de Grouni.G » 06 Jan 2015, 12:36
Salut,
alors j'ai tenté de reprendre certaines de vos remarques.
Ce sujet de réflexions porte un double questionnement, l’absence de travail comme outil à penser et ce moment formateur qui est d’habitude lié au travail marchand.
Afin de savoir ce qu’est le non-travail je me suis tout d’abord questionnée sur cette notion de travail. Le travail se résume pour moi à l’effort de production. Il peut être salarié ou pas dans le sens où cet effort n’est pas obligatoirement marchandisé. Choisi ou subi, une même situation en apparence peut-être l’une ou l’autre. Le travail peut avoir pour finalité une gratification pécuniaire, une reconnaissance sociale et, ou, intellectuelle. Le travail principalement marchand est considéré comme une réussite sociale, personnelle. Pour autant le travail, depuis une trentaine d’années, est de plus en plus contesté.
La force de travail n’est plus l’agent central d’une mise en valeur. Des auteurs tels que Méda, Rifkin et Gorz parlent d’une inessentialisation dans le sens où la valeur travail a perdu son essence traditionnelle. Les années 60/70 marquent un tournant : des mouvements émergent de toute part pour la reconnaissance de la profession, le refus d’être employable à tout prix, les travailleurs précaires, les sans-papier etc... ainsi que des individus qui refusent de travailler. Cette convergence des luttes se prolongera et s’amplifiera puisqu’en 1986, les jeunes victimes de l’échec scolaire rejoignent les jeunes chômeurs diplômés, victimes de l’échec social. La crise touchant toutes les couches sociales, les limites entre travailleur et non-travailleur deviennent confuses (stagiaires, intérimaires, travailleurs au noir, bénévoles, vacataires, intermittents, handicapés, …).
Si le travail n’est plus une essence comment la nommer ? Une « inessentialisation » de la force de travail, « une domination du travail mort (technologies) sur le travail vivant » ? Mais alors qu’est-ce que le non-travail ? Il ne peut être ni une notion, ni un concept. Est-ce un travail au négatif ou est-ce une négation du travail ? Le non-travail participerait à l’effacement d’une forme d’existence sociale ?
Le non-travail est à la fois synonyme d’exclusion et de loisirs. Stigmatisé par les individus qui travaillent (dépendance, ne participe pas à l’effort collectif etc…), le travail marchand est alors libérateur. Si comme le dit Marx, le travail est perçu comme aliénant alors le non-travail est émancipateur et peut être envié, source de frustration pour les sujéties salariales?
Le travail est-il un but en soi ? Ou peut-on sans avoir peur des préjugés parler de non-travail lorsque l’on se situe dans un travail non marchand? Le fait d’en parler de façon négative, comme une absence, nous invite à nous poser la question de la reconnaissance sociale, du regard que porte la société sur le non-travailleur ou du regard qu’il porte sur lui-même. Une personne âgée qui ne travaille pas ne choque pas. Un-e jeune dans le même cas est vu comme un-e incapable ou un-e fainéant-e. Le regard des autres, le poids de l’éducation, de la morale, de la culture… peut s’avérer pesant voir destructeur (source de dépression par exemple), s’ajoutant à la précarité économique pour les plus jeunes.
Le non-travail peut être subi ou du choisi, heurter la norme ou y être très bien accueilli (tout dépend d’où nous nous plaçons). Il est à la fois une forme de résistance et de formation personnelle de vie, somme d’expériences plus ou moins formalisées.
1. Le non-travail
Je vais tenter ici de démontrer comme la frontière entre non-travail et travail est souvent flou, voir confus. Que l’on parle des non-travailleurs non-salariés, formés autant que des salariés (comme certains bénévoles), des non-travailleurs salariés comme le sont certains chômeurs, des travailleurs non-salariés ou salariés qui ne sont pas reconnus en tant que travailleurs (stagiaires, les jeunes du service civique) mais formés dans l’espoir d’être employable, du non-travail comme Oeuvre tel que Hannah Arendt le décrit dans son livre « La condition de l’homme moderne », où elle y développe une critique politique et conceptuelle du travail. En affirmant que tout individu a besoin de laisser une empreinte de son passage ; permettre à l’Homme, aux Hommes, de s’immortaliser, elle différencie l’Oeuvre de l’activité par le travail. L’Oeuvre prenant place dans l’Histoire des Hommes, le fruit du travail n’étant qu’éphémère, puisque produit à des fins consommables.
1.1 Le non-travail choisi ou subi?
Un exemple de non-travail choisit, le bénévolat. Est-ce un moyen néo-libéral de profiter du don personnel de l’individu pour combler un manque que le néolibéralisme a lui-même créé ou est-ce tout simplement une forme de solidarité qui pour le coup ne peut que déranger le système néo-libéral ?
L’un n’excluant pas l’autre puisque la question se place à des échelles sociales différentes. Au niveau macro, le manque, la rareté, est une part importante du fonctionnement du système qui le produit pour une grande part artificiellement. Pour autant, cela n’exclue pas les gestes de solidarité individuelle. La charité comme réponse individuelle exclusive est un élément constitutif du système actuel.
Alors, peut-on parler de non-travail choisit ? Les associations qui emploient des bénévoles les forment dans la plus part des cas. C’est également une façon pour le néo-libéralisme de ne pas remplacer certains postes, de ne plus les financer. Exercer gratuitement pour se former ? Profiter des manques du système actuel ? Le bénévole correspond simultanément à une vision ultra marxiste où le travailleur n’a même pas de quoi se reproduire ainsi qu’à une volonté d’expérience personnelle. Penser au fait que le bénévolat est un forme de non-travail, bien que choisi, signifierai qu’en dehors du salariat, il n’y a pas de salut ! Faut-il en comprendre et maintenir cette idée que seul le travail salariat vaut, le bénévolat apportant, du moins, une reconnaissance sociale ? Afin d’être précise, je rajouterai que le bénévolat est quantifié, le travail de production qui en découle également. Le bénévolat est cadré juridiquement et les associations qui emploient des bénévoles doivent les déclarer (assurance etc…). Le bénévole peut être amené à signer un contrat, une clause de confidentialité. Il peut être, comme le sont les secouristes-urgentistes de la croix rouge, un bénévole professionnel puisqu’il est formé et que pèse sur lui toutes les responsabilités juridiques de l’erreur d’un professionnel en exercice. Il n’est pour autant pas payer (ne reçoit pas de salaire). Mise à part Paris où ces bénévoles professionnels travaillent en réseau avec les sapeurs-pompiers, nous pouvons aisément comprendre que lorsque la préfecture fait le choix d’employer la croix rouge sur un dispositif de secourisme et non les pompiers volontaires pour une question de coût, ces derniers peuvent ressentir une colère vis-à-vis de ces premiers.
Le chômage et le non-travail salarié sont deux réalités différentes puisque liées à une situation personnelle (l’âge, la relative indépendance financière, le peu de besoin, le choix de vie…), cela ne doit pas cacher le fait que la réalité est toute différente pour la plupart des personnes qui vivent sans moyens ou avec des salaires ou des retraites de misère.
Le chômage, en hausse constante et régulière ne comptabilise pas, entre autre, les individus qui n’y sont pas inscrits. Certains n’attendent rien des éventuelles offres d’emploi proposées par Pole Emploi, d’autres se sentent découragés, ne croyant plus aux chances de trouver un emploi. Pour autant, nous pouvons reconnaitre qu’il existe deux types de chômage, subi ou choisi.
Certains chômeurs, comme nous avons pu le voir dans le film proposé de Pierre Carl, ont pu transformer, reconsidérer un licenciement subi, par exemple, en un processus libérateur, en s’abandonnant à un recul sur soi, son ancienne condition de travail etc…devenant ainsi acteur de leur propre vie. Le chômeur peut ainsi renter dans une phase de non-travail, n’excluant en rien la non-activité. Beaucoup d’individus refusent aujourd’hui l’exploitation salariale, la sujétion, cette perpétuelle précarité et créant des formes de résistances, mettant tout en œuvre pour éviter, fuir, l’aliénation salariale.
Lorsque le chômage est subi, les chômeurs souffrent d’un stress important. Leur condition de chômeur, l’intrusion, l’infantilisation, les contrôles effectués, les pressions sociales parfois humiliantes, sociétales et médiatiques participent à la dévalorisation de l’individu. Sans parler de la peur d’une erreur greffée sur le dossier, d’une radiation, d’une indemnisation non effectuée. Le chômeur se sent ainsi dans l’obligation d’être toujours disponible, d’accepter n’importe quel emploi y compris lorsqu’il ne correspond ni aux compétences, au métier d’origine, aux formations, aux souhaits. Chercher, chercher, démarches qui s’avèrent souvent vaines. Etant toujours sur le marché du travail, ce type de chômeur peut être catégorisé dans le non-travail salarié, représentant une forme de réserve de main d’œuvre.
Chaque année, nous comptons 1,2 millions de conventions de stage signés. Un étudiant sur deux aura effectué au moins un stage durant ses années d’études. Je fais le choix de prendre cet exemple puisque non-travailleur, ces étudiants occupent malgré eux un emploi déguisé. Souvent non-rémunérés ou à coûts réduits, ils représentent une main d’œuvre avantageuse pour les employeurs. A la sortie de leurs études, certains d’entre eux, poussés par un chômage important pour les moins de 25 ans et n’ayant pas accès au RSA, continueront à effectuer des stages, devenant ainsi travailleurs stagiaires. D’après l’économiste Jean-Marie Chevalier, si l’Etat comptabilisait les stagiaires à la recherche d’un emploi, les chiffres du chômage s’élèveront facilement de 30% pour les moins de 25 ans . Les stagiaires sont exclus du droit du travail. Ils ne cotisent ni pour leur retraite, ni pour l’assurance chômage. Je n’ai malheureusement pas réussit à savoir si ils avaient droit à la sécurité sociale classique ; le site Amélie.fr ne mentionnant pas le cas des stagiaires post diplôme. Le stagiaire, particulièrement précaire ne peut ni prétendre au RSA, ni au RSA activité pour les plus de 25 ans puisqu’il est sans statut. Ce non-statut impliquant également qu’un stagiaire ne peut ni se syndiquer, ni saisir un conseil de prud’hommes. « Ainsi exclus des droits sociaux même les plus élémentaires, les stagiaires, jeunes, se retrouvent maintenus dans une situation précaire, d’incertitude, qui complique le passage ou statut d’adulte actif et autonome. »
1.2 Le non-travail, question de reconnaissance sociale
Les féministes se battent depuis longtemps pour la reconnaissance du travail domestique. Qu’il soit subi ou choisi, la question se pose. Un homme ou une femme au foyer travaille, en produisant de la nourriture et en aménageant sa maison, outre les travaux domestiques. On peut appeler cela travail ou activité, certaines sont productrices et économiques (ce que je ne gagne pas en salaire, je le compense en ne faisant pas appel à des services extérieurs marchands, en produisant moi-même), d’autres pas. Est-ce réellement un travail dans le sens où pour qu’il y est reconnaissance, il faut que ça en soit un ? Ces féministes, du moins la plus part, ne désirent pas de salaire pour ce travail domestique puisque ne souhaitant pas qu’il soit confondu à un travail salarié, dénonçant plutôt une société patriarcale ; bien que de nos jours certains hommes occupent totalement ce « non »-travail domestique, tout comme le fait qu’il y est de plus en plus d’hommes qui se déclarent féministes. Cette activité, ce non-travail selon la place sociale où nous abordons la question, sera stigmatisée ou encouragée. La société dans son ensemble ne parvient pas à se positionner face à cette question de reconnaissance sociale. L’Etat laissant l’opinion publique se faire.
Le non-travail peut satisfaire un besoin de reconnaissance sociale lorsqu’il est reconnu communément et initié par l’Etat comme « un temps aux autres, agir pour le bien commun et vivre une expérience enrichissante en servant l’intérêt de tous ». Nous abordons évidemment ici le Service civique, mis en place par Martin Hirsch, haut-commissaire à la Jeunesse. Faute d’emplois, de revenus décents pour un travail, le Service civique concerne « des jeunes » qui seront remerciés pour ce « travail » volontaire, pour ce don personnel à la communauté et pour le bien de tous-tes. Reconnaissance certes, mais étant des non-travailleurs, donc non reconnus par le droit du travail, « ces jeunes » volontaires exercent pour un faible salaire, ne cotisent pas pour l’assurance chômage, ne pouvant généralement pas travailler à côté et alimentent la masse d’individus précaires qui de surcroît cherchent une reconnaissance sociale souvent à des fins salariales (« toujours un plus pour un cv »).
Les sans-papiers sont à la fois considérés comme non-travailleurs et n’ayant aucune reconnaissance sociale. Faisant partis des plus précaires, n’ayant pour la grande majorité pas de droit au travail, ils participent pourtant et font tous les jours preuves de leur implication dans l’économie de notre pays. Bien que considérés comme non-travailleurs, profiteurs, voleurs, délinquants etc… ils s’avèrent qu’ils sont nombreux à travailler, dans la majorité des cas, dans des secteurs où la pénibilité est importante. Très peu rémunérés, ils ne profitent que très rarement d’un contrat de travail.
2. Le non-travail comme moment formateur
2.1 Formation, expériences personnelles de vie
La question de la formation a toujours été liée au travail ; en commençant par l’école. Se former pour travailler, pour garder son emploi, se former pour avoir un emploi, être employable.
Afin d’obtenir une reconnaissance, garder ou acquérir un droit, les individus, et de surcroît les non-travailleurs, doivent être formés à certaines notions afin d’être en capacité d’y faire face telles que des notions de politiques, de droit, d’économie, de résistance, voire de désobéissance. Ces formations peuvent être personnelles, collectives, militantes… Elles sont plus ou moins formelles ou informelles. Elles prennent sources au sein d’une somme d’expériences personnelles. Ces formations peuvent également prétendre à une vie autonome, écologique par exemple, à savoir faire certaines choses par soi et pour soi (cultiver son potager, cuisiner, bricoler, etc…).
Il y a de nombreux endroits où ces savoir-faire peuvent s’acquérir : internet, auprès de diverses personnes, dans des collectifs, des cours, des lieux militants etc…
2.2 Le non-travail, formation à la résistance
Depuis plusieurs années, nous assistons à différentes expérimentations d’actions collectives de vie. Ces luttes prennent forme à travers diverses revendications ; certaines pour la reconnaissance d’un statut, d’autres pour l’accès à l’emploi, les suivants pour ne plus être assujetties et lutter contre le travail…
Plusieurs exemple tels que les Etats généraux du chômage et de la précarité qui se mettent en place, dont ceux de 2009, attestent et revendiquent le libre choix de l’emploi, de sa formation, assimilant Pole Emploi à une machine de contrôle et de répression. Le chômage étant devenu une forme d’exploitation à part entière, une « grève des chômeurs » est décidée, questionnant la place du travail.
Les associations qui encadrent les volontaires au service civique ont permis, par leurs luttes, à ce que ces « jeunes » puissent conserver les Aides Pour le Logement (APL).
En 2005, Génération précaire, un collectif, appelle tous les stagiaires à se mobiliser, et ensemble réussissent à travers diverses actions telles que par exemple les « flash-mobs » organisées sur la voie publique ou au sein d’entreprises et administrations qui les exploitent, à avoir un impact médiatique. Ils obtiennent des avancées telles qu’une rémunération lorsque le stagiaire exerce dans la fonction publique, une obligation d’être rémunéré à compter du deuxième mois de stage et également, une interdiction à tous les employeurs de prendre des stagiaires lorsqu’ils sont hors cursus scolaire. Même si dans les faits ces droits sont acquis, il reste à ce qu’ils soient réellement mis en place et pris en compte par tous les concernés.
Les travailleurs sans papiers, touchés par l’absence ou la précarité de leur statut, organisent de nombreuses grèves, soutenues par divers syndicats et associations militantes ou de solidarité, ont réussis à ce que le gouvernement, en 2010, leur promette de régulariser 1800 travailleurs. Après un certain temps, le gouvernement n’ayant toujours pas mis en application leurs promesses, les travailleurs sans papiers ont occupé la Cité de l’immigration afin de leur rappeler leur engagement.
Ce ne sont que très peu d’exemples parmi une multitude de luttes dont certaines parviennent à moduler les décisions des pouvoirs publics. Le non-travail, qu’il soit choisi ou subi, peut faire naître des formes de résistance et pour qu’elles puissent être entendues, reconnues, dans les meilleurs des cas prises en compte, les non-travailleurs devenant actif et acteurs de leur vie, se forment.
Conclusion
La crise du travail est la conséquence d’une mutation profonde organisationnelle, structurelle du capital depuis ces 30 dernières années. Le non-travail permet l’exploitation et ainsi la maîtrise de l’emploi mérité (sélection de ce qui est reconnu ou pas comme étant un travail). Pour autant, le chômage étymologiquement vient du latin caumare signifiant se reposer pendant la chaleur annonçant comme une évidence la suspicion systématique du chômeur profiteur. Simultanément, le travail est de plus en plus considéré comme une condition subalterne, une exploitation visible, perdant son essence. Non-travail et travail se mélange à plusieurs niveaux, les frontières étant de plus en plus incertaines, beaucoup d’individus font le choix de ne plus accepter cette précarité, cette instabilité, ce présent, ce futur indéterminé et choisissent de résister. Ce qui perturbe le pouvoir puisque sans cette main d’œuvre assujettie plus de patrons, plus de main mise voir plus de contrôle. Nous comprendrons pourquoi les dominants déploient autant d’effort à stigmatiser les non-travailleurs à travers les médias, les discours politiques.
Mais le travail est-il une fin en soi ? Devons-nous tous et toutes travailler pour que société fonctionne ? Le travail, dans la majorité des cas, servirait, à contrôler, à occuper les individus ? Dans une société où il manque cruellement de travail, sans besoin, nous pouvons être amenés à nous poser cette question ! Est-ce une nécessité de repenser nos modes de vie et du travail ?