Anarchiste Individualiste/Collectiviste

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Messagede gilsun » 12 Jan 2015, 02:20

Bonjour à tous, étant sur un forum communiste libertaire j'aimerai de votre part une certaine objectivité sachant le conflit prononcé de ces deux courants. J'aimerai dans ce topique tenter de faire une sorte de synthèse de, premièrement ce qui sépare l'anarchiste individualiste du collectiviste et dans un second temps de ce qui le rapproche en s'appuyant de références.
Je sais pertinemment que la rupture est violente, mais ne serais-ce pas le moyen d'en montrer les aspects fondamentaux qui les sépares et à quel moment la distinction est moins claire (par exemple dans le côté pratique des luttes) ?

Je vous remercie d'avance de votre participation.

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Re: Anarchiste Individualiste/Collectiviste

Messagede Pïérô » 12 Jan 2015, 20:16

Tout d’abord je pense qu’il semble important d’énoncer le fait que l’anarchisme comme mouvement politique, revendiqué en tant que tel, apparait dans la période de l’émergence des idées et du courant socialiste qui s’oppose au capitalisme, et s’inscrit dans le mouvement ouvrier révolutionnaire naissant. Ce n’est pas un mouvement homogène ni figé, et il ne l’est toujours pas d’ailleurs, et il va connaitre une évolution importante au cours de la fin du 19e siècle, une évolution qui amènera des différenciations reposant tant sur le fond que sur la forme (les pratiques). Dans un premier temps c’est entre proudhoniens, mutuellistes, et collectivistes qu’une divergence d’importance se fera jour et éclatera lors de la première internationale dans laquelle ces courants s’opposeront. Par la suite c’est pendant et après la tentative de relancer l’internationale, avec l’internationale anti-autoritaire, que vont apparaitre d’autres clivages, le mouvement anarchiste penchant globalement pour le communisme, s’en appropriant le terme et le sens. Dans le domaine de la pratique, il devenait de plus en plus évident qu’il était important de construire de l’organisation collective, tant dans le domaine des luttes ouvrières que celui de l’anarchisme. Des anarchistes, surtout en France, encore très marqués par le proudhonisme et aussi le blanquisme, ont maintenu une ligne dite insurrectionnaliste et se démarquent d’une ligne communiste qu’il jugent néfaste à l’épanouissement individuel (je parle pour la France, c'est autrement en Italie par exemple avec un courant anarchiste-communiste insurrectionnaliste). Pour se démarquer, il emploient le terme “d’individualistes”, et il s’agit dans un premier temps d’un démarquage même par rapport au terme d’anarchiste. L’insurrectionnalisme à la Blanqui, le libéralisme anti-communiste de Proudhon, et pour certains une exacerbation du “Moi”, de "l’individu au dessus du troupeau", etc..., c’est un peu les ingrédients d’une recette qui va péricliter peu à peu (et je fais là une impasse sur un anarchisme éducationniste, pacifiste, contre la lutte des classes, qui a marqué aussi le 20e siècle). Cela va péricliter parce que l’Histoire va donner raison aux organisationnels, aux porteurs de projet collectif, parce que les anarchistes vont s’inscrire dans différentes formes d’organisation collectives, syndicales, organisations anarchistes, etc... et peser réellement, et la révolution en Espagne de 36-39 sert encore de forme de référence, en terme de construction collective, tant sur le plan organisationnel, que sur le plan de la mise en œuvre de l’autogestion (gestion directe collective) et d’expérimentation communiste libertaire.

Il y a de nouveau une forme de résurgence d’un anarchisme hétéroclite, avec peu de contenus et peu de repères, pas forcément dans une posture que pholosophique, avec pour la version insurrectionnaliste toujours cette idée de la révolution aussi violente que spontanée, dans un cadre ou des repères du mouvement ouvrier ont évolués, ou ont disparus en partie (en terme de repères collectifs). Dans cette mouvance il y a aussi parfois une posture, ou la radicalité du verbe remplace la radicalité du sens, d’avantage individualiste que communiste, et l’on se trouve confronté à la même forme de débats et divergences qu’il y a plus d’un siècle, sauf qu'aujourd'hui je parlerais plutôt de différence entre libéral et libertaire car du côté du fond il y a aussi le rapport à l’idéologie dominante dans laquelle nous baignons, et il y en a pour se trouver par exemple super radicaux en étant ultra-libéraux. C’est pourquoi aujourd’hui les questions de fond font encore clivage, et clivage de mon point de vue assez insurmontable pour celles et ceux qui se revendiquent libertaires, communiste libertaires. Une organisation, la Fédération Anarchiste, prétend encore être un espace “synthésiste”, alors qu’il n’y a pas eu la moindre synthèse possible. Il y a juste un espace qui tente de rassembler malgré les divergences de fond, dans lequel ces courants s’annihilent et freinent l’expression comme la dynamique collective, enfermés dans un fonctionnement unanimiste complètement bloquant, héritage du courant individualiste. La volonté de "synthèse" pouvait sans doute être louable d'un certain point de vue dans une période où le mouvement anarchiste perdait de son audience et de sa force, dans une volonté d'unité, alors que d'un autre côté des anarchistes-communistes continuaient à vouloir développer une organisation révolutionnaire efficace sans les individualistes la plupart du temps anti-organisationnels, mais je pense que la question ne peux s'aborder en terme d'organisation unique, mais bien en terme de comment fonctionner dans la pluralité. De mon point de vue, il est important de développer une organisation communiste libertaire, et pas individualiste, et libertaire, pas libérale. Il n'y a même pas sous cette forme de modèle unique, mais Alternative Libertaire offre un espace pluriel qui offre un outil qui se montre de plus en plus efficace. Au delà, et dans un imaginaire pas impossible, il n'est pas exclus de penser et construire mouvement large, là aussi pluriel, et même au delà du petit monde anarchiste...sachant que le point de clivage repose de mon point de vue sur la différenciation entre libéral et libertaire, reproduction de l'idéologie dominante et rupture révolutionnaire.

Sur le terrain des pratiques, il en est autrement dans certains domaines ou tout le monde se rassemble, que ce soit dans les luttes, ou dans un domaine/des domaines d’alternatives en actes, on en retrouve des exemples dans l’Histoire, et évidemment aujourd’hui. D’ailleurs il n’y a rien là que de bien banal, c’est bien notamment dans les luttes que tout le monde peut se rejoindre, et pas que des anarchistes d’ailleurs.

L’anarchisme, on va dire l’anarchisme social et révolutionnaire, porte un projet, plus ou moins vague selon les sensibilités, dans lequel l’épanouissement de l’individu est au cœur d’un projet collectif. D'ailleurs s'il existe bien référence partagée à projet de société communiste libertaire, je n'ai jamais eu connaissance d'un projet de société "anarchiste-individualiste", d'autant que cela n'a pas de sens. Un projet sociétaire, même si ce n’est pas une recette toute faite à décliner partout de la même manière, c’est avant tout collectif, et un collectif c’est composé d’individus pensants, acteur-trices et agissants-tes, inter-agissants. L’individu prend toute sa place dans cette interaction, d’autant que nous sommes des êtres sociaux, et pas des ermites. Un individualisme exacerbé dans ce contexte tient d’avantage de l’ultra-libéralisme et de l’idéologie bourgeoise que de l’anarchisme, en tout cas de cet anarchisme social, révolutionnaire et organisateur dont je parle au début (il existe des escrocs pour parler "d'anarcho-capitalisme", et un courant dit "libertarien", mais il n'y a là rien de bien révolutionnaire puisqu'il ne s'agit que de reproduction de l'idéologie dominante, et d'une forme de capitalisme, tout en entretenant de la confusion). Et un “communisme” de caserne serait tout aussi inapproprié au regard des valeurs libertaires. Où est le point d’équilibre ? Je pense qu’il se trouvera dans les formes d’organisation, les outils proposés et partagés, et mis en œuvre aujourd’hui dans différents domaines des luttes pour exemple, telle que la démocratie directe.




Il y a aussi différence entre approche collectiviste et approche communiste.
Des éléments là : viewtopic.php?f=69&t=6565

Il y a des éléments à glaner dans cette rubrique théorie du forum :

Projet de société communiste libertaire : viewtopic.php?f=69&t=7000

Anarchisme, insurrections et insurrectionnisme : viewtopic.php?f=69&t=3232

anarchistes, sommes-nous du même monde ?
viewtopic.php?f=69&t=2872

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Re: Anarchiste Individualiste/Collectiviste

Messagede gilsun » 13 Jan 2015, 14:05

Je te remercie Piero d'avoir pris le temps de me répondre, ce qui m'a permis d'explorer de nombreuses pistes qui ont rendu la distinction plus claire, j'ai été donc amené à m'intéressé au livre de Gaetano Manfredonia "Anarchisme et changement social" qui je pense peut être complémentaire à cette réflexion, ainsi que plusieurs discutions faisant déjà parties du forum à savoir :

- Théorie de Gaetano Manfredonia : viewtopic.php?f=69&t=47
- Anarchisme individualiste et Communisme libertaire : viewtopic.php?f=69&t=109
- Histoire des anarchistes-individualistes : viewtopic.php?f=68&t=5366

Salutations! :eler:
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Re: Anarchiste Individualiste/Collectiviste

Messagede digger » 15 Mar 2019, 15:01

J'ai traduit ce texte de Malatesta qui répond à la question de départ, même si pour moi, elle n'a pas grande importance.Tout est à mon avis dans l'avant dernier paragraphe :
"Travailler ensemble lorsqu'il y a consensus et, lorsque cela n'est pas le cas, permettre aux autres d'agir comme ils pensent souhaitable, sans interférence."
Il a écrit un second texte sur le sujet "Individualism and Communism in Anarchism"
Les deux textes, et d'autres, figurent dans le livre en ligne The Anarchist Revolution Polemical Articles 1924 – 1931 Vernon Richard Ed. Freedom Press 1995
https://libcom.org/files/Malatesta%20-%20The%20Anarchist%20Revolution.pdf

Communisme et Individualisme


Dans un article récent, Nettlau déclare que la raison, ou du moins, l'une des raisons, pour laquelle, après tant d'années de propagande, de luttes et de sacrifices, l'anarchisme n'a toujours pas réussi à attirer la grande masse du peuple et à l'encourager à la révolte, repose sur le fait que les anarchistes des deux écoles du communisme et de l'individualisme ont présenté leur propre théorie économique comme la seule solution aux problèmes sociaux et n'ont pas réussi, de ce fait, à convaincre les gens que leurs idées puissent se réaliser.

Je crois vraiment que la raison essentielle de notre manque de succès est que, compte tenu de l'environnement actuel - c'est-à-dire des conditions matérielles et morales de la masse des travailleurs et de ceux qui, sans être des travailleurs produisant des biens, sont victimes de la même structure sociale - notre propagande ne peut avoir qu'une portée limitée, et aucune dans les zones les plus pauvres et parmi les couches de la population qui vivent dans la plus grande misère physique et morale. Et je pense que ce n'est que lorsque la situation changera et nous deviendra plus favorable ( ce qui pourrait arriver notamment lors de moments révolutionnaires et grâce à nos propres efforts) que nos idées convaincront un nombre croissant de personnes et qu'augmentera la possibilité de les mettre en pratique. La division entre communistes et individualistes n'a que peu à voir avec cela puisque celle-ci n'intéresse que celles et ceux qui sont déjà anarchistes ainsi qu'une petite minorité d'anarchistes potentiels.

Mais il est néanmoins vrai que les polémiques entre individualistes et communistes ont souvent absorbé beaucoup de notre énergie. Elles ont empêché, même lorsque cela était possible, la mise en place d'une collaboration franche et fraternelle entre tous les anarchistes et ont tenu à distance de nombreuses personnes, qui, si nous avions été unis, auraient été attirées par notre passion de la liberté. Par conséquent, Nettlau a raison de prôner l'harmonie et de démontrer que, pour qu'existe une vraie liberté, c'est à dire l'anarchie, une possibilité de choix doit exister et chacun pouvoir mener sa vie comme il l'entend, de manière communiste ou individualiste ou encore selon un mélange des deux.

Mais Nettlau se trompe, selon moi, lorsqu'il pense que les différences entre anarchistes qui se qualifient de communiste et celles et ceux qui se qualifient d'individualistes sont basées sur les idées que se font chacun de la vie économique (production et distribution) dans une société anarchiste. Après tout, ce sont des questions qui concernent un futur très lointain; et, si il est vrai que l'idéal, le but ultime, est un phare qui guide ou devrait guider le comportement des hommes et des femmes, il est encore plus vrai que, plus que toute autre chose, ce qui détermine les accords et désaccords n'est pas ce que nous voulons pour demain mais ce que nous faisons et voulons faire aujourd'hui. En général il est préférable, et nous avons plus intérêt, à nous entendre avec des compagnons de route qui font le même voyage que nous mais avec une destination différente à l'esprit qu'avec celles et ceux qui, bien qu'ils disent vouloir aller au même endroit que nous, prennent un chemin opposé! Il est donc arrivé que des anarchistes de différentes tendances, malgré qu'ils veuillent fondamentalement la même chose, se retrouvent farouchement opposés les uns aux autres dans leur vie quotidienne et à travers leur propagande.

Étant donné les principes de l'anarchisme – à savoir que personne ne devrait avoir le désir ou les moyens d'opprimer et d'obliger les autres à travailler pour eux – il est clair que l'anarchisme comprend toutes les formes de vies, et uniquement celles-ci, qui respectent la liberté et reconnaissent à chaque personne le droit de jouir de toutes les choses qu'offrent la nature et des produits de leurs propres activités.

Il est incontesté par les anarchistes que l'être humain réel et concret, celui qui possède une conscience et des sentiments, qui ressent du plaisir et qui souffre, représente l'individu et que la Société, loin de lui être supérieure, n'est que l'instrument et l'esclave de l'individu, et ne doit être rien de plus que l'union d'hommes et de femmes pour le plus grand bien de tous. Et, à partir de ce point de vue, nous pourrions dire que nous sommes tous individualistes. Mais pour être anarchiste, il ne suffit pas de vouloir seulement l'émancipation de l'individu. Nous devons vouloir également l'émancipation de toutes et tous. Il n'est pas suffisant de se rebeller contre l'oppression. Nous devons refuser d'être oppresseurs. Nous devons comprendre les liens de solidarité, naturels ou voulus, qui relient l'humanité, aimer nos compagnons humains, souffrir des malheurs des autres et ne pas en être heureux. Et ce n'est pas une question d'organisation économique , mais de sentiments, comme cela est appelé en théorie, une question d'éthique.

Étant donné de tels principes et sentiments qui, malgré des différences de termes, sont communs à tous les anarchistes, la question est de trouver des solutions aux problèmes pratiques de la vie qui respectent le mieux la liberté et satisfont le plus nos sentiments d'amour et de solidarité.

Ces anarchistes qui se qualifient de communistes (et j'en fais partie) sont communistes, non pas parce qu'ils veulent imposer leur façon de voir spécifique ou parce qu'ils croient que c'est la seule planche de salut,mais parce qu'ils sont convaincus, et le resteront à moins qu'on leur prouve le contraire, que, plus les hommes et les femmes seront unis dans la camaraderie, plus étroite sera leur collaboration pour le bien de tous, et plus grands seront le bien être et la liberté dont chacun jouira. Ils pensent que,même là où les individus sont libérés de l'oppression, ils restent exposés aux forces hostiles de la nature, qu'ils ne peuvent pas affronter isolément mais seulement avec la coopération des autres, afin de les contrôler et les transformer en moyens de leur bien-être. Les individues qui souhaitent subvenir à leurs besoins matériels en travaillant seuls seront esclaves de leur travail. Un paysan, par exemple, qui veut cultiver seul une parcelle de terre, renoncera aux avantages de la coopération et se condamnera à une vie malheureuse: pas de repos, pas de voyages, pas d'études, pas de contacts avec le monde extérieur... et il ne sera pas toujours capable d'apaiser sa faim.

Il est grotesque de penser que certains anarchistes, malgré qu'ils se qualifient de communistes et qu'ils le sont, veulent vivre comme dans un couvent et se soumettre à un régime uniforme en termes d'alimentation, de vêtements, etc. Mais il serait tout aussi absurde de penser qu'ils veulent faire ce qu'il leur plaît sans tenir compte des besoins des autres, du droit pour tous à une égale liberté. Tout le monde sait que, par exemple, Kropotkine, un des plus passionnés et éloquents propagandistes des vues communistes, était, en même temps un grand disciple de l'indépendance individuelle, avec l'ardent désir que chacun soit capable de s'épanouir librement, de satisfaire ses propres goûts artistiques, de se consacrer à la recherche scientifique, de trouver les moyens d'harmoniser le travail manuel et intellectuel, afin que les êtres humains le deviennent au sens le plus noble du terme.

En outre, les communistes (anarchistes) pensent que, du fait des différences naturelles de fertilité, de santé, et de localisation des terres, il serait impossible d'assurer que chaque individu bénéficie de conditions de travail égales. Mais en même temps, ils sont conscients des immenses difficultés liées à la mise en pratique, sans une longue période de libre évolution, d'un communisme universel, librement consenti, qu'ils pensent être l'idéal suprême de l'humanité, émancipée et unie dans la camaraderie. Par conséquent, ils sont arrivés à une conclusion qui pourrait être résumée par cette formule: Plus les possibilité du communisme sont grandes, plus grandes le sont aussi les possibilités de l'individualisme; autrement dit, la plus grande des solidarités pour jouir de la plus grande des libertés.

De l'autre côté, l'individualisme (anarchiste) est une réaction contre le communisme autoritaire - le premier concept dans l'histoire à s'être présenté sous la forme d'une société juste et rationnelle, influençant plus ou moins toutes les utopies et les tentatives pour les mettre en pratique – une réaction, je le répète, contre le communisme autoritaire qui, au nom de l'égalité, entrave et détruit presque, la personnalité humaine. Les individualistes attachent la plus grande importance à un concept abstrait de liberté et ne prennent pas en compte, ou glissent sur le fait que la liberté réelle, concrète, est le résultat de la solidarité et de la coopération volontaire. Il serait injuste de croire que les individualistes cherchent à se priver des avantages de la coopération et se condamnent à un isolement impossible. Ils pensent certainement que travailler de manière isolée est stérile et qu'un individu, pour gagner sa vie comme un être humain et jouir matériellement et moralement de tous les avantages de la civilisation, doit soit exploiter – directement ou indirectement - le travail des autres et grossir sur la misère des ouvriers, soit s'associer avec ses semblables et partager avec eux les peines et les joies de la vie,. Et, puisque anarchistes, ils ne peuvent pas permettre l'exploitation, ils doivent nécessairement convenir que, pour être libres et vivre comme des êtres humains, ils doivent accepter un certain degré et certaines formes de communisme volontaire.

Dans le domaine économique, par conséquent, là où repose apparemment la fracture entre communistes et individualistes, la conciliation pourrait rapidement se faire à travers une lutte commune pour l'obtention des conditions de liberté réelle et, en laissant les expériences résoudre les problèmes pratiques de la vie. Des discussions, des études, des théories, même des conflits entre différentes tendances, tout cela apporterait alors de l'eau au moulin alors que nous nous préparons à nos futures tâches.

Mais pourquoi alors, si les différences sont plus apparentes que réelles et, en tout cas, facilement surmontées, existe-t'il cette éternelle dissension, cette inimitié qui devient parfois hostilité ouverte entre ceux qui, comme le dit Nettlau, sont si proches les uns des autres, motivés par les mêmes passions et idéaux?

Comme je l'ai déjà mentionné, les différences, tant sur les projets et les théories concernant la future organisation économique de la société ne sont pas la vraie raison de cette division persistante, qui est plutôt créée et continuée par un désaccord plus important et, surtout, plus thématiques sur des questions politiques et morales.

Je ne parle pas de ceux qui se décrivent comme anarchistes individualistes simplement pour étaler leurs instincts férocement bourgeois lorsqu'ils proclament leur dédain pour l'humanité, leur insensibilité à la souffrance des autres et leur désir de domination, instincts. Je ne parle pas non plus de se qui se présentent comme communistes anarchistes, mais qui sont foncièrement autoritaires, pensent qu'ils possèdent la vérité absolue et s'octroient le droit de l'imposer à tous les autres.

Les communistes et les individualistes ont souvent commis l'erreur d'accueillir et d'accepter comme camarades ceux qui ne partagent avec eux que un peu de vocabulaire commun ou des apparences extérieures.

Je veux parler de ceux que je considère comme les vrais anarchistes. Ceux-ci sont divisés sur de nombreux points d'importance réelle et peuvent être classés comme communistes ou individualistes, généralement par habitude, sans que les questions qui les divisent aient quelque chose à voir avec l'organisation de la société future.

Parmi les anarchistes, il y a les révolutionnaires qui pensent que la violence qui maintient l'ordre actuel ne peut être vaincue que par la violence afin de créer un environnement qui permet le libre épanouissement des individus et collectivités; et il y a les pédagogues qui pensent que le changement social ne peut venir qu'en changeant d'abord les individus à travers l'éducation et la propagande. Il y a les partisans de la non-résistance, ou résistance passive, qui refusent la violence même lorsqu'elle sert à repousser la violence, et il y a ceux qui admettent la nécessité de la violence, mais qui sont à leur tour, divisés sur la nature, l'étendue et les limites de celle-ci. Il existe des désaccords sur l'attitude envers les syndicats, sur l'organisation autonome, ou non-organisation, des anarchistes;des désaccords occasionnels ou permanents sur les relations entre les anarchistes et d'autres groupes subversifs.

C'est sur ces problèmes, et d'autres similaires, que nous devons parvenir à nous entendre; ou, si il apparaît qu'un accord ne soit pas possible, alors nous devons apprendre à nous tolérer. Travailler ensemble lorsqu'il y a consensus et, lorsque cela n'est pas le cas, permettre aux autres d'agir comme ils pensent souhaitable, sans interférence.

Après tout, lorsque l'on y pense, personne ne peut être sûr d'avoir raison et personne n'a jamais toujours raison.

Avril 1926

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