Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Pïérô » 07 Juil 2016, 18:45

Anarchives de l’Ain. Séraphine Pajaud : une conférencière anarchiste.

Séraphine Pajaud : une conférencière anarchiste.

Séraphine Pajaud est née en 1858 en Charente Maritime. On ne connaît pas la date exacte de sa mort mais on sait qu’elle vivait encore en 1934 car le journaliste anarchiste André Lorulot l’avait rencontrée cette année-là à La Rochelle.

Dès 1898, elle sillonne toute la France, le plus souvent à pied, pour donner des conférences. Un rapport de police signé du Maréchal des Logis Ferretier signale son passage à Tenay, où elle séjourne le 29 avril 1900, après avoir donné une conférence à Chaley. De là, elle se rend à Bourg en Bresse pour animer une conférence publique Salle Carriat le 2 mai 1900. Un rapport du commissaire de police de Bourg, adressé au préfet, précise que 500 personnes, dont une cinquantaine de femmes, assistait à cette réunion. Un indicateur devait être présent dans la salle car le rapport de police donne des informations très détaillées sur cette conférence. Séraphine Pajaud « dans un langage tantôt de révolte, tantôt ironique genre quartier excentrique de Paris, tantôt de blasphème contre la société actuelle, a entretenu son auditoire pendant une heure et demie environ, fréquemment applaudie par les socialistes présents ».

Sa conférence commence par « la négation de l’existence de Dieu, de la création de l’homme par Dieu ». Elle poursuit en s’attaquant au clergé, à l’armée « qui ne doit exister », à la magistrature, à la famille « qui a tort de s’attacher aux anciennes croyances de nos ancêtres », au capital, aux exploiteurs « qui vivent de la sueur des malheureux ». Elle poursuit en évoquant la Commune de Paris écrasée dans le sang. La dernière partie de son discours expose les théories anarchistes et envisage les moyens à employer pour aboutir à une révolution sociale. Le rapport précise que « la plupart des femmes présentes ont été gênées de l’insolence et de la désinvolture de la conférencière ». Avant d’achever sa conférence, Séraphine Pajaud interpelle l’auditoire en demandant que des contradicteurs viennent à la tribune « pour défendre leur Dieu qu’elle venait de battre en brèche et que s’ils ne venaient pas elle aurait le droit de les traiter de lâches ». Personne n’ayant osé se mesurer à elle, Séraphine Pajaud conclut la séance au cri de « Vive la Révolution Sociale ! ».

Selon le commissaire de Bourg, « beaucoup de personnes sont allées à la réunion pour entendre cette femme parce que c’était la première fois qu’une femme a pris la parole dans une réunion publique à Bourg ».

Le 27 mai 1900, un rapport du commissaire spécial de la gare de Bellegarde adressé à la préfecture de l’Ain, au sous-préfet de Nantua et à la direction de la sûreté générale à Paris, mentionne une autre conférence donnée la veille au Casino de Bellegarde. 150 personnes environ y assistent, dont une quinzaine de femmes. Le rapport est un peu moins détaillé que celui du commissaire de Bourg, mais donne une idée assez précise du contenu de la réunion. Les thèmes abordés par Séraphine Pajaud sont invariables et suivent le même plan : « la conférencière commence par tourner en ridicule l’enseignement religieux, dit qu’un Dieu selon la Bible serait un infâme et un grand criminel, attaque vivement le clergé. S’efforce de prouver que tout ce qui existe est le résultat de transformations successives et progressives ». Ensuite, elle s’attaque à la propriété, à l’exploitation, à l’armée et au drapeau « qui n’est pas l’emblème de la patrie et de l’honneur, mais traîne à sa suite les massacres et les brigandages ». Elle demande aux mères de famille « si l’idée de patrie pourra effacer la douleur que leur causera la mort de leurs enfants tombés la poitrine percée d’une balle et si elles se consoleront jamais lorsque leurs fils tireront sur leurs pères et leurs frères comme à Fourmies et à Carmaux ». Elle « attaque spécialement les antisémites ». Le rapport s’achève en précisant que la conférencière a été souvent applaudie.

Sources : Archives départementales de l’Ain 4 M 81

Pour en savoir plus sur Séraphine Pajaud :
http://militants-anarchistes.info/spip.php?article4393

Le Maitron : Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier

http://www.cla01.lautre.net/Anarchives- ... -Seraphine
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Messagede bipbip » 14 Juil 2016, 18:40

10 juillet 1934 : Erich Mühsam est assassiné par les nazis

Triste paradoxe pour Erich Mühsam, ASSassiné le 10 juillet 1934 dans le camp de concentration d’Oranienburg, que d’être à la fois l’écrivain anarchiste le plus mal connu et l’un des plus controversés ! Le plus mal connu, car son œuvre n’a fait l’objet d’aucune étude véritable en France. Même dans les milieux germanistes, on se contente d’évoquer ses liens avec des auteurs expressionnistes et c’est tout. Un des plus controversés dans le mouvement anarchiste car ses multiples erreurs (reconnues à chaque fois pourtant) n’ont pas manqué de susciter la méfiance, voire l’hostilité, envers un militant qui a fini par apparaître comme une sorte de crypto-communiste.

... https://rebellyon.info/10-juillet-1934-Erich-Muhsam-est
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede digger » 15 Juil 2016, 05:54

C'est vrai qu'il n'y a pas grand chose (sauf en allemand, si il y a des traducteurs-trices intéressé-es)
2 livres
Bohême et révolution Journaux intimes (1910-1924) 2011 Editions du Sandre
La République des conseils de Bavière Munich du 7 novembre 1918 au 13 avril 1919 La société libérée de l’Etat Ed La Digitale 1999

Disponible ? chez Quilombo par ex.

Un poème/chanson traduit

LE RÉVOLUTIONNAIRE
Dédié à la social-démocratie allemande.

Il était une fois un révolutionnaire,
Dans le civil, allumeur de réverbère;
Il allait d'un pas révolutionnaire
Avec les révolutionnaires.

Et il criait : "Je révolutionne !"
Et le bonnet révolutionnaire
Posé sur l'oreille gauche,
Il avait l'air très redoutable.

Cependant, les révolutionnaire marchaient
Au plein mitan des rues
Où d'habitude, il nettoie
Toutes les lanternes.

Du sol, ils arrachèrent
Les réverbères, les réverbères
Des trottoirs, des arcades
Pour construire des barricades.

Mais notre révolutionnaire
Criait : « Je suis l'allumeur de réverbères
Ces bons éclairages-là
Je vous prie, ne les abîmez pas.

Si nous éteignons la lumière
Le bourgeois ne pourra plus voir
Je vous prie, laissez la lumière
Sinon, je ne joue plus dans cette histoire. »

Alors, les révolutionnaires rirent
Et les réverbères bruirent
Et l'allumeur s'éloignant
Pleurait amèrement.

Alors, il est resté chez lui
Et là, un livre il a écrit
En l'occurrence, « Comment être révolutionnaire
Tout en allumant les réverbères ».
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Messagede bipbip » 27 Juil 2016, 16:09

Clara Wichmann

Le 15 février 1922, mort de Clara Gertrud MEIJER WICHMANN à La Haye (Pays-Bas).
Avocate, philosophe pacifiste, antimilitariste et anarcho-féministe hollandaise.
Elle est née le 17 août 1885 à Hambourg (Allemagne), mais elle passera son enfance aux Pays-Bas, à Utrecht où son père était professeur de géologie. Elle suit des cours de philosophie et commence à étudier le droit à l’université d’Utrecht. En tant que juriste, elle pense à la possibilité d’effectuer un travail social. En 1908, étudiante en droit, elle est la cofondatrice de la « Nederlandse Bond voor Vrouwenkiesrecht » (Ligue Néerlandaise pour le suffrage féminin). Elle donne des conférences et écrit des articles sur des sujets s’y référant (1908-1911). Mais elle refuse de se limiter à ça ; la libération des femmes doit être une libération sociale, économique. Et pour l’émancipation sociale, il faut également une émancipation spirituelle.
Après sa maîtrise, elle achève ses études en décembre 1912 avec l’obtention d’un doctorat. Sa thèse s'intitulant : "Réflexions sur les fondements historiques de la transformation dans le temps présent de la notion de punition". Dans le prolongement de sa thèse, elle est nommée, en 1914, chercheur au département central des statistiques judiciaires du ministère, à La Haye. "Le droit pénal doit être banni complètement, parce que, proclame-t-elle, l’acte de représailles n’est pas une manière de rendre justice ". Elle fréquente alors les milieux libertaires et en 1915 fonde à Amersfoort "l'Internationale School voor Wijsbegeerte" (École Internationale de la Philosophie). En 1919, elle crée le "Comité d’Action contre les notions existantes du Crime et de la Punition". A l’aide de cette organisation, elle va s’opposer aux conditions pénitentiaires. Elle est également membre d'une association de libres-penseurs "De Dageraad". A l’École Internationale de la Philosophie, elle se lie avec le militant antimilitariste Bart de Ligt et l'objecteur de conscience Jo Meijer avec qui elle se marie en 1921. En mars 1921, tous deux sont les co-fondateurs de "War Resistors International" ( Internationale des Résistants à la Guerre). Jo Meijer sera le premier secrétaire de cette organisation, "considérant la non-violence active comme une forme supérieure de la lutte et un saut qualitatif dans le développement de la culture humaine".
Mais l'année suivante Clara meurt à La Haye, à 36 ans, quelques heures après avoir donné naissance à sa fille.
Son compagnon Jo Meijer fera tout pour préserver l’héritage intellectuel de sa femme. Il a collecté ses articles publiés dans diverses revues, et ses discours et annotations, qu’il a fait paraître les années suivantes sous forme d’anthologie.
Outre sa collaboration aux journaux : "Neder De Wapens", "Opwaarts", "De Frije communiste", "De Nieuwe Amsterdam", Clara est aussi l'auteure de plusieurs brochures : sur l'antimilitarisme et la violence (1922), sur la férocité de l'opinion dominante au sujet de la criminalité et de la punition (1922), et de textes sur la non-violence active.
De 1987 à 2004 "l'Institut Clara Wichmann" oeuvra à la défense des intérêts des femmes. Il existe également une Fondation pourtant son nom qui dispose de fonds destinés à résoudre les litiges portant sur la situation sociale et juridique des femmes aux Pays-Bas.

http://www.ephemanar.net/fevrier15.html


« Textes choisis » de Clara Wichmann

Image

Textes choisis : Antimilitarisme et violence ; La fin et les moyens ; La cruauté escorte la crime et la punition ; Les fondements philosophiques du socialisme, Clara Wichmann, 2016

Clara Wichmann (1885-1922), hollandaise d’origine allemande, précéda de quelques années l’Allemand Fritz Oerter (1869-1935) dans l’élaboration d’une pensée non-violente et libertaire. Bien que ne connaissant pas Gandhi, Clara Wichmann, dépassant l’alternative «ne rien faire ou lutter par les armes», fut une des premières à utiliser le mot de «non-violence» et à concevoir la notion d’action directe non-violente.

Rejetant les termes de «non-résistance» ou de «résistance passive», elle s’ouvrit à une compréhension active de l’action en s’appuyant sur les luttes ouvrières se déroulant en Europe, notamment les grèves de masse de l’époque. Dans Antimilitarisme et violence, elle clarifie sa pensée et s’oppose à un militant anonyme qui se veut tout à la fois antimilitariste et partisan de la violence dans les luttes sociales. Dans La Fin et les moyens, elle s’adresse ensuite aux militants qui veulent ignorer que la fin est contenue dans les moyens. Dans La cruauté escorte le crime et la punition, cette théoricienne de la criminalité développe l’idée qu’il «existe un lien non seulement entre le crime et la société, mais aussi entre la société et la punition: la société se venge par la sanction». Dans Les Fondements philosophiques du socialisme, est abordée la coexistence du courant libertaire athée et du courant libertaire religieux d’alors. La vie de Clara fut courte. Pour autant, ses écrits sur des sujets aussi variés que l’anarchisme — notamment le syndicalisme révolutionnaire —, le féminisme, la non-violence, la critique du droit de punir, le droit des enfants, le droit des animaux domestiques et la philosophie de l’histoire mériteraient d’être intégralement traduits dans notre langue. Féministe, juriste, pédagogue, elle met en avant une société non capitaliste, non autoritaire et non-violente.

47 pages – 7 €

ISBN : 978-2-919568-76-5

http://editions-libertaires.org/?p=931
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 30 Juil 2016, 03:29

Buenaventura Durruti
De la révolte à la révolution


De l’enfant au militant

Buenaventura Durruti Dumange, fils de Santiago — un cheminot — et d’Anastasia, naquit le 14 juillet 1896 à León.

À l’âge de cinq ans, il fréquenta l’école primaire, et à neuf ans le lycée de la rue Misericordia que dirigeait le professeur Ricardo Fanjul. L’appréciation que le professeur donna de Durruti, à la fin de ses études, fut : « Élève doué pour les lettres, dissipé, mais aux sentiments nobles. »

À quatorze ans, il entra comme apprenti dans un atelier de mécanique qu’il quitta à dix-huit ans, après avoir reçu une bonne formation qu’il prouva lors de son premier travail à Matallana de Torío, en montant des lavoirs pour la mine. Il entra ensuite à la compagnie des chemins de fer du Nord, comme mécanicien monteur. Cela se passait en 1914, lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Bien que León fût un centre de domination cléricale et aristocratique, il y existait déjà un noyau ouvrier du Parti socialiste espagnol et de l’Union générale des travailleurs. Durruti appartint à cette dernière à compter du jour où il devint salarié. Sa nature révoltée, qui le rendait toujours prêt à affronter l’injustice, lui valut d’être toujours apprécié de ses compagnons de travail et le rendit populaire dans les centres miniers.

Il participait aux réunions syndicales, parlait sur les lieux de travail, où se forma sa mentalité militante et combative. C’est à ce moment que se produisit la grève révolutionnaire du mois d’août 1917 qui se termina à León par le licenciement des ouvriers et la répression des dirigeants. La section de León de la nouvelle centrale syndicale ouvrière, la Confédération nationale du travail, se manifesta également dans cette grève. Durruti fut attiré par la combativité de ces hommes et entra dans cette centrale syndicale à laquelle il devait appartenir toute sa vie. Renvoyé des ateliers des chemins de fer, boycotté par le patronat de León, il dut s’exiler pour se fixer à Gijón, centre d’attraction révolutionnaire du nord de l’Espagne et noyau d’influence anarcho-syndicaliste de la région des Asturies. Là, il se lia d’amitié avec Manuel Buenacasa, qui lui fit connaître les théories anarchistes. Après deux mois de séjour à Gijón, il dut s’exiler en France car il lui était d’une part impossible de trouver du travail et, d’autre part, il ne s’était pas présenté au service militaire, bien qu’il fût déjà âgé de vingt et un ans.

L’exil et l’action révolutionnaire

À Paris, trois hommes l’ont influencé : Sébastien Faure, Louis Lecoin et Émile Cottin. Ces hommes resteront pour toujours liés à sa vie.

Des amis restés en Espagne lui envoyaient des nouvelles. Le souffle révolutionnaire qui parcourait l’Europe l’incita à retourner en Espagne au début de 1920. À Saint- Sébastien, il retrouva Manuel Buenacasa qui était secrétaire général du syndicat du bâtiment de la CNT de cette ville. Quelques jours après son arrivée, il commença à travailler comme mécanicien, ce qui lui permit de se lier d’amitié avec d’autres militants ouvriers venant de Barcelone, Madrid et Saragosse. Les bases d’un groupe anarchiste étaient établies à Saint-Sébastien et c’est au groupe intitulé Los Justicieros (les Justiciers) que Durruti adhéra en premier. Mais la population de Saint-Sébastien était une population à laquelle « il n’arrivait jamais rien » et Durruti décida de changer de résidence. Buenacasa lui donna une lettre de recommandation pour Angel Pestaña, alors secrétaire général du Comité national de la CNT qui était à Barcelone.

Il s’arrêta à Saragosse où une atmosphère lourde de luttes ouvrières régnait. Le cardinal Soldevila avait, avec le gouverneur de Saragosse, fait venir de Barcelone un groupe de tueurs professionnels pour faire assassiner les militants confédéraux et en finir avec la CNT de Saragosse. La réaction fut violente et un groupe de militants de la CNT, parmi lesquels se trouvait Francisco Ascaso, furent emprisonnés aux Predicadores en attendant leur condamnation à de lourdes peines. Les ouvriers de Saragosse se mirent en grève générale pour demander la mise en liberté des prisonniers.

Barcelone-Madrid : le groupe Los Solidarios

L’événement coïncidait avec l’arrivée à Saragosse de Durruti et de ses amis. Les prisonniers furent relâchés, tandis que la lutte prenait de nouvelles proportions. Dans ce climat, Durruti, ami très proche d’Ascaso et de Torres Escartin, décida, au cours du mois de janvier 1922, d’aller vivre à Barcelone.

Barcelone se situait, comme Saragosse à ce moment-là, à la pointe extrême du combat. Le « pistolérisme » visait les dirigeants ouvriers, et tuait ces derniers dans les rues. Face à cette attaque appuyée par les patrons et la police, les syndicalistes ne pouvaient répondre autrement que par les mêmes méthodes.

La lutte sélectionna les meilleurs, et c’est ainsi que se créa le nouveau groupe de Durruti qui fut appelé cette fois-ci Los Solidarios (les Solidaires). Des hommes comme García Oliver, Gregorio Sobreviela, etc., adhérèrent à ce groupe qui devint bientôt l’axe de la lutte contre le gangstérisme et les patrons, grâce à la témérité de ses membres. Le 10 mars 1923, Salvador Segui, militant très connu, grand orateur et excellent organisateur, fut assassiné. Dans ce temps, l’anarchisme militant voulait se donner une organisation plus homogène et le groupe anarchiste Libre Acuerdo (Libre Accord), de Saragosse, convoqua une conférence anarchiste pour le mois d’avril à Madrid.

Durruti se rendit à Madrid avec la double mission d’assister à la conférence et d’avoir une entrevue avec les emprisonnés à la suite de l’attentat contre Eduardo Dato [1]. Sa tête étant mise à prix, il rendit visite sous un faux nom au journaliste Mauro Bajatierra qui était prisonnier parce que inculpé dans l’affaire Dato. Il assista à la conférence et fut arrêté à l’issue de celle-ci, soupçonné d’activité illégale, mais relâché quelques jours plus tard. Le commissaire qui procéda à son arrestation (sans savoir son vrai nom) reçut un blâme du ministère de l’Intérieur. À la suite de cet acte, le chef de la police de Barcelone fit observer que « l’inexpérience du commissaire madrilène avait permis au terrible individu Durruti de tromper la justice ».

Un Comité national révolutionnaire ayant pour but la coordination de l’action insurrectionnelle se constitua à Barcelone. Gregorio Sobreviela, qui appartenait au groupe Los Solidarios, fut l’un des membres de ce comité. C’était l’époque où la CNT dut faire face à d’innombrables problèmes : elle n’avait pas d’argent, ses meilleurs militants étaient en prison ou bien recherchés. Le gangstérisme faisait rage après la mort de Segui, aussi bien dans la capitale catalane que dans d’autres villes. C’est à ce moment-là que le groupe Los Solidarios envoya des émissaires dans plusieurs points de la Péninsule : Saragosse, Bilbao, Séville, Madrid. Entre les mois de mai et juin 1923, il y eut une grande agitation nationale. Le cardinal Soldevila fut exécuté à Saragosse. À la suite de cette exécution, un procès fut fait à Francisco Ascaso et Torres Escartin. Le premier put s’enfuir, mais Torres Escartin devint fou à la suite des mauvais traitements qui lui furent infligés par la police d’Oviedo.

Fernando Gonzalez Reguerel, ex-gouverneur de Bilbao, homme fort du gangstérisme patronal fut exécuté à León, une nuit de fête.

L’insurrection se préparait, les hommes étaient prêts, mais les armes manquaient. Le Comité national révolutionnaire en avait acheté quelques-unes à Bruxelles et les avait embarquées à Marseille, mais elles s’avéraient insuffisantes et c’est pourquoi, en juin 1923, Durruti et Ascaso partirent à destination de Bilbao pour en acheter une bonne quantité. Ils s’en procurèrent à une usine d’Eibar par l’intermédiaire d’un ingénieur. La cargaison était destinée au Mexique, mais une fois en haute mer, le capitaine du bateau devait recevoir l’ordre de dévier sa route vers le détroit de Gibraltar et de débarquer les armes à Barcelone, sans toutefois accoster. Le temps passait très vite. L’usine tardait à livrer la commande, et malheureusement les armes n’arrivèrent à Barcelone qu’une fois le pronunciamiento de Primo de Rivera (septembre 1923) accompli. Devant l’impossibilité de débarquer sa cargaison, le bateau dut retourner à Bilbao et rendre les armes à l’usine [2].

Gregorio Sobreviela avait été assassiné et Ricardo Sanz se trouvait au bagne avec García Oliver. Le groupe Los Solidarios était démantelé. Gregorio Jover, Segundo García, Durruti et Ascaso étaient en liberté, mais il était très dangereux pour eux de rester en Espagne ; c’est pourquoi ils prirent la décision de s’exiler.

Second exil

Leur séjour en France ne fut pas très long, juste le temps de mettre au point un plan de propagande avec les militants italiens, français et exilés russes, qui aboutit à la création de la Librairie internationale, dont la tâche principale était de divulguer des œuvres idéologiques et de combat ainsi qu’une revue en trois langues (italien, français et espagnol) [3]. Vers la fin de l’année 1924, Durruti et Ascaso partirent pour Cuba où Segundo García et Gregorio Jover les rejoignirent en janvier 1925. Les quatre hommes commencèrent une campagne d’agitation en faveur du mouvement révolutionnaire espagnol. C’était la première fois que Durruti et Ascaso prenaient la parole en public. Durruti apparut comme étant un tribun populaire. Les quatre hommes durent bientôt quitter le pays, poursuivis par la police comme de dangereux agitateurs et commencèrent à mener une vie mouvementée. Ils voyagèrent sans cesse, séjournèrent plus ou moins brièvement au Mexique, au Pérou, à Santiago du Chili, avant de s’arrêter un peu plus longtemps à Buenos Aires où, malgré tout, ils se trouvaient en danger. Ils partirent pour Montevideo (Uruguay) d’où ils purent s’embarquer à destination de Cherbourg. Mais, une fois en haute mer, le bateau fut contraint de changer de route à plusieurs reprises. On le nomma plus tard « le bateau fantôme ». En définitive, ils atteignirent les îles Canaries où ils débarquèrent pour emprunter un autre navire qui devait les emmener en Angleterre. Ils arrivèrent clandestinement à Cherbourg, au mois d’avril 1926. De là, ils se rendirent à Paris où ils logèrent dans un hôtel de la rue Legendre. C’est en sortant de cet hôtel qu’ils furent, un matin, arrêtés par la police française. La raison officielle de cette arrestation : « Trois Espagnols accusés d’avoir monté un complot contre le roi d’Espagne Alphonse XIII, qui devait visiter la capitale française le 14 juillet, ont été arrêtés le 2 juin. »

Le procès de Paris

En octobre de la même année, ils comparurent devant la chambre correctionnelle pour port d’arme illégal, rébellion et infraction à la loi sur les étrangers. Au cours de leur procès, ils déclarèrent qu’ils s’octroyaient « le droit de travailler de toutes leurs forces pour combattre le régime dictatorial qui régnait en Espagne et que, pour cela, ils se proposaient de s’emparer du roi Alphonse XIII, afin de provoquer la chute de la monarchie dans leur pays ».

L’Argentine demanda l’extradition de Durruti, Ascaso et Gregorio Jover. De son côté, l’Espagne fit de même, car elle les accusait d’être les assassins du cardinal Soldevila.

Le gouvernement français était prêt à satisfaire l’Argentine et l’Espagne. L’Union anarchiste française menait alors une campagne pour la libération de Sacco et Vanzetti qui risquaient la chaise électrique aux États-Unis. Une autre campagne dont les animateurs furent Louis Lecoin, Férandel et Sébastien Faure se déclencha pour obtenir la libération des trois anarchistes espagnols, qui furent durant leur procès défendus avec ardeur par Louis Lecoin. Ce dernier, en effet, mobilisa le monde politique et intellectuel français ainsi que la classe ouvrière. L’agitation à Paris était grande. Plusieurs journaux soutinrent la campagne et au mois de juillet 1927 les trois anarchistes espagnols furent libérés.

Lecoin décrit cette réussite dans les termes suivants : « Poincaré, président du Conseil des ministres, m’envoya un émissaire, et quel émissaire ? Malvy, son confident, son terre-neuve, son président de la commission des finances. »

À une question qu’on lui avait posée : « Qu’est-ce que vous attendez ? La chute de Poincaré ? » Lecoin rétorqua : « Absolument pas, nous voulons la liberté d’Ascaso, de Durruti et de Jover. »

Barthou [4] et Poincaré capitulèrent et le lendemain de cette capitulation, Férandel et Lecoin, accompagnés de nombreux journalistes et photographes, allèrent attendre, quai des Orfèvres, la sortie des trois camarades. Expulsés de France, interdits de séjour en Belgique, au Luxembourg, en Suisse et en Allemagne, les frontières d’Italie et d’Espagne leur restaient ouvertes, Ces pays représentaient pour eux une mort certaine. L’URSS leur offrait asile mais à de telles conditions qu’il était impossible pour un anarchiste de les accepter. Il ne leur restait qu’une solution : tromper la police et demeurer en France. Ils revinrent clandestinement aux alentours de Paris. Dans la clandestinité, Durruti lia amitié avec le révolutionnaire russe Nestor Makhno. Ils menaient une vie impossible et essayèrent en vain de passer en Allemagne ; ils durent rester en France, plus exactement à Lyon, où ils travaillèrent sous un faux nom. Découverts par la police, ils furent emprisonnés à nouveau pendant six mois. À un journaliste qui leur demanda le jour de leur libération ce qu’ils allaient faire, Durruti répondit non sans humour : « Nous recommencerons ! » [5]

Le calme avant la tempête

En automne 1928, ils réussirent enfin à passer clandestinement en Allemagne où ils prirent contact avec Rudolph Rocker et Erich Mühsam, qui essayèrent de légaliser leur situation comme réfugiés politiques. Bien qu’ayant eu recours à des personnes très influentes dans le milieu politique, ils échouèrent. Il était clair que si Durruti, Ascaso et Jover tombaient entre les mains de la police, ils seraient aussitôt renvoyés en Espagne. En conséquence, les deux premiers décidèrent d’aller en Belgique où ils pensaient pouvoir obtenir un faux passeport et embarquer pour le Mexique. Mais ils avaient des difficultés économiques qu’ils avouèrent au célèbre acteur allemand Alexander Granach, grand ami du poète Mühsam. Il mit à leur disposition tout l’argent qu’il avait à l’époque. Grâce à cette aide, ils passèrent la frontière mais n’embarquèrent pas pour le Mexique car un émissaire du Comité national de la CNT, venant d’Espagne, les informa de la chute du régime. Les deux amis prirent alors la décision de demeurer en Belgique après s’être procuré de faux papiers et avoir rendu l’argent à Rudolph Rocker, afin qu’il le restitue à Alexander. Ils restèrent donc à Bruxelles jusqu’au 13 avril 1931. Ce fut l’époque de leur vie de militants où ils connurent la plus grande tranquillité. Ils en profitèrent pour améliorer leur formation intellectuelle et révolutionnaire et pour collaborer avec le Comité pro-liberté, dans lequel se trouvaient des militants internationaux tels que Hugo Treni, Camillo Berneri et Hem Day.

1931 : retour en Espagne

À l’avènement de la République, Durruti retourna en Espagne. Cette République déçut rapidement les espoirs. Un meeting d’affirmation révolutionnaire eut lieu le 1er mai 1931, dans les salons des Beaux-Arts de Barcelone [6]. Une manifestation de cent mille personnes s’ensuivit et les manifestants défilèrent dans les rues de Barcelone jusqu’au palais de la Generalitat, auquel ils voulaient faire part de leurs revendications : « liberté pour les prisonniers et réformes sociales urgentes ». L’armée et la garde civile brisèrent cette manifestation. Il y eut des morts et des blessés, mais Durruti décida les soldats à retourner leurs armes contre la garde civile.

La popularité de Durruti était très grande dans la Péninsule et son seul nom était une garantie pour un meeting de la CNT. C’était un mauvais orateur, mais il savait subjuguer les masses et leur dévoiler, à l’aide d’exemples, l’injustice sociale.

D’avril 1931 jusqu’au 19 juillet 1936, il prit part à tous les grands conflits sociaux qui eurent lieu en Espagne. Il se fit remarquer lors des événements de Figols et fut déporté aux îles Canaries, à Puerto Cabra dans l’île de Fuerteventura où il dut rester de février à septembre 1932. Il prit également une part active dans les mouvements révolutionnaires de janvier 1933 et fut à nouveau emprisonné de janvier à août de cette même année. Au mois de décembre 1933, Durruti fit partie du Comité national révolutionnaire avec le docteur Isaac Puente et le maçon Cipriano Mera mais, de décembre 1933 à juillet 1934, il fut condamné à nouveau à la prison, à Burgos et à Saragosse, pour être mis au bagne du 5 octobre 1934 jusqu’au milieu de l’année 1935. Il fut ensuite incarcéré à nouveau au mois de septembre de cette même année pour être libéré quelques jours seulement avant les élections de février 1936.

À Saragosse, les travaux du troisième Congrès de la CNT — congrès auquel assistèrent sept cents délégués environ — commencèrent le 1er mai 1936. Durruti ainsi que García Oliver et Francisco Ascaso appartenaient à la délégation du Sindicato Unico del Fabril y Textil. Ce dernier congrès fut constructif : la révolution approchait. Le Comité national de la CNT dénonça la conspiration fasciste, mais le gouvernement élu par le Front populaire ne sut pas mettre fin au complot des militaires.

La CNT, principalement en Catalogne, vivait les événements au jour le jour, informée par les hommes qu’elle avait dans les casernes.

Durruti provoqua une gigantesque agitation, parmi les militants révolutionnaires et la classe ouvrière, de telle sorte que le président de la Generalitat sollicita une entrevue avec la CNT, entrevue au cours de laquelle on décida d’établir une commission de liaison entre la CNT et le gouvernement de la Generalitat. Durruti et Ascaso firent partie de cette commission qui insista pour armer le peuple, mais qui n’obtint du gouvernement que de bonnes paroles. Devant l’attitude des dirigeants la prise d’assaut des bateaux de marchandises ancrés dans le port de Barcelone fut décidée, dans le but de s’emparer de quelques douzaines de fusils qui s’ajoutèrent aux quelques armes que la CNT avait déjà, ainsi qu’à celles qui furent récupérées chez les armuriers. C’était la seule façon d’affronter la garnison militaire de Barcelone.

Juillet 36

Les forces factieuses sortirent dans les rues le dimanche 19 juillet, à 5 heures du matin et le lundi après-midi, à 17 heures. García Oliver annonçait à Radio Barcelone que le peuple avait vaincu le fascisme au cours d’une lutte inégale. On n’avait jamais vu disparaître le pouvoir de l’État avec autant de rapidité. En moins de soixante-douze heures, l’État n’existait plus que de nom. Le peu de forces représentatives qui lui restaient s’étaient vite fondues dans le peuple. La CNT et la FAI étaient maîtresses absolues de la situation, tant à Barcelone que dans la province [7].

Companys, président d’une Generalitat inexistante, dut reconnaître le fait et sollicita une entrevue avec la CNT et la FAI pour la transmission des pouvoirs (c’est bien le mot transmission qui doit être employé). De cette entrevue historique, il est resté un écrit de García Oliver qui explique la situation exacte et montre comment est né le nouvel organe du pouvoir appelé Comité central des milices auquel se sont incorporés les deux organisations, laissant la place pour une franche collaboration avec les autres secteurs politiques qui représentaient seulement le quart des forces en présence [8].

La colonne Durruti

Une des premières mesures prise par ce comité fut d’organiser une colonne qui devait immédiatement aller dans la région de l’Aragon. Cette colonne fut appelée Durruti-Farras, car le commandant Pérez Farras était le délégué militaire et Durruti le délégué politique. Le 23 juillet, la colonne partait pour Lérida avec moins d’hommes qu’elle ne l’avait espéré, car elle comptait en principe sur 10 000 hommes. Une fois rétablie la situation à Lérida, la colonne se dirigea vers Caspe avant de se rendre à Bujalaroz, lieu stratégique, distant d’à peu près 30 kilomètres de Saragosse, où elle s’installa, avec des avant-postes à Pina, Gelsa et dans la Sierra de Alcubierre.

Elle prit plusieurs villages tels que Siétamo, Farlete, Monte Aragon... et l’on peut dire qu’elle fit reculer l’ennemi du fleuve Cinca jusqu’à l’Ebre.

Dans tout le territoire aragonais libéré, des collectivités agricoles furent constituées sous l’impulsion propre des paysans ; elles se fédérèrent plus tard en un conseil appelé Conseil d’Aragon. Sans être directement à l’origine de ces collectivités, Durruti les aida autant qu’il le put dans leur développement, car il était en quelque sorte l’axe de la lutte ainsi que celui du nouveau monde qui naissait.

La « cahute » de Bujalaroz où Durruti installa son QG devint un foyer d’attraction pour les journalistes et les personnalités ; des journalistes tels que Van Passen, Koltrov, etc., des militants ouvriers, des intellectuels et hommes politiques tels que Sébastien Faure, Emma Goldman y vinrent en visite.

Le groupe international de la colonne Durruti comptait dans ses rangs des personnalités telles que : Émile Cottin, mort au combat ; Fausto Falaschi, qui décéda à Huesca ; Simone Weil ; Louis Mercier ; Karman ; Carl Einstein [9], etc.

Au fur et à mesure que la guerre se déroulait, le front d’Aragon fut, du fait de son esprit libertaire, boycotté toujours davantage par le gouvernement central. Durruti s’entretint avec le Comité des milices qui, après avoir été mis au courant de la situation dans laquelle il se trouvait, lui conseilla d’aller à Madrid solliciter des armes ou des devises. Quelques personnes acquises au triomphe de la révolution lui donnèrent le moyen d’acquérir des armes et des avions sur le marché international. Vers la mi-septembre, Durruti se rendit à Madrid pour avoir une entrevue avec le socialiste Largo Caballero qui était à la fois président du Conseil des ministres et ministre de la Guerre, et qui lui assura un crédit de 1 800 millions de pesetas pour acheter des armes et mettre en marche l’industrie de guerre catalane. Mais le gouvernement central ne tint pas parole et le front d’Aragon dut lutter contre l’ennemi avec des moyens de fortune, sans pouvoir prendre Saragosse, chose fort importante pour les camarades en lutte.

La défense de Madrid

Lors de l’offensive sur Madrid — octobre-novembre 1936 — la peur s’empara des hautes sphères gouvernementales et du haut commandement ; on croyait à la chute de la capitale. Le gouvernement appela Durruti en pensant que son prestige remonterait le moral des combattants. Sa colonne fut donc appelée pour défendre Madrid. C’est ainsi qu’à la joie des habitants de la capitale Durruti arriva le 14 novembre à la tête de ses hommes et, sans même lui laisser le temps de se reposer, on lui assigna le secteur le plus dangereux, celui de la Casa de Campo. Du 14 novembre [10] jusqu’au 19, jour de sa mort, il n’eut pas un moment de répit. Sa colonne intervint avec l’aide de la colonne Rosal et de la IIe Brigade internationale, récemment affectée à la défense de Madrid, dans l’attaque de l’hôpital Clinico, de la faculté de philosophie et de lettres et de la Maison de Vélasquez.

Vers deux heures de l’après-midi, Durruti reçut une balle au poumon alors qu’il se trouvait en face de l’hôpital Clinico. C’était le 19 novembre. Il devait être transporté d’urgence à l’hôpital de Las Milicias Catalanas installé à l’hôtel Ritz. Il subit plusieurs interventions chirurgicales avant de mourir le 20 novembre à l’aube.

Son enterrement, qui eut lieu à Barcelone le 23 novembre, fut l’occasion de la plus grande manifestation populaire. Plus d’un demi-million de personnes y étaient présentes.

Abel Paz

Traduit de l’espagnol, cet article a été publié dans le premier numéro de la revue Itinéraire « Durruti : de la révolte à la revolution », en juin 1987.


Notes

[1] Président du Conseil des ministres. L’attentat eut lieu en 1921.

[2] Une fois la République proclamée, le 14 avril 1931. Francisco Ascaso se présenta à l’usine d’armement d’Eibar pour se faire livrer les 1 000 Winchester dont il était le propriétaire. Le directeur de l’entreprise demanda l’autorisation au ministre de l’Intérieur, Miguel Maura, qui, comme on pouvait s’y attendre, refusa. Cependant, le président de la Généralité de Catalogne (gouvernement autonome). Francisco Macia, réclama ces armes et finit par les obtenir. Avec ces Winchester, le gouvernement autonome catalan arma les groupes de L’Estat Català lors du mouvement révolutionnaire du 6 octobre 1934 ; lorsque ledit mouvement révolutionnaire catalaniste échoua, les catalanistes se défirent de leurs armes en les jetant dans les galeries des égouts de Barcelone. Ce fut là que les militants de la CNT-FAI les récupérèrent, les mettant à l’abri pour ne s’en servir, en fait, que le 19 juillet 1936, face aux militaires soulevés. Aurelio Fernandez, un des membres du groupe Los Solidarios, nous transmit cette information et conclut en disant : « Les Winchester servirent finalement à ce pourquoi elles avaient été achetées. »

[3] Ce fut à ce moment qu’Ascaso et Durruti donnèrent à Sébastien Faure une importante quantité d’argent qui lui permit de commencer sa grande œuvre, L’Encyclopédie anarchiste.

[4] Ministre de la justice du gouvernement Poincaré.

[5] Pour ce procès, le livre de Louis Lecoin De prison en prison peut être consulté ainsi que la presse de l’époque et particulièrement Le Libertaire.

[6] Le meeting fut organisé par la fédération locale des syndicats de la CNT de Barcelone en collaboration avec la commission de lutte économico-sociale, organisme qui anima la célèbre grève des loyers et des charges (eau et électricité) que les consommateurs et locataires soutinrent durant plusieurs mois à Barcelone (1932).

[7] Dans Le Libertaire du 18 août 1938, García Oliver écrivit un article intéressant dans lequel il nous fournit de précieuses informations sur la stratégie révolutionnaire qui fut employée pour vaincre les militaires : « Ce que fut le 19 juillet ».

[8] L’article de García Oliver (note précédente) décrit l’entrevue avec Companys.

[9] Selon certaines informations — non vérifiées — ce fut à Bruxelles que Durruti rencontra Carl Einstein, auteur du roman Bebuquin oder die Dilettanten des Wunders en 1912 (Bébuquin ou les dilettantes du miracle, Les Presses du réel, 2000) et collaborateur de la revue Der blutige Ernst, fondée par George Grosz en 1919 à Berlin. Einstein fut l’animateur de la section allemande du Groupe international de la colonne Durruti, lequel intervint de juillet à décembre 1936. Carl Einstein se suicida en 1940, en France, lors de l’invasion de ce pays par les armées nazies (juin 1940).

[10] La date de l’entrée au combat à Madrid est rectifiée. Ce n’est pas le 12 mai mais le 14 novembre. Cette rectification est fondamentale, car elle démontre toute la propagande fallacieuse que le PC lança contre la colonne Durruti. Celui-ci accusa la colonne de tenir une zone du front de Madrid par laquelle pénétrèrent les troupes fascistes, alors qu’en réalité ce fut par la position défendue par la colonne Lopez Tienda de tendance stalinienne (PSUC). Pour plus de détails, je renvoie le lecteur à mon livre Durruti, el proletariado en armas, éditions Bruguera, 1978 (Buenaventura Durruti 1896-1936. Un combattant libertaire dans la révolution espagnole, Éditions de Paris, 2000).

http://lavoiedujaguar.net/Buenaventura- ... la-revolte
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 05 Aoû 2016, 19:34

Podcast CNT : débat sur antimilitarisme et Eugène Cotte

Eugène Cotte, jeune soldat blessé lors de la première Guerre mondial écrit ses mémoires sur son lit d’hôpital, et le panorama est saisissant : l’enfance bigote sur une terre ingrate ; l’adolescence ballotée de ferme en ferme ; l’éveil de la conscience, la rencontre avec des militants anarchistes paysans ; l’insoumission et le chemin de l’exil ; la condition ouvrière puis l’arrestation, la prison, la vie militaire et enfin, la guerre.

Les propos de Cotte sont d’une étonnante modernité : ses propos sur les femmes, sur l’éducation, les innombrables questions qu’il se pose sur l’individu et la société, le déterminisme. T out résonne en nous : c’est bien à une conversation avec nous-mêmes et avec notre temps, que nous invite Eugène Cotte dans ses mémoires écrits il y a tout juste cent ans.

Débat avec Guillaume Davranche présentant Mémoires d’un insoumis, Je n’irai pas !

Emission à écouter : http://www.cnt-f.org/podcast-cnt-debat- ... cotte.html
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 07 Aoû 2016, 08:21

Antonio Martín Bellido 1938 Madrid – 2014 Paris

Antonio a commencé à militer dans les Jeunesses libertaires à Paris et en 1962 il a été nommé secrétaire de la Fédération locale de Paris. Partisan de l’action directe contre le franquisme et militant de l’organisation clandestine “Defensa Interior”, il a participé à une série d’attaques en France et en Italie. Pour les Jeunesses libertaires, il s’agissait de faire prendre conscience sur le plan international de la nature du régime espagnol. La cible était le tourisme en Espagne de millions de Français, Allemands, Belges, etc., qui représentait une manne financière à la dictature.

... doc pdf : http://www.fondation-besnard.org/IMG/pd ... risv-2.pdf

http://www.fondation-besnard.org/spip.php?article2737
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 18 Sep 2016, 16:43

Ricardo Flores Magon

« Que chacun d’entre vous soit son propre chef pour que nul n’ait besoin de vous pousser à continuer la lutte. Ne nommez pas de dirigeants, prenez simplement possession de la terre et de tout ce qui existe, produisez sans maîtres ni autorité.
La paix arrivera ainsi en étant le résultat naturel du bien-être et de la liberté de tous. Si, à l’inverse, troublés par la maudite éducation bourgeoise qui nous fait croire qu’il est impossible de vivre sans chef, vous permettez qu’un nouveau gouvernant vienne une fois encore se poser au-dessus de vos fortes épaules, la guerre continuera parce que les mêmes maux continueront à exister et à vous faire prendre les armes : la misère et la tyrannie. »

Image

https://rebellyon.info/Ricardo-Flores-Magon
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede Lila » 18 Sep 2016, 19:56

Les femmes dans le mouvement anarchiste italien. Mémoires d’oubliées

Si vous avez manqué le colloque de Carrare sur Les femmes dans le mouvement anarchiste italien, qui s’est tenu le 27 février 2016, voici le compte rendu de Dina Tollari, qui avait fait le déplacement. Merci à Dina de nous faire partager ce moment.

à lire : http://atelierdecreationlibertaire.com/ ... 9oubliees/
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 16 Oct 2016, 13:58

Mohamed Saïl, ni maître ni valet

On célèbre aujourd’hui, au nord de l’Algérie, dans le village de Taourirt, la mémoire de Mohamed Saïl : « Il est de notre devoir de mettre toute la lumière sur le parcours de ce grand monsieur que bon nombre de personnes ignorent », explique l’association à l’origine de l’évènement. L’occasion pour nous de contribuer, de l’autre côté de la Méditerranée, à cette journée-hommage par ce portait publié dans notre n° 2. Saïl, kabyle, déserteur durant la Première Guerre mondiale et volontaire en Espagne, lutta contre le colonialisme et pour l’anarcho-communisme : « Tous ensemble, nous édifierons un règne sans classes, […] où il n’existera ni maîtres ni valets, mais seulement des hommes égaux. »

... https://www.revue-ballast.fr/mohamed-sail-maitre-valet/
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 18 Oct 2016, 00:05

Algérie : Un hommage à l’anarchiste Saïl Mohamed

Personnage relativement connu du mouvement anarchiste des années 1930-1950, il se faisait appeler Saïl Mohamed. Sous son vrai nom de Saïl Mohand Ameziane, on vient de lui rendre un hommage public en Kabylie.

Quelques dizaines d’habitantes et d’habitants de Tibane (Algérie), militants politiques, syndicalistes et associatifs, ont participé, vendredi 14 octobre 2016, à une journée commémorative initiée par les jeunes de l’association Taddartiw du village Taourirt, pour rendre hommage à Mohand Ameziane Sail (Saïl Mohamed) 63 ans après sa disparition.

Après avoir écouté les conférences des historiens, une visite a été rendue à la maison natale de Saïl Mohamed, où une plaque commémorative a été apposée. Sa nièce avait fait le déplacement d’Alger.

Le journal Liberté a fait un récit de la journée (ci-dessous), ainsi que le site web Béjaia News, qui s’enflamme un peu en estimant que Saïl avait été « enterré par l’histoire officielle algérienne ».

En réalité, Saïl Mohamed n’était, jusqu’à ces dernières années, connu que des historiens de l’anarchisme.

Car anarchiste — et même communiste libertaire, pour être exact —, il l’était jusqu’aux bouts des ongles. C’était même un « intransigeant » du mouvement, si l’on analyse son parcours et ses écrits [1] : militant de l’UA, plateformiste, syndiqué à la CGT-SR anarcho-syndicaliste (choix minoritaire parmi ses camarades), combattant volontaire en Espagne, militant FA après 1945, dans la tendance Fontenis en 1952-1953...

... http://www.alternativelibertaire.org/?A ... anarchiste
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 22 Oct 2016, 16:36

Gustav Landauer : Anarchisme – Socialisme

Brève biographie

Gustav Landauer (7 avril 1870 – 2 mai 1919), était un anarchiste allemand, issu d’une d’une famille juive de classe moyenne. Il fut le principal théoricien du socialisme libertaire en Allemagne. Il a été impliqué dans la création de la république des Conseils de Bavière en tant que commissaire à l’instruction publique et à la culture. Landauer est aussi connu pour être le premier traducteur en allemand moderne du mystique médiéval Maître Eckhart, ainsi que pour l’étude et la traduction d’œuvres de William Shakespeare.

Exclu du Parti social-démocrate en 1891, il adhère au groupe des Jungen et en 1893, Il devient rédacteur de Der Sozialist, le journal du groupe qui se divise en une aile libertaire et une aile moins radicale qui retournera par la suite à la social-démocratie. Landauer prend le contrôle du journal et lui donne un ton résolument anarchiste.

En 1893, Landauer participe au Congrès socialiste international de Zurich d’où seront exclus, avec les anarchistes, les socialistes qui ne reconnaissent pas la nécessité de la « conquête du pouvoir politique ».

En 1896, il est délégué de l’Union des socialistes indépendants au Congrès international de Londres, dont il sera sera expulsé en compagnie des anarchistes, hostiles à l’action politique et au parlementarisme.

Emprisonné à trois reprises entre 1893 et 1896, il se consacre à un travail de recherche, notamment sur les écrits du mystique rhénan, Maître Eckhart. Martin Buber le familiarise avec la mystique juive.

En 1902, il se rend en Angleterre où il côtoie Kropotkine.

En 1907, il écrit son ouvrage majeure La révolution

En 1908 il créé la Ligue socialiste (Sozialistische Bund), une fédération décentralisée de groupes anarchistes, qui tentera sans succès d’empêcher le déclenchement de la Première Guerre mondiale par le projet d’une grève générale.

En 1915, le Sozialist est interdit par la censure militaire et Landauer est mis sous surveillance policière.

Lors de la révolution de novembre 1918, Gustav Landauer vient à Munich à la demande du nouveau ministre-président Kurt Eisner, avec qui ses vues sur l’importance des conseils ouvriers et son hostilité au parlementarisme entraineront très vite un désaccord. Après l’assassinat de Eisner, Landauer participe alors à la proclamation de la République des conseils de Bavière, en avril 1919, En mai 1919, lorsque l’armée reprend Munich, Landauer est arrêté et sauvagement assassiné.

... http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... lisme.html
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 23 Oct 2016, 18:02

Rencontre autour d’Ernest Coeurderoy

Une rencontre-conférence autour de la vie et de l’œuvre d’Ernest Coeurderoy a eu lieu le samedi 17 septembre 2016 à l’Hôtel culturel de Tonnerre (Yonne). Elle était organisée par la Médiathèque Coeurderoy de la ville.

Ernest Coeurderoy, Jours d’exil
Editions Héros-Limite, Genève, 2015, 928 pages, 40 euros.
Postfaces :
- "Lire Coeurderoy à 20 ans" / Marianne Enckell
- "E.C., itinéraire d’un quarante-huitard libertaire" / Marc Vuilleumier
le livre : http://www.heros-limite.com/livres/jours-dexil

Deux membres du CIRA-Lausanne, Marianne Enckell, auteure d’une des postfaces, et Alain Thévenet, qui font partie aussi du collectif de Réfractions, animaient cette rencontre.

Voici ce qu’en dit un journal régional :

Ernest Cœurderoy à l’honneur

Le week-end dernier, Ernest Cœurderoy était au cœur des journées du patrimoine écrit organisées par la médiathèque. Marianne Enckell et Alain Thévenet, membres du Centre international de recherche sur l’anarchisme, ont ouvert le bal à travers une conférence à l’hôtel Cœurderoy. Cette conférence a été un grand voyage dans la vie et de l’œuvre du militant anarchiste tonnerrois. Le lendemain, Nathalie Guéraud, comédienne, a pris le relais et a lu plusieurs textes d’Ernest Cœurderoy et notamment de Jours d’exil, un récit autobiographie mais aussi un pamphlet politique.

L’Yonne, 24/09/16

l’article : http://www.lyonne.fr/yonne/actualite/pa ... 85406.html

http://refractions.plusloin.org/spip.php?article1053
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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 17 Nov 2016, 15:28

Fernand Pelloutier

Né le 1er octobre 1867 à Paris - mort le 13 mars 1901 - journaliste - Paris

Journaliste batailleur, minutieux organisateur et stratège remarquable, Fernand Pelloutier fut une brillante intelligence qui eut à composer avec un corps malade, engagé dans une course contre la montre avec la mort. Secrétaire de la Fédération nationale des bourses du travail, il dédia les meilleures années d’une vie trop courte à la cause ouvrière, et joua un rôle déterminant dans le tournant grève-généraliste du mouvement syndical, puis dans le tournant syndicaliste du mouvement anarchiste. Dès les lendemains de sa disparition, il était considéré comme un des « pères fondateurs » du syndicalisme français.

Fuyant les persécutions religieuses — elle avait appartenu à l’Eglise vaudoise avant d’adhérer au protestantisme — la famille Pelloutier quitta le Piémont pour la France au XVIIe siècle (région lyonnaise), puis, chassée par la révocation de l’Edit de Nantes, s’installa en Allemagne. Elle ne revint en France qu’après la mort de Louis XIV. Après avoir lutté pour leur foi religieuse, les Pelloutier luttèrent pour leur foi politique. Un Pelloutier fut légitimiste ardent sous la monarchie de Juillet et organisa quelques complots, tandis qu’un autre — le grand-père de Fernand — fut fervent républicain à la même époque. « Fernand Pelloutier devait hériter du tempérament combatif de ses ascendants, écrivit son frère Maurice, et se dépenser — jusqu’à la mort — pour sa foi socialiste et révolutionnaire, comme ils s’étaient dépensés eux-mêmes sans compter pour leur foi politique ou religieuse. »

À l’âge de 12 ans, Fernand Pelloutier suivit son père, fonctionnaire des postes, muté à Saint-Nazaire. Interne d’une pension religieuse, il tenta deux fois de s’échapper ; il en fut finalement chassé pour avoir écrit un roman anticlérical. Il entra alors au collège de Saint-Nazaire où il se révéla un élève brillant, mais indiscipliné.

Journaliste républicain

En 1883, à l’âge de 16 ans, Fernand Pelloutier fit ses premiers pas dans le journalisme. Il lança L’Écho du collège, petite feuille polycopiée, prélude à d’autres petites revues qu’il devait fonder plus tard : L’Épingle, Ruy Blas, La Plage... C’est surtout à cette époque qu’il donna ses premiers articles anticléricaux à La Démocratie de l’Ouest, sous le pseudonyme de Brutus, avant d’opter pour la signature Émile Derval. Le journal avait été fondé par le typographe Eugène Couroné. Il assura même la rédaction en chef du journal pendant deux mois, en juillet-août 1885, après avoir échoué au baccalauréat. D’autres lui succédèrent ensuite, dont l’avocat Aristide Briand, avec lequel Fernand Pelloutier se lia particulièrement. Sous la signature de Ferdinand Berthiez, il écrivit des articles à mi-chemin de la littérature et de la politique, férocement anticléricaux et vaguement socialisants.

En 1889, antiboulangiste, il se jeta dans la bataille électorale avec son père et son frère Maurice, en soutenant la candidature radicale d’Aristide Briand aux législatives. Il dirigea notamment deux journaux dédiés à cette campagne : Le Petit Nazairien, puis L’Ouest républicain. Dès cette époque, on trouve sous sa plume les premières notes d’un socialisme proudhonien : « L’association doit être en toute circonstance l’objectif de l’ouvrier », écrivait-il le 14 mai dans Le Petit Nazairien. Briand ne fut pas élu, et à la fin de la campagne, la santé de Fernand Pelloutier se dégrada brutalement.
La maladie qui le frappa alors allait bouleverser sa vie. Il s’agissait d’un lupus facial, d’origine tuberculeuse, qui devait progressivement le défigurer. L’affection cutanée, ressemblant au départ à de l’eczéma, s’attaquait particulièrement aux ailes du nez, avant de s’étendre et de prendre la forme d’un masque de loup. Les années 1890-1891, qui furent celles d’un repos forcé, sont essentielles dans la formation de la pensée de Fernand Pelloutier, qui dévora des livres, lisant attentivement Proudhon, et peut-être également Marx. Il était désormais converti au socialisme, d’une nuance plutôt ouvrière et antiparlementaire.

Propagandiste de la grève générale

Fin 1891, après six mois de convalescence dans le Guérandais, Fernand Pelloutier rentra à Saint-Nazaire et reprit sa collaboration à La Démocratie de l’ouest dont il se retrouva, dès mars 1892, rédacteur en chef. Il n’allait pas tarder à faire prendre un virage nettement socialiste au journal.

C’est en effet à cette période qu’il retrouva Aristide Briand. De leurs discussions politiques, naquit l’idée de faire la promotion de la grève générale comme moyen de transformation sociale. Durant le second semestre 1892, ils rédigèrent ensemble un mémoire, De la révolution par la grève générale, avec l’ambition de le soumettre à l’examen de tous les congrès ouvriers possibles. Leur conception de la grève générale était alors celle d’une insurrection des bras croisés, qui devait aboutir pacifiquement et légalement à l’appropriation sociale des moyens de production. Dans l’esprit des rédacteurs, ce thème pouvait fédérer l’ensemble des écoles socialistes.
Dans cet esprit œcuménique, et bien que peu enthousiaste pour l’idéologie du Parti ouvrier français (POF), Fernand Pelloutier adhéra au groupe socialiste de Saint-Nazaire, L’Émancipation, à majorité guesdiste. Au bout de quelques semaines, il en était le secrétaire. Ceci, ajouté à son rôle de rédacteur en chef de La Démocratie de l’ouest, faisait de lui une personnalité locale, et il contribua à la fondation de la bourse du travail de la ville, le 24 avril 1892.

La campagne de Pelloutier et Briand en faveur de la grève générale débuta en juin 1892, et La Démocratie de l’ouest en fut un des vecteurs. En juillet, Pelloutier défendit l’idée devant le groupe L’Émancipation (section locale du POF) , et le convainquit de déléguer Briand en octobre aux deux congrès de Marseille : celui du POF et celui de la Fédération nationale des syndicats (FNS), qui lui était liée. De son côté, Fernand Pelloutier obtint le mandat de la bourse du travail de Saint-Nazaire et du groupe L’Émancipation pour se rendre au congrès ouvrier de l’Ouest, organisé par les broussistes, à Tours, du 3 au 5 septembre 1892. Durant ces assises, Pelloutier fit voter l’idée de grève générale à l’unanimité et, le mois suivant, Briand la fit triompher au congrès de la FNS.

Dès lors, la grève générale devint un débat central au sein du mouvement ouvrier. Les guesdistes, qui n’avaient pas vu le danger qu’elle représentait pour leurs conceptions, se ressaisirent et la combattirent. En octobre 1892, une controverse opposa alors Jules Guesde à Fernand Pelloutier dans les colonnes de La Démocratie de l’ouest.
Fernand Pelloutier rompit alors avec le POF. Il restait cependant hostile à l’anarchisme, dont il craignait que la récente vague d’attentats à Paris (voir Ravachol) ne détourne le prolétariat de la révolution. Son journal multiplia alors les attaques contre l’anarchisme, Joseph Tortelier, Sébastien Faure et Émile Pouget. Le 20 novembre encore, il y dénonçait « la secte ravacholienne » et sa « dynamite » qui menaçait d’être « à l’égard de l’époque actuelle ce que les massacres de septembre ont été à notre grande révolution ».

Anarchiste et militant de la Fédération des bourses

Au début de 1893, à cause des activités politiques de son fils, le père de Fernand Pelloutier fut muté en région parisienne. Après quelques mois à Meaux, il atterrit à Paris, comme commis principal au télégraphe de la rue Eugène-Sue. La famille s’installa au 5, rue de l’Entrepôt (actuelle rue Yves-Toudic), dans le 10e arrondissement. Bien qu’il continuât à recevoir son courrier à cette adresse, Fernand Pelloutier s’installa avec son frère Maurice dans un appartement du 32, rue Levert, à Paris 20e. Maurice était désormais marié à Berthe Ridel, et sa sœur, Maria Ridel, devait être la compagne de Fernand Pelloutier jusqu’à la fin de ses jours.

Contrairement à son frère, qui fut embauché à la préfecture, Fernand Pelloutier ne put trouver d’emploi, et il semble que son lupus facial n’y ait pas été étranger. Il s’était étendu et l’obligeait à aller se faire soigner trois fois par semaine à l’Hôpital Saint-Louis. « Ne négligeons pas ce handicap, a écrit son biographe Jacques Julliard : le malaise, voire la répulsion qu’inspirait son état physique paraissent, si l’on en croit un rapport de police, l’avoir empêché de trouver place dans la société. Il ne faut pas perdre de vue que cet exilé volontaire commença par être un exclu, que ce franc-tireur fut aussi un mal-aimé. » Pelloutier en fut donc réduit à perpétuellement vivre d’expédients — piges, traductions — et de la solidarité familiale. Cette situation d’intellectuel précaire, de « déclassé » comme le souligna Georges Sorel, qui le connut bien, lui donnait en revanche le profil idéal pour occuper des postes de secrétaire sous-payé dans les organisations ouvrières.

À son arrivée à Paris, Fernand Pelloutier fut introduit dans les milieux libertaires par un de ses correspondants, Augustin Hamon, qui le présenta à Émile Pouget et à Bernard Lazare. Il adhéra alors pleinement à l’anarchisme.

Durant les années 1893-1896, sa plume lui assura quelques minces revenus. Il tint la rubrique « La semaine politique et sociale » dans L’Avenir social, hebdomadaire socialiste de Dijon, de juin 1893 à février 1894. Entre 1893 et 1896, il écrivit également dans L’Art social de Gabriel de la Salle ; dans La Revue socialiste ; dans La Société nouvelle d’Augustin Hamon ; dans La Cocarde de Maurice Barrès ; dans La Question sociale d’Argyriadès ; dans la revue politico-littéraire L’Enclos, animée par Louis Lumet et Charles-Louis Philippe.

Pelloutier se rendit au congrès socialiste international de Zurich, tenu du 6 au 12 août 1893, qui vit l’expulsion des anarchistes et des socialistes antiparlementaires. Il assista du coup très certainement au congrès que les exclus tinrent au Plattengarten, et qui initia un rapprochement de l’anarchisme et du socialisme antiparlementaire à l’échelon européen.

C’est après Zurich que Pelloutier commença à militer pour la Fédération nationale des bourses du travail (FNBT). Adhérent à la Chambre syndicale des employés de la Seine, il obtint de la bourse de Saint-Nazaire mandat de la représenter au comité fédéral de la FNBT. En mai 1894, il avait acquis assez de reconnaissance pour en présider une séance. Quelques semaines plus tard, à l’issue du IIIe congrès de la FNBT, tenu à Lyon du 25 au 27 juin, il en fut élu secrétaire adjoint, l’allemaniste Rieul-Cordier en étant secrétaire.

Du 17 au 22 septembre 1894 se tint, à Nantes, un congrès joint de la FNBT et de la FNS, qui devait sonner comme une revanche sur Zurich. Fernand Pelloutier et Aristide Briand dominèrent les débats et firent approuver l’objectif de grève générale. Vaincus, les guesdistes quittèrent la salle. Le congrès de Nantes devait entrer dans l’Histoire comme l’acte d’émancipation du mouvement syndical à l’égard des partis politiques.
Après Nantes, les chemins d’Aristide Briand et de Fernand Pelloutier se séparèrent. Ce dernier n’adhérait plus à la conception pacifiste et juridico-politique que Briand se faisait de la grève générale, et pensait désormais que celle-ci ne pouvait être qu’insurrectionnelle. Il exposa sa pensée dans la brochure Qu’est-ce que la grève générale ? qu’il cosigna en 1895 avec le trésorier de la FNBT, Henri Girard.

Fernand Pelloutier apparaissait de plus en plus comme la tête pensante de la FNBT. Lors de son IVe congrès, tenu à Nîmes du 9 au 12 juin 1895, c’est lui qui présenta le rapport moral. Il fut ensuite élu secrétaire de l’organisation, et devait être reconduit dans cette fonction à l’unanimité chaque année, jusqu’à sa mort. Son dévouement le rendait indispensable, et son étiquette anarchiste lui permettait de maintenir l’équilibre entre les diverses fractions socialistes qui agissaient au sein de la FNBT. « Placé en dehors de nos haines politiques, il est le plus apte à tenir la balance égale entre tous les délégués », disait de lui, le 21 octobre 1897, un membre du comité fédéral qui n’était pas de ses amis politiques.

« A partir de cette nomination à ce poste important - écrira Victor Dave dans la notice biographique qu’il consacra à Pelloutier - , il entra dans la phase particulièrement active de sa vie. Il semble que, se rendant compte qu’il ne saurait plus avoir de longues années à vivre, il veuille faire tenir dans un court espace de temps le maximum de travail qu’un homme est à même de fournir. Il fait tous les travaux du comité fédéral, prépare les congrès, organise les grands services de la fédération, remplit les fonctions de secrétaire du comité d’action de la Verrerie ouvrière, écrit une Méthode pour la création et le fonctionnement des bourses du travail, en un mot, se prodigue sans compter, de mille manières. »

Moins d’un mois après le congrès de Nîmes, le 4 juillet 1895, Fernand Pelloutier intégra la Chevalerie du travail française. Intégré au « chantier » de Paris 4e, il devint ensuite chef du chantier n° 1. Les membres de cette société secrète, d’orientation révolutionnaire, antiparlementaire et grève-généraliste, devaient former l’armature de la FNBT.

Selon Pelloutier, les congrès de Zurich et de Nantes avaient entraîné une recomposition générale du mouvement ouvrier : « Il n’y a donc plus aujourd’hui que deux partis très distincts, écrivit-il dans Les Temps nouveaux du 6 juillet 1895 : le parti parlementaire, plus gros de chefs que de soldats [...] ; le parti révolutionnaire, convaincu que la question sociale étant tout économique, l’affranchissement viendra par la résistance à l’oppression économique, sous la forme d’une grève gigantesque nécessairement violente. » Dans le camp parlementaire, il plaçait les guesdistes, les blanquistes et les indépendants à la Jaurès ou Millerand ; dans le camp antiparlementaire devaient se coaliser allemanistes, syndicalistes et anarchistes « dont l’ambition est aujourd’hui (et, soit dit en passant, aurait dû toujours être) de poursuivre l’œuvre de Bakounine et de se consacrer à l’éducation des syndicats ».
Il entama alors une campagne en ce sens auprès de ses camarades. Dans Les Temps nouveaux du 2 novembre, il écrivit : « Personne ne croit ou n’espère que la prochaine révolution, si formidable qu’elle doive être, réalise le communisme anarchique pur. Mais l’état transitoire à subir doit-il être nécessairement, fatalement, la geôle collectiviste ? Ne peut-il consister en une organisation libertaire limitée exclusivement aux besoins de la production et de la consommation, toutes institutions politiques ayant disparu ? [...] Laboratoire des luttes économiques, détaché des compétitions électorales, favorable à la grève générale avec toutes ses conséquences, s’administrant anarchiquement, le syndicat est [...] l’organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra seule contrebalancer et arriver à détruire la néfaste influence des politiciens collectivistes. Supposons maintenant que, le jour où éclatera la révolution, la presque totalité des producteurs soit groupée dans les syndicats ; n’y aurait-il pas là, prête à succéder à l’organisation actuelle, une organisation quasi libertaire, supprimant de fait tout pouvoir politique, et dont chaque partie, maîtresse des instruments de production, réglerait toutes ses affaires elle-même, souverainement et par le libre consentement de ses membres ? Et ne serait-ce pas l’association libre des producteurs libres ? »

Cette conception était empruntée à Bakounine, comme il devait lui-même l’écrire à cette époque dans une notice autobiographique. Désormais militant d’envergure nationale, Pelloutier eut largement accès aux colonnes de la presse anarchiste et socialiste, aussi bien française que belge, pour défendre ses thèses. Dans les années 1896-1899, on trouva ainsi sa signature dans La Sociale d’Émile Pouget, L’Étoile socialiste (Bruxelles), La Bataille (Namur), Le Plébéien (Liège), Régénération de Paul Robin, L’Humanité nouvelle d’Augustin Hamon et Le Mouvement socialiste d’Hubert Lagardelle. En revanche, on ne relève pas sa signature dans Le Libertaire, et il semble qu’il ne se soit guère entendu avec Sébastien Faure (lettre du 22 juillet 1899 à Léon de Seilhac).

La fondation de la CGT, au congrès tenu à Limoges du 23 au 28 septembre 1895, n’enthousiasma pas Pelloutier, qui y voyait une entité brouillonne et superfétatoire. Pendant quelques années, il devait mener contre elle et contre sa direction réformiste une guérilla pour le leadership dans le mouvement syndical. Il est d’ailleurs significatif que la fusion de la FNBT au sein de la CGT n’ait pu s’opérer qu’en 1902, après sa mort.

L’année 1896correspond à une intense activité de Fernand Pelloutier, en pleine communion d’idées avec Émile Pouget et Bernard Lazare pour rapprocher anarchistes et socialistes antiparlementaires à l’échelon européen, afin de combattre l’influence croissante de la social-démocratie. Au printemps 1896, tous trois essayèrent de lancer un quotidien, La Clameur, auquel ils souhaitaient associer Jean Allemane. Le projet avorta, le congrès de Tours de la CGT (septembre) ayant refusé de lui apporter son soutien. Toutefois en octobre 1896 Pelloutier et Pouget tentaient toujours de récolter des fonds pour faire aboutir leur projet (cf. Le Père Peinard, 25 octobre 1896)

En parallèle, Fernand Pelloutier était actif en tant que secrétaire adjoint du Comité d’études pour l’édification de la Verrerie ouvrière d’Albi, poste auquel il avait été désigné le 10 décembre 1895. Suite à une grève emblématique des verriers de Carmaux, un projet de coopérative socialiste, implantée à Albi, avait en effet vu le jour. Des souscriptions avaient afflué de toute la France pour réunir le capital de départ, et un comité d’études s’était mis en place pour élaborer le projet. Pelloutier fut minoritaire au sein de ce comité, dominé par les diverses fractions socialistes. Il y combattit le mode d’organisation hiérarchique de la Verrerie ouvrière, qui reproduisait trop à son goût le modèle capitaliste, et contesta la tutelle exercée par la fédération socialiste du Tarn (Jean Jaurès) sur la Verrerie et le syndicat des verriers. Il s’indigna, avec la FNBT, de la primauté donnée aux parlementaires sur les syndicalistes lors de l’inauguration, le 25 octobre 1896. Au sein du Comité d’études, la situation s’envenima au point que Pelloutier devait en être exclu début février 1897.

En juillet 1896, Pelloutier fut, avec Hamon, Lazare, Pouget et Malatesta, le maître d’œuvre de l’opération antiparlementaire au congrès socialiste international de Londres. Il y fut délégué par la FNBT et participa aux conférences du Saint Martin’s Hall, qui rassemblèrent les représentants européens de l’anarchisme et du socialisme antiparlementaire. Le congrès de Londres fut un succès pour Pelloutier. Les guesdistes et les parlementaires socialistes furent mis en minorité dans la délégation française, dominée par une coalition d’allemanistes, d’anarchistes et de syndicalistes réformistes. Pour se débarrasser d’eux, la social-démocratie fut contrainte de couper les ponts avec le mouvement syndical français. Léon de Seilhac devait plus tard écrire à son frère Maurice qu’il voyait dans le congrès de Londres le « point culminant de la carrière de Pelloutier », un « coup d’habileté et de force qui libéra à jamais les ouvriers des politiciens », un « guet-apens » où « les guesdistes se virent surpris et écrasés par les cohortes romaines, sous le commandement de Pelloutier, Pouget, etc. Ce fut un coup de génie... »

Malgré cette activité politique débordante, Fernand Pelloutier ne se désintéressait pas des questions littéraires. On l’avait déjà vu collaborer à L’Enclos et à L’Art social. En 1896, il se lia au Groupe d’art social formé par Bernard Lazare, Laurence Jerrold et Achille Steens et collabora à son éphémère revue, L’Action sociale. Le 30 mai 1896, il donna une conférence sur « l’art et la révolte », salle du Commerce, à Paris.
Fernand Pelloutier s’attela ensuite à la réalisation d’un mensuel, L’Ouvrier des deux mondes, dont le premier numéro parut en février 1897 et qu’il s’épuisa alors à faire paraître seul. En avril 1898, le journal devait devenir l’organe officiel de la FNBT, sans que Pelloutier reçoive de renfort, ce qui allait aggraver son état de santé. Il habitait alors rue des Deux-Ponts, sur l’île de la Cité, à Paris, avec sa compagne Maria.

Lors de l’Affaire Dreyfus, Fernand Pelloutier fut de ceux qui poussèrent la CGT à s’engager, intervenant en ce sens dès la réunion du comité confédéral du 28 janvier 1898. Pour lui, la question était moins l’injustice faite à un homme que le danger que représentait, pour la classe ouvrière, le triomphe du parti clérical et réactionnaire. A cette époque, il collabora au quotidien dreyfusard L’Aurore.

Le 25 juin 1898 Pelloutier prit, de facto, le secrétariat de la Chevalerie du travail française , dont les membres constituaient bien souvent le noyau dur de la FNBT. Au sujet de ce versant clandestin de l’action de Fernand Pelloutier, Maurice Dommanget devait noter : « Le fait pour Pelloutier d’avoir bloqué [...] ses efforts sur les deux organisations considérées comme complémentaires indique qu’il n’envisageait pas l’Ordre comme une construction mineure à laquelle on s’adonne par goût du secret, par jeu verbal, par manie maçonnique appliquée au monde du travail. C’était pour lui chose sérieuse, chose utile et non rêverie fumeuse de militant en quête de nouveauté sociale. Il importe de souligner, pour l’époque, cette intime combinaison du travail clandestin ressortissant à la CTF, de la besogne du responsable de la Fédération des bourses. »

Il assista au congrès CGT de Rennes, du 26 au 30 septembre 1898, mais en revint exténué, aphone, crachant le sang, en proie à des crises d’étouffement. Il fut contraint de s’aliter, et songea à quitter Paris.

En octobre 1898, il donna sa signature au manifeste de la Coalition révolutionnaire (voir Broussouloux) qui rassemblait l’extrême gauche du dreyfusisme. À l’automne 1898, il cosigna également, avec Domela Nieuwenhuis et Émile Pouget, un appel à tenir un congrès international antiparlementaire à Paris en septembre 1900, en même temps que le congrès de la IIe Internationale. Ce congrès, qui s’inscrivait dans la suite logique de ceux de Londres (1896), Nantes (1894) et Zurich (1893), était censé constituer l’acte de naissance d’un large mouvement socialiste anti-autoritaire concurrent de la social-démocratie.

En janvier 1899, Fernand et Maria s’installèrent à Sèvres, dans un petit pavillon jouxtant celui de Maurice et Berthe Pelloutier. L’air de la campagne fit du bien au malade, et il reprit des forces. Ayant apporté son matériel typographique, il assura, alité, la composition du Monde ouvrier, nouveau titre de L’Ouvrier des deux mondes depuis le 1er janvier 1899. Son frère et Georges Yvetot l’aidaient à l’occasion. Il continuait également à se charger de l’administration de la FNBT, et à engager au moins son nom dans diverses initiatives. En février 1899, il figura par exemple dans le comité d’organisation du Congrès international d’art social aux côtés, entre autres, de Paul Adam, Jean Ajalbert, Lucien Descaves, Octave Mirbeau et Adolphe Retté (L’Effort, supplément au n°11, 15 février 1899). Le congrès semble s’être tenu le 31 juillet 1900 à Toulouse, mais n’eut quasiment aucun écho.

Toujours engagé dans l’Affaire Dreyfus, Fernand Pelloutier collabora en 1899 au Journal du peuple, le quotidien de l’extrême gauche dreyfusarde animé par Sébastien Faure. Dans le numéro du 6 juin, il cosigna l’appel à manifester à Longchamp pour défendre la république contre le péril réactionnaire, mais sur des bases de classe : « La guerre sociale est commencée ! disait le texte. Ce n’est pas au mot “république” qu’en veulent les conspirateurs. Ce qu’ils s’efforcent d’étouffer dans l’œuf, c’est la révolte des travailleurs qu’ils sentent prochaine. Ce qu’ils projettent de supprimer, c’est le droit de grève, c’est le mouvement syndical, c’est l’organisation des forces ouvrières... »

Cependant, la situation physique et matérielle de Fernand Pelloutier devenait de plus en plus alarmante. La FNBT lui allouait un traitement de 100 francs par mois, insuffisant pour vivre et couvrir ses dépenses de santé. A l’administration de la fédération et du Monde ouvrier, il devait ajouter des travaux de traduction et d’écriture pour s’assurer des revenus complémentaires. En juillet, ses jours furent mis en danger par une hémoptysie. Georges Sorel, navré par sa triste situation, obtint de Jaurès une démarche auprès de Millerand, ministre du Commerce. Celui-ci octroya à Fernand Pelloutier un poste d’enquêteur temporaire à l’Office du travail, aux émoluments de 250 francs par mois. Fernand Pelloutier se résigna à abandonner l’édition du Monde ouvrier, dont l’ultime numéro parut en juillet 1899, et entra à l’Office du travail le 1er août. On devait par la suite beaucoup lui reprocher ce qui sera présenté comme une compromission.

Du 3 au 8 décembre 1899, Fernand Pelloutier assista en observateur, avec Émile Pouget, au congrès de la salle Japy, qui réalisa — provisoirement — l’unité socialiste. Il y vit un événement historique qui menaçait l’indépendance du mouvement syndical. Au compte-rendu qu’il publia de ce congrès, il annexa une célèbre Lettre aux anarchistes, dans laquelle il écrivait : « Nous savons l’enthousiasme, un peu puéril, avec laquelle a été accueillie cette unité [...]. Je crains donc qu’un enthousiasme pareil ne s’empare également des syndicats et des agglomérations de syndicats et ne détermine une partie d’entre eux à se remettre inconsidérément sous le joug politicien. » En conséquence, il enjoignait ses camarades à s’impliquer toujours davantage dans les syndicats : « Nous devons, non seulement prêcher aux quatre coins de l’horizon le gouvernement de soi par soi-même, mais encore prouver expérimentalement à la foule ouvrière, au sein de ses propres institutions, qu’un tel gouvernement est possible », écrivit-il. « Les syndicats [prétendent] semer dans la société capitaliste le germe de groupes libres de producteurs par qui semble devoir se réaliser notre conception communiste et anarchiste. Devons-nous donc, en nous abstenant de coopérer à leur tâche, courir le risque qu’un jour les difficultés ne les découragent et qu’ils ne se rejettent dans les bras de la politique ? »

Le VIIIe congrès des bourses du travail, du 5 au 8 septembre 1900, fut extrêmement pénible. Fernand Pelloutier, épuisé, dans une atmosphère de fumée de tabac qui le suffoquait, fut assailli par ses adversaires qui lui reprochaient son emploi à l’Office du travail. Il démontra sobrement que le poste qu’il avait accepté ne le liait en aucune façon au gouvernement, et qu’il avait conservé sa complète indépendance. Quelques jours plus tard, le 15 septembre, une délégation du congrès CGT se déplaça à Sèvres pour rendre une visite fraternelle au malade que chacun savait condamné.
Le 19 septembre, Fernand Pelloutier se rendit à Paris où, jusqu’au 22, devait se tenir le congrès international antiparlementaire, mais le gouvernement l’interdit in extremis, et la police empêcha les délégués de se réunir. Ce fut une des dernières apparitions publiques de Pelloutier. Physiquement, il était à bout ; il s’alita et ne se présenta plus aux séances du comité fédéral des bourses du travail. Les quelques mois qui lui restaient à vivre ne furent qu’une lente et dure agonie, entre crachements de sang et crises d’étouffement. Trop affaibli pour écrire, il dictait encore des lettres à Maurice, et donnait d’ultimes conseils au secrétaire adjoint de la FNBT, Paul Delesalle.
Sentant la mort venir, il demanda qu’on le transporte au milieu de ses chers livres. C’est là qu’il expira, le 13 mars 1901.

En raison de l’heure très matinale du convoi et de l’éloignement de Paris, il n’y eut qu’une poignée de syndicalistes et d’anarchistes pour suivre le cortège funèbre. Dans la nécrologie qu’il lui consacra dans Les Temps nouveaux, Paul Delesalle écrivit : « Quelques camarades communistes anarchistes pourront différer d’avis sur la tactique préconisée par Pelloutier, mais l’ardeur de ses convictions, et la chaleur qu’il mit toujours à les défendre, sont garantes que les sympathies de tous les camarades sincères lui étaient acquises. Il meurt à 34 ans, laissant l’exemple d’une belle vie toute au service d’une idée, et, chose excessivement rare dans notre société pourrie, tous les actes de sa vie furent le reflet de l’idée. »

En conclusion de la biographie magistrale qu’il lui consacra, Jacques Julliard souligna la « grande exigence intellectuelle et morale » de Fernand Pelloutier. « C’est qu’en réalité, le syndicalisme tel qu’il a été vécu par des hommes comme Pelloutier n’a pas été seulement un moyen de changer la société, mais bien une conception libertaire de l’existence ; en somme, une éthique. »

ŒUVRE : Les Soirées de Ville-es-Martin (avec son frère et son père), Librairie du Petit Journal, 1889 — De la révolution par la grève générale (avec Aristide Briand), inédit, 1892 — Qu’est-ce que la grève générale ? (avec Henri Girard), Librairie socialiste, 1895 — Méthode pour la création et le fonctionnement des bourses du travail, FNBT, 1895 — L’Art et la révolte, [conférence faite le 30 mai 1896 à Paris], publ. du groupe L’Art social, 1896 — L’Organisation corporative et l’anarchie [plan de conférence], publ. du groupe L’Art social, 1897 — Les Syndicats en France, Librairie ouvrière, Paris, 1897 — Le Congrès général du parti socialiste français, 3-8 décembre 1899, précédé d’une « Lettre aux anarchistes », Stock, 1900 — La Vie ouvrière en France (avec son frère), Schleicher, 1900 — Histoire des bourses du travail, préface de Georges Sorel, notice biographique par Victor Dave, Schleicher frères, Paris, 1902.



Sources : Note autobiographique de 1896 conservée par Augustin Hamon (IISG) — Paul Delesalle, « Fernand Pelloutier », Les Temps nouveaux du 23 mars 1901 — Victor Dave, biographie insérée dans l’Histoire des bourses du travail, op. cit.— Maurice Pelloutier, Fernand Pelloutier, sa vie, son œuvre, 1867-1901, Schleicher frères, 1901 — Georges Yvetot, « Fernand Pelloutier », LaVie ouvrière des 20 mai et 5 juin 1911 — Maurice Dommanget, La Chevalerie du Travail française, 1893-1911, Lausanne, 1967 — Robert Brécy, La Grève générale, Étude et documentation internationales, 1969 — Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Seuil, 1971 — Jean Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, Gallimard, 1975 — Miguel Chueca, Déposséder les possédants. La grève générale aux « temps héroïques » du syndicalisme (1895-1906), Agone, 2008 — Guillaume Davranche, « Pelloutier, Pouget, Hamon, Lazare et le retour de l’anarchisme au socialisme (1893-1900) », Cahiers d’histoire n°110, octobre-décembre 2009 — www.pelloutier.net. = Notice de G. Davranche in Maitron en ligne// L’Idée anarchiste, n°1, 13 mars 1924 //


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Re: Divers militant-es anarchistes dans l'Histoire

Messagede bipbip » 23 Nov 2016, 08:32

Colloque - James Guillaume : l’émancipation par les savoirs, Genève, site Uni-Bastions de l’Université de Genève, le jeudi 24 et le vendredi 25 novembre 2016

"James Guillaume (1844-1916), internationaliste suisse, est surtout connu pour avoir été l’un des dirigeants de la Fédération jurassienne avec Bakounine à partir de 1872. Après son départ pour Paris en 1878, il a activement participé à la création de l’école de la Troisième République aux côtés de Ferdinand Buisson. Il s’est imposé comme un passeur de pédagogie par ses travaux de vulgarisation sur l’histoire de l’éducation, publiés notamment dans le Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire. Voici pourquoi son ami Buisson l’a qualifié, en 1914 « d’éducateur des éducateurs français ». Il fut aussi un historien majeur de l’école de la Révolution française au moment du Centenaire de 1889 et de l’institutionnalisation des études sur la période révolutionnaire aux côtés d’Aulard. Le lien entre toutes les « vies » de James Guillaume est sa croyance en l’émancipation politique par l’instruction"

Participeront à cette rencontre, parmi d’autres,
Marianne Enckell : « James Guillaume, anarchiste ? »
et
Hugues Lenoir : « James Guillaume, pionnier d’une pédagogie émancipatrice. »
le jeudi 24 novembre de 11h00 à 12h30 (Panel L’engagement politique et pédagogique de James Guillaume )
ainsi que
Gaetano Manfredonia : « Guillaume, Kropotkine et la Révolution Française. »
le jeudi de 14h00 à 15h30 (Panel James Guillaume et la Révolution française)
et
Philippe Pelletier : « L’Allemagne en discussion chez James Guillaume, Michel Bakounine, Élisée Reclus et Pierre Kropotkine : histoire, géographie et politique. »
de 16h00 à 17h30 (Panel Enseignements et disciplines)

Colloque organisé par l’Équipe de didactique de l’histoire et de la citoyenneté (Édhice)
Comité scientifique : Jean-Charles BUTTIER, Federico FERRETTI, Charles HEIMBERG, Nora KÖHLER et Anne SGARD.

http://jguillaume.hypotheses.org/1384
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