L'anarchisme en Amérique latine

Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 01 Déc 2012, 17:20

Dans ce vaste territoire dont le qualificatif « latinoamericano » est sans doute dû à la plume de l’utopiste chilien Francisco BILBAO BARQUÍN (Iniciativa de América : idea de un Congreso Federal de las Repúblicas – 1856)[1], les idées et les expérimentations ou colonies sont multiples, mais la plupart semblent de nature religieuse ou sectaire. Ainsi dès l’origine de la colonisation européenne apparaissent des idées plus ou moins généreuses de regroupements communautaires, comme les « Hospitales » de Vasco de QUIROGA (1471-1565) au Mexique (Michoacán – par exemple le « pueblo-hospital de Santa Fe de la Laguna”) ou les « Misiones de la Vera Paz » de Bartolomé de LAS CASAS (1484-1566), voire les « Reducciones » des Jésuites en Amérique du Sud (pour les Guaraní du Paraguay surtout – XVII-XVIII° siècles). Le pire apparaît parfois dans les projets de « travaux forcés » d’un Joan Lluis VIVES (1492-1540) exprimés dans son De subventione pauperum qui eut un certain écho en Amérique[2].
« Nuestra América » comme le rappellent bien des penseurs d’Amérique latine, est à la fois moyen de condamner par comparaison les mauvaises conditions de la vieille Europe, de réhabiliter l’utopie pour les conquérants européens, et de s’emparer d’autres sources pour de nouvelles utopies et expérimentations. Dès la Renaissance : « le sol de Notre Amérique… une terre qui débute comme utopie ‘’pour d’autres’’, et d’où surgit des utopies ‘’pour nous-mêmes’’ » écrit Arturo Andrés ROIG[3]. Dès le début du XVI° siècle, Amerigo VESPUCCI (Améric VESPUCE 1454-1512), en s’adressant aux MÉDICIS, fonde l’Amérique nouvelle comme terre quasiment libertaire, puisque pour lui les habitants de ce nouveau monde «n’ont ni roi ni seigneur, et n’obéissent à personne ; ils vivent en totale liberté».
Les grands personnages de l’histoire latino-américaine vont accentuer ces traits. En fin du XVIII et au début du XIX° siècle, Simón BOLIVAR (Simón José Antonio de la Santísima Trinidad BOLÍVAR y PALACIOS 1783-1830) serait lié au couple mixte Mariano TRISTÁN y MOSCOSO (péruvien) et Thérèse LAISNÉ (française) dont la fille Flora TRISTÁN (1803-1844) va devenir célèbre dans le monde du socialisme utopique. Un autre de ses amis, le général brésilien José Ignacio ABREU Y LIMA (1794-1869) est aussi lié aux penseurs sociaux, dont il fut un des premiers analystes pour le continent américain (Cf. notamment A Cartilha do Povo en 1849 et O Socialismo en 1855). Enfin le « maître » de BOLIVAR, Simón RODRÍGUEZ (1769-1853), semble lui aussi avoir été très au fait des premiers exposés socialistes : il aurait créé une des premières sociétés de secours mutuel en Équateur à Ibarra. Les liaisons sont donc multiples.
Ce monde pensé de manière idyllique confirme ainsi les espoirs et incitent à les réaliser[4]. Les tentatives vont se multiplier. Pour le XIXème siècle, Pierre-Luc ABRAMSON recense une douzaine de vraies communautés « sociales », dont la plus célèbre pour l’anarchisme est la Cecilia au Brésil (analysée de manière détaillée dans un autre chapitre). Les autres, hormis des liens avec le socialisme utopique, ont peu à voir avec l’utopie fouriériste, libertaire ou anarchiste.
Il est cependant possible de noter quelques traces fouriéristes ou libertaires dans les essais suivants, présentés de manière chronologique :
Les tentatives fouriéristes du coopérativiste lyonnais Michel-Marie DERRION (1803-1850) et de son compagnon, le docteur Benoît-Jules MURE (1809-1858) ne présentent pratiquement pas d’aspect libertaire. Les deux « phalanstères » établis dans la région de Santa Catarina dans le Brésil méridional dès 1841 (Falansterio de Oliveira, et Falansterio del Palmitar ou Unión Industrial del Sahy) ont une vie brève (environ 3 ans pour le premier, et environ 6 ans pour le second) et malgré quelques idéaux en faveur de la liberté et quelques rares velléités de démocratie directe, sont très éloignés des idéaux anarchistes. L’ouvrage de Louise BACHELET évoque les phalanstères brésiliens en 1842[5].
Dès deux phalanstères au Mexique en 1850, rien ne permet d’indiquer qu’ils sont marqués par l’idéologie libertaire : il s’agit de la Sociedad comunista menée par Juan de la ROSA BRAVO dans l’État de Veracruz à Tesechoacán, et du Falansterio El Esfuerzo de José María CHAVÉZ à Aguascalientes. Le terme de phalanstère est cependant notable.
Vers 1850 au Chili est cité l’existence d’un Falansterio à Chillán, petite cité du sud.
En 1853, au Pérou, la Colonia Los Buenos Amigos estt présentée par Charles GIDE comme « socialiste ou anarchiste »[6], ce qui reste bien vague.
Entre 1855 et 1857, le futur géographe anarchiste Élisée RECLUS (1830-1905) tente de réaliser une communauté agraire (fruits, café…) en Nouvelle Grenade (actuelle Colombie). Bien qu’il ait affirmée une éthique anarchiste dans un manuscrit de 1851, il n’est pas encore militant anarchiste. Son projet est donc un peu ambigu, mêlant pensée saint-simonienne[7], idées de colonisation de peuplement et intégration rêvée des autochtones.
En 1857 le français et ancien « quarante-huitard » Alexis PEYRET (1826-1902) lance la Colonia San José sur les terres du général DE URQUIZA (province Entre Rios, vers Montevideo et Buenos Aires, en Argentine). Elle aurait de légères caractéristiques proches du mutuellisme proudhonien lors de son lancement.
Vers 1865 Plotino RHODAKANATY (né vers 1828) – introducteur du fouriérisme et du proudhonisme au Mexique, fonde l’école de Chalco, la Escuela de la razón y del socialismo. C’est la première vraie communauté utopique explicitement libertaire (Cf. mon analyse détaillée dans le chapitre sur les mouvement utopiques mexicains).
En Argentine à Buenos Aires, quelques compagnons autour du belge Gérard GERMBOU tentent une colonie vers 1884-1885.
De 1886 à 1894, Albert Kimsey OWEN (1848-vers 1916) fonde à Topolobampo dans le Sinaloa (Mexique) la « Métropole socialiste d’Occident » qu’il présente comme « une colonie modèle industrielle et agricole ». S’il a su attirer l’attention de l’historien anarchiste autrichien Max NETTLAU qui est un des premiers à s’y intéresser, et s’il obtient l’appui des anarchistes francophones de La Révolte, sa communauté n’a en fait rien à voir avec l’anarchisme. C’est au contraire un mélange de saint-simonisme, de capitalisme, de colonisation de peuplement (près d’un millier de colons) avec quelques références socialistes. OWEN ne devait donc pas déranger le capitalisme et l’autocratie mexicaine puisqu’en 1881 il obtient une concession de 99 ans pour établir ville et liaisons ferroviaires[8]. On peut cependant trouver dans ses projets une forme de néo-fouriérisme, notamment avec l’appui de la romancière Marie HOWLAND (célèbre pour son roman Papa’s own girl de 1874). Marie est responsable des aspects éducatifs dans la communauté, mais les projets ne sont pas menés à terme. L’ouvrage d’OWEN Integral Co-operation : its practical application, de 1885, doit sans doute beaucoup à la romancière et donc à FOURIER (travail attrayant, émancipation féminine…)[9]. Des proximités fortes sont notables entre l’essai d’OWEN et de grandes œuvres libertaires, comme avec l’utopie morrisienne de News from Nowhere. Sa renommée doit être à l’époque suffisamment grande pour qu’Ebenezer HOWARD (1850-1928) critique l’expérimentation, la jugeant trop collectiviste, alors que son projet de cité-jardin mise autant sur collectivisme que sur individualisme[10]. De même l’œuvre utopique de l’anarchiste franco-argentin Pierre QUIROULE (de son vrai nom Alexandre FALCONNET) La ciudad anarquista americana de 1914 s’inspire largement des écrits d’OWEN (qui n’a aucun lien avec le socialiste utopique britannique de même nom)[11].
Au Brésil, une première tentative communautaire purement anarchiste est fondée par des italiens dans l’État de São Paulo : la Comunità di Ceramisti[12]. Ouverte sur le voisinage, elle offre son savoir faire, sa culture, ses formations… et semble bien intégrée.
En 1888, la Colonia Cecilia au Brésil est la plus célèbre manifestation utopique anarchiste, d’autant qu’une des cellules de cette communauté s’est appelée vers 1893 Anarchia. Elle est sans doute la plus connue et la plus analysée. Elle nécessite donc une étude spécifique (Cf. chapitre ultérieur).
Toujours dans les années 1880, une tentative de Communauté anarchiste est menée au Brésil, avec le belge Jules MOINEAU, qui impliqué pour terrorisme en 1892, devient connu avec sa belle défense au procès de Liège[13].
Encore au Brésil en 1888, la colonie Cosmos de Guararema (province de São Paulo, entre Mojidas Cruzes et Jacarei) fondée par l’italien Arturo CAMPAGNOLI ou CAMPAGNOLLI (mort vers 1944 à São Paulo) dans une vieille fazenda, est nettement influencée par les libertaires[14]. Elle compte des anarchistes italiens principalement, mais également des russes, français et espagnols. Le frère d’Arturo, Luciano, clandestin, semble être passé dans cette communauté qui dure jusque dans les années 1930. Luciano est noté comme un des journalistes de Lucha obrera de São Paulo vers 1908. Arturo semble être un hôte irrégulier de Cosmos puisqu’on le retrouverait au Royaume Uni animant La Sciopero generale – La Grève générale (London: n°1, 18 mars à n°3, 2 juin 1902) dont les rédacteurs étaient Carlo FRIGERIO et Silvio CORIO. Mais il revient toujours, et tient un rôle entre enseignant et guérisseur, notamment pour les voisins et les indigènes démunis qui entourent la colonie[15]. Entre 1928 et 1933 séjourne à Guararema la féministe anarchiste María LACERDA DE MOURA (1887-1945), ce qui tend à prouver que la communauté dure longtemps. Elle s’achèverait avec la dictature de Getúlio VARGAS (Estado Novo 1937-1945).
Pour rester au Brésil dans la même période (?), il faudrait noter l’existence d’autres tentatives peu identifiées comme celle de Santa Catarina (surtout menée par des Américains du Nord)[16].
Dans la Nueva Australia et dans son appendice, la Colonia Cosme, lancées par William LANE (1861-1917) au Paraguay dès 1893-1896, quelques participants issus du mouvement ouvrier australien ont été influencés par l’anarchisme. Quelques pratiques et propositions peuvent apparaître libertaires, mais l’autocratie de LANE et les conflits internes enlèvent toute substance anarchisante à ces expériences, pourtant souvent citées dans la presse anarchiste de l’époque, et même parfois soutenues. Il s’agirait plutôt d’une tentative coopérative.
Au Paraguay en fin du XIX° siècle, le père anarchisant de Jorge Luis BORGES, Jorge Guillermo BORGES (1874-1938), et son ami plus ou moins libertaire Macedonio FERNÁNDEZ (1874-1952) «auraient tenté de fonder une commune libertaire dans une île paraguayenne»[17]. Ils auraient l’appui de José INGENIEROS (1877-1925) et de l’utopiste Julio MOLINA Y VEDIA (1874-1973).
En Argentine, une tentative du Grupo Colonizator Tierra y Libertad de Buenos Aires et de Rosario est connue en 1902. Le groupe aurait acquis 500 ha pour une « colonie agro-industrielle ». Il fait suite à un essai infructueux vers Santa Fe (San Juan) de 1901.
En Argentine, « au début du XX° siècle » ( ?), des « colonies » libertaires, souvent liées au mouvement anarchiste juif, apparaissent dans différentes régions : Mauricio dans la province de Buenos Aires, Narcisse Leven dans la Pampa, Moises-Ville à Entre-Rios et Charata dans le Chaco[18]. Ces colonies sont sans doute assez tardives et certaines ont une longue vie.
La famille KREICHMAR qui arrive en Argentine en 1909 depuis la Bessarabie, s’installe dans la Narcisse Leven connue pour sa bibliothèque ouverte en 1915 et pour ses livres souvent issus du Fonds éditorial KROPOTKINE de New York.
La Charata ouvre également une bibliothèque en 1930 qui porte le nom de l’anarchiste déporté en 1910 Léon JAZANOVICH.
Au Chili la « Colonia comunista » surgit en 1903 dans les environs du Cerro San Cristóbal de la capitale Santiago (Calle Pío Nono)[19]. Elle compte plusieurs dizaines de membres, dont des noms célèbres de l’anarchisme chilien, souvent liés au mouvement ouvrier (Alejandro ESCOBAR CARVALLO ou Vicente SAAVEDRA) et quelques étrangers dont les français Achille (Aquiles) LEMIRE, Francis (Francisco) ROBERTS et Alphonse (Alfonso) RENOIR ou RENAU. Des jeunes artistes s’y intègrent. La composition repose donc principalement sur « artisans, intellectuels et poètes »[20]. La vie communautaire, proche de la nature, souvent végétarienne, anti-alcool et anti-tabac, développe de multiples activités culturelles et édite La Protesta Humana dirigée par ESCOBAR. Le journal paraît grâce à l’étonnant soutien de nombreuses personnes aisées qui n’ont rien à voir avec l’anarchisme. Le naturisme y est pratiqué, mais au sens de proximité avec la nature et avec une nourriture saine. La vie est austère mais non spartiate reconnaît à plus de 40 ans de distance Benito REBOLLEDO un de ses membres[21]. Cette colonie chilienne, et celles qui suivent, auraient été assez libérées et post-fouriéristes sur le plan de l’amour libre à tous les sens du terme, d’après les souvenirs de l’écrivain Fernando SANTIVÁN[22]. Dans une grande maison (louée en commun) chacun dispose d’un lieu personnel pour vivre à sa guise, à côté de pièces collectives, notamment pour la cuisine. Les familles sont nombreuses et donc assez indépendantes. L’unité est surtout morale et idéologique, beaucoup des membres étant animés d’un amour quasi mystique de l’humanité ironise REBOLLEDO.
En 1905 au Chili, une Colonie communiste anarchiste et naturiste tente sa chance vers San Felipe ; on ignore sa composition et elle n’est pas citée par Sergio GREZ TOSO ; est-ce la même que la précédente ?
Toujours au Chili, depuis 1903 jusqu’en 1908, on estime à 25 le nombre de « colonies tolstoïennes »[23]. En 1905 existe la « Colonia tolstoyana – Colonie tolstoïenne » autour de San Bernardo, grâce à l’aide du maire (alcade). Elle est peu ouverte sur l’extérieur, malgré les efforts du « tolstoïen » Fernando SANTIVÁN pseudonyme de Fernando SANTIBÁÑEZ PUGA (1886-1973)[24]. Elle ne regrouperait que des écrivains (comme Augusto D’HALMAR 1882-1950) des artistes (comme le peintre Julio ORTIZ DE ZÁRATE 1885-1943) et bohèmes, rapidement assez éloignés de l’enseignement de l’anarchiste chrétien russe. Il semble cependant que quelques membres font réellement vœux d’ascétisme, voire de chasteté, comme Mario LATORRE. Elle accueille quelques anciens prestigieux de la Colonia comunista (ESCOBAR, LEMIRE) et héberge quelques artistes connus[25]. Le traducteur de MARX et de KROPOTKINE, Pedro GODOY PÉREZ semble y avoir également séjourné[26]. Selon certains auteurs, il s’agit en fait de la poursuite de cette première colonie[27]. La communauté tente une vie organisationnelle libertaire, avec rotation des tâches et des responsabilités (« administración rotativa de la sociedad »). Son économie permettrait de « développer une forme d’autogestion » et de communisme libertaire pour production et consommation.
La colonie tolstoïenne du Chili se poursuivrait, d’après Sergio PEREIRA, sous la forme d’une communauté urbaine connue sous le nom de « Los Diez »[28] ? La participation de l’ancien maire Manuel MAGALLANES MOURE de San Bernardo semble acquise, puisque visiblement c’est sa maison qui abrite la communauté. L’intellectuel Augusto GOEMINNE THOMSON, plus connu sous le pseudonyme (tiré d’IBSEN) Augusto D’HALMAR, apparaît central. Une vision artistique et d’amour mystique semble dominer le groupe, accompagnée de quelques rituels pseudo-religieux. D’HALMAR appelle d’ailleurs ses amis des « frères ».
Dès les premières années du XX° siècle, le Brésil voit surgir la Colonia d’Erebango (État de Rio Grande do Sul). Elle semble surtout animée par des ukrainiens. En contacts avec des russes, ils diffusent de nombreux textes anarchistes, dont ceux de MAKHNO ce qui tendrait à prouver que la colonie se poursuit dans les années 1920. Elle développe de multiples initiatives associatives, souvent russo-ukrainiennes : Fédération, syndicats, associations, et touche de multiples localités : «Floresta, Erexim, Guarani, Campinas et Santo Ângelo».
Le Chili s’illustre encore par une Colonia libertaria – colonie libertaire organisée par de jeunes militants dans la région de La Frontera, vraisemblablement dans la même période, autour de 1905. Qualifiée de « marginale »[29] elle a sans doute eu peu d’impact.
Brésil, 1908, la colonie de Visconde de Mauá, dite Núcleo de Mauá (Serra de Mantiqueira – État de São Paulo) regroupe des suisses, allemands, autrichiens, portugais et espagnols… Certains d’entre eux semblent liés à l’anarchisme insurrectionnel comme les suisses Kister ADOLPHO et RICHTER, inquiétés lors d’une révolte en 1909[30]. Elle se prolonge peut être jusqu’en 1916[31].
Brésil. Vers 1910 l’anarchiste français Paul Marcel BERTHELOT (1881-1910) tenterait la création d’une communauté libertaire dans la région amazonienne. Il est surtout connu pour son engagement espérantiste, et a contribué à la rédaction d’un dictionnaire français espérantiste en 1907. Son œuvre de 1912 L’évangile des heures publié aux Temps Nouveaux (organe anarchiste), serait de tonalité utopique[32].
À Cuba vers 1910 ( ?), des libertaires, influencés autant par les idées de RECLUS et de KROPOTKINE que par celle d’OWEN, achètent un terrain de plus de 100 ha vers Guantánamo. L’animateur principal est l’anarchiste CAMPOS. La Colonie de Monte Rus devient une sorte d’expérimentation sociale, à portée utopique, car visant à devenir un exemple à suivre pour propager la révolution. D’après l’anarchiste allemand Augustin SOUCHY (1892-1984) qui l’a visitée, elle serait encore en activité en 1948, en liens avec le MLC – Mouvement Libertaire Cubain (2° Congrès du 01-23/02/1948). Mais les départs et la distribution individuelle des terres la vide de son contenu initial.
En Argentine, après 1912 (date de l’arrivée de l’anarchiste juif ukrainien Higinio CHALCOFF qui en est un des fondateurs) s’établit une « colonie communautaire » sur Paranecito (île du Paraña). Il semble qu’elle dure en fait de 1926 à 1948[33]. Elle est liée à l’ARJ – Asociación Racionalista Judía[34]. Sur une dizaine d’ha, une douzaine de militants montent une coopérative agraire : jardin, vergers, peupleraie. Les revenus proviennent de la vente de quelques productions sur les marchés de Buenos Aires (cornichons…) et du travail en ville que conservent certains associés. Pendant la dictature d’URUBURU dans les années 1930, l’île servit aussi de refuge.
En 1913, une colonie anarcho-communiste près du fleuve Paraguay échoue très rapidement.
Au Costa Rica en 1920, est fondée une étonnante « colonie individualiste » dans une zone superbe mais hostile au pied de la montagne Cangreja, sur la route entre Santiago de Puriscal et la côte (Parrita) : la communauté de Mastatal, dont le nom provient d’un arbre à latex. Nous avons désormais la chance de disposer d’un superbe ouvrage de Malcolm MENZIES qui lui est consacrée[35]. Parmi ses fondateurs on trouve surtout l’étonnant français réfractaire Charles SIMONEAU (né en 1883), qui se fait appeler le plus souvent Pedro PRAT ou PRATT. Il est accompagné de Renée BAILLARD dite Luisa PRAT avec qui il s’est liée dans son exil étatsunien après 1915. Très vite cependant la colonie initiale laisse la place à un regroupement de fincas (propriétés agricoles) autonomes, dirigées par de farouches individualistes qui tous préfèrent l’isolement, mais qui affirment pourtant pratiquer l’appui mutuel. La majorité de ceux qui y séjournent souvent pour de courtes périodes sont européens, et notamment français comme Charles et Louise. L’anarchiste Jacques DUBOIS, et son ami CLARIN et leurs deux compagnes, y séjournent 14 mois vers 1923. René FONTANIEU n’y fait qu’une courte halte, avant d’aller rendre service à la prestigieuse communauté étatsunienne du lac Mohegan. L’individualiste, oculiste et journaliste Raoul Léon Alphonse ODIN (né en 1874) arrive en 1926-1927 après avoir décrit son voyage dans Le Semeur, journal individualiste français. Il est intéressant de noter que la communauté, est soutenue un temps par Miguel PALOMARES (liée à la belge Léontine VAN DRIEU) qui publie un El sembrado – Le Semeur (du Costa Rica) de 1925 à 1929. ODIN entraîne d’autres individualistes de la même eau, Marius THEUREAU et sa compagne, et l’écrivain Georges VIDAL (né en 1903). L’illégaliste, évadé de Guyane, Louis Armand RODRIGUEZ (1878-1969 – utilisant au Costa Rica le pseudonyme de LEDUC) fait la promotion de Mastatal dès 1932, après en avoir discuté avec E. ARMAND (Ernest-Lucien JUIN 1872-1962), d’où l’idée de « colonie l’en dehors » (L’En-dehors et un journal individualiste libertaire et une maison d’édition). Il arrive à convaincre l’italo-suisse René BACCAGLIO (né en 1907). Le russe tolstoïen Nicolaï SCHEIERMAN (né en 1869) rêve de construire à Mastatal comme dans ses essais antérieurs une « Famille Humaine »[36] ; il y séjourne 2 ans vers 1935-1936. Le secteur de Mastatal est donc surtout un lieu de passages, de fixations éphémères, souvent très éphémères. Peut être une cinquantaine de personnes concernées[37]. Mais Mastatal reste en contact avec l’anarchisme international, notamment avec E. ARMAND, qui en parle parfois dans ses périodiques. Mais ils n’ont guère de contacts autochtones, sauf avec l’intellectuel et pharmacien Elias JIMENEZ ROJAS (1885-1945) qui apparaît comme philo-anarchiste, et avec quelques métis ou amérindiens du voisinage. Jamais apparemment ils ne se mêlèrent aux combats des libertaires ou autres socialistes du Costa Rica. D’autre part, ce qui est terrible pour des libertaires, c’est qu’ils manifestent parfois condescendance et racisme indirect vis-à-vis des indigènes ou des métis. Le nom de Granja Far Away ou Far Away Farm qui est parfois présentée comme une colonie « individualiste-associationniste », est en fait le nom que Charles et Louise donnent à leur propre finca lorsqu’ils reviennent à Mastatal en 1926. La communauté – si on peut appeler ainsi une juxtaposition de fincas peu liées entre elles – semble vivoter jusque dans les années 1940. Un des actes ultimes est la vente de Far Away Farm par les PRAT en 1948.
La Gloria Community de Cuba semble également liée à l’anarchisme individualiste en 1924.
Plus tardivement (années 1920 ?), en Argentine, une « colonie agraire » dans le Gran Chaco est parfois signalée.
À Saint Domingue vers 1929, après un passage par Haïti, se fixe le docteur anarchiste allemand Heinrich GOLDBERG (Cf. son pseudonyme Filareto KAVERNIDO 1880-1933). Il s’installe à Arroyo Frio, près de Moca, et tente de poursuivre les expériences communautaires, d’amour libre (entre FOURIER, STIRNER, NIETZSCHE et E. ARMAND) et de pratiques autogestionnaires, qu’il avait déjà effectuées en Allemagne et en France (Alpes et Corse). Il dérange visiblement et est assassiné par des pistoleros le 16 mai 1933. On connaît ses périples par les articles qu’il envoie en France à l’En-dehors.
Au Brésil vers 1932 existe la Colonia Varpa (ou Vapa ?), communiste-anarchiste, fixée à Assis dans l’État de São Paulo et dont les animateurs sont surtout des anarchistes immigrés d’origine balte (sans doute des Lettons).
En Uruguay dans les années 1930-1940 existent des communautés plus ou moins coopératives. À Carmelo, la Cooperativa Agrícola Industrial est fondée autour d’une boulangerie (appelée Esfuerzo) par des JJLL (Jeunesses libertaires) comme Luis Alberto GALLEGOS dit Beto (né en 1921), et quelques militants plus anciens comme LÓPEZ LOMBARDERO dit LOMBA. Un petit terrain est ensemencé d’avoine et s’y trouvent quelques animaux[38].
Dans le Brésil de la dictature de Getúlio VARGAS, en fin des années 1930, des anarchistes quittent São Paulo pour fonder Nossa Chácara dans la cité d’Itaim. Le terme Chácara proviendrait du quichua « chacra» et désigne une petite exploitation rurale, ou une propriété urbaine dédiée surtout à l’élevage et la culture. Des militants célèbres comme Germinal LEUENROTH (le fils d’Edgar) ou Virgilio DALL’OCA y participent. Le 09/11/1939 la Sociedade Naturista Amigos di Nosso Chácara est enregistrée officiellement. Cette communauté s’ouvre sur l’extérieur et abrite réunions clandestines et congrès du mouvement libertaire. Aída D’ALBENZIO et Nair LAZARINE-DALL’OCA semblent être localement les chevilles ouvrières de la chácara[39]. Après la dictature militaire, la Société décide de vendre la propriété d’Itaim en avril 1964, et de s’installer dans une petite entreprise à Mogi das Cruzes.
Toujours en Argentine, la coopérative libertaire Lanera regroupe des travailleurs du textile (laine) dans les années 1960. Travail en commun et partage des produits sont la règle dans ce milieu lié à l’anarchisme argentin.
En Uruguay puis en Suède, la Comunidad del Sur est sans doute la plus importante expérience libertaire latino-américaine depuis la Cecilia, ce qui nécessite un chapitre à part.
Toujours en Uruguay, les coopératives ont parfois des tonalités libertaires, comme celles regroupées dans la FUCVAM = Federación Uruguaya de Cooperativas de Vivienda por Ayuda Mutua. Cette fédération porte un nom fort kropotkinien.
À la fin des années 1960, au Brésil, les compagnons anarchistes de A nossa chácara de Sãu Paulo ont établi une communauté agraire. Par contre les militants du CIRA – Section du Brésil (à Rio), autour de l’italien Pietro FERRUA, n’ont fait qu’acheter du terrain qui aurait dû servir à un établissement agraire autogéré, mais la dictature empêche toute les réalisations, emprisonne et détruit les initiatives en 1969 et pousse FERRUA vers un autre exil aux ÉU[40].
Michel ANTONY
juin 2011
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[1] ABRAMSON Pierre-Luc Las utopías sociales en América Latina en el siglo XIX (Thèse Lille: 1993), México: Fondo de Cultura Económica, 407p, 1999
[2] ROIG Arturo Andrés La utopía del Ecuador, Quito: Banco Central de Ecuador-Corporación Editora Nacional, 472p, 1987, p.82
[3] ROIG Arturo Andrés op.cit., p.32
[4] Cf. le bel article de MONTIEL Edgar Presencia de América en las utopías de la modernidad, -in-CERUTTI GULDBERG Horacio/PAKKASVIRTA Jussi Utopía en marcha – Simposio «La concepción de la utopía desde América Latina (en homenaje a Fernando AINSA)», 52 Congreso Internacional de Americanistas, Sevilla, del 17 al 21 de junio de 2006, Quito: Abya-Yala, 450p, p.11-36, junio 2009
[5] BACHELET Louise Phalanstère du Brésil. Voyage dans l’Amérique méridionale, Paris: Agence coloniale du Brésil, 20p, 1842
[6] ABRAMSON Pierre-Luc Las utopías sociales en América Latina en el siglo XIX , p.358
[7] ABRAMSON Pierre-Luc Élisée RECLUS et l’Amérique latine, -in-Élisée RECLUS : écrire la terre en libertaire, Orthez: Éditions du Temps perdu, 294p, 2005, p.37
[8] AÍNSA Fernando Necesitad de la utopia, Buenos Aires & Montevideo: Tupac & Nordan-Comunidad, 174p, 1990,p.104
[9] DURIEUX Catherine Fouriérisme américain, Familistère et amour libre : à propos de « Papa’s own girl » de Marie HOWLAND, -in-Cahiers Charles FOURIER, Besançon: n° 17, décembre 2006, p.49
[10] HOWARD Ebenezer Les cités-jardins de demain, Paris: Sens & Tonka, 213p, 1998, p.138-139
[11] ABRAMSON Pierre-Luc Las utopías sociales en América Latina en el siglo XIX , p.268
[12] RODRIGUES Edgar Lavoratori italiani in Brasile (1984), Casalvelino Scalo: Galzerano ed., 270p, 1985, p.24
[13] MOULAERT Jan Le mouvement anarchiste en Belgique 1870-1914, Ottignies: Quorum, 415p, 1996, p.115
[14] SAMIS Alexandro Syndicalisme et anarchisme au Brésil, Paris: Éditions du Monde libertaire, 96p, 2009, p.14-15
[15] RODRIGUES Edgar Lavoratori italiani in Brasile (1984), Casalvelino Scalo: Galzerano ed., 270p, 1985, p.22-27
[16] SAMIS Alexandro op.cit, p.15
[17] ÁLVAREZ Iván Darío/ROCA Juan Manuel Diccionario Anarquista de emergencia, Bogotá: Grupo editorial Norma, 278p, 2008, p.164
[18] RAWIN Gregorio & LÓPEZ Antonio Anarchisme et judaïsme en Argentine, -in-BERTOLO Amedeo et autres Juifs et anarchistes, Paris-Tel Aviv: Éditions de l’éclat, p.173-180, avril 2008, p.175
[19] GREZ TOSO Sergio Los anarquistas y el movimiento obrero. La alborada de « la Idea » en Chile, 1893-1915
Santiago: LOM Ediciones, 436p, 2007, p.69
[20] PEREIRA POZA Sergio Antología crítica de la dramaturgia anarquista en Chile, Santiago: Editorial de la Universidad, 358p, 2005, p.104
[21] REBOLLEDO CORREA Benito No sé por qué nos llamábamos anarquistas. O nos llamaban. Cartas de Benito REBOLLEDO CORREA a Fernando SANTIVÁN (31/10/1950)
-in-GREZ TOSO Sergio Los anarquistas y el movimiento obrero. La alborada de « la Idea » en Chile, 1893-1915, Santiago: LOM Ediciones, 436p, p.346-356, 2007, p.13
[22] GREZ TOSO Sergio op.cit, p.150
[23] ORTIZ V. Óscar Pedro GODOY, El Maestro anarquista, -in-Nuevas Crónicas Anarquistas de la Subversión Olvidada, 2008, p.09-20
[24] SANTIVÁN Fernando Memorias de un tolstoyano, 1958
[25] GREZ TOSO Sergio op.cit, p.69
[26] VITALE Luis Contribución a una historia del Anarquismo en América Latina, Santiago de Chile: Instituto de Investigación de Movimientos Sociales “Pedro Vuskovic”, 1998, 43pA4, sur le site consulté le 27/09/2008 http://mazinger.sisib.uchile.cl/reposit ... aml/t.pdf1, p.29
[27] PEREIRA POZA Sergio Antología crítica de la dramaturgia anarquista en Chile, Santiago: Editorial de la Universidad, 358p, 2005, p.104-105
[28] PEREIRA POZA Sergio, op.cit., p.13
[29] GREZ TOSO Sergio op.cit, p.121
[30] SAMIS Alexandro Syndicalisme et anarchisme au Brésil, Paris: Éditions du Monde libertaire, 96p, 2009, p.15
[31] MENDES DA ROCHA Alexandre Imigrantes em Resende : Visconde de Mauá (1908-1916), Resende: Funarte-Prefeitura Municipal de Resende, 1984
[32] MARÍN SILVESTRE Dolors Anarquistas. Un siglo de movimiento libertario en España, Barcelona: Ariel, Colección Historia, 490p, 2010, p.93
[33] LÓPEZ Antonio & RAWIN Gregorio Anarchisme et judaïsme en Argentine, -in-BERTOLO Amedeo et autres Juifs et anarchistes, Paris-Tel Aviv: Éditions de l’éclat, p.173-180, avril 2008, p.178
[34] Cf. 7. Les associations se réclamant de FERRER y GUARDIA Francisco -in-ANTONY Michel VII. B. Essais utopiques libertaires surtout pédagogiques : des « utopédagogies », Magny Vernois: Fichier sur le même site, 1° édition 1995, 138p, juin 2011
[35] MENZIES Malcolm Mastatal, Bassac: Plein Chant, 310p, 2009
[36] MENZIES Malcolm op.cit., p.249
[37] MENZIES Malcolm op.cit., p.133
[38] FONTANA Hugo Historias robadas. Beto y Débora, dos anarquistas uruguayos, Montevideo: Cal y Canto, 160p, 2003, p.68
[39] JEREMIAS Marcolino La famiglia DALL’OCA e il movimento anarchico a São Paulo, -in-Bollettino Archivio G. PINELLI, Milano: n°31, 32p, p.24-27, giugno 2008
[40] FERRUA Pietro La breve esistenza della sezione brasiliana del CIRA, –in-RSDA, a.8, n°1-15, Pisa: BFS, Gen.-Giu.2001
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 01 Déc 2012, 17:23

Au fait, mierci Chavo ;) Disons que ce qui a été fait en Amérique latine en matière de perspectives libertaires, autogestionnaires...etc est super intéressante et importante

Camilo Cienfuegos, du rouge et noir à Cuba
“Anarchie et communisme, loin de hurler de se trouver ensemble, hurleraient de ne pas se trouver ensemble, car ces deux termes, synonymes de liberté et d’égalité, sont les deux termes nécessaires et indivisibles de la révolution.“, écrivait Carlo Cafiero en 1880.(1)
Le triomphe de la révolution cubaine fut une illustration plus récente de ce constat qui fait toujours hurler tant de camarades. Lisez d’abord, hurlez ensuite.
En effet et dans les faits, les anarchistes cubains étaient une composante essentielle des réseaux de lutte politique clandestine et de la guérilla contre la dictature de Batista (comme des précédentes), qui mèneront à la victoire de 1959. Beaucoup d’entre eux rallièrent le “Mouvement du 26 juillet” mené par Fidel Castro. Mouvement dont les couleurs libertaires : le rouge et le noir, étaient toujours visibles sur ses épaulettes. Avant que le Commandant n’opte pour les chemises à carreaux, choix légitime mais discutable, surtout pour les carreaux.
La tradition libertaire de Cuba est séculaire. Les habitants originaux de l’île, les “Indiens” Ciboney et Tainos, intégraient dans leur mode de vie plusieurs principes, tels l’absence de propriété ou d’Etat, que les anars ne renieraient pas. Vient la colonisation par les Espagnols et le génocide de ces pourtant sympathiques autochtones. Les siècles suivants, les idées et les penseurs anarchistes influenceront nombre de personnages clefs de l’histoire et de la lutte d’indépendance cubaine. Le héros national, José Marti ou les mouvements anarcho-syndicalistes du début du XXem siècle qui seront à la tête du mouvement ouvrier en sont de parfaits exemples. De même certaines traditions toujours vivantes et importées par les déportés Africains victimes de l’esclavage, véhiculent elles aussi des idées libertaires comme la solidarité et la résistance à l’oppresseur.
Bref une île fertile pour la pensée anarchiste, ce qui explique qu’au moment où la révolution s’initie dans la Sierra, les anarchistes y sont déjà, et partout ailleurs aussi : dans les syndicats, les loges, les universités, les coopératives, les confréries, les villes et les campagnes.
Le plus fameux d’entre eux est Camilo Cienfuegos, anarchiste de père (Espagnol) en fils. Il participe aux luttes étudiantes avant et lors du coup d’état de Batista. Puis à celles qui précèdent la révolution. Blessé par balle puis arrêté et fiché, il rejoint Mexico.
Avec Fidel, Raoul et le Che, il fait partie des quelques rescapés, survivants au débarquement qui les ramène sur l’île de Cuba. Précisément là où l’armée de Batista informée du projet, les attendait de pied ferme. Sur quatre-vingt deux volontaires guérilleros embarqués au Mexique, moins d’une vingtaine en réchapperont.
Ensemble ils allument le premier feu de guérilla dans la Sierra. Rapidement le mouvement prend une ampleur irrésistible. Remarqué pour ses talents, Camilo devient vite capitaine et s’illustre comme chef de l’avant-garde de la première colonne, commandée par le Che. Ses exploits lui vaudront le surnom de “Señor de la Vanguardia“. Quand vient le moment de lancer plusieurs colonnes pour libérer le pays, Fidel Castro n’hésite pas. Il confie le commandement de la seconde à son proche camarade, Cienfuegos le libertaire. Les autres étant menées par Ernesto Guevara, Raoul Castro et Juan Almedia.
Les faits d’armes de Camilo, ses victoires, son audace, toujours en première ligne, sa générosité et son humour lui valent rapidement le respect et l’amour des Cubains. Sa modestie, son charme et ses origines humbles achèvent de séduire l’ensemble de l’île.
Pour beaucoup de ses contemporains, c’est cet engagement, cette témérité frisant souvent l’inconscience qui lui furent fatals. Quand un jour d’octobre ‘59, le 28, il monte à bord de son Cezna en piteux état, son pilote est tout comme lui épuisé, pour rallier la Havane qu’il n’atteindra jamais.
Il disparaît sans laisser de trace, ce malgré les recherches massives et nationales qui seront organisées.
Certains à Cuba et ailleurs y voient la main de la CIA, que cet anarchiste radical et son influence sur Castro, inquiétaient bien plus que Fidel lui-même. Ce dernier ne s’étant à ce moment pas encore allié au camp socialiste, ni déclaré communiste.
Les USA se méfiaient de Camilo, de Raoul et du Che mais pensèrent dans un premier temps qu’ils pourraient composer avec Castro, qui cherchait une troisième voie, non alignée. Ce qui explique qu’ils furent parmi les premiers à reconnaître le nouveau gouvernement. Le ton des premiers reportages ou interviews diffusés aux USA montre même un certain engouement pour le jeune et charismatique Fidel. Ce n’est qu’ensuite qu’ils réalisèrent leur erreur et tenteront de l’assassiner plus de 600 fois(2) sans succès et imposeront à la population entière divers embargos (toujours en cours) ou attaques militaires et terroristes.
Paradoxe, à la même époque le KGB se méfiait plutôt de Castro. Des témoignages indiquent que certains y redoutaient que Fidel ne soit un “aventurier bourgeois”, voire pire un libertaire et lui préféraient son frère Raoul, un marxiste labellisé.
Beaucoup ignorent qu’historiquement et contrairement aux anarchistes, le parti communiste cubain avait tardé à apporter un réel appui aux révolutionnaires du M26. Ce n’est que bien après la victoire et les premières rétorsions États-uniennes que Fidel déclarera le caractère socialiste de la révolution, et présidera le parti communiste remanié.
D’autres au contraire voient dans la disparition de Camilo, la main de Castro lui-même. Cienfuegos aurait refusé la condamnation d’un camarade, argumentent-ils. De plus sa popularité, supérieure à celle du Che et de Raoul, aurait inquiété les Castro, ajoutent-ils. (Faut-il s’étonner que ce soient les mêmes qui vous expliqueront que c’est le même Fidel qui “envoya Guevara à la mort” en Bolivie?)
Ce scénario semble peu probable et trahit une méconnaissance de la situation qui prévalait alors. D’une part l’état des avions qu’utilisaient les commandants était réellement catastrophique, le ministre de l’aviation lui-même venait d’en faire l’expérience. Lors de la disparition de son avion c’est celui de Raoul Castro qui se portait à sa recherche qui disparaît à son tour, provoquant inquiétudes et recherches en cascades.
D’autre part Camilio était un soutien indéfectible et un allié politique trop précieux pour Fidel Castro, le poste de chef de l’état major de l’armée qu’il occupait en témoigne.
Il est un fait qu’après la victoire des divergences apparurent entre le pouvoir centralisé de Castro et les anarchistes. Mais les rapports que Camilo entretenait avec les frères Castro et le Che, ses discours, ses actes et écrits, semblent indiquer qu’il faisait probablement partie des libertaires qui firent le choix de poursuivre l’expérience révolutionnaire avec le M26. Tandis que les divergences deviendront désaccords, certains anarchistes entreront dans l’opposition puis rejoindront l’exil, d’autres participeront ou iront plus tard jusqu’à rallier le parti communiste et d’autres organisations issues de la révolution.
Aujourd’hui il existe toujours plusieurs courants libertaires Cubains, autant sur l’île qu’en dehors. De simples citoyens, membres ou non du parti, expriment de l’intérêt ou de la sympathie et plus pour les thèses anarchistes.Certains opposants déclarés et résidents, d’autres émigrés ou exilés s’en réclament, beaucoup de jeunes habitants des grandes villes cubaines aussi. Il s’agit souvent chez ces derniers d’une mode superficielle visant presque exclusivement les plus pâles, mêlant musique rock et attitude anti-autoritaire. Porter du noir et du cuir par plus de 30° à l’ombre peut forcer le respect, ou pas. D’autres poussent la réflexion et la démarche plus en avant et créent des collectifs artistiques ou autres. Les scènes hip-hop et reggaeton ne sont pas en reste -et souvent plus (im)pertinentes- en ce qui concerne la critique sociale.
Exceptionnellement cela débouche sur des accrochages très limités avec la police après un concert, ou à l’opposé sur le choix d’un groupe de jeunes musiciens de rock se déclarant anarchistes de passer plusieurs mois de travail volontaire aux champs “pour suivre l’exemple de révolutionnaires authentiques comme Camilo ou le Che”, sic.
Une analyse binaire ne suffit plus quand il s’agit d’aborder l’expérience cubaine.
Comme ailleurs ou ici même, il existe des opposants. Certains, très rares à présent et dont le statut exact est souvent discutable, sont toujours emprisonnés, par contre pas de disparition, de torture ou d’assassinat comme chez tant des “alliés” ou “protégés” de l’empire.
Si l’objectif des barbus et de Castro était réellement la dictature si chère aux médias occidentaux, pour quelles raisons auraient-ils pris les risques, insensés dans cette optique, d’abolir l’apartheid, d’alphabétiser, d’éduquer, de soigner ou encore d’armer le peuple?!
Ces victoires indéniables de la révolution, comme la fin du racisme et du sexisme institutionnalisés, la santé et l’éducation pour tous, sont aussi celles des libertaires qui participèrent à la lutte et la victoire.
Si de nombreux aspects du système actuel sont à l’opposé de l’idée anarchiste, il est troublant de constater sur place combien l’esprit, le caractère cubain en est pourtant emprunt.
Dans l’esprit créatif et la mise en pratique du collectivisme vécu au quotidien, qui s’accomplit autant avec que sans l’aide l’État. Dans l’implication concrète des Cubains dans la chose politique, loin des clichés qui ont cours ici.
Camilo vivant aurait-il pu éviter cet énième divorce entre libertaires et communistes aux lendemains de la victoire, permettant à Cuba de trouver un équilibre entre le rouge et le noir?
De rompre enfin cette funeste malédiction qui se répète depuis qu’un certain Marx expulsa les anarchistes de la première Internationale?
Nombreux sont les Cubains qui se posent la question chaque 28 octobre en lançant une rose à la mer en hommage au “Señor de la Vanguardia“.
Pour conclure en dépassant le cas cubain. Face à l’offensive décomplexée que mène la réaction, la gauche, entendez : socialistes, syndicalistes et communistes sincères, ne gagnerait-elle pas à se ressourcer ou se radicaliser au contact vivifiant de ses camarades libertaires d’hier et d’aujourd’hui?
I.Vergado
Publié le 31 octobre sur le site la Fourmi rouge
http://lafourmirouge.blogspot.fr
Modifié en dernier par K.O.A.L.A le 01 Déc 2012, 17:27, modifié 1 fois.
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 01 Déc 2012, 17:25

UN REGARD VERS UN CUBA LIBERTAIRE :

Pourquoi tourner à nouveau notre regard vers Cuba, vers cette île qui vit aujourd’hui sous les décombres d’un rêve égalitaire engendré lors de la « geste révolutionnaire de 1959 » ?
Parce que, comme partout dans le monde, des indignés de New York et de Madrid aux révoltés de Tunis et du Caire, à Cuba comme ailleurs une question se pose : que faire de la colère, de la révolte ?
En France, nous votons, nous changeons de gouvernement, nous manifestons, nous occupons les rues, nous demandons que cela change… Et rien ne change ! À Cuba, la démocratie participative, la démocratie syndicale, la liberté d’expression et la liberté de circuler sont réduites, voire inexistantes. Les principaux témoins de ce livre sont à la recherche d’un autre modèle que celui qui est imposé de façon autoritaire dans le cadre du « socialisme réel », mais ils sont aussi en rupture avec le modèle capitaliste imposé aujourd’hui dans les pays de l’Est et la Chine.
Bien entendu, le livre ne nous invite pas à chercher à Cuba un modèle, comme cela l’a été durant les années soixante. Il nous invite cependant à trouver dans l’île un écho d’une nouvelle manière de parler de la révolution, de manière stimulante et créatrice. Comment un groupe d’intellectuels composé d’activistes sociaux et d’artistes engagés a pu devenir pour de nombreux Cubains une source d’inspiration ? Cela a sans doute à voir avec les crises des notions de révolution, d’avant-garde, de progrès, d’industrialisation, et sans aucun doute avec les échecs des révolutions du xxe siècle.
Cuba, révolution dans la révolution qui prolonge le livre de Frank Fernández, L’Anarchisme à Cuba, paru aux éditions CNT-RP en 2004, vise à faire connaître aux lecteurs français les divers protagonistes du mouvement contestataire cubain. Une grande majorité des auteurs de ce livre sont membres du réseau de l’Observatoire critique de La Havane. Libertaires, marxistes critiques, écologistes radicaux, leurs idées sont présentes dans les nouveaux mouvements de contestation insulaires. À côté des écrits issus de certains des soutiens dont il dispose hors de l’île, la plupart des textes recueillis ici procèdent de Cuba même, de sa gauche hétérodoxe, sociale et libertaire.
Ce livre nous propose d’explorer les questions que soulève la révolution cubaine. Il ne s’agit pas ici d’une enquête de sociologues mais de la prise à bras-le-corps d’un défi théorique et pratique. Pour cela, les auteurs se tournent vers les voies d’une critique de l’orthodoxie « marxiste » et vers la pensée libertaire, une pensée interdite de territoire sur l’île du caïman vert durant plusieurs décennies. Ces pistes se croisent avec celles qu’ont tracées les révoltés du monde entier, des forêts du Chiapas à la Puerta del Sol en passant par la place Tahrir du Caire.
Miguel Chueca, Karel Negrete et Daniel Pinós nous invitent ainsi à pénétrer dans le « réel merveilleux » cubain, cher à l’écrivain Alejo Carpentier. Il s’agit d’un ouvrage soigné et comportant de belles photos inédites de militants anticapitalistes havanais, de jeunes, de travailleurs et de paysans cubains. Il regroupe des essais consacrés à la critique des « réformes » en cours à Cuba après l’effacement de Fidel Castro et il expose des propositions programmatiques en faveur d’un socialisme démocratique et participatif. On trouve des textes relatifs aux questions du racisme et de l’homosexualité à Cuba, à la charge subversive des nouveaux courants musicaux, à l’introduction des cultures génétiquement modifiées ou encore à l’étonnante impulsion donnée par le régime à la construction de terrains de golf pour millionnaires. Deux articles nous font découvrir le hip-hop insulaire, à travers les groupes de rappeurs emblématiques de la contestation en actes qui résistent malgré la censure et les obstructions dont ils sont victimes.

L’Observatoire critique de la révolution cubaine est un vaste réseau qui inclut des militants de tendances diverses qui sont parvenus à coexister dans le respect de leurs différences. Malgré les difficultés inhérentes à l’existence d’un régime profondément autoritaire, les uns et les autres tentent depuis quelques années déjà de présenter une critique raisonnée du régime en place et d’œuvrer à ce que l’après-castrisme ne ressemble pas à ces divers « modèles » qui, en Russie, en Chine et ailleurs, ont remplacé les régimes abusivement et improprement appelés « communistes » par les porte-parole de l’ordre établi.
L’ouvrage nous invite à réfléchir sur l’État actuel de la société cubaine. Depuis que Raul Castro a annoncé lors du 6e congrès du PCC, en avril 2011, une série de mesures qui visaient une « mise à jour du modèle socialiste cubain », le débat s’est étendu sur toute l’île de Cuba et au-delà. Plusieurs questions sont posées. Existe-t-il réellement un modèle socialiste qu’il faut actualiser ou faut-il le remplacer par un autre modèle et quel pourrait être ce modèle ?
Le gouvernement cubain continue de dire qu’à Cuba existe un socialisme et que le modèle est en train d’être mis à jour. Mais, en réalité, il n’y a aucune mise à jour du « modèle socialiste », car il n’y a pas de socialisme à Cuba, il existe aujourd’hui clairement un capitalisme à la cubaine. Les témoins de ce livre et de nombreux secteurs de la gauche critique cubaine, et aussi d’autres pays, considèrent que les mesures adoptées lors du 6e congrès ouvrent la voie vers le capitalisme et vers un modèle de type chinois ou vietnamien. Ce que cache aujourd’hui les dirigeants cubains, c’est le fait que, depuis 1992, les installations dans l’île d’entreprises privées multinationales européennes et canadiennes n’ont cessé d’augmenter. Elles contrôlent jusqu’à 50 % de l’industrie touristique (les groupes espagnols Sol Meliá, Barceló, entre autres), le nickel (l’entreprise canadienne Sherritt), le tabac (la société anglaise Tobacco Group), l’industrie alimentaire (Nestlé), le pétrole (Repsol, Petrobras, Sherritt) ou la production, la commercialisation et l’exportation de rhum (l’entreprise française Pernod Ricard).
C’est l’application du modèle chinois, adapté à la réalité cubaine. L’octroi, à des sociétés étrangères, pour 99 ans de terres afin d’y construire des terrains de golf de luxe et des résidences haut de gamme, est l’expression même du capitalisme. L’autre expression du retour au capitalisme à Cuba, parrainé par le Parti communiste cubain, est le profit que ces multinationales tirent de Cuba, il est fondé sur le salaire des travailleurs cubains, un salaire misérable, qui oscille entre 9 et 18 euros par mois. Selon les auteurs, c’est une chose sans précédent dans le monde, l’État cubain joue le rôle d’une agence de travail au compte des multinationales, en offrant des garanties à ces multinationales pour que soient maintenus des salaires de misère, mais en maintenant aussi l’interdiction du droit de grève et de s’organiser de façon indépendante. L’an dernier, les mesures de licenciements de plus d’un million de fonctionnaires ont été annoncées par la Centrale des travailleurs cubains. Ce syndicat unique est au service de l’État, les autres syndicats étant interdits. Imaginez la CGT annoncer en France, pour relayer le gouvernement, le licenciement de plus d’un million de fonctionnaires. On assisterait à une levée de boucliers. C’est aussi ce syndicat, de conserve avec l’État, qui a annoncé l’augmentation de l’âge légal de la retraite, sous prétexte que l’espérance de vie augmente à Cuba. Ça ne vous rappelle rien ?

« Cuba : révolution dans la révolution » dénonce la campagne actuelle menée par le gouvernement pour mettre fin à la gratuité de certains services et cela fait partie d’un plan d’ajustement typique du capitalisme. Tout cela n’a plus rien à voir avec le socialisme, on est dans la continuité d’une restauration du capitalisme qui brade progressivement ce qui reste des anciennes conquêtes de la révolution de 1959. Chaque jour un peu plus, les services de santé et d’éducation sont affectés. Et grâce à la corruption, dont de nombreux membres de la « nomenklatura » sont coupables, et à l’argent envoyé par les Cubains vivant à l’étranger, se développe de plus en plus une couche de privilégiés, de nouveaux riches, tandis que la majorité du peuple cubain souffre des produits de consommation basique et n’a pas d’autre possibilité que de continuer à « inventar », inventer pour survivre.
Les auteurs de ce livre font une analyse sans concessions des raisons d’un tel échec. Depuis la chute du mur de Berlin et la dissolution de l’Union soviétique, les médias des pays occidentaux associent la crise économique et sociale de Cuba à l’échec présumé du socialisme. Mais ce qui a échoué dans l’ex-URSS et ses satellites, comme dans le cas de Cuba, c’est le modèle marxiste autoritaire, un modèle menant à la dégénérescence du socialisme. L’échec est lié à la caricature de socialisme qui fut mis en place par les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’appareil bureaucratique soviétique. La révolution cubaine a dévié très vite de ses principes révolutionnaires. Fidel et Raul Castro ont pactisé en 1968 une subordination économique et politique de Cuba auprès de l’orbite soviétique. À Cuba aujourd’hui, pour certains secteurs de la gauche critique, le castrisme a échoué parce que le « socialisme d’État » était dès le début voué à l’échec, parce qu’il contenait une centralisation fatale liée à la propriété de l’État, ce qui a forcé ce dernier à devenir répressif. Car c’est seulement de cette manière qu’il pouvait garder une structure verticale en place. Le Cuba socialiste n’a jamais été « égalitaire », parce qu’il est né avec un appareil bureaucratique, totalitaire et un parti-armée, qui donnèrent naissance au Parti communiste cubain et aux Forces armées révolutionnaires, dirigés par les frères Castro. Les bureaucrates se sont transformés en bureaucrates privilégiés, de style stalinien, ils ont toujours eu des magasins qui leur étaient réservés et ils n’ont jamais eu à dépendre du carnet de rationnement.
Aujourd’hui à Cuba, le mal-être et le désenchantement se développent. C’est ainsi que s’installe le doute et que naît le danger de voir les consciences faire un pas en arrière, comme cela s’est produit dans l’ex-URSS et en Europe de l’Est. Dans ces pays, la restauration du système capitaliste a été l’œuvre de la bureaucratie installée au pouvoir : les dirigeants des entreprises d’État ou les ingénieurs des kolkhozes. Ces bureaucrates autrefois défenseurs du « socialisme » sont devenus ensuite les principaux actionnaires des entreprises capitalistes, après avoir, comme cela est le cas aujourd’hui à Cuba, créé l’illusion fatale qu’un « bon capitalisme » pouvait exister.
Le grand défi de fond pour les militants anticapitalistes cubains qui s’expriment dans ce livre est d’inverser le processus en cours, un processus d’installation du capitalisme sous le couvert d’une « mise à jour du modèle socialiste ». Pour les activistes de La Havane, bâtir aujourd’hui un véritable socialisme, cela ne doit pas vouloir dire un retour aux années 1970 et 1980, mais la création d’un système politique sans parti unique et avec une pleine démocratie pour les travailleurs et le peuple. Pour que les Cubains décident de l’économie à mettre en place, de la gestion des entreprises, de leurs systèmes d’éducation et de santé, des salaires, de l’accès à la liberté syndicale, de la justice, contre toutes les formes de censure, de persécutions politiques et idéologiques et sur tous les aspects de la vie quotidienne dans la société cubaine.
Pour mettre fin aux inégalités et au développement d’une bourgeoisie révolutionnaire, un changement est nécessaire dans la vie du peuple cubain, pour cela il est nécessaire de lever toutes les restrictions concernant les droits des citoyens pour permettre à celui-ci de s’exprimer et de faire valoir ses revendications. Le droit de grève, supprimé progressivement dans les années soixante, doit être rétabli. L’heure est venue où les travailleurs, les jeunes et le peuple cubain doivent décider du présent et de l’avenir de Cuba. Il ne s’agit de rien de moins pour les auteurs de ce livre que de mettre un terme à l’amertume de l’histoire et de repenser les modalités d’un mouvement de remise en question globale qui aille au-delà du système mortifère dans lequel nous vivons ici, en France et là-bas, aux Caraïbes.
Inès Granado
Le Monde libertaire, n°1676 (7-13 juin 2012)
Cuba : Révolution dans la Révolution. Expériences libératrices et créatrices, Miguel Chueca, Karel Negrete et Daniel Pinós, aux éditions CNT, 328 pages, 18 € + 4 € de frais de port.
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 01 Déc 2012, 17:30

NOUS SOMMES DANS L’ÎLE DE LA LIBERTÉ

La tradition libertaire à Cuba a été sauvegardé – en plein XXIe siècle -, par une génération de jeunes qui a survécu au naufrage de la révolution des humbles. [Durant les années 60, Cuba fut baptisé l'Île de la liberté ou le Pays du sourire.] Le naufrage de cette révolution est la conséquence de l’instauration d’un État ouvrier dans les années 1970-1980.
La trahison de cette révolution passée aux mains des staliniens (du Parti socialiste populaire) a facilité l’intégration de la nation à l’empire soviétique. Mais cette résurgence de la tradition libertaire n’est pas du au hasard, car celle-ci a des racines profondes à Cuba. [Nous situons son point de départ dans la société coloniale du XVIIe siècle. (Nous parlons de la sauvegarde des libertés et des droits communautaires de la période de la Reconquête en Espagne, désormais entre les mains des créoles.)] Lorsque l’île fut abandonnée à son sort, fleurirent alors les cabildos (1). Lorsque l’État ouvriériste fait naufrage, refait surface parmi les Cubains la tradition libertaire.
Parce que cette tradition est contenue dans le magma populaire. Les forces de la réaction ont essayé d’étouffer le feu de la rébellion. Ce fut l’histoire du XXe siècle : caudillisme, populisme ou fidelisme. Peu importe. Cette tradition a resurgi instantanément mille fois au cours de la longue marche vers la liberté.
Tous les orthodoxies ont fait référence à la liberté : des indépendantistes aux communistes… [en incluant les libéraux et les populistes.] La liberté s’est développée avec les capacité anthropophagiques et culturelles du peuple et elle a toujours été repoussée jusqu’à ces derniers retranchements. Dans l’histoire de Cuba, les martyrs de la tradition libertaire - depuis Aponte (2) jusqu’à Guiteras (3) – ont été l’expression du sentiment populaire. [Cela explique cette réalité vécue entre Cubains : parce qu'être libertaire est plus qu'être anarchiste. (Nous qui avons fondé l'Atelier libertaire Alfredo López, nous luttons pour une refonte du socialisme qui sera un jour libertaire.)] Le fond émotionnel de la dissidence (ou le mal être populaire) est peut-être l’expression de cet esprit libertaire qui bout au fond du chaudron.
Nous comptons dans cette bataille sur la force de la tempête qui fit nauvrager le régime étatiste. Le modèle de l’homme de masse qui a été institué dans le processus a endommagé l’auto-estime de millions de Cubains. La réaction pendulaire, jusqu’à l’épuisement, du socialisme étatiste et autoritaire bascule vers la récupération de l’intégrité et de la plénitude de personnes. [En effet, rien n'est plus dramatique à Cuba que de reconstruire un projet de vie individuel et collectif.]
L’alternative offerte par les libertaires est fondée sur une individuation désintéressée (sinon altruiste) pour libérer le potentiel de créativité populaire. En ce sens, le trait qui distingue les libertaires à l’intérieur de la gauche à Cuba parle de l’absolu priorité que les libertaires donne à la lutte contre l’aliénation. (Il ne s’agit pas de parvenir au développement, mais de quel type de développement nous voulons atteindre.) La lutte des libertaires à Cuba est contre la pauvreté, l’écocide, l’homophobie, le racisme, l’exclusion et l’élitisme qui définissent l’ancien régime.
Ramón García Guerra
http://observatoriocriticodesdecuba.wordpress.com/
_________________
(1) Un cabildo était un conseil d’administration coloniale qui régissait une municipalité à l’époque de l’Empire espagnol.
(2) José Antonio Aponte était l’organisateur d’un projet d’insurrection abolitionniste à La Havane à Cuba, prévue pour le 5 janvier 1812, la première révolte d’esclaves de l’île, une quinzaine d’années après l’arrivée esclaves noirs et mulâtres amenés par les réfugiés français de Saint-Domingue à Cuba. Il fut décapité et sa tête, comme celle d’autres meneurs exhibée dans les lieux publics.
(3) Antonio Guteras Holmes fut un leader révolutionnaire cubain qui participa à la révolution de 1930. Sa pensée libératrice et anti-impérialiste, et son activisme firent de lui un révolutionnaire très respecté. Il fut assassiné en 1935 par les troupes de Batista.
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 05 Déc 2012, 15:34

Anarchisme social et organisation par la Fédération Anarchiste de Rio de Janeiro

Traduction française de L'anarchisme social et l'organisation

Préface du traducteur
Bien loin des idées reçues, la question de l'organisation, au sens le plus large du terme, a toujours été centrale dans l'anarchisme, et plus particulièrement dans le courant de l'anarchisme social.
Cette centralité de la question organisationnelle dans l'anarchisme social, Erico Malatesta l'a fait transparaître lorsqu'il a affirmé que « l'anarchisme c'est l'organisation, l'organisation et encore de l'organisation »
Or, les réflexions sur la question organisationnelle sont peu nombreuses ces dernières décénnies, particulièrement dans le monde francophone.
La réflexion des camarades brésiliens est dans ce contexte particulièrement précieuse, puisqu'elle représente un apport nouveau, tout en s'inscrivant dans une longue tradition organisationnaliste.
Le courant « especifista », « spécifiste », s'est fait connaître dans un cercle restreint, essentiellement à travers quelques interviews ou textes traduits dans la presse libertaire, sur internet ou sur papier.
La réflexion engagée par les camarades brésiliens, formalisée dans leur ouvrage programmatique « anarchisme social et organisation », permet enfin une présentation plus approfondie de ce courant organisationaliste latino-américain.

Sa traduction en Français fait justice à un courant encore trop méconnu dans l'espace francophone, qui s'inscrit et joue un rôle dans le renouveau de l'anarchisme latino-américain.
Plus largement, elle rend accessible aux francophones la réflexion des camarades brésiliens, et plus largement du courant spécifiste, qui apporte un regard nouveau et actuel sur la question, en prise avec les enjeux auquel le mouvement libertaire est confronté.
Les réflexions sur le fonctionnement organisationnel, leur approche différenciée du plan politique et du plan social, leur volonté de « retrouver le vecteur social de l'anarchisme » par le biais de la pratique et de l'insertion sociales, concepts qu'ils décrivent et développent dans cette ouvrage, leur réflexion sur les rapports entre organisations spécifiques et organisations populaires, tout comme leurs réflexions sur la nécessité d'une stratégie de transformation sociale, tout cela constitute la formalisation d'une expérience organisationnelle riche et fructueuse.
Au coeur des préoccupation des camarades se situe la volonté de réancrer l'anarchisme au coeur des classes exploité-e-s, un anarchisme populaire acteur de la transformation sociale, et non spectateur impuissant.
Bien sur, certaines positions ne manqueront pas de susciter des réactions, en ce sens qu'elles bousculent les conceptions organisationnelles qui dominent dans le monde francophone. Les camarades brésiliens de la FARJ ont le mérite « d'attraper le taureau par les cornes », et d'affirmer clairement et sans détour les positions qu'ils ont développées afin de répondre aux enjeux concrets d'organisation que suppose toute volonté de changement social qui cherche à se traduire concrètement, et ne pas se contenter de voeux pieux et d'incantations.
Loin de présenter leurs options comme les seules possibles ou de réclamer pour leur courant le monopole de la pensée libertaires, ils affirment :
« Nous ne réclamons que le respect de notre choix, de même que nous respectons ceux qui ont fait d'autres choix. »
Ce choix n'est pas seulement respectable; il a surtout le mérite d'apporter un regard nouveau,
de relancer la discussion sur l'organisation et la pratique anarchiste. Une nécessité en cette période de turbulences sociales et économiques liées à la crise capitaliste, pour refaire du courant anarchiste un acteur majeur de la transformation sociale, pesant sur les évênements plutôt que de les subir ou les accompagner au gré du vent.

Sam Berckman (CGA Lyon)


SOMMAIRE :
1. Introduction

2. L'anarchisme social, la lutte des classes et les relations Centre-Périphérie

3. L'anarchisme au Brésil: la perte et la tentative de récupération du vecteur social

4. 4. La société de domination et d'exploitation: le capitalisme et l'Etat

5. 5. Les objectifs finaux: la révolution sociale et socialisme libertaire

6. L’organisation et la force sociale

7. Les mouvements sociaux et l'organisation populaire

8. L'organisation spécifique anarchiste

9. L'organisation spécifique anarchiste: la pratique et l'insertion sociale

10. L'organisation spécifique anarchiste: production et reproduction de la théorie

11. L'organisation spécifique anarchiste: la propagande anarchiste

12. L'organisation spécifique anarchiste spécifique: formation politique, relations et gestion des ressources

13. L'organisation spécifique anarchiste: rapports entre L'organisation spécifique anarchiste et les mouvements sociaux

14. L'organisation Spécifique Anarchiste: La nécessité de la stratégie, de la tactique et du programme

15. L'Especifismo: L'organisation anarchiste, perspectives et influences historiques

16. Notes et conclusion

La suite : ICI
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K.O.A.L.A
 
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 25 Déc 2012, 14:10

Une sorte d'états des lieux(qui date un peu...2007)de différentes alternatives sociales mises en place en Amérique latine
Alternatives sociales et politiques en Amérique du Sud

L’idée de soli­da­rité entre les peu­ples et d’une soli­da­rité liber­taire à tra­vers le monde est une réa­lité mise en oeu­vre depuis des dizai­nes d’années. Ce sont ces réseaux qui nous per­met­tent de " savoir ce qui se passe " ailleurs. Ainsi le réseau Solidarité Internationale Libertaire (SIL) sou­tient les pro­jets d’orga­ni­sa­tions sud-amé­ri­cai­nes, la FAG (Federação Anarquita Gaùcha), la FAU (Uruguay) et l’OSL (Organisation Socialiste Libertaire). De même, l’Internationale des Fédérations Anarchistes agit comme un outil pour pas­ser les infor­ma­tions, coor­don­ner des mou­ve­ments ou des cam­pa­gnes. En outre, la mul­ti­pli­cité des échanges indi­vi­duels ou col­lec­tifs qui peut exis­ter entre liber­tai­res per­met le déve­lop­pe­ment de rela­tions " à la base " qui se cons­trui­sent cha­que jour. Enfin, il ne fau­drait pas oublier que le déve­lop­pe­ment des médias dits " alter­na­tifs ", comme Indymedia ou @-infos, per­met­tent aux anar­chis­tes (mais pas seu­le­ment) de pou­voir infor­mer, mobi­li­ser et exis­ter.

Il s’agit ici de met­tre en exer­gue des pra­ti­ques et des essais auto­ges­tion­nai­res, a for­tiori anar­chis­tes, qu’on peut trou­ver en " AmSud ". Le but n’est pas d’être exhaus­tif, mais d’appré­hen­der quel­ques réa­li­tés du mou­ve­ment anar­chiste sud-amé­ri­cain. À l’heure où les tenan­tEs de LA nou­velle voix de gau­che nous annonce un grand élan révo­lu­tion­naire latino-amé­ri­cain, regar­dons der­rière l’épaisse fumée des ciga­res de chefs auto­pro­cla­més de LA révo­lu­tion et inté­res­sons-nous aux quar­tiers et clas­ses popu­lai­res. Car c’est dans ces lieux que se déve­lop­pent la démo­cra­tie directe et l’auto-orga­ni­sa­tion des popu­la­tions. En effet, dans des pays qui sont tous pas­sés par la dic­ta­ture, la ques­tion de la démo­cra­tie n’est pas élémentaire et les aspi­ra­tions au chan­ge­ment sont d’autant plus for­tes dans les cou­ches les plus défa­vo­ri­sées de la popu­la­tion. C’est pour­quoi les pro­jets " alter­na­tifs " (auto­gé­rés) concer­nent le ren­for­ce­ment ou la cons­truc­tion de lieux d’expres­sion popu­laire et de lieux de vie com­mu­nau­taire comme en Uruguay ou Brésil. L’anar­chisme, reven­di­qué ou pas, offre cet idéal d’auto­no­mie qu’on retrouve dans les vil­les et les cam­pa­gnes sud-amé­ri­cai­nes. C’est pour­quoi aussi on a pu enten­dre par­ler de " Commune libre ", d’auto­no­mie à pro­pos de la lutte du peu­ple d’Oaxaca ces der­niers mois. Sans dire que l’ombre de Louise Michel pla­nait sur l’Etat insurgé, une réflexion a été amor­cée sur un nou­veau pacte social autour de la nou­velle démo­cra­tie, l’économie sociale et soli­daire, une nou­velle éducation, la jus­tice et l’équité socia­les. Durant le congrès cons­ti­tu­tif de l’APPO (Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca), ces idées sont repri­ses et dis­cu­tées. On peut sou­li­gner la cohé­sion qui se cons­truit entre les divers-e-s acteur-trice-s de la lutte, dont les inté­rêts ne sont pour­tant pas tou­jours les mêmes, notam­ment entre les com­mu­nau­tés indien­nes et les for­ces d’oppo­si­tion au capi­ta­lisme (com­mu­nis­tes, liber­tai­res). Les dis­sen­sions qui exis­tent ne leur font pas per­dre de vue qu’ils-elles ont un réel inté­rêt com­mun à cons­truire ensem­ble une société plus juste et res­pec­tueuse de leurs indi­vi­dua­li­tés.

Les condi­tions (économiques, socia­les et poli­ti­ques) pour la dif­fu­sion des idées liber­tai­res sont dif­fi­ci­les en Amérique Latine. Celle-ci offre une réa­lité du mou­ve­ment des " sans " qui est plus crûe que la nôtre. Les mobi­li­sa­tions de cel­leux qu’on appelle " sans " ont jalonné les lut­tes socia­les de ces dix der­niè­res années. Le Forum Social Mondial en se créant en oppo­si­tion au Forum Economique Mondial pré­ten­dait être la voix des sans-voix avec par exem­ple le réseau No Vox - dont l’objec­tif était de cons­truire un réseau inter­na­tio­nal des mou­ve­ments de mobi­li­sa­tion des popu­la­tions exclues. La place des " sans " (papiers, reve­nus, terre, logis, ticket) dans les orga­nes de déci­sion et leur pré­sence dans les débats étaient insi­gni­fian­tes. On peut donc cons­ta­ter une frac­ture entre " sans " et " avec " un peu moins clas­si­que que celle entre révo­lu­tion­nai­res et réfor­mis­tes.

L’étouffement des anar­chis­tes dans des régi­mes auto­ri­tai­res et la pré­ca­rité des moyens maté­riels sont un lot quo­ti­dien. Les anar­chis­tes essaient, au niveau qui est le leur, de sou­te­nir les expé­rien­ces auto­ges­tion­nai­res (voir enca­drés). A la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste, nous oppo­sons, ici et main­te­nant, la soli­da­rité concrète et directe. Bâtir un autre monde, c’est par­ti­ci­per à la mise en place d’une athé­née, d’un cen­tre social ou d’une impri­me­rie, ter­reaux d’expé­rien­ces iné­di­tes, de pri­ses en char­ges col­lec­ti­ves et auto­no­mes. En élaborant ces pro­jets à la base et dans l’action directe, en marge de cel­leux qui vou­draient doter le mou­ve­ment de résis­tance inter­na­tio­nale à la mon­dia­li­sa­tion capi­ta­liste d’un pro­jet de société uni­que, élaboré de façon déconnec­tée des réa­li­tés par des intel­lec­tuel-le-s de salon ou des meneurs et meneu­ses auto­pro­clamé-e-s.
Uruguay

Une athé­née existe déjà, à Colon. Il s’agit d’un lieu de débat col­lec­tif et de déci­sion impli­qué dans les lut­tes socia­les : lut­tes ouvriè­res ou étudiantes, com­bats écologiques, dénon­cia­tion de la cor­rup­tion, déve­lop­pe­ment des soins médi­caux et de l’éducation, etc. Mais elle atteint ses limi­tes, à cause du prix des ter­res. Le maté­riel mili­tant est aussi incom­plet : il man­que une camion­nette à la FAU, outil indis­pen­sa­ble pour la pro­pa­gande de rue, dans un pays où les moyens de com­mu­ni­ca­tion et les modes de mani­fes­ta­tion n’ont rien à voir avec les nôtres.

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Brésil

Un pro­jet simi­laire à l’athé­née de Colon est lancé de l’autre côté de la fron­tière, dans le vil­lage de Sepe Tiaraju, à la limite du Brésil, de l’Argentine et de l’Uruguay. Par l’action directe, 483 famil­les de pay­san-ne-s sans-terre se sont empa­réEs de 16 hec­ta­res. Mais elles man­quent en par­ti­cu­lier d’un hall com­mu­nau­taire, un lieu social et poli­ti­que, où pour­ront se réu­nir les assem­blées géné­ra­les des habi­tan­tEs. Au Brésil, impri­mer un jour­nal ou même un tract est un casse-tête.
Pourtant, l’arri­vée de Lula au pou­voir avait créé l’espoir. C’est dans ce cadre aux relents socialo-capi­ta­lis­tes que se sont tenues les jour­nées anar­chis­tes de Porto Alegre en 2001, orga­ni­sées par la Federação Anarquita Gaùcha. Des mou­ve­ments venus de Colombie, du Chili, d’Uruguay ont rap­pelé les bases de leur résis­tance : démo­cra­tie directe, indé­pen­dance avec les par­tis poli­ti­ques, action directe ou encore auto­ges­tion. Les cama­ra­des rap­pel­lent que la poli­ti­que n’est pas la conquête du pou­voir mais bien la cons­truc­tion de résis­tance avec tou­tes et tous pour créer ici et main­te­nant un monde juste.
Les cama­ra­des de la FAG arti­cu­lent leur lutte sur qua­tre fronts. Le pre­mier est le tra­vail com­mu­nau­taire, essen­tiel­le­ment dans les fave­las pour créer des espa­ces de soli­da­rité. Un autre front a été ouvert avec les étudiant-e-s pour sou­te­nir les lut­tes de la jeu­nesse. La com­mu­ni­ca­tion alter­na­tive est aussi un autre chan­tier : la FAG tra­vaille avec Indymedia mais aussi un réseau de radios indé­pen­dan­tes. Enfin, les liber­tai­res bré­si­lien-ne-s tis­sent des liens avec des syn­di­cats. La Fag n’a pas la volonté de s’unir seu­le­ment avec les mou­ve­ments liber­tai­res. L’alliance poli­ti­que n’est pas qu’une ques­tion théo­ri­que. Elle peut se faire sur des pra­ti­ques, notam­ment d’action directe. C’est ainsi qu’elle sou­tient le Mouvement des sans terre (MST) pour " sa prise de res­pon­sa­bi­lité en pra­ti­quant des réqui­si­tions de ter­res. " Toutefois, elle s’en sépare au niveau idéo­lo­gi­que dans la mesure où les diri­geants du Mst sont d’obé­dience marxiste-léni­niste.
La FAG s’est créée en 1996 dans la volonté de rom­pre avec un mou­ve­ment liber­taire absent des lut­tes socia­les. Dans un pays grand comme l’Europe, elle ne réu­nit que les liber­tai­res du Rio Grande do Sul, l’Etat le plus au sud du Brésil, juste au Nord de l’Uruguay. Elle est une expres­sion de la néces­sité de por­ter les idées liber­tai­res dans le mou­ve­ment social. Inspirée de la FA Urugayenne, elle rompt avec la ten­dance des anar­chis­tes à s’enfer­mer dans des dis­cours idéo­lo­gi­ques, pure­ment théo­ri­ques. La FAG va créer une impri­me­rie liber­taire des­ti­née à tous les mou­ve­ments avec les­quels elle est en lien.

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Argentine

Ce sont bien les peu­ples qui s’insur­gent que nous sou­te­nons. C’est le peu­ple boli­vien qui arbore fiè­re­ment des tee-shirts " Coca si, Alca no ! " (la culture du coca est ybe des rpin­ci­pa­les res­sour­ces du pays et Alca est un accord de libre échange sud-amé­ri­cain). C’est ce même peu­ple qui des­cend dans la rue et ris­que sa vie pour sau­ver les plan­ta­tions, deman­der la démis­sion d’un pré­si­dent pro-étasunien ou encore contre la pri­va­ti­sa­tion de l’eau comme à Cochabamba. En Argentine, face aux poli­ti­ques du FMI depuis la fin des années 1990, ce n’est pas le pou­voir qui a résisté mais bien les pique­te­ros (chô­meur-se-s qui blo­quent les car­re­fours pour reven­di­quer leurs droits). En s’auto-orga­ni­sant dans les quar­tiers sous un mode liber­taire, ils ont recréé des sys­tè­mes de troc qu’aucune loi ni gou­ver­ne­ment n’aurait pu décré­ter. Pour les tous jeu­nes grou­pes com­mu­nis­tes liber­tai­res argen­tins, l’Argentinazo (19 et 20 décem­bre 2001) a cons­ti­tué le bap­tême du feu, avec une forte inser­tion dans le mou­ve­ment popu­laire. La res­pon­sa­bi­lité de déve­lop­per une poli­ti­que révo­lu­tion­naire après l’Argentinazo a donc échu à une nou­velle géné­ra­tion d’anar­chis­tes liée aux mou­ve­ments popu­lai­res, et qui se struc­ture prin­ci­pa­le­ment autour de deux peti­tes orga­ni­sa­tions : l’Organización Socialista Libertaria et Auca. L’OSL et Auca (auca signi­fie « rebelle » en indien mapu­che) sont appa­rues pres­que simul­ta­né­ment en 1997-98, avec la volonté de faire vivre « l’anar­chisme dans la rue » (« l’anar­quismo en la calle »), d’où le nom du jour­nal anar " En la calle " qui a cessé de paraî­tre. Formée en 1997, Auca a com­mencé en 1999 à inves­tir le ter­rain de la lutte sociale, à tra­vers plu­sieurs asso­cia­tions de chô­meurs ou chô­meu­ses et d’étudiantEs. OSL et Auca, après une période de pro­pa­gande anar­chiste, ont fait leur « auto­cri­ti­que » et ont pris un tour­nant moins idéo­lo­gi­que, en s’immer­geant dans les mou­ve­ments sociaux. C’est à ce moment que des diver­gen­ces sur la façon d’inter­ve­nir ont éloigné les deux grou­pes. En 2000, Auca a quitté la struc­ture com­mune que cons­ti­tuait En la Calle, et a créé le pério­di­que Offensiva Libertaria.
Malgré leur taille réduite (tren­taine de per­son­nes cha­cune), les deux orga­ni­sa­tions s’astrei­gnent à tenir régu­liè­re­ment des congrès pour ana­ly­ser la situa­tion sociale, et met­tre à jour leur stra­té­gie poli­ti­que. De la conver­gence de ces asso­cia­tions est né, en 2001, le Mouvement d’Unité Populaire (MUP), qui a l’époque ne regrou­pait qu’une poi­gnée de mili­tant(e)s, et qui a orga­nisé son pre­mier « piquete » le 1er mai 2001. Après l’insur­rec­tion du 19-20 décem­bre, le MUP a connu une crois­sance spec­ta­cu­laire, allant jusqu’à comp­ter 2000 mem­bres, répar­tis en dif­fé­rents « fronts ». Le front pique­tero est le plus impor­tant, mais il existe également un front étudiant (bap­tisé Agua Negra, « Eau noire ») et un front pay­san. Chacun de ces fronts déve­loppe une acti­vité reven­di­ca­tive qu’on pour­rait qua­li­fier de syn­di­cale. Le MUP a d’ores et déjà réussi à se déve­lop­per ailleurs qu’à La Plata, sa base his­to­ri­que.
Pour finir, on retrou­vait des cama­ra­des anar­chis­tes actifs au sein du mou­ve­ment des chô­meurs, prin­ci­pa­le­ment au " MTD Aníbal Verón ", une des orga­ni­sa­tions pique­te­ras les plus radi­ca­les, au sein de laquelle se retrou­vaient diver­ses sen­si­bi­li­tés (anar­chiste, marxiste, péro­niste de gau­che…). « Aníbal Verón » avait pour carac­té­ris­ti­que prin­ci­pale d’être auto-orga­nisé, et de n’être pas la suc­cur­sale d’une orga­ni­sa­tion poli­ti­que. Mais l’orga­ni­sa­tion a éclaté en sep­tem­bre 2004 en plu­sieurs mor­ceaux, et cer­tains comi­tés locaux ont pris leur auto­no­mie.
Venezuela

En rela­tion depuis trois ans avec les cama­ra­des vene­zue­lien-nnes du Comité de Relations Anarchistes de Caracas, nous tenons à votre dis­po­si­tion El Libertario. Nous orga­ni­sons des mani­fes­ta­tions de sou­tien (pro­jec­tion, concerts...) et ven­dons des CD dont la recette est envoyée là-bas.
Au milieu des années 80, à Caracas, le col­lec­tif auto­ges­tion­naire liber­taire crée El Libertario, mais en sus­pen­dra la paru­tion au bout de six numé­ros. Parmi les ini­tia­teur-rices du jour­nal, il y a Angel Cappelletti, des vété­rans espa­gnols, des ouvrier-e-s et d’autres mili­tant-e-s... Ce n’est qu’en novem­bre 1995 que le jour­nal repa­raît, sous l’impul­sion du Comité de Relations Anarchistes (CRA) à Caracas. Le CRA est un groupe affi­ni­taire, c’est-à dire com­posé de per­son­nes qui par­ta­gent l’idéal liber­taire et qui recher­chent la cons­truc­tion d’une société basée sur la démo­cra­tie directe, la jus­tice sociale, l’auto­ges­tion, l’entraide, etc. Le CRA est com­posé de per­son­nes de tou­tes géné­ra­tions qui réa­li­sent ensem­ble le bimes­triel El liber­ta­rio. Il faut noter que dans les acti­vi­tés du CRA, le jour­nal est un outil, au même titre que le site inter­net, ou encore le cen­tre social liber­taire de Caracas.
« Autogéré à 110 % », le jour­nal affi­che une pro­fes­sion de foi très sim­ple et très claire : « Chaque numéro est réa­lisé par la coo­pé­ra­tion volon­taire de ceux qui croient impor­tant de faire enten­dre une voix péda­go­gi­que de contre-infor­ma­tion, que nous élaborons de façon auto­nome, sans rece­voir de sub­si­des d’aucune struc­ture de pou­voir, et sur la base de l’accord libre de ceux qui le réa­li­sent. Lecteur, tu es invité à faire par­tie de cette expé­rience. Ici, il n’y a ni lea­der ni patron, mais il y a un pro­ces­sus d’appren­tis­sage et de débat per­ma­nent pour ren­for­cer un réseau hori­zon­tal et antiau­to­ri­taire d’action sociale trans­for­ma­trice. Nous vou­lons infor­mer sur la théo­rie et la pra­ti­que des anar­chis­tes en Amérique latine et dans le monde entier, mais aussi appuyer ce que les mou­ve­ments sociaux autour de nous ont de liber­taire. » Il ras­sem­ble des signa­tu­res en pro­ve­nance de toute la mou­vance liber­taire.
El Libertario a une dif­fu­sion assez large. Bien répandu au Venezuela, il est lu sur tout le conti­nent, et bien au-delà, jusqu’en Europe. Les arti­cles por­tent sur des sujets d’actua­li­tés, essen­tiel­le­ment : « Les auto­ri­tai­res en guerre contre l’enfance », « Architecture de l’insé­cu­rité », « La culture de la pau­vreté », « La résis­tance au mili­ta­risme en Amérique latine », etc. et sont écrits par des auteur-ses argen­ti­nEs, chi­lien­NEs, espa­gno­lEs... Il était très lu dans les uni­ver­si­tés de Caracas et très connu dans les milieux anar­cho- punks puis­que le jour­nal doit beau­coup à cette sen­si­bi­lité liber­taire de contre-culture.
El liber­ta­rio n’est pas la seule mani­fes­ta­tion de l’arnar­chisme véné­zue­lien : il existe un cen­tre social anar­chiste au Venezuela cha­viste ! Les mem­bres de la CRA du Venezuela ont ouvert leur Centre d’Etudes Sociales Libertaires à Caracas depuis le der­nier tri­mes­tre 2004. Au pro­gramme, biblio­thè­que, ate­liers en tous gen­res, publi­ca­tions... C’est le seul pôle de résis­tance contes­ta­taire et liber­taire face à Chavez.

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Déclaration commune des rencontres anarchistes

Forum social alter­na­tif de Caracas
Nous vou­lons insis­ter sur le fait que ces cama­ra­des de dif­fé­rents pays par­vien­nent à tra­vailler ensem­ble. Par exem­ple, voici une décla­ra­tion qui fait suite au Forum Social Alternatif de Caracas en jan­vier 2006 :
Nous, anar­chis­tes réu­nis à Caracas à l’occa­sion du Forum Social Alternatif du 23 au 29 jan­vier 2006 - en pro­ve­nance d’Allemagne, d’Angleterre, d’Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Canada, de Colombie, de Cuba, d’Équateur, d’Espagne, des États-Unis, de France, du Mexique, du Chili, d’Italie, de Russie, d’Uruguay et du Vénézuela - consi­dé­rons impor­tant de ren­dre public une posi­tion spé­ci­fi­que­ment anar­chiste qui rende compte de notre expé­rience et de nos échanges. Dans cet esprit, nous décla­rons que :

1. En accord avec nos bases idéo­lo­gi­ques cons­ti­tu­ti­ves nous ne pou­vons que confir­mer notre plus pro­fond rejet de toute forme de domi­na­tion et d’oppres­sion. Par consé­quent, nous condam­nons une fois de plus, et pour éviter tout type de dou­tes ou de malen­ten­dus, le régime capi­ta­liste et l’orga­ni­sa­tion étatique de la société, ainsi que le mili­ta­risme, l’impé­ria­lisme, le patriar­cat, le racisme, les dif­fé­ren­tes for­mes d’empri­son­ne­ment, la dégra­da­tion de l’envi­ron­ne­ment, la domi­na­tion de cultu­res pré­ten­dues supé­rieu­res et tout ce qui sup­pose qu’un être humain puisse être au-des­sus d’unE autre.

2. Au contraire, aman­tEs de la liberté jusqu’à la luxure, nous ne nous las­se­rons pas de par­ta­ger notre ins­pi­ra­tion pour des valeurs liber­tai­res, égalitaires et soli­dai­res qui per­met­tent la cons­truc­tion d’une société véri­ta­ble­ment socia­liste ; une société orga­ni­sée sur des bases auto­ges­tio­nai­res, fédé­ra­lis­tes, de démo­cra­tie directe et bien au-delà des fron­tiè­res étatiques arti­fi­ciel­les.

3. Également, au-delà du rosaire habi­tuel de bon­nes inten­tions et de décla­ra­tions socia­lis­tes, nous consi­dé­rons impor­tant de pré­ci­ser à nou­veau qu’une société véri­ta­ble­ment liber­taire peut seu­le­ment résul­ter de la déci­sion conciente de sa base. Aucun exem­ple his­to­ri­que ne mon­tre que l’espoir d’une telle société puisse venir d’un his­to­ris­cisme obs­cur, d’un pro­ces­sus élaboré dans des sphè­res loin­tai­nes ou par des mes­sies-cau­dillos. Avant tout, ce ne sont que des illu­sions blo­quant toute émancipation réelle qu’il faut conti­nuer de dévoi­ler et de cri­ti­quer.

4. Cette affir­ma­tion paraît par­ti­cu­liè­re­ment d’actua­lité et néces­saire, dans la mesure où sem­ble s’ouvrir en Amérique Latine un nou­veau cycle his­to­ri­que qui conduit les peu­ples à inves­tir leurs angois­ses et leurs espoirs dans la sociale-démo­cra­tie ou le popu­lisme. Ils sont appe­lés pour admi­nis­trer la crise du sys­tème de domi­na­tion capi­ta­liste mais en per­pé­tuent seu­le­ment une expres­sion maquillée et édulcorée. Par consé­quent, nous réaf­fir­mons, pré­sen­te­ment confor­téEs par une riche expé­rience his­to­ri­que, qu’il n’y a pas de che­mins étatiques ou avant-guar­dis­tes vers une société socia­liste liber­taire. Le pro­jet liber­taire sera cré­di­ble s’il appuie sur les lut­tes des mou­ve­ments sociaux de base et sur une auto­no­mie intran­si­geante.

5. Nous consi­dé­rons aussi que la liberté n’est pas seu­le­ment un objec­tif mais un che­min et une pra­ti­que. Par consé­quent, nous ne pou­vons faire moins que défen­dre les liber­tés conqui­ses et à conqué­rir dans notre lon­gue mar­che, en condam­nant de maniere consé­quente tous les gou­ver­ne­ments y com­pris ceux qui se reven­di­quent comme révo­lu­tion­nai­res du conti­nent latino-ame­ri­cain et de toute autre par­tie du monde. Que cela soit clair, nous condam­nons tout gou­ver­ne­ment qui trouve son ins­pi­ra­tion dans une liberté tron­quée ou repous­sée à un terme loin­tain. Et peu nous impor­tent leurs hau­tes consi­dé­ra­tions sor­ties d’une ima­gi­na­tion déli­rante.

6. Finalement, appar­te­nants à dif­fé­rents cou­rants de la pen­sée et de la pra­ti­que anar­chiste et en ayant démon­tré dans les faits qu’il est pos­si­ble d’établir un cli­mat de fra­ter­nité et de res­pect entre nous au-delà de nos dif­fé­ren­ces, nous affir­mons qu’il est pos­si­ble et nécess­saire pour notre mou­ve­ment de cons­truire tous les réseaux soli­dai­res pos­si­bles. Ceci est et sera notre enga­ge­ment et notre tâche immé­diate.

Biopoliticos (Colombie), Colectivo Autonomo Magonista - CAMA (Mexique), Federacion Libertaria Argentina – FLA, Comision de Relaciones Anarquistas - CRA (Vénézuela), Centro de Estudios Sociales Libertarios - CESL (Vénézuela), Ateneo de Contracultura y Estudios Acratas « La Libertaria » - Biscucuy (Vénézuela), The Alarm - Newspaper (États-Unis), Espacio - Review (Équateur), Kolectivo de Objecion por Konciencia - ART (Colombie), Movimiento Libertario Cubano – MLC, Grupo de Estudos Libertarios - Babilonia (Brésil), Cruz Negra Anarquista (Vénézuela) et des indi­vi­duEs


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K.O.A.L.A
 
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 14 Jan 2013, 19:17

Resistencia libertaria, l’opposition anarchiste à la dernière dictature argentine

Traduction publiéé dans Les Temps Maudits N° 18, janvie 200r.

Resistencia Libertaria : l’opposition anarchiste à la dernière dictature argentine

Article initialement paru dans New Formulation, février 2003, vol. 2, n° 1. Interview réalisée par Chuck Morse

Une vaste résistance populaire s’est confrontée aux dictatures militaires qui ont étranglé l’Amérique latine dans les années soixante-dix. Des militants de diverses tendances politiques ont lutté, de façon spontanée ou organisée, et leurs efforts ont indéniablement sauvé bien des vies et hâté l’effondrement de ces régimes brutaux. Bien que certaines de leurs contributions aient été célébrées dans des livres, articles ou films, d’importants pans de la résistance n’ont jamais été étudiés. En particulier, l’opposition anarchiste aux dictatures − qui a existé en Argentine, au Brésil, au Chili et en Uruguay − a été presque entièrement omise de l’analyse historique. L’interview qui suit répare cette omission. Elle retrace l’histoire de Resistencia Libertaria, une organisation anarchiste clandestine, fondée peu de temps avant la prise de pouvoir des militaires, en 1976.

Resistencia Libertaria (RL) était active dans les mouvements étudiants et ouvriers, et parmi les organisations de quartier ; elle disposait également d’une branche militaire qui assurait la défense et le financement de ses activités. À son apogée, elle comptait entre 100 et 130 membres, auxquels s’ajoutait un réseau de sympathisants beaucoup plus vaste a). L’organisation a été écrasée en 1978, et 80% de ses membres ont péri[ou se sont terrés dans le silence pendant la répression, note de FM] dans les camps de concentration ou les salles de torture de la dictature.

Resistencia Libertaria a perpétué la longue tradition de l’anarchisme argentin, tout en l’adaptant aux nouvelles conditions auxquelles les militants se sont confrontés dans les années soixante-dix. Les expériences de RL − sur lesquelles n’existait jusqu’à présent presque aucune étude, en espagnol ou en anglais − constituent un chapitre important dans l’histoire de la résistance à la dernière dictature argentine, et dans celle de l’anarchisme d’après-guerre en général.

Cette interview a été réalisée en espagnol et par téléphone, le 13 octobre 2002, avec Fernando López, l’un des rares survivants de RL. Référez-vous à la section « À propos des contributions » pour plus d’informations. Chuck Morse

Parle-moi, s’il te plaît, des origines de RL. Comment a-t-elle été constituée ?

RL a été fondée par des camarades de La Plata, à la fin des années soixante. Le noyau fondateur se composait d’un groupe gravitant autour d’une menuiserie organisée en coopérative (qui existe encore à ce jour b). Il a développé des projets militants, d’abord parmi les étudiants, puis au sein du mouvement ouvrier (notamment dans le syndicat de la construction navale et dans celui des employés du ministère de la Justice).

Un des événements clés survint lorsque des membres du groupe commencèrent à collaborer au journal La Protesta. De très dures discussions eurent lieu entre eux et les anciens qui tenaient le journal (1). Ces discussions concernaient l’apparition des premiers groupes d’action armée, comme les Tupamaros et l’ERP (Ejército Revolutionario del Pueblo, l’armée révolutionnaire du peuple). Les jeunes avaient tendance à soutenir les actions menées par ces groupes, se confrontant ainsi aux anciens qui s’y opposaient parce qu’ils rejetaient certaines positions marxistes desdits groupes. Suite à ces dissensions, le groupe le plus jeune fut exclu de La Protesta vers 1971. Cela coupa ses relations avec le mouvement anarchiste traditionnel, mais lui rendit son indépendance. Plus tard, en 1973, un congrès anarchiste se tint à Córdoba, auquel participèrent des militants de Córdoba, Buenos Aires, Mendoza, Salta et Montevideo (Uruguay). Moi-même et un autre camarade avons participé à ce congrès en tant que délégués d’un groupe appelé Acción Directa. C’est là que des camarades de La Plata et de Córdoba, ainsi que Acción Directa de Buenos Aires ont constitué Resistencia Anticapitalista Libertaria, en tant qu’organisation nationale. Un an ou un an et demi plus tard, le nom de Resistencia Anticapitalista Libertaria a été simplifié en Resistencia Libertaria (cela s’est produit naturellement, il n’y pas eu de discussion sur la modification du nom). J’ai rejoint l’organisation en 1974.

Comment était structurée RL ?

RL était une organisation complètement clandestine et fonctionnait en cellules réunies par secteur d’activité. (2). Ces secteurs comprenaient le front des travailleurs, celui des étudiants et celui des organisations de quartier. RL avait également une branche militaire, qui était en réalité un moyen de financer l’organisation − militer pendant une période de clandestinité quasi-absolue est très coûteux et difficile − et de protéger les travailleurs, militants, etc., car les enlèvements et les actions de l’extrême droite contre les groupes de travailleurs de gauche étaient fréquents pendant cette période. Dans certains cas, il était nécessaire d’organiser l’autodéfense. La démocratie de l’organisation ne fonctionnait évidemment pas en assemblées ; les votes et les choix se faisaient par le biais des cellules. Chaque cellule avait un délégué, qui était en contact avec les niveaux supérieurs de l’organisation et ainsi de suite, jusqu’au niveau national ou régional. Ainsi, les décisions empruntaient le même chemin pour parvenir au niveau national ou aux cellules. Autrement dit, les décisions montaient et descendaient de la même manière [au sein de l’organisation]. En réalité, c’était bien plus compliqué, du fait qu’il n’était pas possible de mettre tout le monde en contact.

Combien de membres comptait RL ? RL avait des noyaux importants à La Plata et dans les zones avoisinantes, comme Berisso, Ensenada, Villa Elisa, et dans quelques villes situées entre Buenos Aires et La Plata, ainsi qu’à Buenos Aires même. Elle en avait également à Córdoba et dans certaines villes proches, comme Ferreyra qui était une zone industrielle avec des usines Renault et Fiat. Il est difficile d’évaluer le nombre exact de membres de RL, à cause de sa structure cellulaire et de son caractère clandestin ; mais j’estime qu’en 1975, au moment de son plus grand développement, RL comptait entre 100 et 120 ou 130 membres.

RL a été conçue comme un parti de cadres, et non comme un parti de masse ; ainsi, les gens qui avaient des relations avec RL pouvaient avoir un moindre niveau de formation politique et d’engagement qu’un militant de RL, et participer à des groupes plus ou moins contrôlés par RL, comme les groupes de base dans les quartiers, les usines et les universités. Quand on aborde cette question, il faut donc se représenter un groupe agissant qui comprenait plus de 120 ou 130 personnes.

Peux-tu expliquer ce que tu entends par « cadre » ?

Un-e cadre est un-e militant-e qui, du fait de sa formation (politique), est capable de porter une ligne politique de son propre chef, lorsqu’il ou elle se trouve immergée en un lieu d’action déterminé, sans avoir à maintenir un lien étroit et permanent avec l’organisation (lien rendu impossible du fait de la répression). C’est à dire que, bien que ce-tte camarade soit isolé-e de l’organisation du fait de la clandestinité, il ou elle est capable de porter une ligne politique dans le cadre de la structure et des besoins de l’organisation, et peut le faire en toute circonstance. Un cadre est un cadre politique, un cadre politico-militaire. En d’autres termes, un cadre est un militant capable d’agir dans une association de quartier ou dans une usine, qui sait comment confectionner un cocktail Molotov ou une bombe de quelque nature que ce soit et se servir d’une arme, etc.

C’est ce qui fait la différence avec un parti de masse : un parti de cadres comprend uniquement des militants qui ont totalement approuvé l’organisation avant de la rejoindre. Il est logique qu’un parti de masse soit autoritaire, parce qu’il y a plusieurs niveaux d’engagement au sein de l’organisation, des militants de base aux leaders. Au sein de RL, le niveau des militants était le même pour tous et chaque militant pouvait exercer n’importe quelle fonction à tout moment. Pour que cela soit possible, chaque militant rejoignant l’organisation doit avoir le même niveau de développement et de formation que ceux qui y sont déjà. Je crois que ce modèle est emprunté, d’une façon ou d’une autre, à l’Alliance de la démocratie sociale de Bakounine, le parti qu’il a fondé pendant la première Internationale. (3)

Parle-moi des membres de RL en 1975. Quelles étaient leurs origines économiques ? Quel était leur âge ? Qui étaient les membres les plus importants ?

Je pense que la plupart des militants de RL et de ce nouvel anarchisme apparu dans les années soixante-dix (il y avait une grande quantité de petits groupes de jeunes anarchistes) avaient des origines plutôt petites bourgeoises que prolétaires.

Bien qu’issus de la petite bourgeoisie, beaucoup d’entre eux ont lentement rejoint le mouvement ouvrier, dans lequel ils ont complètement développé leur vie sociale et politique. Cela reflète les conceptions de l’époque − non seulement parmi les anarchistes mais également au sein de toute la gauche − qui consistaient à prôner la prolétarisation des mouvements étudiants. Quant à l’âge des membres, bien qu’il y eût des camarades de plus de quarante ou cinquante ans, la plupart d’entre eux avaient entre dix-neuf et vingt-cinq ans, y compris le noyau, qui avait entre vingt-trois et vingt-quatre ans. Les Tellos, trois frères de La Plata qui ont disparu, étaient des camarades importants. Ils étaient des leaders syndicalistes aux chantiers navals de Berisso et d’Ensenada. Plus tard, il y eut Rafael (je ne me souviens plus de son nom complet ; nous avions tous des pseudonymes c), le secrétaire général d’un syndicat du caoutchouc, à Córdoba. Il incarnait une figure clé de l’organisation, dans ce sens qu’il était un leader d’opinion, pas uniquement un militant important de RL. Ce camarades n’avait pas non plus des origines prolétariennes.

Il avait été initié à l’anarchisme au Département d’architecture de l’Université nationale de Córdoba. Je crois qu’il a survécu et qu’il est exilé en Espagne. Mais, globalement, RL n’avait pas de leaders publics importants, parce qu’elle était strictement clandestine.

Où militais-tu en 1976 ?

Surtout dans le mouvement ouvrier. En 1974, j’ai commencé à militer au syndicat des plombiers, qui avait une tradition libertaire et regroupait des membres anarchistes plus âgés. Nous y avons développé quelques projets. Plus tard, en 1975, j’ai commencé à travailler dans une grande usine textile, dénommée Alpargatas, quand RL a commencé à mettre l’accent sur le travail politique au sein des plus grandes usines et des plus puissants syndicats d’industrie.

Qu’y faisiez-vous exactement ?

Notre action ciblait la base du syndicat et la constitution de groupes classistes. Nous participions au mouvement ouvrier au niveau national, organisant des syndicats, des comités révolutionnaires dans diverses usines à travers tout le pays, et nous avons aussi participé à la Coordinadora de Gremios en Lucha (Coordination des syndicats en lutte) (4). Nous y avons beaucoup travaillé entre 1974 et 1976. En 1976, sous la répression militaire totale, nous sommes allés jusqu’à occuper l’usine Alpargatas, à Florencio Varela, pendant deux semaines durant lesquelles nous étions encerclés par l’armée.

Parle-moi de cette occupation.

Il ne s’agissait pas d’une occupation impliquant de mettre en place un conseil qui aurait fait tourner l’usine. En principe, l’occupation devait fermer l’usine et obliger la direction à négocier avec les travailleurs sur les conditions de travail, les salaires, etc. Le conflit relevait de revendications économiques.

Dans ces usines, les cadres de RL se consacraient à l’organisation des groupes de base : l’instruction des camarades, le recrutement de militants de ces groupes au sein de RL, la coordination des activités avec des groupes d’autres usines et les tentatives de mettre en place des liens entre les syndicats.

Savait-on que vous étiez des militants anarchistes ?

Non. En tant qu’organisation de cadres, RL ne produisait presque jamais de propagande prosélyte ou idéologique. La propagande politique était de nature syndicale ou classiste. Ce qui s’est passé, c’est que certains membres des groupes de base contrôlés par RL ont été formés politiquement, puis à long terme incorporés à RL en tant que « cadres ». C’est là qu’ils ont commencé à avoir accès à des textes spécifiquement anarchistes.

En plus de ton engagement syndical, est-ce que tu militais ailleurs ?

Je n’ai pas milité dans les mouvements de quartier. Après avoir intégré le secteur étudiant, j’ai presque tout de suite commencé à militer dans le mouvement ouvrier en rejoignant RL.

Evidemment, les militants de tous les secteurs participaient de temps en temps à des opérations qui n’étaient pas spécifiques au leur : opérations de propagande armée ; actions éclair où des rues étaient barricadées et des voitures retournées ; distributions de tracts ; petits explosifs et miguelitos, etc (5). Les cadres et les militants des différents secteurs participaient de ponctuellement à ces opérations.

Raconte-moi ce qui s’est passé en 1976.

Bien que la répression musclée ait commencé avant, en 1976 elle est devenue plus aveugle et génocidaire. Nous avons eu nos premières pertes importantes en 1976, quand cinq ou six camarades ont « été disparus », enlevés, à Córdoba. Ils faisaient tourner le syndicat du caoutchouc, qui a été perdu suite à leur disparition. Il a fallu reconstruire nos secteurs d’activité, déplacer des camarades en d’autres lieux, etc. Le problème était permanent et réclamait beaucoup d’argent.

Mais c’est en 1978 qu’ils nous ont presque annihilés en tant qu’organisation. Pendant trois nuits, d’une façon systématique et coordonnée, ils ont enlevé nos camarades à La Plata, à Buenos Aires, et dans les villes situées entre les deux. L’organisation a été totalement démantelée. Certains d’entre nous sont revenus, mais plus de la moitié des membres de l’organisation n’ont jamais réapparu. Nous avions perdu l’essentiel de l’organisation.

Qu’est-il arrivé aux camarades disparus ?

Nous supposons qu’ils ont été exécutés. C’était la pratique habituelle à l’époque. Parmi ceux qui avaient été enlevés, les militaires ont décidé, je ne sais pour quelles raisons, que certains survivraient, et ceux-là ont été abandonnés en divers endroits. Les autres, qui occupaient divers niveaux de responsabilité au sein de l’organisation, ont été exécutés. Et tous les disparus ont été torturés, qu’ils aient été ensuite exécutés ou non.

En quelle année as-tu été enlevé ?

En juin 1978, pendant la coupe du monde qui avait lieu en Argentine. J’ai été kidnappé en pleine nuit, dans un appartement que j’habitais avec ma compagne et mon fils de trois ans, à La Boca (6). Ils sont venus vers trois heures du matin, en frappant à la porte. Je me suis levé pour ouvrir, pensant que ce pouvait être mon frère, qui venait parfois à la maison la nuit. C’était une patota - comme on nomme ce type de groupes paramilitaires (7). Il y avait six ou sept individus lourdement armés de mitraillettes, de fusils, etc. J’ai été maîtrisé, attaché, puis on m’a bandé les yeux. Ils m’ont sorti de l’appartement et mis dans une camionnette. Là, j’ai remarqué qu’il y avait d’autres personnes dans la même situation.

Ils nous ont emmenés (nous l’avons appris par la suite) dans une caserne de police, dans la province de Buenos Aires. Arrivés là, ils nous ont immédiatement conduits dans une chambre de torture pour nous soutirer des informations. Les tortures étaient classiques : décharges électriques, coups de bâton, de gourdin, de chaîne. Les méthodes courantes. Je préfère ne pas en parler.

Combien de temps es-tu resté dans ce poste de police ?

Deux mois. D’autres camarades y sont restés pendant six mois, mais ils ont quand même réapparu. C’est le cas d’un des camarades, mais la plupart de ceux qui n’étaient pas revenus au bout de deux mois n’ont jamais réapparu.

Que t’est-il arrivé après ces deux mois ?

Ils m’ont relâché dans un quartier de la banlieue de Buenos Aires, avec dix autres personnes. Ils nous ont mis dos à un mur, comme s’ils allaient nous fusiller, puis sont partis.

Où es-tu allé ensuite ?

Je suis parti pour l’Uruguay, parce que j’y avais beaucoup de famille. J’avais dans l’idée, avant tout, de laisser ma compagne et mon fils à Montevideo, puis de retourner à Buenos Aires. Cependant, comme ça arrive, je suis resté en Uruguay jusqu’à mon retour en Argentine, en 1984. Le gouvernement exerçait aussi une surveillance en Uruguay, mais sans forcer. Ils ne m’ont pas directement tracassé.

Parle-moi des activités de RL de 1976 à 1978, les deux dernières années de l’organisation.

Bien sûr, les activités avaient un caractère beaucoup moins public. Nous concentrions davantage nos efforts sur les réunions, les discussions, l’élaboration de matériel et de documents, les discussions et les rencontres avec d’autres groupes. Les relations étaient si confuses, si difficiles et compliquées à cause de la répression... Par exemple, si tu perdais le contact avec un camarade, cela pouvait prendre des mois avant de pouvoir le retrouver. Et imagine l’énorme quantité des mesures de sécurité, soigneusement imbriquées. Mais, quoi qu’il en soit, nous travaillions essentiellement à maintenir les groupes que nous avions dans le secteur ouvrier, dans les quartiers et chez les étudiants.

Que faisiez-vous dans les secteurs des étudiants et des quartiers ?

Le secteur des quartiers s’adressait, avant tout, aux plus pauvres des habitants des quartiers. Les activités de ce secteur touchaient aux revendications concernant l’approvisionnement en eau, le tout-à-l’égout, la construction de logements, de parcs, etc. (les diverses revendications des quartiers pauvres). Dans le secteur étudiant, le travail militant se concentrait sur les revendications relevant des programmes d’études, des infrastructures et des examens : les thèmes habituels de l’époque.

Parle-moi de la branche militaire.

Naturellement, c’était le plus petit noyau de l’organisation. Il n’était pas nécessairement constitué des plus anciens, des camarades les plus expérimentés de l’organisation - il n’y avait pas de règle en la matière - mais évidemment, les camarades les plus expérimentés et les plus anciens se sont retrouvés dans ce secteur parce qu’ils avaient été exposés à la police et allaient être arrêtés. Autrement dit, leurs noms étaient tombés entre les mains de la répression et ils ne pouvaient plus participer à des projets trop voyants.

Comment avez-vous su que ces camarades avaient été exposés ?

Par exemple, ceux qui venaient des chantiers navals ont été dénoncés et persécutés parce qu’ils étaient des militants connus dans les syndicats. Quand la répression a vraiment commencé, en 1976, il a fallu transférer ces camarades de Berisso à Ensenada et les impliquer dans des projets moins visibles, géographiquement plus étendus, dans la zone nord de Buenos Aires, à San Fernando, dans le Tigre, etc.

Et ces camarades ont fini par rejoindre la branche militaire ?

Oui. Ils s’investissaient avant tout dans la branche militaire et menaient parfois des opérations avec d’autres organisations, pour nous procurer de l’argent ou d’autres choses dont nous avions besoin, comme des armes, du matériel d’impression et des voitures.

Parle-moi de certaines de vos actions.

Classiquement, comme tous ces types de groupes à travers le monde, elles concernaient des enlèvements d’hommes d’affaires en vue d’exiger des rançons. De temps en temps, des actions étaient dirigées contre la police, avec des voitures de police brûlées ou des coups de feu tirés sur les postes de police. Diverses activités, quoi.

Quelles étaient les relations entre RL et les autres groupes de gauche ?

Il n’y avait qu’un seul groupe anarchiste du niveau et de l’importance de RL, la Línea Anarco-Comunista (LAC), qui était d’ici, de Buenos Aires. Mais elle a commencé à perdre de l’ampleur en tant qu’organisation avant 1976, et une grande partie de la LAC a rejoint RL vers la mi-1976. Nous nous entendions aussi particulièrement bien avec des groupes classistes. Il y avait l’Organización Comunista Poder Obrero, qui était une organisation de la nouvelle gauche et un groupe classiste. Bien qu’ils aient été des léninistes - et même des léninistes orthodoxes - nous avions avec eux de bonnes relations, de bons accords.

Parle-moi de ces accords.

Il s’agissait d’accord fonctionnels : la coordination des efforts au sein du mouvement ouvrier, l’organisation de coordinations (essentiellement dans le secteur ouvrier) (8). Parfois, des relations étaient également nouées au niveau de la défense militaire, au cours d’opérations que nous menions ensemble. Ils avaient un appareil militaire appelé Brigadas Rojas, qui était beaucoup plus développé que le notre.

En quoi vos activités étaient-elles différentes de celles des autres groupes révolutionnaires de gauche pendant la dictature ?

Je ne sais pas si elles étaient si différentes. Elles se distinguaient par nos attitudes politiques. Nous étions partisans de l’autogestion des travailleurs, de la création de structures autonomes du mouvement ouvrier, et moins enclins à récupérer les actions des travailleurs au profit d’un parti. En d’autres mots, nous essayions d’organiser des groupes dans les mouvements de masse, pas des groupes de notre organisation. Bien sûr, nos militants étaient présents dans ces groupes, mais pas avec un esprit de parti. L’organisation avait cette conception bakouniniste des militants révolutionnaires qui avait façonné l’Alliance de la démocratie sociale de Bakounine : des militants agissent et se coordonnent dans le but d’organiser les masses populaires, sans nourrir aucun projet directif à leur intention. En d’autres termes, notre but était la construction du pouvoir, pas la prise du pouvoir.

Existait-il des conflits entre RL et d’autres groupes de la gauche révolutionnaire ?

Dans une situation d’absolue clandestinité, il devient très difficile d’établir quelque relation que ce soit avec d’autres groupes et, de ce fait, on ne voit pas l’obligation de se battre contre eux. En ce sens, nous n’avions pas de conflits notables avec d’autres organisations politiques. Peut-être en avions-nous avec les étudiants, quand l’action était moins clandestine, mais pendant la période de clandestinité totale nous ne nous sentions pas obligés d’entrer en conflit avec des militants d’autres organisations, du fait que nous n’avions pas de luttes communes.

Quelles étaient vos relations avec la gauche internationale ?

Nous entretenions des relations avec les gens d’Uruguay, en particulier l’Organización Popular Revolucionaria 33. Ce groupe avait des origines anarchistes et une forme d’organisation très proche de la nôtre. C’était une organisation plus ancienne, mieux implantée dans les luttes sociales et aussi plus puissante. Elle existe encore aujourd’hui, mais elle a sensiblement changé. Issue de la FAU (Federación Anarquista Uruguya), elle est devenue une organisation marxiste-libertaire dans les années soixante-dix. Nous avions de nombreuses relations avec eux dans les années soixante-dix, quand ils étaient plus proches de la FAU. Il y a aussi une autre relation, mais je suis mal placé pour en parler et je ne sais pas s’il existe encore des camarades mieux informés. En 1976, j’ai entendu parler d’un contact avec un groupe palestinien. Ce lien est presque mythique et je n’en sais pas grand-chose, à part que des camarades se sont entraînés au Moyen Orient avec des anarchistes palestiniens. Je n’ai aucune idée de l’importance de cette relation, ni si elle a été ponctuelle et a disparu immédiatement. À l’époque où je militais dans l’organisation, je ne me souviens pas avoir entendu beaucoup de conversations à ce propos, mais je sais que quelque chose a existé. Quoi qu’il en soit, ceux qui y ont participé sont maintenant morts ou disparus.

Aviez-vous d’autres relations avec la communauté anarchiste internationale ?

Non.

Parle-moi des idées de RL.

Les idées de RL formaient un conglomérat. Par essence, nous étions fondamentalement bakouninistes, mais nous avons plus tard incorporé les classiques de l’anarcho-syndicalisme espagnol, de Cornelissen (9) et aussi de l’anarcho-syndicalisme de Rudolf Rocker.

En Argentine, il existe des divisions internes, différents courants de l’anarchisme : un anarchisme plutôt collectiviste et un autre plus syndicaliste, classiste (très important dans les années vingt). En un sens, RL a fait renaître cette tradition classiste de l’anarchisme argentin.

Que lisiez-vous ?

Outre les classiques de l’anarchisme que, logiquement, nous lisions en tant qu’organisation anarchiste, nous avions d’autres lectures courantes, comme Franz Fanon - notamment Les Damnés de la Terre et Sociologie de la Révolution - ou les textes de Mao sur la guerre, Marcuse, et d’autres.

Y avait-il une influence de l’Espagnol Abraham Guillén ? (10)

Non, ni celle des guérillas anarchistes espagnoles. Nous avions des informations et certains en savaient davantage, mais tout ce qui avait à voir avec la guerre civile en Espagne et la résistance espagnole sous Franco nous semblait très lointain.

Quels débats et conflits aviez-vous au sein de RL ?

En général, les discussions tournaient autour des modalités d’implantation, des politiques d’alliance ; c’est-à-dire, avec qui devions-nous créer des alliances et quelle devait être leur nature.

Par exemple, nous avons eu une discussion interne à propos de l’alliance avec l’Organización Comunista Poder Obrero. Ou encore, en 1976, pendant la dictature, les montoneros (11) ont lancé la « CGT en résistance ». Ils ont tenté d’unir les syndicats avec une CGT parallèle, non officielle, et cela a provoqué une discussion dans notre organisation, pour savoir si c’était cohérent, si l’attitude correcte n’était pas de renforcer les fédérations syndicales qui existaient et que les travailleurs reconnaissaient comme leurs. Les travailleurs continuaient de voir la CGT comme leur organisation et la constitution d’une organisation parallèle pouvait se révéler inutile, voire dangereuse. Cette discussion s’est poursuivie jusqu’en 1978.

Les débats internes à RL se déroulaient via des notes, qui étaient des résumés de discussions. Elles étaient transmises à une cellule, à une structure, puis de cette structure à une autre. C’est ainsi que les notes circulaient et cela permettait aux discussions d’avoir lieu dans un réseau totalement clandestin.

Quelles étaient les publications produites par RL ?

RL n’avait pas de publication organique et ne produisait pas une propagande de parti, mais publiait des périodiques dans chaque secteur, chaque lieu d’implantation. Par exemple, RL a participé à la Coordination des syndicats en lutte, dans le sud de la province de Buenos Aires, et a publié un périodique intitulé Organización Obrera. Quand des membres de RL ont été intégrés au syndicat du bâtiment, ils ont produit une publication intitulée Resistencia Obrera. Les camarades présents au syndicat de l’imprimerie avaient aussi une publication, dont j’ai oublié le nom. Une publication était produite à chaque endroit où nous avions un développement important et où il y avait quelque possibilité d’avoir une publication interne ; mais les publications relevaient du secteur, pas de l’organisation. Cela venait du fait que RL était une organisation de cadres, pas de masse.

Quelles étaient les relations entre RL et les anarchistes plus âgés ?

La relation était très ténue. Les vieux anarchistes étaient toujours regroupés dans deux ou trois groupes qui, bien qu’existants, avaient très peu de pertinence politique et étaient très isolés. Et curieusement, les jeunes groupes anarchistes ne sont pas nés des institutions anarchistes plus anciennes. Ils se sont développés à l’extérieur de la tradition anarchiste ; ils sont venus à l’anarchisme à partir d’autres courants politiques.

Est-ce que les anciens vous ont aidés ?

Je crois que, dans les années soixante-dix, la coupure était très nette entre ceux d’entre nous qui avaient 20 ans et ceux qui en avaient 60 ou 70. La scission générationnelle était très marquée, bien plus qu’aujourd’hui, où les différentes générations ont des références culturelles communes. À cette époque, elles n’en avaient vraiment aucune et, dès lors, il était très difficile d’établir des relations à peu près normales.

Rétrospectivement, quelles ont été les erreurs et les réussites essentielles de RL, selon toi ?

C’est si difficile. Nous n’avons jamais pu faire une autocritique. Nous ne nous sommes pas revus après la débâcle, après un tel choc, après tant de catastrophes. Pourtant, à distance, je crois que les succès découlent de toutes les expériences que nous avons faites pour bâtir une organisation anarchiste efficace, dans la clandestinité la plus totale. Je pense que ce sont des réussites organisationnelles valables et qu’elles valent la peine d’être prises en considération. Comment conserver une démocratie interne, une discussion politique interne, au sein d’une organisation d’une certaine importance (en termes d’effectifs) dans un contexte de répression violente ? Je crois que notre confrontation avec ces questions, en tant qu’organisation spécifiquement anarchiste, s’est soldée par de bons résultats. Concernant les succès théoriques ou politiques, je pense que l’organisation a seulement été en mesure de rétablir une tradition classiste de l’anarchisme argentin, qui avait été perdue.

Quant aux erreurs, je pense qu’après le vrai début de la répression, la branche militaire a pris dans l’organisation un poids qu’elle n’aurait pas eu en d’autres circonstances. C’est probablement l’une des plus terribles erreurs. Je crois aussi, avec le recul, que l’organisation aurait dû (mieux) préserver ses travailleurs militants et ceux qui étaient impliqués dans des luttes sociales. Elle aurait dû réduire son activité en certains endroits, dans le but de conserver et de protéger ses militants implantés dans le secteur ouvrier, dans le secteur étudiant et dans celui des associations de quartier. Je pense que ce fut une erreur, une grave erreur.

Mais tout cela est lié au sentiment d’espérance vécu par toutes les organisations de gauche en Argentine.

Incontestablement, le massacre a été partagé, il ne nous a pas exclusivement touchés.

Pourquoi est-ce une erreur que la branche militaire ait eu autant de poids dans l’organisation ?

Dans une situation de clandestinité totale, une organisation est obligée d’avoir de gros moyens financiers pour survivre, continuer à agir et protéger ses militants. Ils ne sont pas en mesure de se financer eux-mêmes, alors il faut disposer d’un appareil qui se charge en permanence de générer ces ressources. Alors, cet appareil commence à prendre le pas sur le reste, à avoir plus d’importance que prévu. Pour nous, la branche militaire n’était pas ce qu’elle représentait pour d’autres partis de gauche en Argentine, l’embryon d’une armée ou quelque chose de ce genre. Dans notre stratégie de guerre populaire prolongée, nous prévoyions la création d’une armée populaire, mais nous entendions que cette armée se constitue dans les usines et les quartiers ; ce que bien sûr nous aurions appuyé, mais sans en faire l’appareil d’un parti. Nous avions en cela une conception différente des autres groupes.

À ton avis, quelles sont les leçons principales que RL peut apporter aux anarchistes d’aujourd’hui ?

Je crois que la leçon essentielle relève du refus de l’isolement et du sectarisme au sein de l’anarchisme. Je pense que s’il y avait quelque chose d’absolument cohérent chez RL pendant toutes ses années d’existence, c’était bien cela. Le refus du sectarisme, de l’isolement par rapport aux masses, aux travailleurs, aux discussions du commun des mortels. Je crois que c’est là la plus précieuse caractéristique de RL, qui a rompu avec les réflexes d’isolement, tout comme d’autres groupes proches d’elle. (Les groupes anarchistes étaient nombreux pendant cette période, beaucoup d’entre eux se sont fondus dans RL). Tous ces groupes ont surgi en réaction à l’isolement qu’a connu l’anarchisme au début des années soixante. Cet isolement était en partie lié au phénomène du péronisme en Argentine. Après la répression des années trente et quarante, l’anarchisme s’est mis en retrait et s’est refermé sur lui-même. Il en était encore là quand les années soixante sont arrivées. Et tous ces nouveaux groupes, essentiellement constitués de jeunes, figuraient une réaction à cet anarchisme en retrait, recroquevillé. Ainsi, je crois que la valeur la plus estimable de RL est précisément son refus du sectarisme, sa volonté de s’impliquer avec les gens, dans leurs discussions et de s’engager dans leurs luttes.

Quels sont les meilleurs livres à propos de la résistance à la dictature en Argentine ?

Il n’y a vraiment pas de bons livres sur la résistance à la dictature, et c’est intéressant de le remarquer. Par contre, on constate que les Espagnols ont passé trente ans à écrire sur la dictature de Franco, sur les différentes formes de résistance contre son régime et tous les combats de la guerre civile avant sa victoire.

Pourquoi, en Argentine, où la dictature a été un tel traumatisme, des livres pertinents n’ont-ils pas été consacrés à la résistance à la dictature ?

L’explication tient surtout à l’influence de la culture dominante et à la façon dont les études historiques ont été orientées en Argentine. Cette tendance a été déterminée par les secteurs réformistes, qui ont insisté sur la théorie des deux maux, dans laquelle la dictature était décrite comme un combat entre un mal de droite et un mal de gauche, avec le peuple pour spectateur.

Ceux qui fixent les grandes lignes des études historiques en Argentine ont essayé de passer sous silence le thème de la résistance ouvrière à la dictature, parce que dans le cadre de la théorie des deux maux, les gens qui ont disparu se sont évaporés par hasard ou par accident, et pas parce qu’ils étaient impliqués dans une lutte contre la dictature. Cette attitude relève du besoin qu’a le régime de légitimer ses actes, depuis l’arrivée d’Alfonsin en 1983 (13). Pour donner sa légitimité au gouvernement - revenu à la démocratie libérale d’il y a quarante ou cinquante ans - ils ont essayé de faire croire que l’Argentine avait connu une guerre entre des fous de gauche et des fous de droite, et que la majorité des gens ont été des victimes accidentelles, prises entre deux feux. Dans ce sens, ceux qui déterminent l’orientation des études historiques dans les universités ne tiennent pas compte de la résistance ouvrière. Par exemple, bien que la plupart des gens l’ignorent, 60% des disparus étaient des ouvriers. De même, les radicaux ont tenté avec insistance de démontrer qu’il n’y a pas eu trente mille disparus, mais dix ou douze mille (14).

Et personne n’a fait aucune étude sur le nombre de gens qui ont disparu pour réapparaître plus tard. En d’autres termes, combien de personnes sont passées par les camps de concentration de la dictature. Ce que nous y découvririons probablement, c’est que bien plus de cent mille personnes ont dû y séjourner.

Autrement dit, des études sur la résistance de la classe ouvrière à la dictature - qui a été importante - et sur la quantité de gens qui sont passés par les camps de concentration briseraient ce schéma et la légitimité des gouvernements libéraux en Argentine. Car ce gouvernement affirme qu’il est venu restaurer une démocratie annihilée par un conflit entre quelques extrémistes de gauche et quelques extrémistes de droite. C’est sur cet argument que le gouvernement radical fonde sa légitimité.

Étudier la résistance ouvrière à la dictature, le fait que la plupart des disparus étaient des ouvriers d’usine et pas des militants d’organisations armées, montrerait que la résistance à la dictature fut une résistance populaire. Et ce que cette résistance populaire demandait n’était pas le retour à la démocratie parlementaire de type radical, mais plutôt une révolution socialiste.

Note :

Malgré la faiblesse des travaux disponibles à l’heure actuelle sur la résistance à la dictature, j’ai demandé à López de citer certains des meilleurs livres disponibles. Il a mentionné les titres suivants :

Anguita, Eduardo et Martín Caparros. La Voluntad. Una historia de la militancia revolucionaria en Argentina (La volonté. Une histoire de l’action révolutionnaire en Argentine), vol. 1-3. Buenos Aires, Norma, 1998.

Bousquet, Jean-Pierre. Las Locas de la Plaza de Mayo (Les folles de la place de mai). Buenos Aires : El Cid Editor, 1983.

Gillepsie, Richard. Soldiers of Perón : Argentina’s Montoneros (Soldats de Perón : les montoneros argentins). New York : Oxford University Press, 1982.

Mattini, Luis. Hombres y Mujeres del PRT-ERP : la pasion militante (Hommes et femmes du PRT-ERP : la passion militante). Buenos Aires : Editorial Contrapunto, 1990.

Notes

1. La Protesta est une publication anarchiste née en 1897 et qui continue d’exister de nos jours. À son apogée, elle était une part essentielle du mouvement ouvrier argentin et une importante ressource pour le mouvement anarchiste en Amérique latine.

2. RL a toujours été clandestine, bien que son action au contact des masses ne l’ait pas été jusqu’au coup d’état de 1976.

3. López se réfère ici à l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, de Bakounine.

4. La Coordination des syndicats en lutte était une organisation créée quand le syndicalisme à visage découvert est devenu impossible à cause de la répression. Elle était constituée de syndicalistes indépendants et d’organisations révolutionnaires de gauche, dont RL. Elle coordonnait les activités de militants dans les usines et en d’autres endroits.

5. Les miguelitos sont des clous à quatre pointes utilisés pour arrêter la circulation.

6. La Boca est un quartier de Buenos Aires connu pour ses attraits culturels et artistiques.

7. Le mot patota est utilisé en Argentine et au Paraguay pour décrire une bande de jeunes qui sème la terreur dans les rues.

8. Voir la troisième note pour une explication de ce qu’était la Coordination des syndicats en lutte.

9. Cornelissen était un anarcho-syndicaliste hollandais très connu.

10. Abraham Guillén (1913-1993) était un activiste et théoricien anarchiste prolifique, vétéran de la guerre civile espagnole (1936-1939) et membre de toujours de la CNT espagnole, qui est parti en exil en Amérique du Sud à la fin des années quarante. Son ouvrage le plus connu et le plus influent est Estrategia de la Guerrilla Urbana. Voir Donald C. Hodges, Philosophy of the Urban Guerrilla (New York : William Morrow, 1973).

11. Voir la note [ndt. dans ce même numéro de New Formulation] de Ramor Ryan sur ce sujet pour un point de vue complet sur les montoneros.

12. La Confederación General del Trabajo était la centrale syndicale nationale.

13. Raúl Alfonsín a été élu en octobre 1983, au cours de la première élection présidentielle organisée après le coup d’État militaire.

14. López se réfère ici au Parti d’union civique radicale ; le parti de Raúl Alfonsín et de l’ancien président destitué, Fernando de la Rua.

Notes de María Esther Tello, militante de RL et CNT 94

a) Il faut comparer ce chiffre à celui des militants actifs des deux autres groupes clandestins, l’ERP marxiste-léniniste, environ cinq cents, et les montoneros, le double. Un aspect tragi-comique est que lorsque l’état-major des montoneros partit au Mexique avec le « trésor de guerre », les militants se retrouvèrent désemparés et que certains d’entre eux (plusieurs dizaines) firent appel à RL pour passer à l’étranger.

b) Erreur, les machines ont été saisies par les militaires et la police, et le fils d’un flic avait ouvert un atelier de menuiserie à deux pas de celui qui avait disparu.

c) Le nom est Flores.

Traduction : Léo Langevin
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 14 Jan 2013, 19:18

L'anarchie dans la révolution cubaine(1960)

Un manifeste de l’Association Syndicaliste Libertaire de Cuba (décembre 1960).

1. Contre l’État, sous toutes ses formes

Les adhérents de l’Association Syndicaliste libertaire, considèrent comme un devoir impérieux d’affirmer, dans cette étape de réalisations révolutionnaires de notre peuple, que nous sommes opposés, non seulement à certaines formes de l’État, mais à l’existence même de celui-ci comme organisme dirigeant de la société, et partant, à toute politique qui tende à créer une hypertrophie étatique, à amplifier les pouvoirs de l’État, ou à lui donner un caractère totalitaire et dictatorial.

Les militants syndicalistes libertaires, ainsi que les camarades des autres pays, estiment qu’il est impossible de réaliser une véritable révolution sociale sans procéder en même temps qu’à la transformation économique, à l’élimination de l’État, en tant qu’entité politique et administrative, en lui substituant les organismes de base révolutionnaires, comme les syndicats ouvriers, les municipalités libres, les coopératives agricoles et industrielles autonomes, les collectivités d’usine et de paysans, libres de toutes ingérences autoritaires.

Les superstitieux de la politique croient que la société humaine est la conséquence de l’État, alors que la réalité montre que l’État n’est que l’expression la plus terrible de la dégénérescence de la société divisée en classes ; dégénérescence qui trouve son point culminant dans les brutales inégalités, les injustices et les antagonismes du régime capitaliste.

En définitive, l’État n’est qu’un excroissance parasitaire produite par le régime de classes, appuyé sur la propriété privée des moyens de production, et il doit commencer à disparaitre définitivement dans l’étape de transformation révolutionnaire de la société bourgeoise en société socialiste.

2. Les syndicats sont les organes économiques de la révolution

Les syndicalistes libertaires affirment qu’il n’existe pas de représentation plus naturelle de la classe ouvrière que les syndicats, et que par conséquent, ceux-ci sont appelés à réaliser la transformation économique de la société, en remplaçant, comme dit le vieux mot d’ordre socialiste : « Le gouvernement des hommes par l’administration des choses... »

Les syndicats et les fédérations d’industries, restructurées de façon rationnelle, contiennent en eux-mêmes tous les éléments techniques et humains nécessaires, pour développer pleinement les plans d’industrialisation collective.

Face aux arrivistes de la politique révolutionnaire et aux revanchards de la politique réactionnaire, qui prétendent s’emparer de nouveau du pouvoir public, nous maintenons le critère suivant : avec la révolution sociale, non seulement les syndicats ne doivent pas disparaitre, mais maintenant, au contraire, en pleine période de réorganisation sociale, les organismes syndicaux ouvriers, qui, de moyens de lutte revendicative se sont transformés en instruments de direction et de coordination économiques, doivent remplir leur rôle le plus important et décisif.

Dans ces circonstances, la subordination des syndicats à la politique de l’État, bien que nous soyons dans une étape révolutionnaire - et peut-être à cause de cela - est une trahison envers la classe ouvrière, une basse manœuvre pour la faire échouer dans le moment historique où elle doit remplir sa mission la plus importante du point de vue socialiste : l’administration, au nom de la société tout entière, des moyens de production, et la responsabilité d’organiser la distribution au peuple des produits de consommation nécessaires, aux prix les plus bas et les plus justes.

3. La terre à celui qui la travaille

Les hommes et les femmes de l’Association Syndicaliste Libertaire maintiennent aujourd’hui plus que jamais, la vieille consigne révolutionnaire : La terre à celui qui la travaille. » Nous pensons que le cri classique des paysans du monde entier « Terre et Liberté » est l’expression la plus juste des aspirations immédiates des paysans cubains. Terre, afin de la travailler et de la faire produire ; Liberté pour s’organiser et administrer les produits de leurs efforts et de leur sollicitude, suivant les préférences des intéressés : par l’organisation de fermes collectives, quand cela est possible ; mais toujours suivant la libre volonté des paysans et non imposé par les représentants de l’État, qui peuvent être des hommes très capables au point de vue technique, mais, dans la plupart des cas, ne connaissent pas les réalités matérielles de l’agriculture et ignorent les sentiments, les inquiétudes et les aspirations spirituelles des hommes de la terre.

Notre longue expérience des luttes révolutionnaires chez les paysans nous a convaincus que la planification de l’exploitation de la terre, question vitale pour notre peuple, ne peut se concevoir comme un simple processus technique ; en effet, s’il existe des facteurs inertes, la terre, les machines, c’est le facteur humain qui est décisif, ce sont les paysans. C’est pour cela que nous nous prononçons en faveur de l’organisation du travail collectif et coopératif, sur des bases essentiellement volontaires, l’aide technique et culturelle devant être apportée comme un moyen - sans doute le meilleur -, qui persuade les paysans des énormes avantages présentés par l’exploitation collective, par rapport au système individuel ou familial.

Faire le contraire, employer la contrainte et la force, serait, en définitive, jeter les bases de l’échec total de la transformation agraire, c’est-à-dire l’échec de la révolution elle-même, dans son aspect le plus important.

En lutte contre le nationalisme

En tant que travailleurs révolutionnaires, nous sommes internationalestes, partisans fervents de l’entente entre tous les peuples, par dessus toutes les frontières géographiques, linguistiques, raciales, politiques et religieuses. Nous éprouvons un grand amour pour notre terre : le même que celui des hommes des autres pays pour le leur. De ce fait nous sommes ennemis du nationalisme, quel que soit le manteau dont il se couvre ; opposés à toutes les guerres ; partisans d’utiliser les énormes moyens économiques employés aujourd’hui en armements, pour diminuer la faim et le besoin des peuples défavorisés, de convertir les instruments de mort produits en quantité terrifiante par les grandes puissances, en machines productrices de bien-être pour tous les hommes de la terre.

Nous nous opposons résolument à l’éducation militariste de la jeunesse, à la création d’une armée de métier et à l’organisation d’appareils militaires pour les adolescents et les enfants. Pour nous, nationalisme et militarisme sont synonymes de nazi-fascisme.

Nous lutterons, invariablement et toujours, pour qu’il y ait moins de soldats et davantage d’instituteurs, moins d’armes et plus d’outils, moins de canons et plus de pain pour tous.

Les syndicalistes libertaires sont contre toutes les manifestations de l’impérialisme démodé ; contre la domination économique des peuples qui est si en vogue en Amérique ; contre la pression militaire qui assujettit les peuples et les oblige à accepter des systèmes politiques étrangers à leur particularisme national et à leur idéologie sociale, comme cela se pratique dans une pratique d’Europe et d’Asie. Nous estimons que dans le concert des nations, les petites valent autant que les grandes, et de la même façon que nous sommes adversaires des États nationaux parce qu’ils assujettisent leurs propres peuples, nous sommes aussi - et à un degré supérieur si cela est possible - ennemis des super-États qui, se prévalent de leur force politique, militaire, économique, repoussent les limites de leurs frontières, pour imposer aux pays plus faibles leurs systèmes d’exploitation et de rapine. Face à toutes les méthodes impérialistes, nous nous prononçons pour l’internationalisme révolutionnaire, pour la création de grandes confédérations de peuples libres, unis par des intérêts communs, des aspirations identiques, par la solidarité et l’entraide.

Nous sommes partisans d’un pacifisme actif et militant, qui rejette les subtilités dialectiques à propos des « guerres justes » et des « guerres injustes » ; d’un pacifisme qui impose la fin des armées de métier, et le rejet de toutes les sortes d’armes, en premier lieu des armes nucléaires.

Au centralisme bureaucratique

Nous sommes, par nature, ennemi de toute forme d’organisation politique, économique et sociale ayant des caractéristiques et des tendances centralisatrices. Nous estimons que l’organisation de la société humaine doit partir du simple au composé, de bas en haut, c’est-à-dire commencer dans les organismes de base : municipalités, syndicats, coopératives, centres culturels, associations paysannes, etc., etc., pour s’intégrer dans les grandes organisations nationales et internationales, sur la base du pacte fédéral entre égaux qui s’associent librement pour accomplir les tâches communes, sans dommage pour aucune des parties contractantes, qui resteront toujours libres de se séparer des autres quand elles estimeront que cela convient à leurs intérêts. Nous comprenons l’organisation sociale, aussi bien natioanle qu’internationale, dans le sens et sous la forme de grandes confédérations syndicales, paysannes, culturelles et municipales, qui auront à charge la représentation de tous, sans avoir d’autre pouvoir exécutif que celui qui leur sera confié, dans chaque cas, par les organismes de base fédérés. L’esprit de liberté des peuples ne peut trouver son expression complète que dans une organisation de type fédéraliste, qui établisse les limites de la liberté de chacun, et, en même temps, garantisse la liberté de tous. La centralisation politique et économique qui conduit, comme nous le prouve l’espérience, à la création d’États monstrueux, supertotalitaires, à l’agression et à la guerre entre peuples, à l’exploitation et à la misère des grandes masses populaires du monde.

Sans liberté individuelle

Les syndicalistes libertaires sont partisans des droits individuels. Il n’y a pas de liberté pour l’ensemble, si une partie est esclave. Il ne peut exister de liberté collective, là où l’homme, en tant qu’individu, est victime de l’oppression. Nous disons qu’il est urgent de garantir les droits de l’homme, c’est-à-dire la liberté d’expression, le droit au travail et une vie décente, la liberté de religion, l’inviolabilité du domicile, le droit d’être jugé par des personnes impartiales et justes, le droit à la culture et à la santé, etc, etc. ; sans cela, il n’existe pas de possibilité de coexistence humaine civilisée.

Nous sommes contre la discrimination raciale, les persécutions politiques, l’intolérance religieuse et l’injustice économique et sociale. Nous sommes partisans de la liberté et de la justice pour tous les hommes, y compris pour les ennemis de la liberté et de la justice mêmes.

La révolution appartient à tous

L’Association Syndicaliste Libertaire renouvelle sa volonté d’appuyer la lutte pour la libération totale de notre peuple, et affirme que la révolution n’appartient à personne en particulier, mais au peuple en général. Nous appuierons, comme nous l’avons fait jusqu’à ce jour, tous les moyens révolutionnaires tendant à résoudre les maux anciens dont nous souffrons, mais nous lutterons aussi, sans trêve ni repos, contre les tendances autoritaires qui s’agitent dans le sein même de la révolution.

Nous avons été contre la barbarie et la corruption du passé ; nous lutterons contre toutres les déviations qui prétendent amoindrir notre révolution, calquant les modèles supertotalitaires qui écrasent la dignité humaine dans d’autres pays.

L’État, quoi qu’en disent ses adorateurs, de droite ou de gauche, est aussi quelque chose de plus qu’une excroissance parasitaire de la société de classes : c’est une source génératrice de privilèges économiques et politiques et, de ce fait, de nouvelles classes privilégiées.

Les vieilles classes réactionnaires qui essaient désespérement de reconquérir leurs privilèges abolis, nous trouvent dressés contre elles. Les nouvelles classes d’exploiteurs et d’oppresseurs qui pointent déjà à l’horizon révolutionnaire, également.

Nous sommes avec la justice, le socialisme et la liberté. Nous luttons pour le bien-être de tous les hommes, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur race.

Dans cette ligne révolutionnaire, travailleurs, paysans, étudiants, hommes et femmes de Cuba, nous resterons jusqu’à la fin.

Pour ces principes, nous risquerons notre liberté, et si c’est nécessaire, notre vie.

Association syndicaliste libertaire, La Habana, juin 1960

Ce texte est paru dans le n° 40 de Views and comments, organe de la Ligue libertaire, organisation anarchiste d’Amérique du Nord. Un autre article sur Cuba de ce numéro, écrit par J. R. Bray, est traduit dans Le Monde libertaire de février 1961 : « Pour la Révolution cubaine ».
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 05 Mar 2013, 08:43

LES ANARCHISTES DANS LA REVOLUTION MEXICAINE, SUR LA PARTICIPATION ET L'INFLUENCE LIBERTAIRE DANS LA REVOLUTION MEXICAINE, ET EN PARTICULIER DANS LE MOUVEMENT ZAPATISTE

http://ablogm.com/cats/download/157/

http://ablogm.com/cats/2013/01/05/les-a ... mexicaine/
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede K.O.A.L.A » 12 Mar 2013, 08:04

DECLARATION DES ANARCHISTES VENEZUELIEN-NE-S SUR LA MORT D'HUGO CHAVEZ
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Ni deuil, ni célébration ! L’heure de l’autonomie des luttes sociales est arrivée !
Quand une très grave maladie, des soins médicaux conditionnés à des décisions politiques et un malade halluciné de pouvoir se superposent, on ne pouvait qu’attendre que ce dénouement : le caudillo est mort et un changement important dans la scène politique vénézuélienne est en marche.
En un instant, ce qui était la plus grande force du régime est devenu sa plus grande faiblesse : Chávez était tout et, en disparaissant, il ne reste qu’à conjuguer la fidélité absolue à son souvenir, avec l’obéissance à ses dispositions pour sa succession. Ce qui met en évidence la fragilité d’un gouvernement qui voulut renforcer son prétendu caractère “socialiste et populaire” avec la pratique d’un culte grotesque de la personnalité, maintenant réduit à une ridicule invocation des âmes.
Le disparu a été lui-même l’auteur principal de cette fin. Le secret qui a entouré sa maladie répondait aux ressorts mêmes de la centralisation extrême du pouvoir. Il en découle qu’à défaut de cohérence idéologique interne, ses partisans s’affrontent entre eux pour l’héritage du commandement, avec un claire avantage pour les bureaucrates haut placés (“rojo-rojitos” rouges-un peu rouges) et la caste militaire, en pleines manœuvres de négociation pour assurer l’impunité de leurs corruptions.
En ce qui concerne les oppositions de droite et social-démocrate, la nouvelle situation arrive sans qu’ils aient surmonté leurs aux présidentielles du 7 octobre et aux régionales du 16 décembre [2012]. Élections où elles s’étaient engagées avec de grandes illusions et l’offre d’un “chavisme sifrino” (chavisme de riches), promettant aux électeurs de maintenir l’emploi des instruments du clientélisme et d’être efficaces en cela, comme Chávez en ce domainez. Maintenant, cette opposition passe partout veut croire qu’une fortuite métastase a enfin mis à sa portée l’accès à ce pouvoir politique dont ses ambitions, ses erreurs, sa paresse et con incompétence l’ont éloignée pendant de longues années. Un pouvoir qu’elle exercerait avec une sottise et une ardeur prédatrice similaires à celles pratiquées par la « bolibourgeoisie » chaviste.
Face à ces calculs mesquins et opportunistes, qui met sur le même plan le Grand Pole Patriotique (“Gran Polo Patriótico”) et l’opposition de la Table d’Unité Démocratique (“Mesa de Unidad Democrática”), nous avons la grave situation du pays : inflation galopante, chômage et précarité croissantes, dévaluation monétaire, effrayante insécurité personnelle, grave crise dans les services d’eau et électricité, éducation et santé tout à fait délabrées, manque de logement, travaux publics obsolètes ou en exécution brouillonne, attention démagogique des besoins extrêmes des plus nécessiteux, et une liste de maux pas forcément longue mais qui n’en est pas moins néfaste.
Ces problèmes ne sont pas la principale préoccupation des deux groupes en lutte pour la “Silla de Miraflores” (le fauteuil présidentiel) et le butin pétrolier. C’est pourquoi notre réponse collective doit mépriser leur permanent chantage de nous demander un appui électoral en échange de solutions qui n’arrivent jamais ou sont ridiculement incomplètes. C’est l’heure de déborder ces états-majors pourris et de construire, par en bas, une vraie démocratie, avec égalité, justice sociale et liberté. Il faut consolider l’indignation généralisée devant la situation que nous subissons et la convertir en luttes sociales autonomes, étendues et autogestionnaires, en disant clairement aux politiciens du pouvoir que nous n’avons pas besoin d’eux comme intermédiaires ou comme gracieux donateurs de ce que d’en bas et unis nous pouvons obtenir, sans “mains blanches” ou “bérets rouges”.
Colectivo Editor de El Libertario
http://www.nodo50.org/ellibertario
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede Pïérô » 05 Avr 2015, 12:35

La Fédération anarchiste d’Amérique centrale et des Caraïbes
La Fédération anarchiste d’Amérique centrale et des Caraïbes est née !

Après plusieurs mois de préparation, de débats précongrès et d’appel au premier congrès pour la formation de la Fédération anarchiste d’Amérique centrale et des Caraïbes (FACC), nous nous sommes réunis entre compagnes et compagnons de différents pays aux réalités diverses de la zone d’Amérique centrale et des Caraïbes (et avec la présence d’observateurs internationaux), dans la ville de Santiago de Los Caballeros (Saint-Domingue), les 21 et 22 mars de cette année, pour confronter nos idées, nous connaître, constater nos différences et nos affinités.

Nous exprimons notre satisfaction d’avoir créé la FACC. Un réseau pour la solidarité et la collaboration des anarchistes dans cette zone, au-delà des frontières que nous imposent le capitalisme et les États, un fédéralisme des tendances qui cherche à faire vivre les relations entre les divers collectifs de la région et leurs diasporas. Initialement, les membres fondateurs de la fédération sont : Taller (atelier) Libertario Alfredo López (TLAL) de Cuba, Kiskeya Libertaria Dominicana (République dominicaine), des camarades de Porto-Rico, San Salvador, Bonnaire et Miami (d’autres groupes voulaient participer à la FACC et en devenir membres, mais du fait de leur éloignement ils n’ont pas pu venir et y adhérer pour le moment).

La fédération est basée sur les principes de consensus, solidarité, acceptant la diversité des individus et collectifs dans leurs tendances et pratiques, se centrant sur les interventions critiques et l’étude dans le cadre des deux régions, et se caractérisant en étant une fédération à organisation horizontale.

En accord avec les décisions prises au consensus, les critères d’adhésion sont les suivants :

- Que l’individu et/ou le collectif se déclare anarchiste.

- Que l’individu ou le collectif fonctionne de manière horizontale.

- Que l’un des membres actifs de la fédération se porte garant de l’individu ou du collectif sollicitant son adhésion.

- Qu’il y ait unanimité pour l’intégration à la fédération de l’individu ou du collectif.

- L’individu ou les collectifs sollicitant leur adhésion à la fédération attendront au maximum deux mois pour obtenir l’acceptation unanime.

La fédération a pour le moment un comité de communications (relations extérieures), ainsi que trois comités créés sur la base du volontariat qui sont : le comité antirépressif, le comité antinationaliste, et le comité autogestionnaire.

La formation de la fédération marque un jalon dans l’histoire des mouvements anarchistes de la région, étant donné qu’auparavant il n’a jamais existé un espace pour partager les expériences et travailler ensemble de manière critique.

Nous avons choisi le chemin de la liberté et de l’horizontalité, et nous espérons que, de partout, nos camarades sympathisants nous accompagnent dans notre nouvelle marche vers un idéal ancien mais sans cesse renouvelé, vers l’anarchie !

Comité de communications de la FACC

http://salvador-segui.blogspot.fr/2015/ ... rique.html
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede Pïérô » 31 Mai 2015, 13:41

Brazil, Un an plus vers la construction d'une organisation anarchiste à Bahia par Forum Anarchiste especifista

Il ya environ un an divulgávamos la déclaration sur la construction de la FAE. A cette époque, nous soulignons les intentions de construction d'une organisation anarchiste especifista travers un forum devrait être un lieu de débat et de l'articulation de ce militantisme libertaire qui l'écoute avec le même point de vue de l'anarchisme. Nous voulions consolider alors le militantisme anarchiste et discussions matures (traitant des questions théoriques et programmatiques) pour atteindre une stabilisation politique. ---- Dans cette courte promenade, plusieurs étaient mésaventures et les réalisations que nous avons adoptées à la poursuite de la construction d'un anarchisme organisé à Bahia et ce processus, en plus de terminer, est constamment maturation et de réflexion. Nous sommes passés par une phase délicate d'établir des discussions controversées au sein de l'anarchiste et la tradition libertaire, en motivant la décision loin des gens, le temps qu'ils approché autre. Comme prévu, le forum avait des moments d'essai et d'erreur, cependant, lors de l'évaluation de notre histoire, nous nous sentons maintenant plus motivad @ avec une plus grande expérience. Certes, ces / AS qui ont décidé de continuer, fouleront manière plus cohérente à partir de maintenant.

Nous mettons en place un nouveau calendrier pour l'année à venir: nous continuons à consolider notre performance sociale (qui, pour nous, est la principale tâche d @ militante), cette fois avec une plus grande coordination entre les villes qui sont présents forum et le fronts qui opèrent dans chacun et jamais le renforcement de la dialectique et de relation de complémentarité entre le niveau social et politique.

Face à tant de questions lancées le chemin, un assuré nous est concret: la conviction que l'organisation est une partie essentielle du processus révolutionnaire et que nous nous dirigeons vers l'horizon de l'anarchie. Ceux / que maintenant construire le forum efficace envisager spécifisme la voie à suivre pour consolider l'organisation que nous voulons construire à Bahia.

La publication de notre charte sont les perspectives dans la lutte qui nous lie.

Le renforcement de la coordination brésilienne anarchiste!

Vers une organisation fédérale et especifista internationaux!

Especifista Forum anarchistes de Bahia

https://faebahia.wordpress.com/2015/05/29/81/

http://www.ainfos.ca/fr/ainfos12287.html
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede bipbip » 13 Aoû 2015, 12:12

L'anarchisme au Chili : de 1890 à aujourd'hui

PDF : https://nantes.indymedia.org/system/zin ... _chili.pdf
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede bipbip » 28 Oct 2015, 13:05

Histoire et actualité de l'anarchisme au Brésil

Profitant de son passage en Europe, Résistances Libertaires donne la parole à Livio, notre compagnon de la FARJ, pour nous parler de la situation politique et sociale au Brésil. En revenant sur les périodes importantes de l'histoire contemporaines du pays, il nous livre quelques billes pour comprendre ce qu'il s'est passé depuis le vaste mouvement protestataire de juin 2013. Il est aussi question, dans cet article, de l'anarchisme social tel qu'il est pratiqué par la FARJ.

Le Brésil, une ancienne colonie devenue terre d'accueil

« Il est important d'effectuer un panorama historique du Brésil pour comprendre ce qu'il se passe aujourd’hui. Ancienne colonie portugaise, l'indépendance du Brésil a été réalisée par la famille royale portugaise elle-même, contrairement à l'empire espagnol qui s'est morcelé en plusieurs 'petits' États, expliquant la superficie actuelle du Brésil. Depuis les années 1500 jusqu'à aujourd'hui, il y a toujours eu des moments de lutte. Certains conflits ont duré plus de 100 ans, opposant les esclaves et les paysan·ne·s face aux troupes impériales ou coloniales. Le Brésil est un pays marqué par une grande violence sociale tout au long de son histoire, avec beaucoup de luttes mais aussi beaucoup de répression.

C'est dans ce contexte, au début du XXe siècle, que sont arrivé·e·s beaucoup de migrant·e·s européen·ne·s, principalement d'Espagne et d'Italie dans un premier temps, puis de France, de Suisse et d'Allemagne. Contrairement à ce que dit l'histoire officielle – dans une vision un peu colonialiste –, ce ne sont pas les européen·ne·s qui ont importé la lutte sociale au Brésil. Nous avons en réalité assisté à une convergence entre des moyens de lutte différents et des histoires différentes. Cette explication est valable pour tout le continent américain. »

La répression des anarchistes au XXe siècle

« Le début du mouvement anarchiste a été profondément marqué par la répression[1] ; on a même enfermé des anarchistes dans des camps de concentration simplement parce qu'ils étaient anarchistes. À partir des années 1930, pendant la dictature de Getúlio Vargas, les réformes du droit du travail mises en place vont favoriser l'incorporation des syndicats dans l'appareil étatique. Or, jusque-là, le mouvement anarchiste était très lié au mouvement syndical, expliquant d'ailleurs l'une des difficultés de construire une organisation spécifique anarchiste. Ces réformes vont marquer le déclin de l'influence et de la militance anarchistes dans les syndicats, qui vont subir une répression très importante, facilitant de facto l'ascension du Parti Communiste Brésilien (PCB), peu touché par la répression.

Jusqu'en 1964, le mouvement anarchiste était relativement marginal, conservant malgré tout une activité de propagande (journaux, tracts). En 1964, la dictature militaire a réprimé avec une grande violence l'ensemble des mouvements sociaux et des syndicats. Cette nouvelle donne obligea les groupes anarchistes brésiliens et le mouvement étudiant libertaire à entrer dans la clandestinité. La résistance anarchiste à la dictature avait pour but de perpétuer la mémoire du mouvement anarchiste. »

Le réveil du mouvement anarchiste

« Pendant les années 1980, de nombreuses grèves massives vont réveiller la lutte des classes, là aussi avec une très forte répression. Avec la fin de la dictature militaire en 1985, de nombreuses publications et de nombreux débats ont vu le jour sur la question de l'organisation des anarchistes. À Rio Grande Sud, les anarchistes sont entré·e·s en contact avec la FAU (Fédération Anarchiste Uruguayenne), qui existait depuis 1956 et qui avait réussi à survivre à la dictature militaire en Uruguay. La FAU, lors de son premier congrès, a utilisé le terme d'especifisme pour qualifier leur courant anarchiste, basé sur les textes de Bakounine et Malatesta ainsi que l'expérience syndicale du début du siècle. En 1995, la FARJ s'est créée, puis peu à peu d'autres groupes anarchistes ont vu le jour. Au début des années 2000, le texte de la Plateforme[2] s'est diffusé dans le mouvement anarchiste brésilien. Pour nous, en tant qu'especifistes, la Plateforme correspondait en grande partie à notre vision du communisme libertaire. En 2002 a eu lieu un Forum de l'anarchisme organisé, qui a abouti – après de nombreuses discussions – à la création de plusieurs organisations, dont la Coordination Anarchiste Brésilienne (CAB). »

Qui sème la révolte, récolte la colère

« En juin 2013[3], il est important de souligner que ce n'était pas une étincelle venue de nulle part, comme on a parfois pu l'entendre. La révolte de juin 2013 est le fruit d'un travail réalisé bien en amont, et pas uniquement par les anars, depuis la chute de la dictature militaire. Depuis 2005, les mouvements de protestation contre l'augmentation du prix du billet de transport ont donné naissance à la création d'un mouvement pour les transports gratuits. La révolte de 2013 est donc le fruit de 8 ans de lutte. Par exemple, en avril 2013, à Rio Grande do Sul, il y avait déjà une lutte (victorieuse) contre une augmentation du ticket de bus, avec une présence importante des libertaires. Localisé d'abord à Sao Paulo, le mouvement de juin 2013 pour les transports gratuits s'est diffusé un peu partout dans le pays, notamment avec le soutien de la FARJ concernant la ville de Rio. Il s'agissait d'un vrai mouvement populaire, répondant à un besoin tout à fait essentiel. Selon les chiffres officiels, 37 millions de personnes sont piétonnes car elles n'ont pas d'argent pour payer les transports publics. Cette lutte a été très radicale, dépassant largement le seul cadre de l'accès aux transports.

Le 20 juin a été l'occasion de manifestations massives dans tout le pays, sans doute les plus importantes depuis 1985. La révolte était si puissante que les médias ont été obligés de changer de tactique vis-à-vis du mouvement. Alors que les médias avaient l'habitude de qualifier les manifestant·e·s de truands ou de marginaux, ils ont progressivement donné les vraies raisons de la colère populaire et ont même convoqué la population aux manifestations, bien évidemment du fait de la pression populaire. Cependant, le revirement des médias a renforcé le caractère peu lisible des revendications, puisqu'ils appelaient la population aux manifestations sur des mots d'ordre différents (contre la corruption, les politiciens). Au final, on a eu des millions de personnes dans les rues mais sans objectif clair. Sans organisations capables d'orienter cette colère, cette révolte s'est terminée rapidement.

Pendant cette période, la répression de l'anarchisme a été importante, notamment la Federação Anarquista Gaúcha (FAG) qui a eu son siège deux fois pris d'assaut par la police du Parti des Travailleurs au pouvoir[4]. La « découverte » de matériel anarchiste dans le local a ainsi justifié l'emprisonnement de plusieurs militant·e·s anarchistes. C'est l'organisation qui était attaquée. »

Mondial 2014 : la coupe est pleine !

« La coupe du monde au Brésil était un événement parmi d'autres, comme les Journées Mondiales de la Jeunesse du pape à Rio ou encore les Jeux olympiques... Elle a accéléré un processus de gentrification, massif, agressif et violent[5]. Jusqu'à quelques mois avant la coupe, la lutte a été très importante et positive avec une vraie union des forces de gauche, une participation populaire et l'implication de personnes qui n'avaient jamais milité de leur vie. Mais avec l'arrivée imminente de la coupe du monde, le gouvernement a réalisé des accords avec quelques mouvements sociaux et a accordé certaines revendication pour calmer ces mouvements. D'autres facteurs ont également empêché la poursuite de la mobilisation jusqu'à la coupe du monde : la peur de la répression, la maladie du sectarisme, le manque de compréhension stratégique de la situation... Tous ces ingrédients ont entraîné la division des forces politiques de gauche qui voulaient réitérer la révolte de juin 2013 pendant la coupe du monde, alors que la situation était très différente.

Concernant la grève des travailleurs et travailleuses du métro de Sao Paulo, elle est une conséquence directe de la révolte de 2013. Les travailleurs et travailleuses ont vu qu'il était possible de s'organiser et de lutter pour conquérir des droits. La grève a subi une grande répression de la part de la police et du patronat (43 grévistes licencié·e·s), même si quelques unes des revendications ont pu être conquises. »

L'insertion sociale au service de la révolution

« La stratégie de la CAB est de construire les mouvements sociaux sur des bases horizontales, en renforçant la "force" du peuple pour qu'il soit capable d'initier un processus de révolution sociale. La CAB n'a pas comme objectif principal d'augmenter le nombre de ses militant·e·s, mais d'étendre son influence au sein des mouvements sociaux pour les renforcer et contribuer à la construction d'un contre-pouvoir populaire.

Notre insertion sociale passe par plusieurs projets, dont l'éducation populaire. Nous participons actuellement à des écoles ayant pour but d'aider ceux et celles qui n'ont pas les moyens de passer la baccalauréat. Nous développons également d'autres projets d'éducation populaire au sein des mouvements sociaux, comme le muralisme. Le muralisme est une technique de peinture, avec de grands dessins sur les murs des villes représentant des luttes, impliquant des ados, des enfants et des adultes. On fait d'abord une assemblée générale pour se mettre d'accord sur la peinture puis on se met à l'ouvrage. L'idée paraît simpliste au premier abord, certaines organisations nous regardent en haussant les épaules, mais elle permet en réalité de créer du lien entre ceux et celles qui peignent sur la base d'une démocratie directe. Les personnes qui s'y impliquent s'approprient la peinture et sont fier·e·s de l'avoir réalisée lorsqu'ils et elles la regardent.

Depuis leur création, les organisations anarchistes au Brésil ont réfléchi au lien entre organisation politique et mouvement social, dans le but de ne pas superposer les deux sphères. Lorsqu'on fait du muralisme ou de l'occupation de terres ou de l'éducation populaire, nous agissons toujours au sein du mouvement social. C'est ce qui nous distingue de tous les autres courants politiques, puisque nous assumons de parler d'éthique, de responsabilité et de discipline du ou de la militant·e. »

Les difficultés du travail syndical

« Concernant notre insertion dans les syndicats, il n'y a pas de différences notables avec ce qu'il se fait en Europe. En revanche, le système syndical brésilien est très différent de ce qui existe en Europe. Comme aux États-Unis, dans chaque branche et dans chaque secteur il ne peut y avoir qu'un seul syndicat. Il s'agit d'un système très corporatiste, où les syndicats reçoivent des subventions des gouvernements. Certes, il peut y avoir plusieurs tendances dans chaque syndicat, mais il est très difficile d'agir en tant que libertaire au sein d'un syndicat.

Il existe également des grandes centrales syndicales, dites libres et indépendantes. Dans le secteur de l'éducation, la majorité des syndicats sont de gauche, ce qui permet d'avoir plus de luttes dans ce secteur. Par contre, les syndicats de routiers et de métallos sont contrôlés par les patrons. Les syndicats combatifs subissent la répression de plein fouet, comme par exemple le syndicat des chauffeurs de bus à Rio qui possède malheureusement une longue liste de travailleurs syndiqués assassinés. Il existe aussi, de manière plus confidentielle, la COB (Confederação Operária Brasileira), affilié à l'AIT (Association Internationale des Travailleurs, de tendance anarcho-syndicaliste), mais dont les effectifs sont minces et qui reste sur des positions très sectaires.

Le travail de la CAB dans le syndicat se fait à travers leurs militant·e·s qui sont dans leur syndicat de secteur, même s'ils et elles ne sont pas toujours adhérent·e·s de ces syndicats.

Une autre particularité du mouvement social brésilien est l'importance du mouvement paysan, avec les paysan·ne·s sans terre. La CAB est très présente dans ce mouvement, via la FARJ. Les liens entre mouvements ouvriers et paysans sont apparus pendant les années 1990, période pendant laquelle le mouvement ouvrier et le mouvement paysan étaient bien plus unis et faisaient des luttes ensemble. Mais avec la victoire du PT, la CUT (Centrale unique des Travailleurs, majoritaire) a arrêté de lutter. Il subsiste malgré tout des petites expériences intéressantes, comme des aides financières de la part des syndicats pour que les paysan·ne·s puissent avoir des infrastructures, se réunir... Les travailleurs et travailleuses des syndicats mettent aussi en place des associations similaires aux Amaps (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne), achètent leur café au sein des coopératives etc... »

La FARJ aujourd'hui

« La FARJ dispose d'un centre social dans un quartier de la zone nord de Rio. Au sein du centre, avec d'autres mouvements sociaux, nous concentrons toute notre activité politique à l'attention du quartier dans lequel nous sommes. Nous essayons d'organiser un maximum d'activités (bibliothèque, atelier d'écriture, friperies, théâtre libertaire, capoeira, kung-fu...), comme le projet d'éducation population, dans une perspective autogestionnaire : les personnes s'organisent elles-mêmes pour savoir ce qu'elles veulent faire. Le but de tout cela est de créer un espace physique qui puisse accueillir la population du quartier et ainsi contribuer à l'autonomie populaire. En plus de ce travail au sein des quartiers populaires, nous sommes très acti·f·ve·s dans les luttes paysannes.

Le travail de quartier est important car c'est généralement l'extrême-droite qui occupe le terrain, notamment via leurs églises pentecôtistes, extrêmement conservatrices, basées sur la discipline et une rigueur dans leur action à long terme ; leur travail donne des résultats. On comprend donc que le travail dans les quartiers, sachant que le syndicalisme est très bureaucratisé, est notre principale tâche pour organiser la population dans un but de transformation sociale. C'est un travail très dur, qui prend beaucoup de temps, où l'on se confronte régulièrement aux mafias gérant le trafic de drogues ; mafias qui regroupent d'anciens policiers, en lien avec les gouvernants et qui ne tolèrent aucun travail politique. Les ONG nous mettent également régulièrement des bâtons dans les roues...

Une autre difficulté concrète à laquelle nous sommes confronté·e·s est l'occupation militaire de la police et parfois de l'armée de quelques quartiers populaires des favelas, qui s'est en plus renforcée en raison de la coupe du monde et des JO... Je ne sais pas qui est le pire (le trafic de drogues, la police ou les milices), mais on doit quand même faire avec.

Nous effectuons un travail de base que la gauche ne fait pas, puisqu'elle préfère concentrer ses efforts dans les luttes intestines du mouvement syndical et dans la course électorale. Du simple fait que nous ne suivons pas le même axe programmatique, on nous accuse de ne pas être dans les mouvements populaires, alors que justement nous y sommes de plein pied (et eux – la gauche – n'y sont pas). Ceci est d'autant plus vrai que depuis 2013, les tendances sectaires et les divisions au sein des assemblées populaires nous ont poussé·e·s à les quitter pour retourner dans les lieux où nous avons toujours été, c'est-à-dire les quartiers populaires, où nous effectuons un travail quotidien. »

Propos recueillis par Dadou (Région parisienne)

[1]Alexandre SAMIS, Clevelândia. Anarquismo, sindicalismo e repressão politica no Brasil, Rio/São Paulo, Achiamé-Imaginário, 2002, 342 p., 307 p. Voir le compte rendu de l'ouvrage par Frank Mintz : http://acontretemps.org/spip.php?article16

[2]La Plateforme est un texte datant de 1926, rédigé par des exilés russes, « écrit dans l'intention de trouver une alternative théorique et une solution organisationnelle en réponse à l'échec enduré par le mouvement anarchiste russe et une volonté de trouver des moyens au mouvement ouvrier face au léninisme ». (Source : anarchopedia.org)

[3]Le mouvement de juin 2013 au Brésil désigne un vaste mouvement social, dont les revendications portaient initialement sur la hausse des tarifs d'accès aux transports publics.

[4]Voir le communiqué de la FAG d'octobre 2013 : http://www.anarkismo.net/article/26294

[5] http://www.c-g-a.org/motion/coupe-du-mo ... re-sociale

http://www.c-g-a.org/motion/histoire-et ... -au-bresil
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Re: L'anarchisme en Amérique latine

Messagede bipbip » 28 Jan 2016, 14:24

Au Brésil l’anarchisme s’enracine avec la Fédération anarchiste Gaucha depuis vingt ans

Les 21 et 22 novembre s’est tenu l’anniversaire de la Fédération anarchiste Gaucha (FAG) à Porto Alegre. Deux jours d’échanges et de discussions autour des pratiques de cette organisation et de l’anarchisme au Brésil. L’occasion de revenir sur le courant de l’« especifismo » en Amérique du Sud.

Au milieu d’un petit parc du centre de Porto Alegre se dresse une banderole rouge et noir, où est tracée en lettres blanches l’inscription « Feria Libertária, FAG-CAB 20 anos ». C’est ici que la Fédération anarchiste Gaucha a installé son salon du livre et ses ateliers auxquels participent le milieu militant de Porto Alegre et de nombreuses organisations brésiliennes et d’autres pays. Livres, brochures, affiches, T-shirts imprimés de tout le continent s’étalent sur les stands de fortune. Sous une tente, des gens s’assoient en cercle pour écouter et débattre avec les militants et militantes anarchistes venu-e-s présenter leurs réflexions, activités ou encore la situation de leurs pays respectifs.

Ce sont deux jours d’ateliers et de réunions (plénières syndicales, de femmes et internationale) intenses qui ont culminé lors de la soirée des 20 ans où se sont succédé des orateurs et oratrices de la Fédération anarchiste uruguayenne (FAU), de la Fédération anarchiste de Rosario (FAR), de la Coordination anarchiste brésilienne (CAB) et bien sûr de la FAG. Celles et ceux-ci ont su habilement analyser la conjoncture brésilienne, latino-américaine et mondiale, donnant à voir les défis, les positionnements et stratégies du courant anarchiste issu de l’« especifismo » [1]. La force des discours, l’émotion et l’exaltation suscitée par les « arriba los que luchan » repris en chœur par l’assemblée a laissé place en fin de soirée à une joyeuse fête, des échanges cordiaux et animés entre militantes et militants, qui ne se fatiguent jamais de débattre de la société actuelle et du monde nouveau dont ils et elles rêvent.

Une insertion sociale sur différents fronts de lutte

La FAG naît en 1995 à Porto Alegre, dans l’État de Rio Grande do Sul, et est une des premières organisations spécifistes du Brésil. Elle s’inspire de sa grande sœur la FAU, organisation fondatrice du courant spécifiste. Aujourd’hui, elle est présente dans quatre régions de ­l’État et est investie sur différents fronts de lutte. Le plus important est le front de lutte communautaire ou territorial, c’est-à-dire le travail au niveau des quartiers et des populations les plus précaires. Pour cela, la FAG dispose notamment d’un athénée libertaire où s’organisent différentes activités : éducation populaire, conscientisation, formation (par exemple avec la bibliothèque libertaire La Conquête du pain), cours d’autodéfense, ateliers de couture, mais aussi l’accès à des produits de l’agriculture paysanne, cultivés et distribués par un « assentamento [2] » du Mouvement des sans-terre (MST)… en effet de nombreux militants et militants de la FAG sont aussi investi-e-s dans les luttes rurales et de récupération des terres.

L’athénée est aussi un espace de coordination des solidarités et des luttes : ici se retrouvent des collectifs, tels que ceux pour la lutte du peuple noir, des collectifs féministes ou encore de soutien à la révolution kurde… là se retrouvent les militants et militantes pour mener des luttes de quartiers, axe d’insertion sociale central pour la FAG, dont les premières luttes ont été notamment d’organiser les « recycleurs et recycleuses [3] » de Porto Alegre.

Par ailleurs la FAG s’investit aussi sur les fronts étudiant et syndical. En effet, ces dernières années, le Brésil a vécu une radicalisation des bases syndicales qui ont mené de nombreuses grèves échappant au contrôle des directions bureaucratiques et parfois mafieuses. Autour de la FAG se retrouvent sympathisants et militants des différents fronts de lutte dans une « tendance » appelée résistance populaire, véritable outil de la stratégie spécifiste où convergent les luttes des différents secteurs.

Un effort de convergence qui a permis par le passé de transformer des luttes syndicales en véritables luttes de quartier, comme dans le secteur de l’éducation par exemple. Ces vingt ans de construction de la FAG se sont accompagnés du développement d’autres organisations au niveau national et ont donné naissance à la Coordination anarchiste brésilienne (CAB) en 2012. Sur un territoire grand comme seize fois la France, développer le fédéralisme n’est cependant pas une mince affaire. La CAB marque un processus de construction d’une ligne théorique et pratique commune, en renforçant les organisations à la base notamment par l’accompagnement de nouveaux groupes et le soutien mutuel. Une pratique de soutien d’ailleurs courante entre organisations latino-américaines, dans l’optique de développer le courant spécifiste sur le continent.

La stratégie du spécifisme

Le spécifisme est un courant anarchiste propre à l’Amérique du Sud. Développé dans les années 1960 par la FAU, il puise principalement ses origines théoriques dans les écrits de Bakounine et de Malatesta (ce dernier s’étant exilé en Argentine). Deux axes centraux fondent ce courant : l’organisation spécifique des anarchistes et la pratique/l’insertion sociale [4].

Le premier axe insiste sur la nécessité de s’organiser au niveau politique comme un groupe cohérent, pour pouvoir agir dans le mouvement social avec une expression, une pratique et une éthique libertaire. Le concept d’insertion sociale, quant à lui, renvoie à l’histoire particulière du Brésil qui connut, dans les années 1930, un repli du mouvement anarchiste dans des « cercles culturels et intellectuels », au détriment de l’activité dans le mouvement social et syndical.

Il s’agit donc d’un retour dans la lutte des classes des anarchistes organisé-e-s et non pas ­d’une forme d’entrisme, comme peuvent le pratiquer certaines organisations de la gauche autoritaire.

L’organisation doit être un petit moteur des luttes sociales, afin d’accompagner la création d’un pouvoir populaire : les spécifistes font alors le pari d’un peuple fort plutôt que d’une organisation forte. Le pouvoir populaire se construit depuis la base, à travers ce que les spécifistes appellent le front des classes opprimées, reconnaissant ainsi l’existence de différentes formes d’oppressions, qu’elles soient économique, de genre, de race ou encore en fonction de la catégorie sociale (la paysannerie, les chômeurs et chômeuses, les travailleurs et les travailleuses, etc.). Ceci se traduit par un investissement des militants et militantes par front de lutte avec des revendications propres (exemples : de quartier, étudiante, syndicale, rurale…) où ils et elles participent à l’émergence d’espaces où se construisent les solidarités et les convergences des différents fronts de lutte. « Peuple dans la rue pour résister et pour lutter, peuple qui avance pour le pouvoir populaire. »

Caminando Las Luchas


[1] Ce qui signifie l’organisation spécifique des anarchistes, terme que nous traduisons approximativement par « spécifisme ».

[2] Territoire récupéré par le MST.

[3] Personnes en très grande précarité qui ramassent les déchets recyclables dans la rue pour les revendre.

[4] Pour approfondir la compréhension du courant spécifiste, voir : FARJ, Anarchisme social et organisation, éditions Brasero Social, 2013.

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