Un, deux, trois, cent ZAD
Ces dernières années, la France a vu se développer les ZAD (zones à défendre), un pied de nez à l’acronyme officiel (zone d’aménagement différé). De Notre-Dame-des-Landes à Sivens (où le jeune militant Rémi Fraisse a été tué par les forces de l’ordre), de Roybon à Allauch, autant de sites occupés, et habités, contre ce que les activistes appellent les «grands projets inutiles» – barrage, aéroport, parc de loisirs, stade, centre de stockage de déchets radioactifs, liaison TGV – datant parfois de plusieurs dizaines d’années. Alors même que le gouvernement Hollande se gargarise de transition écologique, les infrastructures qu’il entend imposer ne sont pas seulement destructrices pour l’environnement: elles ne répondent pas aux besoins prépondérants de la population.
En face, ces «nouveaux» modes de résistance – qui ne sont pas sans rappeler les mobilisations au Larzac ou à Creys-Malville – se greffent sur les oppositions locales de riverains, qu’ils soient citadins ou paysans, mais aussi d’associations, voire d’élus, qui ont documenté leur indignation en amont, saisi les instances politiques et lancé des procédures juridiques. En vain. En occupant pacifiquement (le plus souvent) les lieux, en y construisant un autre modèle de société, écologiquement durable, basé sur l’autogestion, l’horizontalité et l’entraide, en assurant une présence médiatique, en s’opposant aux forces de l’ordre et aux pelleteuses, et en le payant de leur vie quelques fois, ils empêchent ses grands travaux, décidés à Paris, de se réaliser en catimini.
Une façon de mettre en pratique le slogan altermondialiste «penser global, agir local». D’avoir prise sur le réel. Et, en France plus qu’ailleurs, sur son destin. Dans un pays qui n’a pas renoncé à la monarchie, même républicaine. Qui sait à l’occasion faire preuve de brutalité institutionnelle, ce fut le cas récemment avec l’adoption en force de la loi Macron en ayant recours à l’article 49-3. Et dont la culture jacobine imprègne la classe politique, tous partis confondus, par sa centralisation du pouvoir.
Derrière les revendications écologistes et l’opposition à une politique d’aménagement du territoire autoritaire, les zadistes ont une exigence plus profonde et radicale: l’expérimentation de l’égalité réelle. Leur obstination pourrait bien susciter des vocations. Car il est fort à parier qu’il n’y aura jamais d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes ni de barrage à Sivens. Ce faisant, ils rappellent aux socialistes au pouvoir leurs idéaux perdus et le fossé grandissant entre eux et une majorité de citoyens désabusés.
http://www.lecourrier.ch/128145/un_deux_trois_cent_zad ZAD, le dernier endroit où l’on converge
MILITANTISME • Les «zones à défendre» (ZAD) se multiplient en France, proposant une forme renouvelée de lutte écologique, sociale et politique. Reportage dans la région marseillaise.
Patrick, écolo aguerri, a déjà planté sa tente; David, activiste de Greenpeace, s’agite autour d’un arbre en s’assurant que les médias sont bien là; des membres d’une association de défense des riverains devisent sous leur parapluie; et cinq jeunes s’affairent à établir les fondations de la future «maison de la résistance». Ce 14 février, à Allauch, commune limitrophe au nord-est de Marseille, s’ouvre une «zone à défendre», ZAD. La colline où les citoyens déroulent une banderole «le Conseil général 13 invente la destruction durable» est un terrain agricole d’un hectare en surplomb de la route et d’un parc équestre. Dans quelques années doit déboucher ici la Linea, un tronçon routier de 6,5 km de «boulevards urbains». Ce jour-là sont réunis des militants écologistes contre le bétonnage des espaces verts, des riverains soucieux de tranquillité, des paysans syndicalistes attachés aux terres agricoles, des zadistes en quête d’autogestion.
En 2008, c’est dans la région nantaise, à Notre-Dame-des-Landes, que s’est ouverte la première ZAD de France. Contre la construction d’un aéroport perçu par les opposants comme un «grand projet inutile et imposé». Depuis, cette démarche consistant à occuper un terrain menacé de «bétonisation» et à y installer un campement durable et autosuffisant a fait des petits: à Sivens, dans le Tarn, contre la construction d’une retenue d’eau sur une zone humide sensible (lire ci-contre); à Roybon, dans l’Isère, en opposition à l’installation d’un Center Parc; à côté d’Agen, dans le Lot-et-Garonne, contre l’implantation d’une zone industrielle; à Gonesse, dans le Val-d’Oise, pour refuser la création d’un gigantesque centre commercial. Liste loin d’être exhaustive et à laquelle s’ajoute donc, depuis le 14 février, l’encore très modeste ZAD d’Allauch.
Village autogéré
Qui sont les zadistes et que veulent-ils? Leur victoire sémantique, déjà, a du sens. Exit la très administrative zone d’aménagement différé: depuis 2008, l’acronyme a été réaménagé par les militants et ZAD rime désormais avec lutte. Y compris dans la dimension guerrière du mot depuis que le 26 octobre 2014 Rémi Fraisse, militant écologiste de 21 ans, a été tué par un tir de grenade offensive de la police lors d’une manifestation sur le site de Sivens.
«Michelle 5», 25 ans, a rejoint la lutte de Sivens en février 2014. «Au début, on n’osait pas trop appeler ça une ZAD, raconte-t-elle. On était en situation d’occupation. Et puis les constructions se sont faites plus nombreuses, de plus en plus de personnes se sont mises à y croire, l’autogestion s’est imposée et, dès le mois de mars, on assumait totalement: on était une zone à défendre.»
Elle va s’y installer pendant cinq ou six mois, avant de subir des violences policières. «Une ZAD, ça reste un mode de vie alternatif avec des gens qui expérimentent de nouvelles façons de vivre et de s’organiser. Des discussions, des échanges de savoir et de savoir-faire, de la débrouillardise, une aspiration très forte à l’autosuffisance...» témoigne-t-elle.
«Re-faire société ensemble»
A Allauch, sous sa capuche et sous la pluie, marteau de charpentier à la main, Rémi, à peu près le même âge, confirme: «On cherche à s’organiser autrement. On porte l’héritage de luttes de centaines d’années mais il y a aussi la nouveauté du contexte actuel. C’est une manière de lutter qui ne veut plus s’appuyer sur de longs discours et de grandes théories, mais sur ce qu’on sait faire tout de suite et sur notre capacité à s’organiser ensemble. Dans les ZAD, il y a ceux qui restent en permanence sur place et d’autres qui viennent quand ils le peuvent. Les premiers sont porteurs d’une radicalité bienvenue selon moi. Les seconds, eux, sont un pied dedans, un pied dehors et c’est bien aussi qu’ils soient là... Parce que l’idée au final c’est de re-faire société ensemble et autrement mais pas de s’en exclure.»
En janvier, au cœur de Marseille, s’est tenue la ZAD Michel Lévy. Inédite parce que première du genre en milieu urbain; éphémère parce que l’occupation n’a duré qu’une petite huitaine de jours, entre le 22 et le 30 janvier, avant que la police ne vienne évacuer les lieux. Enjeu pour les citoyens mobilisés: soustraire ce petit parc public, seul espace vert au cœur d’un quartier mixte du 6e arrondissement, aux appétits immobiliers de la municipalité. Mais la maréchaussée a sévi et, aussitôt, tractopelles et tronçonneuses se sont remises au travail, abattant les derniers arbres. Bientôt un immeuble d’habitation sera érigé ainsi qu’un parking de 300 places en sous-sol. Une ZAD pour rien?
Michelle 5 en était, comme Patrick et David. Mais aussi des mamans dont les enfants ont appris à faire du vélo dans le parc, des riverains engagés dans un bras de fer judiciaire avec la mairie... Ce croisement de profils, de revendications et de modes de lutte a parfois un peu piqué au moment des AG quotidiennes. Mais «il y a toujours quelque chose à tirer de ces rencontres entre personnes qui ne viennent pas des mêmes horizons», positive Michelle 5. A Sivens, elle a compté les voisins voulant se débarrasser des «chevelus» mais aussi tous ceux apportant leur soutien matériel et politique aux zadistes. Qui demeurent déterminés à dénoncer «l’argent public jeté aux mains de promoteurs et de constructeurs de gros œuvre qui bétonnent les espaces verts qui nous restent» tout en proposant d’autres formes d’organisation sociale.
Durer, puis se redéployer
A Allauch, une dizaine de jours après l’ouverture, seul un militant passait ses nuits sur le site, mais la «maison de la résistance» en palettes, tôle, chevrons, fenêtres et bouts de ficelle était bien là et un stock de 250 kilos de patates attendait d’être replanté pour ouvrir le potager.
Les zadistes misent sur le long terme. Rémi: «Les ZAD, c’est un mouvement social national, maintenant, destiné à durer de façon indéterminée. ZAD: zone d’autonomie définitive.» I
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