juif-ve-s qui le diffuse pour apporter un soutien extérieur au colonialisme israélien ; et l’héritage d’une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la bourgeoisie juive républicaine légitimiste, les travailleurs et travailleuses Juif-ve-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.

Une fois posé ce point, la suite du discours d’Houria Bouteldja s’effondre d’elle-même. Refusant de voir cette histoire et ces contradictions, elle en déduit que l’antisémitisme serait une conséquence du système raciste à l’encontre des Musulman-e-s (seule explication restante si on nie les contradictions internes à cette minorité sans tomber dans une explication raciste-culturaliste). Et explique que si cette réaction vise la minorité juive spécifiquement, c’est en raison d’un traitement préférentiel que l’État accorderait aux Juif-ve-s. Suivant jusqu’au bout cette logique faussée, la meilleure manière de lutter contre l’antisémitisme serait de lutter contre ce traitement (appelée ici « philosémitisme », on n’est pas loin du « privilège juif »), notamment contre la « religion civile » (ici aussi, on est n’est pas loin de la « pornographie mémorielle » ou du « Shoah business ») que serait la Shoah.

Pour notre part, nous ne pensons pas qu’on lutte contre le racisme en s’attaquant aux victimes de celui-ci. Juifs et Juives révolutionnaires, nous entendons mener le combat sur plusieurs fronts :
– Contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne
– Contre tous les racismes, aux côtés des autres minorités nationales, seul moyen de déconstruire e système raciste
– Contre les idéologies réactionnaires au sein de notre groupe national
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Tarlouze...

Messagede luco » 25 Mar 2016, 20:48

"comme chacun sait, la tarlouze n'est pas tout à fait un homme. l'arabe qui perd sa puissance virile n'est plus un homme".

Et oui : Bouteldja ! Le PIR ! Ceux avec qui la marche de la dignité défile... et l'extrême-gauche ! Et les néo-féministes ! Et les antifas !

Génial retournement Orwellien.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede luco » 25 Mar 2016, 21:16

Tiens ? Ce topic n'a pas sa place dans le fil "lgbt, lutte contre l'homophobie" ?

Intéressant...
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede luco » 25 Mar 2016, 21:43

Sinon, pour "répondre" au délire ci-dessus, on imagine tellement bien sur ce forum une prose qui proclamerait "Françaises, français catholiques révolutionnaires" ou "Autodéfense catholique française et révolutionnaire" en incise de ses tracts et analyses... :bisou2:

Misère de l'identitarisme exotique...
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede luco » 26 Mar 2016, 07:50

Ah j'avais oublié (pour répondre un peu dans la même veine à Digger que sur le topic Rouillan) :

Bouteldja publiée à La Fabrique !

S'il y a une autopsie à faire c'est peut-être celle de toute une frange de l'extrême-gauche et pas QUE du PIR.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede fabou » 26 Mar 2016, 09:13

luco a écrit:S'il y a une autopsie à faire c'est peut-être celle de toute une frange de l'extrême-gauche et pas QUE du PIR.

Tout à fait, il y a clairement un problème. Toutefois, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une "dérive" ou de "dérapages", mais bien d'une constante présente au sein de l'extrême gauche et du milieu libertaire.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede luco » 26 Mar 2016, 09:33

Je ne sais pas.

Dans les années 80 / 90, jamais des milieux libertaires, d'EG ou antifas n'auraient frayé avec des franges homophobes, islamistes, anti-juives... comme le PIR et quelques autres.

A part "la banquise" et deux ou trois micro-groupuscules en ce qui concerne le négationnisme.

Mais là, c'est beaucoup plus large.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede abel chemoul » 26 Mar 2016, 10:06

les islamo-gauchistes de la Fabrique donnent la parole au PIR, les neuneux d'AL à Juifs et Juives Révolutionaires; je ce que je trouve hallucinant avec les histoires de PIR, de Juif-ves révolutionnaires, de Brigades antinégrophobie et autres c'est que l'EG en général est incapable de les analyser comme un phénomène global de communautarisation et de décomposition sociale qui est à l'oeuvre jusque dans l'EG. Pour des gens qui se trouvent très fort en analyse économique du capitalisme, on peut dire que c'est léger sur l'impact socio-culturel du libéralisme. à force de tout voir à travers l'économique, des aberrations comme le PIR ou JJR vous échappent.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede luco » 26 Mar 2016, 21:23

Exactement. Plein accord, Abel Chemoul.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Pïérô » 19 Aoû 2016, 00:55

« Ahmadinejad, mon héros »

Le petit monde intellectuel et médiatique français raffole des provocations. En les saupoudrant de prétentions littéraires ou de second degré, leurs auteurs peuvent toujours se dégager au cas où la mêlée tournerait à leur confusion. Sans doute Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, y a-t-elle pensé avant de féliciter l’écrivain Jean Genet de s’être « réjoui de la débâcle française en 1940 face aux Allemands (1) ». « Ce que j’aime chez Genet, précise-t-elle, c’est qu’il s’en fout d’Hitler. » Quelques mots lui suffisent pour justifier un trait aussi audacieux : la France occupée était une France coloniale ; la France résistante allait répandre la terreur en Algérie et en Afrique noire. Avec ça, théoriquement, la polémique du jour est lancée. France 2, entends-tu…

Le monde de Bouteldja est simple : il y a eu une France colonisatrice humiliée par le IIIe Reich, et une France résistante qui allait devenir exterminatrice. Inutile d’objecter que le pays défait en juin 1940 ne se résume pas à la colonisation. Ou que d’autres que Genet ont salué la « divine surprise » de sa déconfiture, dont un certain maréchal Pétain, qui, quinze ans plus tôt, avait férocement réprimé les insurgés marocains du Rif. Quant aux résistants, quelques-uns ont aussitôt fustigé les massacres de Sétif et de Guelma en 1945 et combattraient plus tard la torture en Algérie. Mais ce ne sont là que des broutilles, et nous sommes pressés, n’est-ce pas ?

La provocation relative à Adolf Hitler pouvait cependant ne pas suffire à faire surgir un intellectuel médiatique de son abri. Bouteldja met donc toutes les chances de son côté : « Je ne suis pas innocente. Je vis en France. Je vis en Occident. Je suis blanche. Rien ne peut m’absoudre. » Irrémédiablement coupable d’être blanche, et toujours aucune réaction ? Même pas une tribune indignée de Pascal Bruckner ? Alors, nouvel axe d’attaque. Bouteldja écrit : « “Il n’y a pas d’homosexuels en Iran.” C’est Ahmadinejad qui parle. Cette réplique m’a percé le cerveau. Je l’encadre et je l’admire. (…) Ahmadinejad, mon héros. (…) La Civilisation est indignée. (…) Et moi j’exulte. » Étrange jubilation de sa part, tout de même, à entendre le président d’un pays qui exécute les homosexuels prétendre qu’ils n’existent pas.

Mais les livres sont aussi écrits pour que leurs auteurs en éprouvent du plaisir. En bonne logique, ce chapelet de facéties n’appellerait donc aucun commentaire. Seulement, Bouteldja ne s’amuse pas ; elle entend donner des leçons d’émancipation à la gauche. Laquelle est sommée de tout subordonner — la domination sociale, la domination masculine, la persécution des minorités sexuelles — au combat contre l’hégémonie « blanche ». Et de le faire adossée à une réflexion théorique ne comportant en définitive qu’une variable, « Occident » contre « Indigènes », symétriquement conçus en blocs presque toujours homogènes, solidaires, immuables.

Entre le salarié de M. Bernard Arnault, ouvrier mais « blanc » comme son patron, donc responsable au même titre que lui du crime colonial, et l’homme « indigène » qui bat sa sœur ou sa compagne, Bouteldja a choisi. La condition de dominé du premier ne l’intéresse pas vraiment, puisqu’il est par ailleurs solidairement coupable du pire. Le second doit en revanche être, sinon encouragé, en tout cas « protégé » par ses victimes, que Bouteldja invite à « deviner dans la virilité testostéronée du mâle indigène la part qui résiste à la domination blanche » afin de canaliser sa violence vers d’autres destinataires (2). Mais, en dernière analyse, priorité « à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam ».

Pour s’assurer que toutes les balises historiques du combat multiséculaire pour l’émancipation humaine (le rationalisme, le syndicalisme, le socialisme, le féminisme, l’internationalisme…) seront balayées par les torrents essentialistes et religieux qu’elle appelle de ses vœux, Bouteldja conclut son propos par une oraison furieusement anti-Lumières. Le « potentiel égalitaire » du « cri Allahou akbar ! » tient à ce qu’il « remet les hommes, tous les hommes, à leur place, sans hiérarchie aucune. Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu ». L’universalisme, en somme, mais comme le clergé le prêchait au temps de Louis XIV. S’il faut vraiment choisir, dans ce genre de bréviaire, Bossuet était plus inspiré.

Serge Halimi

https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/HALIMI/56087
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede bipbip » 08 Sep 2016, 14:04

L’homophobie est-elle “une résistance farouche à l’impérialisme occidental”?
Au lendemain de la tuerie d’Orlando, retour sur certaines thèses défendues par l’essayiste Houria Bouteldja.
Si on cherche des circonstances atténuantes au geste d’Omar Seddique Mateen, cet Américain d’origine afghane qui a tué cinquante personnes dans une discothèque homosexuelle d’Orlando, on n’en trouvera sans doute pas de mieux argumentées que dans les écrits de l’essayiste Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République et auteur de «les Blancs, les Juifs et nous». Non que cette Française bien tranquille ait jamais justifié l’attentat. Mais les thèses qu’elle défend depuis plusieurs années écorchent l'oreille, au lendemain de la tuerie.
... http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/201 ... ental.html


Critique de la raison « PIR »
Ana­lyse rhé­to­rique de Les Blancs, les Juifs et nous
Un rayon de soleil sur le soir qui tombe. Musique et fanions. Une « can­tine asso­cia­tive » de ban­lieue qui annonce, pour le mee­ting de ce soir, une invi­tée de marque : Hou­ria Bou­teldja, porte-parole du Parti des Indi­gènes de la Répu­blique, mal­me­née par la « bonne conscience de gauche ».
Dès mon arri­vée, je suis cor­ri­gée par l’une des orga­ni­sa­trices : il ne s’agit pas d’un « mee­ting » mais d’un « débat ». Tant mieux : je pré­sume qu’il y aura échange contra­dic­toire. D’ailleurs, une autre invi­tée est annon­cée : la phi­lo­sophe belge Isa­belle Stengers.
... http://www.critique-sociale.info/1159/c ... aison-pir/



Bouteldja, ses « sœurs » et nous

Les réactions enthousiastes comme critiques suscitées par le dernier livre d'Houria Bouteldja ont largement ignoré les pages que l'auteure consacre aux "femmes indigènes" et à la place qui devrait être la leur dans la lutte antiraciste. Ce texte souhaiterait combler cette lacune, en refusant l'injonction à l'allégeance communautaire et en proposant un antiracisme résolument féministe.

Bouteldja, ses « sœurs » et nous

Les Blancs, les Juifs et nous a donné à chacun l’occasion de pousser des hauts cris, et c’était l’objectif de son auteure : creuser le fossé entre, d’un côté, la gauche universaliste traditionnelle et l’antiracisme institutionnel et, de l’autre, les mouvements antiracistes autonomes et leurs alliés proclamés. Bouteldja sait qu’elle cristallise le débat et anticipe les attaques outrées, racistes et stupides dont elle fait effectivement l’objet. Elle sait qu’il sera difficile de parler de son livre sans la condamner définitivement ou la défendre farouchement. Elle compte sur le pragmatisme des militants antiracistes, qu’ils aient ou non de la sympathie pour elle et son mouvement, qui ne pourront accepter qu’on l’attaque pour « racialisme » et « racisme anti-blanc » et qui se rangeront de son côté, quitte à fermer les yeux sur les détails de son propos – l’étiquette décoloniale se suffisant à elle-même.

Certains ont tenté l’exercice périlleux de prendre au sérieux son analyse politique pour en faire la critique. La plupart ont résolument ignoré le chapitre que Bouteldja consacre aux « femmes indigènes » – se disant, sans doute, qu’elle était mieux placée qu’eux pour en parler. D’autres encore, qui se revendiquent féministes, se sont contentés de nier le caractère sexiste de son texte, au prétexte qu’il s’agissait d’une spécificité de la lutte décoloniale. C’est en lisant la tribune de soutien qu’a publiée l’auteure et comédienne Océanerosemarie dans Libération le 30 mai dernier que je me suis décidée à écrire ce texte. Parce qu’il n’est question ni de taire la charge antiféministe à laquelle se livre Bouteldja dans Les Blancs, les Juifs et nous, ni de laisser cette critique aux réactionnaires de droite ou de gauche, qui ne se découvrent des velléités antisexistes que lorsque l’accusation porte sur des racisés.

Il faut goûter l’ironie de la mystification à laquelle se livre Bouteldja dans « Nous, les femmes indigènes ». Nous la connaissons bien, c’est celle que la gauche communiste et traditionnelle a si longtemps opposée aux féministes : la lutte contre le patriarcat n’étant qu’une diversion produite et encouragée par le capital pour diviser les forces de la classe ouvrière, les travailleuses doivent rentrer dans le rang et refuser de donner prise au véritable ennemi. Décorant cette arnaque éculée des apprêts du combat décolonial, c’est la même capitulation à laquelle Bouteldja exhorte les femmes racisées au nom de ce qu’elle appelle l’amour révolutionnaire. Elle ne nie pas l’existence de la domination masculine et la minorité à laquelle sont réduites les femmes, en particulier racisées. Elle les reconnaît – et les déplore, mais demande à ses « sœurs » un pragmatisme résigné face au « patriarcat indigène » : si les hommes racisés sont « machos », écrit-elle, c’est en réaction à la violence de l’hégémonie blanche qui veut les mettre à genoux en niant leur virilité. Ils sont d’autant plus violents avec « leurs » femmes que leur dignité d’homme – leur moustache, Bouteldja ne risque pas une image plus osée – est insultée.

Il est étonnant de retrouver sous la plume décoloniale de Bouteldja un tableau semblable à celui peint ailleurs par Daoud et aussi péremptoire qu’un sondage du Point : les hommes racisés sont, en France, plus machos que les blancs, et d’un machisme spécifique, d’un machisme arabe, noir, musulman. Ce n’est pas seulement les expressions de leur masculinité agressive qui diffèrent, c’est sa nature même : certains l’expliquent par la biologie, d’autres par la culture ; pour Bouteldja c’est parce que ce « patriarcat indigène » est la réaction violente des hommes racisés contre le système raciste. Ce n’est certainement pas un caractère structurel de la société dans laquelle ils vivent et de celles dont certains sont issus. Il nous faut refuser à la fois la simplicité de l’analyse et la conclusion politique révoltante à laquelle elle conduit : puisque ces formes patriarcales « indigènes » sont des réactions de défense et de résistance contre le racisme, les femmes racisées, même si elles en sont les premières victimes, doivent se montrer compréhensives et indulgentes. « Il faudra deviner dans la virilité testostéronée du mâle indigène, la part qui résiste à la domination blanche » écrit Bouteldja. Autrement dit : distinguer, accepter et préserver la part de cette violence masculine qui résisterait au pouvoir blanc – malgré ses victimes collatérales éventuelles, « parce que c’est moins la réalité de la domination masculine qui pose problème que sa déshumanisation ». Celles qui subissent quotidiennement cette réalité apprécieront : il n’est pas certain que la gifle ait une saveur différente selon qu’elle soit blanche ou authentiquement indigène.

En ce qui me concerne, je ne peux pas absoudre « nos hommes », moi qui ne suis la femme de personne et qui réclame mon individualité contre les efforts d’une idéologie raciste qui s’échine à la nier, me renvoyant à mon sang et à ma communauté, à ma race et à mon foyer. Je ne suis pas sourde à l’appel du sang : il ne résonne pas. Il ne peut pas résonner puisque nous avons dissipé le mensonge de la race – la vieille race, biologique, génétique, héréditaire – et l’avons dénudée pour qu’elle se révèle telle qu’elle s’impose à nous : comme une structure sociale, comme des catégories construites dans lesquelles nous sommes assignés de force, comme une marque qui détermine nos positions sociales et nos ressources matérielles, nos interactions et nos vies quotidiennes. La race n’est pas, elle s’exerce, elle s’impose, elle violente. Comment des catégories raciales dans lesquelles nous sommes confinés pourraient-elles devenir des refuges familiers et confortables quand elles sont des trous, des pièges, barbelés par l’hégémonie blanche et creusés pour l’esclavage et la colonisation ?

Bouteldja prétend utiliser la catégorie « indigène » comme une production socio-historique et refuser tout déterminisme biologique. Elle l’affirme prudemment en préambule de son livre, mais ne s’y tient pas. Contrairement à ce qu’elle croit, ce n’est ni le sang ni l’identité, ni la culture qui rassemble les racisés, c’est une condition partagée : une condition matérielle, car les processus de racialisation qui nous constituent en groupe n’ont que faire de nos individualités. Ils nous homogénéisent, nous prêtent des comportements, des pratiques, des caractéristiques semblables, atemporelles et naturelles. Ils font advenir la race comme réalité sociale, justifiée par un fantasme essentialisant, qui explique par la nature la distribution hiérarchique des positions. Ce qui nous rassemble, ce ne sont pas des racines authentiques à reconquérir, mais une communauté d’expériences de la domination raciste, quelles que soient les formes qu’elle prend selon notre appartenance de genre ou de classe. Pourtant, lorsque Bouteldja fait l’éloge de l’authenticité de la masculinité des hommes « de chez nous », ce « naturel » qui résiste à l’injonction blanche que serait l’égalité entre les sexes, elle participe avec enthousiasme à l’essentialisation raciste qu’elle devrait combattre. En opposant « la redoutable et insolente virilité islamique » à la « conversion » des racisés homosexuels qui renieraient leur masculinité et collaboreraient de fait au projet blanc, que fait-elle sinon faire sienne la croyance en une nature arabe, une nature noire, qui distingueraient nécessairement les hommes racisés des blancs ? Bouteldja écrit : « J’en viens à préférer les bons gros machos qui s’assument. Je vous le dis mes sœurs, il faut trancher dans le vif. Quand les hommes de chez nous se réforment sur injonction des Blancs, ce n’est pas bon pour nous. Parce qu’en fait, ils ne se réforment pas. Ils font semblant. » Il n’y a aucune marge de manœuvre possible pour les hommes racisés face à leur masculinité : qu’ils s’écartent du modèle d’une virilité exacerbée et ils cèderaient à l’influence blanche en reniant leur identité profonde. Les hommes racisés n’ont pas le choix, ils sont de nature.

L’analyse de Bouteldja se veut subversive et accepte pourtant les termes de l’idéologie dominante, entendant mener le combat décolonial sur le champ de bataille et avec les armes que ses ennemis ont choisis à sa place. Elle tombe sans résistance dans le piège de la rhétorique du choc des civilisations, opposant au groupe hégémonique blanc un « monde indigène » homogène – et nécessairement fantasmé. De quels « indigènes » nous parle Bouteldja ? De tous : des Iraniens, des musulmans, des immigrés en France, des descendants d’immigrés français, de tous les racisés de la Terre, ou plutôt de tous ceux qu’elle appelle ses frères. Elle accepte l’amalgame dont raffolent les réactionnaires de tout bord en traçant soigneusement la frontière entre eux et « nous » – les racisés, en particulier ceux issus des anciens mondes coloniaux, supposés faire « communauté », notamment à travers une religion partagée. Nous pensions combattre l’essentialisation raciste qui voit dans chaque basané un musulman par le sang, nous voilà à la soigner complaisamment.

Boutledja ne fait pas autre chose lorsqu’elle particularise un « patriarcat indigène » abstrait qu’elle extrait de toute réalité sociale, tout entier produit de la colonisation et de la violence raciste et pourtant signe persistant d’une supposée authenticité indigène, dernier rempart face à la virile domination blanche. Pour les femmes racisées, le féminisme est un « chocolat », écrit Bouteldja : « Nous reprocher de ne pas être féministes, c’est comme reprocher à un pauvre de ne pas manger de caviar. » C’est un luxe de blanches, le caprice de celles qui ont assez de ressources et de confort pour se le permettre. Comme si refuser les coups, les insultes et le viol n’était pas une nécessité vitale, comme si revendiquer la liberté de disposer de son corps, de son argent et de son temps n’était qu’une revendication extravagante – un « vice de la bourgeoisie » disait en son temps Jeannette Vermeersch. Comme si les femmes racisées en France vivaient enfermées dans leur foyer et ne faisaient pas l’expérience quotidienne d’une domination masculine protéiforme : dans la famille, bien sûr, mais aussi au travail, dans la rue et à l’école. « La critique radicale du patriarcat indigène est un luxe. Si un féminisme assumé devait voir le jour, il […] passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Du moins aussi longtemps que le racisme existera. » Voilà ce qu’écrit Bouteldja, qui m’appelle sa sœur et me demande de capituler, de rendre mon corps et mon individualité à mon clan au nom de la raison supérieure de la lutte contre le racisme. Je refuse que mon corps ne soit qu’un bien, gardé jalousement par « les miens » contre la convoitise de la virilité blanche. Je revendique mon corps face aux hommes et face aux blancs : ni repos du guerrier indigène, ni trophée de chasse exotique. Je revendique mon individualité contre l’assignation raciale et l’injonction à l’appartenance. « Nous n’avons pas le devoir d’être ceci, ou cela » écrivait Fanon : lutter contre le système raciste, c’est simultanément reconnaître sa condition de racisé et refuser de s’y laisser enfermer.

Bouteldja appelle ses sœurs à la reddition en leur proposant une alternative mensongère : négocier des compromis avec le patriarcat indigène plutôt que se laisser aller à des compromissions avec le patriarcat blanc séducteur et menteur. « Je partage les rênes de ma vie avec [ma mère], et avec toute ma tribu. De toutes façons, si je les leur avais retirées, je les aurais données aux Blancs. Plutôt crever. » Consciente de l’étau dans lequel les femmes racisées sont piégées, « entre le patriarcat blanc et dominant et le “nôtre”, indigène et dominé », elle nous demande de choisir entre la loyauté à la communauté et la trahison individualiste. Ce dilemme est une arnaque et Bouteldja entretient l’idée qu’antiracisme et féminisme sont incompatibles, au nom de différences de nature entre les cultures – idée qu’elle partage d’ailleurs avec les mouvements féministes réactionnaires. Les femmes racisées n’ont pas à accepter d’être le champ de bataille, la chair à canon de la lutte que se livreraient au sommet deux patriarcats exaltés. Elles n’ont pas à chercher leur salut dans la virilité retrouvée des hommes, ni à abriter leur dignité sous « la moustache » de leur père. L’amour révolutionnaire que propose Bouteldja est une arnaque, et cette arnaque n’est même pas audacieuse ou originale, c’est le rappel à l’ordre ordinaire des femmes : tu ne t’appartiens pas, tu es à nous – à nous les hommes, à nous la famille, à nous le peuple, à nous la nation. Le rappel à l’ordre ordinaire des femmes qui vont tête rase, celles qui conservent la dignité du clan entre leurs cuisses, qui en sont responsables et coupables. Des femmes réduites à l’éternel soupçon de supplétives de la chair, dans laquelle l’ennemi plante le drapeau de la conquête. Bouteldja réclame aux femmes racisées la patience et le sacrifice : aidez vos hommes et Dieu vous aidera. Elle essaie de nous vendre le troc millénaire : « Les hommes doivent apprendre à nous respecter et comprendre notre sacrifice comme nous comprenons la nécessité de les protéger. » Susciter le respect par l’abnégation et l’endurance silencieuse, voilà la seule récompense à laquelle peut prétendre la femme loyale à son sang. Comment céder à cette arnaque qui va si nue, si claire, si franche ? Les femmes racisées ont si peu appris à exiger, si peu appris à dire Je, à dire non, à aller seules. Au lieu de nous y encourager, Bouteldja nous prévient que le jeu n’en vaut pas la chandelle et agite la menace de l’opprobre : il est dangereux de céder aux sirènes blanches de la liberté, la sécurité est auprès des vôtres – dans un monde indigène fantasmé de racines déterrées et bouturées d’une iconographie orientaliste et raciste. Elle, qui semble croire que la seule chose susceptible d’attirer les femmes racisées hors d’une communauté prétendument close est la séduction de l’homme banc, nous adjure de nous en garder. Car, celle qui s’y risquerait, « quoi qu’il arrive, [subira] l’opprobre. Alors pourquoi prendre ce risque ? ». Hors de la bénédiction collective, point de salut pour la femme racisée.

Bouteldja voudrait nous détourner des chimères féministes, ces mantras qui n’ont pas été conçus pour que nos bouches les prononcent : « Mon corps ne m’appartient pas. Aucun magistère moral ne me fera endosser un mot d’ordre conçu par et pour des féministes banches. » Elle devrait au contraire nous proposer de nous en saisir, de les faire nôtres sans permission. Une femme racisée qui revendique son corps, c’est le butin de guerre de nos grand-mères esclaves ou colonisées qui fructifie. « Pour moi, le féminisme fait effectivement partie des phénomènes européens exportés. » Il n’y a pas de Raison blanche affirmait Fanon, il n’y a pas non plus de liberté blanche : je ne demanderai de permission ni à l’histoire ni à ma race pour me saisir comme je l’entends des outils susceptibles de me faire libre. J’ai grandi dans la société française, comme de nombreuses femmes racisées en France. Sauf à considérer que je lui reste nécessairement et naturellement étrangère, je décide d’autorité de disposer de toutes les idées qui s’y sont développées.

« Lisez Bouteldja ! » s’exclame Océanerosemarie, n’ayez pas peur ! Voilà ce qu’est Les Blancs, les Juifs et nous : l’occasion pour la gauche progressiste qui se proclame alliée des mouvements antiracistes de s’offrir à bas prix quelques frissons de subversion. Bouteldja écrit ce qu’il leur ferait horreur de penser, mais ils l’applaudissent parce que la raison de la lutte décoloniale l’exige. Ils pardonnent à la dominée les énormités qu’elle profère et qu’ils combattent habituellement, au nom de l’authenticité de sa colère indigène. Ce faisant, ils ne lui font pas une fleur, ils lui refusent une véritable voix politique, ils ne la reconnaissent pas comme une interlocutrice légitime ; ils l’observent en curiosité, refusant de faire fonctionner leur appareil critique habituel. En prétendant reconnaître la pluralité des féminismes, ils font de la parole de Bouteldja une voix d’exception : le cri blessé de l’indigène, qui a le mérite de nous dessiller les yeux, de nous bousculer, de nous faire violence. Je ne pense pas que Bouteldja ait besoin de ces passe-droits bienveillants, je pense qu’aucune de nous n’en a besoin. Je crois que ce dont nous avons besoin, c’est que le lieu du débat se déplace : que nous cessions d’attendre l’adoubement de telle ou telle frange de la gauche radicale et progressiste, dont la bonne volonté est parfois si étouffante, pour enfin ouvrir le débat entre nous, les femmes racisées. Pour chercher ensemble une troisième voie, entre l’arnaque de l’allégeance communautaire et l’illusion des chevaliers blancs universalistes. La sororité ne se décrète pas au nom du sang, elle se construit politiquement.

Mélusine

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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede bipbip » 01 Oct 2016, 19:00

Le racket de l’amour révolutionnaire – Houria Bouteldja, le PIR et l’impasse de l’antiracisme raciste

Les défenseurs du Parti des Indigènes de la République, les admirateurs d’Houria Bouteldja reconnaissent souvent en passant le caractère un brin provocateur des propos de leur héroïne. L’opuscule qu’elle a publié, Les Blancs, les Juifs et nous, sous-titré « Vers une politique de l’amour révolutionnaire » [1] représente un petit chef d’œuvre dans le genre. Intellectuellement parlant, c’est de la carambouille : Bouteldja a emprunté de ci de là ses principaux concepts et les idées accessoires, souvent sans mentionner sa dette, et il lui arrive d’affirmer sans sourciller de grosses bêtises, par exemple sur Descartes ou sur la théologie islamique.

L’originalité est ailleurs : dans le style, comme le reconnaissent, pour s’en extasier ou s’en indigner, presque tous les comptes-rendus publiés jusqu’à présent. Et, effectivement, elle fait preuve d’un brio incontestable dans la surenchère provocatrice.

Le problème avec les Indigènes de la république et leur porte-parole attitrée réside dans leur incapacité à adopter un autre registre. Ils vivent de provocations, c’est ce qui leur confère leur réputation et surtout leur audience (pour Bouteldja, exister, c’est exister médiatiquement). Or à ce jeu on ne peut faire du surplace, il faut toujours à nouveau stupéfier l’auditoire, le choquer sous un nouvel angle. La transgression doit transgresser toujours au-delà, sous peine de ne plus être vécue comme telle. Au bout du chemin, il n’y a que deux débouchés possibles.

Ou bien, provocation ultime, l’auto-anéantissement, dont l’illustration désormais classique est offerte par Guy Debord prononçant en 1972 la dissolution de l’Internationale situationniste parce qu’elle incarnait désormais elle-même « la dernière forme du spectacle révolutionnaire ».

Ou bien, le passage avec armes et bagages du côté obscur de la Force, comme ce fut le cas vers 1980 du ralliement ostentatoire du groupe ultra-gauche « La Vieille taupe » à Faurisson et rapidement à l’antisémitisme sans phrases – une démarche réitérée à l’identique vingt ans plus tard par Dieudonné.

Vis-à-vis des figures du Mal, Houria Bouteldja se contente parfois de minauder : « Ce que j’aime chez Genet c’est qu’il s’en fout d’Hitler (…) Il y a comme une esthétique dans cette indifférence à Hitler. Elle est vision. Fallait-il être poète pour atteindre cette grâce ? » Mais parfois elle patauge dans des flaques de sang, ainsi lorsqu’elle écrit : « “Il n’y a pas d’homosexuels en Iran.” C’est Ahmadinejad qui parle. Cette réplique m’a percé le cerveau. Je l’encadre et je l’admire. (…) Ahmadinejad, mon héros. (…) La Civilisation est indignée. (…) Et moi j’exulte. (…) Cette phrase, c’est un indigène arrogant qui la prononce » (32-34). Elle le sait évidemment aussi bien que moi, ce qu’annonce Ahmadinejad c’est « il n’y a pas d’homosexuels en Iran parce que nous les tuons et nous continuerons à les tuer ». Mais le supposé crachat dans la gueule des « progressistes blancs » compte à ses yeux infiniment plus que le supplice de quelques milliers de pédés persans.

Toutefois il serait superficiel de limiter à de telles insanités la « critique robuste » de Les Blancs, les Juifs et nous à laquelle a invité récemment un collectif de supporters [2]. Ce livre représente surtout un prototype d’un genre assez peu répandu : le racketeering littéraire.

Max Horkheimer, cofondateur et directeur pendant de longues années de l’Institut de recherche sociale, la célèbre Ecole de Francfort, avait développé après son exil aux Etats-Unis une théorie du racket politique sur base de la double observation de l’Allemagne de Weimar et de la vie politique et syndicale américaine. Dans les conditions du déclin de la société bourgeoise, la « philosophie » et les méthodes du racketeering ne sont plus limitées aux gangsters, aux souteneurs et autres bandes urbaines mais gagnent un large champ. « La protection est l’archétype de la domination » et nombre de groupes développent une pratique sociale et politique visant à « protéger et rançonner simultanément ceux qui dépendent d’eux », avec pour unique loi le respect de « l’indispensable discipline pour pressurer les clients » [3]. Le rayonnement universel de la maffia s’inscrit évidemment dans cette tendance de fond mais il existe maints rackets sui generis opérant à un niveau sectoriel. Les Indigènes de la république en sont un bon exemple. Il s’agit d’un groupe qui ne s’efforce aucunement de mobiliser et d’organiser de façon autonome les travailleurs d’origine immigrée [4], mais cherche plutôt à accumuler un petit capital politique par des interventions destinées à acquérir un prestige symbolique et une reconnaissance de la part de la « gauche blanche ».

L’opération se déroule en cinq étapes : 1) se manifester comme une victime, porteur d’innombrables griefs ; 2) exprimer reproches et accusations contre les membres du « groupe-cible » ; 3) les malmener et les injurier sans retenue ; 4) agiter devant eux, de préférence sur un mode indirect, de redoutables menaces ; 5) s’offrir comme un allié et un protecteur possible, en échange d’une reconnaissance et d’une rétribution.

Au commencement, il y a la plainte. Elle peut être sans pudeur : « Avant tout, je suis une victime (…) Ma souffrance est infinie (…) J’ai vu sur moi s’abattre la férocité blanche (…) plus jamais je ne me retrouverai (…) Je suis une bâtarde » (25-26). Mais parfois elle se travestit sous un pathos pseudo-dostoïevskien : « Je suis Blanche. Rien ne peut m’absoudre. Je déteste la bonne conscience blanche. Je la maudis (…) Je ne cherche aucune échappatoire (…) Je préfère cracher le morceau, je suis une criminelle » (23-24).

En face des victimes, il y a les Blancs et les Juifs. Leur traitement est dissymétrique.

Les Blancs sont l’ennemi. Pas seulement « la classe des grands possédants, des capitalistes, des grands financiers », mais aussi les classes subalternes, les « profiteurs blancs » : « Le peuple blanc, propriétaire de la France : prolétaires, fonctionnaires, classes moyennes. Mes oppresseurs. Ils sont les petits actionnaires de la vaste entreprise de spoliation du monde » (26). Chaque Blanc est complice : « La blanchité est une forteresse inexpugnable (…) Tout Blanc est bâtisseur de cette forteresse » (37-38). Ce qui caractérise les Blancs c’est leur « laideur intrinsèque » (39), « leur société est sèche. Ils se savent égoïstes et individualistes » (137). Le prolétaire blanc « a été livré, désarmé, privé de Dieu, du communisme et de tout horizon social, au grand capital » (131) et survit désormais sans mémoire, sans cultures, sans traditions, sans famille, sans communauté (138).

Aujourd’hui les Blancs sont affaiblis, leur système immunitaire, leur statut social, leurs acquis sociaux [5] craquent de toutes parts et l’avenir est encore plus sombre : « (La barbarie) n’est plus qu’à quelques encablures de nous. Et elle va nous dévorer. J’ai l’impression que l’heure a sonné. Tout a une fin » (42). Un des principaux visages de cette barbarie annoncée, c’est celui d’une guerre de races, d’une guerre civile ethno-religieuse. Dans un entretien paru dans Nouvelles questions féministes en 2006, Bouteldja s’essayait déjà à terroriser la pauvre Christine Delphy avec cette perspective : « demain, la société toute entière devra assumer pleinement le racisme anti-Blanc. Et ce sera toi, ce seront tes enfants qui subiront çà. Celui qui n’aura rien à se reprocher devra quand même assumer toute son histoire depuis 1830. N’importe quel Blanc, le plus antiraciste des antiracistes, le moins paternaliste des paternalistes, le plus sympa des sympas, devra subir comme les autres. Parce que, lorsqu’il n’y a plus de politique, il n’y a plus de détail, il n’y a plus que la haine. Et qui paiera pour tous ? Ce sera n’importe lequel, n’importe laquelle d’entre vous ».

La « gauche blanche » est confrontée à un état d’urgence : « c’est grave et c’est dangereux ; si vous voulez sauver vos peaux, c’est maintenant ». Allégoriquement parlant, cette « gauche blanche » doit choisir entre Sartre et Genet. « Sartre n’a pas su être radicalement traître à sa race » (19), la meilleure preuve en est son philosémitisme indéracinable, ce « dernier refuge de l’humanisme blanc » (18). Sartre s’est donc refusé à « tuer le Blanc » (16), « liquider le Blanc » (17) « exterminer le Blanc » (17) en lui. Genet, en revanche, est un vrai traître, non seulement « il s’est réjoui de la débâcle française en 1940 face aux Allemands » (19), mais « il sait que tout indigène qui se dresse contre l’homme blanc lui offre dans le même mouvement la chance de se sauver lui-même » (22). Se sauver de quoi ? Se sauver de la blanchité. Devenir un indigène d’adoption à l’image des soldats polonais déserteurs de l’armée française et des agriculteurs allemands auxquels Dessalines accorda la nationalité haïtienne en 1805.

D’où l’injonction que Bouteldja adresse aux Blancs « changez de Panthéon ! » (46). Reniez vos ancêtres et vos Dieux et adoptez les nôtres ! Certes, son Panthéon est avant tout un Monothéon : « Allahou akbar ! Il n’y a de Dieu que Dieu. En islam, la transcendance divine ordonne l’humilité (…) Une seule entité est autorisée à dominer : Dieu » (132-133). L’origine du racisme, du sexisme et du spécisme réside dans la négation de l’unicité et de la toute-puissance de Dieu. Mais Allah est généreux et « toutes les autres utopies de libération seront les bienvenues d’où qu’elles viennent, spirituelles ou politiques, religieuses, agnostiques ou culturelles tant qu’elles respectent la Nature et l’humain qui n’en est fondamentalement qu’un élément parmi d’autres » (134) [6]. Et de citer l’exemple du Grand Esprit des Indiens Hopis. Ce qui échappe complètement à Houria Bouteldja, c’est que ce bazar New Age qu’elle veut opposer à « [l’]effondrement moral, [la] crise du sens, [la] crise de civilisation qui se confond avec [la] crise de la conscience occidentale » (129) n’est que le symptôme de ceux-ci.

Quoi qu’il en soit, « l’amour et la paix ont un prix. Il faut le payer » (47). Les Blancs sont avertis : « Ne discutez pas ! Là, on ne cherche plus à vous plaire ; vous prenez [notre discours] tel quel et on se bat ensemble, sur nos bases à nous ; et si vous ne le prenez pas, demain, la société toute entière devra assumer pleinement le racisme anti-Blanc ».

Passons aux Juifs. Ces ci-devant parias ont désormais été élus par l’Occident pour trois missions : 1) « résoudre la crise de légitimité morale du monde blanc » au moyen du culte de la Shoah érigé en religion civile ; 2) « sous-traiter le racisme républicain » en mettant en avant la fausse question de l’antisémitisme pour mieux répandre l’islamophobie ; 3) « être le bras armé de l’impérialisme occidental dans le monde arabe », principale fonction impartie à Israël (51). Les Juifs sont devenus les cautions morales de la domination blanche, les « dhimmis de la république » et les « tirailleurs sénégalais » de l’empire en terre arabe (51-53).

Ces trois « missions » confiées par l’Occident blanc aux Juifs sont condensées dans la notion de sionisme. Celle-ci revêt, comme presque toujours chez les antisémites actuels, une portée globale, historico-mondiale, qui dépasse de très loin les enjeux liés à l’Etat d’Israël proprement dit et à sa politique colonialiste et oppressive. Et c’est pourquoi l’« antisionisme » représente « le lieu principal du dénouement » (65) des luttes d’émancipation : l’« antisionisme » « sera l’espace de la confrontation historique entre vous [les Juifs] et nous », et aussi « l’espace de la confrontation historique entre vous et les Blancs », enfin « l’espace de la confrontation historique entre nous et les Blancs » (p. 65-66). L’« antisionisme » est la « terre d’asile » (66) de tous les damnés de la terre.

La plupart des Juifs se sont « donnés massivement à l’identité sioniste » et « lorsque vous ne l’êtes pas, vous devez le prouver » (53-54). Mais cet état de chose devient de plus en plus dangereux pour eux.

D’une part, au niveau international, on peut estimer que les rapports de force vont se retourner : « Sur l’échiquier international, Israël déçoit l’empire, l’Iran s’impose comme puissance régionale et la greffe sioniste n’a jamais pris dans le monde arabe et ne prendra jamais si Dieu veut (...) Combien de temps encore pensez-vous passer entre les gouttes ? » (63-64).

D’autre part, ici en Europe, les Juifs sont et seront de plus en plus confrontés à une autre menace qu’Houria Bouteldja illustre par son propre exemple : « Le pire, c’est mon regard, lorsque dans le rue je croise un enfant portant une kippa. Cet instant furtif où je m’arrête pour le regarder. Le pire c’est la disparition de mon indifférence vis-à-vis de vous, le possible prélude de ma ruine intérieure » (54). Ces trois petites phrases – que Bouteldja a par la suite cherché à banaliser comme relevant de « l’anecdote » - constituent le passage le plus inacceptable, de par leur caractère elliptique même, de tout son écrit. Ivan Segré a très bien montré ce qu’il fallait avant tout y lire : « De ce ‘‘regard’’, tout ce qu’on sait, c’est qu’il dure un ‘‘instant furtif’’, qu’il vise ‘‘un enfant portant une kippa’’, qu’il exprime ‘‘la disparition de son] indifférence’’, enfin qu’il est ‘‘le possible prélude de [sa] ruine intérieure’’. On en sait dès lors suffisamment pour augurer du sentiment qui peut gagner cet enfant, ainsi que l’adulte (un père, une mère, un frère ou une sœur) qui peut-être l’accompagne, qui sûrement l’accompagne, sachant que ce n’est sans doute pas la première fois que cet enfant, et sinon lui un autre qui lui ressemble, croise un tel regard dans la rue » [7].

Le regard d’Houria Bouteldja sur l’enfant qui porte une kippa a une histoire. Il y a quatre ans, lorsque Mohammed Merah a assassiné (entre autres) trois enfants juifs à Toulouse, elle a prononcé au « Printemps des quartiers populaires » un discours égo-pathétique « Mohammed Merah et moi ». Elle y disait à la fois : « Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui » et aussi « Mohamed Merah, c’est moi et ça n’est pas moi ». C’est moi : « nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république ». ça n’est pas moi : « par son acte, il s’empare d’une des dimensions principales de nos ennemis : celle de considérer les Juifs comme une essence sioniste ou une essence tout court. (…) Nous ne pouvons pas combattre le racisme et le devenir nous-mêmes ou en tout cas en revêtir la forme ». L’antiracisme lui interdisait alors de s’en prendre aux Juifs parce que Juifs, il fallait « rester sur le terrain politique et sur celui de la dignité humaine » [8]. Mais aujourd’hui c’est différent, il s’agit de faire entendre aux Juifs que les choses peuvent vraiment mal tourner et qu’il ne s’agit pas seulement d’un certain regard de Mme Bouteldja : « Je connais bien les gens de ma race. Bien que cabossés et terriblement abîmés, nous avons encore le cœur gros et une certaine pratique de la noblesse humaine mais pour combien de temps ? » (68).

Le temps est donc compté pour les Juifs mais ils sont libres, ils ont le choix (et seront responsables de ce choix) : « vous êtes condamnés à la binarité : ce sera l’Occident ou le tiers-monde, la blanchité ou la décolonialité, le sionisme ou l’antisionisme » (64-65). En choisissant le deuxième terme de l’alternative, les Juifs non seulement sauveront leurs peaux, mais surtout leurs âmes. Houria Bouteldja leur offre en effet généreusement rien moins que de redevenir Juifs, en échappant aux deux prisons que l’Occident blanc a construits pour eux : le sionisme et le philosémitisme. Notons au passage que pour Bouteldja, le philosémitisme est l’antisémitisme d’aujourd’hui, sans aucune médiation, mais l’espace me manque pour exposer cette sophistique orwellienne (cf. dans 1984 : « La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force »). En échange d’une double rupture avec Israël et avec la « citoyenneté républicaine », les Juifs, guidés par les Indigènes, retrouveront leur authenticité [9]. D’ailleurs Bouteldja a déjà exprimé la sympathie qu’elle serait susceptible d’éprouver, si elle « ne devinait chez une grande partie d’entre eux un parti pris pro-sioniste », pour les « Juifs d’affirmation », les Juifs à papillotes. Sympathie qu’elle a fait connaître, non sans paternalisme, à cet israélite mal blanchi d’Éric Zemmour : « parce que, tu vois, je trouve normal et même vital d’exprimer sa personnalité historique et son identité bafouée » [10].

Revenons-en à « Nous, les Indigènes ». Le discours de Bouteldja s’inscrit, nous l’avons vu, dans la perspective de l’exacerbation de conflits de races en France et en Europe. Les jeunes musulmans, dont l’identité confessionnelle est racialisée de tous côtés, à commencer par l’islamophobie d’Etat, sont confrontés à trois offres politiques « complémentaires » qui s’inscrivent dans cette perspective.

Les djihadistes islamistes les appellent à prendre part au soulèvement mondial « contre les Juifs et les Croisés » (et les apostats musulmans).

Une partie des fascistes, bien représentée par le courant Soral-Dieudonné en France et en Belgique, prônent une union sacrée des chrétiens et des musulmans pour les libérer de la domination du « sionisme mondial ».

Les Indigènes leur proposent de prendre la tête de tous les damnés de la terre contre la modernité blanche, y compris des Juifs une fois ceux-ci désionisés et déblanchis.
Autant les deux premières options constituent aujourd’hui des chausse-trapes sanglantes pour les jeunes musulmans, autant le scénario totalement improbable de Bouteldja n’est nuisible que par la confusion aggravée qu’il répand. Mais il confirme l’impasse absolue de l’antiracisme raciste [11].

Jean Vogel


P.-S.
* Cet article paraîtra dans un prochain numéro de Points critiques, la revue de l ?Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB).


Notes

[1]
La Fabrique éditions, Paris, 2016 ; citations faites ici par indication du chiffre de la page entre parenthèses.

[2]
Rony Brauman, Maxime Benatouil, Sonia Dayan-Herzbrun, Alain Gresh, Didier Lestrade, Michèle Sibony, Maboula Soumahoro, Isabelle Stengers, Françoise Vergès, « On peut être en désaccord avec les idées de Houria Bouteldja, alors débattons », Libération, 6 juillet 2016.

[3]
Max Horkheimer, « Raison et conservation de soi », in Eclipse de la raison, Paris, Payot, 1974, p. 214-15.

[4]
Contrairement au Mouvement des travailleurs arabes (MTA) dans les années 1970.

[5]
Les « acquis sociaux ou, pour le dire d’une manière plus juste, [les] privilèges » (42-43). Il arrive à Houria Bouteldja de parler la langue du MEDEF…

[6]
Agnostiques, pas athées, faudrait quand même pas exagérer… Par ailleurs, l’idée que l’homme n’est qu’un élément de la Nature parmi d’autres va complètement à l’encontre du Coran.

[7]
Ivan Segré, « Une indigène au visage pâle », ESSF (article 37483), Houria Bouteldja – Une indigène au visage pâle (Compte-rendu de livre) http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37483.

[8]
H. Bouteldja, « Mohammed Merah et moi », http://indigenes-republique.fr/mohamed-merah-et-moi/

[9]
« De sa foi, l’indigène tire sa puissance. L’immigré est un homme politique qui s’ignore. Il est un guide » (131).

[10]
H. Bouteldja, « Lettre à Éric Zemmour l’‘‘israélite’’ », http://indigenes-republique.fr/lettre-a ... raelite-3/

[11]
J’ai critiqué la notion de races sociales sous ses aspects théorique et historique dans « L’invention des ‘‘races sociales’’ : de Trotsky à Papa Doc », communication au colloque Penser l’émancipation, Bruxelles, 28 janvier 2016.

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38866
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede bipbip » 13 Nov 2016, 14:41

Radio Vosstanie

Déchiquetage de l'idéologie PIRiste (critique du livre d'Houria Bouteldja)

à écouter : https://soundcloud.com/vosstanie/dechiq ... -bouteldja
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede bipbip » 20 Fév 2017, 10:45

Radio. Critiques libertaires du racisme comme système et du PIR

Une critique libertaire, « matérialiste », émancipatrice du racisme comme système (articulée à une critique du capitalisme, de l’État, du patriarcat et des classes), avec en contre-point une critique du PIR (Parti des Indigènes de la République) comme critique identitaire, avant-gardiste, tronquée et donc non-émancipatrice du racisme systémique (articulée à un soutien aux autres formes de domination sociale) – avec Matt d’Alternative Libertaire et Sylvain de Zones Subversives

Une émission de critique libertaire, radicale, émancipatrice, non-partielle, non-partiale, anti-raciste, non-identitaire, structurale (ou « matérialiste ») du racisme comme système (articulée à une critique du patriarcat, des classes, du capitalisme et de l’État), et notamment du racisme comme système aujourd’hui en France, en 1ère partie [50 minutes], et avec en 2ème partie une critique libertaire (donc notamment anti-raciste) du Parti des Indigènes de la République et particulièrement de Les Blancs, les Juifs, et nous d’Houria Bouteldja comme critique identitaire, superficielle, avant-gardiste, partielle, partiale et donc non-émancipatrice de la domination raciste (articulée à un soutien au patriarcat « indigène », du Hamas, de l’Iran et de Tariq Ramadan, à une négation de la domination de classes au sein des pays décolonisé et de certaines formes de domination raciste, à une minimisation de la lutte des classes, à un antisémitisme structurel, à une homophobie tendancielle et à un anticapitalisme tronqué) [50 minutes].

à écouter : http://sortirducapitalisme.fr/198-criti ... -et-du-pir
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