Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Béatrice » 13 Aoû 2014, 19:38

PROSTITUTION. Comment Internet a tout changé :

L'hebdomadaire britannique consacre sa une au nouveau commerce du sexe et prend position pour la libéralisation de l'utilisation des corps. "Internet rend l'achat et la vente de sexe plus facile et plus sûr. Il est temps que les gouvernements arrêtent d'essayer de l'interdire", écrit The Economist.

http://www.courrierinternational.com/un ... out-change


S'agissant du STRASS, un article intéressant sur ses origines ( émanation d'Act-Up ) et son histoire et relation avec d’autres organismes
et aussi avec le soutien d'associations et autres organisations politiques...

http://ressourcesprostitution.wordpress ... le-strass/
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Blackwater » 14 Aoû 2014, 08:41

Très intéressant comme article, bien que très long.
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 04 Sep 2014, 14:24

L’utopie libérale du service sexuel

Vouloir la légalisation de la prostitution implique de nier sa dimension sexiste (lire « Surprenante convergence sur la prostitution »), mais aussi de gommer les rapports de forces sociaux et économiques particulièrement violents qui y sont à l’œuvre.

Les « travailleurs du sexe » qui militent pour la légalisation de leur activité insistent souvent sur le fait qu’ils sont indépendants et n’ont pas de proxénète. Ce discours tend à faire oublier les profits colossaux engendrés, dont les intéressées sont souvent les dernières à voir la couleur — quand elles la voient (1). Agences de voyages, sociétés de transport, hôtels et autres intermédiaires, sans même parler des trafiquants, en bénéficient largement. Dans le monde économique français, la pratique de la « chambre garnie » permet de conclure un grand nombre d’affaires. Les grandes entreprises du secteur de l’eau, par exemple, ont abondamment utilisé les services de call-girls pour tenter de remporter les marchés auprès des élus (2). La Belgique, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni ont décidé il y a peu d’inclure la prostitution, en même temps que le trafic de drogue, dans le calcul de leur produit intérieur brut (PIB), indicateur stratégique s’il en est. La France, pour le moment, s’y refuse ; un choix que certains qualifient de « stupide (3) ».

Parler de « liberté », ou de « droit à disposer de son corps », implique de nier le rapport de domination et d’exploitation. « A la question de la contrainte économique, je réponds qu’il y a des millions de femmes qui sont dans la pauvreté et qui ne se prostituent pas », déclare par exemple la philosophe Elisabeth Badinter (Elle, 22 novembre 2013). On relèvera au passage que de nombreux partisans du « droit de se prostituer » appartiennent aux classes supérieures (selon le classement de Challenges, Badinter est la 53e fortune française) : Marcela Iacub, Catherine Millet, Catherine Robbe-Grillet, Claude Lanzmann, Georges Vigarello (4)... A l’inverse, comme le rappelait en 2003 le sociologue Lilian Mathieu, « ce sont des femmes de la classe ouvrière ou du lumpenproletariat qui sont recrutées dans la prostitution (5) ». Des femmes qui, dans leur grande majorité, n’auront probablement jamais l’occasion de faire entendre leur opinion sur la question.

L’obsession de « ne pas être une victime »

La protestation énergique selon laquelle les prostituées ne sont « pas des victimes » (6) participe de la même dénégation. « Ce journal n’a jamais trouvé plausible l’idée selon laquelle toutes les prostituées sont des victimes », écrit fort logiquement The Economist dans un éditorial récent (7). L’individu libéral et responsable de son sort doit être « invulnérable », observe la journaliste suédoise Kajsa Ekis Ekman. La seule violence qu’on puisse lui infliger, c’est... « de le qualifier de victime » (8). On feint de croire que « victime » désigne un trait psychologique (une attitude passive et timorée), et non la place occupée dans un rapport de forces. Ce discours prend parfois un tour caricatural : une chercheuse peut ainsi écrire, à propos d’enfants prostitués rencontrés dans un village thaïlandais, qu’ils « refusent catégoriquement d’être identifiés comme des victimes (9) ».

Cette vision de « travailleuses du sexe » libres et indépendantes avait inspiré à Pierre-Yves Geoffard, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), une tribune publiée par Libération (10) sous le titre « Prostituées : régulariser le marché » (20 mars 2006). L’économiste y rendait hommage au collectif Les Putes, ancêtre — alors tout juste créé — du Syndicat du travail sexuel (Strass). Il invitait la gauche à admettre que, « dès lors qu’il existe une demande pour des relations sexuelles, une offre de services cherche à satisfaire cette demande ». Il suggérait que la loi « reconnaisse le droit de propriété sur les fruits de l’usage de son propre corps », afin que les prostituées puissent négocier la « prime de risque » la plus élevée possible pour les rapports sans préservatif.

L’auteur de bande dessinée libertarien Chester Brown, comme les militants du Strass Morgane Merteuil, Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser (11), défend le projet d’une société où tout le monde paierait pour avoir des relations sexuelles. Il livre pourtant de sa propre expérience un récit glaçant — surtout pour quiconque s’identifie un minimum aux prostituées qu’il fréquente (représentées sans visage, ce qu’il justifie par le souci de préserver leur anonymat). La violence des rapports qu’il décrit apporte à son insu un démenti cinglant à la vision pacifiée et utopiste qu’il prétend proposer (12).

Le piège de la légalisation

Le gouvernement français actuel défend des positions abolitionnistes à travers la loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel ». Le Strass a mené la lutte contre la disposition centrale du texte — supprimée par les sénateurs en juillet dernier : la pénalisation des clients, qui s’exposeraient à une amende de 1 500 euros. Il a mis en avant les dangers pour la sécurité et la santé des prostituées, contraintes elles aussi à la clandestinité même si elles ne risquent aucune poursuite puisque la loi abolit le délit de racolage.

Aucune étude fiable ne fait état d’une telle détérioration en Suède après le vote en 1999 de la loi pénalisant les clients — loi qui, également adoptée depuis par la Norvège et l’Islande, a servi de modèle au projet français (13). Dans le comparatif des différentes législations européennes proposé récemment par l’hebdomadaire américain The Nation, la solution suédoise apparaît comme clairement préférable à l’allemande ou à la néerlandaise. Non seulement elle ne semble pas avoir eu pour effet de « simplement rendre la prostitution moins visible », comme on l’entend beaucoup dire, mais celles qui exercent encore bénéficient des conditions de travail qu’on espère en général instaurer par la légalisation : le tarif des passes est le plus élevé d’Europe (alors que les bordels allemands cassent les prix) ; elles ont obtenu d’avoir accès à la protection sociale, et enfin, elles sont plutôt en sécurité – aucun meurtre de prostituée dans l’exercice de son activité n’a été enregistré depuis le vote de la loi (14).

A l’inverse, l’Allemagne et les Pays-Bas s’aperçoivent que la légalisation ne résout rien ; au contraire. Elle sert les proxénètes, mais aussi les trafiquants, puisque la demande excède l’offre, de sorte que la traite se développe (l’Allemagne est devenue le plus grand marché d’Europe), et aboutit plutôt à dégrader la situation des prostituées (15).

Vouloir abolir la prostitution
tout en accentuant la précarité ?


Pour autant, on ne peut que relever la contradiction entre la volonté abolitionniste affichée par la France et l’aggravation de la précarité et des inégalités provoquée par ailleurs par la politique de M. François Hollande (lire « Purge à la française » http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/BULARD/50762 ). Le meilleur moyen de lutter contre la prostitution ne serait-il pas encore d’éviter que les femmes y soient poussées par la détérioration de leurs conditions de vie ?

Il y a quelques années, Lilian Mathieu suggérait, plutôt qu’une politique visant spécifiquement les prostituées, quelques pistes qui aboutiraient à améliorer à la fois leur sort et celui d’autres catégories de précaires : mettre fin à la criminalisation des toxicomanes et leur fournir un accès médical aux substances dont ils sont dépendants ; régulariser les sans-papiers ; revaloriser significativement les minima sociaux. Il inscrivait sa réflexion dans la continuité du « rapport Pinot », qui, remis par le magistrat Guy Pinot en 1975, après l’occupation d’une église par un mouvement de prostituées à Lyon, posait selon lui les bases d’un « abolitionnisme pragmatique ». Pour le reste, la législation française de 2002 — répression du proxénétisme et du racolage (actif) (16), mais « vide juridique » s’agissant de la prostitution elle-même — lui paraissait encore la moins mauvaise solution (17).

« Tout comme vos livres ou vos vêtements... »

Du côté du Strass, on reconnaît que le « choix » de la prostitution est tout relatif ; mais on affirme que, puisqu’il faut bien gagner sa vie, il s’agit d’un métier pas plus pénible que beaucoup d’autres. Cette négation de la spécificité du corps sexuel (aucune différence entre louer son sexe et louer ses bras) passe par la novlangue qui parle de « services sexuels » et de « travailleurs du sexe » — « Tenez, cinq kilos de sexe, voici la facture », ironise Ekman. Elle met en danger la reconnaissance du viol comme d’un crime spécifique, pour laquelle les féministes se sont battues : pourquoi violer quelqu’un serait-il différent de lui casser le bras ? Elle implique de pousser à l’extrême, sous couvert de rationalisation, la croyance irrationnelle dans la dualité du corps et de l’esprit inhérente à la tradition occidentale. « Tout comme vos autres possessions, vos livres ou vos vêtements, votre corps vous appartient », écrit Brown dans Vingt-trois prostituées, sans paraître s’apercevoir du caractère aberrant de cette comparaison.

Celles qui, inaptes à une telle dissociation de soi, ont la faiblesse de mal vivre des relations sexuelles non désirées sont considérées comme des idiotes sentimentales (hystériques ?...) qui ne méritent pas qu’on les écoute. Schaffauser qualifie de « larmoyants » les témoignages de prostituées cités dans le rapport parlementaire de la socialiste Danielle Bousquet (18). L’essayiste Marcela Iacub estime que si les femmes violées souffrent, c’est parce qu’on leur enjoint d’être traumatisées (19) ; dans la même logique, Merteuil écrit que si tant de prostituées vivent mal leur activité, c’est à cause du discours des « féministes antiputes » qui les « dévalorise systématiquement ». Le féminisme, voilà l’ennemi...

Ekman souligne pourtant que la législation abolitionniste suédoise, loin de découler d’une position dogmatique, « moraliste » et coupée de la réalité, résultait de recherches qui, entamées à la fin des années 1970, accordaient une place exceptionnelle aux enquêtes de terrain et à la parole des prostituées. Des recherches auxquelles a d’ailleurs contribué, dans le cadre de son activité de journaliste, Stieg Larsson, l’auteur (décédé en 2004) de la trilogie policière et féministe Millénium.

Une dimension constitutive de la personne ?

Sans craindre la contradiction, le Strass présente à la fois la prostitution comme un travail « pas pire qu’un autre » (d’où le « syndicat ») et comme une dimension constitutive de la personne, une orientation sexuelle réprimée. Schaffauser et Maîtresse Nikita vont jusqu’à dénoncer (dans Fières d’être putes) une insupportable « contrainte à la non-prostitution ». Cela leur permet de forger le néologisme « putophobie », commode pour jeter l’opprobre sur les abolitionnistes. « Les putophobes qui veulent abolir la prostitution sont comme les homophobes qui veulent guérir l’homosexualité », affirment-ils. Amalgame plus que douteux : dans un cas, il s’agit d’accepter de mettre ses désirs entre parenthèses, alors que dans l’autre il s’agit de revendiquer le droit de les exprimer et de les vivre.

Une plongée dans la littérature prônant la légalisation conduit à se demander s’il ne vaudrait pas mieux, pour ceux qui, à gauche, clament leur solidarité avec des « travailleuses du sexe » en lutte, assumer plutôt leur attachement à ce privilège masculin que représente l’existence de la prostitution. Ce serait plus honnête, et cela créerait moins de confusion.


Mona Chollet



(1) Lire « Qui profite de la prostitution ? », Le Monde diplomatique, juillet 2006 http://www.monde-diplomatique.fr/2006/07/CHOLLET/13626.

(2) Cf. Yvonnick Denoël, Sexus Economicus. Le grand tabou des affaires, Nouveau Monde, Paris, 2010.

(3) Zachary Karabell, « La stupide décision française de ne pas inclure le trafic de drogue et la prostitution dans le PIB », Slate.fr, 25 juin 2014 http://www.slate.fr/story/88971/stupide ... tution-pib.

(4) « Ni coupables ni victimes : libres de se prostituer », Le Monde, 9 janvier 2003 http://www.lemonde.fr/cgi-bin/ACHATS/ac ... _id=787546 ; « L’interdiction de la prostitution est une chimère », Le Nouvel Observateur, Paris, 23 août 2012 http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/ ... imere.html.

(5) Lilian Mathieu, « On ne se prostitue pas par plaisir », Le Monde diplomatique, février 2003 http://www.monde-diplomatique.fr/2003/02/MATHIEU/9954.

(6) Lire « Arrière-pensées des discours sur la “victimisation” », Le Monde diplomatique, septembre 2007 http://www.monde-diplomatique.fr/2007/09/CHOLLET/15078 .

(7) « A personal choice », The Economist, Londres, 9 août 2014 http://www.economist.com/news/leaders/2 ... hould-stop.

(8) Kajsa Ekis Ekman, L’Etre et la Marchandise. Prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, M Editeur, coll. « Mobilisations », Ville Mont-Royal (Québec), 2013.

(9) Heather Montgomery, « Children, prostitution, and identity », dans Kamala Kampadoo et Joe Doezema, Global Sex Workers, Routledge, New York, 1998. Cité par Kajsa Ekis Ekman, L’Etre et la Marchandise, op. cit.

(10) Sur Libération et la prostitution, cf. « Luc, son DSK et la prostitution heureuse chez Libé », Les Nouvelles News, 22 octobre 2013 http://www.lesnouvellesnews.fr/index.ph ... -chez-libe.

(11) Morgane Merteuil, Libérez le féminisme !, L’Editeur, coll. « Idées et controverses », Paris, 2012 ; Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser, Fières d’être putes, L’Altiplano, coll. « Agit’Prop », Paris, 2007.

(12) Chester Brown, Vingt-trois prostituées, Cornélius, Paris, 2012.

(13) Florencia Rovira Torres, « Punir les clients des prostitués : le modèle suédois a bon dos », Rue89.com, 25 juillet 2013 http://rue89.nouvelobs.com/2013/07/25/p ... dos-244373.

(14) Michelle Goldberg, « Should buying sex be illegal ? », The Nation, New York, 30 juillet 2014 http://www.thenation.com/article/180835 ... e-illegal#.

(15) « Unprotected : How legalizing prostitution has failed », Spiegel Online International, 30 mai 2013 http://www.spiegel.de/international/ger ... 02533.html ; Jean-Pierre Stroobants, « Les Néerlandais commencent à regretter la légalisation de la prostitution », M le magazine du Monde, 23 décembre 2011 http://www.lemonde.fr/style/article/201 ... 75563.html.

(16) Le délit de racolage passif a été créé en 2003 par la Loi pour la sécurité intérieure. La loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » prévoit son abrogation http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoi ... slature=14.

(17) Lilian Mathieu, « La prostitution, zone de vulnérabilité sociale », Nouvelles questions féministes, vol. 21, n° 2, Lausanne, 2002.

(18) Thierry Schaffauser, « Le “modèle suédois” est un échec », Les mots sont importants, 2 juillet 2012 http://lmsi.net/Le-modele-suedois-est-un-echec,1268 .

(19) Marcela Iacub, Qu’avez-vous fait de la libération sexuelle ?, Flammarion, coll. « Points », Paris, 2002 ; Morgane Merteuil, Libérez le féminisme !, op. cit.


http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/CHOLLET/50750


Surprenante convergence sur la prostitution

Le Sénat français a supprimé, en juillet dernier, la mesure-phare du projet de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » : la pénalisation des clients. Quoi qu’il advienne de cette disposition, les débats suscités auront révélé le succès d’une nouvelle façon de considérer la prostitution : comme un enjeu de luttes syndicales et de « liberté », plus que comme une question féministe.

Comme le remarque la journaliste suédoise Kajsa Ekis Ekman, le discours en faveur de la légalisation de la prostitution tient un argumentaire en réserve pour chaque tendance de l’opinion. Aux socialistes, on affirme que la prostituée est « une travailleuse qui s’organisera dans un syndicat ». Aux libéraux, on assure « que c’est une question de libre choix et que la prostituée n’est rien d’autre qu’une entrepreneuse du sexe ». Aux féministes, on dit que les femmes doivent pouvoir « disposer de leur corps ». « Mon corps m’appartient » : ce slogan prend désormais un sens très différent de celui qu’il revêtait dans les manifestations des années 1970. En février 2014, pour protester contre la remise en question du droit à l’avortement, des centaines d’Espagnoles sont allées enregistrer leur corps comme propriété privée au registre commercial des biens mobiliers de leur ville. Alors qu’auparavant le corps était revendiqué comme un lieu de liberté, il est ici réduit à un bien meuble permettant éventuellement des gains sur un marché.

Ekman évoque un « pacte silencieux » conclu à propos de la prostitution entre « la gauche postmoderne et la droite néolibérale ». Posant le même constat, la féministe américaine Katha Pollitt, lassée d’entendre parler de « liberté » à ce sujet, objecte : « Et l’égalité ? Je croyais que c’était aussi cela, la gauche... » Tourisme sexuel, migration volontaire ou forcée vers des pays plus riches : la prostitution cristallise en effet avec une crudité particulière les inégalités à l’œuvre tant entre le Nord et le Sud qu’au sein de chaque société. Au Portugal, avec la crise, des associations ont constaté l’arrivée sur le marché « de femmes de la classe moyenne qui n’avaient jamais pensé un jour se prostituer ». En France, le site américain SeekingArrangement.com, lancé début 2014, met en relation des hommes fortunés et des jeunes femmes sans moyens désireuses de financer leurs études sans devoir emprunter. Certains hommes profitent également de la pénurie de logements abordables

(...)

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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 08 Sep 2014, 15:55

Reçu par mail :)

Une gauche radicale séduite par la légalisation

Surprenante convergence sur la prostitution

Le Sénat français a supprimé, en juillet dernier, la mesure-phare du projet de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » : la pénalisation des clients. Quoi qu’il advienne de cette disposition, les débats suscités auront révélé le succès d’une nouvelle façon de considérer la prostitution : comme un enjeu de luttes syndicales et de « liberté », plus que comme une question féministe.

Comme le remarque la journaliste suédoise Kajsa Ekis Ekman, le discours en faveur de la légalisation de la prostitution tient un argumentaire en réserve pour chaque tendance de l’opinion. Aux socialistes, on affirme que la prostituée est « une travailleuse qui s’organisera dans un syndicat ». Aux libéraux, on assure « que c’est une question de libre choix et que la prostituée n’est rien d’autre qu’une entrepreneuse du sexe ». Aux féministes, on dit que les femmes doivent pouvoir « disposer de leur corps ». « Mon corps m’appartient » : ce slogan prend désormais un sens très différent de celui qu’il revêtait dans les manifestations des années 1970. En février 2014, pour protester contre la remise en question du droit à l’avortement, des centaines d’Espagnoles sont allées enregistrer leur corps comme propriété privée au registre commercial des biens mobiliers de leur ville. Alors qu’auparavant le corps était revendiqué comme un lieu de liberté, il est ici réduit à un bien meuble permettant éventuellement des gains sur un marché.

Ekman évoque un « pacte silencieux » conclu à propos de la prostitution entre « la gauche postmoderne et la droite néolibérale » (1). Posant le même constat, la féministe américaine Katha Pollitt, lassée d’entendre parler de « liberté » à ce sujet, objecte : « Et l’égalité ? Je croyais que c’était aussi cela, la gauche (2)... » Tourisme sexuel, migration volontaire ou forcée vers des pays plus riches : la prostitution cristallise en effet avec une crudité particulière les inégalités à l’œuvre tant entre le Nord et le Sud qu’au sein de chaque société. Au Portugal, avec la crise, des associations ont constaté l’arrivée sur le marché « de femmes de la classe moyenne qui n’avaient jamais pensé un jour se prostituer (3) ». En France, le site américain SeekingArrangement.com, lancé début 2014, met en relation des hommes fortunés et des jeunes femmes sans moyens désireuses de financer leurs études sans devoir emprunter (4). Certains hommes profitent également de la pénurie de logements abordables pour proposer une cohabitation ou un studio gratuits en échange de rapports sexuels. L’un d’eux, haut fonctionnaire, se vantait d’avoir« viré celles qui ne respectaient pas leurs engagements (5) ».

Le désir féminin muselé

« Pourquoi donc tant de gens de gauche veulent-ils que le travail sexuel devienne la nouvelle norme ? », s’interroge Pollitt. On peut se le demander en observant, en France, les clivages qu’a réactivés le projet de pénalisation des clients de la prostitution. Transposer la loi votée en Suède en 1999 et sanctionner d’une amende de 1 500 euros le« recours à la prostitution d’une personne majeure », tout en abrogeant le délit de racolage : beaucoup de militants et intellectuels de la gauche radicale — à l’exception notable de Christine Delphy — s’opposent à une telle politique. Des revues de gauche telles queContretemps, Mouvements, Vacarme, ou les sites Période, Les mots sont importants, se rallient aux positions en faveur de la légalisation défendues par le Syndicat du travail sexuel (Strass) ou par une figure féministe telle que l’écrivaine et cinéaste Virginie Despentes. Seules des personnalités socialistes (la ministre des droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, la philosophe Sylviane Agacinski) et des associations proches, comme Osez le féminisme, ne renoncent pas à l’objectif de l’abolition. Comment l’expliquer ?

Selon Ekman, l’apparition dans plusieurs pays de « syndicats de travailleurs du sexe » a joué un rôle décisif. Le mot magique de « syndicat » fait surgir de glorieuses visions de travailleurs en lutte. Morgane Merteuil, l’une des porte-parole du Strass, formule en ces termes ses revendications : « reconnaître que nous sommes dans une relation de travail, pour développer une conscience de classe »(Mouvements, 16 décembre 2013). Coyote (pour « Call off your old tired ethics » : « Assez avec votre vieille éthique fatiguée ») en 1973 aux Etats-Unis, Le Fil rouge (De Rode Draad) en 1985 aux Pays-Bas, le Global Network of Sex Work Projects (NSWP) au niveau mondial en 1992, l’International Union of Sex Workers (IUSW) en 2000 au Royaume-Uni, le Strass en 2009 en France... ces mouvements prétendent porter « la parole des putes ». Or, bien que baptisés « syndicats », ils jouent avant tout le rôle de lobbys en faveur de la légalisation. Ce qu’admet d’ailleurs Thierry Schaffauser, autre représentant du Strass (et candidat Europe Ecologie-Les Verts aux élections municipales de 2014 à Paris) : « La décriminalisation est une priorité parce que l’illégalité de notre travail est la première cause des abus et de l’exploitation » (Contretemps.eu, 22 décembre 2011).

Entourer la prostitution d’une aura de lutte des classes permet d’escamoter son inscription dans le système de la domination masculine. L’ancêtre du Strass, en 2006, groupuscule presque exclusivement constitué d’hommes, s’était baptisé « Les Putes », et ses membres parlaient d’eux-mêmes au féminin. Peu importe que cette activité soit exercée par une écrasante majorité de femmes, et destinée à une clientèle constituée essentiellement d’hommes (hétéro- ou homosexuels) : l’argument selon lequel « il y a aussi des hommes prostitués » semble porter. De nombreuses féministes, promptes à identifier l’objection « les hommes aussi » comme manipulatrice lorsqu’elle vise à disqualifier d’autres problématiques (les violences conjugales, par exemple), n’y trouvent ici rien à redire. En outre, Schaffauser, déjà cofondateur des Putes, recourt facilement à l’insulte et à l’intimidation, sans se compromettre dans un milieu qui y est en général très sensible. En juin 2012, par exemple, il s’adressait en ces termes, sur Twitter, à Mme Vallaud-Belkacem : « Démissionne, sale putophobe. On va te harceler durant tout ton mandat jusqu’à ce que tu te casses. Criminelle (6) ! »

Peut-être faut-il voir l’origine de cette défaillance de la pensée féministe dans l’un des échecs du mouvement des années 1970. Les militantes de cette époque ont réussi à imposer la légitimité de nombreuses revendications d’égalité. Mais, en dépit de quelques tentatives (7), il reste un droit qu’elles ne sont pas parvenues à inscrire dans les consciences : celui pour les femmes de s’engager dans des relations sexuelles où leur désir et leur plaisir compteraient autant que ceux des hommes.

Sous un léger vernis de progressisme, la société continue de considérer la sexualité hétérosexuelle comme vouée à la seule satisfaction du désir masculin. Elle juge normal que, s’il le faut, des femmes fassent preuve, elles, d’abnégation pour se mettre à son service, car un homme ne peut en aucun cas supporter la frustration ; les croyances dans une impossibilité physiologique sont même très répandues. Ainsi, on justifie souvent l’existence de la prostitution par le service qu’elle rendrait aux laids et aux esseulés (8). Peu importe si, selon l’enquête menée en France par le sociologue Saïd Bouamama et la militante abolitionniste Claudine Legardinier, seuls un tiers des clients sont célibataires (9). De même, dans son combat acharné pour la légalisation de la prostitution, le quotidien Libération a fait le portrait de M. Marcel Nuss, adhérent du Strass qui, lourdement handicapé de naissance, milite pour le droit à une « assistance sexuelle ». Il a pourtant eu deux compagnes, et il a des enfants (10).

Aux yeux de la société, les hommes bénéficient d’un « droit au sexe ». Aux Etats-Unis, ce concept (male entitlement) a ressurgi en mai dernier lorsqu’Elliot Rodger, 22 ans, a abattu six personnes à Santa Barbara avant de se suicider. Il avait laissé une vidéo dans laquelle il se plaignait qu’aucune fille n’ait jamais voulu coucher avec lui ; il annonçait son intention de « punir » les femmes pour ce qu’il qualifiait d’« injustice » et de « crime ». De nombreux commentateurs ont réagi en réclamant la légalisation de la prostitution, censée éviter ce genre de drame.

Alors que la subjectivité masculine s’étale, passionne, la subjectivité féminine, elle, disparaît. C’est ce qui a permis, par exemple, que l’on parle de « puritanisme » ou de « vie privée » à propos des accusations de viol portées en 2011 à l’encontre de M. Dominique Strauss-Kahn (11), comme si une agression ne se distinguait pas d’une rencontre sexuelle. Cette confusion est poussée à l’extrême par l’une des prestations parfois demandées aux prostituées, la girlfriend experience (GFE), qui consiste à mimer une relation amoureuse.« Pas GFE, trop commercial et banal », déplore ainsi un consommateur français (cité par Ekman) sur l’un des forums en ligne où on note les prostituées. Aveugle à la domination de genre comme à la domination économique (lire « L’utopie libérale du service sexuel » http://www.monde-diplomatique.fr/2014/09/CHOLLET/50750), la philosophe Elisabeth Badinter, opposée à la pénalisation des clients, parle d’« activité sexuelle » à propos de la prostitution (« “L’Etat n’a pas à légiférer sur l’activité sexuelle des individus” »,LeMonde.fr, 19 novembre 2013).

La logique qui à la morne sexualité conjugale oppose la transgression sulfureuse de la prostitution manifeste ce même oubli : structurellement, cette dernière vise la satisfaction des seuls fantasmes masculins. Merteuil, dans un entretien à Technikart(décembre 2013), reprend à son compte cette vision binaire lorsqu’elle accuse les abolitionnistes de « privilégier l’idée du couple hétérosexuel qui s’aime ». Elle dénonce le « modèle hétéronormé »,comme si la prostitution ne le confortait pas elle aussi. Si on veut remettre en question le couple, rien n’empêche pourtant d’imaginer d’autres possibilités, qui donneraient toute sa place à l’expression du désir — on ne dit pas l’amour — féminin, hétéro, homo ou bisexuel.

Pour l’heure, quand elles assument et revendiquent leur dimension de sujet, les femmes continuent de susciter des réflexes de défiance ou de réprobation. Friand, pour sa rubrique « portrait », de call-girls heureuses de leur sort, Libération parle en revanche, à propos de l’auteure de bande dessinée Aurélia Aurita, qui a raconté dans un album une relation égalitaire et épanouie, d’une « boulimie sexuelle »dont son compagnon aurait été l’« objet » (21 février 2014). La bonne vieille « nymphomanie » n’est pas loin...

Schaffauser et Maîtresse Nikita (de son vrai nom Jean-François Poupel, également du Strass) affirment pourtant qu’une fois le travail sexuel légalisé, l’amélioration des conditions de travail rendra la prostitution « plus enviable pour les hommes », et les femmes« s’autoriseront davantage à être clientes (12) ». Les pays qui ont choisi cette voie, comme l’Allemagne et les Pays-Bas, n’ont pas constaté ce miraculeux renversement ; seulement l’expansion d’une prostitution toujours aussi massivement féminine, dominée par les proxénètes et les trafiquants, sans progrès pour la sécurité de celles qui l’exercent (13).

Ce double standard auquel est soumise la sexualité des hommes et des femmes a produit le cliché, sans cesse remis au goût du jour, de la « pute au grand cœur » : celle qui, loin de contester cet ordre des choses, se consacre au bien-être de ses clients. Pour se prostituer, il faut, écrit Merteuil, « que le fait de n’avoir pour but que de satisfaire un client soit en lui-même une satisfaction (14) ». Tout en prétendant« libérer le féminisme », elle ne fait là que manifester le conditionnement subi par les femmes pour les pousser au dévouement et au sacrifice. Pour autant, abolir les relations tarifées ne reviendrait pas à imposer une « bonne » sexualité désaliénée : un fantasme de soumission peut très bien se déployer dans le cadre d’un rapport gratuit.

Mais les rapports gratuits n’existent pas, rétorque Merteuil. Au sein du couple hétérosexuel, la sexualité relèverait du travail reproductif fourni par les femmes. A ses yeux, un rapport sexuel pour le plaisir leur est impossible. Elle l’assimile à du « bénévolat » qui « nourrit la machine capitaliste » — ce que ne fait pas du tout, bien sûr, la prostitution. On pourrait en déduire la nécessité de lutter à la fois contre la prostitution et contre la dépendance domestique, plutôt que de se résigner aux deux...

Mona Chollet


(1) Kajsa Ekis Ekman, L’Etre et la Marchandise. Prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, M. éditeur, coll. « Mobilisations », Ville Mont-Royal (Québec), 2013.

(2) Katha Pollitt, « Why do so many leftists want sex work to be the new normal ? » http://www.thenation.com/article/179147 ... normal,The Nation, New York, 2 avril 2014.

(3) Andrée-Marie Dussault, « Poussées à se prostituer par la crise » http://www.lecourrier.ch/118614/poussee ... r_la_crise, Le Courrier,Genève, 18 février 2014.

(4) Catherine Rollot, « Riches businessmen cherchent “French sugar babies” » http://www.lemonde.fr/societe/article/2 ... _3224.html , Le Monde, 26 mars 2014.

(5) Ondine Millot et Elhame Medjahed, « “Loue studette contre pipe” » http://www.liberation.fr/societe/2008/0 ... pipe_25076 , Libération,Paris, 6 février 2008.

(6) « Vallaud-Belkacem et moi » http://votezthierryschaffauser.wordpres ... em-et-moi/, Votez Thierry Schaffauser, 19 mai 2013.

(7) Cf. « Votre libération sexuelle n’est pas la nôtre », dans MLF. Textes premiers(collectif), Stock, Paris, 2009.

(8) Lire « La maman et la putain sont de retour » http://www.monde-diplomatique.fr/2012/06/CHOLLET/47883, Le Monde diplomatique,juin 2012.

(9) Claudine Legardinier et Saïd Bouamama, Les Clients de la prostitution, Presses de la Renaissance, Paris, 2006.

(10) Quentin Girard, « Marcel Nuss. Touchable » http://next.liberation.fr/sexe/2013/01/ ... ble_871738, Libération, 4 janvier 2013.

(11) Lire « Les informulés d’une rhétorique sexiste » http://www.monde-diplomatique.fr/carnet ... ue-sexiste , La valise diplomatique, 23 mai 2011.

(12) Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser, Fières d’être putes, L’Altiplano, coll. « Agit’prop », Paris, 2007.

(13) « Unprotected : How legalizing prostitution has failed » http://www.spiegel.de/international/ger ... 02533.html, Spiegel Online International, 30 mai 2013 ; Jean-Pierre Stroobants, « Les Néerlandais commencent à regretter la légalisation de la prostitution » http://www.lemonde.fr/style/article/201 ... 75563.html, M. le magazine du Monde, 23 décembre 2011.

(14) Morgane Merteuil, Libérez le féminisme !, L’Editeur, coll. « Idées et controverses », Paris, 2012.

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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 12 Sep 2014, 08:13

L'ex-prostituée marche contre " l'esclavage sexuel "

La marche militante de Rosen Hicher, qui fut prostituée vingt-deux ans durant, est passée par Niort hier. Avant Saint-Maixent-l’École ce jeudi.

Hier en milieu de matinée, Rosen Hicher, 57 ans, s'est élancée de « la Garette », à Sansais, où elle était arrivée discrètement lundi. Très vite, elle est passée devant un panneau de signalisation indiquant « la Repentie ». De quoi la faire sourire, elle, l'ancienne péripatéticienne. Même « les problèmes » pratiques qui s'accumulent depuis une semaine ne semblent pas l'atteindre : « Je suis une dure qui a connu la prostitution. »

" Laisser le droit aux clients de nous acheter, c'est laisser le droit aux proxénètes de nous vendre "

Mercredi 3 septembre, elle a quitté Saintes (Charente-Maritime), dernière ville où la quinquagénaire a vendu son corps, pour rallier Paris : 743 kilomètres de marche (*) pour faire entendre sa voix, elle qui réclame « l'abolition de l'esclavage sexuel » et la pénalisation des clients. Une pénalisation un temps prévue dans une proposition de loi sur la prostitution et prenant la forme d'une contravention de 1.500 €. C'était avant l'abandon, au début du dernier mois de juillet, de cette mesure par une commission du Sénat. ( >>voir la vidéo)
« Aujourd'hui, on importe et on exporte des femmes dans l'indifférence générale, résume Rosen Hicher. Laisser le droit aux clients de nous acheter, c'est laisser le droit aux proxénètes de nous vendre. Je suis pour la liberté sexuelle. Mais la prostitution, ce n'est pas une liberté en soi. »
Elle devrait arriver samedi 11 ou dimanche 12 octobre à Paris, rue du Colisée, à l'endroit même où elle a fait sa toute première passe. Hier, la Bretonne de naissance était à Niort vers 15 h, devant l'hôtel de ville. A ses côtés, Yves-Thégonnec Tulâne, co-directeur de la compagnie « 7ème acte », basée dans la Sarthe : le comédien et metteur en scène prépare justement un spectacle de marionnettes sur le thème de la prostitution. Il suivra Rosen Hicher le temps de plusieurs étapes.

Reçue par une élue

Souhaitant rencontrer les élus dans un maximum de villes de passage, l'ancienne prostituée a échangé, une bonne heure, avec Yvonne Vacker, conseillère municipale déléguée à l'égalité des droits entre les femmes et les hommes.
Ce jeudi, le duo partira de Niort, à 9 h 30 environ, pour rallier Saint-Maixent-l'École. Entre-temps, Rosen Hicher sera repartie sur Saint-Jean-d'Angély (Charente-Maritime) au chevet d'un fils malade : elle a six enfants, dont une fille qui vit à Niort.

http://www.lanouvellerepublique.fr/Deux ... el-2041415


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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 15 Sep 2014, 07:49

Soutien d’Abollition2012 à la Marche de Rosen, survivante de la prostitution

Chère Rosen, Nous avons appris avec enthousiasme l'initiative que tu as lancé d'une "marche
pour l'abolition de l'esclavage sexuel". Le collectif abolition 2012 va rapidement se réunir
pour discuter des meilleurs moyens de te soutenir largement mai d'ores et déjà, à la veille de
ton départ, nous tenions à t'exprimer notre soutien total et engagé ! Marcher pour l'abolition,
c'est l'initiative d'une femme libre. C'est un symbole de vie, de courage et un défi à toute
forme de résignation. .Autant de qualités qui te ressemblent, et qui nous donnent confiance
dans la réussite de notre combat commun !

A notre connaissance, jamais dans aucun pays, le combat contre l'esclavage sexuel ne s'est
traduit par ce type d'action. Personne n'a osé le faire Ce que tu vas entreprendre est donc
une grande première. Sur le long chemin de l'émancipation des femmes, la lutte contre
l'esclavage sexuel occupe une place essentielle.

Nous te souhaitons une belle marche, le plus de soutiens possibles de toutes parts, et encore
une fois nous serons à chaque instant, en pensée, sur les réseaux sociaux ou physiquement, à
tes côtés ! Bien à toi, et bonne marche !

Pour suivre la marche de Rosen, son blog : https://marchepourlabolition.wordpress.com/ ;
Sa page facebook : https://www.facebook.com/groups/Marche. ... n/?fref=ts "
2 - Salarié-es salon de coiffure Boulevard de Strasbourg : Lettre ouverte à Bernard


Le Courrier de la MMF n°264


Marche pour l'abolition
Blog consacré au soutien de Rosen Hicher dans sa marche de Saintes à Paris (sept-oct 2014)
https://marchepourlabolition.wordpress.com/
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Béatrice » 22 Sep 2014, 19:29

L’Allemagne ne veut plus être « le bordel de l’Europe» :

Le gouvernement allemand devrait présenter cette année un projet de loi réglementant davantage la prostitution. Une façon implicite de reconnaître l’échec de la loi instaurée en 2002 du temps de Gerhard Schröder. A l’époque, il s’agissait de légaliser la prostitution afin de permettre aux prostituées de bénéficier d’une protection sociale et d’avoir de meilleures conditions de travail. Le gouvernement espérait ainsi mettre fin aux conditions les plus sordides d’exercice de la prostitution. Douze ans après, l’échec est patent. L’Allemagne est devenue « le bordel de l’Europe », tant par le nombre de prostituées – dont une très grande majorité sont originaires d’Europe de l’Est –que de clients. On vient volontiers en Allemagne des pays voisins pour profiter des forfaits mis en place par les supermarchés du sexe qui permettent à leurs clients de consommer alcool et filles à volonté.

UN CHIFFRE D’AFFAIRES DE 15 MILLIARDS D’EUROS


Il suffit par ailleurs de se promener autour des gares pour constater que le racolage n’a en aucune façon disparu. Alors que le chiffre d’affaires de la prostitution s’élèverait en Allemagne à 15 milliards d’euros par an (« autant que Porsche », note le Spie...


http://www.lemonde.fr/europe/article/20 ... _3214.html
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 04 Oct 2014, 10:54

Prostitution : Manifeste des traumathérapeutes allemand-e-s‏

« Au moment même où les politicien·ne·s allemand·e·s subissent de fortes pressions du lobby proxénète local pour en finir avec toutes les lois entourant la prostitution, un autre groupe de voix se lève pour rejoindre l’opposition à ce très riche et très puissant lobby. Il s’agit de thérapeutes de traumatismes qui œuvrent depuis longtemps auprès de femmes et de filles aux prises avec l’industrie du sexe, et ce qu’elles et ils ont vu dans le cadre de leur carrière suffit à les convaincre que la prostitution n’est pas, et ne sera jamais, un travail normal pour la grande majorité des celles qui la pratiquent. »

... http://ressourcesprostitution.wordpress ... %e2%80%8f/
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 08 Oct 2014, 12:48

Rassemblement d'accueil de Rosen à Paris
Dimanche 12 octobre à 13h30
Place Saint Philippe du Roule Paris 8e


Les 60 associations du collectif Abolition2012 vous invitent à accueillir Rosen Hicher à Paris
le dimanche 12 octobre, à l'issue de sa marche de 800 km pour l'abolition du système prostitutionnel.

Pour information vous pouvez aussi :
Accompagner Rosen sur sa dernière étape dans Paris de 11h-13h30
Entrée dans Paris : prévue à 10h45 par la porte d'Orléans
Passage de la Seine : vers 12h30 au pont des Invalides
Arrivée à son premier lieu de prostitution : 22 rue du Colisée, vers 13h
Rassemblement d'accueil : à 13h30 place Saint Philippe du Roule

Vous pouvez aussi vous joindre à la marche revendicative vers le Sénat 15h-17h
Associations, militantEs et sympathisantEs marcheront avec Rosen jusqu'au Sénat
pour demander l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Béatrice » 13 Oct 2014, 10:48

Abolition de la prostitution : 200 élus interpellent les sénateurs.

Les partisans de l'abolition de la prostitution se mobilisent. Dans une tribune publiée dans le «Journal du Dimanche», deux cents élus interpellent ce dimanche les sénateurs pour que ces derniers n'enterrent pas une proposition de loi, déjà votée à l'Assemblée nationale, qui vise notamment à pénaliser les clients.
Cet appel coïncide avec l'arrivée à Paris de Rosen Hicher, ancienne prostituée, qui a entrepris une marche de 800 kilomètres à travers la France pour dire stop à «l'esclavage sexuel».

http://www.leparisien.fr/societe/deux-c ... 207027.php


La longue marche de Rosen contre la prostitution :
http://www.leparisien.fr/societe/la-lon ... 207073.php
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 06 Nov 2014, 11:42

Puritaines ? Vraiment ?

PROSTITUTION : QUI SONT VRAIMENT LES PURITAINS ?

Il est pratiquement impossible de trouver un article défendant la prostitution où ne figure pas le qualificatif de « puritaines » employé pour désigner les abolitionnistes.

Bien sûr, la plupart de ceux qui lancent ce mot dans le débat n’ont pas la moindre idée de ce qu’était le puritanisme historique et semblent croire que ce mot est synonyme de répression sexuelle et de croisade contre la prostitution.

Dans le contexte actuel où le vote de la loi Olivier a exacerbé ces accusations de puritanisme, il est important d’examiner la relation entre puritanisme et prostitution et en particulier de déterminer si les Puritains étaient aussi opposés à la prostitution et aussi « réprimés sexuellement » que semblent le croire les anti-abolitionnistes.

QUI ETAIENT LES PURITAINS, BREF RAPPEL HISTORIQUE

En Grande-Bretagne, l’ère victorienne — qui consacre le triomphe des valeurs familiales bourgeoises en réaction aux « mœurs licencieuses » de l’aristocratie sous la Régence- est considérée comme l’ère puritaine par excellence.

Il est alors prescrit aux femmes « bien » de se consacrer entièrement à leurs devoirs de mère et d’épouse : renvoyées à la sphère domestique, elles n’ont pas d’existence civile, sont totalement dépendantes de leurs maris et leur assujettissement conjugal a rarement été aussi complet. Les biens de la femme deviennent propriété du mari lors du mariage et le restent même si elle quitte le domicile commun pour échapper à ses violences, et dans ce cas il a le droit de la kidnapper pour la récupérer et de la séquestrer.

Ces épouses bourgeoises peuvent d’autant mieux se consacrer à leur vocation d’« anges du foyer » qu’elles sont censées ne pas ressentir de désir sexuel, ou peu : « the majority of women are not much troubled by sexual feelings of any kind” écrit le vénérologue William Acton ( “The Functions and Disorders of the Reproductive Organs”). Qui ajoute: « l’amour du foyer, des enfants et des devoirs domestiques sont les seules passions qu’elles ressentent ».

C’est une idée communément admise alors que « les femmes sont pures mais pas les hommes » car elles ne sont pas soumises à la tyrannie des instincts sexuels (William Makepeace Thackeray, auteur du roman qui a inspiré le film « Barry Lyndon », »Pendennis”). De ce fait, elles sont assignées au rôle de gardiennes de la morale—c’est elles qui doivent purifier les hommes et les garder sur le droit chemin, notamment par les liens sacrés du mariage. Et c’est justement parce qu’elles sont pures que le Premier ministre Gladstone affirme qu’elles ne doivent pas voter : la brutalité des joutes politiques offusquerait leur délicate sensibilité. Cette notion de la femme sans libido est un apport du puritanisme victorien et n’était pas généralement admise au XVIIIème siècle.

Si les épouses sont tenues à la fidélité conjugale, les époux continuent par contre d’avoir toute liberté de pratiquer tous types d’ébats sexuels avec des femmes autres que la leur, et la loi sur le divorce (passée en 1858) qui ne reconnaît pas l’adultère de l’homme comme motif de divorce–contrairement à celui de la femme–sanctionne cette liberté.

Des autorités religieuses de l’époque peuvent bien porter une condamnation morale contre la prostitution mais aucun victorien ne songe sérieusement à s’y opposer : elle est jugée regrettable mais inévitable, « un mal nécessaire pour protéger la pureté des filles et des femmes et la sainteté du mariage », écrit encore Acton. S. Kent précise que ce mal nécessaire « protège les femmes pures qui sinon pourraient involontairement provoquer le mâle à les violer » (Susan Kent, “Sex and Suffrage in Britain”).

Le même auteur ajoute qu’elle est absolument indispensable parce qu’elle sert une finalité biologique : elle répond à « l’urgence des pulsions masculines et à la nécessité de les soulager ».

Dans ce discours victorien, les pulsions sexuelles masculines sont à la fois impératives et fondamentalement dangereuses : les hommes sont « par nature » sexuellement agressifs, aucune femme n’est à l’abri, et si cette agression sexuelle tous azimuths n’était pas canalisée, les femmes respectables elles-mêmes pourraient en être la cible.

Cet argument de la prostitution qui protégerait les femmes contre le viol figure toujours en vedette dans l’argumentaire des défenseurs actuels de la prostitution. Et selon eux, ce risque de viol proviendrait identiquement des « pulsions masculines incontrôlables ». Dans la version moderne, les hommes seraient esclaves de leur testostérone (ou de la nécessité physiologique de vider leurs testicules), régis par des déterminismes biologiques qui les poussent à commettre des violences sexuelles et qu’ils seraient impuissants à maîtriser.

Evidemment, le postulat des pulsions sexuelles, même dangereuses, qui ne doivent pas être réprimées ne concerne ni les femmes, ni les homosexuels ni les hommes de couleur.

Dans une telle situation où tout homme pourrait violer n’importe quelle femme, le droit de propriété exclusif des maris sur leurs épouses ne serait plus garanti, ce qui déchaînerait des affrontements pour la possession des femmes : la solidarité masculine serait rompue.

Pour concilier préservation du pacte patriarcal et soulagement pulsionnel masculin, le discours victorien préconise que celui-ci soit dirigé vers certaines catégories de femmes dont le viol est jugé sans conséquence : celles qui appartiennent aux classes inférieures qui—ça tombe bien—sont considérées à l’époque comme hypersexuées, donc faites pour ça.

Dans cette logique, une catégorie de femmes –les putains—est désignée comme cible légitime des agressions sexuelles masculines et doit être sacrifiée pour préserver l’autre—les épouses ; cette nécessité de « faire la part du feu » en définissant deux types de femmes, celles que l’on peut violer et celles que l’on ne peut pas violer, est clairement exprimée dans des textes de l’époque qui constatent que, regrettablement, le « sacrifice des femmes pauvres à la lubricité masculine » est inévitable.

C’est le fait même que le puritanisme victorien fétichise la pureté des femmes tout en légitimant le libertinage des époux qui rend indispensable l’existence d’une classe de prostituées censées servir d’abcès de fixation aux pulsions masculines. Loin de s’opposer à la prostitution, les victoriens la considèrent donc comme absolument indispensable à la protection de la chasteté féminine, de la famille et de l’ordre moral.

Dans la vision puritaine de la prostitution, celle-ci n’est pas un simple privilège masculin, elle est une institution d’utilité publique (4 On trouve originellement cette conception de la prostitution comme mal nécessaire pour le bien commun dans des écrits chrétiens comme ceux de Saint Augustin et Saint Thomas d’Aquin..)

Si cette question de la prostitution préoccupe beaucoup les victoriens, ce n’est pas parce qu’ils veulent la réduire mais au contraire l’organiser et la réglementer. C’est ce qui est fait avec les « Contagious Diseases Acts » dès 1864, passés dans le but d’augmenter le contrôle social sur les prostituées, vues comme dangereuses à cause des maladies vénériennes qu’elles sont censées propager et de la criminalité qui se développe autour de leur commerce.

La seule prostitution que les législateurs veulent faire disparaître, c’est la prostitution de rue qui crée des désordres et dont la vue les choque : ils veulent la rendre invisible en obligeant les prostituées à exercer dans des lieux clos. Ils veulent aussi que disparaisse la prostitution « sauvage » et pour cela, les filles devront être enregistrées auprès des services de police. D’après les historiens, ces réformes n’auront guère pour résultat que d’augmenter le pouvoir des proxénètes sur les « filles publiques ».

Bien sûr, si l’Angleterre et la France (dont s’inspirent les Anglais) sont prises alors d’une véritable frénésie règlementariste, ce n’est pas pour protéger les prostituées. Ce qui motive l’approche règlementariste, c’est la protection des hommes, en particulier de leur santé en tant que clients susceptibles d’être infectés par des MST : des informations alarmantes circulent sur le taux de contamination de la population masculine, en particulier des soldats : 1 sur 3 serait affecté, la syphilis saperait l’aptitude au combat de l’armée britannique et produirait des individus dégénérés. Suite aux Contagious Diseases Acts, les prostituées enregistrées ayant pour clients des soldats ou des marins sont désormais soumises à des visites médicales régulières et la police peut contraindre à un examen médical et à un séjour prolongé en hospice toute femme prostituée ou suspectée de l’être. Examen qui ne concerne évidemment pas les clients responsables de leur contamination.

Cette idée que la prostitution est socialement utile mais doit être encadrée par des règlements stricts pour réduire ses nuisances (comme le racolage dans les quartiers bourgeois) est toujours soutenue par les anti-abolitionnistes. Bien que le règlementarisme historique n’ait pas davantage réussi à faire disparaître la prostitution sauvage qu’à réduire la propagation des maladies vénériennes, un mouvement néo-règlementariste a fait sa réapparition il y a une vingtaine d’années et ses positions ont obtenu gain de cause dans plusieurs pays.

Ceux qui sont revenus au règlementarisme malgré l’échec de celui-ci au XIXème siècle ont connu les mêmes résultats : une explosion de la prostitution, légale mais surtout illégale, accompagnée d’un développement exponentiel des réseaux de trafic et de proxénétisme et de la criminalité qui en découle. Et les Eros Centers installés dans les centres urbains n’ont pas davantage amélioré la condition des personnes prostituées que les bordels d’autrefois .

STIGMATISATION

Dans l’Angleterre victorienne, les prostituées sont plus que jamais méprisées—les termes utilisés pour les désigner sont « femme tombée », « pariah », « dépravée », « perverse » et « lépreuse »–elles sont vues comme des tentatrices qui piègent les mâles innocents ou au mieux comme des pécheresses à ramener dans le droit chemin.

Leurs clients, en revanche, bénéficient d’une complète indulgence sociale : « on ne peut faire de comparaison entre les prostituées et les hommes qui les fréquentent : pour l’un des sexes, l’offense est commise pour l’appât du gain, pour l’autre, c’est une faiblesse due à une pulsion naturelle » écrivent les auteurs du rapport de la Commission Royale sur la prostitution en 1871.

Ce discours qui excuse les clients et accable les prostituées comme seules causes de l’existence de la prostitution parait contradictoire puisqu’il identifie sexualité masculine et agression sexuelle. Mais lorsque des hommes commettent des actes sexuels « immoraux », y compris avec des enfants, ils sont exonérés de toute responsabilité et l’immoralité est le fait des victimes puisque l’opinion reçue est qu’ils ont été séduits et provoqués.

Au 21ème siècle, non seulement ce sont toujours les femmes économiquement vulnérables qui fournissent les gros bataillons de la prostitution mais le discours qui excuse les acheteurs de rapports sexuels tarifés et stigmatise les prostituées qui les vendent est toujours en place, avec peu de changements.

Ceux qui soutiennent que la prostitution est « un métier comme un autre » considèrent en fait que la prostitution est surtout « un métier pour les autres » : pour les pauvres et les immigrées, pas pour les femmes de leur famille ou de leur classe sociale. A Pascal Bruckner, tenant de la thèse « un métier comme un autre », un écrivain connu avait répondu que « dans ce cas-là sa fille pourrait le faire ». Bruckner a fait un procès à l’auteur et au magazine qui l’avait publié et l’a gagné.

De même que persiste le discours qui innocente les agresseurs sexuels en invoquant la provocation de la part de celles qui en sont victimes.

DOUBLE STANDARD

Deux poids deux mesures: le puritanisme victorien incarne une version exacerbée du double standard. Aux femmes destinées à être des épouses, la sexualité conjugale reproductrice « vanille », toute autre forme d’expression sexuelle leur vaut d’être socialement ostracisées, voire excisées : l’ablation du clitoris était pratiquée par certains médecins victoriens pour « guérir » des femmes diagnostiquées comme hystériques, masturbatrices ou nymphomanes.

Seules les prostituées et les femmes des classes inférieures sont vues comme possédant ces «bas instincts» sexuels ; hypersexuées, elles sont considérées comme physiologiquement différentes des femmes honnêtes.

Fantasmes dont il reste quelque chose chez des avocats actuels de la prostitution qui prétendent que si certaines femmes se prostituent, c’est parce qu’elles « aiment ça ».

RÉPRESSION SEXUELLE DES FEMMES

Le puritanisme n’est donc pas du tout une répression tous azimuths de la sexualité ; en fait, seule la sexualité féminine est réprimée :

- réprimée chez les bourgeoises que le discours victorien prétend dénuées de libido, tout en affirmant contradictoirement qu’elles doivent être sévèrement punies si elles persistent à en avoir une.

- réprimée chez les prostituées dont la sexualité n’est reconnue que dans la mesure où celle-ci se limite à satisfaire les exigences sexuelles de leurs clients.

Dans les deux cas, la possibilité que la sexualité féminine puisse être autodéterminée et autocentrée est impensable ; dans l’idéologie victorienne, seule la libération des pulsions masculines est licite et les femmes n’en sont que le réceptacle.

ÉROTISATION DE LA SUBORDINATION

Pour le victorien, c’est le fait même que les prostituées sont dégradées—par leur activité, par leur sexe, leur classe sociale—qui les rend sexuellement excitantes : le désir éprouvé pour une femme est directement proportionnel à son infériorisation.

Freud, victorien typique, a parlé à ce sujet du besoin masculin d’un « objet sexuel rabaissé » : l’homme ne peut ressentir d’excitation sexuelle que s’il méprise sa partenaire, la subordination est non seulement érotisée, elle est la condition même de l’érotisation.

En conséquence, la sexualité victorienne radicalise l’opposition maman/putain , le puritain-type veut que sa femme soit pure et irréprochable et que sa « pute » (diraient les 343 salauds) soit dépravée et lubrique ; c’est l’homme respectable qui va au bordel le samedi soir et le dimanche matin au temple : Dr Jekyll et Mr Hyde. Ce n’est pas un hasard si le personnage à deux faces de Robert Louis Stevenson a été inventé en pleine ère victorienne.

Le revers de toutes les sociétés puritaines proposant un idéal de moralité inaccessible est évidemment l’hypocrisie : « les hommes aiment une classe de femmes, leurs épouses, mais ils ont recours à des prostituées pour le sexe, tout en prêchant la pureté pour leurs femmes ». remarque W. R. Greg (5. W.R Greg, “Prostitution”, The Westminster Review, 1850). Tel avocat de la pureté des épouses comme Patmore, qui célèbre dans ses écrits la figure de l’épouse « ange du foyer » avait une très importante bibliothèque pornographique : beaucoup de victoriens violaient secrètement le code moral qu’ils préconisaient. Ce qui est condamné socialement, ce n’est pas tant le vice—tant qu’il reste caché–, que sa révélation, qui provoque le scandale.

Même si la distinction entre ces deux catégories maman/putain est un peu brouillée de nos jours, de nombreux de clients modernes de la prostitution arguent qu’ils ont certains fantasmes qu’ils n’osent pas ou ne veulent pas demander à leur compagne de réaliser, précisément parce qu’ils la respectent. Ou ils confient qu’ils ne désirent plus leur femme , trop convenable pour être excitante, d’où leur recours à des prostituées.

Dans les deux cas, ils laissent entendre qu’ils ne peuvent atteindre une excitation sexuelle intense qu’avec une femme de statut social et moral dégradé : c’est l’existence d’un différentiel hiérarchique entre eux et leur partenaire qui conditionne leur érection, à la différence de genre venant s’ajouter celles de classe et –suite à la globalisation– de « race ».

Pour ces hommes, la sexualité sert toujours à acter leur statut de dominant, tout rapport sexuel fonctionne ainsi implicitement ou explicitement sur un schéma SM, et la jouissance sexuelle est surtout la jouissance du sentiment de pouvoir que leur procure le rapport sexuel.

Bien plus, pour nombre de clients de la prostitution moderne, le recours aux prostituées est recherché comme donnant accès au seul espace (avec le porno) encore non contaminé par les principes d’égalité des sexes, où ils peuvent retrouver le degré de soumission féminine qui existait dans les sociétés du XIXème siècle et dont ils regrettent amèrement la disparition.

PEUR D’UNE SEXUALITÉ FÉMININE AUTONOME

Entre frigide et insatiable, clairement, la sexualité féminine est anxiogène pour les victoriens; dans leur vision, la femme enjôleuse et tentatrice laissée libre d’utiliser son pouvoir sexuel à sa guise peut faire tomber l’homme dans ses filets, le manipuler comme un pantin et l’évincer de sa position de dominant.

Les images de femmes fatales, dominatrices et « castratrices » abondent dans la peinture de l’époque : Messaline, Salomé, Dalilah, etc. Ces figures maléfiques expriment la « panique morale » masculine devant tout possibilité d’autonomie sexuelle féminine, hypothèse absolument terrifiante dans les sociétés puritaines–chrétiennes comme musulmanes.

Que le corps et la sexualité des femmes puissent échapper au contrôle des hommes, non seulement c’est une menace pour l’autorité et l’ordre rationnel masculins mais cela met en péril la virilité même : face à des femmes sexuellement non soumises, les hommes ont peur de ne plus avoir d’érections–l’égalité des sexes empêcherait de bander.

Evidemment, dans cette conception où le rapport sexuel présuppose et confirme l’inégalité des partenaires, la sexualité est complètement phagocytée par le politique : il ne s’agit pas tant de jouir sensuellement du corps de l’autre que d’affirmer son pouvoir sur lui.

Ces peurs et ces fantasmes sous-tendent encore l’argumentation des rétrogrades qui défendent la prostitution au 21ème siècle :

- désir de contrôler le corps des femmes—la loi espagnole interdisant l’avortement témoigne que ce désir n’a pas disparu et ne demande que des circonstances favorables pour s’exprimer.

- désir de contrôler la sexualité des femmes : dans la prostitution, en payant ; dans les rapports hétérosexuels, en imposant comme « sexualité » une sexualité masculine centrée sur la pénétration.

- désir de continuer à disposer d’une catégorie de femmes vouées à les servir sexuellement.

- revendication de l’inégalité comme indispensable au désir, peur d’être dévirilisé par la montée en puissance des femmes , toute manifestation d’indépendance féminine conjure un fantasme d’impuissance sexuelle, qui signifie perte de pouvoir tout court : des hommes devenus impuissants perdraient nécessairement toute autorité sur les femmes.

NO LIMITS NO LAWS

Dans la gestion de la sexualité puritaine, à la répression obsessionnelle de la sexualité féminine répond la libération encouragée et organisée des pulsions masculines, posées comme non négociables. Hormis le droit de propriété des autres hommes sur leurs femmes, certains soucis d’hygiène et d’ordre public et le respect des convenances, non seulement rien ne doit en entraver ou restreindre l’expression mais tout doit être fait pour qu’elles puissent être assouvies partout et toujours.

Aux hommes, une large gamme d’options sexuelles est offerte, pourvu qu’ils puissent payer. Malgré –ou à cause—de la réprobation exprimée par les autorités morales et religieuses, la prostitution prospère: la seule ville de Londres, selon la revue médicale ‘The Lancet’, aurait compté environ 80 000 prostituées (pour 2,3 millions d’habitants) en 1887, soit deux fois plus que le nombre actuel de prostituées estimé par l’OCRTEH pour toute la France.

A l’apogée du puritanisme victorien correspond donc une apogée de la prostitution, les années 1850 ont été nommées « the golden years of prostitution » par des historiens.

La prostitution est omniprésente dans les rues des grandes villes anglaises : les salaires de misère payés aux jeunes ouvrières les obligent pratiquement à se prostituer pour survivre.

Contre argent, toutes les perversions peuvent être satisfaites, il existe des bordels pour tous les goûts : SM, homosexuels, petites filles ou petits garçons, etc. L’âge requis pour le consentement était 13 ans, et la plupart des prostituées entraient dans le métier vers 11/12 ans.

L’apparition de la photographie entraîne aussi une production considérable de matériel pornographique déclinant pareillement toute la gamme des fantasmes masculins : SM, inceste, viol, pédophilie, orgies. Des « bottins » sont publiés régulièrement listant des centaines de prostituées, avec leurs photos, leurs spécialités et leurs tarifs : l’ère victorienne est aussi un âge d’or de la pornographie.

Les hommes respectables osent les pires violences sur les enfants et les femmes pauvres sans encourir de réprobation ou de sanction sociale : la courtisane Cora Pearl raconte dans ses mémoires comment à l’âge de 13 ans, ayant été abordée dans la rue par un bourgeois qui lui offrit d’aller manger des gâteaux dans un café, elle perdit connaissance après avoir bu une limonade et se retrouva quelques heures après dans un lit avec du sang entre les jambes.

L’auteur inconnu de « My Secret Life », journal de sa vie sexuelle tenu par un riche bourgeois dont l’identité n’a pas été élucidée, raconte sans aucun embarras comment, contre argent comptant, il peut régulièrement violer des petites filles de 10 ans (6. My Secret Life (1888), Walter http://en.wikipedia.org/wiki/My_Secret_Life_(erotica)). Rien n’est fait pour réprimer de tels comportements, la loi reste en dehors de la sphère privée, les conduites masculines les plus abjectes sont sanctuarisées par le pouvoir de ceux qui s’y livrent, et les victimes se taisent.

Ce n’est que vers les années 1880 qu’une vraie mise en cause de la prostitution des enfants se fait jour dans l’opinion, suite en particulier à une série d’articles écrits par le journaliste W.T. Stead intitulés « The Maiden Tribute of Modern Babylon » (7. W.T. Stead, “The Maiden Tribute of Modern Babylon”, Pall Mall Gazette, juillet 1885). Celui-ci avait été écoeuré de découvrir à quel point ces pratiques pédophiles étaient répandues, et surtout que les autorités en étaient pleinement informées mais fermaient les yeux eu égard au rang social des pédophiles. Ses évocations des « chambres capitonnées où des débauchés des classes supérieures pouvaient …se délecter des cris d’un enfant en bas âge » font l’effet d’un électrochoc sur l’opinion, les législateurs réagissent et cette campagne aboutira au passage de la « Criminal Law Amendment Act » de 1885.

Suggérer comme le font les pro-prostitution actuels que puritanisme = abolitionnisme et répression sexuelle est donc un contresens total : en fait, le puritanisme est un fondamentalisme patriarcal, la pureté sexuelle chère aux puritains n’est réellement exigée que des femmes et cette injonction de pureté permet de maximiser le contrôle masculin et la répression sexuelle dont elles font l’objet. Andrea Dworkin a très bien compris que le puritanisme n’était qu’une ruse patriarcale, une « stratégie masculine pour garder le pénis caché, tabou et sacré ».

Corrélativement, si la prostitution fait l’objet d’une condamnation hypocrite dans les sociétés dites puritaines, elle y bénéficie en réalité d’un large soutien social et institutionnel.

Epouses plus ou moins asexuées pour le service domestique et reproductif et « filles publiques » hypersexuées pour le service sexuel : « le code victorien est fondé sur le partenariat prostitution/mariage ».

J’ai pris pour exemple le puritanisme victorien mais des systèmes de prescriptions et d’interdits similaires axés sur la même obsession de la pureté féminine encadrent les femmes dans toutes les sociétés puritaines, aux Etats-Unis à la période coloniale comme dans des cultures non occidentales. On sait par des exemples récents que les bordels et la prostitution de rue ne disparaissent pas dans les pays où des régimes fondamentalistes ultra-religieux mettant en oeuvre un contrôle très strict des femmes arrivent au pouvoir : la prostitution (par exemple sous la forme coranique du mariage temporaire) n’a pas disparu en Afghanistan au temps des talibans et pas davantage en Egypte sous le gouvernement Morsi. En Turquie, les fondamentalistes religieux de l’AKP (le parti d’Erdogan) loin de chercher à abolir la prostitution, l’ont réglementée : les sociétés puritaines, patriarcales et misogynes, s’accommodent fort bien de l’institution patriarcale et misogyne qu’est la prostitution.

QUI SONT VRAIMENT LES PURITAINS ?

Et donc, face aux accusations de puritanisme lancées par les pro-prostitution contre les féministes abolitionnistes, on doit poser la question : qui sont vraiment les puritains ?

Les anti-abolitionnistes prétendent présenter comme un choix libérateur, moderne et porteur d’empowerment une institution patriarcale plurimillénaire qui, avec le mariage traditionnel, organise la domination des hommes sur les femmes depuis des siècles.

Leur défense de la prostitution repose, avec peu de changements, sur les mêmes archétypes ancestraux et est calquée— parfois mot pour mot—sur celle des puritains victoriens.

Ils se prétendent pro-sexe mais considèrent que leur satisfaction sexuelle exige la destruction de la sexualité des prostituées et la restriction de celle des autres femmes, uniquement autorisées à jouir d’être dominées (cf. Fifty Shades of Grey).

Inversion patriarcale caractérisée : alors que le puritanisme a pour conséquence de renforcer le contrôle masculin sur la sexualité féminine, ils accusent de puritanisme les féministes qui veulent au contraire libérer les femmes de ce contrôle.

ANTISEXE OU ANTI-AGRESSIONS SEXUELLES ?

Qui accuse les féministes d’être puritaines et antisexe ?

Avant Antoine, Elisabeth Lévy, Caubère & co, les défenseurs de DSK ont crié au « retour du puritanisme » quand leur héros a été inculpé pour tentative de viol. Parmi eux, de grands démocrates et hommes de gauche comme Jean-François Kahn et Jack Lang ont montré en quel mépris ils tenaient les femmes et les lois républicaines punissant le viol dès lors que solidarité masculine et copinages politiques étaient en jeu.

A cette occasion, les medias ont repassé en boucle les inusables clichés de comptoir sur le puritanisme des Américains qui— violence inouie —ont osé arrêter un suspect de viol présidentiable.

Les mêmes accusations de puritanisme ont été lancées par les supporters de Roman Polanski (qui sont à peu près les mêmes que ceux de DSK): comment—disaient-ils– pouvait-on tenir rigueur à ce grand artiste de quelques lointaines incartades ?

Pour eux, le scandale n’était pas qu’un homme ayant violé une gamine de 13 ans ait échappé si longtemps à la justice américaine mais que celle-ci ait considéré qu’un artiste riche et célèbre n’était pas pour autant au-dessus des lois : anathème en France, où au contraire le fait de faire partie de l’élite est censé vous conférer protections et passe-droits.

Et tout récemment on retrouve ces accusations sous la plume de Gabriel Matzneff et de ses fans, indignés qu’une pétition ait été lancée contre l’attribution du Prix Renaudot à cet avocat enthousiaste de la pédophilie qui déplorait dans un de ses livres que la bourgeoisie ait érigé un «mur de protection moralisatrice puritaine autour des adolescents ».

Ces accusations de puritanisme ont toujours accompagné le féminisme : les suffragettes étaient déjà traitées de prudes quand elles dénonçaient incestes et viols d’enfants et voulaient faire relever l’âge du consentement à 16 ans.

Et donc :

Dès que les féministes prétendent dénoncer le harcèlement sexuel, le viol et la pédocriminalité et demander que les lois censées les punir soient vraiment appliquées, le chœur des prédateurs sexuels et de leurs admirateurs donne de la voix et hurle au puritanisme.

Que soit dénié aux hommes le droit de violer et de violenter impunément est présenté comme une atteinte insupportable à leur liberté.

Que soit mis en cause leur droit inconditionnel à disposer d’une sous-classe de femmes sexuellement à leur service est vécu comme un déni de justice.

Que certaines osent simplement suggérer que non, les femmes ne sont pas obligées d’avoir des rapports sexuels à la demande ou d’accepter des pratiques pornos dégradantes constitue pour eux une « attaque contre la sexualité masculine ».

Est ainsi qualifiée de puritaine (ou coincée, ou frigide, ou prude), toute femme qui refuse ou pose des limites aux exigences sexuelles masculines. Dans cette stratégie d’intimidation très efficace, toute femme qui ne se soumet pas est désignée comme « anti-sexe », toute dénonciation des violences sexuelles est qualifiée de «retour à l’ordre moral».

Dénoncer les violences sexuelles masculines n’est pas être anti-sexe. Si certains hommes voudraient nous le faire croire, c’est justement parce qu’ils confondent sexualité masculine et agression sexuelle.

Pour ces hommes, même s’ils font mine de les accepter publiquement, les principes d’égalité des sexes ne sont que des mots vides de sens et les lois punissant les violeurs et les pédocriminels des chiffons de papier qu’il n’a jamais été question d’appliquer vraiment ; la seule loi qui compte à leurs yeux, celle qui prime sur toutes les autres, c’est le droit patriarcal intangible d’accès sexuel au corps des femmes.

Sporenda

http://www.isabelle-alonso.com/puritaines-vraiment/
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Pïérô » 13 Nov 2014, 12:56

La prostitution c’est l’ennemi de la libération sexuelle

La prostitution c’est, en réalité, très simple. C’est du sexe entre deux personnes – entre une qui en veut et une qui n’en veut pas. Et comme le désir est absent, le paiement le remplace. Cette inégalité de désir est la base de toute forme de prostitution, qu’il s’agisse de « services d’escorte pour VIP » ou de l’esclavage moderne de la traite. C’est toujours la même chose : une personne veut avoir des relations sexuelles, l’autre non. L’argent peut permettre à l’acheteur d’obtenir un « consentement » et même un semblant de plaisir durant l’acte, mais cela souligne d’autant plus le fait que l’autre partie a un rapport sexuel même si elle ou il ne le veut pas vraiment. Peu importe tout ce qui est dit ou fait pour masquer ce fait, s’il y avait désir mutuel, il n’y aurait pas de paiement – et nous le savons très bien. La prostitution est donc un ennemi de la libération sexuelle, du désir, et du libre arbitre. Ce n’est, bien sûr, qu’un des problèmes associés à la prostitution. Il y a aussi la violence, la pauvreté, le taux élevé de mortalité, les proxénètes – qu’il s’agisse de la mafia ou de l’État – et toute l’industrie qui se nourrit de cette inégalité de désir. Le commerce du sexe est un phénomène hautement genré. Il concerne principalement des femmes et des filles vendues à des hommes : 98% des personnes dont les vies sont vendues dans la traite sont des femmes et des filles. Une minorité sont des hommes et des garçons dont les vies sont vendues à d’autres hommes.

En même temps, on a vu surgir une nouvelle façon de parler de la prostitution : on parle plutôt de « travail sexuel». Ses promoteurs et promotrices disent que la prostitution est un travail, comme n’importe quel autre, que le commerce du sexe ne doit pas être considéré comme une violation de nos droits, mais plus comme un droit en soi, et que nous devrions mettre l’accent sur l’utilisation du préservatif et le paiement approprié. Ces personnes disent que si la prostitution est légalisée, ses aspects négatifs vont disparaître, les autorités seront en mesure de la contrôler et les prostituées pourront constituer des syndicats et être mieux payées. Elles affirment que la prostitution n’est pas dangereuse en soi, que ce qui se passe entre deux adultes consentants ne regarde personne d’autre. On voit assez souvent des organisations féministes ou socialistes servir de porte-voix à ce type d’argumentaire où l’on parle de travail, de syndicats, de droits et d’autodétermination. Dans le monde de la prostitution, le mot « travailler » est depuis longtemps utilisé comme euphémisme pour éviter de nommer ce qui se passe, dans une sorte d’ironie perverse. Quelqu’un demandait : « Tu travailles ? », avec un certain regard, et l’autre personne pigeait. Mais aujourd’hui, le terme « travail » est repris le plus sérieusement du monde par des analystes, des politicien.ne.s et des organisations internationales : la prostitution est devenue un emploi. C’est ce que nous dit aussi bien la gauche postmoderne que la droite néolibérale. Selon cette façon de penser, la prostitution n’a rien à voir avec la relation entre les femmes et les hommes, mais n’est plutôt qu’une simple transaction commerciale. Nous sommes donc sommé.e.s de n’en parler qu’en termes de business. Même si, à l’échelle mondiale, l’immense majorité des personnes dans la prostitution sont des femmes et des filles et l’immense majorité des acheteurs sont des hommes, nous ne devons pas parler de femmes et d’hommes, mais de « vendeurs » et de « clients ». Au lieu de prostitution, nous devrions parler de « sexe tarifé » et, à la place de prostituées, de « travailleurs du sexe » – des termes qui offrent un semblant de neutralité. En Hollande, où tous les aspects de la prostitution sont légaux, les propriétaires de bordels sont appelés « entrepreneurs indépendants » ; en Australie, on parle de « prestataires de services ».

L’équivalent culturel du droit des travailleurs du sexe est le « culte de la pute ». Chez les intellos, célébrer la prostituée est à la mode. La prostituée est top tendance. Le mot « pute » peut pimenter le livre le plus ennuyeux ou la réception la plus insipide ; ça transpire d’exotisme et ça émoustille. On nous parle de plus en plus de « revendiquer » cette étiquette. On parle d’un hommage : la prostituée ayant été méprisée par la société, nous devons maintenant la porter aux nues ! Mais ce geste est, en fait, une façon de se dissocier des femmes prostituées. C’est arborer la « pute » tel un collier : « Je la porte comme un accessoire, ce qui montre que je n’en suis pas une. »

Ce discours sur la travailleuse du sexe est la principale justification contemporaine de l’industrie du sexe, tout comme l’étaient la « putain heureuse » dans les années 60 et le « mal nécessaire » ou « l’exutoire sanitaire » à la fin du XIXe siècle. Il fournit à la société une excuse pour ne pas avoir à résoudre l’exploitation, la misère et les inégalités impliquées par la prostitution. En se développant, l’industrie du sexe cherche à être légalisée et, dans des endroits comme l’Australie, elle a réussi à être côtée en bourse. Le discours de la « travailleuse du sexe » ou du « métier comme un autre » convient parfaitement à l’industrie, tout en offrant à des féministes et à la gauche une excuse pour ne pas agir.

Les réalités de la prostitution, cependant, nous disent autre chose : qu’elle n’est vraiment pas un métier comme un autre. Pour les femmes et les filles dans la prostitution, le taux de mortalité est 40 fois plus élevé que la moyenne. Aucun groupe de femmes, quels que soient leur carrière ou leur parcours de vie, n’a un taux de mortalité aussi élevé que celui des femmes prostituées. La Dre Melissa Farley a coordonné en 2003 une étude d’envergure menée par une équipe de médecins et de psychologues auprès de 800 personnes prostituées dans 9 pays. Les résultats ont montré que 71% des répondantes avaient subi une agression physique dans l’exercice de la prostitution, que 63% y avaient été violées, que 89 % d’entre elles disaient vouloir quitter la prostitution et le feraient si elles en avaient la possibilité. Quelle autre profession présente des données comparables ? À mon avis, toute société qui veut tendre vers l’égalité des sexes, le respect de la vie et de la dignité et vers un avenir digne de ce nom pour les jeunes filles, doit lutter contre la prostitution. Mais pas en luttant contre les prostituées ! Non ! En luttant plutôt contre les exploiteurs : l’industrie et les acheteurs. C’est l’acheteur, pas la prostituée, qui dispose réellement d’un choix.

La Suède a adopté en 1998 une loi interdisant l’achat de services sexuels. C’était la première fois au monde que la législation sur la prostitution ciblait les acheteurs. Cela signifie qu’il est maintenant en Suède parfaitement légal de vendre du sexe n’importe où, mais qu’il est illégal d’en acheter. Cette loi était le résultat de 30 ans de lutte du mouvement des femmes, ainsi que de démarches de travail social et de recherches. Treize ans après l’adoption de cette loi, l’achat de sexe a considérablement diminué. L’industrie du sexe a dû plier bagages et partir, avec la plupart des trafiquants. Auparavant, 1 Suédois sur 8 achetait du sexe ; aujourd’hui, ils ne sont plus que 1 sur 13. En Allemagne, où l’industrie du sexe est légale, 1 homme sur 4 achète du sexe. On a longtemps dit que l’achat de sexe était « naturel » pour les hommes ; mais ces statistiques devraient réfuter cette idée, car si c’était vrai, la proportion d’acheteurs de services sexuels serait la même d’un pays à l’autre. Aujourd’hui en Suède, acheter du sexe est considéré comme quelque chose que seuls les paumés et les marginaux font. Notre génération considère que les vrais hommes peuvent trouver des femmes sans avoir à payer pour ça. Bien sûr, cela ne signifie pas que la prostitution a entièrement disparu. Mais cela indique que nous sommes sur la bonne voie. Exploiter un autre être humain n’est pas « naturel » ou « biologique » – même si l’industrie du sexe veut nous le faire croire. Leur plus grande crainte est que tout le monde ait des relations sexuelles gratuites, par désir – ce qui signifierait la fin de leur marché. Comme un rapport sur l’industrie du sexe australienne l’écrit noir sur blanc : « l’avenir de l’industrie du sexe semble bon, malgré la « concurrence du sexe non tarifé ». Désormais nous le savons : chaque fois que nous avons un rapport sexuel sans payer, nous cassons le marché de l’industrie du sexe.



Kajsa Ekis Ekman Auteure de L’être et la marchandise – prostitution, maternité de substitution et dissociation soi (Montréal : M éditeur, 2013) et de Stolen Spring, (Κλεμμένη Ανοιξη Athènes : Kedros Publishers, 2014) sur la crise de l’euro et son impact en Grèce. Version originale : http://ressourcesprostitution.wordpress ... iberation/ Traduction : TRADFEM

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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Christine » 27 Déc 2014, 09:21

« Chaque fois que nous prenons la parole, les féministes « pro sexe » font de leur mieux pour nous faire taire »

Rachel Moran

« Voici le texte de mon allocution à la conférence FemiFest 2014, pour toute personne intéressée:

J’aimerais tout d’abord vous parler un peu de ce que le féminisme radical signifie pour moi dans le cadre de mon travail de militante abolitionniste, et aussi au sens affectif, à titre de survivante de l’industrie du sexe. Il y a trois ans, quand j’ai commencé à écrire anonymement des articles de journal et des blogs sous le nom de plume FreeIrishWoman, j’ai remarqué assez vite que mes paroles étaient partagées et diffusées par un groupe particulier de féministes: les féministes radicales. Comme les souvenirs que je décrivais étaient les expériences d’une adolescente de quinze ans, sans abri, socialement désavouée et prostituée, je m’attendais naturellement au soutien de la communauté féministe. En même temps, je n’étais pas complètement ignorante des divisions politiques entre celles qui se décrivent comme féministes, sinon ç’aurait été un choc pour moi de découvrir que, si mes paroles et expériences étaient honorées et partagées par les féministes radicales, elles étaient aussi largement ridiculisées et voyaient leur authenticité contestée sans relâche par certaines de celles qui se faisaient appeler féministes libérales.

Le féminisme libéral – qui soutient que tout ce que fait une femme peut être autonomisant (empowering) du moment qu’elle ne le fait pas avec une arme à feu pointée sur la tempe – m’avait toujours semblé merdique de toute façon; je ne peux donc pas dire que j’ai été terriblement déçue. Mais je me suis sentie blessée et, par-dessus tout, irritée. Il était à la fois blessant et irritant pour moi de savoir qu’il existait une armée entière de jeunes femmes blanches dans la vingtaine, socialement privilégiées, qui parlaient de la prostitution comme le summum de l’autonomisation des femmes. Pour moi, cette évaluation d’une expérience qu’elles n’avaient jamais eue et qu’elles décrétaient inoffensive, malgré le tsunami de preuves attestant de sa nocivité, tout en ayant passé des années à être éduquées dans l’effort de se tenir à l’écart de la classe sociale des femmes qui sont les plus nombreuses à devoir vivre cette expérience, constituait la plus répugnante des formes d’hypocrisie.

Nous qui disons la vérité sur l’industrie mondiale du sexe nous trouvons parfois à deux doigts du désespoir, écrasées sous le poids du préjugé populaire en vigueur, ancré qu’il est dans l’ignorance, à la fois volontaire et maligne, et dans l’inconscience, parfois innocente et, quand elle l’est, d’autant plus frustrante. Nous savons que le patriarcat tire bénéfice de l’existence même de l’industrie mondiale du sexe et de l’anéantissement de la vie d’innombrables femmes. Il est donc exaspérant pour nous toutes d’entendre des féministes libérales régurgiter le discours patriarcal qu’elles ont personnellement acheté et qu’elles essaient de nous vendre, celui selon lequel le noir est le blanc, le haut est le bas, et l’emprisonnement est libérateur. Assimiler le consentement à une libération est le fait des gens qui ignorent que l’oppression ne peut fonctionner sans lui. Mais le consentement à l’oppression, le consentement sous la contrainte, n’a rien d’un consentement véritable. La contrainte transforme le consentement en autre chose, l’éloignant de sa vraie nature. Un véritable consentement sexuel cesse alors d’être possible. Ce consentement sexuel se situe à mille lieues des lois du commerce; il est au-delà de la vente et au-delà de l’achat. La violence sexuelle, par contre, s’accompagne souvent d’un prix et, quand c’est le cas, nous parlons de prostitution.

Je suis fatiguée de l’ignorance des femmes qui ne comprennent pas cela, mais peut-on s’étonner vraiment que la plupart de ces femmes sont, comme je l’ai dit, jeunes, blanches et privilégiées? Je doute qu’aucune des femmes réunies ici aujourd’hui ne s’en étonne, parce que la distance qui sépare les personnes socialement privilégiées des réalités des personnes désavantagées est un phénomène familier aux yeux de toute femme ayant le moindre brin de bon sens politique.

Mais oui, je suis prête à reconnaître que nous sommes fatiguées et frustrées et énervées, et avec raison. Chaque fois que nous prenons la parole, les libérales font de leur mieux pour nous faire taire. Nous en avons vu des exemples au cours des dernières semaines, comme nous le faisons toutes les semaines. Au moment même où je vous parle, des imbéciles diffusent d’Édimbourg à Brighton des pétitions contre cette conférence. Le conseil le plus distingué que je pourrais donner à ces femmes serait de consulter leurs dictionnaires et d’y chercher le mot « féministe ». Bien sûr, malheureusement, je devrais aussi les informer également, d’ignorer dans bien des cas ce qu’elles y trouveront, puisque tant de dictionnaires définissent le féminisme comme une question d’égalité des sexes, ce qui équivaut à mettre la charrue devant les bœufs. Une femme qui croit en l’égalité sociale, économique et politique des sexes n’est pas une féministe, mais une fantaisiste. Nous ne vivons pas dans ce monde; nous n’avons pas l’égalité, et, comme le savent les féministes radicales, une condition préalable de l’égalité est le démantèlement de la suprématie masculine. Nous devons d’abord nous en libérer. Alors, et seulement alors, pourrons-nous peut-être vivre nos vies en égales.

La pure et simple cruauté de la position féministe libérale est aussi quelque chose qui, apparemment, leur échappe. Leur posture nous dit, à nous survivantes de l’industrie du sexe, que chaque viol que nous avons enduré n’avait pas d’importance, que les agressions sexuelles de toutes sortes que nous avons vécues de toutes les manières étaient tout simplement des risques du métier, et que nos viols collectifs n’auraient pas été des viols collectifs si une loi avait simplement forcé ces hommes à nous utiliser un à la fois. Eh bien, j’ai des nouvelles pour elles: les bordels forfaitaires et les « tournantes » organisées sont le dernier cri en Allemagne aujourd’hui. Pour quiconque n’est pas au fait de ces expressions, un bordel forfaitaire est la réponse du système prostitutionnel aux restaurants de type buffet. Les hommes paient un tarif unique, un « forfait » et, pour ce prix, ils peuvent utiliser le ou les corps de femmes pour aussi longtemps qu’ils en sont capables, éjaculant autant de fois qu’ils le souhaitent ou le peuvent. Ces offres sont parfois combinées avec des forfaits de « tournante », qui permettent à cinq ou six ou sept hommes d’arriver au bordel ensemble, de payer leur « forfait » et d’utiliser ensemble le corps d’une femme jusqu’à ce qu’elle puisse à peine tenir debout. On m’a transmis des photographies d’une telle scène dans un bordel allemand. La jeune fille utilisé par une demi-douzaine d’hommes avait dix-neuf ans et était enceinte de sept mois. Voilà le vrai visage de l’industrie réglementée du sexe pour laquelle se battent les féministes libérales.

On a prétendu, dans le milieu des campagnes menées contre cette conférence, que je mettais en danger la vie des femmes qui sont dans la prostitution. De telles accusations révèlent la profondeur de leur aveuglément. Il n’y a jamais eu qu’un groupe de personnes responsables de la mise en danger de ma survie quand j’étais dans la prostitution, et ce n’étaient certainement pas des abolitionnistes; C’étaient les acheteurs de sexe; les mêmes acheteurs de sexe dont les bites ne seront jamais sucées par les féministes libérales qui défendent et proclament le droit de ces hommes à voir leurs bites sucées par d’autres femmes : les femmes économiquement défavorisés, désavantagées au plan éducatif, carencées au plan social et racialement marginalisées.

Alors, où allons-nous, avec nos frustrations? Et que faisons-nous de la colère qui est si inévitable ici, une réaction humaine aussi intrinsèque à l’injustice d’être traitée de menteuse quand on dit la vérité? La première chose que je voudrais vous dire, c’est Courage! Cette situation ne durera pas éternellement. C’est précisément l’hypocrisie de la position féministe libérale qui sera sa perte. La doctrine qui prétend qu’il y a « une autonomisation à tirer de ces expériences (que nous allons tout faire pour nous éviter personnellement) » a une durée de vie limitée. Ce genre d’absurdités possède une date de péremption. Aussi populaire soit-elle et aussi longtemps qu’elle le soit, une telle doctrine est vouée à être discréditée – comme dans la fable des nouveaux vêtements de l’empereur.

J’ai été profondément réconfortée ces dernières années (et surtout au cours des dix-huit derniers mois, depuis la publication de mon autobiographie, Paid For), non seulement par les vérités que j’ai réussi à transmettre, mais par les vérités qui ont été dites par tant d’autres femmes, dont la plupart n’avaient pas eu à vivre ces réalités pour les reconnaître. J’ai été réconfortée de voir, pays après pays, des mouvements abolitionnistes surgir là où il n’en existait pas auparavant, ou reprendre des forces là où ils s’épuisaient. Et partout où j’ai constaté ce renforcement de l’abolitionnisme, j’ai observé une cause commune du mouvement abolitionniste et du mouvement féministe radical, ou, à tout le moins, une forte adhésion des abolitionnistes aux idées-forces du féminisme radical.

La réalité est que l’histoire donne raison aux féministes radicales dans ce dossier : elles sont les seules à bien saisir la conjoncture et les raisons qui l’expliquent. Les féministes socialistes ont mon respect, mais leur portrait de la prostitution n’est pas complet. Celle-ci n’existe pas comme une simple conséquence de la privation de droits économiques pour les femmes. La pauvreté est un facteur propice, mais pas une raison. Les facteurs propices ne sont pas des raisons. Ce sont simplement des facteurs propices. La prostitution existe pour une seule raison, et cette raison est la demande masculine. Aucune quantité de pauvreté n’arriverait à créer la prostitution si ce n’était de la demande masculine.

Je suis venue ici aujourd’hui pour faire appel au soutien de chacune des femmes de cette salle dans la lutte contre ce fléau qui pèse presque exclusivement sur les filles et les femmes. Nous devons lutter contre lui, pas en arrachant les feuilles, ni en en taillant les branches, ni même en le coupant au niveau du tronc; nous devons arracher cet arbre avec ses racines. Aussi difficile que semble cette tâche, nous avons déjà les outils pour le faire. Nous ne sommes, heureusement, ni aussi mystifiées que les libérales, ni aussi entravées dans notre compréhension que les socialistes. Nous savons que la prostitution est à la fois une conséquence et une excellente preuve de la subordination des femmes, et c’est à partir de ce savoir que nous pouvons la démanteler. Il est très important que nous ne reculions jamais d’un pouce dans cette lutte. Nous ne devons jamais céder aux tactiques du lobby pro-prostitution, dont la première est de prétendre que la prostitution n’est pas une question morale. Permettez-moi de le dire devant vous et à la face du : Vous pouvez être sacrément sûre que la prostitution est une question morale, comme les droits humains le sont toujours.

Le lobby pro-prostitution prétend que les abolitionnistes se livrent à une «croisade morale» pour débarrasser le monde de la prostitution. Croisade est ici un terme péjoratif, et il est associé à la morale pour entacher celle-ci de sa dérision méprisante. La morale, nous dit-on, est négative, mal fondée et, au fond, mal. L’idiotie évidente de qualifier de mal le discernement entre le bien et le mal échappe apparemment à certaines personnes.

Je suis fatiguée d’entendre les gens faire précéder des arguments abolitionnistes de la phrase « je ne suis pas moraliste, mais… » Nous sommes toutes et tous des moralistes, à moins d’être des psychopathes, et depuis quand la morale est-elle un mot répréhensible? Voici la réponse : la morale est devenue répréhensible lorsque certaines personnes ont trouvé profitable que nous détournions le regard de leurs activités et faisions comme si la morale était ici nulle et non avenue. D’ailleurs, vous constaterez qu’à maintes reprises, les gens qui épousent cette position défendent quelque chose de manifestement incorrect, d’où leur insistance à interdire que la morale ait voix au chapitre.

On assiste aussi à la prétention absurde que les personnes qui s’opposent à la prostitution le font nécessairement d’un point de vue religieux, comme s’il y avait quelque pénurie d’athées éthiques dans le monde. Les principes moraux qui régissent ou influencent nos actes n’ont souvent aucune autre base que notre propre sentiment inné de ce qui est ou non un comportement humain nuisible. La prostitution nuit à la psyché humaine à tous les niveaux imaginables; c’est précisément son caractère nuisible et dégradant qui donne instantanément lieu à un sentiment de répulsion quand nous imaginons la prostitution au centre de la vie des femmes que nous aimons.

Donc, demeurons fermes sur ces points: que la prostitution existe en raison de la demande masculine, et que nous savons très bien et ne cèderons pas dans notre affirmation qu’elle est carrément mauvaise. Il y a une raison pour laquelle on nous combat aussi constamment sur ces points; c’est que nos adversaires savent que nous pouvons les vaincre.

Laissez-moi vous répéter que je suis venue ici aujourd’hui pour demander le soutien de toutes les femmes de cette salle dans la lutte contre la prostitution. Veuillez entendre cela comme un appel à l’action. Partout en Europe, nos politiciens et politiciennes commencent à discuter de la prostitution plus fréquemment. En février dernier, le Parlement européen a voté à une écrasante majorité l’adoption du rapport Honeyball, qui appelle à l’adoption du modèle nordique dans toute l’Europe. Lorsque vos politicien.ne.s prennent la parole en ce sens, veuillez les appuyer par des lettres à la fois publiques et privées. Quand ils et elles ne le font pas, veuillez les encourager à le faire. Quand vous voyez des campagnes abolitionnistes émerger – et vous en verrez plusieurs; le mouvement abolitionniste progresse – veuillez lui prêter votre temps et votre énergie et votre voix.

Je collabore à un groupe appelé SPACE International. SPACE est l’acronyme de ‘Survivors of Prostitution-Abuse Calling for Enlightenment’ (Survivantes des violences de la prostitution appelant à une prise de conscience). Nos membres proviennent déjà de sept pays et nous avons toutes fait le douloureux sacrifice de parler publiquement de la violence que nous avons vécue dans l’industrie du sexe. Nous avons des ami.e.s et des allié.e.s dans plusieurs organisations internationales et nous gagnons du terrain, mais nous ne pouvons réussir sans le soutien des femmes du grand public. Je vous encourage à rejoindre RadFemUK et d’autres organisations comme elles, et à soutenir leurs actions en partageant et en diffusant leurs campagnes et leurs documents. Nous avons besoin d’un raz-de-marée d’appuis de la part des femmes, mais il se peut que, pour que cela se produise, nous devions rappeler aux femmes que le corps de leurs filles serait aussi tout aussi accueilli dans les bordels et les quartiers chauds que les nôtres l’ont été, si les circonstances de leur vie devaient les amener là. »

Rachel Moran

Copyright : Rachel Moran, December 2014.

Original : http://www.facebook.com/rachel.moran.52 ... nref=story
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Béatrice » 08 Fév 2015, 20:18

" DSK Carlton: des élus savaient et protègent la prostitution "

( article de Patric Jean, porte-parole de ZEROMACHO )

http://blogs.mediapart.fr/blog/patricje ... ostitution
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Re: Contre le système prostitutionnel: libertaire vs libéral

Messagede Béatrice » 12 Fév 2015, 10:10

La loi d’abolition de la prostitution amarre enfin au Sénat !

Communiqué de presse des efFRONTé-e-s du 11 février 2015 :

Victoire d’étape !
La loi d’abolition de la prostitution amarre enfin au Sénat,
14 mois après son départ de l’Assemblée !

Les efFRONTé-e-s se réjouissent que la proposition de loi luttant contre le système prostitutionnel soit ENFIN inscrite à l’ordre du jour du Sénat, les 30 et 31 mars 2015, quatorze mois après son vote à l’Assemblée Nationale.

Hier matin, nous avons co-organisé une action en présence de Rosen Hicher, ancienne personne prostituée, près du Sénat et avons été reçues par la Présidence du Sénat. Rosen Hicher et la délégation qui l’accompagnait ont pu plaider pour que la proposition de loi soit enfin débattue démocratiquement, et ont déposé la pétition de 30 000 signatures.

Les efFRONTé-e-s suivent aussi le procès du Carlton, mettant en cause ces hommes puissants qui auraient profité de leurs privilèges pour dominer et maltraiter celles qui sont parmi les plus vulnérables, des femmes, des jeunes, des pauvres, des migrantes en situation de prostitution.

Comme nous le révèlent les éléments médiatisés du procès, ces clients ne traitaient pas ces femmes de « travailleuses du sexe », mais de « dossiers », de « matériel », de « marchandise », de « cheptel ».

Nous espérons que les préjugés et fantasmes sur le système prostitueur commenceront à chanceler. Certains ont essayé de nous faire croire qu’il y avait deux prostitutions, une prostitution de rue liée à la traite, sale, violente et condamnable, et une prostitution propre, souhaitable, qui relève du travail du sexe et non de la violence patriarcale. La lumière crue qui éclaire l’affaire du Carlton, et la parole publique des principales intéressées, ébranlent cette propagande. Ces femmes se disent tout autant humiliées, maltraitées, dominées et en souffrance que celles qui sont sur le trottoir. La réalité de la prostitution est enfin nue ! Les rapports sexuels tarifés, non désirés par l’ensemble des partenaires, sont bien des violences.

Les efFRONTé-e-s saluent le courage de ces femmes qui ont décidé de se porter partie civile dans le procès, pour que la honte change de camp. Beaucoup de procès historiques ont transformé la société grâce au courage de celles et ceux qui le portaient, pour le droit à l’avortement, contre le viol, contre les violences. Elles sont à nos yeux ces mêmes héroïnes, dont le courage va faire avancer d’un pas toute la société vers la prise de conscience.

Les efFRONTé-e-s militeront à présent pour que soit votée une loi complète, efficace, appliquée et dotée de moyens.

Contact:
Fatima Benomar – 06 75 86 61 31

https://effrontees.wordpress.com/2015/02/11/3658/
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