L'école d'aviation libertaire de Barcelone.
L'école d'aviation libertaire de Barcelone.
Texte écrit par Carlos Lázaro Ávila et traduit de l'espagnol par le Collectif Anarchiste de Traduction et de Scannerisation (CATS) de Caen.
Résumé
La désorganisation provoquée dans l’Aviation Militaire par le soulèvement militaire du 18 juillet 1936 et le besoin d’aviateurs qui s’incorporaient au front donna lieu à l’ouverture d’écoles de formation aéronautique dans le territoire gouvernemental. À Barcelone, la CNT-FAI promut la création d’une école aéronautique et l’acquisition de matériel avec l’objectif de se doter d’une aviation propre, mais elle choqua avec les intérêts et objectifs de la Généralité elle-même et avec ceux du Ministère de la Marine et de l’Air d’Indalecio Prieto.
Introduction
Jusqu’à maintenant, l’historiographie aéronautique de la Guerre Civile a toujours considéré que les initiatives de formation aéronautique partirent du gouvernement de Madrid, qui se servit initialement de l’École de Vol d’Alcalá de Henares (Madrid), en fonctionnement avant la guerre mais qui dut fermer du fait de la proximité du front. Ensuite il habilita le complexe aéronautique du Levant pour la préparation de nouveaux pilotes et, par la suite, il prépara les expéditions d’élèves-aviateurs qui se dirigeaient vers la France et l’URSS.
Désormais, grâce à la documentation consultée à la Fondation Anselmo Lorenzo, nous savons que le gouvernement républicain ne fut pas le seul qui, en août 1936, tenta d’organiser des cours de pilotes pour faire face au soulèvement militaire. À Barcelone, la CNT et la FAI mirent sur la table non seulement un projet d’École d’Aviation, mais également la création d’une Aviation Confédérale. L’évolution de ce projet aéronautique anarchiste dans le dernier semestre de 1936 fut complexe, choquant toujours contre les réticences de la Généralité et il prit fin avec la première grande convocation d’élèves-pilotes que fit le Ministère de la Marine et de l’Air.
L’École d’Aviation Libertaire
Le 20 août 1936 fut envisagée à Barcelone la création d’un Corps d’Aviation intégré par des membres de la CNT et de la FAI. Les anarchistes de Barcelone avaient déjà un siège officiel pour leur école dans la caserne Michel Bakounine de Pedralbes; dans un rapport datée de ce jour, ils et elles exposaient les besoins qu’ils et elles avaient pour mener de l’avant leur projet : deux ou trois appareils, une autorisation pour réquisitionner un terrain et des facilités pour leur tâche de formation. En échange, ils et elles s’engageaient à mettre à disposition 10 pilotes au bout d’un mois (chiffre qu’ils et elles dupliquerons soixante jours plus tard dans une annonce postérieure) et, de plus, ils et elles sollicitaient la collaboration de tous-tes leurs affilié-e-s qui étaient lié-e-s à l’industrie aéronautique de Barcelone (Ateliers Hispano Suiza et Elizalde) pour que leurs compagnons puissent faire des exercices pratiques dans leurs sections de moteurs.
Initialement les anarchistes pensaient doter leur école de matériel aéronautique acheté en France, bien que le 31 août ils et elles commencent à réquisitionner des avions dans la région [1]. Dans une note du 3 septembre, signée par Juan García Oliver, le Comité de Guerre de la CNT-FAI déclarait constituée l’École, à la tête de laquelle se trouvait un comité formé par Enrique Márquez (aviateur technique), le secrétaire Ángel Miret Aleu et un ensemble de délégué-e-s de sous-comités (technique d’École, d’Investigation, de Guerre, de Contrôle, etc…). Quatre jour plus tard, le Comité de Guerre leur délivrait une autorisation pour utiliser le terrain d’aviation et tous les avions qui se trouvaient dessus et qui n’étaient pas nécessaires sur le front. Il faut faire entrer l’apparition et l’évolution de cette École d’Aviation Libertaire dans le cadre du difficile contexte des relations politiques entre les organisations anarchistes catalanes et le Gouvernement de la Généralité, qui n’était pas disposé à céder du terrain dans le bras de fer politique qu’il maintenait avec les libertaires, ce pour quoi il dut faire pression pour pouvoir participer à l’école naissante. Le 21 septembre 1936, Diego Abad de Santillán, au nom du Comité Central des Milices Antifascistes de Catalogne, sollicite auprès des milicien-ne-s et des autorités qu’ils et elles apportent leur aide à Ángel Miret et au nouvel assesseur technique, le Commandant d’Aviation Miguel Ramírez de Cartagena, Chef de l’Aérodrome d’El Prat et subordonné de Felipe Díaz Sandino, Conseiller à la Défense de la Généralité, pour organiser une École d’Aviation des Milices de Catalogne, dont le bureau d’inscription s’ouvre au N°30 de la Vía Layetana. Le 29 la nouvelle école comptait dans son personnel le célèbre aviateur et promoteur aéronautique catalan José Canudas Busquets comme pilote Directeur, et parmi les professeurs figuraient les aviateurs connus Jaime Camarasa Lluelles et Luis (ici il manque la fin du deuxième nom, qui a été oublié dans le texte original – NDT).
La convocation pour les inscriptions s’ouvrirait le 5 octobre, avec une capacité d’accueil d’un maximum de 150 aspirants avec des âges compris entre 18 et 23 ans, de préférence avec des connaissances en aviation ou en mécanique. Ils devaient tous suivre les matières de Notions de Géographie d’Espagne, d’Aérodynamique, de Moteurs, de Navigation et de Tir à la mitrailleuse fixe. On envisageait que les pilotes réalisent 25 heures de vol (15 dans des petits avions à double commande et 10 en solitaire), ce pour quoi on disposait d’un parc aéronautique de 6 Caudron Luciole, 2 Hispano E.30 et 2 Breguet XIX. La convocation envisageait également la possibilité que se présentent des aspirants jusqu’à l’âge de 35 ans parmi lesquels on pourrait choisir du personnel observateur-mitrailleur-bombardier. Les études auraient lieu dans les bureaux de la Vía Layetana tandis que les cours de vol et de tir se réaliseraient à l’Aérodrome de Barcelone et à la plage de Prat del Llobregat respectivement. On ne l’indiquait pas dans la convocation mais l’école comptait un médecin examinateur pour déterminer les aptitudes physiques des élèves et, à la différence des cours auxquels convoquait le gouvernement de Madrid, il n’y avait pas besoin de présenter des recommandations politiques.
Cependant, à la fin septembre commencèrent à surgir des frictions entre les anarchistes et la Généralité. Dans un écrit du 30 septembre, Ángel Miret accusait le gouvernement catalan de tenter de dissoudre l’école créée par le Comité Populaire des Milices, après avoir pris connaissance du fait que la Généralité venait d’approuver le 29 la création de l’École de Pilotes Aviateurs Militaires, à l’aérodrome de Barcelone [2], dans laquelle figurait également des professeurs de l’École des Milices, qui avaient été mobilisés par le gouvernement catalan [3].
Le 3 octobre, deux jours après la publication du Décret de la création de l’École de Pilotes Aviateurs Militaires et une journée après qu’ait été ouverte l’inscription à l’École des Milices, Miret remet un écrit au Conseil de la Défense, dans lequel il communique à Díaz Sandino son étonnement vis-à-vis du fait que Ramírez de Cartagena et lui-même aient été démis de leurs fonctions; à partir de là commence une lutte aigre entre la CNT-FAI et le Conseil de la Défense, qui culminera avec la fermeture définitive de l’École de Vol anarchiste. Le 7 octobre 1936, le Comité Régional de Catalogne envoie une lettre de protestation au Conseil de la Défense dans laquelle il se plaint de la sortie de l’École anarchiste de Ramírez Cartagena pour faire partie de l’École de la Généralité. Le Comité se considère « déplacé du plan d’action conjointe qu’il faut suivre en ces moments ».
Le Comité anarchiste exigeait que se poursuive le travail de l’École, que ses représentants interviennent comme au début, que soit à la tête de celle-ci un aviateur comme Canudas – Ramírez de Cartagena étant accusé de « ne pas être aviateur » – bien que la CNT et la FAI aient accepté que le contingent d’élèves de son école se forme proportionnellement, sur la base des organisations qui luttaient contre le fascisme. L’École d’Aviation de la CNT subit de nombreux retards pour donner les classes ; d’un communiqué du 10 octobre se détachent les problèmes qu’elle avait (perte de temps dans le transfert de professeurs et des appareils d’un terrain à un autre, mauvaises conditions du terrain, accumulation excessive de sable qui gênait l’atterrissage des avions légers) mais, surtout, se détache le fait qu’alors qu’ils attendaient pour commencer leurs classes, Felipe Díaz Sandino, de manière arbitraire, sélectionnait des individus pour recevoir une formation aéronautique dans les Écoles d’El Prat, de San Javier et de Paris (ces dernières organisées par le gouvernement républicain).
À partir de là, l’École de Milices libertaire et la future Aviation confédérale virent leurs jours comptés. Malgré tout, les anarchistes continuent à aller de l’avant avec leur projet en publiant le 11 octobre le contingent d’élèves correspondant aux différentes organisations politiques catalanes; cependant, quatre jours plus tard, ils et elles faisaient constater la faible présence de membres de la CNT (trois) dans l’École Civile d’El Prat et aucun dans la militaire.
Les membres du Comité de l’Aviation Confédérale appelèrent le Comité Régional de la CNT-FAI, concrètement García Oliver, membre du Secrétariat Général du Conseil de la Défense, pour qu’ils fassent pression sur Díaz Sandino afin qu’il y ait respect des proportions dans la sélection des intégrants des écoles civile et militaire, provenant des organisations antifascistes catalanes.
À ce qu’il semble, des membres du Comité Central s’entretinrent avec Sandino et il se produisit une désagréable discussion en raison de l’indication par le Conseiller de la Défense qu’il accomplissait les ordres du gouvernement central et que l’autorité des Conseils d’Ouvriers et de Soldats était nulle puisqu’ils avaient été dissous. Les anarchistes adoptèrent une « attitude tolérante et transitoire », comme il est indiqué dans l’« Informe de la Comisión nombrada por el pleno Regional del 25 de octubre de 1936 para esclarecer el asunto Aviación », mais de ce même document s’extraient des conclusions significatives, pas tant en ce qui concerne la création d’une école aéronautique, qu’en ce qui concerne l’apparition d’une Aviation Confédérale.
La première est que l’Organisation Confédérale devait « commencer un travail d’épuration parmi tous les éléments qui sont considérés, non seulement ennemis du Communisme Libertaire, mais pleinement ennemis de la Révolution Libertaire ».
Ayant analysé les anomalies qui, à son avis, existaient au sein de l’École d’Aviation d’El Prat, « ses Conseillers dans le Gouvernement de la Généralité doivent poser au sein du même la nécessité de l’organisation d’une École avec l’apport technique le plus large possible » [4].
Dans ses Mémoires, Felipe Díaz Sandino a mentionné très superficiellement cet affrontement avec une faction de l’anarchisme catalan (Díaz Sandino, 1990), mais de la documentation consultée sur l’école d’aviation anarchiste, nous ressortons que les Conseillers anarchistes du Gouvernement de la Généralité permirent que le Conseiller de la Défense emploie l’École qu’il avait sous son contrôle pour préparer des élèves-pilotes qu’il envoyait non seulement dans des centres de formation étrangers, mais y compris qu’il était en train de faciliter l’instruction aéronautique en Espagne (San Javier) des élèves provenant de l’École d’Aviation qu’avait organisé à Barcelone le Parti Ouvrier d’Unification Marxiste (POUM) [5].
La documentation existante sur l’École d’Aviation de la CNT/FAI nous permet de confirmer le témoignage de Juan Sayós Estivill, futur pilote de chasse Polikarpov I-15 qui dans ses Mémoires commente qu’il assista à cette école à Barcelone. On exigea seulement de Sayós la carte d’un syndicat pour assister à l’école que le POUM avait ouverte sur la Rambla, où il se retrouva avec Eduardo Claudín Moncada, remarquable pilote de Polikarpov I-16 qui se convertira en premier chef espagnol du Groupe 21 composé de tous les élèves qui se formèrent à l’école aéronautique de l’URSS [6]. Dans l’école de la Rambla, Claudín et vingt autres élèves reçurent des classes de Mécanique, Aérodynamique, Cartographie, Navigation et Géographie – qui leur furent très utiles dans leur formation postérieure – mais ils ne purent faire d’exercices pratiques de vol parce qu’ils manquaient d’avions. Pour suppléer à ce manque, quelques élèves de l’école, accompagnés de miliciens du POUM, décidèrent de réquisitionner par la force plusieurs appareils de l’aérodrome Canudas mais ils échouèrent après avoir eu une discussion avec un représentant du Conseil de la Défense et un officier d’Aviation, qui les somma de se retirer tandis qu’un avion survolait le camp de manière menaçante (Sayós Estivill, 1999). Sayós laissa l’école du POUM pour s’inscrire dans les cours convoqués par le gouvernement de Madrid et il voyagea ensuite à une école aéronautique de France.
Cependant, le 11 octobre 1936, dans le contingent établi par l’École de la CNT, on admettait la possibilité d’intégrer un élève du POUM et, dans une plainte écrite datée du 2 novembre 1936, les anarchistes se plaignaient que Díaz Sandino avait donné des instructions aux élèves en aviation du POUM pour qu’ils présentent des requêtes pour le cours d’aviation convoqué par le gouvernement.
Dans le même écrit, on signalait qu’un commandant nommé Arizón s’était présenté au siège du POUM en demandant dix volontaires pour aller au mois d’octobre à Los Alcázares avec l’objectif de suivre le cours de bombardiers mais, finalement, les dix élèves sélectionnés ne se rendirent pas à la localité murcienne [7]. Après 3 mois de relations infructueuses, la CNT et la FAI se virent obligées d’admettre que la formation aéronautique des aviateurs républicains restait uniquement dans les mains du gouvernement de Madrid, dont le Ministère de la Marine et de l’Air avait rendu public une convocation massive d’élèves-pilotes à l'automne 1936.
Bibliographie :
DÍAZ SANDINO, F. (1990) De la Conspiración a la Revolución (1929-1937). Libertarias. Madrid.
MALUQUER WAHL, J. J. (1977) La aviación de Cataluña en los primeros meses de la Guerra Civil.
Editorial San Martín. Madrid.
RAMONEDA VILARDAGA, J. (2010) Muera la muerte. Lectio Ediciones. Tarragona.
SAYÓS ESTIVILL, J. (1999) Un aviador de la República. Asociación Aeroclásica Craftair. Madrid.
Notes :
[1] « Ponencia para la Aviación Libertaria » : document 002 A, « Informes sobre la Escuela de Aviadores CNT-FAI en Barcelon », Archives de la Confédération Régional du Trvail de Catalogne, Fondation Anselmo Lorenzo. Dans ce document sont communiquées les intentions des anarchistes catalan-e-s – qui ont déjà un bureau d’enrôlement dans la caserne del Bruch – mais ils et elles rendent patent le besoin d’avions et d’un camp d’entraînement.
[2] Le Décret, publié au Diario Oficial de la Generalitat de Cataluña, nº 275 du 1er octobre 1936, apparaît in Maluquer Wahl, 1977: p.377 et suivantes. Ce Décret coïncide, au niveau régional, avec la publication d’un Décret de la Généralité par lequel on élimine toutes les écoles civiles et, en même temps, on dissout le Comité Central des Milices Antifascistes; le coup de grâce à l’embryonnaire Aviation Confédérale provint de Madrid étant donné que le Ministère de la Marine et de l’Air, présidé par Indalecio Prieto, réalisa la première convocation de pilotes militaires.
[3] À Prat de Llobregat, la Généralité commença les cours de formation en mettant à profit les Services Aéronautiques de Catalogne dont les prestations avaient été rendues au gouvernement catalan après les élections de février 1936. La formation accélérée de pilotes civils se fit également, en moindre nombre, au terrain d’aviation de Sariñena, Los Monegros.
[4] « Informe de la Comisión nombrada por el Pleno Regional del 25 de octubre de 1936 para esclarecer el asunto Aviación », in « Informe sobre la Escuela de Aviación », Fondation Anselmo Lorenzo.
[5] L’avant dernière conclusion du Rapport rédigé le 25 est très significative pour comprendre l’importance que la CNT donnait à l’aviation : « Nous croyons que l’Organisation Confédérale doit s’efforcer pour son compte de créer une École d’Aviation, contrôlant elle-même toutes les industries en relation directe ou indirecte avec la fabrication de matériel d’aviation, celles-ci peuvent donner à l’Organisation, en plus du contrôle de la lutte, le contrôle technique et industriel d’une arme si puissante ». Ce même Rapport fut publié le 31 octobre 1936 et grâce à un document postérieur nous pouvons constater que les prétentions des anarchistes furent, pour autant que nous le sachions, irréalisables, parce qu’eux et elles mêmes constataient que l’École d’El Prat était le filtre par lequel la
Généralité se débarrassait de tous les aviateurs qui n’étaient pas liés politiquement au gouvernement catalan ou au gouvernement central. Bien que nous aurons l’occasion de voir que la présence d’anarchistes dans quelques écoles d’aviation – y compris à Kirovabad – fut significative, on ne peut pas dire la même chose du Commissariat et du Haut Commandement des Forces Aériennes de la République.
[6] Sur la trajectoire de Sayós et Claudín, voir Ramoneda Vilardaga, 2010.
[7] « Anomalías observadas sobre la escuela de Aviación », Fondation Anselmo Lorenzo.