La maire de Paris, Anne Hidalgo, se félicite d’avoir fait organiser une exposition pour « rendre hommage » à Che Guevara. Depuis cette annonce, la polémique ne faiblit pas : fallait-il commémorer cette « figure de la révolution devenue une icône militante et romantique », comme le dit Hidalgo ?
Deux questions se posent ici. La première est relative à l’exposition : celle-ci fait-elle l’éloge du Che ou propose-t-elle une analyse nuancée du personnage controversé, à la fois « romantique » et autoritaire ? La seconde question est celle du jugement que l’on peut porter sur Che Guevara, dans la complexité d’une vie, en s’appuyant sur les faits, au-delà du mythe.
Ernesto Guevara (né le 14 juin 1928 à Rosario de Santa Fe, Argentine, et exécuté le 9 octobre 1967 à La Higuera, Bolivie), plus connu sous le nom de Che Guevara ou Le Che, est un révolutionnaire marxiste et homme politique d’Amérique latine, dirigeant de la guérilla internationaliste cubaine.
Alors qu’il est jeune étudiant en médecine, Guevara voyage à travers l’Amérique latine, ce qui le met en contact direct avec la pauvreté dans laquelle vit une grande partie de la population. Son expérience et ses observations l’amènent à la conclusion que les inégalités socioéconomiques ne peuvent être abolies que par la révolution. Il décide alors d’intensifier son étude du marxisme et de voyager au Guatemala afin d’apprendre des réformes entreprises par le président Jacobo Arbenz Guzmán, renversé quelques mois plus tard par un coup d’État appuyé par la CIA (Opération PBSUCCESS). Peu après, Guevara rejoint le mouvement du 26 juillet, un groupe révolutionnaire dirigé par Fidel Castro. Après plus de deux ans de guérilla durant laquelle Guevara devient commandant, ce groupe prend le pouvoir à Cuba en renversant le dictateur Fulgencio Batista en 1959.
Dans les mois qui suivent, Guevara est désigné procureur d’un tribunal révolutionnaire qui exécute plus d’une centaine de policiers et militaires du régime précédent jugés coupables de crimes de guerre, puis il crée des camps de “travail et de rééducation”. Il occupe ensuite plusieurs postes importants dans le gouvernement cubain qui écarte les démocrates, réussissant à influencer le passage de Cuba à une économie du même type que celle de l’URSS, et à un rapprochement politique avec le Bloc de l’Est, mais échouant dans l’industrialisation du pays en tant que ministre. Guevara écrit pendant ce temps plusieurs ouvrages théoriques sur la révolution et la guérilla.
En 1965, après avoir dénoncé l’exploitation du tiers monde par les deux blocs de la guerre froide, il disparaît de la vie politique et quitte Cuba avec l’intention d’étendre la révolution. D’abord au Congo-Léopoldville, sans succès, puis en Bolivie où il est capturé et exécuté sommairement par l’armée bolivienne entraînée et guidée par la CIA.
Après sa mort, Che Guevara est devenu une icône pour des mouvements révolutionnaires du monde entier, mais demeure toujours l’objet de controverses entre historiens, notamment à cause de témoignages sur de possibles exécutions d’innocents. Un portrait photographique de Che Guevara réalisé par Alberto Korda est considéré comme l’une des photographies les plus célèbres au monde.
Ernesto Guevara de la Serna naît le 14 juin 1928 à Rosario, Argentine, de Ernesto Guevara Lynch et Celia de La Serna tous deux d’ascendance irlandaise et espagnole noble. Beaucoup d’éléments indiquent cependant que sa date de naissance officielle ait été reculée d’un mois pour éviter un scandale, car trop proche du mariage. C’est à dire que le Che Guevara serait né le 14 mai 1928. Ses parents sont de lignée aristocratique mais vivent comme une famille de classe moyenne, avec un penchant pour des idées de gauche non autoritaristes, s’opposant notamment à Perón et à Hitler. La tante d’Ernesto, qui a élevé sa mère à la mort prématurée de leurs parents, est communiste.
Aîné de 5 enfants, il vit d’abord à Córdoba, la seconde ville du pays. Dès l’âge de trois ans, il apprend le jeu d’échecs auprès de son père et commence à participer à des tournois dès 12 ans. Sa mère lui enseigne le français qu’il parlera couramment. Ernesto Guevara de la Serna se fait rapidement connaître pour ses opinions radicales même à un âge pourtant précoce. Il voudrait être un des soldats de Francisco Pizarro dans sa soif d’aventure.
Toute sa vie, il subit de violentes crises d’asthme, qui l’accablent dès l’enfance. Il affronte cette maladie et travaille afin de devenir un athlète accompli. Malgré l’opposition de son père, il devient joueur de rugby. Il gagne le surnom de “fuser”, (une contraction de furibundo (“furibond”) et du nom de famille de sa mère, “Serna”) à cause de son style de jeu agressif. Durant son adolescence, il met à profit les périodes de repos forcés de ses crises d’asthme pour étudier la poésie et la littérature, depuis Pablo Neruda en passant par Jack London, Emilio Salgari et Jules Verne, jusqu’à des essais sur la sexualité de Sigmund Freud ou des traités sur la philosophie sociale de Bertrand Russell. Il écrit des poèmes (parfois parodiques) tout au long de sa vie comme cela est courant chez les Latino-américains de son éducation. Il développe également un grand intérêt pour la photographie.
En 1948, il entreprend des études de médecine à Buenos Aires. Il joue alors quelques mois au San Isidro Club, équipe de rugby de première division, qu’il doit quitter à cause de son père qui trouve ce niveau de jeu dangereux pour un asthmatique, et joue ensuite dans des équipes de moindre niveau. Durant cette période, il songe à se marier avec une fille de la haute société argentine et à s’établir, mais il ne peut mener ce projet à bien à cause de l’opposition de la famille de cette dernière, de sa propre personnalité déjà jugée anticonformiste, et de son désir grandissant de voyages et de découvertes.
En 1951, son vieil ami de gauche réformiste Alberto Granado, biochimiste, lui suggère de prendre une année sabbatique. De cette façon, ils peuvent concrétiser le voyage dont ils parlent depuis longtemps, traversant l’Amérique du Sud sur une vieille moto Norton 500 cm3 surnommée “La vigoureuse” (La poderosa en espagnol) dans des conditions souvent précaires (dormant souvent volontairement dans la cellule d’un commissariat), avec pour objectif de passer quelques semaines comme volontaires dans la léproserie de San Pablo sur les bords de l’Amazone au Pérou. Guevara relate cette épopée dans Diarios de motocicleta: Notas de viaje por América Latina. Le périple qui dure 9 mois et mènera Guevara jusqu’à Miami les fait d’abord arriver au Chili où ils doivent abandonner la Poderosa à bout de souffle et où ils visitent les mines géantes de Chuquicamata et découvrent les conditions de vies des mineurs. Ils traversent ensuite la cordillère des Andes, rencontrent le docteur Hugo Pesce, spécialiste de la lèpre et fondateur du parti socialiste péruvien qui influera beaucoup sur les idéaux de Guevara, puis après avoir apporté leur aide dans la léproserie de San Pablo, ils descendent l’Amazone en canoë jusqu’en Colombie en pleine époque dela Violencia et se séparent au Venezuela d’où Guevara s’envole alors pour les États-Unis dans un avion de marchandises. Il revient à Buenos Aires le 31 juillet 1952 pour terminer ses études de médecine.
Au travers de ses propres observations de la pauvreté et de l’impuissance des masses, et influencé par ses lectures marxistes, il conclut que le seul remède aux inégalités sociales de l’Amérique latine est la révolution par les armes. Il en est conduit à considérer l’Amérique latine non comme un ensemble de nations distinctes mais comme une entité économique et culturelle requérant une “stratégie continentale de libération”. Cette conception bolivarienne d’une Amérique latine unie et sans frontière partageant une culture métisse (mestizo) est un thème qui reviendra de manière importante dans ses activités révolutionnaires ultérieures. De retour en Argentine, il termine ses études le plus rapidement possible afin de poursuivre son périple en Amérique latine et reçoit son diplôme le 12 juin 1953.
Le 7 juillet 1953, il entreprend un long périple à travers la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, le Panamá, le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, Salvador puis le Guatemala.
En Bolivie, il participe à l’été 1953 à la révolution sociale populiste du Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR), puis s’en détache avec indignation, estimant que cette révolution sociale reste entachée d’inégalités raciales.
Il arrive fin décembre 1953 au Guatemala, où le président de gauche Jacobo Arbenz Guzmán dirige un gouvernement populiste lancé dans de profondes réformes sociales. Le gouvernement Arbenz mène notamment une réforme agraire qui avec d’autres initiatives, tente d’éliminer un système de latifundiumdominé par les États-Unis au travers de la United Fruit Company (UFCO). L’UFCO est le plus grand propriétaire terrien et employeur du Guatemala, et le plan de redistribution d’Arbenz inclut l’expropriation de 40% des terres de celle-ci. Alors que le gouvernement des États-Unis dispose de peu de preuves pour soutenir leur discours sur l’aggravation de la menace communiste au Guatemala, la relation entre l’administration Eisenhower et l’UFCO illustre l’influence des intérêts corporatistes dans la politique étrangère des États-Unis.
Dans une lettre à sa tante Beatriz, Ernesto Guevara explique sa motivation à s’établir dans ce pays : “Au Guatemala, je me perfectionnerai et accomplirai tout ce qui est nécessaire pour devenir un vrai révolutionnaire”.
Peu après son arrivée à Guatemala Ciudad, Guevara rencontre Hilda Gadea Acosta, une économiste péruvienne qui vit et travaille au Guatemala, sur les conseils d’un ami commun. Gadea, qu’il épousera plus tard, a de nombreux contacts politiques en tant que membre de l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA) socialiste, dirigé par Víctor Raúl Haya de la Torre. Elle présente Guevara à de nombreux responsables du gouvernement Arbenz, mais lui permet aussi de renouer le contact avec un groupe d’exilés cubains qu’il a déjà rencontrés au Costa Rica, membres du Mouvement du 26 juillet de Fidel Castro. Guevara rejoint ces moncadistas dans la vente d’objets religieux liés au Christ noir d’Esquipulas, et est aussi assistant de deux spécialistes vénézuéliens de la malaria à l’hôpital local. Ernesto Guevara échoue à obtenir un internat ; sa situation financière devient très précaire, l’amenant à vendre certains bijoux d’Hilda.
C’est pendant cette période qu’il obtient son surnom célèbre de Che qui signifie “l’Argentin” (L’accent très particulier des Argentins et leurs origines européennesrécentes les différenciant immédiatement des autres Latino-Américains ont fait naître ce surnom de “che” particulièrement au Mexique et en Amérique centrale pour désigner tout Argentin ; le mot lui-même vient de l’interjection argentine “che” utilisée dans la zone géographique du Río de la Plata et dans la région de Valence en Espagne, interjection qui marque essentiellement la stupeur ou qui sert à attirer l’attention).
La situation politique change radicalement à partir du 15 mai 1954, lorsqu’une livraison d’armes et d’artillerie légère Škoda arrive de la Tchécoslovaquie communiste à Puerto Barrios à destination du gouvernement Arbenz, à bord du bateau suédois Alfhem. La CIA estime à 2 000 tonnes la quantité d’armement livré et seulement 2 tonnes par Jon Lee Anderson. Ernesto Guevara se rend brièvement au Salvador pour renouveler son visa, et retourne au Guatemala quelques jours avant la tentative de coup d’État de Carlos Castillo Armas appuyé par la CIA qui accuse Arbenz d’être communiste. Les forces anti-Arbenz qui viennent du Honduras ne réussissent pas à arrêter le transbordement des armes. Après une pause pour se regrouper, la colonne de Castillo Armas reprend l’initiative, avec le soutien aérien américain. Guevara a hâte de combattre pour Arbenz et rejoint dans un premier temps une milice créée par les jeunesses communistes. Frustré par l’inaction de ce groupe, il revient à la médecine. Alors que le coup d’État est en passe de réussir, il redevient volontaire au combat mais en vain : Arbenz trouve refuge dans l’ambassade mexicaine et demande à ses partisans de quitter le pays. Après l’arrestation de Hilda, il se met sous la protection du consulat argentin où il reste jusqu’à la réception d’un sauf-conduit quelques semaines plus tard. Il décline alors le vol gratuit pour l’Argentine proposé par l’ambassade, préférant se diriger vers le Mexique.
Le renversement du régime démocratiquement élu d’Arbenz par un coup d’État appuyé par la CIA (opération PBSUCCESS) renforce la conviction d’Ernesto Guevara que les États-Unis, comme puissance impérialiste, s’opposeraient implacablement à tout gouvernement désireux de corriger les inégalités socioéconomiques endémiques à l’Amérique du Sud et aux autres pays en voie de développement. Il devient définitivement convaincu que le socialisme atteint à travers le combat et défendu par une population armée est le seul moyen de faire évoluer une telle situation.
Che Guevara arrive à Mexico début septembre 1954. Il retrouve peu après Ñico López et d’autres exilés cubains qu’il a connus quelques années plus tôt au Guatemala. En juin 1955, López le présente à Raúl Castro. Quelques semaines plus tard, Fidel Castro arrive à Mexico après avoir été amnistié d’une peine de prison à Cuba. Le 8 juillet 1955, Raúl présente Guevara à son frère aîné. Après une conversation d’une nuit entière, le Che devient convaincu que Fidel est le dirigeant révolutionnaire inspiré qu’il cherche et il rejoint immédiatement le Mouvement du 26 juillet qui tente de renverser le gouvernement du dictateur Fulgencio Batista. Initialement désigné comme médecin du groupe, le Che participe à l’entraînement militaire avec les autres membres du mouvement, à la fin duquel il est désigné par leur instructeur le colonel Alberto Bayo comme la meilleure recrue.
Entre temps, Hilda Gadea est arrivée à Mexico et renoue sa liaison avec Guevara. Durant l’été 1955 elle l’informe qu’elle est enceinte, et il lui propose immédiatement le mariage, ils se marieront le 18 août. Leur fille, Hilda Beatríz, naît le 15 février 1956.
Ernesto “Che” Guevara fait partie des 82 hommes (un des quatre non-Cubains de l’expédition) partis avec Fidel Castro en novembre 1956 pour Cuba, sur le Granma, un petit yacht en mauvais état qui résiste mal au mauvais temps qui sévit durant le voyage. Les guerilleros sont attaqués juste après leur débarquement par l’armée de Batista qui a eu vent de l’expédition. Seule une vingtaine d’hommes survivent aux combats et une douzaine rejoignent la sierra, les autres étant tués au combat ou exécutés sommairement.
Le Che écrit plus tard que lors de cet affrontement, il choisit d’abandonner son sac d’équipement médical pour ramasser une caisse de munitions abandonnée par un de ses compagnons en fuite, passant ainsi du statut de médecin à la condition de combattant.
Les rebelles survivants se regroupent et fuient dans les montagnes de la Sierra Maestra pour lancer une guérilla contre le régime de Batista. Là, ils sont soutenus par les paysans locaux (guajiros ou montunos) qui souffrent d’abord de cette dictature, puis, par la suite, de la répression politique lancée contre la guérilla et ses partisans réels ou supposés. Che Guevara agit comme médecin et combattant, en dépit de nombreuses crises d’asthme dues au climat. Le Che souligne l’importance de se faire accepter par la population en fournissant des soins dans les villages isolés ou en alphabétisant les nouvelles recrues au cœur de la jungle.
Leurs forces (en armes et en recrues) augmentent avec le soutien logistique de la partie urbaine du mouvement de 26 juillet (non communiste, le partido socialista popular cubain n’aide Castro qu’à partir du moment où ils sont certains de sa victoire, mi-1958) et des États-Unis (qui voient en Castro une bonne alternative au régime corrompu de Batista et auxquels Castro a dissimulé ses objectifs communistes). L’existence de deux factions dans le mouvement sera très importante dans le futur et créera de nombreuses tensions. Les dirigeants urbains les plus importants étaient Frank País, Vilma Espín, Celia Sánchez, Faustino Pérez, Carlos Franqui, Haydee Santa María, Armando Hart, René Ramos Latour (Daniel), majoritairement démocrates et anticommunistes.
Guevara se montre très strict face aux actes d’indiscipline, de trahison et aux crimes, non seulement pour sa propre troupe mais aussi envers les soldats ennemis et les paysans qui habitent la zone. Cette partie de sa personnalité est mise en évidence le 17 février 1957, quand les guérilleros découvrent que l’un d’entre eux, Eutimio Guerra, est un traître qui avait donné la localisation du groupe, permettant à l’armée régulière de bombarder leur position sur le pic de Caracas et ensuite de les embusquer sur les hauteurs de Espinosas, mettant les rebelles au bord de la déroute. Lors de son arrestation, il est en possession d’armes et d’un sauf-conduit délivrés par l’ennemi. Eutimio demande la mort. Fidel Castro décide donc qu’il soit fusillé pour trahison, mais sans désigner d’exécuteur. Devant l’indécision générale qui s’ensuit, c’est le Che qui l’exécute, démontrant une froideur et une dureté contre les crimes de guerre qui l’ont rendu célèbre, ce qui n’a pas empêché Guevara de subir une violente crise d’asthme au lendemain de l’exécution. Une autre version de l’exécution indique que Castro désigne le guérillero Universo pour l’exécuter; Universo et Le Che amènent le traître à l’écart pour ne pas le tuer devant les hommes et Le Che l’exécute en route à un moment qu’il juge opportun.
Entre 1957 et 1958, certaines estimations évaluent à 15 le nombre de personnes accusées de trahison ou d’espionnage exécutées sur ordre de Guevara, dont l’une d’entre elles devant sa propre famille uniquement pour avoir exprimé son opposition à la révolution selon un guérillero témoin, exilé depuis à Miami. Au contraire, Guevara paraît tolérant pour les erreurs involontaires de ses propres troupes et envers les prisonniers ennemis. Ceci contribue à la bonne réputation du M26-Sierra et incite par la suite les soldats ennemis à se rendre plutôt qu’à combattre avec acharnement. De nombreuses fois il intervient auprès de Fidel Castro pour éviter des exécutions. Il soigne lui-même des soldats ennemis et interdit formellement la torture ou l’exécution des prisonniers, qu’il protège avec la même vigueur qu’il déploie à châtier les traîtres. Un autre témoignage, contradictoire avec les précédents, affirme qu’il a fait fusiller un des jeunes guérilleros pour avoir volé un peu de nourriture.
Durant les premiers mois de 1957 le petit groupe de guérilleros survit dans des conditions précaires, avec un appui rare de la population locale. Il est poursuivi par un réseau de paysans-espions (chivatos), par les troupes du gouvernement et doit lutter contre les infiltrations et améliorer la discipline militaire. De petits combats et escarmouches se succèdent, avec peu de pertes de part et d’autre.
Fin février paraît dans le New York Times, le journal le plus lu des États-Unis, une interview de Fidel Castro réalisée par Herbert Matthews dans la Sierra Maestra. L’impact est énorme et commence à faire naître dans l’opinion publique nationale et internationale une certaine sympathie envers les guérilleros. Le 28 avril se tient une conférence de presse au sommet du pico Turquino, la montagne la plus haute de Cuba, pour CBS.
Fin mai, l’effectif de la guérilla, atteignant 128 combattants bien armés et entraînés. Le 28 mai est déclenchée une première action d’ampleur, l’attaque de la caserne d’El Uvero où meurent 6 guérilleros et 14 soldats avec une grande quantité de blessés des deux côtés. Après le combat, Fidel Castro prend la décision de laisser la charge des blessés à Che Guevara pour ne pas ralentir le groupe principal à la poursuite des troupes gouvernementales. Guevara s’occupe alors des blessés des deux camps et parvient à un accord sur l’honneur avec le médecin de la caserne afin de laisser sur place les blessés les plus graves à la condition qu’ils soient emprisonnés de manière respectable, pacte respecté par l’armée gouvernementale.
Le Che et quatre hommes (Joel Iglesias, Alejandro Oñate (“Cantinflas”, “Vilo” et un guide) doivent alors cacher, protéger et soigner sept guérilleros blessés pendant cinquante jours. Dans ce laps de temps, Guevara non seulement les a tous soignés et protégés, mais a de plus maintenu la discipline du groupe, recruté neuf autres guérilleros, obtenu le soutien décisif du régisseur d’une grande propriété rurale de la région et établi un système d’approvisionnement et de communication avec Santiago de Cuba. Quand il rejoint le reste des troupes le 17 juillet, le Che est à la tête d’un groupe autonome de 26 hommes. Les rebelles tiennent alors un petit territoire à l’ouest du Pico Turquino avec 200 hommes disciplinés et un bon moral. Fidel Castro décide alors de former une deuxième colonne de 75 hommes, qu’il appellera ensuite quatrième colonne pour tromper l’ennemi sur la quantité de ses troupes. Il promeut Che Guevara au grade de capitaine, puis cinq jours après le désigne commandant de cette colonne. Avant cela seul Fidel Castro avait le grade de commandant. À partir de ce moment, les guérilleros doivent l’appeler “Comandante Che Guevara”.
La colonne contient alors quatre pelotons dirigés par Juan Almeida, Ramiro Valdés, Ciro Redondo et Lalo Sardiñas comme commandants en second. Peu après vient Camilo Cienfuegos en remplacement de Sardiñas qui a tué accidentellement un de ses hommes en le menaçant et dont l’exécution a été votée par les guérilléros à une étroite majorité, mais qui a été épargné et dégradé par Guevara. Une étroite amitié naît entre Cienfuegos et le Che.
Guevara se distingue en intégrant dans ses troupes de nombreux guajiros (paysans de l’île) et Afro–cubains, qui constituent alors la catégorie de population la plus marginalisée du pays, à une époque où le racisme et la ségrégation raciale sont encore répandus y compris dans les propres rangs du mouvement du 26 juillet (en 1958, l’accès au parc central de Santa Clara était interdit aux personnes à la peau noire).
Il baptise les nouvelles recrues qui intègrent sa colonne “descamisados” (sans chemises), reprenant l’expression qu’Eva Perón utilisait pour s’adresser aux travailleurs argentins, aussi péjorativement appelés “cabecitas negras” (têtes noires). Une de ces recrues, Enrique Acevedo, un adolescent de quinze ans que Guevara nomme chef de la commission disciplinaire de la colonne, a plus tard écrit ses impressions de l’époque dans un journal :
Tous le traitent avec grand respect. Il est dur, sec, parfois ironique avec certains. Ses manières sont douces. Quand il donne un ordre on voit qu’il commande vraiment. Il s’accomplit dans l’action.
La quatrième colonne réussit, grâce à quelques victoires (Bueycito, El Hombrito), à prendre contrôle de la zone de El Hombrito pour y établir une base permanente. Ses membres y construisent un hôpital de campagne, une boulangerie, une cordonnerie et une armurerie afin d’avoir une infrastructure d’appui. Le Che lance le journal El Cubano Libre.
Une des fonctions de la colonne du Che est de détecter et éliminer les espions et les infiltrés ainsi que maintenir l’ordre dans la région, exécutant les bandits qui profitent de la situation pour assassiner, piller et violer, en se faisant souvent passer pour des guérilléros. La stricte discipline dans la colonne fait que de nombreux guérilléros demandent leur transfert sur d’autres colonnes, bien qu’en même temps le comportement juste et égalitaire de Guevara, la formation qu’il accorde à ses hommes, depuis l’alphabétisation jusqu’à la littérature politique complète, en fait un groupe fortement solidaire.
Les troupes du gouvernement dirigées par Ángel Sánchez Mosquera mènent une politique de guerre sale dans la région. Le 29 novembre 1957 ils attaquent les guérilléros causant deux morts, parmi eux Ciro Redondo. Le Che est blessé (au pied) de même que Cantinflas et cinq autres combattants. La base est complètement détruite et la colonne se repositionne dans un lieu appelé la mesa pour en construire une nouvelle. Elle crée la radio clandestine Radio Rebelde en février 1958. Radio Rebelde diffuse alors des informations pour la population cubaine mais sert aussi de lien entre les différentes colonnes réparties sur l’île. Radio rebelde existe toujours aujourd’hui à Cuba.
Début 1958, Fidel Castro est devenu l’homme le plus sollicité par la presse internationale et des dizaines de journalistes du monde entier viennent à la Sierra Maestra pour l’interviewer. De son côté Che Guevara est devenu, pour la presse qui défend Batista, le personnage central de la guérilla. Evelio Lafferte, un lieutenant de l’armée cubaine fait prisonnier, et qui ensuite est passé guérilléro dans la colonne du Che, se souvient :
La propagande contre lui (Guevara) était massive ; on disait que c’était un tueur à gages, un criminel pathologique…, un mercenaire qui prêtait ses services au communisme international… Qu’ils utilisaient des méthodes terroristes, qu’ils socialisaient les femmes qui quittaient alors leurs enfants… Ils disaient que les soldats faits prisonniers par les guérilléros étaient attachés à un arbre et se faisaient ouvrir le ventre à la baïonnette.
En février, l’armée rafle 23 militants du mouvement du 26 juillet et les fusille sur les premiers contreforts de la Sierra Maestra, pour simuler une victoire contre la guérilla. Cet événement est un scandale pour le gouvernement de Batista. Le 16, la guérilla castriste attaque la caserne de Pino del Agua avec des pertes des deux côtés. Peu après arrive le journaliste argentin Jorge Ricardo Masetti de tendance péroniste, qui est un des fondateurs de l’agence de presse cubainePrensa Latina et l’organisateur à Salta (Argentine) en 1963 de la première tentative de guérilla de Che Guevara hors de Cuba.
Le Che entre en conflit avec les dirigeants de la partie urbaine du mouvement du 26 juillet. Ceux-ci le considèrent comme un marxiste extrémiste avec trop d’influence sur Fidel Castro, et lui les considère de droite, avec une conception timide de la lutte et une disposition trop complaisante envers les États-Unis. Soviétophile convaincu, il écrit en 1957 à son ami René Ramos Latour : “J’appartiens, de par ma formation idéologique, à ceux qui croient que la solution des problèmes de ce monde est derrière ce que l’on appelle le rideau de fer”. L’année 1958 est une période de conflit politique au sein du mouvement du 26 juillet entre Che Guevara qui affirme ses convictions communiste, et Armando Hart et René Ramos Latour tout deux du directoire du mouvement, dirigeant sa partie urbaine, et anti-communistes. Ces derniers avancent l’idée d’un rapprochement avec les États-Unis pour lutter contre Baptista. La CIA cherche en effet à ce moment une alternative au dictateur et son armée corrompue, inefficace et commettant des exactions, en envisageant de contrôler la partie non-communiste du mouvement du 26 juillet. L’armée américaine soutient elle inconditionnellement Baptista, au nom de la lutte contre le communisme, doutant de l’orientation politique réelle de Fidel Castro. Guevara s’affirme également admirateur du défunt Staline : “Celui qui n’a pas lu les quatorze tomes des écrits de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste”.
Le 27 février 1958, Fidel Castro amplifie les opérations de guérilla en créant trois nouvelles colonnes dirigées par Juan Almeida, son frère Raúl Castro et Camilo Cienfuegos, qui deviennent commandants. Almeida doit agir dans la zone orientale de la Sierra Maestra, Raúl Castro doit ouvrir un deuxième front et s’installer dans la Sierra Cristal, au nord de Santiago de Cuba. En avril Camilo Cienfuegos est désigné chef militaire de la zone entre les villes de Bayamo, Manzanillo et Las Tunas, alors que Castro établit son quartier général à La Plata.
Le 3 mai a lieu une réunion clef du mouvement du 26 juillet où Fidel Castro et la guérilla de la Sierra prennent le commandement sur la partie urbaine plus modérée. Che Guevara, qui eut un rôle important dans cette réorganisation, écrit un article en 1964 sur ces faits :
Le plus important est que se jugeaient et s’analysaient deux conceptions qui s’affrontaient depuis le début de la guerre. La conception de la guérilla sortie triomphante de l’affrontement, consolidant le prestige et l’autorité de Fidel… Il apparut une seule capacité dirigeante, celle de la Sierra, et concrètement un seul dirigeant, un commandant en chef, Fidel Castro.
À ce moment, l’armée de Batista, sous les ordres du général Eulogio Cantillo prépare une offensive. Fidel Castro demande alors à Che Guevara de laisser la quatrième colonne et de prendre en charge l’école militaire de Minas del Frío pour l’entraînement des recrues. Le Che reçoit l’ordre de bon gré mal gré mais organise fébrilement cette arrière-garde, construisant même une piste d’atterrissage près de La Plata. Camilo Cienfuegos lui écrit à cette époque : “Che, mon frère d’âme : J’ai reçu ta note, je vois que Fidel t’a mis à la tête de l’école militaire, j’en suis heureux car de cette manière nous aurons dans le futur des soldats de première qualité, quand ils m’ont dit que tu venais nous faire cadeau de ta présence, ça ne m’a pas plu beaucoup, tu as joué un rôle principal dans ce domaine ; si nous avons besoin de toi dans cette étape insurrectionnelle, Cubaaura encore davantage besoin de toi quand la guerre se terminera, donc le géant a bien fait de prendre soin de toi. J’aimerais beaucoup être toujours à tes côtés, tu as été mon chef pendant longtemps et tu le seras toujours. Grâce à toi j’ai l’opportunité d’être maintenant plus utile, je ferai l’indicible pour ne pas te déshonorer. Ton éternel pote. Camilo”.
À Minas del Frío il a partagé la vie de Zoila Rodríguez García, une guajira qui vivait dans la Sierra Maestra et qui collaborait activement avec la guérilla comme toute sa famille. Dans un témoignage postérieur, Zoila raconte le genre de relation qu’ils ont eu : “Il apparut en moi un amour très grand et très beau, je me compromis avec lui, pas seulement comme combattante mais aussi comme femme. Un jour, il me demanda de lui amener un livre de son sac à dos ; il avait des lettres dorées et je lui demandais si elles étaient d’or. La question lui plut, il rit et me répondit : C’est un livre sur le communisme. Ça me donna de la peine de lui demander ce que voulait dire communisme, parce que je n’avais jamais entendu ce mot”.
Le 6 mai commence l’offensive de l’armée qui compte 10 000 hommes, dont deux tiers de conscrits. Le plan était de déloger avec des bombardements massifs au napalm et à l’explosif les guérilléros qui comptaient 280 hommes et quelques femmes, pour ensuite les encercler dans une nasse de plus en plus étroite. Pendant les premières semaines les forces gouvernementales sont presque au point de défaire la guérilla, qui subit de grandes pertes et la désorganisation de ses filières, alors qu’augmentent le sentiment de défaite et les désertions. De son côté, Che Guevara organise une nouvelle colonne (la “huitième” et baptisé Ciro Redondo en hommage à un de ses lieutenants mort au combat l’année précédente) avec les recrues de l’école de Minas del frio. Quand le 26 juin, Raúl Castro séquestre de sa propre initiative 49 américains, le Che critique sa conduite comme “un extrémisme dangereux”.
Cependant les troupes gouvernementales sont incapables de capturer les guérilléros qui se cachent en permanence et reprennent l’offensive. Le 20 juillet, ils obtiennent leur première grande victoire à Jigüe et le même jour la majorité des forces de l’opposition reconnaît Fidel Castro comme commandant en chef. Le 28, la colonne du Che assiège les troupes du gouvernement à La Havane, qui fuient alors, abandonnant leur poste. Le 30 meurt au combat René Ramos Latour, principal adversaire du Che au sein du mouvement, ce dernier écrit néanmoins dans son journal : “De profondes divergences idéologiques me séparaient de René Ramos et nous étions ennemis politiques, mais il a su mourir en accomplissant son devoir, en première ligne, et il est mort ainsi parce qu’il a senti une impulsion intérieure que je lui niais, et qu’à cette heure je dois rectifier”.
Le 7 août 1958, l’armée commence son retrait en masse de la Sierra Maestra. La faiblesse de Batista se fait évidente et Fidel Castro décide alors d’étendre la guerre au reste de l’île. Che Guevara et Camilo Cienfuegos doivent marcher vers le nord pour diviser Cuba en deux et attaquer la ville stratégique de Santa Clara, clef pour la route vers La Havane.
Le 31 août 1958 les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos partent à pied vers l’ouest de Cuba. Ils mettent six semaines à arriver dans la zone de l’Escambray, dans la province de Las Villas, au centre de l’île, traversant 600 km de zone marécageuse, poursuivis par les avions et les patrouilles du gouvernement.
Guevara installe son campement sur un relief inaccessible culminant à 630 m. Il crée une nouvelle école militaire pour accueillir les nouvelles recrues, ainsi qu’une centrale hydro-électrique, un hôpital de campagne, des ateliers et un journal El Miliciano.
Dans la zone agissent d’autres forces de guérilla, comme le “Segundo Frente Nacional del Escambray” dirigé par l’espagnol Eloy Gutiérrez Menoyo, le “Directorio Revolucionario”, le “Partido Socialista Popular” (communiste) ainsi que les forces locales du mouvement du 26 juillet dirigées par Enrique Oltuski. En général ces forces se querellent et l’unification est impossible. À ce moment, le Che commence une liaison avec Aleida March, une militante active et anti-communiste du mouvement du 26 juillet. Ils deviennent inséparables tout au long de la guérilla, même au cours des combats.
Le 3 novembre Batista réalise des élections afin d’atténuer l’opposition généralisée et construire une sortie électorale qui isolerait la guérilla. Ceux-ci et les groupes de l’opposition demandent le boycott des élections qui n’ont qu’une faible participation, délégitimant le candidat élu, Andrés Rivero Agüero.
À Las Villas Che Guevara parachève la formation de la huitième colonne en plaçant aux postes clefs des hommes de confiance, la plupart originaires de milieux modestes. Il y a les hommes de son escorte, Juan Alberto Castellanos, Hermes Peña, Carlos Coello (“Tuma”), Leonardo Tamayo (“Urbano”) et Harry Villegas (“Pombo”). Il y a aussi des soldats qui font partie de son cercle le plus intime, comme Joel Iglesias, Roberto Rodríguez (“el Vaquerito”), Juan Vitalio Acuna (“Vilo”), Orlando Pantoja (“Olo”), Eliseo Reyes, Manuel Hernández Osorio, Jesús Suárez Gayol (“el Rubio”), Orlando Borrego. Beaucoup de ces hommes composent le célèbre commando suicide dirigé par “El Vaquerito”, comprenant seulement des volontaires et chargé des missions les plus difficiles.
Fin novembre, les troupes du gouvernement attaquent la position de Che Guevara et de Camilo Cienfuegos. Les combats durent une semaine, à la fin duquel l’armée de Batista se retire en désordre et avec beaucoup de pertes en hommes et en matériel. Les guérilleros contre-attaquent, suivant une stratégie d’isolement des garnisons du gouvernement, dynamitant les routes et ponts ferroviaires. Les jours suivants les régiments gouvernementaux capitulent un par un : Fomento, Guayos, Cabaiguán (où le Che se fracture le coude), Placetas, Sancti Spíritus.
Ensuite la colonne de Cienfuegos va prendre Yaguajay, dans une bataille importante qui dure du 21 au 31 décembre, pendant que Guevara s’empare de Remedios et du port de Caibarién le 26 et la caserne de Camajuaní le jour suivant, où les troupes du gouvernement fuient sans combattre.
Le chemin est alors libre pour attaquer Santa Clara, quatrième ville de Cuba et ultime bastion du gouvernement avant La Havane. Batista fortifie la ville et envoie 2 000 soldats et un train blindé sous les ordres de l’officier le plus compétent à sa disposition, le colonel Joaquín Casillas. Au total, les troupes gouvernementales ont 3 200 soldats pour combattre 364 guérilleros. Le 28 décembre commence l’attaque qui a été sanglante (Santa Clara est bombardé par l’aviation de Batista) et dure trois jours dans toute la ville. Durant les combats meurt un des hommes les plus emblématiques de la huitième colonne Roberto Rodríguez, “el Vaquerito”. Guevara a établi que la cible prioritaire de la bataille est le train blindé, qui a été pris le 29 au soir.
Ce fait d’armes est une victoire décisive qui entraîne directement la chute de Batista. Apprenant la nouvelle et que ses généraux négocient une paix séparée avec les dirigeants, le dictateur prend la décision de fuir en République dominicaine quelques heures après, accompagné de sa famille, de quelques fonctionnaires, avec parmi eux le président Andrés Rivero Agüero et son frère qui était maire de La Havane.
Les forces rebelles triomphantes dans toute l’île entreprennent de fusiller les criminels de guerre après des jugements sommaires. À Santa Clara le Che donne l’ordre de fusiller entre autres le chef de la police, Cornelio Rojas. Le colonel Joaquín Casillas, qui avait été condamné en 1948 pour l’assassinat d’un syndicaliste, Jesús Menéndez, et ensuite laissé en liberté, est détenu et meurt dans des circonstances troubles. La version officielle indique que Casillas a été tué alors qu’il essayait de s’échapper, mais il est aussi possible qu’il ait été exécuté sur ordre du Che.
Le pays est alors paralysé par une grève générale demandée par Fidel Castro. Suivant ses ordres, les colonnes de Che Guevara et Camilo Cienfuegos à la tête de leurs guérilléros (dits Barbudos) se dirigent alors vers La Havane pour occuper les casernes de Columbia et la forteresse de la Cabaña les 2 et 3 janvier.
Le 2 janvier, Che Guevara est nommé par Fidel Castro commandant et “procureur suprême” de la prison de la forteresse de la Cabaña. Pendant les 5 mois à ce poste il décide des arrestations et supervise les jugements qui ne durent souvent qu’une journée et signe les exécutions de 156 à 550 personnes selon les sources. Les accusés sont pour la plupart des officiels du régime de Batista : policiers, hommes politiques ou personnes influentes accusées d’avoir contribué à la répression à laquelle le régime s’était livré notamment en 1958 juste avant sa chute, des membres du “bureau de la répression des activités communistes” qui avait recours à l’enlèvement, la torture et l’assassinat, ou des militaires accusés de crime de guerre, mais aussi des dissidents politiques. Seuls les militaires et policiers sont condamnés à mort, les civils étant conduits devant un autre tribunal.
Selon un procureur qui travaillait avec Guevara pour ces accusations, les procédures étaient illégales car “les faits étaient jugés sans aucune considération pour les principes judiciaires généraux”, “les éléments présentés par l’officier investigateur étaient considérés comme des preuves irréfutables”, “il y avait des membres de familles de victimes du régime précédent parmi les jurés” et “Che Guevara était aussi président de la cour d’appel”. À l’inverse les médias, mêmes américains, soulignent que chaque accusé a droit à une défense équitable, à un avocat et des témoins, et que les procès sont publics. Malgré tout l’aumônier de la prison affirme que des dizaines d’innocents ont été exécutés. Alors que selon une autre source, au contraire, le père franciscain chargé d’assister les fusillés aurait avoué au Che que ceux-ci confessaient des crimes plus grands encore que ceux pour lesquels ils étaient condamnés. Ces exécutions inquiètent beaucoup les démocrates à Cuba et dans le monde, et entraînent des protestations (surtout aux États-Unis). Cependant Herbert Matthews, du New York Times, rapporte qu’il ne connaît pas d’exemple d’innocent exécuté et fait remarquer que “lorsque les batistains tuaient leurs adversaires – généralement après les avoir torturés – à un rythme effrayant, il n’y avait pas eu de protestations américaines”. Fidel Castro en visite aux États-Unis demande alors une suspension des exécutions. Le Che n’est pas d’accord avec la mesure, prétextant que “le frein des conventions bourgeoises sur les droits de l’homme avait été la raison de la chute du régime d’Arbenz au Guatemala” et que “les condamnations suivaient un jugement qui permettait la défense et portait la signature des responsables, à la différence des assassinats des dictatures latino-américaines qui n’avaient soulevé aucune protestation de la part de la presse ou du gouvernement des États-Unis, alors qu’ils avaient lieu après de terribles tortures, dans l’anonymat, et souvent sans que l’on retrouve les cadavres”. Le degré d’implication de Guevara qui a mis en œuvre le quart de ces exécutions est toujours débattu.
Le 7 février 1959 le nouveau gouvernement proclame Che Guevara “citoyen cubain de naissance” en reconnaissance de son rôle dans le triomphe des forces révolutionnaires. Le 22 mai 1959 le divorce avec Hilda Gadea (avec laquelle il s’est séparé avant même son départ pour Cuba) est prononcé, ce qui lui permet de régulariser sa situation avec Aleida March, une cubaine du mouvement du 26 juillet, qu’il a rencontrée dans la province de Las Villas en 1958 et qu’il épouse le 2 juin de la même année. Fidel Castro modifie la constitution du pays pour permettre à un étranger s’étant particulièrement illustré durant la guérilla et ayant reçu le grade de Commandant de pouvoir être membre du gouvernement. Cette modification ne concerne que l’Argentin Guevara.
Le 7 octobre, Che Guevara assisté de son second Nathanael Bennoit, devient un des dirigeants de l’institut national de la réforme agraire. Il devient également président de la banque nationale de Cuba le 26 novembre. Ce dernier poste était un peu ironique, car le Che condamne l’argent et rêve de son abolition. La signature sur les billets de banque ne portera d’ailleurs que son surnom “Che”. La nomination de Guevara à ce poste par Castro alors qu’il n’a aucune formation économique est politique : le Che sera en position stratégique pour affronter les intérêts nord-américains. Sa nomination est d’ailleurs interprétée comme une provocation par le gouvernement américain qui suspend ses crédits à l’importation.
Dès cette année 1959, il aide à organiser des expéditions révolutionnaires à Panamá et en République dominicaine, expéditions qui échoueront toutes.
À cette époque renaît son goût pour les échecs. Il participe à la plupart des tournois ayant lieu à Cuba tout en promouvant ce jeu.
Il visite Tokyo en juin 1959 pour évaluer la réforme agraire radicale effectuée par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Il note à cette occasion que la réforme agraire cubaine offre plus de propriétés privées et un meilleur taux de compensation que la réforme ayant eu lieu au Japon. Malgré ces propos, Cubavoit la plupart de ses activités nationalisées, et les libertés individuelles restreintes. De nombreux démocrates et modérés sont emprisonnés, y compris des dirigeants qui avaient brillé lors de la lutte contre Batista. Les départs en exil se multiplient (chiffre qui atteindra 100 000 en 1961) et les journaux et chaînes de télé d’opposition sont censurés où repris en main par des partisans de Castro. Le régime devient de plus en plus autoritaire, en partie pour appliquer ses réformes économiques socialistes de type soviétiques, mais aussi en réaction aux pressions américaines et d’une invasion qui semble inévitable au gouvernement cubain. L’alignement économique s’accompagne donc d’un alignement politique, et Che Guevara insiste auprès des soviétiques pour plus d’aide précisant “que ce n’était pas un sujet de plaisanterie de réorienter un pays d’un bloc vers l’autre”.
En mars 1960 Guevara fait partie des premiers secours aux victimes de l’explosion de la Coubre, un navire rempli d’armes à destination du gouvernement cubain. Cette opération de secours devient encore plus dangereuse quand une deuxième explosion fait plus d’une centaine de morts. Les causes de la double explosion ne seront jamais clairement établies. Le gouvernement cubain accusera la CIA et William Alexander Morgan, un ancien rival du Che dans la lutte contre Batista et soupçonné d’être un agent américain. Les exilés cubains (anticastristes) avanceront également la théorie que le sabotage a été organisé par des opposants soviétiques à Guevara. C’est au service commémoratif des victimes que la célèbre photo d’Alberto Korda du Che sera prise.
En mai 1960 Guevara a un rôle clef en tant que président de la banque centrale dans l’escalade de la tension entre Cuba et les États-Unis. Lorsque le gouvernement américain refuse que ses compagnies nationales raffinent du pétrole soviétique, il les menace de ne pas payer la dette cubaine de pétrole et de nationaliser les raffineries. Lorsque les États-Unis refusent de céder, les menaces sont mises à exécution en juillet 1960. Les nationalisations sont immédiatement suivies d’une annulation des accords commerciaux sur les achats du sucre cubains par les États-Unis. La vision idéaliste du rôle de l’argent dans la société humaine et le rôle de redistribution des richesses qu’il assigne à la banque nationale change complètement les objectifs de celle-ci mais la mènera à la faillite.
Après avoir négocié un accord commercial avec l’Union soviétique en 1960, Che Guevara représente Cuba dans de nombreuses délégations auprès de pays du Bloc de l’Est ou du mouvement des non-alignés en Afrique et en Asie suite à l’imposition de restrictions commerciales. Ces restrictions se transforment en un embargo des États-Unis contre Cuba en 1962, qui est toujours en application en 2010.
Guevara est l’instigateur du système cubain de camps de travail forcé (appelés “camps de travail correctif”) en 1960-1961, et créé le premier de ceux-ci à Guanahacabibes afin de “rééduquer” les responsables des entreprises publiques qui étaient coupables de diverses entorses à “l’éthique révolutionnaire”.
Guevara devient le 23 février 1961 ministre de l’Industrie, et s’attelle à transformer l’économie capitaliste agraire de Cuba en économie socialiste industrielle de type soviétique. Il est l’un des participants actifs aux nombreuses réformes économiques et sociales mises en place par le gouvernement. Le Che devient alors célèbre dans le monde pour ses attaques enflammées contre la politique étrangère des États-Unis en Afrique, en Asie (guerre du Viêt Nam), mais surtout en Amérique latine, tandis qu’il développe avec Régis Debray la théorie du foco, mettant l’accent sur la guérilla rurale.
Pendant cette période, il définit la politique cubaine et sa propre opinion dans de nombreux discours, articles, lettres et essais. Dans La Guerre de guérilla (1961), il promeut la réédition dans d’autres pays de la révolution cubaine, préconisant de commencer la rébellion par de petits groupes (foco) de guérillas rurales, sans avoir besoin de créer auparavant des organisations de masse (conformément, notamment, à la stratégie trotskyste), pour créer les conditions d’une révolution. Il pense en effet qu’un petit groupe d’hommes peut, en entamant la lutte armée contre un gouvernement non élu, générer par lui-même un sentiment révolutionnaire dans la population, permettant ainsi de passer progressivement de la guérilla à la guerre révolutionnaire de masse. Cependant ce modèle de “révolution à la cubaine” en Bolivie, avec l’Armée de libération nationale (ELN) et ailleurs sera un échec à cause, selon certains, de son manque de soutien populaire.
Dès 1964, une guérilla guévariste a été initiée à Salta, en Argentine; mais en juillet 1964, le Che est informé du démantèlement de l’Ejército Guerrillero del Pueblo (ERP), tous ses membres, sauf deux ou trois, ayant été capturés, vifs ou morts. D’aucuns affirment que la stratégie foquiste avait fonctionné à Cubaparce que la population voulait se débarrasser de Batista et parce que les fondations d’une révolution avaient déjà été jetées par d’autres tel que Frank País (assassiné en 1957). Bien des années plus tard, d’ex-guérilleros Tupamaros, tel Jorge Torres, attaqueront durement le mythe de la Révolution cubainetransmis par le Che, qui faisait l’impasse sur les opérations réelles de guérilla urbaine qui ont eu lieu à Cuba (par exemple autour du leader Frank País), et sans lesquelles la Révolution n’aurait pas été possible. Selon le guérillero argentin des Montoneros, Pablo Giussani, ce mythe aurait ainsi causé des milliers de morts en Amérique latine, poussant de nombreux militants à s’engager dans une guérilla rurale sans s’impliquer davantage dans les villes.
Son essai Le Socialisme et l’homme à Cuba (1965) avance le besoin d’un “homme nouveau” (hombre nuevo) en conjonction avec “l’Etat socialiste” : la transformation des rapports sociaux de production, ou de l’économie, doit être accompagnée d’une révolution personnelle et éthique. L’apport de l’activité individuelle à la société, en plus de son activité rémunérée, se transforme en une valeur exemplaire, source de solidarité. Pour le Che, la société communiste idéale n’est pas possible sans que le peuple n’évolue en cet “homme nouveau”. L’État socialiste n’est selon lui qu’une première phase nécessaire destinée à être dépassée par une société d’égaux sans gouvernements ni États (ce qui est, sur ce point, tout à fait conforme avec la vision orthodoxe du marxisme sur la fin de l’histoire). Toute société qui fonctionne uniquement sur la récompense matérielle, que ce soit une économie socialiste soviétique ou capitaliste serait ainsi vouée à l’échec.
En tant que ministre, Che Guevara s’emploie à démontrer par ses actes exemplaires ce que doit être cet “homme nouveau”. Il passe régulièrement ses week-ends et soirées au travail volontaire, que ce soit dans les usines de textiles, sur les ports ou à la récolte de la canne à sucre, afin de garder un contact direct entre le peuple et ses dirigeants.
Il a cependant été confronté à de nombreuses difficultés dans ses tâches de réforme. L’économie cubaine est souvent archaïque et décousue, peu encline à une rationalisation des moyens de production. Guevara fait de la lutte contre la bureaucratie naissante une de ses priorités. Par ailleurs, le matériel envoyé par le bloc soviétique est souvent de mauvaise qualité ou obsolète. C’est à ce moment que Guevara commence à perdre la foi envers le modèle soviétique et stalinien qui l’animait depuis le Guatemala, pour développer sa propre vision du communisme.
Che Guevara a aussi été connu pour son austérité personnelle, ses habitudes simples, bien que vivant dans les quartiers privés de la capitale. Il déteste tout favoritisme lié au rang (comme c’était déjà le cas lors de la guérilla). Il refuse ainsi une augmentation de salaire lorsqu’il est nommé ministre, préférant garder sa paye de “commandante” de l’armée. Cette austérité se manifeste aussi par un mépris des richesses démontré à de nombreuses reprises. Ainsi, lors d’un dîner avec des responsables politiques en URSS, le repas étant servi dans de la porcelaine de valeur, le Che demande sarcastiquement à ses hôtes: “Est-ce de cette façon que vit le prolétariat en Russie ?” Certains le perçoivent ainsi comme le modèle à la fois austère et “glamour” de l’“homme nouveau”.
Il ne participe pas à la défense de Cuba lors du débarquement de la baie des Cochons en avril 1961. Il est alors placé à la défense d’une autre partie de l’île et blessé accidentellement par sa propre arme. Il se rend en Uruguay en août 1961. Le professeur Arbelio Ramírez est alors tué, le 17 août 1961, par un groupe d’extrême droite lié à la CIA, victime d’une balle destinée au Che.
Suite à l’embargo américain, annoncé en février 1962 après la nationalisation des entreprises américaines, et à l’entrée de Cuba dans le COMECON, l’industrialisation massive est abandonnée. L’île reste un fournisseur agricole, mais cette fois-ci pour le bloc de l’Est.
Guevara joue un rôle clef dans la crise des missiles de Cuba (octobre 1962) en négociant à Moscou avec Raúl Castro auprès des Russes l’implantation de missiles balistiques nucléaires sur l’île. Che Guevara pense alors que l’installation de missiles soviétiques peut protéger Cuba de toute attaque militaire américaine. Dans une interview au journal britannique le Daily Workerquelques semaines après la fin de la crise, il déclarera tout en fulminant contre le recul soviétique, à moitié en plaisantant, que si les missiles avaient été sous contrôle cubain, ils les auraient utilisés.
En décembre 1964 Che Guevara voyage à New York comme chef de la délégation cubaine à l’ONU où il prononce le 11 décembre un discours à l’assemblée générale contre la politique étrangère américaine, participe à une émission télé et rencontre des personnalités aussi différentes que le sénateur Eugene McCarthy, des compagnons de Malcolm X ou les Rockefeller. Le 17 décembre, il commence une tournée internationale de 3 mois au cours de laquelle il visite la Chine, l’Égypte, l’Algérie, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Bénin, la République du Congo et la Tanzanie, avec des étapes en Irlande, Pariset Prague. À Pyongyang, il déclare que la Corée du Nord est un “modèle dont Cuba devrait s’inspirer”. À Alger, le 24 février, il fait son dernier discours sur le devant de la scène internationale où il déclare : “Il n’y a pas de frontières dans cette lutte à mort. Nous ne pouvons pas rester indifférents face à ce qui se passe dans n’importe quelle partie du monde. La victoire de n’importe quel pays contre l’impérialisme est notre victoire, tout comme la défaite de quelque pays que ce soit est notre défaite”.
Il étonne alors son audience en proclamant “Les pays socialistes ont le devoir moral d’arrêter leur complicité tacite avec les pays de l’ouest exploiteurs”.
Deux semaines après son retour à Cuba où il est accueilli par Fidel et Raul Castro, il disparaît littéralement de la vie publique. Son activité en 1965 est un grand mystère étant donné qu’il est à l’époque considéré comme le numéro deux du gouvernement.
Les causes de sa disparition sont toujours controversées et peuvent être attribuées à diverses raisons :
» échec de l’industrialisation ;
» la pression des Soviétiques et d’une partie des responsables cubains sur Castro. En effet, ceux-ci désapprouvaient l’alignement économique et idéologique pro-chinois du Che, surtout à une époque où se creusait le conflit sino-soviétique et où l’économie cubaine dépendait de plus en plus de l’Union soviétique. Guevara était considéré par beaucoup comme un avocat de la stratégie maoïste en Amérique du Sud. Ses détracteurs comparaient son plan d’industrialisation au Grand Bond en avant chinois ;
» d’autres suggèrent que Castro avait pris ombrage de la popularité de Guevara et commençait à le considérer comme une menace. Ils trouvent suspectes ses explications sur sa disparition et sont surpris que le Che n’ait jamais fait une annonce publique de ses intentions.
Après la crise des missiles cubains et ce qu’il a pris comme une trahison de Khrouchtchev qui a donné son accord au retrait des missiles sans consulter Castro, Che Guevara est devenu sceptique quant au rôle de l’URSS. Comme révélé dans son dernier discours à Alger, il en est venu à la conclusion que l’hémisphère nord, mené par les États-Unis dans l’ouest et l’URSS dans l’est, exploite l’hémisphère Sud. Il soutient le Viêt Nam du Nord dans la guerre du Viêt Nam et encourage les peuples des autres pays en voie de développement à prendre les armes et à créer “de nombreux Viêt Nam”. Cependant, aussi bien Guevara que Castro sont partisans d’un “front anti-impérialiste uni” et tentent à plusieurs reprises de réconcilier l’Union Soviétique et la Chine.
Pressé par la spéculation internationale et les rumeurs quant au destin du Che, Fidel Castro déclare le 16 juin 1965 que le peuple sera informé à propos du Che quand lui-même l’aura décidé. Le 3 octobre, Castro dévoile une lettre non datée, écrite par Guevara à son attention, dans laquelle il réaffirme sa solidarité avec la révolution cubaine mais déclare son intention de partir combattre à l’étranger pour la révolution. Il annonce également sa démission de tous ses postes au gouvernement, au parti et dans l’armée. Il renonce aussi à la citoyenneté cubainequi lui a été donnée. Castro révèlera peu après qu’il savait où Guevara était mais qu’il ne le dirait pas, ajoutant que son ancien compagnon d’armes était en bonne santé.
Malgré les assurances de Castro, la destinée de Che Guevara reste un mystère et un secret bien gardé pour les deux années à venir.
Pendant leur réunion durant la nuit du 14 au 15 mars 1965, Guevara et Castro se sont mis d’accord pour que le Che mène personnellement la première action militaire cubaine en Afrique subsaharienne. Des sources mentionnent que Guevara aurait convaincu Castro à le soutenir dans son effort tandis que d’autres sources maintiennent que c’est Castro qui aurait convaincu Guevara d’entreprendre cette mission, argumentant que les pays d’Amérique latine visés n’étaient pas encore dans les conditions voulues pour y établir des focos(“foyers”) de guérilla. Castro lui-même affirmera que la dernière version était la bonne.
D’après Ahmed Ben Bella, qui était président d’Algérie à l’époque et avait beaucoup discuté avec Guevara, “La situation en Afrique semblait avoir un énorme potentiel révolutionnaire, ce qui amena le Che à la conclusion que l’Afrique était le maillon faible de l’impérialisme. C’est à l’Afrique qu’il décida de dédier ses efforts”.
L’opération cubaine est planifiée pour aider le mouvement marxiste Simba pro-Patrice Lumumba (dont l’assassinat en 1961 avait indigné Guevara) au Congo-Kinshasa (ancien Congo belge, futur Zaïre et actuelle République démocratique du Congo). Guevara, son second Victor Dreke et 12 Cubains arrivent à Baraka-Fizi au Congo le 24 avril 1965. Un contingent d’environ 100 Afro–Cubains les rejoint peu après. L’arrivée du Che est tenue secrète même pour les membres de la guérilla congolaise.
Ils collaborent un moment avec le dirigeant Laurent-Désiré Kabila, avec qui ils organisent le maquis d’Hewa Bora, d’Ébamba et de Wimbi. Kabila aide alors les partisans de Lumumba à mener une révolte qui est éliminée en novembre de la même année par l’armée congolaise. Guevara considère bientôt Kabila comme insignifiant et écrit : “Rien ne m’amène à penser qu’il soit l’homme providentiel”.
Bien que le Che ait 37 ans et aucune formation militaire classique (il avait été réformé du service militaire argentin à cause de son asthme, chose dont il était fier à cause de son opposition au gouvernement Perón), il a déjà fait l’expérience de la guérilla cubaine et de sa marche décisive sur Santa Clara. Des mercenaires sud-africains tels que Mike Hoare et des exilés cubains opposés au régime castriste travaillent avec l’armée régulière congolaise pour lutter contre Guevara. Ils réussissent à intercepter ses communications, tendent des embuscades contre les rebelles à chaque fois qu’ils tentent une attaque et coupent ses lignes d’approvisionnement. Bien que Guevara tente de dissimuler sa présence au Congo, le gouvernement US est informé de sa localisation et de ses activités. En effet, le National Security Agency (NSA) intercepte toutes ses transmissions grâce à l’équipement du USNS Valdez, un navire d’écoute de l’océan indien.
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