PIR : autopsie d'une dérive

PIR : autopsie d'une dérive

Messagede altersocial » 09 Fév 2013, 13:19

Je propose ce sujet sur les Indigènes de la République (IR) afin de ne pas alourdir celui sur l'Homophobie et surtout pour faire l'autopsie de ce mouvement (environ 500 membres) qui a l'art de naviguer en eau trouble.

Le point de départ des IR était la critique du colonialisme -français- et de son apologie dans un contexte d'offensive réactionnaire et révisionniste sur le bilan de la colonisation française. Il s'agissait d'une réaction saine à une entreprise ultradroite nauséabonde et tout le monde dans les sphères du militantisme social pouvait s'en réjouir.
Dès le départ pourtant les IR allaient opérer un subtil glissement stratégique les menant aujourd'hui à être les pires complices de la pensée coloniale qu'il prétendent combattre, et ceci au nom d'un relativisme "indigène" coupé de toute réalité tangible. Illustrations.

Religion et identité

La loi sur le foulard, dont le contexte législatif visait clairement une partie de la population immigrée, alors que -et cela les IR ne l'avaient pas vu- cela allait viser les nombreuses converties occidentales. On assiste à une première ethnicisation d'un phénomène politique. Incapable de comprendre le caractère de classe de cette stigmatisation (il s'agit de "marquer" le prolétariat -ou le précariat- des cités) les IR ne comprennent pas qu'il s'agit là d'une offensive de propagande qui tend à assimiler les populations des banlieue à une religion (cette loi est dirigée contre les pratiquants des banlieues dans le phantasme de la propagande officiel et non contre les familles arabes qui séjournent dans les palaces parisiens).
Au lieu de souligner le caractère classiste du phénomène les IR emboîtent le pas du paternalisme colonial d'Etat en déclarant que non seulement le voile est un phénomène religieux réel marqueur d'une identité (l'ultradroite n'aurait pas dit mieux) mais tend également à faire d'une religion, ici l'islam, un élément consubstantiel d'une identité africaine des banlieues. Réduire l'immigration africaine en France à une appartenance religieuse est l'expression d'un niveau de conscience politique qui relève alors plus du courrier des lecteurs du Figaro que d'une réalité sur le terrain des banlieues (où justement les églises franciliennes dans certaines paroisses ne comptent plus que sur les ouailles africaines (congolais, etc) pour remplir l'assistance des offices religieux). Cet autoracisme de comptoir se construit alors sur les lieux communs du racisme officiel, ce dernier n'étant que l'expression d'une guerre propagandiste de classe (la bourgeoisie contre les classes dangereuses).
Dans le fantasme des IR le colonisé africain n'est qu'un, de Tanger à Brazaville, ethnicisé en un seul par le miracle idéologique des IR. Là où les Expositions coloniales exposaient les colonisés comme une somme de cultures pittoresques les IR les unit dans une fantasmatique culture islamocentrique.

Révisionnisme indigéniste

Hier opprimé en tant que colonisé, le travailleur immigré l'est aujourd'hui, en tant que prolétaire. Incapable de comprendre en quoi les dominants jouent des divisions en orchestrant le spectacle d'une guerre culturelle qui n'existe que dans les rêves des éditorialistes, les IR foncent tête baissée dans le panneau de la division ethnique. Pour les IR la lutte ne se fait pas entre exploités et capital, mais entre occidentaux et postcolonisés. Problématique également est la référence à l'indigénisme et à l'anticolonialisme de l'intérieur. Assimiler la discrimination du précariat/prolétariat des ghettos à l'anticolonialisme/indigénisme tend à relativiser les crimes génocidaires du colonialisme jusqu'aux massacres indigènes de nos jours. Le peu de sérieux d'une comparaison d'une victime de la colonisation militaire qu'induit le colonialisme et la répression violente subie par le prolétariat des ghettos qu'induit l'affrontement de classe dans un pays capitaliste tend à mettre le tout sur un même niveau et de brouiller la vérité historique sur la nature violente du colonialisme. La répression policière dans un ghetto n'est pas le massacre génocidaire d'une tribu péruvienne dans l'anonymat de la forêt profonde. Peut être habitués aux comparaisons douteuses du sort des palestiniens avec celui des juif pendant la Shoah, les IR n'en sont plus à un relativisme historique près.

Relativisme et universalisme

Quand on lit la dernière sortie des IR sur l'égalité des droits (homosexuels) la surprise laisse place à la confusion face à un texte bourré d'inexactitudes, de révisionnisme culturel et de parti-pris dogmatiques. Le relativisme dogmatique des IR n'est alors que le complément inversé de l'universalisme occidental des armées européennes.
Pour les IR l'institutionnalisation civil de l'amour homosexuel ressort du domaine des "valeurs occidentales", le même système de valeurs qui a été l'instrument de la colonisation française.
Décryptons un peu cette entourloupe :
- tout d'abord, et c'est là récurrent chez les IR, il y a identification d'un phénomène politique avec une civilisation, négation de toute appartenance de classe évidente et de toute construction propagandiste. Il n'y a pas de valeurs occidentales colonisatrices car les valeurs occidentales n'existent pas. Les valeurs de la classe dominante ne sont pas les valeurs de la classe populaire : c'est la bourgeoisie française qui a colonisé l'Afrique et pas le prolétariat français (qui déjà était également en partie italien, belge, etc). Plus encore comme il n'existe que des cultures de classe (les "cultures nationales" sont des fantasmes ultradroitiers) : quel points communs entre le mode de vie ouvrier et celui de bourgeoisie ? Les "valeurs" étant le reflet d'un mode de vie -de classe- s'écroule alors la théorie des "valeurs occidentales" des IR.
Si dans les sociétés (de classes) occidentales les IR prétendent voir une amorce d'institutionnalisation du couple homosexuel ils en nient le besoin social en Afrique et dans le monde arabe.
En parfaits occidentaux les IR. font l'assimilation entre état civil et union de fait. Misère de l'anthropologie du PIR!
On sait en quoi l'état civil, c'est à dire la formalisation des rapports de couples sont oppressifs (le code civil est avant tout un code réactionnaire) et que la formalisation du couple est marqué socialement quand il prend une forme juridique (homosexuels ou hétérosexuels cette formalisation n'a d'intérêt que lorsqu'entre en jeu une propriété, un capital ou tout autre intérêt nécessitant une médiation juridique).Les IR prennent pour exemple les formes d'état civil des Etats arabo-musulmans pour annoncer fièrement que ces Etats autoritaires ne reconnaissent pas les unions civiles de même sexe, et d'appliquer à toute l'Afrique noire ce fumeux théorème (on cherche encore l'analogie politico-culturelle entre un Egyptien urbain et un Rwandais rural). On remarquera de quelle façon subtile les IR assimilent l'arsenal législatif d'un Etat autoritaire avec la culture de sa population. Sans commentaires.
Revenons au relativisme des IR. L'homosexualité officialisée est un phénomène occidental ? Les IR sont en fait d'excellents occidentaux et leur ignorance des cultures multiples afin de construire un monde bipolaire se fond parfaitement dans la conception néocoloniale du monde. Les idiots utiles du système en quelque sorte.
Non seulement la grille d'analyse des IR n'est pas pertinente mais le fond de cette analyse est également complètement fausse.
L'homosexualité et une certaine forme d'institutionnalisation ont existé, dans certaines cultures à travers le monde. L'Afrique connait même de nos jours parmi les formes de militantisme gay les plus dynamique, par exemple en Afrique du sud, et les mariages (ou unions) entre hommes sont une partie intégrante de certaines cultures d'Afrique (par exemple les guerriers azandé du nord-Congo avant la colonisation) -ou d'autres parties du monde.

Lire également :

:arrow: L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hirer à nos jours


A quoi jouent ce Parti des Indigènes de la République ?

Pourquoi les médias bourgeois donnent-ils une telle audience à ce groupuscule de quelques centaines de militants ?

(à suivre)
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede van37 » 09 Fév 2013, 14:11

voila un belle exemple d'hypocrisie politique c'est s'aligner sur les position des autres par pur intérêt
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Pïérô » 09 Fév 2013, 14:46

Je pense que tu vois beaucoup trop grand au niveau des chiffres réels, il y a d'avantage de sympathisant-es que de membres, et çà rend plus difficile l'appréhension de cette mouvance.
C'est un petit groupe, et une comète composée d’un noyaux dur qui entraine dans sa sphère toute une nébuleuse qui malgré le ramage "intellectuel", et dont une partie sur la question du prisme colonialiste n’est pas à rejeter d’ailleurs, se présente en une lecture du monde qui en plus d’interroger les militants-es révolutionnaires, antiracistes, anti-impérialistes, féministes, etc..., semble tendre à masquer les rapports sociaux de classes, à remiser la lutte des classes, et jouant sur une approche de type identitaire et “civilisationelle” semble empêcher tout point de vue universaliste, internationaliste/a-nationaliste et rejoindre sur certains points des secteurs réactionnaires, et les religieux intégristes notamment dans la mesure où toute critique de la religion, et de ces signes dont ceux qui confortent l'oppression spécifique des femmes, sont assimilés à de l'islamophobie, et une forme d'impérialisme occidental.

Sur SONS EN LUTTES
Les indigènes veulent créer le parti des non-blancs

par Actudesluttes ⋅mardi 18 décembre 2012

Le 19 octobre 2012 à Montreuil (93), se tenait au café-librairie Michel Firk, la présentation publique du livre "Race et capitalisme" en présence des auteur(e)s : Boggio Ewang-Epée Felix et Magliani-Belkacem Stella. Durant cette réunion, il s’agissait pour ce qui devait être "les indigènes de la république" de définir une introduction pour une stratégie globale contre le système raciste. Cette stratégie est d’opposer la catégorie" blanc" à la catégorie "non blanc" ce qui, bien loin de proposer une stratégie de décolonisation, ne fait qu’exacerber les problématiques, augmenter la confusion et l’incapacité à définir une stratégie globale.

Emission à écouter : http://sonsenluttes.net/spip.php?article543


Indigènes de la République : le pire est-il avenir ? Questions... :
http://blogs.mediapart.fr/blog/abouadil ... -questions


Un article en réponse à l'essai "Les féministes blanches et l’empire" de Félix Boggio Éwangé-Épée et Stella Magliani-Belkacem (Les deux disent ne pas être membres du PIR, et font partie de ce que j'appelle la nébuleuse qui gravite autour), "Les féministes blanches et l’empire ou le récit d’un complot féministe fantasmé", que j'ai mis en rubrique Féminisme et LGBTI : viewtopic.php?f=75&t=6981.
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Nico37 » 09 Fév 2013, 20:15

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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede altersocial » 17 Fév 2013, 14:46

Suite et fin :

Universalisme et relativisme, au delà de la mouvance PIR

Plus généralement les IR s'inscrivent dans un courant de pensée relativiste, né en réaction à un "universalisme" qui n'en serait pas un puisque étant un ensemble de valeurs -occidentales- subordonnées aux impératifs colonialistes. Et d'entendre "la liberté d'expression c'est pour les occidentaux", "les droits c'est pour les occidentaux". On n'excuse alors toutes les oppressions au nom de ce relativisme, le projet d'émancipation totale disparait au profit d'une conception bipolaire du monde où le court terme géopolitique tient lieu d'objectif final. Il existe ainsi, au nom de ce relativisme, des peuples ayant des droits, et d'autres qui en seraient privés (torture, censure, etc.) et de rejoindre l'argumentaire d'un Serge Dassault signant des contrats avec une clique de dictateurs asiatiques. Des peuples inférieurs aux autres en droits, au nom d'un anti-universalisme brouillon. Affligeant.

Ce monde bipolaire que voient IR et néocons dans une même simplicité magique laisse alors libre cour à tous les excès géopolitiques : on soutient le Hezbollah contre Israël comme si cet instrument de l'impérialisme iranien contre les masses arabes du Liban n'avait pas fait autant de victimes libanaises en trente années de "résistance" téléguidée que les bombes du capitalisme israélien. Au lieu d'une critique internationaliste reposant sur l'impérialisme comme conséquence du développement du capital on assiste alors à un match géopolitique des bons contre les méchants (pour certains mêmes des moins pires contre les pires) : les rôles sont distribués, repères faciles réduisant le monde à un affrontement publicitaire qui ne tient plus compte des nuances et des résistances internes (classe ouvrière libanaise, anarchistes israéliens contre le mur, etc.).

Autre symptôme de ce simplisme géopolitique est le soutien aveugle au Hamas (communiqué du mercredi 28 janvier 2009). Non seulement l'amnésie des IR les conduit à ignorer en quoi l'émergence du Hamas est un produit de la tactique israélienne contre le Fatah mais également en quoi le Hamas produit à l'instar de l'Etat colonial honni une guerre permanente dans laquelle les perdants sont les prolétariats du Proche-Orient.
Et les IR dans un même communiqué d'affirmer qu'ils soutiennent le Hamas car il "est la direction démocratiquement élue des Palestiniens, contrairement à ce que prétend la propagande sioniste". Si nous imaginons deux secondes le scénario catastrophe selon lequel en France Le Pen serait élue démocratiquement par les français elle aurait donc le soutien des IR au nom de cet électoralisme béat ? Et en quoi une "direction" fait-elle le bien des dirigés ? Pour une mouvance qui n'a qu'à la bouche la bourdieuserie dialectique détournée du "dominant/dominé" on touche le fond en apprenant qu'en Palestine la domination de l'intérieur (le Hamas) est émancipatrice de la domination de l'extérieur (le colonialisme). D'autre part, contrairement au reste de ce communiqué, c'est oublier que les vrais dominés, le peuple palestinien, n'ont jamais attendu les bureaucrates barbus du Hamas pour se soulever, et que le salut des palestiniens viendra de la révolte du prolétariat du Proche-Orient et non pas des parasites armés qui vivent de cet état de guerre permanente. Confondre peuple colonisé et Hamas est soit une malhonnêteté intellectuelle soit une conception typiquement bourgeoise de l'histoire qui ne voit dans la suite chronologique des événements géopolitiques qu'un affrontement entre organisations institutionnalisées.

Une critique politique anti-autoritaire ne peut pas faire l'économie d'une critique des expressions politiques qui véhiculent des représentations réactionnaires du monde, critiquer l'impérialisme d'un point de vue internationaliste et anticapitaliste ne visera jamais à renforcer une conception bipolaire du monde amalgamant dans un même bloc prolétariat et bourgeoisie nationale alors que la réalité mondiale au quotidien n'est qu'une suite d'affrontements de classes contre le Capital, et ceci quel que soit les aspects formels historiques qu'il peut prendre (libéral, impérial, étatiste).
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Nyark nyark » 16 Juin 2013, 22:49

Tiens, encore quelques textes intéressants ici et .
La religion est la forme la plus achevée du mépris (Raoul Vaneigem)
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Nyark nyark » 09 Sep 2013, 18:47

Et là, même si ça date un peu (mais elle dit tellement ce que je pense !) :
http://koudavbine.blogspot.fr/2013/03/q ... emmes.html
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede bipbip » 28 Avr 2015, 09:48

Réaction face au texte d'Houria Bouteldja "Racisme (s) et philosémitisme d’Etat ou comment politiser l’antiracisme en France ?"

Contre l'antisémitisme, la politique du PIR(e) ?

Notre groupe s’est créé en raison d’un manque de prise en compte de l’antisémitisme dans le milieu révolutionnaire. Celui-ci a été particulièrement flagrant lors des attaques meurtrières ayant visées des Juifs et Juives de France ces dernières années, suite auxquelles une majorité de nos organisations sont restées silencieuses, ne considérant manifestement pas ces attaques comme ce qu’elles sont : des meurtres racistes. Ce constat nous a amené à nous interroger sur l’auto-défense des minorités nationales et à nous organiser pour lutter par nous-même contre le racisme. Particulièrement vigilants à l’égard des thèses qui peuvent circuler dans notre milieu politique, nous ne pouvons rester sans réaction face au texte de l’allocution d’Houria Bouteldja du 3 mars 2015 consacré au racisme et au « philosémitisme d’État ».

Une fois l’introduction passée, affirmant que l’antiracisme en France est structuré par la Shoah, ce qui est au moins incomplet (en ce qui concerne l’Éducation Nationale cela peut être le cas, mais la récupération de la Marche pour l’Égalité par SOS Racisme nous semble également un moment majeur de la création d’un antiracisme « institutionnel »), Houria Bouteldja en vient au cœur du sujet : la situation des Juifs et Juives de France. Le commencement du texte est extrêmement juste, évoquant trois « lapsus» étatiques révélant une différenciation de la population juive permettant de structurer en creux la création d’une identité majoritaire blanche, européenne, et chrétienne. Est affirmé ensuite, également avec justesse, que la réaction de l’État suite aux attaques de janvier a été de mener l’offensive contre les Musulman-e-s (nous parlons de « Musulman-e-s » avec une majuscule, car il s’agit de tous ceux qui, sans être forcément religieusement musulman-e-s, sont renvoyés à cette identité ou se définissent comme tels), ceux-ci faisant depuis des années office de bouc émissaire. Continuant sur sa lancée, Houria Bouteldja dénonce le manque de clarté de la gauche face au racisme. Celle-ci rencontre en effet des difficultés à le considérer comme structurel à la société française, ce qui l’amène à une fausse contradiction entre lutte contre l’islamophobie et lutte contre l’antisémitisme.

Jusque-là, nous ne pouvons qu’être plutôt en accord avec Houria Bouteldja, mais les choses se gâtent rapidement. D’abord, contredisant le constat fait plus haut que l’antisémitisme comme l’islamophobie sont nécessaires à la définition d’une identité majoritaire, elle refuse toute « fausse symétrie » qui consisterait à se positionner à la fois contre l’un et contre l’autre. Pourtant, si l’on part de ce constat, le moyen le plus évident de combattre le racisme serait de briser cette fonction sociale, et cela ne peut être fait du point d’une seule minorité (auquel cas on est dans la demande d’intégration) mais dans la coordination des différents fronts antiracistes.

Ayant démontré que l’antisémitisme était structurel, Houria Bouteldja change brutalement son fusil d’épaule. En effet, l’antisémitisme ne viendrait pas de l’État. Dans un autre registre, l’exemple du sexisme nous prouve pourtant que la multiplication de discours étatiques, médiatiques, ou politiques pour condamner une discrimination n’équivaut pas à une lutte réelle et efficace contre celle-ci, et encore moins à sa disparation.

Pas plus que de l’État, l’antisémitisme selon Houria Bouteldja ne vient que marginalement de la majorité nationale ou de l’extrême droite « classique » (pour notre part, nous considérons que cet antisémitisme est loin d’être marginal, surtout au regard des explications développées plus haut), mais surtout des Musulman-e-s, considérés de manière homogène. On est ici dans le calque d’un discours nationaliste classique, c’est-à-dire niant toute contradiction de classe ou idéologique au profit d’une unité nationale fantasmée (paradoxalement, Houria Bouteldja est ici bien plus proche du nationalisme sioniste qu’elle ne veut bien l’admettre). Mais justement, homogènes, ceux-ci ne le sont pas.

De même que la société dans son ensemble, les minorités ont une histoire et sont traversées de contradictions sociales, de classe et idéologiques. L’antisémitisme qu’on peut trouver chez les Musulman-e-s est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui (soi-disant marginal) qu’on trouve dans la majorité nationale dont le côté pseudo anti-système facilite l'implantation au sein du prolétariat ; le produit d’une frange des Musulman-e-s qui le diffuse pour apporter du soutien extérieur à des régimes et groupes réactionnaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (dont elle est dépendante) ; et l’héritage d’une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la « beurgeoisie » en voie d’intégration institutionnelle, les travailleurs Musulman-e-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.

Il en est de même au sein de la minorité nationale juive. L'islamophobie et le racisme anti-arabe qu'on peut y trouver est à la fois la reproduction plus ou moins fidèle de celui qu’on trouve dans la majorité nationale ; le produit d'une frange des Juif-ve-s qui le diffuse pour apporter un soutien extérieur au colonialisme israélien ; et l'héritage d'une politique menée par la France à l’époque coloniale visant à diviser les populations du Maghreb entre Musulman-e-s et Juif-ve-s. Face à elle, d’autres groupes sociaux existent et mènent un combat idéologique, que ce soit la bourgeoisie juive républicaine légitimiste, les travailleurs et travailleuses Juif-ve-s qui s’organisent dans les syndicats, etc.

Une fois posé ce point, la suite du discours d’Houria Bouteldja s’effondre d’elle-même. Refusant de voir cette histoire et ces contradictions, elle en déduit que l’antisémitisme serait une conséquence du système raciste à l’encontre des Musulman-e-s (seule explication restante si on nie les contradictions internes à cette minorité sans tomber dans une explication raciste-culturaliste). Et explique que si cette réaction vise la minorité juive spécifiquement, c’est en raison d’un traitement préférentiel que l’État accorderait aux Juif-ve-s. Suivant jusqu’au bout cette logique faussée, la meilleure manière de lutter contre l’antisémitisme serait de lutter contre ce traitement (appelée ici « philosémitisme », on n’est pas loin du « privilège juif »), notamment contre la « religion civile » (ici aussi, on est n’est pas loin de la « pornographie mémorielle » ou du « Shoah business ») que serait la Shoah.

Pour notre part, nous ne pensons pas qu’on lutte contre le racisme en s’attaquant aux victimes de celui-ci. Juifs et Juives révolutionnaires, nous entendons mener le combat sur plusieurs fronts :
- Contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne
- Contre tous les racismes, aux côtés des autres minorités nationales, seul moyen de déconstruire e système raciste
- Contre les idéologies réactionnaires au sein de notre groupe national

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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Banshee » 10 Juin 2015, 19:35

Ça va ici aussi :
viewtopic.php?f=76&t=7269
"Si les abattoirs avaient des vitres, tout le monde deviendrait végétarien ! ", Paul McCartney
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Pour une approche matérialiste de la question raciale.

Messagede spleenlancien » 26 Juin 2015, 06:52

Pour une approche matérialiste de la question raciale
Une réponse aux Indigènes de la République

Les Indigènes de la République ont contribué à rendre visible un racisme de gauche, appuyé sur le racisme intégral consubstantiel à la société française, mais seraient-ils prisonniers de ces enjeux ? Une analyse systématique des champs de force qui s’exercent sur les plus précarisés permet de sortir de l’ornière : une critique conséquente de l’invisibilisation des questions raciales et de genre, échappant au grand jeu identitaire de l’extrême droite, ancrée dans la critique de l’économie politique.


Malika Amaouche, Yasmine Kateb & Léa Nicolas-Teboul pour la revue Vacarme a écrit:

Des morts en Méditerranée en passant par les émeutes de Baltimore jusqu’aux menus faits quotidiens de la vie métropolitaine, tout nous ramène à la question raciale. Il nous semble nécessaire de proposer une analyse de fond du racisme qui ne soit pas qu’une réponse à chaud aux événements.

On assiste aujourd’hui à une montée de l’islamophobie et de l’antisémitisme. C’est une double vague et il faut réussir à penser les choses ensemble, alors que les séparations sociales sont de plus en plus fortes et les logiques de guerre de tous contre tous incontrôlables. Cela signifie refuser les logiques de concurrence entre les racismes ; mais aussi penser islamophobie et antisémitisme dans toute leur spécificité. Et cela dans le contexte général d’une augmentation de la violence sociale, d’un durcissement des segmentations de classes et des effets du racisme structurel (logement, travail, etc.). C’est de plus en plus dur pour les plus pauvres, pour ceux qui sont déjà les plus précarisés (les racisés, les femmes).

Avec les attentats de janvier, la gauche s’est pris en plein dans la figure son déni de la question du racisme. Elle qui s’est fait une spécialité de dénoncer la victimisation et de refouler le racisme comme phénomène structurel massif. L’obsession du voile des féministes institutionnelles a fonctionné comme un révélateur du racisme d’une gauche accrochée à un universalisme abstrait et agressif.

Voilà pourquoi nous étions enthousiastes devant l’énorme travail qui a rendu visible ce racisme de gauche, républicain, auquel le Parti des Indigènes de la République (PIR) a participé depuis 2004. Nombreux sont ceux qui ont travaillé à saper ce racisme respectable [1] Pour lequel les indigènes ne sont pas réellement des égaux et qui, s’il ne se justifie pas « contre » le racisé, tire son argumentation des grandes valeurs censées l’émanciper. Toute une histoire de la condescendance et du paternalisme de la gauche française reste à écrire, notamment sur la façon dont le discours de classe a été utilisé pour maintenir bien en place les hiérarchies au sein du mouvement ouvrier lui-même.

Néanmoins, il nous semble que le PIR a glissé. Surfant sur les durcissements identitaires, il propose une lecture systématiquement culturelle voire ethnicisante des phénomènes sociaux. Cela l’amène à adopter des positions dangereuses sur l’antisémitisme, le genre et l’homosexualité. Il essentialise les fameux « Indigènes sociaux », les subalternes qu’il prétend représenter. Tout se passe comme si les prolétaires racisés qui subissent le plus violemment le racisme étaient instrumentalisés dans une stratégie politique qui se joue essentiellement dans l’arène de la gauche blanche et des intellectuels radicaux à la mode.
Pour nous, descendantes de musulmans et de juifs d’Algérie, mener la critique du PIR, comme mener celle de la Gauche, est une question d’auto-défense. Nous pensons que nous n’avons rien à gagner dans l’opération politique qui subsume toutes les questions sous celle de la race. Pour nous, non seulement les questions de racisme mais aussi les questions d’économie politique, de rapports sociaux de sexe sont à l’ordre du jour.
économie-politique de l’islamophobie

Qui prend le RER à Gare du Nord le matin sait que ceux qui ont l’air arabe, noir ou rom subissent une pression constante. Contrôles au faciès, « bavures policières », relogement dans des banlieues toujours plus lointaines, les racisés subissent une ségrégation géographique, sociale et symbolique. Ce racisme intégral, pour reprendre l’expression de Franz Fanon, consubstantiel à la société française, commence dès l’orientation en 4e, avec la recherche d’un stage, du premier job… et s’étend à toutes les dimensions de l’existence. Dans ces multiples apparitions, il s’étend des rues de nos villes riches où les hommes racisés se font refouler des boîtes de nuit jusqu’aux confins des mers où on laisse se noyer avec une indifférence complice ceux qui osent franchir les frontières.

En France, l’islamophobie, le racisme anti-musulman, est à comprendre, non pas simplement comme une opposition laïque à la religion, mais comme un racisme dirigé vers tout ce qui est noir ou arabe. Notamment quand sa présence est visible dans l’espace public, qu’il s’agisse de femmes voilées ou de jeunes tenant le mur. Les événements de janvier n’ont fait qu’accentuer ce processus de stigmatisation. Des attaques de mosquées aux agressions de femmes voilées, en passant par les convocations au commissariat d’enfants de huit ans qui ne disaient pas assez « Je suis Charlie », il est devenu quasiment impossible de parler politique quand on a une gueule d’Arabe sans avoir à se justifier de ne pas être islamiste.

Il ne s’agit pas de simples discriminations ou de préjugés. L’islamophobie renvoie à une question plus centrale, la question raciale. Celle-ci fonctionne comme assignation à une place dans la division du travail de certaines catégories de population sur la base de leur origine et de leur couleur de peau. Il suffit d’observer un chantier de BTP pour constater qu’en général les gros travaux sont fait par les Noirs, les travaux plus techniques par les Arabes, et que les contremaîtres sont blancs. [2] Le racisme est le régime d’exploitation matériel qui a organisé le développement capitaliste européen.

En effet, le capitalisme met en concurrence les capitaux, mais aussi les travailleurs eux-mêmes sur le marché. Cette concurrence prend la forme d’un processus de « naturalisation » qui permet une dévaluation spécifique de la force de travail. Certains traits socio-historiques de la main-d’œuvre immigrée (comme par exemple la qualification, le déplacement, la spécialisation…) sont « essentialisés » : ils vont se prolonger, « coller à la peau ». Et cela permet aux employeurs de tirer le prix de la main-d’œuvre vers le bas.

Mais ce processus ne se réduit pas à une simple « prime raciale » à l’exploitation. C’est un « phénomène social total ». On peut donc avancer que la racialisation est une dynamique essentielle au capitalisme, qui a besoin de toujours plus de force de travail et produit, en même temps, cette force de travail comme « surnuméraire », toujours en trop [3].
insuffisance de la grille de lecture « coloniale »

Ce racisme marque de manière matérielle et symbolique l’espace métropolitain européen. Néanmoins, la grille de lecture strictement décoloniale que nous propose le PIR nous empêche de comprendre les dynamiques actuelles, où ce racisme n’existe qu’en lien avec le développement capitaliste à l’échelle du monde. À ce titre, l’histoire coloniale est derrière nous, même si elle laisse des traces. L’Occident, c’est-à-dire les centres historiques d’accumulation capitaliste menacés par la crise, perpétue, à travers la « chasse aux terroristes », la continuation d’une structuration de l’exploitation à l’échelle mondiale. Par exemple les guerres pour l’accès aux ressources naturelles (pétrole ou minerais « stratégiques »). Mais ce qui se joue également, c’est l’intensification de l’exploitation dans tous les segments de classe, à commencer par les plus fragiles. Ce processus d’appauvrissement et de marginalisation finit par engloutir des sujets qui ne sont pas noirs, arabes ou descendants de colonisés. Dans les émeutes de 2005, il n’y avait pas que des Noirs et des Arabes, mais aussi de vastes portions du « prolétariat autochtone » touché par l’appauvrissement généralisé. N’en déplaise à Fox News, il ne s’agissait pas d’affrontements ethniques. Les jeunes émeutiers issus de l’immigration étaient en proportion exacte de leur importance dans la population des quartiers qui se sont révoltés, ni plus, ni moins [4].
la question de la race dans les luttes

Souvent, la question de la race dans les luttes se pose de manière immanente et non ethnicisante. Si certaines luttes sont massivement racialisées, c’est parce que les prolétaires sont assignés à cette place dans la division du travail. Des mères de famille maghrébines s’organisent en collectif pour obtenir des HLM, des femmes de ménages des hôtels Park Hyatt se mettent en grève après le viol d’une dame guinéenne par un richissime Saoudien, des demandeurs d’asile tchadiens occupent un bâtiment pour y vivre…

Quand les sans-papières chinoises des ongleries de Strasbourg-Saint-Denis réclament collectivement leurs salaires, se mettent en grève puis font tourner le salon pour la caisse de grève, elles peuvent être rejointes par les coiffeuses ivoiriennes. Malgré les segmentations raciales, salariales et culturelles, des prolétaires racialisées se retrouvent ensemble dans leur lutte. La question de la race est centrale, notamment parce que la question du salaire est tout de suite liée à celle des papiers, mais elle ne se pose pas de manière strictement identitaire et intra-communautaire. Même si la lutte ne fait pas immédiatement l’unité de tous les segments de classe. Quand la lutte monte, les segmentations sont de moins en moins signifiantes. À condition que le segment le plus bas soit pris en compte : ce sont les sans-papières les plus isolées et marginalisées qui sont parties ici en grève, rejointes par d’autres migrantes et, après une petite victoire, par d’autres salons du quartier [5]. Quand la lutte est défaite ou se termine, les segmentations se durcissent et chacun-e retourne à sa place.

La racialisation que nous subissons n’est donc pas indépendante des clivages de classe. Ce n’est pas parce que les militants politiques les nient dans les discours qu’ils disparaissent. Au contraire, on les reconduit et on risque d’approfondir un peu plus l’incompréhension entre les différents groupes sociaux qui sont amenés à se rencontrer et parfois à s’allier dans les luttes. C’est parce que les séparations, les contradictions sociales sont permanentes que l’apparition de luttes est inéluctable. La rencontre entre les exploités devient possible et elle est elle-même un enjeu de la lutte. Rencontre entre tous ceux qui, communément exploités, ne le sont pas de manière égale.
la critique de l’économie politique : un truc de beur ?

Envisager la race comme une construction sociale implique de pouvoir penser les autres rapports sociaux que sont le genre et la classe comme également construits socialement. Penser un racisme systémique doit permettre d’articuler race et genre, race et classe. Or, le champ de la pensée qui refuse de considérer comme naturelles toutes les catégories produites par ce mode de production — la propriété, le travail, l’argent — c’est, pour employer un vieux mot, celui de la « critique de l’économie politique ».

Et c’est cela que le discours du PIR évacue systématiquement. Tout se passe comme si les « indigènes sociaux » ne pouvaient sortir de leur position de subalternes qu’en redoublant la racialisation de leur position dans le capital. Comme si les jeunes issu-e-s de l’immigration coloniale n’avaient pas le droit, eux, elles aussi, de s’interroger sur l’organisation du travail, sur la propriété des moyens de production, l’exploitation… bref sur tout ce qui fondait, il y a encore une trentaine d’années, le clivage entre gauche et droite. Comme si toutes ces questions étaient simplement un truc « d’intellectuels », un truc de Français, ou pire, insulte suprême, un truc de « beur ».

Parler de racisme structurel sans jamais donner les causes de racisme, c’est laisser la porte entrouverte à toutes les pensées « anti-système ». Or seul un positionnement ferme par rapport aux ressorts de ce « système » permet de garder la tête froide dans le grand jeu identitaire auquel se livre l’extrême-droite.
la vague antisémite

Les meurtres de juifs ces dernières années (à Toulouse, Bruxelles, Paris, Copenhague) ne sont que la partie émergée de l’iceberg. À Créteil, à l’automne 2014, un couple est cambriolé : « ils sont juifs alors ils auront de l’argent », cela légitime la cible et le viol d’une jeune femme sous les yeux de son mari. Les « sorties » de personnalités médiatiques dépassent largement le champ de l’extrême-droite. Tel syndicaliste étudiant explique que ce sont les juifs, très nombreux à la fac, qui l’ont empêché d’être élu… Dans le métro parisien, un sous-prolétaire d’Europe de l’Est insulte un vieux juif religieux : « juifff ! Merde ! Juifff ! Caca »… Un livreur de bagels se fait prendre à partie parce qu’il travaille pour les juifs-ceux-qui-ont-de-l’argent…

On assiste à une résurgence importante de la vieille idée que les juifs incarnent l’argent, le système, qu’ils sont une puissance occulte. Le substrat théorique de l’antisémitisme européen tel qu’il s’est sédimenté à la fin du XIXe siècle est mobilisé. Une certaine idée de la nation, de l’Occident chrétien fondé sur la suprématie de la race blanche et dont les juifs sont exclus. Certains politiques se blanchissent en affirmant que les Maghrébins seraient le fer de lance de la résurgence de l’antisémitisme. Le saccage de tombes juives en Alsace par des « Français de souche » (dixit M. Hollande) a rappelé qu’il n’y a pas que des Maghrébins et des Noirs habitant des HLM de banlieue qui soient antisémites. Dans la société française, l’antisémitisme circule dans différentes classes sociales, dans différentes sphères culturelles. Il y a aussi une mondialisation de la circulation de cette idéologie. Qu’on pense aux commentaires antisémites que suscite Dominique Ouattara, la femme de l’actuel président de Côte d’Ivoire, d’origine juive.

Le contenu potentiellement « populaire », anti-hégémonique de l’antisémitisme a toujours été la clé de son succès. « Les juifs sont les chouchous » ; « les juifs dominent le monde ». Sur cette base, l’antisémitisme peut encore être un opérateur politique, redessiner des alliances (typiquement celle d’un Dieudonné, issu de la gauche, de l’antiracisme et d’une partie de son public avec Soral).
un antisémitisme structurel

L’antisémitisme moderne a une dimension systématique. Il explique un monde menaçant et devenu rapidement trop complexe. Lié au conspirationnisme, il se présente comme la clé interprétative de toute la violence et du non-sens qui fonde la dynamique d’un ordre social sans autre but que sa propre reproduction. Cette explication du monde apparemment délirante a des effets bien réels. L’identification des juifs à l’argent, à un pouvoir abstrait et menaçant, perdure. Dans les moments de crise sociale, il revient en force, même à gauche.

L’école allemande de la Wertkritik [6] tente de comprendre ce lien tendanciel entre certaines formes de critique anticapitaliste et l’antisémitisme. Les catégories qui régissent les rapports sociaux capitalistes, l’argent, le travail, la marchandise, possèdent une double face, ce que Marx caractérise comme « fétichisme ». Une face concrète, qui nous apparaît immédiatement, dessine notre monde sensible : l’usage de l’objet marchand, le contenu du travail, manuel ou intellectuel, le temps vécu des vacances acheté à crédit… Et une face abstraite, qui opère comme dynamique du système capitaliste, à savoir la valeur, mais rend aussi pensable ce fameux système. Médiés par la valeur, les rapports sociaux capitalistes restent donc des rapports de classe, fondés sur l’exploitation, violemment inégalitaires, mais ne prennent plus la forme de rapports directs entre personnes. La violence sociale du capital s’exerce bien sur les exploités, les dépossédés, mais sa dynamique, par la logique même de ce mode de production, comporte une dimension abstraite.

Toute une tradition anticapitaliste ne saisit pas cette double dimension des rapports sociaux capitalistes : à la fois concrets et abstraits. Souvent, elle naturalise le concret et concentre sa critique sur l’abstraction : contre la finance pour la « vraie économie », ou l’industrie, sans voir que la production de biens consommables, le simple échange d’une baguette contre de la monnaie, est aussi régie par des abstractions. L’abstraction est donc rapportée à une dimension parasitaire, un en-trop du système.

C’est à cette dimension abstraite que les juifs sont identifiés : à une force occulte, impalpable, à l’argent. Gonflées, mythifiées, biologisées, certaines de leurs caractéristiques sociales et historiques, leurs activités économiques plutôt liées à la sphère de la circulation et leur présence sur une aire géographique très large, ont été le levier de cette identification. Ainsi, l’antisémitisme opère typiquement comme une personnification de la domination abstraite du capital.

En ce sens, la question juive est une question à la fois spécifique et centrale pour l’histoire du capitalisme européen. Il ne s’agit pas d’en faire une question « absolue », un « en-dehors de l’histoire » [7]. Si ce type de racisme structurel s’est porté de manière privilégiée sur les juifs, cette racialisation de traits sociaux-historiques peut porter sur d’autres populations. Aujourd’hui par exemple, en Asie du sud-est, le racisme contre les Chinois prend des traits proches de celui qui vise les juifs (double figure de l’argent et du pouvoir).

Prenons donc la mesure de cet antisémitisme structurel, de son importance historique et des ressorts d’une figure fantasmagorique plus vivace que jamais. Non pas pour construire la figure exceptionnelle de ce racisme-là contre tous les autres, mais pour comprendre pourquoi l’antisémitisme est pernicieux et puissant. Il laisse le capitalisme intact en attaquant uniquement les personnifications fantasmagoriques de cette forme sociale. Déconstruire l’antisémitisme, c’est être capable de le voir là où il se trouve, là où il se dit et aussi travailler à délier l’identification des juifs, de l’argent et du pouvoir.
dénoncer le philosémitisme, un antisémitisme déguisé

Le texte d’Houria Bouteldja, appelant, au nom de l’antiracisme, à défiler « contre le philosémitisme d’État » a de quoi nous inquiéter [8].

Quand Segré utilisait le terme il y a quelques années [9], il appelait l’attention sur ces idéologues qui, en guise de défense des juifs, proposent une défense des Blancs, de l’Occident. Il ne disait pas que l’État français et les intellectuels réactionnaires étaient effectivement philosémites, encore moins la gauche blanche ! Désormais, le philosémitisme n’est plus une antiphrase, mais désigne les juifs comme responsables de la construction d’un ordre identitaire. L’antisémitisme se comprendrait alors comme une réaction au philosémitisme d’État, au rôle que joueraient les juifs d’alliés de l’État républicain raciste. Lutter contre l’antisémitisme, ce serait lutter contre le philosémitisme. Finesse dialectique mise à part, on retrouve là la vieille idée que les juifs, liés au pouvoir, tirent les ficelles ! Une figure fondée sur une lecture de l’histoire coloniale où on joue les juifs contre les Arabes et vice versa.
une relecture de l’histoire des juifs en Algérie

La comparaison des juifs avec les tirailleurs sénégalais qui ont commis des massacres dans le Sud du Maroc sous-entend que des juifs auraient massacré des musulmans ou participé directement à la répression coloniale. Certes, les juifs d’Algérie étaient dans une position ambiguë vis-à-vis de l’indépendance. Attachés à la France (naturalisés depuis 1870, ayant vu par là une amélioration de leur niveau de vie et de leur assimilation culturelle), leur histoire ancienne et récente les distinguait aussi des colons européens, et ils étaient la cible de l’antisémitisme (des colons, comme de l’État vichyste).

Construire une culture des subalternes pure est un modèle théorique qui relève de ce que Edward Saïd appelait l’orientalisme.

Considérer aujourd’hui que la Shoah ne concerne que les juifs et les Européens alors que l’antisémitisme en Algérie est tissé de cette histoire, oublier les figures minoritaires mais significatives de juifs (communistes) engagés dans la lutte pour l’indépendance, c’est un choix de lecture historique. Politiquement, en 1956, lors du congrès de la Soummam [10], le FLN envisageait de faire le choix inverse en proposant une alliance à la minorité juive appelée à se solidariser avec la lutte de libération nationale et promise à « sa part de bonheur dans l’Algérie indépendante »…
politiser l’antisémitisme

Cette politisation opérée par le PIR a lieu dans un va-et-vient entre une conférence à Oslo pour le gratin intellectuel mondialisé et une manifestation à Barbès.

Pour être acceptable, cette légitimation politique de l’antisémitisme doit se distinguer de l’antisémitisme historique. C’est le « ressentiment anti-juif » des damnés de la terre d’aujourd’hui. Maghrébin, « sympathique », bien de chez nous… Il émane du fantasme d’une culture maghrébine populaire pure, qui pourrait faire abstraction de cinquante ans d’histoire. Comme tout processus culturel, les préjugés antisémites sont hybrides, y compris chez les dominés. Construire une culture des subalternes pure est un modèle théorique qui relève de ce que Edward Saïd appelait l’orientalisme. Cette construction d’une altérité radicale est d’abord un fait de domination culturelle, qu’on dote cet Autre absolu de traits positifs ou négatifs.

Or, si on cesse de lire l’antisémitisme comme un problème ethno-culturel, on voit que les Maghrébins antisémites qui se politisent ne vont pas au PIR mais directement chez Soral. En voulant incarner l’antisémitisme populaire maghrébin, on ne fait que surfer sur la vague et sur le confusionnisme de la gauche. On drague la gauche blanche en rejouant ses tactiques historiques de minimisation du racisme.
identification des juifs à Israël

Les juifs de France sont une minorité à être liés directement à l’État d’Israël. Mais il existe un lien de fait parce qu’Israël a représenté une « solution au fait national juif » après l’extermination des juifs européens et a accueilli une grande partie des juifs d’Orient. État récent, fondé sur la violence, Israël perpétue la spoliation des populations palestiniennes qu’impliquait le sionisme comme solution nationale à la violence antisémite. Nous critiquons comme telles les exactions à Gaza, dans les territoires, la colonisation galopante en Cisjordanie, à Jérusalem Est.

Mais l’identification des juifs à Israël fonctionne plus largement. C’est le racket politique de Netanyahou après les attentats de Charlie Hebdo qui invite les juifs de France à faire leur alya — en réalité, il les invite à vivre en Cisjordanie pour faire les petites mains de l’extrême-droite parce que la société israélienne, en crise, en guerre, n’a rien à offrir. En miroir, l’amalgame est à l’œuvre chez les antisionistes. Israël incarne tous les problèmes de la terre. Mais cet antisionisme n’est pas la critique d’un État, de son fonctionnement, de son idéologie nationaliste, de sa violence, ce n’est pas l’appel à la solidarité internationale avec les populations victimes de cet État (a minima par nécessité d’auto-défense). Une solidarité internationale conséquente impliquerait de hiérarchiser en s’attaquant d’abord à l’impérialisme de son propre État et de ne pas en faire une question exotique. Il faudrait ne pas s’indigner en premier lieu de la présence de Netanyahou et de Lieberman aux manifs « Je suis Charlie ». Israël serait le chouchou de l’Occident, l’unique représentant de l’impérialisme universel, le responsable de tout le mal qui arrive aux Arabes mais aussi aux autres, de la répression des mouvements sociaux, etc.
Le résultat est qu’aujourd’hui, le champ politique de l’antisionisme n’a cessé de se droitiser. La gauche antisioniste a toutes les peines du monde à délier l’amalgame entre les juifs et Israël dans cet espace politique pathogène. Pathogène pour les juifs mais pour aussi pour les prolétaires en France, racisés ou non, qui n’ont rien à gagner à cette focalisation unique sur la question palestinienne, alimentée par les nostalgiques du panarabisme et les gauchistes français.
une quenelle anti-système pour restaurer la virilité

Quand il s’agit de donner son ressenti sur ce qui a motivé les attentats de janvier 2015, Houria Bouteldja explique que les indigènes mâles auraient été rendu « fous » par le déni de leur virilité par les Blancs. Selon elle pourtant, « les habitants des quartiers ne souhaitent pas politiser leur sexualité ». De même, dans son intervention au colloque « Penser l’émancipation », elle nous donnait une description essentialisée des questions de virilité des garçons arabo-musulmans, congratulant au passage Soral de leur offrir un programme de restauration de leur virilité mise à mal par le colonialisme et le racisme. Pour parler des marcheurs des années 1980, elle nous montrait des corps de mâles indigènes hypersexualisés, « adonnant les premiers coups de butoir à la République blanche et immaculée » (comme si elle n’était pas représentée par des hommes). Elle notait au passage que ces garçons arabes manquaient de jugement éclairé. Puis, elle dessinait la silhouette de Dieudonné, brandissant sa quenelle, mais « mal doté intellectuellement car ne possédant pas le bon logiciel ». Enfin, pour justifier ce geste antisémite, elle mobilisait ses affects en tant que femme, en déclamant son amour pour Dieudonné : « Je l’aime parce qu’il a fait une chose importante en termes de dignité, de fierté indigène, de fierté noire : il a refusé d’être un nègre domestique. Même s’il n’a pas le bon logiciel politique dans la tête, il a une attitude de résistance. Et j’ajoute, que bien avant la nature de ses alliés, ce que voient les indigènes, c’est ça. Un homme debout. » [11]

D’une part, cette représentation du « garçon arabe » n’est pas différente de celle construite par les féministes blanches, laïcardes et républicanistes comme intrinsèquement, culturellement, biologiquement presque, virile et sexiste [12]. D’autre part, cette essentialisation des Arabo-musulmans ne laisse de place à aucune autre identification au sein des indigènes. C’est toute la limite du programme du PIR esquissé dans la notion d’« internationale domestique [13] » : une suprématie de la race qui annule en fait toute autre articulation, race et classe, race et genre, race et sexualité. Selon ce raisonnement donc, une indigène sociale ne peut pas développer des outils de lutte et de revendication en fonction de son actualité présente, de son genre, de sa sexualité. Elle doit se référer éternellement à sa position post-coloniale ; ses modèles d’émancipation n’appartiennent qu’au passé. Si elle se prend à défendre d’autres causes ou à articuler, par exemple et au hasard, race et genre, c’est qu’elle adopte l’agenda des Blancs [14].
le féminisme : un luxe pour les femmes indigènes ?

Nous nous reconnaissons dans le refus des injonctions d’un féminisme blanc, qui définit les termes de l’émancipation selon les normes que fabriquent les dominantes pour les subalternes et qui fonctionnent à leur profit. Mais pour Houria Bouteldja, le féminisme est un luxe auquel les femmes indigènes ne peuvent pas prétendre. À ce propos, elle déclare notamment : « L’homme indigène n’est pas l’ennemi principal. La critique radicale du patriarcat indigène est un luxe » [15]. Ce n’est pas une cause prioritaire face au racisme des Blancs, aux violences policières et aux discriminations. Il est donc impossible aux femmes indigènes de dénoncer le sexisme et le patriarcat, qui ne seraient que des oppressions parmi d’autres, sans trahir les hommes de leur communauté. De plus, elles seraient dépendantes financièrement des hommes de leurs communautés, ce qui réduirait encore davantage leur marge de manœuvre.

Il faut maintenir une lecture de classe du racisme même si, historiquement, les rapports de classe ont été utilisés pour invisibiliser les questions raciales et de genre.

Or, les questions de survie économique sont le quotidien des femmes des quartiers populaires. En Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre d’Île-de-France, les femmes occupent les fonctions parentales dans 89,9 % des familles monoparentales, dans un contexte général de forte augmentation du nombre de ces familles (cf. chiffres INSEE et Efgip). Les hommes ont déserté la famille et les femmes se retrouvent seules à élever les enfants et à assurer la survie de la famille. Ce sont donc bien elles qui en sont les piliers dans les foyers les plus pauvres. Le délitement de la famille nucléaire, la « disparition » des hommes n’implique pas la disparition du patriarcat : violence perpétrée contre les femmes, la structure du marché du travail et de la famille fait par exemple qu’une divorcée reste sous la tutelle de son ex-mari, notamment pour l’éducation des enfants. Mais cela n’autorise pas Bouteldja à évacuer ainsi toute aspiration féministe pour ces femmes.
mariage non mixte

En faisant l’éloge des mariages non mixtes [16], Bouteldja fait comme si le fait de se convertir à l’islam pour un Blanc revenait à abandonner ses privilèges et sa position de dominant. Là encore il s’agit d’une essentialisation de la religion superposée à la race, comme si l’une et l’autre était intrinsèquement liées. On ne nie pas que les mariages mixtes sont aussi des mariages entre dominants et dominés, mais représenter la conversion comme purificateur de classe sociale et préconiser la non-mixité raciale nous fait froid dans le dos.

Cela revient à l’occasion à couvrir les mariages arrangés sur le dos des femmes qui ne sont pas consultées sur le choix d’un époux, et à étouffer les violences conjugales et intra-communautaires faites aux femmes. Et là, on aimerait qu’on s’intéresse aussi aux désirs des femmes indigènes, et aux conséquences de leur déni d’autonomie et des frustrations qu’entraîne ce modèle communautaire. Nous voyons bien que ce sujet risque de passer encore une fois à la trappe, pour ne pas cliver la communauté. Encore une fois, on demande aux femmes de se sacrifier pour le groupe. Si la question des violences conjugales et intra-communautaires est utilisée pour stigmatiser les hommes racialisés, si le machisme arabe est instrumentalisé pour absoudre celui des hommes blancs, ce n’est pas une raison pour cultiver l’omerta entre nous.

Effectivement, les liens communautaires cristallisent un besoin de solidarité matérielle dans un contexte de crise, de paupérisation, et de baisse des prestations sociales. Identifier ces phénomènes d’entraide à un simple repli identitaire, c’est nier ce qui peut être de fait une stratégie de survie pour les plus pauvres. Car la communauté prend en charge une partie du travail de reproduction, le soin aux malades, les visites aux prisonniers, etc. Mais, structurellement, faire à manger, réunir les uns et les autres, endormir les jeunes enfants, s’occuper de sa vieille mère, est dévolu aux femmes. Idéaliser les liens communautaires, c’est alors redoubler l’invisibilisation du travail des femmes au sein de la famille et de la communauté.

On peut aussi analyser la « manif pour tous » comme un repli sur la sphère familiale et une assignation de plus en plus violente des femmes à la sphère du privé dans un contexte de survie généralisée. Mais pour les Blanches du 93, on évoque un retour des valeurs là où on parlera de communautarisme pour des femmes racisées.

Nous pensons donc qu’on ne peut pas comprendre le contexte actuel de paupérisation généralisée et de crise en faisant l’économie de la question raciale et d’un point de vue féministe. Parce que les femmes sont assignées à la sphère de la reproduction, tout moment de crise implique pour elles une augmentation drastique de la charge de travail, et des violences accrues…. Tout ce qui est lié à la consommation est plus cher, plus long à obtenir, et ce sont elles qui supportent en partie le coût de la diminution du welfare, en argent et en temps : s’il faut faire trois heures de queue à la CAF, c’est la femme à temps partiel qui le fera. Le travail domestique augmente, et avec lui la réassignation violente des femmes à leurs rôles de femme, qui n’ont rien de naturel.

Seule une lecture réellement matérialiste de la question raciale, et non une lecture simplement morale, comme celle de la gauche, ou politique, comme celle du PIR, nous permet d’articuler les différentes formes de racisme entre elles, de ne pas mettre en concurrence les victimes du racisme et de faire le lien avec la question des femmes dans le contexte actuel.

Cette lecture par ailleurs offre la possibilité d’échapper à une vision dichotomique de ces questions. D’un côté en effet, on a un déni de l’islamophobie au sein même du gouvernement, et cette minimisation a été préparée depuis longtemps dans les mouvements de la gauche antiraciste. De l’autre côté, une partie du champ de la critique sociale sous-évalue systématiquement la question de l’antisémitisme. Entre le gouvernement, la gauche antiraciste et le PIR, le champ s’est rétréci et on manque d’air.

Pour sortir de cette impasse, il faut à la fois reconnaître ce qui se passe actuellement, et sortir de l’ombre les violences subies dans le passé. En ce sens, la bataille pour la reconnaissance mémorielle est un travail essentiel, mais elle ne prend son sens que si elle est reliée effectivement aux luttes sociales.

La lecture des Indigènes de la République de la question du racisme nous semble finalement assez faible, car systématiquement déliée des questions d’économie politique. En ce sens, le PIR reste prisonnier des enjeux de la gauche, qu’elle soit blanche ou pas.

Nous pensons au contraire qu’il faut maintenir une lecture de classe du racisme même si, historiquement, les rapports de classe ont été utilisés pour invisibiliser les questions raciales et de genre. Si une lecture décoloniale nous aide aussi à comprendre des dynamiques toujours actuelles, ce modèle sert aujourd’hui à construire un sujet homogène, comme on le faisait auparavant avec la classe. Ainsi, la race subsume toutes les autres questions. Elle est devenue le paradigme unique pour désigner les oppressions liées à la domination capitaliste. Or, il ne s’agit pas de hiérarchiser entre lutte de classe et lutte de race, mais au contraire de saisir l’intrication de la question de classe et de la question raciale (il n’est pas possible de penser la classe sans penser la race et vice versa).

Ce qui vient de se passer à Baltimore le démontre à nouveau : « Aujourd’hui, il n’y a aucune direction noire légitime. Plus que tout, l’ascension d’une poignée de Noirs à des postes de pouvoir a démontré l’impossibilité structurelle de trouver une place pour la majorité des Noirs en Amérique. Un maire noir, un chef de la police noire, un président noir et Baltimore brûle toujours. » [17]

Post-scriptum

Malika Amaouche, Yasmine Kateb et Léa Nicolas-Teboul sont féministes et communistes. Elles militent dans différents groupes.


http://www.vacarme.org/article2778.html
spleenlancien
 
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Banshee » 30 Sep 2015, 10:20

Et une réponse (remarquable, avis perso) à la réponse :

Remarque préalable de vocabulaire : on appellera dans ce texte « racialisation » toute analyse contribuant à développer et à diffuser une théorie de la race. C’est le seul terme qu’on a choisi de conserver pour nommer ceux-là même qui, de « racisé » à « indigénisation » en passant par « blanchité », veulent en imposer toute une palanquée. Si un nouveau mot a paru nécessaire, c’est parce que l’existence publique d’une théorie de la race est elle-même, et sous cette forme, relativement nouvelle. Le racialisateur partage le monde en différentes races et nous assigne à tous une place dans ce partage. Parfois le partage est grossier : on est « blancs » ou « non blancs », parfois il est plus détaillé mais perd alors en cohérence. Si on ne trouve pas le moyen de refuser d’obéir à ces assignations qui se font passer pour des constats, on risque fort de se condamner à devenir ce dont ils nous prédiquent. Aujourd’hui, et sous nos latitudes, contrairement à ce qu’a pu être l’Amérique ségrégationniste par exemple, dont on importe les théories, le modèle et le vocabulaire, ce n’est pas l’État qui racialise. La diffusion actuelle de la théorie de la race est l’œuvre d’un courant situé à gauche, voire à l’extrême gauche, qui, tout en cultivant ses polémiques et contradictions internes, travaille à constituer ce qu’on peut appeler une « aire racialisatrice ». C’est pour contribuer à contrer ce mouvement que ce texte a été écrit.

Depuis quelques temps, il est de bon ton, il tendrait presque à devenir normal, dans différents milieux, plus précisément dans une couche de la gauche et jusque dans ses extrêmes, d’employer à tour de bras le terme « race » et ses dérivés aussi récents qu’approximatifs : « racisé, racialisés, racisations, racialisations ». Lors d’un meeting récent, on a pu entendre une intervenante de la tribune affirmer qu’elle pouvait désigner du doigt les « blancs » dans l’assemblée, « blancs » dotés de « privilèges », les opposer aux « non blancs », et, pour défendre la validité de la notion « d’intersectionnalité », défendre « l’obligation » de prendre en compte « la race » à laquelle « elle appartient », face à un public quelques fois critique, mais plus généralement atone, voire enthousiaste — « c’est vraiment chouette, ce qui se passe pour l’instant » entend-on commenter une « féministe matérialiste ». On peut donc affirmer, entre autres choses, qu’il y a des « blancs » et des « non blancs », que c’est ainsi que se partage le monde, et c’est chouette.

Ce changement est en premier lieu lexical puisque, la réalité du racisme et du sort particulier que le capitalisme, l’Etat ou ses agents, réservent aux migrants, aux sans papiers, aux travailleurs immigrés et à leurs descendants n’ayant pas notablement changé depuis l’année dernière, c’est bien au niveau des mots, qui sont importants[1] comme tous les racialisateurs le savent, que le changement s’est opéré. Le Parti des Indigènes de la République en est la principale cheville ouvrière. Son porte parole, Houria Bouteldja, d’ailleurs, le formule clairement dans son entretien avec la revue Vacarme[2] : « notre visée est de recomposer le champ politique à partir de la question raciale ». C’est effectivement ce à quoi les colporteurs du PIR s’appliquent, pour quelques uns depuis une dizaine d’années.

Entendons bien l’enjeu : il ne s’agit pas de proposer des analyses consensuelles. Ainsi, les déclarations agressives, clairement racistes, homophobes et antisémites, les invectives contre le métissage ou les dits « mariages mixtes » qu’ils profèrent ici ou là ne sont assurément pas là pour mettre d’accord. Recomposer le champ politique, c’est bien autre chose, et c’est aussi à coup de polémique que ça se passe : antisémite ou pas, homophobe ou pas, machiste ou pas, c’est bien de race qu’il s’agit de traiter. Ces appels à la haine et à l’inversion en miroir des valeurs et des présupposés racistes de ce qu’ils construisent comme « le monde blanc » ont longtemps sonné creux, sans doute aussi parce qu’ils étaient essentiellement portés par des universitaires ayant peu d’écho dans les luttes. Tout d’un coup, depuis une petite année, non seulement l’audience du PIR grossit (800 spectateurs, d’après les organisateurs) pour fêter ses dix ans, certes sans doute réunis surtout pour voir Angela Davis) mais le prêt-à-penser qu’il refourgue est repris et approprié, avec son vocabulaire ignoble de la race décomplexée, par un champ large allant de la gauche la plus institutionnelle à des milieux militants plus radicaux. Et quand on ne reprend pas ces termes, du moins on n’y réagit plus et on ne s’y s’oppose pas. Cet état de fait ne vient pas d’un changement de composition de ceux qui sont à l’initiative de ces discours, ni à leur implantation dans des luttes ou auprès de quelconques larges masses. Il est, en revanche, certainement lié à la disparition de toute revendication d’autonomie politique et pratique et au manque actuel de propositions subversives. Là où le terrain s’est considérablement appauvri, il ne faut pas s’étonner qu’on ne puisse pas cueillir les meilleurs fruits. On peut aussi constater qu’une f(r)ange militante de gauche au sens très large s’en fait le relai. Face à cette situation, le fatalisme lui-même est intolérable.

Le dossier consacré par la revue Vacarme au thème de la « race », ainsi que ses suites, est révélateur de ce processus. Il aurait fait polémique à l’interne, il fallait bien pourtant parler de cette « sale race », comme ils affectent de dire. Cette nécessité tient sans doute à l’effet de mode, qui sur cette question et dans un contexte de crise et d’appauvrissement généralisé ne laisse pas de susciter la perplexité. Et, pour en parler, il fallait bien aller voir le PIR. Jusqu’ici universitaires, journalistes et travailleurs de la culture de Vacarme et du PIR, qui devaient bien se croiser dans les mêmes cercles institutionnels ou éditoriaux, n’avaient pas, semble-t-il, éprouvé le besoin de se rencontrer[3]. Aujourd’hui, c’est donc une nécessité. Ainsi, on pourra lire un dossier objectif dans lequel un entretien laissera percevoir l’ignominie de certains propos du PIR. On le critiquera ensuite de deux points de vue. De celui de l’universalité d’abord, ça, à Vacarme, on sait faire normalement, puisqu’« on est la gauche »[4]. Dans le numéro suivant, on invitera des « militants de terrains » (en l’occurrence des universitaires aussi, hors de l’université point de salut !), à le critiquer d’un point de vue qui se dit « matérialiste ». Ça, à Vacarme, on ne sait plus faire depuis longtemps, depuis « qu’on est la gauche » peut-être justement, c’est pour ça qu’on doit inviter d’autres contributeurs, qui — médaille du jour — sont « racisées » ou au moins racisables ou en tout cas se déclarent candidates à l’opération.

Ce qui nous intéresse ici, et nous pose sérieusement problème, c’est que, non seulement, quelles que soient les gesticulations et dénégations de détail, la démarche de Vacarme en publiant ce dossier correspond tout à fait aux objectifs clairement énoncés par Bouteldja (polariser le champ politique à partir de la question raciale), mais, plus grave, l’article qui y fait suite, sensé être le plus radicalement critique, Pour une approche matérialiste de la question raciale, tout en pointant les dérives et exagérations incontournables du PIR (antisémitisme, sexisme, homophobie), avère tranquillement l’idée qu’il faut penser avec la race et, parce qu’on est encore sans doute un certain nombre à savoir que la race, ça n’existe pas, ses dérivés « racisés », « racisation », etc… ainsi que la notion d’« indigènes » auxquels on peut ajouter le cache sexe « sociaux » pour faire bonne mesure en terme de sociologie marxisante. Penser avec la race devient un impératif incontournable : tout refus de ce vocabulaire et de ce qu’il charrie sera systématiquement considéré comme de la dénégation, voire du déni, et tombera sous le coup du dispositif accusatoire.

Ce texte, qui devrait plutôt s’intituler, comme on le verra, « pour une approche racialiste du matérialisme », contribue donc à construire ce qu’on pourrait appeler le champ de la racialisation, consacrant par là-même la réussite des premiers objets affichés de sa critique. Sur ce champ, deux positions se retrouvent à s’affronter : la race seule contre la race « articulée », en l’occurrence à la classe, et au genre, indispensable partenaire actuel de toute moralisation. Pour tous ceux qui entendent bien refuser de se laisser imposer le constat terrible que « tout nous ramène à la question raciale », et parce que justement le texte qui assène ce constat se présente comme « une réponse matérialiste au PIR », il est de première urgence de le lire avec attention et de le critiquer sans appel. C’est ce qu’on se propose de faire ici, sans prétendre avoir été exhaustif.

Où l’on commence à accepter les termes du débat

Parce qu’un texte prend aussi sens dans le contexte discursif dans lequel il s’inscrit, examinons rapidement le dossier auquel il répond. La manière dont il est introduit ne laisse pas de doute : il ne s’agit pas de trancher (on « est la gauche » mais on est aussi « des militants de l’incertitude »[5], à Vacarme…). « La race n’existe pas mais elle tue », pourquoi pas. L’avantage du paradoxe et de l’aphorisme, c’est que ça dit beaucoup à la fois. Mais quand on fait des phrases claires à propos du PIR, ça donne : « il nous semble dans ce contexte d’autant plus important d’être capable de nous parler, ne serait-ce que pour que chacun sache à qui il parle, et mesurer les profonds désaccords qui nous séparent, certains irréconciliables, d’autres non. » L’important est donc de maintenir le dialogue et de faire la part des choses, on ébarbera ce qui dépasse — les provocations outrancières de Bouteldja sur le métissage, l’homosexualité et les rapports homme-femme sont effectivement insoutenables —, mais on ne s’attaquera pas à l’essentiel et on contribuera à valider ce qu’on peut appeler aujourd’hui une théorie de la race qui est bien, au contraire, ce qui devrait, à minima, faire « froid dans le dos » à tous ceux qui applaudissent des deux mains.

Faisons une petite pause et rendons nous compte de ce qui se passe : il faut donc aujourd’hui penser à plusieurs intellectuels de haut niveau, convoquer des « militants de terrain » et produire un dossier de plusieurs dizaines de pages pour finir par avancer courageusement qu’être ouvertement antisémite, machiste et homophobe pose problème. On peut à juste titre se demander où en sont la gauche et ses radicaux (et par quoi est traversée l’université).

Au contraire, nous pensons que face à cette tentative d’OPA discursive portée au départ par une f.r.ange restreinte d’universitaires hors-sol, qui tentent d’imposer le retour à des catégories dont chacun sait (que ce soit à travers le savoir de l’histoire ou l’expérience des luttes, — à ce niveau-là, regarder la télé de temps en temps suffit même sans doute d’ailleurs) qu’elles sont intrinsèquement et irrémédiablement ségrégationnistes, qu’au lieu de construire du commun, elles séparent et ne portent qu’assignation, perspectives communautaristes, ressentiment, culpabilisation et haine de soi et des autres, c’est un front du refus qu’il faudrait construire.

On pourrait répondre à juste titre qu’un contexte de conflictualité sociale plus intense balaierait ces sales manières de voir le monde, rendues alors finalement à leur vanité. C’est vrai, mais on sait tous que ce n’est pas actuellement le cas. Il va donc bien falloir, sauf à se laisser engloutir sous les immondices de la théorie de la race, s’opposer activement à la propagation de la grille d’analyse racialisatrice.

Voilà bien ce qui est pour nous, militants auxquels, en l’occurrence, les luttes aux côtés des sans papiers et des immigrés, travailleurs ou pas, ont appris que nous ne sommes ni blancs ni non-blancs, « une question d’auto-défense » politique. Pour cela on se propose ici à la fois d’observer les formes que prend cette propagation de la théorie de la race puis les enjeux de son refus, surtout quand elle s’affuble d’un voile matérialiste.

La race : une identité décidément enviable !

Contre la racialisation du matérialisme

Le texte, dont le titre complet est Pour une approche matérialiste de la question raciale, une réponse aux Indigènes de la République, s’inscrit dans un processus de rejet du moins assumable et de normalisation de ce qui est pourtant au centre de la théorie du PIR. Il s’agit de faire du matérialisme un outil sociologique, un « garde fou » verbal, une toile de fond sur laquelle le projet est d’inscrire la race. Le sous titre est d’ailleurs éclairant : « répondre aux Indigènes », c’est accepter l’interlocution, c’est valider la nécessité d’un débat et le terrain sur lequel il se mène[6].

Venons-en au texte lui même. Même si elles peuvent sans doute tomber sous le coup de diverses critiques, les deuxièmes et troisièmes parties font preuve d’une certaine clarté et d’une relative fermeté face à l’antisémitisme, à l’homophobie et au sexisme du PIR. Tant mieux, c’est d’ailleurs ce qui fait le succès de ce texte chez ceux qui cherchent à s’opposer à la crête de la vague racialisatrice.

Le problème reste que le ver de la race est déjà ici dans le fruit, tout « matérialiste » qu’il prétende être. Et c’est dans la première partie que la magie s’opère, première partie qui ne reste peut-être pas en mémoire du lecteur rapide qui cherche surtout des arguments contre le PIR et croit à ce pour quoi ce texte se fait passer : une réponse matérialiste sans concession aux thèses du PIR. La réponse du PIR d’ailleurs contribue à l’instituer à cette place[7]. Pourtant, qu’ils soient pour une suprématie absolue ou relative de la race, la querelle entre racialisateurs « matérialistes » ou non institue en tous cas le champ de la racialisation. C’est donc à la critique de cette première partie du texte qu’on va principalement s’atteler, en ce qu’elle valide le recours nécessaire à la théorie de la race, qu’il faudrait cependant nettoyer de ses aspects les plus gênants. Examinons donc cette proposition d’une « race à visage humain », cette « race matérialistement correcte », pourrait-on dire.

Puisque c’est d’abord de mots qu’il s’agit, faisons un petit tour de vocabulaire. On observe dans le texte, clairement utilisé de manière positive, le champ lexical de la race. Voilà qui donne le ton. On peut y lire : « les questions raciales », « la question raciale » (à laquelle « tout nous ramène »), « les racismes » (on verra plus bas comment cet étrange pluriel est une manière de valider la race comme notion opérante), « les racisés » (bien sûr, dont on reparlera), « le racisé », « les prolétaires racisés », « les hommes racisés », « la question raciale », qualifiée cette fois de « plus centrale », « la question de la race est centrale », la savoureuse « prime raciale à l’exploitation », puis, au cœur de cette partie du texte, ça y est, après la « racialisation » ou la « racisation », la « race » existe et elle est centrale : « envisager la race comme une construction sociale… » (on verra le caractère pernicieux de cette histoire de « construction sociale » appliquée à la dite race, contentons nous pour l’instant d’observer que la race est bien là, à côté du genre et de la classe), « articuler race et genre, race et classe » et le plus beau, pour conclure, « la lutte de race » qu’il faut « articuler » bien sûr avec « la lutte de classe » (on n’a pas mis de pluriel à « classe », sans doute parce que la symétrie qui deviendrait nécessaire avec « lutte des races » aurait rendu le caractère monstrueux de la proposition trop apparent).

En plus du tapis rouge déroulé au vocabulaire de la race, le texte utilise sans pincettes les expressions nauséabondes que le PIR essaie d’imposer sans succès depuis une dizaine d’années (sans succès, c’est-à-dire en l’occurrence dont personne n’avait besoin : l’employer est donc un choix) : « les indigènes », puis « les indigènes sociaux » d’abord avec des guillemets et précédé de « les fameux », donc cités du langage du PIR, puis utilisé normalement « une indigène sociale » à la fin du texte, sans guillemets, ni « fameux », le surprenant « indigène mâle » (qui fait couple sans doute avec l’« indigène sociale »), « la gauche blanche », « les féministes blanches », « le féminisme blanc », « face au racisme des Blancs » (on savoure la subtilité toute matérialiste de la majuscule), « les privilèges » des « blancs », « les Blanches du 93 » (sans doute un groupe d’auto-défense de classes moyennes sur le modèle des Blacks Panthers, dont l’existence nous aurait échappé). Pire encore peut-être, le texte reprend, l’expression « mariages mixtes » pour reconnaître que ce sont toujours des mariages « entre dominants et dominés ». On espère que ceux qui sont catégorisés ainsi ne seront pas les seuls à se scandaliser d’un tel regard et que ce terrorisme discursif contre le métissage sera pris pour ce qu’il est.

Alors, bien sûr, tout ça doit « s’articuler ». Mais il n’en reste pas moins que ce texte affirme, et avère, que « tout nous ramène à la question raciale ». Or, il se trouve justement que la race s’est toujours donnée sous la figure d’un constat indépassable, du moins depuis qu’elle existe comme système théorique constitué, c’est-à-dire depuis le XIXème siècle (ses premiers balbutiements sont venus plus tôt par exemple au service de la justification de l’esclavage, sans avoir pour autant les mêmes aspirations totalisantes). Sauf perversité particulière, c’est toujours à contre cœur qu’on adopte un système de pensée raciste, c’est toujours parce que le monde est ainsi fait. A l’époque du positivisme triomphant, la nécessité de penser avec la race s’établissait par le biais de la science : les races, on était bien obligé de les constater scientifiquement en mesurant les squelettes, la position des arcades sourcilières pour organiser une typologie des faciès, et la taille des cerveaux. Pas besoin d’avoir beaucoup de mémoire pour savoir que depuis, et pour de fort bonnes raisons, universalistes ou pas d’ailleurs, quasiment tout le monde en est revenu. Aujourd’hui, dans ce texte, c’est à nouveau une nécessité, liée désormais aux processus économiques, politiques et sociaux (sociaux surtout, les sociologues ne font-ils pas les meilleurs « activistes » ?) qu’on veut nous vendre. Or, si penser avec la race est justement un choix qui s’est toujours présenté sous le visage d’une nécessité, c’est peut-être parce qu’il est, en tant que tel, indéfendable.

Ceci dit, qu’il soit bien entendu qu’il ne s’agit pas d’une querelle terminologique. Penser avec la race, employer les termes qui en découlent, est une proposition de vision du monde. La question, ou la solution, n’est d’ailleurs pas de ne plus employer certains termes, ou pire de les rendre tabous, mais bien de comprendre de quoi ce vocabulaire récent est le symptôme et ce qu’il contient comme proposition politique. A l’opposé de la démarche de Vacarme, c’est cette vision du monde, cette proposition politique, qu’il s’agit ici de contribuer à mettre en échec.

Penser avec la race ?

Alors, penser avec la race, quand on se dit « matérialiste », qu’est-ce que ça peut bien donner ? D’abord un appauvrissement terrible de la lecture des événements politiques (d’ailleurs systématiquement considérés comme des « phénomènes sociaux »[8], ce qui est déjà un choix particulièrement anti-subversif). Dès le début du texte, deux exemples sont donnés pour justifier (et défendre) la centralité de la race : les morts des migrants en Méditerranée et les émeutes de Baltimore[9]. Dans les deux cas, c’est bien en fait à une question de classe qu’on est assurément confronté. Pour ce qui est des émeutes de Baltimore, y compris en prenant en compte le contexte américain très particulier, il est évident, sans avoir besoin de rentrer dans de confuses considérations sur la justice ou l’assassinat policier de rue à deux vitesses, que ceux qui ont été tués par la police étaient bien des prolétaires, et que c’est même parce qu’ils étaient des prolétaires que la police les a tués. D’ailleurs, s’il était nécessaire que cela soit pensé et formulé par d’autres, un certain nombre d’acteurs sociaux locaux et de terrain (pour reprendre le vocabulaire de sociologue en quête de mission) l’ont déjà rappelé, y compris dans des médias ayant une grande audience[10]. Un racialisateur « matérialiste » averti pourrait d’ailleurs s’étonner que ce ne soient pas des traders (pour rester dans des catégories intéressantes), fussent-ils of color, qui soient morts. Or, alors que c’est bien une question de classe qui se pose directement ici, le texte appuie la lecture la plus superficielle, celle qui consiste à convoquer la race. D’ailleurs, dans ce système de pensée, que raconte l’illustration montrant des « juifs » portant des kippas (signes religieux, s’il faut le rappeler) manifestant, avec sa légende[11], si ce n’est la projection d’un paradis racialiste, avec une solidarité inter-raciale affichée comme telle. Au passage, nous remarquons que, de l’émeute, on est passé à la manifestation, qui permet de faire sa place à la mise en avant des identités et donc à l’expression d’une indignation interclassiste dans un cadre pacifié. A ce niveau, n’en déplaise aux tenants de la théorie de la race, toutes obédiences confondues, projeter des lectures raciales ne contamine pas encore efficacement la réalité, et, partant, des modes de lecture opérant les tiennent encore intellectuellement facilement en échec.

Concernant la question migratoire, outre le fait que l’aborder uniquement sous l’angle des « morts en Méditerranée », c’est se borner à adopter précisément le point de vue du scandale médiatique (un mort toutes les 2 heures nous dit la presse) alors que ce qui se joue là est beaucoup plus terrible, riche et puissant que cette métonymie pauvrette et victimaire. Pour que cette question nous ramène « à la question raciale », encore faudrait-il, sinon c’est un peu court, déterminer de quelle race pourrait bien être les migrants (peut être que nos chercheuses, inspirée des États-Unis, ont un projet, en quête de financement, qui permettrait de généraliser massivement des tests ADN à cette fin ?). Quels rapports, quelle « articulation », si chère à nos matérialistes de papier, pourrait-on bien établir entre le fait de passer les frontières illégalement et massivement, malgré les difficultés, les coûts de tous ordres et les risques de toutes natures et la « race » ? En quoi le fait que des prolétaires extra-européens se mettent en danger pour passer des frontières qu’ils ne peuvent prétendre passer légalement, nous ramène-t-il « à la question raciale » ? Choisir cet angle pour lire les assauts, réels et symboliques, que mènent tous les jours des migrants contre les frontières est vraiment à côté de la plaque, surtout au moment où ces passages de frontières font l’objet du déploiement de l’attention médiatique, de nombreuses déclarations et d’actes de contrôle et de répression, d’actes de guerre. A côté de la plaque, mais aussi très grave. Ces événements et les acteurs qui en sont partie prenante, appellent autre chose, de la part de « communistes » que d’être renvoyés à cette assignation et à l’horizon ségrégationniste qu’il promet. Ceux qui ont réussi à passer la frontière, après les passeurs, les flics européens, les coups de matraques socialistes, méritent mieux qu’un tel coup de pelle théorique sur la tête. Pour ébaucher une autre manière d’en parler, on peut dire par exemple que le sort des migrants est bien plutôt le résultat de l’affrontement entre la force réelle de la migrance et le projet de gestion par le système capitaliste des flux de main d’œuvre incarné de manière variable par les politiques mises en place à l’échelle des états et d’ensembles plus vastes comme Schengen (et non par un quelconque « système raciste »). Si l’on passe par le cas français d’ailleurs, il est clair que la politique mise en œuvre en général, et en particulier pour gérer les migrants, n’est pas raciale. Comprendre cette politique au niveau européen par exemple passerait plutôt par le renouvellement des analyses qui ont pu être proposées il y a plus de 10 ans, qui mettaient en tension le discours sur la fermeture des frontières (accompagnée des spectaculaires et vaines constructions de murs et mises en place de barbelés) avec la réalité des pratiques étatiques et d’exploitation à l’encontre des migrants. Ce discours de « l’Europe forteresse » accompagne en fait l’exploitation d’un volant de main d’œuvre corvéable à merci nécessaire à plusieurs secteurs comme le bâtiment ou la restauration, et maintenu dans des situations fragilisées (titres de séjours d’une durée très courte, sans autorisation de travail, clandestinité ou légalisation du séjour suspendue à la durée du contrat de travail). Au-delà de ces points de vue donnés rapidement pour l’exemple et évidemment aujourd’hui sans doutes dépassés, quel peut bien être ce regard qui réduit la puissance de la migrance et les situations évidemment politiques qu’elle suscite (comme celle des migrants de la Chapelle à Paris par exemple), sous le jour de la race ? A quel genre de pratique de solidarité ce raisonnement (qui n’est de fait ici lié à aucune pratique ni à aucune solidarité) nous inviterait-il, si ce n’est à un paternalisme culpabilisé et finalement sur fondement inter-racial, donc raciste ? En effet, puisque, selon ce point de vue, les migrants sont d’une race et une grande partie des militants d’une autre, c’est ça qui fait de chacun un sujet politique, un « sujet de race » en somme et c’est sur ces identités que se fonde l’interaction.

Pour toutes ces raisons, la lecture en terme de race est tout bonnement aussi bien ahurissante qu’abjecte. Par quel tour de passe-passe nos idéologues de la race s’autorisent-t-elles à faire tomber les migrants et ces affrontements de classe dans une escarcelle aussi nauséabonde ?

Quant aux autres « menus faits quotidiens de la vie métropolitaine »[12], qui eux aussi nous ramènent « à la question raciale » (décidément, dans ce discours qui fonctionne par saturation plus que par démonstration, la réalité est en passe de se retrouver complètement racialisée), il faudra sans doute attendre la suite de la production de nos communistes tout terrains pour savoir de quoi il est question. Quel dommage, pour le lecteur avide d’explications simples, de ne pas avoir pu proposer quelques éléments, même fugitifs et éthérés ! Penserait-on ici aux expulsions de sans-papiers ? Ou, pour rester à proximité des transports, à la destruction par des pelles mécaniques d’un bidonville de Rroms sur les contreforts d’une autoroute ? Ou encore à ce qui se passe dans le métro ici où là quand un immigré est chargé de nettoyer la nuit les couloirs ? Ou même dans le bus quand un fraudeur en jogging prend une amende ? On se perd en conjectures mais, sans les lumières de nos drôles de matérialistes, on ne voit pas bien de quoi « ces menus faits » de la « métropole » sont constitués, ni en quoi ils nous ramènent, eux aussi, à la « question raciale », avec laquelle on aimerait nous rendre familiers.

Plus bas dans le texte d’ailleurs, quand les auteures se mettent à prendre le RER, on trouve un petit passage qui concerne les jeunes et la sortie de l’école. On peut y lire là aussi à quel recul théorique on peut en arriver. A cause du « racisme intégral consubstantiel à la société française », affirment nos économisées de la politique, (mais opérant seulement à partir du milieu du collège[13]), ceux qu’on ne considère que comme des « racisés » vivent une « ségrégation », que le texte dénonce, démontrée par leurs difficultés pour trouver des stages ou un « job » en sortant de 4ème. On revient à une analyse du même type que celle d’SOS Racisme dans les années 90 (d’ailleurs, juste après, on a l’immanquable « racisé » refoulé à la porte des boîtes de nuit, figure promue, via les « testing », comme préoccupation centrale de cette officine du parti socialiste) : le problème, c’est la discrimination.

La capacité à parvenir, dans le cadre de la réussite minable proposée par le capitalisme, devient un critère de constitution de cette espèce de « sujet de race ». Quand on sait que l’école a toujours été le lieu de l’adaptation de la main d’œuvre aux besoins du capital, quand on sait ce que sont les stages en question, en terme de domestication et d’accoutumance aux conditions de travail merdiques aujourd’hui proposées massivement aux jeunes issus des classes populaires, quand on se rend compte de ce que signifie « orienter » aujourd’hui, surtout en fin de 4ème d’ailleurs, mais pas seulement, il y a bien de l’analyse marxiste et politique qui se perd ici, et que cette dénonciation en terme de discrimination enterre.

La légèreté conceptuelle qui conduit, à partir de ces quelques exemples, sans aucune analyse, à imposer sous la figure de l’évidence la nécessité de la lecture raciale, est véritablement inquiétante : si « tout nous ramène à la question raciale », sans aucun raisonnement, c’est qu’il y a là un parti pris de départ, le parti pris qu’il faut adopter la race comme grille de lecture, sans pour autant en assumer les présupposés ni les implications.

A l’inverse de construire un raisonnement montrant en quoi « la race » est partout, affirmer devient prouver. On nous assène comme une évidence que « certaines luttes sont massivement racialisées », selon les chiffres de l’Institut Racialisateur du Temps Présent, sans doute. Comme dans une boucle, on arrive là d’où on est parti : l’hypothèse de départ — produite ex-nihilo — se fabrique sur elle-même magiquement. Ce matérialisme frelaté propose donc en fait une racialisation de contrebande.

A partir de là, il devient clair qu’à côté des désaccords, d’importance mais ponctuels, avec les aspects polémiques du discours du PIR, le texte exprime bien un accord fondamental autour de la nécessité de la lecture raciale. D’ailleurs, quand c’est le point de vue du PIR qui est critiqué dans son ensemble, il l’est parce qu’« il propose une lecture systématiquement culturelle voire ethnicisante des phénomènes sociaux. Cela l’amène à adopter des positions ”dangereuses”, [dangereuses pour qui, sinon qu’elles compliquent la tâche de ceux qui entendent diffuser la théorie de la race ?] sur l’antisémitisme, le genre et l’homosexualité ». En somme, pas de problème avec la lecture raciale, un refus de la lecture « culturelle et ethnicisante » et au passage le retour de la vaseuse notion de « phénomènes sociaux » pour, sans doute, parler de politique ou de conflictualité. Outre le fait qu’on ne comprend pas vraiment en quoi la lecture « culturelle et ethnicisante » mène directement à l’antisémitisme, au sexisme et à l’homophobie, y compris quand elle est systématique (bien des associations culturelles qui ne proposent que cette lecture prônent au contraire une tolérance interculturelle, y compris dans des perspectives très dépolitisées), cette phrase dédouane la lecture raciale qui est bien au contraire le ferment d’origine justement des trois « glissements » mentionnés (« le PIR a glissé », sic, mais où pouvait-on bien cheminer pour se trouver si vite, en glissant, dans des eaux si boueuses ?).

Constatons au passage d’ailleurs que l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie, c’est-à-dire le racisme amélioré du PIR, se retrouvent dans l’opération réduits au statut de « glissement », quasiment des lapsus, au sens propre, en somme, qu’il faut pointer du doigt, en proposant ce qui serait une lecture soft, refoulée, de la race, donc un racisme visiblement ni antisémite, ni sexiste, ni homophobe, un racisme civilisé.

La plupart du temps, c’est effectivement une théorie de la « race molle » qui est proposée ici. Sont critiqués « les intellectuels radicaux » (radicaux de la race donc), au nom d’une race plus policée. Articuler race et classe c’est un peu comme sortir la race de sa radicalité : voilà déjà un projet alléchant. Mais le ton se fait plus ferme par moment, et pour critiquer le PIR très étrangement… par sa droite : « On [pour le PIR] drague la gauche blanche en rejouant ses tactiques historiques de minimisation du racisme. » De la gauche du PIR à sa droite, de la radicalité racialisatrice à l’usage moralisant de la classe, on slalome allègrement sur le champ de la racialisation… c’est chouette, mais qu’est-ce que ça glisse !


A propos des émeutes de 2005. « Les jeunes émeutiers issus de l’immigration étaient en proportion exacte de leur importance dans la population des quartiers qui se sont révoltés, ni plus, ni moins », nous apprend le texte. En voilà des sauvages bien élevés qui, pour mettre les banlieues en feu et provoquer des situations insurrectionnelles, se sont répartis en proportion exacte de leur présence dans ces mêmes banlieues (entre « issus de l’immigration » et prolétaires « autochtones »), en voilà un beau cadeau pour les statisticiens (et c’est charitable de la part des émeutiers, jeunes forcément – ne serait-ce pas l’usage immodéré de théorie qui fait vieillir prématurément ? – d’avoir fait ainsi la preuve que ce qui compte par dessus tout, c’est leurs origines, ils ne pouvaient pas mieux s’y prendre, voilà qui est gentil pour nos racia-matérialistes). Plus sérieusement on peut se demander qui connaît la composition sociale précise des émeutes de 2005 (s’il s’agit de celle des interpellés, c’est déjà tout à fait autre chose…), à moins que les premiers intéressés n’aient formé un institut exhaustif d’auto-enquêtes de masses, ou qu’un ministère du soulèvement des banlieues et des anciens émeutiers ait versé une pension à tous les anciens combattants (avec fichage racial intégré). Une note nous révèle que les informations citées sont tirées d’un article du Parisien reprenant un rapport des renseignements généraux : là aussi, à défaut d’enquête, on a les sources qu’on peut et on leur fait dire ce qu’on veut. D’ailleurs, est-ce vraiment à propos de la « composition raciale des émeutiers » que les émeutes de 2005 doivent nous questionner ? Réfléchir à comment de la conflictualité, de l’affrontement, de la politique a eu lieu dans des formes dont nous méconnaissons largement les spécificités ne serait-il pas plus pertinent et fécond ? En particulier quand, comme nos valeureuses auteures, on « milite dans différents groupes » ?

Et la race devient l’alpha et l’omega de la théorie…

Ce choix, inassumé comme tel, nous amène au point le plus problématique de ce texte : au-delà de son objectif avoué (s’adresser au PIR pour suggérer d’ajouter du point de vue de classe dans sa lecture de race), c’est bien plutôt à ceux dont la lecture de classe ne serait pas encore « racialisée » que le texte entend faire la morale : « Nous pensons donc qu’on ne peut pas comprendre le contexte actuel de paupérisation généralisée et de crise en faisant l’économie de la question raciale et d’un point de vue féministe ». C’est cette articulation-là qui est imposée in fine par le texte : mâtiner le point de vue de classe avec de la race. Les auteures partagent le même objectif formulé plus clairement par les rédacteurs de la revue Période quand ils affirment : « Il faut définitivement se débarrasser des approches des classes sociales qui passent outre les considérations sur la race »[14]. Le produit conceptuel est ici plutôt vanté pour réduire la place de la race, l’articuler convenablement avec classe et genre pour obtenir une moralisation optimale, sans outrance, « normale », en somme. Peut-être devrait-on donc exiger simplement d’ailleurs l’étiquetage adéquat qui ne trompe pas le consommateur, qui préciserait le pourcentage de race présent dans la théorie, et les traces éventuelles de racisme. En cas d’allergie, on pourrait ainsi s’en abstenir.

Ceci étant dit, les expertes semblent conscientes que deux écueils les guettent dans l’opération : d’abord la déviance dans la théorie de la triple oppression, véritable hérésie pour toute orthodoxie marxiste (et une inconséquence lourde pour tout marxiste conséquent d’ailleurs) puisque le capitalisme n’est plus pensé comme un système et se trouve réduit au rang d’une oppression parmi d’autres, chacune ayant son antidote. On mettra donc sur le même plan l’anti-capitalisme, l’anti-sexisme et l’anti-racisme (ce qui ne pose pas les mêmes problèmes que la théorie de la race, puisque ça devrait même être strictement son inverse, voir encart Race, racisme, racismes), et la proximité avec l’extrême droite (tiens, décidément le terrain est glissant). Pour ce qui est du premier, la magie de l’articulation doit nous en prémunir. Articuler « race et genre, race et classe », ce serait finalement ne pas les juxtaposer, ni « subsumer » genre et classe sous la race (hérésie de la triple oppression ou « glissement » du PIR). Aucune précision de ce en quoi cette articulation peut bien consister, et au final, une juxtaposition des notions, avec de la race strictement partout, dans le genre, dans la classe. On est dans quelque chose comme le mystère de la sainte trinité.

A y lire de plus près pourtant, une espèce d’approche théorique plus spécifiée, même si elle n’est pas toujours cohérente, se précise par moments, qui place le racisme à de drôles d’endroit par rapport à l’orthodoxie revendiquée. La racialisation est présentée comme une « dynamique essentielle du capitalisme », c’est un « phénomène structurel massif », puis plus bas, « le racisme est le régime d’exploitation matériel qui a organisé le capitalisme européen ». Il faut d’ailleurs penser « un racisme systémique », une « segmentation raciale » du prolétariat et c’est ça qui permet l’articulation. D’ailleurs à la fin du texte « il n’est pas possible de penser la classe sans penser la race et vice versa ». La race devient alors l’ingrédient nécessaire et principal pour penser la classe, et partant toute possibilité de transformation sociale. Dans cette approche qui fait de la race une « naturalisation » qui « colle à la peau », tout devient une assignation, y compris la classe elle-même.

Photos et légendes extraites de Races, belles illustrations d'une époque, 1930, où la race était une catégorie de pensée évidente et nécessaire... ce regard porté sur le monde, le monde nous l'a bien rendu.
Photos et légendes extraites de Races, belles illustrations d’une époque, 1930, où la race était une catégorie de pensée évidente et nécessaire… ce regard porté sur le monde, le monde nous l’a bien rendu.

Quel est le moteur de l’histoire ? Qui va-t-elle laisser sur le côté ? Qui se prépare-t-elle à écraser ?

Examiner un tout petit peu cette proposition revient à reconnaître qu’elle fait du racisme le moteur de l’histoire. Voilà un matérialisme sacrément rénové… D’ailleurs « Seule une lecture réellement matérialiste de la question raciale, et non une lecture simplement morale, comme celle de la gauche, ou politique, comme celle du PIR, nous permet d’articuler les différentes formes de racisme entre elles », ce sont donc ces racismes (voir encart Race, racisme, racismes) qu’on articule en pensant la race de manière non morale (contrairement à la gauche) et non politique (contrairement au PIR) : cette proposition, en cela conforme à l’époque, est aussi une perspective de dépolitisation…

Race, racisme et racismes. Les races n’existant définitivement pas, il semble assez évident de définir le racisme comme le fait même de considérer qu’elles existent et de voir le monde à travers elles. Ainsi, comme on peut dire que le barbare, c’est d’abord celui qui croit à la barbarie, on pourrait dire que le raciste, c’est d’abord celui qui croit à la race. Or la perversion étrange à laquelle on assiste consiste à inverser cette définition simple : la première étape de tout anti-racisme véritable serait la reconnaissance de la pertinence de la race, comme l’affirme l’article « Pour déracialiser, il faut penser avec la race (et la classe) » dans la revue en ligne Période. On marche donc sur la tête, et la racialisation — c’est ainsi qu’on propose d’appeler cette nouvelle manière de diffuser la théorie de la race au nom de l’anti-racisme — voudrait imposer son chemin. Quelle que soit la hiérarchie des races proposée (et la juxtaposition des races elle-même en est déjà une promesse), toute théorie de la race reste fondamentalement raciste. C’est un autre emploi néologique qui vient d’ailleurs brancher à l’envers l’anti-racisme sur la race : l’emploi de « les racismes ». Ce pluriel, qui essentialise la variété des incarnations que peut adopter le racisme chez les uns ou les autres, permet ensuite la déclinaison de plusieurs racismes, en général la négrophobie, la romophobie et l’islamophobie, l’antisémitisme se retrouvant volontiers oublié dans les énumérations : à chaque « race », son racisme; s’il y a plusieurs racismes, alors il y a bien des races. Si être anti-raciste c’est s’opposer « aux racismes », c’est donc aussi avérer l’existence des races, et les mettre immédiatement en concurrence.

Si on politise trop la race effectivement on tombe sur le deuxième écueil, qui n’est pas des moindre, celui de frôler l’extrême droite. De celui-ci on se prémunit par une autre magie, sans talisman cette fois. On se contentera de quelques affirmations : on propose « une critique conséquente de l’invisibilisation des questions raciales et de genre, échappant au grand jeu identitaire de l’extrême droite, ancrée dans la critique de l’économie politique ». Sans doute est-ce la critique de l’économie politique qui garantit d’échapper au « jeu identitaire de l’extrême droite ». Or nous pensons qu’aucun garde-fou verbal ne peut prétendre nettoyer la théorie de la race de sa nature profondément identitaire, naturellement morale, intrinsèquement ségrégationniste, bref fondamentalement raciste. Pas d’angélisme possible : l’horizon de toute théorie des races est leur mise en concurrence, leur guerre ; au fond qu’est-ce d’autre que cette « lutte de race » proposée à la fin du texte ?

Plus généralement, que fait le texte d’ailleurs sinon tripatouiller les « identités » et les mettre en concurrence, comme le PIR, avec cette pyramide des discriminés plusieurs fois invoquée (les noirs, puis les arabes et enfin, en haut, les blancs : « Il suffit d’observer un chantier de BTP pour constater qu’en général les gros travaux sont fait par les Noirs, les travaux plus techniques par les Arabes, et que les contremaîtres sont blancs. ») ? Quel besoin par exemple, lorsqu’on constate que des prolétaires immigrés issus de parcours migratoires différents mais se retrouvant dans un commun statut d’exploités, s’unissent pour lutter, comme le fait le texte à propos des « coiffeuses ivoiriennes » rejoignant les « sans papières chinoises », d’y injecter la « question raciale » ? Le texte invoque comme raison leur situation administrative commune, en l’occurrence l’absence de papiers. Quel rapport avec la race ? Devrait-on se féliciter de l’inter-racialité de cette lutte ?

La lecture proposée renvoie les acteurs de cet épisode, malgré le commun constitué dans la lutte, à une possible (et nécessaire) ségrégation.

Trouvez la rouge, suivez la noire : quelles règles pour le bonneteau racialiste ?

La race, d’ailleurs, à toutes les époques, est une notion aux contours finalement très vagues (puisque, comme chacun le sait, elle n’existe pas), qui sert à brouiller les catégories en les constituant. Elle devient ainsi le réceptacle des projections fantasmatiques les plus graves. L’emploi actuel du terme le confirme et ce texte le montre parfaitement, qui l’utilise pour désigner une vague origine migratoire, un type de « faciès », une nationalité (congolais, chinois), une couleur de peau, voire une religion (si c’est une « question raciale » que pose « l’islamophobie », c’est qu’être musulman, c’est finalement appartenir à une race[15]), à quoi on peut encore ajouter le jeu subtil des majuscules, dont on affuble de manière instable et avec des valeurs variées « Noir », « Arabe » et « Blanc ». Le tout s’appuie sur des enquêtes qui n’ont pas grand chose d’ouvrières, même pas vraiment sociologiques : « en général les gros travaux sont fait par des Noirs », ou d’étranges statistiques, sans doute mal comprises (voir encart A propos des émeutes de 2005). Comme au bonneteau, on fait apparaître, ou disparaître à loisir telle ou telle identité, selon les besoins projectifs. On remarque d’ailleurs que, dans la plupart des projections racialisatrices, les asiatiques, indiens, pakistanais, etc, sont absents des exemples et raisonnements (ici on a, pour se démarquer sans doute de cette tendance, les « sans papières chinoises », comme le PIR a fait dernièrement une place aux Rroms : à chacun ses cautions), sans parler du fait que les européens du sud ou de l’est sont plus logiquement classés comme « blancs » et à ce titre postulent difficilement au statut enviable de « racisés ». Si la race est un très bon support aux expérimentations identitaires, c’est bien parce qu’elle permet tous ces amalgames, et, en prétendant sans doute, comme le PIR, « retourner le stigmate », on ne fait que les approfondir. Alors que, dans ce monde, les prolétaires sont tous rendus justement étrangers à leur propre situation, dépossédés, on les englue ici dans des assignations identitaires qui « collent à la peau », on les enferme en les séparant entre « prolétariat autochtone » et « prolétaires racisés », on renforce la segmentation par de la défiance, et on condamne les uns et les autres, au mieux, à un horizon communautariste.

Quel intérêt de classe peut on trouver à se vivre comme une race ?

Car enfin, qu’est-ce que la race, sinon une construction, non pas sociale comme le prétend le texte (la race n’est ni le genre, ni la classe), mais idéologique, politique ? La race constitue, à partir de caractéristiques variables selon les cas (et sans aucune assise matérielle, faut-il encore le rappeler ?), des ensembles de traits qui, comme les constellations, ne valent que depuis le point d’où ils sont réunis. Elle catégorise les êtres humains et les hiérarchise en assignant identités et différences. Identifier des races a toujours servi à se reconnaître et à se séparer : la théorie de la race est intrinsèquement raciste et ségrégationniste. Loin d’être le moteur de l’histoire elle a toujours servi à justifier l’état de fait présent (l’esclavage par exemple) et intervient pour renforcer le pouvoir dans des moments de crises économiques ou idéologiques. Aujourd’hui, instiguer ou accompagner son ressurgissement est une lourde responsabilité.

Elle est intrinsèquement raciste et ségrégationniste y compris quand elle se prétend une « construction sociale », comme le théorise par exemple Saïd Bouamama qui introduit une possible variation par rapport aux identités préassignées en proposant de considérer qu’on peut « se blanchir » et le PIR affirme, comme pendant à cette assertion, que « des blancs [des quartiers populaires] sont partiellement indigénisés »[16]. On redécouvre la poudre, le fil à couper le beurre, le racisme et les classes sociales, et on impose ainsi sur toute réalité sociale et politique la marque de la race. La race semble alors s’émanciper des critères biologiques qui ont fait les débuts de son succès, en fait elle s’épanche, jusqu’à englober en quelque sorte une déterritorialisation de la classe qu’elle reterritorialise. Se constitue ainsi une tendance du courant racialisateur, qui mélange différemment les composants : moins de couleur, plus d’origine sociale, toujours beaucoup de communautarisme culturel et religieux. La race est bien leur propre construction idéologique, et non cette « construction sociale » qu’ils prétendent déconstruire. Et la question devient alors : quel intérêt de classe peut on trouver à se vivre comme une race ?


Une belle illustration du fait que, même à l’époque où la race s’appuie sur la biologie, elle est déjà une construction politique et sociale

Elle est intrinsèquement raciste et ségrégationniste y compris quand elle adopte un vocabulaire moins ouvertement raciste. Ainsi les néologismes à la mode subtilement dérivés de la race ne sont que des déclinaisons qui avèrent son bienfondé théorique. Il suffit pour s’en rendre compte de voir à quel point ils sont compatibles avec la notion d’origine, comme dans ce texte qui glisse de « racisés » à « race » sans aucune rupture. Le terme « racisé » d’ailleurs en est précisément un bon exemple. En adoptant le point de vue du « ressenti » (ce qui est aussi un mode de dépolitisation très conforme à l’époque, le ressenti étant au fond individuel et impartageable, à part sous la figure de la victimisation), il prétend ne pas avérer la race comme une vérité. Il signifierait donc non pas « qui appartient à une race particulière » mais « qui ressent et/ou subit du racisme » donc l’assignation à une race particulière, puisqu’on subit en fait selon cette lecture non pas « du racisme » mais « un des racismes » : le terme « racisé » est en fait immédiatement essentialisant. Ainsi, Sihem Assbague donne la définition suivante de « femmes racisées » : « ce sont les femmes victimes de racisme donc les femmes non blanches ». On voit comment le glissement est immédiat du ressenti à l’identité affirmée, ou assignée. D’ailleurs on peut sans doute voir dans le passage de « race » à « racisé », l’évocation de ce que Norman Ajari nomme le passage nécessaire de « la race en soi » à « la race pour soi, politisée et organisée »[17], soit deux déclinaisons complémentaires de la race, entre lesquelles on voudrait bien ne pas avoir à choisir. Ainsi ce n’est jamais à la place de « race », que ces termes sont utilisés, mais leurs usages lui sont toujours associés, l’un menant à l’autre comme dans ce texte. On utilise à la fois « race », « racisé », « racisation », « racialisé », et on affuble le nom des dites « races » ressenties et réalisées de majuscules. On partage le monde, en assignant positivité et négativité de manière systématique : voilà comment, en toute bonne conscience, chacun peut en venir, dans ce qu’on pourrait appeler un racisme « par en bas », à se faire sa petite taxinomie des races et à trouver, à chacun, sa case. On peut par exemple se demander tranquillement si les juifs sont à classer dans les blancs ou pas, et considérer que oui (forcément…).

Par ailleurs, quand le terme de « racisé » est employé, il est entendu que c’est un agent quelconque qui « racise », c’est un processus qui se joue contre le sujet « racisé », à son corps défendant. Or ici, on se définit ainsi de manière permanente, dans aucun cadre d’interaction : on choisit ce qu’on constitue ainsi en identité, on assume « la race pour soi » qu’on porte en sautoir, comme d’autres des médailles[18]. Fière de sa condition, la victime tient sa revanche, le ressentiment gonflé à bloc. Elle peut ainsi pérorer et faire la morale. Pire : non seulement c’est ainsi qu’elle se définit, mais surtout c’est ainsi qu’elle va définir les uns et les autres. Elle prend le pouvoir sur l’identité, et règne sur les assignations. Elle gère la frontière symbolique de ce qu’elle construit comme étant le bon ou le mauvais côté et met tout le monde en cage. Celui-ci n’est pas blanc, il est discriminé, dominé, une victime, celui là l’est, c’est un privilégié, dominant, un bourreau sans doute. Au-delà de l’affligeant exercice, plus loin qu’une passion triste, fabriquer des identités constitue un mécanisme de pouvoir énorme. Les risques pris par qui joue ainsi les apprentis-sorciers ne sont pas des moindres : qui peut être certain de pourvoir maîtriser dans la durée ce qu’il aura invoqué ? Voilà comment on se retrouve à devoir se défendre de ne pas tremper les doigts dans le même court-bouillon que l’extrême droite. Assigner les identités, bétonner des subjectivités, figer ici et là dans des portraits racialisés, donc racistes : on voudrait exacerber des formes diffuses de fascisme de basse intensité et préparer le terrain à leurs bataillons qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

On peut sans doute dire d’ailleurs que la joie avec laquelle nos racialisateurs et nos genristes se repaissent des identités fixes est l’inverse du choix de prendre le parti des devenir minoritaires. A partir des catégories qui promettent justement un tel devenir émancipateur et capable de subvertir la figure majoritaire, aux femmes et aux immigrés par exemple, on propose là une territorialisation ferme, on promeut l’exercice d’un pouvoir effectif à une petite échelle, via une opération qui transforme des potentialités de contestations en assignations victimaires. Chaque forme avec laquelle l’hybridation subversive pouvait advenir devient par là désamorcée et enfermée dans une identité assignée et close, dans un désir impuissant de devenir majoritaire. Alors pourquoi tomber dans un tel gouffre de la pensée ? Pourquoi s’encombrer d’une grille théorique aussi vaseuse que nauséabonde ?

Le recours à cette grille de lecture semble se justifier d’abord dans le texte parce qu’elle permettrait de « visibiliser » et de dénoncer le racisme de la « gauche blanche ». C’est même l’occasion d’un court panégyrique du PIR, très probablement mensonger : « Voilà pourquoi nous étions enthousiastes devant l’énorme travail qui a rendu visible ce racisme de gauche, républicain, auquel le Parti des Indigènes de la République (PIR) a participé depuis 2004 », mensonger parce que justement c’était bien plutôt la consternation qui était généralisée pour qui se retrouvait confronté aux premières propositions du Mouvement des Indigènes de la République, heureusement très confidentielles (après un appel de lancement médiatique qui, sûrement pris pour une pétition, a reçu son lots de signatures de politiciens et d’associatifs en mal d’engagement de papier). C’était le même constat du ridicule d’un discours tenu à la place des autres, victimisant, finalement raciste, avec une « inversion du stigmate » tellement mal pensée qu’elle rejouait de manière très apparente les écueils du discours dénoncé. Personne, et évidemment aucune « féministe matérialiste », à part peut-être Christine Delphy (dépositaire de la marque), ne pouvait s’enthousiasmer devant un tel salmigondis.

Ce racisme de la « gauche blanche » devient même ici l’explication voire la cause des attentats de Charlie Hebdo (qui se retrouve promu quartier général de la triple oppression) et de leurs suites, présentés comme un retour (toujours bien mérité, non ?) du refoulé que « la gauche s’est pris en plein dans la figure ». Dans un déni de l’événement commun d’ailleurs à une partie de cette gauche et de son extrême, ces attentats pourraient donc être considérés comme un acte anti-raciste (si la tuerie de Charlie Hebdo répond au racisme de la « gauche blanche », les attentats contre le super marché casher seraient-ils une réponse au « philo-sémitisme d’état » dénoncé par Houria Bouteldja ?).

Mais, la « gauche blanche », en fait, c’est de quelle couleur ?

Venons-en donc au fond. (Re)mettre en œuvre la théorie de la race (à nouveau en fait, puisque la manœuvre a déjà été poussée assez loin avant qu’on cesse de réfléchir avec cette notion moisie, voir illustrations) serait donc nécessaire pour dénoncer le racisme de la « gauche blanche » et du « féminisme blanc » (sinon, on se le prend « en pleine figure » comme au jokari, et ça fait mal). On peut même dire que, en dépit de la violence avec laquelle les uns et les autres se tirent dans les pattes, la désignation de cette cible cimente l’aire racialisatrice sur laquelle plusieurs tendances émergent, le PIR, mais pas seulement, Saïd Bouamama, fondateur et principal animateur du « Front uni des immigrations et des quartiers populaires » (d’ailleurs co-organisant et participant à des débats publics en compagnie du formidable Michel Collon, et publiant régulièrement sur son site campisto-confusionniste[19]) et son entourage, la revue de « théorie marxiste en ligne » Période, la revue Poli, et d’autres, dont apparemment les auteures de ce texte).

Quelques remarques s’imposent à ce propos. Pour commencer on ne voit pas bien à quoi vient s’opposer le « blanche » de « gauche blanche », à quoi cela sert de qualifier la gauche (mais laquelle ?) de « blanche », si ce n’est pour prouver, une fois de plus, que les termes du débat seront racialisés ou ne seront pas. Y aurait-il alors une « gauche noire » ou « jaune », nos racialisateurs seraient-ils prétendant à être la « gauche de race » ou la « gauche-quelque-chose » ?

Par ailleurs, on peut remarquer que cette focalisation sur l’attaque de la gauche ne leur est pas propre. Une série de réactionnaires, ou de proto-fascistes en font aussi leur fonds de commerce, de Soral, à Finkielkraut, en passant par Onfray, Michéa et tout un courant anti technologie, fustigent eux aussi, pour des raisons qui peuvent sembler différentes, la dite gauche, le plus souvent d’ailleurs pour le même genre de raisons, par exemple pour ce qu’elle proposerait de permissivité, d’« esprit de 68 », de pédagogie trop centrée sur l’intérêt des enfants, de multiculturalisme et de métissage, d’intérêt trop charitable pour la situation des sans papiers, etc. Cette opération se fait souvent en brouillant les pistes de l’origine idéologique des discours, ainsi Michéa prétend critiquer le « sans papiérisme » depuis un vrai point de vue de gauche (entendu comme les vraies racines du marxisme, les vraies origines, toujours le « retour aux sources »), comme Etienne Chouard, quand il affirme que les antisémites sont les vrais anti-fascistes et vice versa[20].

Bref, le sillon de la confusion se creuse, ce qui, vu la conjoncture, ne présage rien de bon. Ici, on se sert donc de la théorie de la race pour accuser la gauche de racisme.

Des lendemains qui gèrent…

Pour notre part, et sans souscrire à cette manie du « point de vue situé », on peut dire que, conceptuellement et bien souvent pratiquement, nous nous sommes opposés à la gauche réelle, telle qu’elle est, plus ou moins plurielle, gestionnaire, socialiste ou communiste, verte, rougeâtre ou rose, selon les échelles, les époques, les alliances gouvernementales, les détenteurs du pouvoir politique institutionnel. Nous ne nous sommes, par ailleurs, contrairement à la revue Vacarme par exemple, jamais vécus comme « étant la gauche », ce qui renvoie plutôt pour nous à une aspiration à participer à cette gauche gestionnaire qui, de fait, donne une grande partie des inflexions idéologiques à la gestion de l’Europe depuis plusieurs dizaines d’années maintenant, et que l’on peut même considérer comme le moteur intellectuel et le commandement pratique du Capital, que ce soit dans les instances de pouvoirs administratifs ou dans les divers lieux actuels de production. Nous n’avons jamais entretenu non plus cette illusion sur le vote qui en ferait un moyen d’expression politique pertinent et qui donnerait du crédit à la représentation électorale. Nous n’avons jamais appelé à « occuper le vote », ni trouvé ça drôle[21].



La suite et les notes se lisent ici. Et il faut absolument tout lire : je n'ai pas pu tout citer faute de place (limitation du nombre de caractères).
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede altersocial » 02 Oct 2015, 18:44

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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Banshee » 22 Oct 2015, 22:43

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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede altersocial » 30 Oct 2015, 10:58

Banshee a écrit:http://forum.anarchiste-revolutionnaire.org/viewtopic.php?f=76&t=11874


On est toute une petite mouvance sur Paris à se mobiliser sur le sujet en ce moment (réunions, tracts, ...). Sans faire une fixation sur le Pir pour ne pas lui donner l'importance qu'il n'a pas il s'agit plus généralement d'attirer l'attention sur la banalisation de l'identitarisme/racialisme avec la bénédiction d'une part de l'extrême gauche. :wink:
Comme le dit justement luco dans l'autre fil le problème réside dans le fait aussi de la participation à la marche d'orgas libertaires, et aussi pour certains d'entre nous ici de notre union solidaires. Il y a un travail de pédagogie à faire mais aussi un cordon sanitaire non ?
J'ai lu le communiqué de "Juifs & juives révolutionnaires" qui est complètement à côté de la plaque. Pour leur première grande sortie publique ils ratent en beauté l'épreuve de la cohérence théoriqueet se situe alors d'emblée en-deçà du bundisme historique. Dommage.
Pour compléter :

Communiqué - Travail contre Capital

L'organisation antisémite et racialiste "Parti [sic] des Indigènes [re-sic] de la République" est à l'initiative ce samedi d'un rassemblement "pour la dignité [?] et contre le racisme [re-resic - lire notamment la fréquence de l'emploi négatif du mot "juif" dans les articles de cette organisation paranoïaque et complotiste].

Nous appelons au boycott de cette marche :

- d'une part parce que la lutte contre l'oppression (le racisme et les violences policières) ne peut pas être prises en otage par une organisation antisémite (nous regrettons également en ce sens la participation des militants Rroms de la "Voix des Rroms" à cette marche, certains ont la mémoire courte),

- d'autre part parce qu'en tant que marxistes révolutionnaires nous récusons l'interprétation du monde comme un affrontement entre cultures ; interprétation géopolitique bourgeoise partagée aussi bien par le bourgeois Eric Zemour que par l'intellectuelle Houriah Bouteldja,

- enfin parce qu'en tant que prolétaires nous refusons de répondre à l'appel de petits bourgeois intellectuels détachés de nos réalités sociales et dont le seul exercice cérébral consiste à justifier leur position de classes en détournant l'attention des problèmes du capitalisme en racialisant les causes de cette oppression au lieu d'en montrer les causes dans le mode de production du capital.

Travail contre Capital.


L’extrême-gauche-de-la-saloperie

La “gauche” n’a jamais été plus que le miroir de la droite. Son supplément d’âme qu’elle peaufine et habille de soi-disant vertus, a toujours été une manière de travestir son hiérarchisme et son paternalisme pour que finalement rien de puisse se transformer. On ne se méfie jamais assez des publicistes et des publicitaires de la générosité.

Quand la gauche s’extrémise, elle le fait toujours en pensant que c’est en se drapant deux fois plus qu’elle évitera le vent de la stupidité. Du drapé au déguisement en passant par l’organisation de carnavals-défilés, il faut bien reconnaître qu’elle a toujours pratiqué à un très haut niveau cet art de la domestication festive et de l’encadrement.

L'extrémisme, fusse-t-il de gauche, n’a jamais été une qualité. Le plus souvent il s’agit d’une caricature ou d’un brouillon, d’une pose ou d’une esthétique. Il reste à savoir en fait de quoi l’on est l’extrême surtout quand c’est l’extrême d’un cirque ou d’une assemblée nationale...

L'extrémisme de gauche est une simulation du pire de la politique et des magouilles infra-stratégiques. Si elle ne siège pas, rien ne l’empêche de se présenter et de représenter partout des certitudes tout aussi politiciennes que ce qui est censé lui être plus à droite dans la tradition républicaine et qu’elle feint de retourner de l’intérieur. C’est pourquoi elle est toujours extrême-ment opportuniste et bureaucrate.

Toujours indignée à l’extrême, elle sait se positionner en embuscade pour canaliser à son profit les énergies qui alimentent son aphasie, surtout lorsque sa droite est au pouvoir.

Ce qui la distingue de sa droite ou de la droite ? Cela n’a presque aucun intérêt puisque plus personne ne l’écoute et qu’elle ne représente plus grand monde. Mais elle fait profession d’extrémiser le plus médiocre et les supercheries, tant dans son mode d’organisation interne que dans son approche du quotidien. Les mouvements sociaux ? Ils ne sont qu’un terrain de jeu qu’elle entretient comme une anté-basse-cour pour apprentis politiciens.

Elle ne perçoit même plus l’inanité de sa demande qui consiste à vouloir gérer et à administrer le capital comme une association de consommateurs responsables et le plus extrêmement démocratique-bourgeois.

Extrêmement pragmatique, elle s’invite sur les plateaux de télé pour discuter sur des canapés et fauteuils douillets, et la voilà qui palabre sur le monde qui va mal, entre une chanteuse pop et un joueur de foot ou une page promotionnelle. Dans ce brouhaha où un propos chasse l’autre, ils et elles balancent d’une manière radicalement molle un : C’est la faute “de la finance” des “banquiers” parce que l’argent “il y en a” ma bonne dame. Ya qu’a mieux redistribuer “l’argent des riches”, de la pub ou taxer les produits gras et les billets d’avion. L’indécence c’est toujours les “gros salaires”, jamais ce qui les rend possible pas plus que le bruit blanc de l'incohérence....

Il ne vient jamais à l’idée aux gens de l’extrême-gauche d’en finir avec le travail et son aliénation, ainsi que les rapports sociaux de production et la dictature capitaliste, puisque la plupart s'épanouissent dans leur super-jobs créatifs ou d’intellectuels qu’ils pensent être la norme. En revanche ils n’oublient jamais de généraliser l’aménagement de la misère pour aménager sans fin les aménagements.

Toujours moraliste elle théorise l’action et l’engagement par le temps dont ses acteurs extrêmement disponibles disposent et pense qu’il s’agit d’un étalon valable pour disserter sur l’engagement et la “ pratique” des prolétaires infantilisés. Cette infantilisation systématique vire toujours à l’humanitarisme pacificateur ou au néo-léninisme. Ces derniers temps sous poncho libertaire...

Les visées stratégiques de l’extrême-gauche moribonde ne relèvent que de l’autoconservation de structures.

Peu importe d’ailleurs le grain qu’il faut moudre pour susciter les débats et les interrogations plus certainement les provocations cyniques. Ce qui compte c’est l’agitation jusqu’à l’épuisement. De cela elle s’en fout puisque c’est son “job”... son passe-temps.

Il importe peu à vrai dire que le grain à moudre soit déjà pourri, pourvu qu’il alimente le commerce frelaté des moulins politiques. Il faut croire que les places sont encore bien chaudes quand elles justifient toujours autant de contorsions sémantiques et des postures tordues.

Elle ne se gêne d’ailleurs plus ces dernières années pour convoquer les communautés pétrifiées du monde marchand (1) à ses débats merdiques, comme des putains pour son cauchemar historique qui sent toujours autant la militarisation du travail et la pénurie par la joie à coups de trique.

Intarissable sur le communisme transcendantal et l'aménagement des espaces de la reconnaissance bourgeoise elle ne parle définitivement plus de luttes ni de classes. En revanche, son électoralisme “révolutionnaire” mobilise toujours autant la petite bourgeoisie surtout préoccupée par la hauteur du marchepied.

Si elle reprend le langage de la domination qu’elle dés-encastre des rapports sociaux c’est n’en doutons pas un seul instant pour se faire comme toujours les futurs larbins de l’identité marchande.

Sous couvert de “progressisme” c’est le vieux roman de l’inter-classisme qu’elle tente de réécrire à chaque fois pour mieux masquer que ses représentants auto-proclamés par leurs positions sociales, ne sont pas plus opprimés sinon le produit du ressentiment et du mercantilisme intellectuel.

La pratique de l’extrême-gauche-du-capital nous la connaissons maintenant plutôt bien. Elle est liée à la structuration du capital et aux marchés des discours qu’elle négocie dans les laboratoires de l' infamie politique. En titillant comme toujours les frustrations de tous, elle ne se préoccupe que de répondre à la morbidité des individus forcés de devenir du capital humain consommable et/ou superflu et qui doivent être reconnus comme tels sur le marché. Commerce qu’elle se propose toujours d’administrer…

Peu lui importe que cette convocation se fasse sous les catégories les plus antinomiques du projet de liquidation du capitalisme. Si les mots sont importants et si nous n’avons pas peur de les analyser nous refusons catégoriquement de les utiliser pour penser le communisme, l’anarchisme ou la révolution.

Nous ne nous faisons aucune illusion sur l’utilisation du lexique du pathos de l’extrême-gauche pleurnicharde et méritocrate qui ne propose comme combat que d’apprendre à gravir les échelles déjà cassées ou de réparer les ascenseurs sociaux pour l’étage de la collaboration de classe.

Si l’extrême-gauche a toujours eu un discours et une pratique de merde sur la Nation et l’État, en défendant et en continuant de défendre toutes les formes de socialismes de caserne avec son lot de partis, armées du “peuple”, de bureaucraties corrompues et de vraies bourgeoisies.

Elle continue ces dernières années à s’enfoncer dans la saloperie la plus abjecte en accompagnant les religieux et donc l’esprit religieux, à défendre le concept de “race” sous couvert d’anti-racisme, à mobiliser autour de l’anti-fascisme pour mieux servir l’électoralisme et s’éviter une critique conséquente et logique des mesures anti-sociales dont elle participe en dernière instance par sa légitimation. Quand elle disserte sur le concept de “souveraineté” celui ci respire à plein nez le pet patriote/régionaliste et la chiasse nationaliste. En définitif elle morcelle continuellement le projet de transformation total de ce monde insupportable.

Mais peut-on s’en étonner ?! L’extrême-gauche du capital n’est que l’antichambre de la saloperie social-démocrate. Elle ne propose que la rébellion dans l’Ordre et pour le même…. En cela elle n’est que l’extrême-gauche-de-la-saloperie.

NOTE.

Voila pourquoi vous ne nous verrez pas à la Marche de la Dignité et contre le racisme...
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Re: PIR : autopsie d'une dérive

Messagede Banshee » 16 Mar 2016, 20:21

Désolée, je ne viens plus très souvent ici, donc j'ai peut-être loupé des trucs. Mais quand même, je sais que la plupart d'entre vous considèrent l'UJFP comme des camarades. Alors voilà :

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Sérieux ??? Oui, je sais, je suis une khmère noire...
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