Première Internationale

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Messagede Pïérô » 08 Aoû 2013, 15:21

L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale
Une contribution et un livre de Mathieu Léonard.

Mémoire : Une histoire de la Première Internationale de Mathieu Léonard

Voici un rappel bienvenu de ce que fut la courte et tumultueuse histoire de l’Association internationale des travailleurs (AIT). L’auteur retrace les débats politiques qui l’ont agitée et qui sont à l’origine des grands courants du mouvement ouvrier : social-démocratie, marxisme, syndicalisme, anarchisme.

Il apporte l’éclairage nécessaire à la compréhension des affrontements entre tendances et personnalités qui ont fini par mettre fin à cette expérience, sans cacher les manœuvres, intrigues, calomnies, le poids des préjugés nationalistes qui les ont émaillés. Mais là n’est pas le principal mérite du livre.

C’est d’abord l’histoire de l’émergence du prolétariat européen en tant que classe consciente d’elle-même, en tant que force politique autonome luttant pour ses propres objectifs.

A sa création en 1864 à Londres, l’AIT n’est qu’un modeste rassemblement de trade-unionists anglais, de mutuellistes français et de communistes allemands, un réseau avec peu de sections et d’adhérents.

Pendant les grèves qui se multiplient à la fin de la décennie, l’Internationale fonctionne comme une agence inter-gréviste, un relais des caisses de résistance qui apporte un soutien financier parfois décisif dans le rapport de force. De nouvelles sections se créent, les adhésions affluent même si elles sont plus symboliques que réelles.

Une montée en puissance qui fait trembler les bourgeoisies européennes, d’autant plus que parallèlement au développement de son influence, l’AIT se radicalise. Au départ il est surtout question d’améliorer les conditions de travail, avec la perspective vague et lointaine d’une fin de l’exploitation.

En quelques années, la révolution sociale devient centrale dans la propagande de l’Internationale. Le rôle de premier plan des Internationalistes durant la Commune de Paris prouve que les bourgeois avaient raison d’avoir peur. Ils se vengeront par une répression terrible. Malgré sa fin tragique, l’insurrection parisienne est une source d’espoir pour les opprimés, de nouvelles sections de l’AIT se créent en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, jusqu’en Australie et en Nouvelle-Zélande. Pourtant ses jours sont comptés, elle est minée par les luttes de tendances, comme le dira plus tard Malatesta : « Mais tous, bakouninistes et marxistes, nous cherchions également à forcer les choses, plutôt que de compter sur la force des choses... »

En septembre 1872, la Première Internationale explosait au congrès de La Haye, quelques jours après naissait l’internationale antiautoritaire à Saint-Imier. Cent-quarante ans plus tard, le mouvement ouvrier mondial est toujours orphelin d’une internationale qui mette réellement en pratique ce principe : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. »

Hervé (AL Marseille)

Mathieu Léonard, L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la première Internationale, La Fabrique, 2011, 416 pages, 16 euros.
http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle4846

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L’Émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale

« À l’heure où le seul internationalisme qui prévaut est celui des marchés, de la finance et des multinationales, l’idée d’une solidarité entre les peuples et les travailleurs du monde entier semble appartenir aux utopies des XIXe et XXe siècles. Tandis que la nécessité même d’un dépassement du capitalisme se fait ressentir chaque jour davantage, nous nous retrouvons cruellement dépossédés de tout horizon émancipateur. »

C’est ainsi que commence cette histoire détaillée de la Première Internationale dont l’expérience et les idées furent des plus émancipatrices, et il y a de cela un siècle et demi.

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À revenir ainsi sur l’histoire de l’AIT, l’Association internationale des travailleurs, à redécouvrir par le livre de Mathieu Léonard les revendications et les propositions de ceux et celles qui y ont participé, il est en tout premier lieu étonnant de constater leur actualité. On comprend mieux alors la mise de côté de cette histoire de l’émancipation et des luttes révolutionnaires qui, comme l’écrit Mathieu Léonard, pourraient à nouveau « fournir quelques renseignements nécessaires dans l’urgence des combats actuels. »

La Première Internationale date de 1864. « Pas plus qu’elle n’a de maîtres, l’Internationale n’a pas de fondateurs » déclare Benoît Malon. Karl Marx renforce cette idée en écrivant qu’elle est « le produit spontané du mouvement prolétaire. » Et cela se passe avant la formation des premiers syndicats.

Dans cet essai, il n’est cependant pas question de passer à la trappe les tensions, les dissensions, les oppositions ou les désaccords au sein de l’AIT, mais plutôt d’en analyser les raisons et les enjeux dans le contexte de l’époque, et également d’en renvoyer un écho pour une meilleure compréhension des problèmes actuels. L’auteur souligne notamment des questions très rarement abordées durant les huit années de l’association internationaliste, des questions, et non des moindres, « restées en suspens : celle des peuples colonisés, celle de la libération des femmes, celle de la paysannerie. »

Pour n’évoquer que la question de la libération des femmes, Flora Tristan avait pourtant insisté, dès 1843, sur la nécessité d’émancipation pour la « prolétaire du prolétaire » : « l’oubli et le mépris des droits naturels » des femmes sont les « seules causes des malheurs du monde ». Elle était en cela précurseure des mouvements féministes, comme également de la Première Internationale lorsque, dans le même discours, elle lance cet appel : « Ouvriers et ouvrières, écoutez-moi. […] Le jour est venu où il faut agir et c’est à vous, à vous seuls, qu’il appartient d’agir dans l’intérêt de votre propre cause. […] Votre action à vous, c’est l’Union universelle des ouvriers et des ouvrières. »

Si l’on change « ouvriers et ouvrières » par salarié-es ou, dans le style Indignés, par « 99 % », on prend mieux la mesure des paroles de Flora Tristan. Démonstration : « écoutez-moi. […] Le jour est venu où il faut agir et c’est à vous, [les salarié-es, les 99 %,] à vous seul-es, qu’il appartient d’agir dans l’intérêt de votre propre cause. […] Votre action à vous, c’est l’Union universelle des [salarié-es et des 99%.] » !

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La Première Internationale est donc fondée en 1864 et la « dislocation de l’organisation [est actée] lors du Congrès de La Haye en 1872 », un an après la Commune. Parmi les raisons de cette « dislocation », peut-on considérer comme déterminante la difficulté rencontrée par l’Internationale de « mener une révolution à la fois économique, sociale et politique, sans que l’un de ces aspects ne l’emporte sur les autres » ? Ou bien est-ce avant tout la « question de conquête du pouvoir politique qui scinda l’Internationale en deux camps, antiautoritaires contre autoritaires » ? En y regardant de plus près, c’est autant d’impasses et de sujets d’opposition qui perdurent encore aujourd’hui.

En 1855, le chartiste Ernest Jones faisait ce constat qui n’a guère évolué : « Les oppresseurs de l’humanité sont unis, même quand ils se font la guerre. Ils sont unis sur un point : laisser les peuples dans la misère et la soumission. » Or, ajoutait-il, « la cause des peuples de tous les pays est la même : l’émancipation de l’humanité doit être » le but ultime. Alors, « jusqu’à ce que le travail commande le capital, je me fous des lois politiques que vous faîtes, de quelle république ou monarchie vous instaurez, tant que l’homme [et la femme sont des] esclaves. »

« L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Pas besoin pour cela d’un ou d’une leader ou que l’émancipation soit « chapeautée par une élite ». Ni dieu ni maître !

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http://chroniques-rebelles.info/spip.php?article781



samedi 10 août 2013

à ALÈS (30)
19h, à la Bibliothèque la Rétive, 42 rue du faubourg d’Auvergne, 30100

Discussion sur la Première Internationale
en présence de Mathieu Léonard, auteur du livre L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale


Huit ans : c’est ce qu’a duré l’Association internationale des travailleurs, plus connue sous le nom de première Internationale. Une vie brève donc, et pourtant c’est tout un monde qui change avec la Commune de Paris pour pivot. Entre le meeting fondateur au St Martin’s Hall de Londres en septembre 1864, et le congrès de la scission, à la Haye, en septembre 1872, on passe d’un timide réseau d’entraide ouvrière à une
organisation internationale qui parle ouvertement de révolution sociale.
En partant d’un conglomérat hétérogène de syndicalistes anglais, d’artisans mutuellistes français et de communistes allemands, on voit surgir en chemin de grandes figures du mouvement ouvrier comme le Belge César De Paepe et le Français Eugène Varlin, et l’on assiste à la formation des courants marxistes, anarchistes et sociaux-démocrates. Pour finir, les épisodes se succèdent dans la lutte entre les « autoritaires » autour de Karl Marx et les « anti-autoritaires » autour de Michel Bakounine, lutte qui finira par faire éclater l’Internationale.
Bien des questions qui sont les nôtres sont déjà posées dans les congrès de la première Internationale, dans les luttes qu’elle a menées et dans les querelles dont elle a fini par mourir. Une richesse largement oubliée, que ce livre restitue avec une entraînante empathie.

calendar.php?view=event&calEid=7940 (info par Nine)

http://www.millebabords.org/spip.php?article24156
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Re: Première Internationale

Messagede Blackwater » 08 Aoû 2013, 16:46

Ce livre a l'air génial, merci pour le post Pïérô! sm 26
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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 02 Mai 2014, 01:10

L’AIT : UN ENJEU POLITIQUE

L’histoire de l’AIT, comme celle de la Commune de Paris, constitue un enjeu politique pour les différents courants d’idées qui y étaient présents, et qui tous ont voulu donner leur interprétation des événements. Malheureusement, le mouvement libertaire lui-même a façonné, autour de cette histoire, une mythologie qui n’a pas contribué à en donner une vision rationnelle. Les militants libertaires d’aujourd’hui ont à l’esprit un certain nombre de schémas et d’idées reçues qui n’ont pu perdurer que parce que les héritiers de Bakounine n’ont pas vraiment examiné les choses avec attention.

L’intention de ce travail est tout d’abord de tenter de faire la lumière sur ces idées reçues, quitte à bousculer les habitudes acquises. Nous avons voulu montrer que les exclusions du congrès de La Haye avaient produit un terrible traumatisme, mais que ce traumatisme avait provoqué des réactions qui n’étaient pas forcément les plus opportunes. Est apparu dans le mouvement libertaire une sorte de « syndrome de la victime » qui a conféré à Marx et à son entourage le rôle de « méchants » alors même que la conséquence la plus directe des exclusions de La Haye a été une victoire éclatante du courant fédéraliste, concrétisée au congrès de Saint-Imier.

à télécharger, PDF - 745.2 ko :
http://www.monde-nouveau.net/IMG/pdf/L_ ... rrige_.pdf

http://www.monde-nouveau.net/spip.php?article536
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150 ans de luttes !

Messagede jihel » 10 Juin 2014, 09:02

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Bonjour,

Il y a quelques mois, le Collectif150 soutenu et composé par plus d'une trentaine d'organisations, collectifs locaux et individus imaginait organiser collectivement un événement pour les 150 ans de la Première Internationale. Aujourd'hui, tout (ou presque) est prêt. Prêt à accueillir toutes les personnes qui souhaitent se souvenir, comprendre, débattre et partager sur les luttes passées, actuelles et à venir.

L'esprit de la 1re Internationale, c'est l'unité pour abattre le capitalisme. Un siècle et demi plus tard, le capitalisme n’a jamais cessé de se réorganiser pour mieux maintenir son oppression. Tandis que le fascisme, par la montée des nationalismes et des extrêmes droites, propose à nouveau le sauvetage de ce système, l’unité et l’internationalisme à l’origine de la création de la Première Internationale seront sans nul doute au cœur de nos luttes à venir.

La disparition du capitalisme reste notre objectif et 150 ans de luttes nous ont souvent unis. Ils nous ont aussi permis d'avancer dans nos pratiques et nos analyses. Pas de passéisme, pas de commémoration ! La lutte continue ! Les 3 jours de débats, de concerts, de projections de films et la manifestation que nous organisons en sont un reflet.

Nous souhaitons que la présence de militants politiques, syndicaux, associatifs comme celle de musiciens, artistes et de chorales révolutionnaires donne à cet événement un sens politique, culturel et festif.

Le programme détaillé est disponible sur le site : http://www.150ans-premiere-internationale.org


Venez partager et participer à ces trois jours le week-end prochain.
Nous vous attendons par centaines, par milliers !

13-14-15 juin 2014 - Nancy - France
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Re: Première Internationale

Messagede Pïérô » 11 Juin 2014, 11:02

Il y a 150 ans, l’Association internationale des travailleurs

Un colloque à Paris jeudi 19 et vendredi 20 juin 2014. Maison de la Recherche de l’université Paris 4-Sorbonne (28 rue Serpente, Paris 6e)

programme et détails : http://www.autrefutur.net/Il-y-a-150-ans-l-Association
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Re: 150 ans de luttes !

Messagede Pïérô » 13 Juin 2014, 00:44

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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 01 Oct 2014, 00:27

Première internationale : 150 ans... et toutes ses dents

L’Association internationale des travailleurs est généralement considérée comme le creuset commun aux divers courants du mouvement ouvrier contemporain, mais son anniversaire n’a pas suscité de fièvre commémorative comparable à d’autres événements. Pourtant, c’est à Nancy en juin que ce sont retrouvées quelques centaines de personnes et quelques dizaines d’organisations pour évoquer l’AIT, son histoire et son actualité.

Débats, manifestation, concerts, expositions, théâtre, tables de presse, salon du livre, films, chants révolutionnaires… étaient au programme du week end du 14 au 16 juin sur le site du Grand Sauvoy. Près de 40 organisations syndicales (FSU 54, Solidaires 54, UL CGT, Confédération paysanne, CNT...), politiques (LO, NPA, FA, AL...), associatives (la CRISE, Bure Zone Libre, Radio Caraib Nancy...), venues de France, d’Allemagne, d’Italie ou d’Angleterre, ont répondu à l’appel de la Chorale des Sans nom de Nancy. Signe sans doute que l’internationalisme apparaît à nouveau comme une nécessité pour l’émancipation des opprimés, alors que le capitalisme a malheureusement un temps d’avance sur nous dans ce domaine. C’est aussi dans un état d’esprit unitaire, qui se voulait fidèle à la diversité idéologique de la Première internationale, que cet événement s’est déroulé.

Outre les débats historiques sur l’AIT et le mouvement ouvrier tel qu’il a évolué depuis 150 ans, de nombreuses conférences et tables rondes ont abordé l’internationalisme d’aujourd’hui (les enregistrements des débats et de nombreux autres documents sont disponibles sur www.150ans-premiere-internationale ). Que ce soit la difficulté à (re)contruire des organisations internationales (AL y contribue au sein d’Anarkismo), ou le développement de luttes communes ou similaires à travers le globe (l’accaparement des terres de l’Inde au Brésil, de l’Afrique au Chiapas ou plus près de chez nous à Notre Dame des Landes...), le constat est souvent celui d’un retard d’organisation face à des problématiques qui sont de plus en plus mondialisées.

Mais l’essentiel a peut-être été, grâce à ce week end, de tenter de renouer des liens directs entre militants et militantes de divers pays et de divers courants. Sans rejouer le meeting de 1864, celui de 2014 a toutefois réussi à replacer l’internationalisme au cœur des préoccupations.

Nicolas (AL Moselle) et Renaud (AL Alsace)

http://alternativelibertaire.org/?Premi ... 150-ans-et
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Re: Première Internationale

Messagede Pïérô » 06 Oct 2014, 06:15

En 1864, La première internationale ouvrière naît à Londres

Plus de 2000 personnes se massent dans la salle de concert de Saint-Martin’s Hall à Londres, le soir du mercredi 28 septembre 1864. Un meeting de solidarité avec la Pologne, sous le joug de la Russie tsariste, réunit les leaders des trade-unions anglais, mais aussi des ouvriers français, allemands et italiens. Syndicalistes anglais et mutualistes français ont chacun leurs raisons pour concrétiser les belles paroles de solidarité par la constitution de l’Association internationale des travailleurs.

Les ouvriers qui sont à la tribune ce soir-là se connaissent et ont organisé ce meeting avec un projet précis de société ouvrière internationale, qu’ils envisagent déjà depuis quelques années. Le principal artisan de ce rapprochement est George Odger. Cordonnier de 50 ans, il est à la tête du conseil qui rassemble les dirigeants de principaux syndicats de Londres.

Le couple franco-anglais

La solidarité internationale est une préoccupation importante de la classe ouvrière britannique. Les syndicalistes organisent des manifestations contre les esclavagistes du sud des États Unis en 1862 ou contre la répression de l’insurrection polonaise de 1863. C’est à cette occasion que George Odger fait venir une délégation ouvrière française au meeting de Saint-James Hall, le 22 juillet 1863. Les bronziers Henri Tolain et Joseph Étienne Perrachon, ainsi que le tisserand Charles Limousin représentent alors les ouvriers français, qui ont aussi mené campagne pour que la France soutienne le peuple polonais. Tolain et Perrachon avaient déjà pu rencontrer les syndicalistes anglais lorsque Napoléon III avait envoyé une délégation de 200 ouvriers français à l’exposition universelle de Londres durant l’été 1862, espérant les faire bénéficier de l’exemple de l’industrie moderne britannique.

La nouvelle génération ouvrière parisienne dont fait partie Tolain entend bien profiter de la bienveillance de l’empereur, en mal de popularité. Elle se démène pour organiser la classe ouvrière en créant des coopératives, des caisses mutuelles ou en présentant des candidatures ouvrières aux législatives de 1863 En février 1864, Tolain est à l’origine du Manifeste des 60 qui réclame la « liberté du travail », c’est à dire des libertés pour les ouvriers (droit d’association, de réunion...). L’appel du pied des trade-unions tombe plutôt bien et ces ouvriers français viennent à Londres en 1864 avec un projet d’association ouvrière internationale.

Le poids des trade-unions

De leur côté, les leaders des trade-unions voient dans la solidarité internationale une solution à la mise en concurrence que leur impose les patrons avec des ouvriers étrangers forcément moins payés et plus dociles. Dans une adresse rédigée par Odger après le meeting de Saint-James-Hall, les motivations des syndicalistes britanniques apparaissent clairement : « Une union fraternelle entre les peuples est tout à fait indispensable à la cause des travailleurs, car nous nous apercevons que toutes les fois que nous essayons d’améliorer notre condition sociale en réduisant les heures de labeur, ou en augmentant le prix du travail, nos patrons nous menacent d’amener des Français, des Allemands, des Belges et d’autres pour faire notre travail en acceptant des salaires inférieurs. Malheureusement cela s’est produit, bien que nos frères du continent n’aient pas eu le dessein de nous faire du tort, simplement par suite de l’absence de rapports réguliers et systématiques entre les classes ouvrières de tous les pays. ».

A Saint-Martin’s Hall, la délégation britannique se compose de dirigeants des trade-unions : les charpentiers William Cremer et Robert Appelgarth, l’ébéniste Benjamin Lucraft, l’imprimeur Robert Hartwell et naturellement Odger lui-même. Ils sont accompagnés du républicain Edward Spencer Beesly, qui n’est pas ouvrier mais professeur.

Les vrais puissances

Côté français on retrouve Tolain et Perrachon, accompagnés du mécanicien André Murat, du journaliste anti-bonapartiste Henri Lefort (à l’origine du Manifeste des 60 aux côtés de Tolain) et du proscrit Victor Le Lubez (un socialiste français réfugié à Londres, très impliqué dans l’organisation du meeting aux côtés d’Odger), qui sert d’interprète.

Pour renforcer le caractère international du meeting, Odger et Le Lubez ont contacté quelques militants exilés à Londres qui sont sensés représenter la classe ouvrière de leurs pays : le major Luigi Wolff, secrétaire de Guiseppe Mazzini, pour l’Italie, un certain Forbes parle de l’Irlande, tandis que le « docteur » Karl Marx, philosophe (qui se contente d’une présence muette à la tribune) et son ami Johann Georg Eccarius, tailleur et ancien de la Ligue des communiste, pour l’Allemagne. La soirée est agrémentée par quelques chansons interprétées par une chorale de travailleurs allemands.

Malgré la présence de militants politiques, journaliste, philosophe..., il apparaît clairement que l’initiative est ouvrière et que son objectif est social et économique. C’est d’ailleurs cela qui a décidé Marx à y participer alors qu’il s’était promis de refuser ce genre d’invitation. Il écrit à Engels en novembre 1864 : « cette fois de vrais puissances étaient présentes, aussi bien du coté de Londres que du côté de Paris ».

L’AIT est née

L’intervention du professeur Beesly en introduction au meeting, donne un ton très anti-colonialiste et rappelle la solidarité avec le peuple polonais, mais aussi tous les autres peuples opprimés dans le monde, en visant particulièrement la politique étrangère britannique et celle de l’Empire français en Italie, Chine, Irlande, Inde,... A cette destruction en règle de tout « préjugé patriotique », succède la lecture par Odger de l’adresse aux ouvriers français de 1863 et la réponse de Tolain (voir ci dessous). L’intervention de Tolain, dont le charisme impressionne l’assistance, est très applaudie, avant même d’être traduite par Le Lubez. Une résolution est votée par l’ensemble de la salle pour mettre en application le projet d’association internationale proposée par la délégation française. D’après ce projet, une commission centrale à Londres, composée de correspondants pour chaque région de l’Europe, servirait à faire le lien entre les sections locales.

Après les discours sur l’Italie, l’Allemagne ou l’Irlande, un comité est élu pour appliquer cette résolution. On y trouve la plupart des grands dirigeants trade-unionistes, ainsi que des exilés, dont Le Lubez pour la France, Eccarius et Marx pour l’Allemagne, le major Wolff pour l’Italie. Le Conseil central (ultérieurement rebaptisé Conseil général) de l’AIT est né.

Mais il faudra attendre les grèves de 1867-1868 pour que l’Association prenne de l’importance dans les milieux ouvriers et, par la même occasion, perde la bienveillance des gouvernements. Dans les milieux bourgeois, le meeting de Saint-Martin’s Hall est plutôt salué avec condescendance : on espère qu’en se préoccupant un peu plus de la chose publique, les ouvriers deviennent des interlocuteurs responsables. Au lieu de cela, cette entente internationale deviendra une organisation révolutionnaire, accusée d’être derrière toutes les grèves et les insurrections.

Renaud (AL Alsace)



DOCUMENT : « A VOTRE TOUR D’AVOIR DES CONGRÈS ! »

Lors du meeting de Saint-Martin’s Hall, c’est Henri Tolain qui prend la parole au nom des ouvriers français. Il répond, à l’adresse des ouvriers anglais, relue quelques minutes auparavant par son auteur, George Odger. La délégation française, très proche des idéaux proudhoniens et fouriéristes (sans forcément connaître les textes de ces auteurs), appelle à une solidarité internationale des travailleurs qui sera un contrepoids efficace à la concentration du capital, lequel est qualifié de « fécond auxiliaire du travail ».

Frères et Amis, Oui, vous avez raison, le sentiment qui nous réunit, est l’indice certain d’un meilleur avenir pour l’affranchissement des peuples. Il ne faut plus que des Césars, le front souillé d’une couronne sanglante, se partagent entre eux des peuples épuisés par les rapines des grands, des pays dévastés par des guerres sauvages. Une fois de plus la Pologne est recouverte d’un sanglant linceul et nous sommes restés spectateurs impuissants. Un seul peuple opprimé met en danger la liberté des autres peuples. Au nom de sa dignité tout homme libre ou qui veut l’être doit son concours à ses frères opprimés. Sans doute nous aurons bien des obstacles à vaincre, il en est plus d’un qui tombera meurtri dans la mêlée. Qu’importe ; à la Liberté, au Progrès comme à la terre, il faut de l’engrais. […]

Travailleurs de tout pays qui voulez être libres : à votre tour d’avoir des congrès. C’est le peuple qui revient enfin sur la scène, ayant conscience de sa force et se dressant en face de la tyrannie dans l’ordre politique, en face du monopole, du privilège dans l’ordre économique. […]

Progrès industriel, division du travail, libre échange, tels sont les points qui doivent aujourd’hui fixer notre attention, car ils vont modifier profondément les conditions économiques de la société. Poussés par les besoins du temps, par la force des choses, les capitaux se concentrent, s’organisent en puissantes associations financières et industrielles. Si nous n’y prenons garde, cette force sans contrepoids régnera bientôt despotiquement. […]

Devant cette organisation puissante et savante, tout plie, tout cède, l’homme isolé n’est rien : il sent tous les jours diminuer sa liberté d’action et son indépendance. Devant cette organisation, l’initiative individuelle s’éteint ou se discipline au profit de cette organisation. Le travail est la loi de l’humanité, la source de la richesse publique, la base légitime de la propriété individuelle. Il doit être sacré, libre. […]

Quand le capital, ce fécond auxiliaire du travail, devient son dominateur implacable, on réduit le travailleur à la famine, on appelle cela l’échange des services, la liberté des transactions. Quand, placé dans des conditions défavorables, l’industriel diminue le prix de la main-d’œuvre pour rétablir l’équilibre rompu entre lui et ses rivaux, c’est alors la libre concurrence. Comme si le libre échange ne devait avoir pour résultat que de déplacer le champ de bataille. […]

Le libre échange, complété par la liberté du travail, ne perpétuerait pas la lutte ; mais, au contraire, il développerait les aptitudes et le génie propre de chaque peuple, changeant enfin les ennemis en émules. Ainsi, par défaut d’enseignement professionnel la science est le privilège du capital, par la division du travail l’ouvrier n’est plus qu’un agent mécanique et le libre échange, sans la solidarité entre les travailleurs, engendrera le servage industriel plus implacable et plus funeste à l’humanité que celui détruit par nos pères en ces grands jours de la Révolution française. Ceci n’est point un cri de haine, non, c’est un cri d’alarme. Il faut nous unir, travailleurs de tous pays, pour opposer une barrière infranchissable à un système funeste qui diviserait l’humanité en deux classes — une plèbe ignorante et des mandarins pléthoriques et ventrus.

Sauvons-nous par la solidarité

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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 07 Oct 2014, 00:45

Jeudi 9 octobre

Dans le cadre des 150 ans de l'AIT,

L'UL CNT 21 organise une conférence/débat,
En présence de Mathieu Léonard, auteur de
"L'émancipation des travailleurs, une histoire de la première
internationale," 2011, La Fabrique éditions,

à 20h30, au Black Market,
59 rue Berbisey, à Dijon.

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Re: Première Internationale

Messagede Pïérô » 20 Nov 2014, 03:26

Mathieu Léonard (historien) : « On peut imaginer l’espoir de solidarité internationale que l’AIT représente »

Propos recueillis par Renaud (AL Alsace)

Malgré une importance numérique relative et une certaine hétérogénéité idéologique, l’Association internationale des travailleurs a paru suffisamment forte pour effrayer patrons et gouvernements de l’Europe. Mathieu Léonard, auteur de L’Émancipation des travailleurs, une histoire de la Première internationale, revient sur l’importance de l’AIT ainsi que sur les divisions qui sont à l’origine des grands courants qui composeront le mouvement ouvrier dans le siècle suivant.

Quelle est la réalité militante de l’AIT ?

Mathieu Léonard : La question des effectifs de l’AIT est difficile à préciser, faute de comptage précis. À sa fondation en 1864, l’Internationale est un conglomérat de leaders trade unionistes, d’intellectuels positivistes, de proscrits démocrates, de communistes allemands et d’ouvriers mutualistes parisiens, associés dans un même élan, plutôt platonique, d’émancipation sociale et de fraternité. La constitution de l’AIT en une dynamique d’organisation de la classe ouvrière est lente et coïncide à la montée en puissance des grèves, que l’Internationale soutient, à partir de 1867.

En 1865, on compte à peine 500 adhérents à Paris et, en juin 1870, au moment de son troisième procès et de son apogée, Franquin, le trésorier, chiffre le nombre de cotisants parisiens à 1 250. On peut estimer, avec Jacques Rougerie, les effectifs français à une cinquantaine de milliers d’adhérents [1]– en 1870, la police avance le chiffre très précis, mais complètement farfelu, de 433 785 en France et 811 513 pour le monde !

Il nous faut distinguer deux formes de militants de l’AIT : les adhésions concrètes et les adhésions symboliques. Les premières sont toujours restées faibles : « Il n’y avait jamais plus de 60 francs en caisse », dit Héligon, le trésorier prédécesseur de Franquin. Nicolas Delalande qui a récemment étudié les circulations d’argent au sein de l’AIT parle d’un « colosse aux pieds d’argile » et décrit les plus grandes difficultés du Conseil général à récolter des fonds souvent dérisoires. Les adhésions symboliques, elles, expliquent le pouvoir de représentation de l’AIT à l’époque. « On adhérait à l’AIT comme on trinquait », évoque le proudhonien Ernest Fribourg, ce qui explique ce rapport très flottant entre les effectifs réels et sentimentaux.

En fait, dès que l’AIT entrait en contact avec une coalition ouvrière ou un comité de grève, ceux-ci pouvaient déclarer leur adhésion à l’association sans pour autant cotiser ou très peu. Que valaient réellement ces adhésions collectives ? Elles ont une force symbolique impressionnante, qui contribuera aux mythes de l’Internationale, puisque les patrons, les grandes puissances et certains internationaux eux-mêmes fantasment sur des millions d’adhérents. On peut imaginer le spectre menaçant que cela représente pour les patrons, mais surtout l’espoir de solidarité internationale pour les ouvriers qui se jettent dans la grève.

Comment fonctionne l’AIT ?

Mathieu Léonard : La définition que donne Marx à un journaliste américain en 1871 me semble intéressante : « L’Internationale n’est nullement le gouvernement de la classe ouvrière, c’est un lien, ce n’est pas un pouvoir. […] L’Association n’impose aucune forme aux mouvements politiques : elle exige seulement le respect de leur but. C’est un réseau de sociétés affiliées, qui s’étend à l’ensemble du monde du travail. Dans chaque partie du monde se présente un aspect particulier du problème, et les ouvriers s’efforcent de l’aborder avec leurs propres moyens. » C’est sûr que ce discours horizontal écorne quelque peu la postérité centraliste faite à Marx !

Réseau, lien, autonomie locale, l’AIT se crée sur la nécessité de synchroniser les revendications de la classe ouvrière et donc d’en étudier les réalités et les besoins. À la base, il y a la section qui peut correspondre à un groupe d’ouvriers (ex : première section parisienne des Gravilliers composée d’ouvriers de divers métiers) ou de proscrits dans une ville (ex : la section russe de Genève), à une coalition professionnelle locale (ex : les ouvriers boulangers de Marseille), à un comité de grève (ex : le Creusot), à une coopérative (ex : les restaurants La Marmite), etc. Une Fédération nationale est censée rassembler ces sections, mais celles-ci gardent leur autonomie.

Les congrès annuels – où chaque délégué est censé représenter environ 500 affiliés (mais c’est loin d’être mathématique !) – sont les lieux d’une élaboration programmatique selon les orientations présentées par le Conseil général, à travers des rapports souvent rédigés par Marx, mais aussi celles proposées par les sections ou fédérations. Les thèmes abordés sont ceux des luttes sociales en cours et des problématiques qui se posent à la classe ouvrière : mécanisation, travail des femmes et des enfants, instruction et formation.

L’AIT rassemble à l’origine de nombreux courants. Comment expliquer que le marxisme finisse par être dominant ?

Mathieu Léonard : Le question des tendances nous intéresse parce qu’elle semble avoir défini les idéologies politiques qui vont suivre. Mais sur le moment même, les positions sont sans doute plus complexes.

D’abord, évacuons une idée fausse, colportée par les marxistes comme par les antimarxistes : il n’y a pas de marxisme dans l’Internationale. C’est un terme inventé par Bakounine pour désigner ses ennemis et, à travers eux, une forme de « socialisme allemand » qui tient autant de Ferdinand Lassalle que de Marx, et serait caractérisé par un centralisme politique, favorable à l’action politique, étatiste, pangermaniste, autoritaire, etc. Cela nous renvoie plus globalement à la question de la perception politique des œuvres de Marx à l’époque et à son influence réelle. En un sens, les bakouninistes étaient aussi « marxistes », puisqu’ils furent parmi les premiers à s’intéresser au livre I du Capital, dont Carlo Cafiero, le plus intransigeant des anarchistes, a même fait un résumé populaire.

Pour revenir aux débats dans l’Internationale, c’est une période de construction des identités politiques où tout est débattu, parfois de façon virulente : rôle de l’État, de l’action politique, du mutuellisme, des coopératives, de la grève, de l’héritage, de la collectivisation des banques et des moyens de production ou du sol, des services publiques, etc. À travers ces thèmes, on voit une première ligne de fracture idéologique entre les « proudhoniens » mutualistes, qui défendent la propriété privée et sont hostiles aux grèves, et les collectivistes ; puis une seconde au sein même des collectivistes, entre étatistes et partisans d’une organisation à la base.

Enfin, il y a le fameux clivage entre autoritaire et anti-autoritaire, qui reprend la précédente opposition théorique, mais qui devient véritablement un élément destructeur de l’AIT après la Conférence de Londres, au moment où il est question de remettre en cause l’autonomie des sections et de donner un pouvoir exécutif au Conseil général, qui lui prétend lutter contre les « dérives sectaires » et faire le ménage des partisans de Bakounine ou supposés tels.

Les conflits entre le Conseil général et les tendances autonomistes ou fédéralistes – parmi lesquelles on ne trouve pas uniquement des « bakouninistes », mais aussi des trade unionistes dissidents, des socialistes belges, des syndicalistes hollandais et même des lassalliens (qui sur le fond sont très autoritaires) – ne doivent pas être étudiées par le seul prisme idéologique. Il y a là des problématiques propres à une organisation internationale fragilisée, réprimée par les États, avec des méfiances et des incompréhensions réciproques irrémédiables.

Enfin, toutes ces questions et leurs impasses, qui vont figer ces catégories, se reposeront en permanence, et avec encore plus d’âcreté, durant le siècle suivant : question de l’État, parlementarisme, professionnalisation de la politique, rôle d’une minorité d’avant-garde, substitutisme, etc.

L’AIT semble avoir eu une influence variable sur le mouvement ouvrier de chaque pays.

Mathieu Léonard : Là encore, il faut se méfier du schématisme et d’une lecture finaliste qui voudrait que les pays les plus industrialisés suivent automatiquement la voie de la social-démocratie, tandis que les pays les « plus arriérés » versent dans l’anarchisme.

Même si l’on peut dire de manière générale que l’Internationale va disparaître à mesure que se constituent les partis ouvriers nationaux, il y a des nuances à faire. L’Angleterre n’aura jamais un parti ouvrier fort avant 1906, malgré des tentatives comme la Socialist league en 1884, qui est traversée par des conflits très forts autour du parlementarisme. La Catalogne, bien qu’industrialisée, est majoritairement acquise aux tendances fédéralistes. On connaît la force et la singularité de l’anarcho-syndicalisme espagnol par la suite.

Durant la courte expérience de l’AIT aux Etats-Unis, étudiée par Michel Cordillot [2], les tendances autonomistes prôneront la participation aux élections tandis que la tendance centraliste (donc supposée « marxiste ») s’y opposeront. En France, après la Commune, les thèmes portés encore par les mutualistes proudhoniens, ne dérangent pas le pouvoir par leur apolitisme, mais ne portent plus de grands espoirs d’émancipation pour le mouvement ouvrier.

La période se clôt à la fois sur un reflux de l’internationalisme et sur la recherche de formes politiques nouvelles. La constitution en parti, quand les gouvernements le permettent, est une option finalement plus simple que l’organisation syndicale à la base, ce qui explique aussi la distance d’une vingtaine d’années entre la fin de l’AIT et la renaissance d’un mouvement syndical révolutionnaire. Au final, je crois que les catégories politiques sont moins déterminantes que la capacité d’organisation de la classe ouvrière et la lutte des classes au cas par cas. Le mouvement réel comme qui dirait.


CHRONOLOGIE

Des débuts prometteurs

17 février 1864 : « Manifeste des Soixante » en France, à l’initiative de Tolain pour des candidatures ouvrières et le droit de coalition (obtenu le 25 mai).

28 septembre : Réunion à Saint-Martin’s Hall à Londres, à laquelle participent mutualistes français, trade-unionistes anglais et communistes allemands. Fondation de l’Association internationale des travailleurs (AIT).

5 novembre : Publication des statuts de la Première Internationale rédigés par Karl Marx.

3-8 septembre 1866 : Ier congrès de l’AIT tenu à Genève. L’influence « proudhonienne », hostile aux grèves et à l’action politique, est dominante.

Février 1867 : Grève des bronziers à Paris. Les leaders sont aussi membres de l’AIT, ce qui permet d’obtenir rapidement un soutien financier international. Les grèves se multipliant en France en 1867 et 1868, l’AIT rejoue ce rôle d’agence de liaison.

2-7 septembre : IIe congrès de l’AIT tenu à Lausanne.

L’internationale devient une force réelle

6 mars 1868 : Le second empire s’inquiète du rôle croissant de l’AIT et dissout le bureau parisien, condamné pour « constitution de société secrète ».

22 mai : Le deuxième bureau de Paris, (autour de Benoît Malon et Eugène Varlin), élu le 8 mars, passe en jugement. Ses membres seront condamnés à 3 mois de prison le 15 juillet.

6-13 septembre : IIIe congrès de l’AIT à Bruxelles. Les mutualistes français sont mis en minorité par les collectivistes.

1869 : Nombreuses grèves durant l’année, parfois réprimées dans le sang (mineurs belges, gallois et stéphanois). L’AIT est souvent accusée d’en être à l’origine pour favoriser des intérêts étrangers.

28 juillet 1869 : l’Alliance de la démocratie socialiste, fondée à Genève par Michel Bakounine, adhère à l’AIT.

6-12 septembre : IVe congrès de l’AIT à Bâle. Les délégués français se prononcent dans leur majorité pour le collectivisme.

Mai-juin 1870 : Arrestation de plus de 150 internationalistes en France, sur ordre du ministre Emile Olivier, apeuré par les rumeurs d’insurrection. Le procès qui s’ouvre le 22 juin sert de tribune. L’Internationale est déclarée dissoute le 8 juillet.

4 septembre :
Après la défaite de Sedan, la République est proclamée.

26 mars 1871 : Élection de la Commune de Paris. Sur 80 membres élus, 23 sont membres de l’Internationale, qui est pourtant totalement désorganisée depuis la guerre.

30 mai : Adresse du Conseil général de l’Internationale sur la guerre civile en France, rédigée par Marx.

17-23 septembre : Conférence de Londres en remplacement du congrès rendu impossible par la répression des révolutionnaires dans de nombreux pays après la Commune. Adoption de la résolution IX qui proclame que « le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct ».

22 novembre : Au congrès de Sonvilier, les sections du Jura, proches de Bakounine, critiquent la conférence de Londres et son virage centralisateur.

La lente agonie

14 mars 1872 : En France, la Loi Dufaure interdit l’Internationale.

4 août : Congrès fondateur la Fédération italienne de l’Internationale à Rimini qui rompt avec le Conseil général.

2-7 septembre : Ve congrès de l’AIT tenu à La Haye, auquel assistent Marx et Engels. Exclusion de Bakounine et de James Guillaume pour la formation d’une société secrète au sein de l’AIT. Le Conseil général est transféré à New York, loin des luttes d’influence européennes.

Du 15-16 sept : Congrès de Saint-Imier de la tendance fédéraliste, dite aussi anti-autoritaire.

1er-6 septembre 1873 : congrès de l’AIT fédéraliste à Genève, pour tenter de rassembler toutes les fédérations favorables à l’autonomie (socialistes, étatistes, réformistes…)

7-13 septembre : fiasco du congrès de l’AIT centraliste à Genève, sans aucun représentant du conseil général.

25 septembre : Bakounine se retire de la scène politique.

15 juillet 1876 : dernier congrès de l’AIT centraliste à Philadelphie, sans aucun délégué européen. Dissolution du conseil général.

6-7 septembre 1877 : dernier congrès de l’AIT fédéraliste à Verviers. Séparation des anarchistes et des légalistes.

14-20 juillet 1881 : Dernière tentative anarchiste pour réactiver l’AIT à Londres. Mais la ligne insurrectionnaliste qui l’emporte ne préconise pas la reconstitution d’une organisation internationale.

Source : AL, Le Mensuel, septembre 2014

https://albruxelles.wordpress.com/2014/ ... #more-1074
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Re: Première Internationale

Messagede Pïérô » 21 Mar 2015, 22:16

Montpellier, vendredi 27 mars

Présentation du livre L'Association Internationale des Travailleurs et discussion avec l'auteur

Cette soirée s'organise autour de la présentation par l'auteur du livre L'Association Internationale des Travailleurs 1922-1936, Du syndicalisme révolutionnaire à l'anarchosyndicalisme, publié aux éditions du Temps Perdu et d'un échange avec la salle. Cette AIT, deuxième du nom, de nature ouvrière et anti-autoritaire revendiquait un syndicalisme révolutionnaire puis donnait naissance à l'anarcho-syndicalisme. En reprenant le cours de cette histoire, ce livre nous donne un aperçu très précis des débats en cours à l'époque et nous aide à tirer des enseignements pour l'époque présente.

à 18h30, Le Barricade, 14 rue Aristide Olivier, 34000 Montpellier
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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 23 Mai 2015, 16:37

Entretien inédit pour le site de Ballast

Nous l'avons déjà écrit : notre revue porte un intérêt particulier à la Première Internationale, fondée en 1864, en ce qu'elle permettait, en dépit des querelles, l'expression d'un socialisme pluraliste : proudhoniens, trade-unionistes, utopistes, collectivistes, communistes, libertaires, etc. Pour raviver son souvenir, nous nous sommes entretenus avec Mathieu Léonard, auteur de l'essai L'émancipation des travailleurs, travail historique entièrement consacré à la Première Internationale (aussi appellée AIT).

... http://www.revue-ballast.fr/vive-la-pre ... nationale/
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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 04 Sep 2015, 01:06

Le conflit Marx-Bakounine

Le premier congrès de l’Internationale eut lieu du 3 au 8 septembre 1866, à Genève. Marx est absent 1, Bakounine n’est pas encore membre. 60 délégués représentant des sections d’Angleterre, de France, d’Allemagne et de Suisse assistent à ce congrès, présidé par un Hermann Jung, un horloger de Saint-Imier vivant à Londres. Pierre Coullery – un « humanitaire néo-chrétien », selon L. Lorwin 2, était l’un des secrétaires du congrès. Coullery et Jules Vuilleumier représentaient la section de La Chaux-de-Fonds, James Guillaume celle du Locle et Adhémar Schwitzguébel celle de Sonvillier.

Ce premier congrès fut assez confus, mais il adopta, notamment, la résolution en faveur de la journée de huit heures, une résolution pour des lois internationales protégeant les femmes et les enfants et pour l’abolition du travail de nuit pour les femmes. Le congrès se prononça pour la suppression du salariat. Il adopta les statuts rédigés par Marx, assez vagues pour permettre à tout travailleur d’adhérer. Ne figure pas l’article que Marx fera ajouter en 1872 sur la conquête du pouvoir politique.

Plus tard, Bakounine se référera en ces termes au congrès de Genève : « L’association internationale des travailleurs a une loi fondamentale à laquelle chaque section et chaque membre doivent se soumettre, sous peine d’exclusion. Cette loi est exposée dans les statuts généraux, proposés en 1866 par le conseil général de l’association au congrès de Genève, discutés et unanimement acclamés par ce congrès, enfin définitivement sanctionnés par l’acceptation unanime des sections de tous les pays. C’est donc la loi fondamentale de notre grande association.

« Les considérants qui se trouvent à la tête des statuts généraux définissent clairement le principe et le but de l’association internationale. Ils établissent avant tout : que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que les efforts des travailleurs doivent tendre à constituer pour tous les mêmes droits et les mêmes devoirs – c’est-à-dire l’égalité politique, économique et sociale ; que l’assujettissement des travailleurs au capital est la source de toute servitude politique, morale et matérielle ; que par cette raison l’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel doit être subordonné tout mouvement politique ; que l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national… mais international 3. »

En réalité, il s’agit simplement des statuts de l’Internationale rédigés en 1864 par… Marx lui-même, entérinés par le congrès de Genève. Proudhon était mort l’année précédente et ce fut incontestablement sa doctrine qui prédomina à ce congrès et au suivant, à Lausanne (2-8 septembre 1867).

Que ce soit au congrès de Genève ou à celui de Lausanne, les positions du Conseil général, c’est-à-dire de Marx, ne soulevèrent pas l’enthousiasme. En ces premières années, des idées extrêmement variées coexistaient et se confrontaient dans une atmosphère plutôt cordiale. Le programme de ce deuxième congrès était chargé : on recommanda la création de banques accordant des crédits gratuits aux travailleurs ; on préconisa la création de sociétés d’assurance mutuelle ; les sociétés de métiers furent invitées à créer, avec leurs fonds, des sociétés coopératives de production. La perspective de ce congrès fut la mise en œuvre de mesures concrètes et immédiates visant à émanciper la classe ouvrière. On vota des résolutions au sujet de l’enseignement gratuit, de l’impôt, de l’abolition des monopoles d’État, de l’établissement des libertés politiques et des écoles-ateliers.

La discussion sur la propriété privée opposa Pierre Coullery, partisan de la propriété individuelle, au Belge César de Paepe, favorable à la propriété collective, à laquelle allaient se rallier plus tard les internationalistes. Ce problème figurera à l’ordre du jour du troisième congrès de l’Internationale.

C’est encore Proudhon qui domine à ce congrès, ce qui fait enrager Marx, qui écrit à Engels le 11 septembre 1867 : « Au prochain congrès de Bruxelles, je tordrai moi-même le cou à ces ânes de proudhoniens. J’ai préparé toute l’affaire de manière diplomatique et je n’ai pas voulu paraître personnellement avant que mon livre (le Capital) ne fût publié et que notre Internationale n’eût pris racine. Dans le rapport officiel du Conseil général (où, malgré tous leurs efforts, les bavards parisiens n’ont pu empêcher notre réélection), je ne manquerai pas de les fustiger comme il faut. »

À plusieurs reprises dans cette lettre, Marx parle de « notre Internationale ». Le coucou commence à vouloir s’approprier le nid.

C’est au congrès de Bruxelles, en 1868, que les choses commencent à changer. La question de l’instruction obligatoire et gratuite est posée, ainsi que celle de l’égalité des droits de la femme. Les mutualistes sont mis en minorité : ils s’opposaient à l’examen des problèmes politiques. Pour des hommes comme Varlin et César de Paepe, on ne peut écarter l’examen des problèmes politiques, mais ces problèmes doivent être abordés au sein de l’Internationale.

D’importantes questions sociales figuraient à l’ordre du jour du congrès de Bruxelles. La grève fut considérée comme l’arme principale des ouvriers. Plusieurs participants préconisèrent l’établissement de cahiers du travail qui rappelaient les cahiers de doléances de 1789. Les délégués se déclarèrent en général partisans du régime de la propriété collective pour les biens immobiliers.

C’est au congrès de Bâle (6-12 septembre 1869) que s’opère un véritable tournant. Bakounine est maintenant adhérent. Les proudhoniens de droite sont définitivement battus à la suite d’une alliance entre bakouniniens, blanquistes et marxistes. Ce quatrième congrès de l’Internationale prit position sur le régime de la propriété. Le Congrès de Bruxelles avait certes déjà traité de cette question, mais les partisans de la propriété privée, qui avaient été mis alors en minorité à Bruxelles, relancèrent le débat, affirmant que ce problème était complexe et qu’il n’avait pas été réglé. Après une discussion animée, le Congrès se déclara clairement collectiviste.

La question de l’héritage était la seconde question à l’ordre du jour, sur laquelle eut lieu un affrontement. Cette question ne présentait sur le fond aucun intérêt, mais elle servit de prétexte aux marxistes pour compter les voix. Ceux-ci présentèrent un amendement à la résolution votée, qui est repoussé. On peut ainsi déterminer le poids respectif des différents courants à partir des voix qui se sont portées sur les amendements ou sur les motions :

63 % des délégués de l’AIT se regroupent sur des textes collectivistes « bakouniniens » ;
31 % se regroupent sur des textes « marxistes » ;
6 % maintiennent leurs convictions mutuellistes (proudhoniens).

Le problème des caisses de résistance est, sans contredit, le plus important traité à Bâle. Chaque section fut invitée à en créer. On conseilla aux responsables de ces caisses de les fédérer en organisations régionales, nationales, internationales. En leur permettant de soutenir des grèves prolongées, ces caisses devaient permettre aux travailleurs de lutter contre la bourgeoisie.
Des résolutions administratives furent votées à Bâle dont les délégués fédéralistes n’avaient pas évalué la portée, et qu’ils regrettèrent par la suite. Ces résolutions attribuaient au Conseil général le droit de refuser l’admission de nouvelles sociétés ou de les suspendre des sections – décisions qui devaient, il est vrai, être soumises au congrès suivant. James Guillaume écrit à ce sujet en 1872 : « Nous étions tous animés de la plus complète bienveillance à l’égard des hommes de Londres. Et notre confiance fut si aveugle que nous contribuâmes plus que personne à faire voter ces fameuses résolutions administratives qui allaient donner au Conseil général une autorité dont il a fait un si fâcheux usage. Leçon profitable, et qui nous a ouvert les yeux sur les vrais principes de l’organisation fédérative 4. »

C’est au congrès de Bâle – Bakounine vient d’adhérer à l’Internationale – qu’apparaissent ouvertement les deux courants qui vont s’affronter. Ces courants existaient déjà à Bruxelles, mais ils sont maintenant clairement délimités. D’un côté il y a les Belges, la plupart des Français, les Espagnols et les Jurassiens qui se révèlent fédéralistes et révolutionnaires ; de l’autre il y a le Conseil général, les Allemands, une partie des Suisses qui sont centralistes et sociaux-démocrates. « Depuis le congrès de Bâle (septembre 1869), la coexistence dans l’Internationale de différentes conceptions, telles que celles des socialistes étatistes, collectivistes, anti-autoritaires et proudhoniens, et de tactiques diverses (action politique, abstentionnisme, syndicalisme, coopération, etc.), fut remplacée par des agressions des partis autoritaires et étatistes, dont les principaux centres étaient la Fabrique de Genève, le Parti socialiste allemand et le Conseil général de Londres 5. »

La situation créée au congrès de Bâle est évidemment inacceptable pour Marx. C’est après ce congrès que commenceront les attaques systématiques et les plus violentes contre le révolutionnaire russe. « Ce Russe, cela est clair, veut devenir le dictateur du mouvement ouvrier européen. Qu’il prenne garde à lui, sinon il sera excommunié », prophétise Marx dans une lettre à Engels datée du 27 juillet 1869. À quoi Engels répond le 30 juillet : « Le gros Bakounine est derrière tout cela, c’est évident. Si ce maudit Russe pense réellement se placer, par ses intrigues, à la tête du mouvement ouvrier, il est grand temps de le mettre hors d’état de nuire. » Après avoir voulu tordre le cou aux « ânes de proudhoniens », il faut maintenant excommunier Bakounine…
Il est vrai que Marx et Engels avaient de quoi se méfier. Précédemment à son adhésion à l’Association internationale des travailleurs, Bakounine avait créé une organisation nommée Alliance internationale de la démocratie sociale, qui avait demandé son adhésion à l’Association internationale des travailleurs. L’adhésion avait été refusée par le Conseil général pour des raisons parfaitement légitimes, puisqu’elle se concevait elle-même à l’origine comme une organisation internationale. Pour être en conformité avec les statuts de l’Internationale, l’Alliance se transforma en simple section de l’AIT. Sous cette condition, l’adhésion fut acceptée. Son rôle en tant que section de l’Internationale ne fut pas négligeable puisque c’est à son instigation que fut créée la fédération espagnole.

Marx et Engels développeront, à propos de l’« Alliance » bakouninienne, une véritable obsession paranoïaque, lui attribuant les pires méfaits et la voyant derrière toutes les initiatives qui n’allaient pas dans le sens de leurs propres vues. Le fantôme de l’Alliance et de Bakounine se dressant derrière elle va littéralement hanter Marx et Engels. Franz Mehring, un historien et militant marxiste parfaitement orthodoxe, écrira dans sa biographie de Marx qu’il n’y avait rien qui puisse prouver les accusations de Marx et d’Engels contre Bakounine – ils n’auront pas entièrement tort, d’ailleurs.


1. Marx n’assistera à aucun congrès de l’Internationale, sauf celui de La Haye constitué de délégués soigneusement sélectionnés par lui.
2. Lewis L. Lorwin, L’Internationalisme et la classe ouvrière (Labor and Internationalism), 2e édition, Gallimard, 1933.
3. « Le jugement de M. Coullery », juillet 1869, L’Égalité, 31 juillet 1869.
4. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 82. Cf. James Guillaume, L’Internationale, documents et souvenirs, vol. I, p. 207.
5. M. Nettlau, « Les Origines de l’Internationale anti-autoritaire », article du Réveil du 16 septembre 1922.


René Berthier

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Re: Première Internationale

Messagede Béatrice » 28 Mar 2016, 17:44

mercredi 30 mars 2016 à TOULON

à 18 h Librairie Contrebandes, 37 rue Paul Lendrin, 83000

Conférence de Mathieu Léonard, auteur de
L’émancipation des travailleurs. Une histoire de la Première Internationale (1864-1872)
association MOCA*

Huit ans : c’est ce qu’a duré l’Association internationale des travailleurs, plus connue sous le nom de première Internationale. Une vie brève donc, et pourtant c’est tout un monde qui change avec la Commune de Paris pour pivot. Entre le meeting fondateur au St Martin’s Hall de Londres en septembre 1864, et le congrès de la scission, à la Haye, en septembre 1872, on passe d’un timide réseau d’entraide ouvrière à une organisation internationale qui parle ouvertement de révolution sociale. En partant d’un conglomérat hétérogène de syndicalistes anglais, d’artisans mutuellistes français et de communistes allemands, on voit surgir en chemin de grandes figures du mouvement ouvrier comme le Belge César De Paepe et le Français Eugène Varlin, et l’on assiste à la formation des courants marxistes, anarchistes et sociaux-démocrates. Pour finir, les épisodes se succèdent dans la lutte entre les « autoritaires » autour de Karl Marx et les « anti-autoritaires » autour de Michel Bakounine, lutte qui finira par faire éclater l’Internationale.
Bien des questions qui sont les nôtres sont déjà posées dans les congrès de la première Internationale, dans les luttes qu’elle a menées et dans les querelles dont elle a fini par mourir. Une richesse largement oubliée, que ce livre restitue avec une entraînante empathie.

Mathieu Léonard est historien de formation et au mensuel CQFD.

*Mouvement pour une culture alternative dans le Var

Librairie Contrebandes, 37 rue Paul Lendrin, 83000 Toulon
Tel/fax : 04 94 89 66 39
Horaires : du mardi au samedi de 10 à 18h30.
« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
Louise Michel
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Re: Première Internationale

Messagede bipbip » 03 Avr 2016, 03:04

Les tentatives de reconstitutions de la première Internationale et les débuts du mouvement anarchiste à Lyon (1871-1881).

Synthèse du mémoire de maîtrise de Lionel Bébin, publiée dans les Mélanges d’Histoire Libertaire n°2.
Disponible au Centre de Documentation Libertaire de Lyon.

L’appartenance à l’A.I.T. devient un crime le 14 mars 1872. A Lyon, on tente de passer outre...

Après l’épisode sanglant de la Commune, le législateur français souhaite se prémunir contre toute organisation ouvrière. C’est ainsi qu’est votée le 14 mars 1872, sur proposition de Thiers, la loi Dufaure criminalisant l’appartenance à l’Association Internationale des Travailleurs, bien que celle-ci n’ait joué aucun rôle dans le déclenchement des incidents tout aussi bien dans d’autres villes qu’à Paris. Mais, comme le rappelle judicieusement Yves Lequin : « La tendance à voir l’Internationale à l’origine de toutes ou presque toutes les agitations ouvrières n’est pas nouvelle ».

De plus l’occupation du territoire français par les troupes de l’empereur Guillaume qui se prolonge jusqu’au 16 septembre 1873 et la circulation des voyageurs allemands alimentèrent le mythe du complot ourdi contre la France.

La conséquence fut que la loi Dufaure considéra l’A.I.T. comme un Etat distinct, dont les membres devaient dès lors choisir entre cet Etat sans territoire et leur Etat de résidence.

Le mouvement internationaliste lyonnais était néanmoins dans une situation difficile avant même que le législateur ne s’arme de cette nouvelle disposition. A l’échec des tentatives insurrectionnelles de la Commune de Lyon le 23 mars 1871 ainsi que celle de la Guillotière le 30 avril 1871 et au revirement politique de deux de ses principaux meneurs (Albert Richard et Gaspard Blanc) devenus partisans du socialisme impérial, viennent s’ajouter l’exil volontaire de nombreux militants en Suisse et pour certains ayant préféré rester à Lyon, le procès d’août 1871.

L’année 1872 marque néanmoins un renouveau. L’exposition universelle de Lyon s’ouvrant le 7 juillet 1872, les internationalistes pensaient que le prétexte serait bon pour se rencontrer et s’organiser à nouveau. Et de fait, des sections se sont reconstituées à Oullins, à la Croix-Rousse sous l’impulsion de Henri Boriasse, à la Guillotière grâce à Pierre Dubois, mais aussi à Saint Just, Saint Etienne, Tarare, Grenoble, Villefranche et Roanne. Ces efforts de reconstitution de l’Internationale ont rapidement amené la réaction des autorités. Deux grands procès collectifs ont démembré les sections réorganisées. Tout d’abord, en mars 1873, un premier procès marque la fin de l’activité de la section d’Oullins, et puis en avril 1874, c’est la grande et célèbre affaire du complot de Lyon qui paracheva la mise à mort du mouvement ouvrier internationaliste.

Avant de suivre les avatars de ce courant après ces deux procès, nous pouvons examiner plus profondément le fonctionnement et l’idéologie qui le faisait vivre.

Sous l’impulsion donnée par le stéphanois Pierre Gillet, un programme était adopté proposant la complète autonomie des groupes et la multiplicité de ceux-ci, chacun devant être constitué de cinq membres seulement. Chaque groupe nommait un délégué et la réunion de ces délégués formait un comité départemental chargé de la correspondance et totalement dénué d’autorité. Un système identique s’appliquait aux échelons régionaux. Mais ce projet devait s’avérer difficile à mettre en place, toutes les régions n’étant pas au même stade de reconstruction.

De plus cette marche en avant était régulièrement stoppée par les arrestations des principaux promoteurs de l’A.I.T.
Chaque affilié était en possession d’un livret où figurait ses nom, origine, naissance, profession et numéro d’adhérent. En échange d’une cotisation, il était délivré un timbre figurant sur le livret. Entre 1872 et 1874, cette cotisation est passée de 10 centimes par semaine à 25 centimes pour la même durée dans le groupe de la Croix-Rousse. Celles-ci étaient essentiellement destinées à l’achat de livres et de brochures, et au financement des voyages de propagande des militants.

Ce système présentait bien des inconvénients face à la surveillance policière. En conséquence, les cotisations ont cessé d’être répertoriées sur le livret puis ces mêmes livrets ont bientôt été supprimés.

Camille Camet, jeune tisseur croix-roussien, de retour à Lyon après la tenue du congrès de l’A.I.T. à Genève en septembre 1873, proposa un programme politique, lors de la tenue d’une réunion d’internationalistes le 18 octobre 1873. Ce programme comportait 6 articles contenant sa profession de foi :
- Lyon est déclarée commune libre et autonome
- La dissolution de la police est instituée, la surveillance est à la vigilance de chaque citoyen
- Les codes et la magistrature sont abolis et cette dernière remplacée par un tribunal populaire
- Les impôts indirects et directs sont abolis au profit d’une taxe sur la fortune et la propriété
- Les cultes sont abolis
- Également abolie, l’armée permanente.

De fait, des commissions étaient prévues pour assurer la sûreté générale ou les finances. Une commission de subsistance était créée pour apporter des secours aux indigents, et une autre instituait une milice de citoyen en remplacement de l’armée.

Mais ce programme, pour révolutionnaire qu’il soit, avait ses limites : ainsi, alors que la question du droit au travail est revendiquée, rien n’est dit sur la possibilité d’abolir le salariat. De même pour la collectivité de la propriété, écartée au profit de l’instauration d’une simple taxe sur la fortune et les biens. Camille Camet fut peu de temps après, arrêté et compris dans le procès d’avril 1874 dit du complot de Lyon.

Après les procès, les militants les plus avancés continuèrent individuellement et plus secrètement que jamais d’appartenir à l’A.I.T. Mais aucun groupe n’osa s’en revendiquer objectivement. Un congrès ouvrier, convoqué à Lyon pour le 28 janvier 1878, sous haute surveillance policière, fut l’occasion pour certains de sortir de la torpeur dans laquelle baignait le mouvement internationaliste. Quelques orateurs ouvriers s’éloignèrent parfois des notions à l’ordre du jour et des questions de corporations au profit de discours plus politique. L’amnistie des communards est même réclamée avec ferveur. Mais l’écho restait restreint. Le congrès pris fin le 10 février suivant non sans avoir demandé la tenue d’un autre congrès ouvrier, international celui là. Voulant éviter tout retour légal de l’A.I.T. sur le sol français, cette autorisation n’a pas été donnée.

Le 3ème congrès ouvrier eût lieu l’année suivante à Marseille. Parmi les résolutions, figure celle concernant un projet de formation d’une fédération des travailleurs socialistes. La France serait divisée en 6 régions soit en 6 fédérations régionales. Et l’été suivant, chaque région organisa un congrès pour constituer la fédération.

A Lyon, le 29 février 1880, au théâtre des Variétés, devant une assistance de 500 personnes, la fédération du parti ouvrier socialiste de la région de l’Est était créée. La doctrine de la nouvelle organisation se référait au collectivisme économique, mais était déchirée sur le plan politique entre les suffragistes et les abstentionnistes. Ces derniers ont alors fondé un groupe dit du Drapeau rouge en janvier 1881. Les tensions entre les deux camps allaient crescendo lorsque les abstentionnistes prirent l’initiative de dissoudre le parti ouvrier de la région de l’Est ; les suffragistes leur emboîtèrent le pas et les exclurent du parti. Dès lors, les abstentionnistes allaient marcher seul au combat sous le nom d’anarchistes.

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