Vers une explosion sociale et la construction d’une avant-garde lutte de classe
Une forte augmentation des grèves économiques en cette rentrée
Le mouvement important de grèves économiques qui avait perduré en parallèle tout au long du conflit contre la loi travail, a resurgi en ce mois de septembre 2016 après l’été.
Alors que la lutte contre la loi travail prenait ses congés d’été fin juin 2016, la prise en compte de ce mouvement de grèves émiettées et pas seulement de ce qui se passait contre la loi travail, permettait de pronostiquer déjà à ce moment que le mouvement social dans son ensemble était encore pour l’essentiel devant nous.
Malgré un certain succès, la manifestation contre la loi travail du 15 septembre n’aurait pu le confirmer par elle seule. Par contre, le fait que ce mouvement de grèves économiques émiettées du printemps dernier soit réapparu encore plus fort en ce début d’automne montre qu’un des éléments qui a participé au déclenchement de la lutte contre la loi travail elle-même est toujours là et de manière encore plus soutenu.
On constate en effet un doublement – au moins – du nombre de grèves et luttes ce mois de septembre ci par rapport au mois de septembre 2015 avec une moyenne qui doit s’établir à environ 100 luttes ou plus par jour contre 40 ou 50 l’an passé si l’on en croit des statistiques militantes publiées sur les réseaux sociaux mais reconnues plus crédibles par une association de DRH que celles du ministère du travail. Et ce début octobre confirme l’envergure du mouvement de grèves.
Or l’an passé, d’après ces études, ce mouvement de luttes économiques dispersées avait grandit progressivement pour aller vers les 70 conflits par jour en octobre, 90 conflits en novembre malgré les attentats, 100 en janvier-février 2016 pour atteindre 130 fin février début mars au moment du déclenchement de la lutte contre la loi travail.
Or, il y a un lien entre ce nombre de grèves et le déclenchement comme la durée de la lutte contre la loi travail.
Un mouvement contre la loi travail cristallisant la colère mais ne l’exprimant pas
Le nombre de grèves fut-il important et en croissance ne suffit évidemment pas à lui seul à déclencher directement et automatiquement leur unification et un mouvement général.
Cette unification ne s’est d’ailleurs pas faite au printemps.
Le mouvement contre la loi travail a été d’une autre nature et seulement parallèle aux luttes économiques sur les salaires, l’emploi et les conditions de travail. Cela lui a retiré rapidement sa capacité à l’extension, c’est-à-dire son côté explosif et du coup, s’il a été important, il est toutefois resté minoritaire.
Toutefois, ce mouvement contre la loi travail était lié quand même à ces luttes émiettées ; ce qui lui a permis de durer au delà de ce qui s’est passé pour bien d’autres mouvements dans le passé.
En fait, ce mouvement contre la loi travail a cristallisé une colère qui n’était pas seulement latente puisqu’elle s’incarnait dans de nombreuses grèves mais ne l’a pas exprimée.
Dit autrement, cela signifie que le problème est que ce lien entre les grèves économiques et la lutte contre la loi travail n’était ni révélé, conscient ni donc fouillé, développé et exprimé réellement, sérieusement, politiquement. C’est-à-dire que les militants qui animaient les grèves économiques ou la lutte contre la loi travail ne rendaient pas conscient l’existence de ces deux mouvements, les liens qui existaient entre les deux et cherchaient pas à construire une politique adaptée à la situation tout simplement parce que la plupart d’entre eux n’étaient pas conscients eux-mêmes de ces deux mouvements s’alimentant l’un l’autre. Parmi les combattants contre la loi travail, il y avait ceux – les plus nombreux – qui ignoraient l’existence de ces multiples conflits économiques et ceux, informés, qui n’y croyaient pas ou n’en mesuraient toutefois pas leur signification et leur portée.
Pourtant, on n’était pas loin de cette jonction lorsque par exemple le mouvement « onvautmieuxque ça » a exprimé en quelque sorte la précarité et la colère économique émiettée de bien des jeunes, et, en même temps, l’engagement des jeunes étudiants dans la lutte contre la loi travail qui vise à généraliser cette précarité à tous. Les étudiants-travailleurs concentraient donc dans leur personne ce double mouvement et auraient peut-être pu avec une politique adaptée – ou tenter tout du moins – se faire le vecteur d’une connexion.
La nécessaire prise de conscience de l’existence de ces multiples luttes dans le contexte politique et social actuel
Toute la question aujourd’hui pour les militants est donc de rendre ce lien conscient pour que si un nouveau mouvement général apparaît, il puisse se faire l’expression de toute la réalité sociale, qu’il colle à la conscience la plus large des classes exploitées dont cette multitude de conflits émiettés est une des expressions.
Il s’agit donc aujourd’hui de porter le regard sur la réalité de ces conflits et de la dire, de la faire connaître : combien il y en a, de quelle nature, dans quels secteurs, de quelle durée, avec quelle participation, sur quelles revendications, s’ils gagnent ou pas et sur quoi. Bref, qu’est-ce qu’ils disent des besoins, des aspirations et de la conscience actuels du monde du travail.
C’est fondamental parce que cela dessine le programme économique, social, idéologique de la classe ouvrière en mouvement mais surtout parce que cela dit contre la propagande défaitiste du pouvoir et pessimiste de ses alliés que les classes populaires, se battent, résistent, ne sont pas dupes, n’acceptent pas… Se faire l’écho de ce programme politique optimiste de lutte devrait être la tâche de tout militant.
En effet, toute la politique du pouvoir et du patronat repose sur le fait de dire qu’il n’y a rien à faire, qu’on ne peut rien faire et que rien ne se fait. Toute l’argumentation du pouvoir et du patronat a été d’abord dans ce sens de faire passer la crise comme une fatalité contre laquelle on ne peut rien. Et maintenant que beaucoup de salariés ont vu et compris que les bénéfices des entreprises sont considérables et que la crise a bon dos, le pouvoir et le patronat essaient de leur faire croire qu’il n’y a pas de luttes, que tout le monde accepte, que personne ne relève la tête bref qu’il ne sert à rien de s’y essayer.
La politique de matraquage violent du mouvement du printemps par la police est le complément de ce matraquage moral et idéologique. Le matraquage physique est d’autant plus fort qu’il n’y a pas conscience du matraquage moral mais qu’il y a en même temps danger social pour le pouvoir, danger d’une prise de conscience de l’existence de ces multiples luttes, conscience qu’il est possible de se battre, de résister, de gagner parce que ça se fait déjà. La répression est d’autant plus forte qu’il n’y pas conscience de cette résistance collective, pour empêcher cette prise de conscience.
On lit tout particulièrement la démoralisation de certains milieux militants au fait qu’il n’y a pas non plus de riposte collective commune face aux centaines de procès et poursuites contre des militants et manifestants. Là, il ne s’agit plus de savoir s’il y a des luttes ou pas, il ne s’agit pas d’appréciation de la situation, il ne s’agit que de volonté.
Les procès et les poursuites sont très nombreux et existent, il n’y a aucun doute.
Pourtant si des militants sont nombreux à se battre dans ce cadre, ils le font comme ils peuvent parce qu’il n’y a pas de volonté politique sérieuse d’unifier ces combats de la part des organisations ; pas plus donc qu’il y a une volonté politique sérieuse de leur part de s’adresser aux travailleurs ne serait-ce qu’en s’intéressant à leurs luttes.
Et on voit bien le lien qu’il serait possible de faire entre l’unification de la lutte contre la répression et celle des luttes sociales puisque les premiers sont poursuivis ou condamnés justement parce qu’ils sont engagés dans le combat des luttes sociales, de celle contre la loi travail à celles des conflits économiques par la criminalisation de l’action syndicale.
Cette double situation, là aussi, se mesure au fait que devant les violences policières et judiciaires, les militants, les manifestants et les jeunes font face, disant par là que cette riposte collective est non seulement nécessaire mais possible. Mais en même temps cette dernière ne s’organise pas, en tous cas pour le moment.
Le pire est donc cette police dans les esprits qui fait croire que personne ne relève la tête, qu’il n’y a pas de luttes et que s’il y en a, elles sont peu nombreuses et ne gagnent pas, bref, qu’on ne peut pas gagner, que ça sert à rien de se battre… y compris donc contre les poursuites et procès.
Ce serait d’autant plus important de relever le gant du combat pour l’unification des luttes contre les poursuites et les procès que ce combat n’est pas loin de la continuation de la lutte contre la loi travail que justement les confédérations ont abandonné, alors que bien des militants n’y ont pas renoncé. Ce serait un outil, un levier pour continuer cette lutte.
C’est pourquoi le listage des poursuites et procès en cours qu’aucune organisation n’a réellement pris en charge et qui est pourtant tout à fait faisable, ne réclamant qu’un peu de volonté, a la même signification que l’incapacité à recenser ou s’intéresser aux luttes en cours et donc à leur poids sur la situation.
Ce défaitisme moral est le pire, d’autant que cet état d’esprit freine toute riposte mais surtout gêne ceux qui luttent pour comprendre ce qui se passe et comment pourrait se faire l’unification des luttes.
Le fossé construit par l’histoire et cristallisé par le temps entre ceux qui luttent, en bas, et les organisations qui voudraient unifier ces luttes mais qui en sont socialement coupées, pourrait être partiellement comblé aujourd’hui et dans la période mais opportunité en sera-t-elle saisie ?
Et bien sûr, ce ne sont pas les organisations politiques et syndicales traditionnelles du mouvement ouvrier qui vont combler ce fossé.
Comme le pouvoir, liées directement à lui comme la CFDT, ou plus indirectement comme la CGT ou FO, elles n’ont pas intérêt à ce que les travailleurs prennent conscience qu’ils sont nombreux actuellement à lutter, voire même assez souvent à gagner, en tous cas localement, même si évidemment les reculs législatifs et sociaux qu’imposent le gouvernement au niveau national sont considérables.
A défaut de conscience politique, la nécessité de l’unification fait son chemin social
Faute de cette conscience générale exposée ci-dessus, l’étendue des conflits ne déclenche donc pas le mouvement.
Par contre, elle crée un climat général « naturel » qui le favorise.
En effet, même quand ces grèves sont invisibles à la plupart, cela fait naître un climat plus réceptif pour participer ou soutenir toute contestation générale de l’ordre qu’on sait être la cause de ces conflits économiques. Cette ambiance ne se répercute pas directement sur la situation sociale elle-même mais par contre sur certains relais.
La réussite du site « #onvautmieuxqueça » qui rendait public combien la jeunesse au travail, étudiante ou autre, était précarisée, exploitée, humiliée… et révoltée, appartenait à ce climat. La performance remarquable de la pétition contre la loi travail en était un autre élément. Le succès général de l’appel des organisations de jeunesse le 28 février à manifester le 9 mars après la lamentable capitulation de l’intersyndicale du 23 février alignée derrière la CFDT, également. Enfin et surtout peut-être, le succès de cet appel des jeunes auprès des militants CGT a été une des composantes les plus importantes de ce climat et de la situation. Avec pour cette dernière composante syndicale des évolutions importantes aujourd’hui.
Ce « terreau » particulier des jeunes et des militants CGT, était donc ce relais entre les luttes émiettées et le déclenchement du mouvement contre la loi travail, expliquant le fait que l’étincelle de la loi travail ait mis le feu à la plaine. Parce que pour que le feu prenne, il ne suffisait pas d’une colère « latente » et non exprimée, mais déjà de bien des colères exprimées dans les luttes et de bien des militants les exprimant, cherchant ce qui pourrait donner plus d’efficacité à leurs colères qu’ils criaient dans la rue – et que personne ne remarquait.
La jeunesse est comme toujours une espèce de sismographe extrêmement sensible à la situation du monde environnant lacéré par de nombreuses et profondes crises où seul compte le pouvoir, l’argent, la loi du plus fort, sans donc offrir de futur aux jeunes… ; elle s’exprimait dans « onvautmieuxque ça » et l’appel au 9 mars contre une loi qui légalisait pour l’avenir le monde de précarité et d’humiliations dans lequel elle survivait au quotidien.
La base du PS et son opposition interne profondément désemparées par la politique ultra-réactionnaire du gouvernement Hollande exprimait ce désarroi au travers de la pétition.
Et puis enfin, la base militante CGT au contact direct des luttes économiques, qui prend donc de plein fouet la violence de la politique gouvernementale que ce soit par ses mesures économiques ou par sa répression syndicale et militante, faisait entendre publiquement depuis un certain temps son opposition à la politique de dialogue social de la confédération ; cela a valu à cette dernière de perdre son secrétaire général Lepaon et un 51ème congrès ce printemps particulièrement contestataire. Ces turbulences dans la CGT, à l’interface entre la base sociale qui subit les attaques et sa direction qui y participe sinon les accepte, se traduisaient également par une certaine autonomisation des structures de bases du syndicat à l’égard de leur direction et sa politique. Cela s’est vu notamment à l’action et la parole plus libres de certains syndicats comme celui de Goodyear, les anciens de Continental, Info Com CGT, celui du commerce parisien, des Grands Hôtels ou des précaires, pour ne citer que ceux-là.
Même si bien sûr, il ne faut pas oublier le rôle de « Nuit debout », c’est cette base syndicale directement au contact des multiples luttes économiques qu’elle organise au quotidien, qui a permis le succès du 9 mars… et a donné l’ossature principale du mouvement qui s’est poursuivi.
Or, ce qui est très important, le mouvement contre la loi travail a eu lui-même une incidence sur ces structures, renforçant leur autonomisation et leur recherche d’une politique plus indépendante et plus efficace en même temps que des embryons de son affirmation publique. A partir de là , il y a eu un nouvel effet à son tour sur le mouvement social lui-même le poussant d’une part à perdure et d’autre par vers un niveau plus haut de lutte de classe. Nous y reviendrons.
Par contre, caractéristique aussi de la situation, si d’une certaine manière la jeunesse scolarisée a cristallisé, comme souvent, l’air « général » de lutte du temps, elle n’en avait donc pas non plus une claire conscience : les nombreuses grèves comme les remous dans la CGT lui étaient invisibles pour l’essentiel.
C’est là que joue le phénomène de la conscience, d’autres diraient de l’avant garde.
Or là, il y a aussi crise. Ces grèves et donc cette situation articulée entre celles-ci et les turbulences au sein de la CGT comme la contestation dans le PS, étaient également invisibles pour l’immense majorité des militants ouvriers politiques ou syndicaux.
Si le mouvement dans la CGT et le PS étaient relativement visibles, les grèves ne l’étaient pas, les confédérations syndicales organisant le silence sur celles-ci, plus encore d’ailleurs que les médias eux-mêmes.
Ce silence organisé, voulu, s’appuyant sur l’usure des démoralisations et des coups passés chez les militants, avait un tel effet d’inertie qu’y compris une bonne partie de ceux qui avaient accès aux informations sur ces luttes, en doutaient, n’y croyaient pas ou n’en mesuraient pas la signification et la portée.
Par contre, ceux qui n’ont peut-être pas tout l’enracinement politique des plus avancés mais qui ont par contre l’ancrage social qui leur permet de mesurer quasi physiquement l’importance des résistances populaires, se sont mis à changer. C’est important pour comprendre la dynamique de la construction de l’avant garde à venir, y compris pour l’articulation entre les différents milieux.
Cet ensemble de luttes économiques, de lutte contre la loi travail, aujourd’hui de lutte contre la répression et encore contre la loi travail, et à nouveau de luttes économiques, crée ce que Rosa Luxembourg appelait un climat de « grève générale » au sens d’une période qui pour elle en son temps peut durer plusieurs années, où on passe de multiples gréves économiques émiettées, à une cristallisation de ce climat dans des colères sur un scandale politique ou de société, puis à un déplacement et une concentration des luttes sur une seule ville ou deux, un secteur professionnel particulier ou deux, puis encore un retour aux grèves économiques dispersées mais à un plus haut niveau de lutte de classe, du fait d’une certaine prise de conscience politique et de la construction de pôles syndicaux ou politiques plus radicaux, d’une avant garde au sens large du terme touchant des dizaines de milliers ou plus de personnes, etc, etc…
C’est ce qui se passe aujourd’hui. Mais il y a plus.
Avec le maintien du climat social revendicatif, cette avant-garde large pousse nécessairement à un regroupement plus organisé, plus efficace, plus conscient.
On voit peu à peu autour de quelles lignes de force cette tendance s’affirme au fil des semaines, en particulier le plus important, autour du fait que les turbulences au sein de la CGT sortent imperceptiblement mais sûrement des luttes d’appareil s’adressant de plus en plus de fait – car la conscience comme toujours suit avec un peu de retard – au mouvement social lui-même. Cela passe par différentes critiques, celle de l’absence de suite au 15 septembre donnée par l’intersyndicale alors qu’il y avait encore du monde le 15 septembre, celle ensuite de l’absence de riposte aux multiples plans de suppressions d’emplois en cours alors qu’ils sont légion et au même moment, et aussi par celle de l’absence unifiée de riposte contre la répression syndicale mais aussi contre la répression des manifestants, la répression en général.
Or l’application de la loi travail, la multiplication des plans de suppression d’emplois et la vaste répression à l’encontre des militants et manifestants change quelque peu la donne par rapport au printemps.
Un climat qui redevient explosif
Ces trois événements sociaux, pour le moins, viennent donc s’ajouter en cette rentrée automnale à la situation qui présidait avant la lutte contre la loi travail.
D’une part, se rajoutent de très nombreux plans de suppressions d’emplois, des fermetures, des liquidations, des licenciements. On compte au moins 140 entreprises concernées avec plus de 40 000 suppressions d’emplois. En même temps, la plupart de ces entreprises qui licencient se portent bien et déclarent des bénéfices comme elles distribuent des dividendes. Cela rend la perte de son emploi encore plus insupportable pour les salariés, renforçant l’idée qu’il n’y a pas là une fatalité économique contre laquelle on ne peut rien, mais une politique délibérée pour enrichir encore un peu plus les plus riches au détriment des plus pauvres, renforçant donc les sentiments de classe chez les exploités.
Par ailleurs, perdre son travail c’est être placé à un niveau légal en dessous de la loi travail, de toutes les lois sauf celle de la misère. Ainsi si ces salariés se sont battus hier contre la loi travail, on peut très bien comprendre qu’ils changent de priorité et que par là, soient à même de mieux comprendre ceux qui soutenaient le combat contre la loi travail mais sans y participer car ne se sentaient pas concernés vivant déjà pire ; les chômeurs, les précaires, les licenciés, une foule de jeunes qui ne commencent leur vie professionnelle que par l’intérim, les CDD, les stages… et enfin surtout les salariés qui travaillent dans de toutes petites entreprises – l’immense majorité – où les lois du travail ne s’appliquent que très approximativement souvent déjà dans une situation de droit et de fait en dessous de celle de la loi travail.
C’est à dire que ces salariés confrontés aux plans sociaux – on compte à l’heure ou j’écris une trentaine de conflits ouverts contre ces licenciements, l’Alstom ou SFR étant les plus connus – peuvent d’autant être sensibles au lien entre leurs combats économiques particuliers et les combats généraux contre la loi travail et « son monde ».
D’autre part, la loi travail qui devrait commencer à s’appliquer dans les entreprises à partir d’octobre, si on en croit le gouvernement, va considérablement aggraver la situation des travailleurs et multiplier les conflits.
Ceux-ci auront probablement un caractère économique et émietté avec des luttes qui porteront donc sur tel ou tel point de la loi, pas sa totalité, c’est-à-dire sur des conditions de travail, des horaires, des salaires, l’emploi. Cependant, il serait plus juste de qualifier ces luttes de politico-économiques. En effet, tout le monde saura au delà de leur caractère économique et local, qu’il s’agit là de l’application d’une loi nationale et que bien des salariés qui ne voyaient pas bien concrètement ce que pouvait donner concrètement cette loi générale pour eux, mesureront là très pratiquement toute sa dangerosité. De ce fait, là aussi, ces conflits économiques divers auront une tonalité générale et politique et pourraient bien tout d’une coup passer d’un caractère local économique à un caractère plus général politique et établir un lien entre tous les conflits économiques émiettés et un conflit généralisé.
Enfin, la violence policière comme la violence judiciaire à l’égard des manifestants du printemps, jeunes ou syndicalistes – 750 poursuites recensées au 1er juillet – est au centre de l’actualité et a donné une nouvelle vie au combat contre la répression qui frappe les militants syndicalistes dans leur activité quotidienne, à la criminalisation du syndicalisme.
De fait, la violence policière du printemps accompagné de la violence judiciaire qui perdure en cet automne a lié la lutte contre la répression syndicale à la lutte contre toutes les répressions, contre la criminalisation des manifestations, de celles de la loi travail à celles des écologistes et des zadistes, la criminalisation de la liberté d’expression, l’état d’urgence, l’oppression qui touche aux migrants …. Les luttes d’Air France, celle des militants d’Info Com CGT pour leur affiche contre les violences policières qui a fait scandale dans les hautes sphères comme la chemise déchirée mais surtout celle des Goodyear avec leur condamnation à la prison ferme pour avoir défendu leur emploi, prennent ainsi un caractère de drapeau autour duquel peuvent s’unifier tous les combats de ceux qui cherchent à relever la tête.
Ainsi aussi, toutes ces luttes et ces militants qui n’avaient pas tous une conscience de classe peuvent s’unifier derrière des combats et des militants lutte de classe.
Par ailleurs le combat des Goodyear étant aussi celui d’ouvriers et militants en lutte contre un plan de licenciements, leur lutte fusionne ces deux combats : répression et licenciements. Ses militants s’étant investis dans la lutte contre la loi travail en faisant le lien, il symbolise et fusionne les trois.
Le mouvement contre la loi travail avait perdu de son caractère explosif au fur et à mesure qu’il durait du fait que tout le monde prenait peu à peu conscience qu’il n’arrivait pas à représenter toutes les colères existantes ou latentes.
Or ce nouvel ensemble d’éléments sociaux pose différemment les problèmes qu’au printemps du fait que la lutte contre la loi travail en cette rentrée a persisté le 15 septembre mais n’a pas eu de suite, pas seulement parce que l’intersyndicale ne l’a pas voulu, mais parce que le mouvement lui-même ne voulait pas répéter la même chose qu’au printemps, en en voyant les limites, bref qu’il cherchait autre chose.
En quelque sorte, le 15 septembre pour eux n’a certes pas été un baroud d’honneur mais seulement une étape mais vers quoi : que faire maintenant ?
Certains ont pu se dire que le mouvement unifié étant fini, on allait n’assister qu’à une multiplication de conflits émiettés dans chaque entreprise comme le souhaite la CGT ou juridiques comme y appelle FO ou de conflits judiciaires dispersés autour de al répression.
En fait, le mouvement unifié du printemps continue mais il cherche sa forme future. Celle-ci sera conditionné par le fait qu’il cherche à en changer le contenu, cherchant à intégrer les luttes contre la répression, celles contre les plans de licenciements, celles encore contre l’application de la loi travail et enfin celles, économiques, sur les salaires, l’emploi et les conditions de travail.
Ce qui signifie que dans cette période de recherche, il se concentre dans son avant-garde en même temps qu’elle même se forme à travers cette recherche. Disons qu’en attendant d’avoir trouvé une maturité, elle réfléchit en marchant.
Son premier grand rendez-vous public sera à Amiens les 19 et 20 octobre lors de la manifestation pour la relaxe des Goodyear.
Regardons donc comment et autour de qui va se construire cet événement dans la « capitale de la lutte de classes » tel qu’y appellent les militants Goodyear.
Un écart grandissant entre l’agenda politique et celui fixé par le mouvement social
Le silence organisé sur les luttes sociales pourtant nombreuses est doublement masqué de l’ampleur du vacarme politique et médiatique sur les attentats terroristes, le racisme, les lois régressives, l’état d’urgence, complété de la multiplication des plans de suppressions d’emplois, des lois de régression sociale, des violences policières et judiciaires, de la répression des manifestations, des manifestants et des syndicalistes et maintenant une campagne électorale 2017 sans perspective, qui reflète cet univers déconnecté des préoccupations populaires.
Le petit monde politique emporté par les besoins de ses maîtres, déjà très éloigné des électeurs populaires, ne semble même plus mesurer le fossé qui s’agrandit à vitesse grand V entre lui et eux, pris dans une espèce de logique autiste, où le PS passe à droite, la droite à l’extrême droite et l’extrême droite au fascisme.
Mais cet ensemble emporte aussi la conscience de ses opposants qui n’ont pas l’ancrage social permettant de résister à ce raz de marée politico-médiatique réactionnaire.
L’ancrage idéologique anticapitaliste, antilibéral ou démocratique permet certes souvent à des militants de critiquer ces mesures et cette atmosphère nauséabonde avec courage. Cependant hélas, sans enracinement populaire dans les luttes en cours, sans le choix de tout faire pour s’y lier, la critique de cet univers d’en haut, fut-elle virulente, devient aussi l’univers peu à peu, par glissement, de ceux du dessus, même s’il est inversé. On ne parle plus dans cet univers que des reculs. Ses critiques ne se limitant qu’aux mesures réactionnaires, ses tenants, suspendus en l’air, finissent par croire qu’il est le seul existant et sont entraînés dans une spirale où tout recule, où il ne se passe rien, où on ne peut rien faire, où on ne peut pas gagner, bref où tout va mal…
Le déclenchement du mouvement du printemps fut donc pour tous ces militants une totale surprise. Ne remettant pas en cause l’univers de reculs dans lequel ils vivent, sans donc réelle explication devant ce mouvement qui semblait venu de nulle part, il était logique pour eux qu’il ne pouvait pas durer, ni renaître en cet automne ou hiver, ce qui, s’ils n’osaient pas le crier sur les toits, transparaissait souvent dans nombre de leurs écrits et surtout leurs pratiques.
Durant le mouvement lui-même, bien des militants ou organisations bousculées par cet inattendu, n’en cherchaient à chaque instant malgré eux que la fin, seule confirmation possible de leurs conceptions.
Plutôt qu’à aider le mouvement à aller jusqu’au bout de ses possibilités, ils tendaient alors à utiliser le mouvement pour eux, soit dans des calculs électoraux type «Podemos », soit à renforcer leur activité propagandiste autour de formations politiques élargies ou semi-propagandistes autour par exemple du combat contre le racisme ou de la répression, soit enfin à un recrutement individuel en son sein.
En ce sens là, l’agenda politique d’en haut était malheureusement aussi devenu le leur, quelles que soient leurs bonnes intentions affichées, « à l’insu de leur plein gré ».
Ce qui fait qu’incapables d’aider le mouvement et ses militants à aller jusqu’au bout, ils le croyaient fini cet été, alors que le mouvement ne faisait que chercher une forme et un contenu plus efficaces et ne s’apercevaient pas que les militants du mouvement voulaient le continuer sous toutes les formes possibles, et que de ce fait, ils avaient changé eux-mêmes. Ils cherchaient par exemple des alliés et des idées là où il était impensable qu’ils le fassent quelques mois plus tôt.
Bref, l’avant garde large de centaines de milliers de personnes qui s’était dessinée au décours des mois de lutte, se cherchait une direction et une orientation et construisait avec elle son propre agenda avec par exemple le rendez-vous d’Amiens, voire peut-être ensuite celui des dockers du Havre.
Construction d’une avant-garde politique et lutte de classe à l’influence de masse
De nombreux collectifs se sont créés durant le mouvement de ce printemps, ou, déjà existants auparavant, y ont pris une toute autre dimension.
Animant le mouvement jusqu’au bout, ils ont continué à se mobiliser et exister pendant et après l’été et le 15 septembre.
Les plus importants sont « Nuit debout », le collectif « Interpro-Interluttes » de la région parisienne, le collectif de syndicalistes « On bloque tout » et surtout pour leur notoriété, le syndicat Info Com CGT et enfin les comités Goodyear et plus spécialement la CGT Goodyear.
Tous à des degrés divers ont joué un rôle important dans le mouvement de ce printemps, en marge de l’intersyndicale, ou plus exactement, au delà, plus loin et pour les trois derniers, sur des bases clairement lutte de classe.
Ces collectifs par leur seule existence ont donné une coloration combative et lutte de classe durant le mouvement et ont poussé l’intersyndicale à avancer une date de mobilisation après l’été, le 15 septembre, sinon ils l’auraient fait eux-mêmes.
Ces collectifs ont été l’œuvre pour leur construction du rapprochement de différentes expériences et traditions. Et ce rapprochement de différences et diversités, leur capacité à échanger, ont été le gage de leur efficacité et de leur durée, condensant en quelque sorte deux mouvements de maturation politique, celui de syndicalistes à l’influence de masse en particulier dans la CGT, cherchant à sortir d’une politique de Dialogue social pour retrouver le terrain de la lutte de classes et celui de secteurs jeunes qui ont acquis une certaine lucidité par la violence de la répression policière, la lourdeur des condamnations, le prolongement de l’état d’urgence, l’encadrement des manifestations en même temps qu’ils comprenaient l’importance pour le combat de la présence des travailleurs et des syndicalistes, bref que la classe ouvrière existe et que l’État n’est pas si démocratique que ça.
Or ce qu’il y a de significatif en cette rentrée, c’est qu’outre leur persistance, ces collectifs cherchent à franchir une nouvelle étape en tentant d’établir des passerelles entre eux.
Ce qui s’était additionné ce printemps sans grands contacts, cherche aujourd’hui en cet automne à se rapprocher en travaillant à répondre à la question : qu’est-ce qui a fait que le mouvement contre la loi travail a échoué puisque cette loi a été maintenue jusqu’au bout par un gouvernement pourtant très faible, ultra minoritaire et votée par son parlement et donc, avec la question : comment gagner demain ?
Ainsi voit-on le collectif Interluttes inviter Mickael Wamen à un meeting le 13 octobre à Paris ; le syndicat Info Com CGT inviter Mickael Wamen à un débat dans leur stand à la fête de l’Huma ; les comités Goodyear de la région parisienne inviter des militants d’Info Com CGT, de la CGT. EDF Paris et, surtout, un militant Sud Poste Hauts de Seine à participer à l’animation de leur AG de rentrée, sortant ainsi de l’entre soi CGT, du combat interne pour la réforme de la CGT à celui de s’adresser et représenter le mouvement des salariés ;l a CGT Goodyear inviter avec des « Nuit debout », à organiser une nuit « Relaxe debout », à Amiens le 19 octobre…
Et tous se retrouvent à pousser au succès de la manifestation des 19 et 20 octobre à Amiens, en quelque sorte la manifestation et l’expression publique commune de ces courants, certainement le point de départ d’une nouvelle étape dans la construction d’une avant-garde.
Là aussi, si la confédération CGT appelle à Amiens en mettant un mot d’ordre de grève c’est parce qu’elle sent qu’il y a là quelque chose de massif qui peut lui échapper du fait de la notoriété de ses acteurs, de l’influence de certains des militants qui animent ce combat, et parce que de ce fait ce rendez-vous prend plus largement le sens de la continuation de la lutte contre la loi travail qu’abandonne l’intersyndicale.
C’est-à-dire que cette initiative prend le sens de l’ébauche d’une direction alternative au mouvement ouvrier, d’un nouvel outil pour les luttes à venir, une marche vers une conscience politique et luttes de classe de militants ouvriers à l’influence de masse.
Bien sûr, cette prise de conscience ne se fait pas sans problèmes ni reculs momentanés, mais ce dont on peut être sûrs c’est qu’elle a commencé et qu’elle ne peut que continuer appuyée sur un mouvement social qui ne faiblit pas et dont la lutte contre la loi travail avait illustré la ténacité et le courage et l’aspiration à un autre monde.
Alain Riveto